Qui a dit quoi de Qui ? (Deuxième République et Second Empire) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Un personnage parle d’un autre personnage.
Exemple type : « Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. » François Mauriac évoquant de Gaulle en juin 1940.

Le premier « qui » est quelquefois le peuple (acteur anonyme) s’exprimant en chanson, pamphlet, slogan, épitaphe. Le second « qui » peut être un groupe, une assemblée, une armée à qui le discours est destiné.
Si les deux « qui » sont identiques, c’est un autoportrait, une profession de foi politique, parfois une devise.
Les lettres (Correspondance) et Mémoires (sous diverses formes) sont des sources précieuses, les « mots de la fin » livrent une ultime vérité sur l’auteur.

Dans ce défilé de Noms plus ou moins connus ou célèbres, le ton passe de l’humour à la cruauté avec ces citations référentielles ou anecdotiques, mais historiquement toujours significatives.
« Qui a dit quoi de Qui » est une version résumée en 12 éditos de notre Histoire en citations – « quand, comment et pourquoi » donnant l’indispensable contexte.

Ça peut aussi devenir un jeu : « Qui a dit quoi de Qui ». À vous de voir.

8. Deuxième République et Second Empire.

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Deuxième République (1848-1852)

« L’enthousiasme fanatique et double de la République que je fonde et de l’ordre que je sauve. »2145

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, 24 février 1848. XIXe siècle : les grands auteurs français du programme (1968), André Lagarde et Laurent Michard

Autoportrait éloquent et authentique du Poète entré en Politique avec la révolution de 1830. L’auteur continua d’écrire pour des raisons financières – et c’est une œuvre d’historien qui le mobilise (son Histoire des Girondins). Mais la République va le mobiliser à plein temps et plein cœur, pendant deux ans.

Depuis son discours du 27 janvier 1843 qui le mit à la tête de l’opposition de gauche à la Monarchie de Juillet, Lamartine jouit d’une immense popularité. Il a conduit le peuple à la révolution rendue inévitable par l’aveuglement des conservateurs et le voilà porté au pouvoir en février 1848, par une sorte d’unanimité dont la fragilité et surtout l’ambiguïté vont éclater dans les semaines qui viennent.

« Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! »2146

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, derniers mots de son discours du 25 février 1848. Les Orateurs politiques de la France, de 1830 à nos jours (1898), Maurice Pellisson

Son lyrisme fait merveille aux grandes heures du siècle romantique.

La veille, 24 février, il a accepté la proclamation de la République comme un fait accompli. Mais ce jour, il refuse l’adoption officielle du drapeau rouge et, seul des onze membres du gouvernement provisoire, il a le courage d’aller vers la foule en armes qui cerne l’Hôtel de Ville. Lui seul aussi est capable d’apaiser les insurgés du jour et de rallier le lendemain les modérés à la République.

« On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge, « qui n’avait fait que le tour du Champ de Mars tandis que le drapeau tricolore », etc. ; et tous se rangèrent sous son ombre, chaque parti ne voyant des trois couleurs que la sienne – et se promettant bien, dès qu’il serait le plus fort, d’arracher les deux autres. » Gustave Flaubert le romancier de L’Éducation sentimentale (1869) voit juste, aidé par le recul du temps : la confusion et l’enthousiasme des premiers jours masquent toutes les incompatibilités d’opinion.

« Le gouvernement provisoire s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir le travail à tous les citoyens. »2148

Louis BLANC (1811-1882), parlant au nom du gouvernement provisoire, 25 février 1848. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume VI (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Affirmation nouvelle et littéralement révolutionnaire du « droit au travail » – titre d’un livre de 1849 signé de ce grand socialiste français. Mais la définition en reste confuse et l’application se révélera catastrophique. La crise économique de 1846-1847, aggravée par la Révolution de 1848, a provoqué tant de chômage et de misère qu’il faut agir. Dès le 26 février, on crée les Ateliers nationaux : chantiers de terrassement ouverts aux chômeurs, à Paris et dans plusieurs grandes villes de province. Salaire, deux francs par jour. 40 000 volontaires vont se précipiter, mais on ne sait à quoi les employer.

« Vive la République ! Quel rêve ! […] On est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange et de se réveiller dans les cieux. »2150

George SAND (1804-1876), Lettre au poète ouvrier Charles Poncy, 9 mars 1848, Correspondance (posthume)

La Dame de Nohant, très populaire par ses romans humanitaires et rustiques, se précipite à Paris et s’enthousiasme comme ses confrères pour la République. Elle fonde La Cause du Peuple - (hebdomadaire dont Sartre fera revivre le nom et qui deviendra Libération ! Elle ne pense plus qu’à la politique, le proclame avec toute sa force de conviction personnelle et s’affiche aux côtés de Barbès (émeutier révolutionnaire libéré de prison grâce à la récente révolution), Louis Blanc et Ledru-Rollin (membres du gouvernement provisoire).

Autre poète entré en politique, Hugo est aussi le plus grand témoin à la barre de l’histoire de son temps et note toutes ses impressions, dans son Journal : « Les quatre mois qui suivirent février furent un moment étrange et terrible. La France stupéfaite, déconcertée, en apparence joyeuse et terrifiée en secret, en était à ne pas distinguer le faux du vrai, le bien du mal, le juste de l’injuste, le sexe du sexe, le jour de la nuit, entre cette femme qui s’appelait Lamartine et cet homme qui s’appelait George Sand. » Choses vues (posthume). Son œuvre est une mine de citations et les plus belles appartiennent aux grandes époques de trouble qui déchirèrent la France. En prime, l’humour est présent et l’antithèse hugolienne fort juste.

« Il court de toutes ses forces pour arriver à temps quelque part avant la République ! »2151

Charles BAUDELAIRE (1821-1867). Œuvres posthumes (1908), Charles Baudelaire

À 27 ans, le poète des Fleurs du mal est surtout connu comme critique d’art pour ses Salons. Il vient de prendre fait et cause pour la Révolution, mais son enthousiasme républicain ne survivra pas au coup d’État de décembre 1851.

Il se moque ici du vieux Louis-Philippe (75 ans) qui a fui à Dreux, avant de fuir plus loin encore, pour l’exil en Angleterre. Son abdication sans combat et sa fuite ont provoqué le ralliement à la République des « républicains du lendemain », autrement dit des classes dirigeantes.

« Aux journées de février 1848 comme aux journées de juillet 1830, la monarchie avait cédé presque sans résistance à l’émeute de Paris. Dans les deux cas, ce n’était pas seulement le roi qui avait abdiqué, c’était l’autorité elle-même. » Jacques Bainville, Histoire de France (1924). La brève histoire de cette Deuxième République se résumera en une restauration de l’autorité dans un pays encore très conservateur et rural, avec des sursauts républicains et révolutionnaires entraînant des réactions qui renforcent encore l’autorité. Jusqu’à ce que l’Empire s’ensuive.

« Le monde et nous, nous voulons marcher à la fraternité et à la paix. »2153

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Manifeste aux puissances. La France parlementaire, 1834-1851 (165), Alphonse de Lamartine, Louis Ulbach

Le « nous » est parfaitement sincère et mis en situation. L’auteur de La Marseillaise de la paix est devenu ministre des Affaires étrangères à la fin du mois de février 1848. Il proclame les intentions pacifiques de la République : ne pas effrayer l’Europe qui garde en mémoire 1792, les soldats de l’an II et l’armée de l’Empire – soit plus de vingt années de guerres.

« Le gouvernement est composé d’hommes excellents pour la plupart, tous un peu incomplets et insuffisants à une tâche qui demanderait le génie de Napoléon et le cœur de Jésus. »2155

George SAND (1804-1876), Lettre au poète ouvrier Charles Poncy, mars 1848. L’Écrivain engagé et ses ambivalences : de Chateaubriand à Malraux (2003), Herbert R. Lottman

Les « hommes excellents », Lamartine en tête, sont des républicains radicaux et surtout modérés, députés de l’opposition sous la Monarchie de Juillet – Ledru-Rollin, Marie, Dupont de l’Eure, Garnier-Pagès, Arago le savant – ou des journalistes de gauche – Marrast rédacteur du National, Flocon de La Réforme – et quelques socialistes imposés par les forces révolutionnaires – Louis Blanc, Albert un mécanicien.

Le plus dur est à venir, mais après une première série de décrets les premiers jours, ce gouvernement a déjà dû se rendre impopulaire en augmentant les impôts de 45 %, d’où le mécontentement des paysans. Toute la province se méfie à présent des décisions venues de Paris. Les circulaires du radical Ledru-Rollin passent mal à Bordeaux, Besançon, Beauvais, Troyes. Il faut la caution de Lamartine pour rassurer les modérés qu’effraient aussi les premières manifestations de rues dans la capitale – le 17 mars, pour retarder la date des élections, reportées au 23 avril.

« Aujourd’hui que le droit du travail est le premier de tous les droits […] je viens, au nom du travail, affirmer les droits politiques des femmes, la moitié du peuple. »2161

Benjamin Olinde RODRIGUES (1794-1851), Discours à la Bourse, 30 avril 1848. 1848, Le Livre du centenaire (1948), Charles Moulin

Enfin un homme qui parle au nom des femmes et se fait l’avocat de leur cause historiquement oubliée !

Disciple du père Enfantin, rattaché à l’école socialiste saint-simonienne qui accueille un courant féministe, il prend la parole devant les travailleurs et ajoute : « La République fondée sur la liberté, l’égalité, la fraternité, doit reconnaître désormais au travail des femmes autant et plus de droits que l’ancien régime n’en reconnut autrefois à leur oisiveté féodale. » Avec le droit du travail qui reconnaît enfin des droits aux travailleurs, rappelons que le gouvernement provisoire de la nouvelle République a aussi proclamé (25 février 1848) le droit au travail, encore plus révolutionnaire.

« Tremblez tyrans portant culotte !
Femmes, notre jour est venu ;
Point de pitié, mettons en vote
Tous les torts du sexe barbu !
Notre patience est à bout,
Debout, Vénusiennes, debout […]
Refrain
Liberté sur nos fronts verse tes chauds rayons,
Tremblez, tremblez, maris jaloux,
Respect aux cotillons ! »2162

Louise de CHAUMONT (XIXe siècle), La Marseillaise des femmes (ou Marseillaise des cotillons), chanson de 1848. L’Illustration, volume XI (1848), J. Dubouchet

Les « Vénusiennes » chantent et défilent, jupes retroussées, corsage en bataille, jeunes ouvrières vivant parfois en communauté à la mode saint-simonienne. La Marseillaise, parmi tous les chants de l’histoire de France, est le plus constamment repris, parodié, récupéré, exploité en d’innombrables versions. C’est la rançon du succès, disons même de la gloire.

« Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle Assemblée nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent. »2164

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Les Confessions d’un révolutionnaire (1849)

Nul mieux que cet homme du peuple ne mérite ce titre de « représentant du peuple » !

Pourtant, le plus célèbre socialiste de France, très critique contre ses confrères, à commencer par les socialistes, est lui-même très critiqué, sur le fond et plus encore la forme de ses premiers discours, lus à la tribune, difficiles à comprendre.

Le portrait qu’en fait Hugo dans Choses vues est assez cruel. Ce sera pire avec le futur Napoléon III. Louis-Napoléon Bonaparte va éprouver les mêmes difficultés que Proudhon en entrant dans cette arène politique. Mais il s’en sortira bien différemment ! Quant à Hugo, c’est à l’évidence le plus éloquent des orateurs.

Ces trois hommes, élus députés aux élections complémentaires du 4 juin 1848, entrent ainsi le même jour à l’Assemblée constituante.

« J’ai conspiré comme le paratonnerre conspire avec la foudre pour en dégager l’électricité ! »2166

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), à qui l’accuse d’avoir été l’ami des agitateurs Blanqui et Raspail, Séance du 12 juin 1848. Histoire parlementaire de l’Assemblée nationale, volume II (1848), F. Wouters, A.J.C. Gendeblen

Fidèle à l’idéal démocratique qui va le perdre, il refuse de jouer le rôle que l’assemblée conservatrice attend de lui et d’entrer en guerre ouverte contre le peuple de gauche.

Auteur d’une belle et édifiante Histoire des Girondins (1847) écrite pour donner à ce peuple « une haute leçon de moralité révolutionnaire, propre à l’instruire et à le contenir à la veille d’une révolution », il va se trouver dans la situation inconfortable de ces républicains de 1793, trop modérés pour les révolutionnaires et trop révolutionnaires pour les modérés. Mais il y a plus grave que ce destin personnel : « Le 15 mai [1848] fortifia dans la majorité la haine des manifestations ; il jeta les républicains modérés dans l’alliance avec les conservateurs contre les socialistes. Ce fut la rupture définitive entre l’Assemblée et le peuple de Paris » (Ernest Lavisse, Histoire de la France contemporaine).

« La République a de la chance, elle peut tirer sur le peuple ! »2171

LOUIS-PHILIPPE (1773-1850), exilé en Angleterre, apprenant que Cavaignac a fait tirer sur les émeutiers, le 25 juin 1848. Louis-Philippe, roi des Français (1990), Georges Bordonove

Le dernier roi de France, comme Louis XVI, eut la hantise de faire couler le sang des Français et refusa le plan de Thiers (en 1871, il débouchera sur un massacre historique pendant la Commune de Paris).

Le général Cavaignac a pour mission de stopper cette guerre sociale. Des gardes nationaux de province se joignent à la troupe et aux gardes mobiles. Ses hommes prennent position dans les quartiers calmes et il laisse la révolte s’étendre pour mieux la réprimer le lendemain, 25 juin, piégeant quelque 40 000 ouvriers au cœur de la capitale.

La lutte est meurtrière, jusqu’au 26. L’archevêque de Paris, Monseigneur Affre, venu s’interposer sur une barricade du faubourg Saint-Antoine, un crucifix entre les mains, est tué d’une balle perdue. Le général Bréa veut parlementer avec les émeutiers pour leur éviter le pire : il est massacré avec son aide de camp. La fusillade est continue, la résistance désespérée.

« Le bonnet de coton ne se montra pas moins hideux que le bonnet rouge. »2173

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

L’auteur témoin de son temps rejette ici dos à dos le bourgeois et le peuple.

Les représailles ont suivi les combats. Bilan humain des journées de juin : plus de 4 000 morts chez les insurgés, 1 600 parmi les forces de l’ordre (armée et garde nationale). Et 3 000 prisonniers ou déportés en Algérie.

Bilan politique : la rupture est consommée entre la gauche populaire, prolétaire et socialiste (à Paris surtout, mais très minoritaire dans le pays) et la droite conservatrice à laquelle vont peu à peu se joindre les républicains modérés, pour former le parti de l’Ordre.

« J’ai honte aujourd’hui d’être Française, moi qui naguère en étais si heureuse […] Je ne crois plus à l’existence d’une république qui commence par tuer ses prolétaires. »2174

George SAND (1804-1876), Lettre à Charlotte Marliani, juillet 1848. Les Écrivains devant la Révolution de 1848 (1948), Jean Pommier

Sand réagit comme Flaubert avec lequel elle échange toujours une abondante correspondance. Mais elle écrit ces mots à sa confidente et amie, montrant à quel point son cœur est du côté des émeutiers. La « bonne dame de Nohant » n’aura pas la même inconditionnalité citoyenne pour la Commune de Paris en 1871.

« Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or, pour jouir du droit de parler ; nous ne sommes pas assez riches. Silence au pauvre. »2177

Félicité Robert de LAMENNAIS (1782-1854), Le Peuple Constituant, 11 juillet 1848

Derniers mots du 134e et dernier numéro du journal qui cesse de paraître, en raison d’un cautionnement imposé à la presse.

Prêtre en rupture d’Église, Lamennais est devenu un démocrate humaniste. Élu député à l’Assemblée constituante, siégeant à l’extrême gauche, il était rédacteur en chef de ce journal né avec la Deuxième République. Il se retire de la vie politique et meurt en 1854. Sa dernière volonté, que son corps soit conduit directement au Père-Lachaise pour être enterré « au milieu des pauvres et comme le sont les pauvres. »

George Sand, Michelet, Hugo ont dit ce qu’ils pensent de l’homme et doivent aux idées de Lamennais, à son cœur et à son courage militants.

« Haine vigoureuse de l’anarchie, tendre et profond amour du peuple. »2178

Victor HUGO (1802-1885), devise de L’Événement, juillet 1848-septembre 1851

La formule est empruntée à l’un de ses discours électoraux de mai 1848, fidèle à sa pensée comme à son action.

Le poète qui a renoncé au théâtre (après l’échec des Burgraves) entre sur la scène politique. Élu par la bourgeoisie, le 4 juin, favorable à la fermeture des Ateliers nationaux et partisan résolu de la répression des journées insurrectionnelles, Hugo demeure pourtant profondément libéral. Tout en refusant le socialisme, il va s’opposer au gouvernement Cavaignac qui, avec le parti de l’Ordre, menace la liberté de la presse et multiplie les mesures répressives.

Dans son journal créé avec l’aide de son ami Émile de Girardin, grand patron de presse, il dicte ou écrit la plupart des articles, même s’il ne signe pas. Il a deux buts précis et corollaires : promouvoir sa propre candidature à la présidence de la République et défendre le suffrage universel pour cette élection à venir. Au passage, il attaque le général qui est candidat et très populaire : « M. Cavaignac n’a encore remporté de victoires que contre les talents et les libertés. De pareils Austerlitz sont toujours des Waterloo ! »

Dès le mois d’octobre, influencé par Girardin, Hugo renonce à se présenter, mettant L’Événement au service du prince Louis-Napoléon qui lui apparaît comme la solution au drame du pays. Même Hugo se laisse prendre… avant de devenir son ennemi numéro un !

« Toute ma vie sera consacrée à l’affermissement de la République. »2179

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours du 21 septembre 1848. Napoléon le Petit (1852), Victor Hugo

Le futur Napoléon III fait un pas de plus dans l’histoire : réélu en septembre dans cinq départements, il choisit l’Yonne, décide de se présenter à la présidence de la République et commence à faire campagne pour le scrutin présidentiel, fixé aux 10 et 11 décembre.

Une chanson anonyme voit déjà venir le pire : « Bonjour, aimable République, / Je m’appelle Napoléon / Pour votre époux, me voulez-vous ? / Je vous mettrai tout sens dessus dessous, / Avec moi vous aurez l’Empire, / République, marions-nous ! » Le Prétendu de la République (1848).

Le peuple se moque de lui avec un humour véritablement prophétique. Les professionnels de la politique et la presse vont sous-estimer l’homme – ou le pouvoir du nom.

« Laissez le neveu de l’empereur s’approcher du soleil de notre République ; je suis sûr qu’il disparaîtra dans ses rayons. »2181

Louis BLANC (1811-1882). Histoire parlementaire de l’Assemblée nationale, volume II (1848), F. Wouters, A.J.C. Gendeblen

Comme quoi un bon historien peut faire gravement erreur sur son temps ! C’est la République qui va bientôt disparaître devant l’Empire restauré. Il est vrai que les premiers témoins n’ont pas cru dans le destin du nouvel homme qui paraît particulièrement falot.

Notons que Louis Blanc fait ici allusion à une déclaration du candidat empruntant au lyrisme hugolien : « L’oncle de Louis-Napoléon, que disait-il ? Il disait : « La république est comme le soleil. » »

« La tribune est fatale aux médiocrités et aux impuissants. Nous ne voulons pas être trop cruels envers un homme condamné à cet accablant contraste, en sa propre personne, d’une telle insuffisance et d’un tel nom. »2182

Le National, 10 octobre 1848. Louis Napoléon le Grand (1990), Philippe Séguin

De nouveau visé, Louis-Napoléon Bonaparte fut interpellé la veille sur ses intentions par les députés. Un témoin raconte : « Il avait le regard mal assuré, comme un écolier qui n’est pas certain d’avoir bien récité sa leçon ». Lors de sa première présentation au palais Bourbon, le 26 septembre, le nouveau député de l’Yonne faisait déjà mauvaise impression, montant à la tribune pour lire un papier chiffonné, parlant de ses « compatriotes » avec un fort accent étranger.

Verdict de Ledru-Rollin : « Quel imbécile, il est coulé ! » Et Lamartine l’appelle « un chapeau sans tête ».

« Oui, quand même le peuple choisirait celui que ma prévoyance, mal éclairée peut-être, redouterait de lui voir choisir, n’importe : Alea jacta est ! Que Dieu et le peuple prononcent ! »2185

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Assemblée constituante, 4 novembre 1848. Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Homme de principe, fidèle à son idéal démocratique et malgré le risque croissant de voir Louis-Napoléon Bonaparte au pouvoir, Lamartine défend le suffrage universel : « Il faut laisser quelque chose à la Providence ! Elle est la lumière de ceux qui, comme nous, ne peuvent pas lire dans les ténèbres de l’avenir ! Invoquons-la, prions-la d’éclairer le peuple, et soumettons-nous à son décret. »

Inscrit dans la Constitution du 12 novembre, le suffrage universel va lui être cruellement fatal.

« Si je réussissais, je serais obligé d’épouser la République et je suis trop honnête garçon pour épouser une si mauvaise fille ! »2186

Adolphe THIERS (1797-1877), refusant de se porter candidat à la présidence. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume VI (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

C’était le souhait du parti de l’Ordre qui regroupe des monarchistes (légitimistes et orléanistes), des républicains conservateurs, voire modérés, unis par leur opposition au socialisme.

Même refus de Bugeaud, le maréchal qui a un nom, un prestige. Lamartine s’étant déconsidéré aux yeux de ses anciens partisans, le parti de l’Ordre se rabat sur le troisième homme : Louis-Napoléon Bonaparte. Et Thiers de conclure : « Sans affirmer que la nomination de M. Louis Bonaparte soit le bien, elle paraît à nous tous, hommes modérés, un moindre mal. »

« Il faut s’avouer impuissant devant cette fatalité politique d’un nouvel ordre dans l’histoire : le suffrage universel. »2187

George SAND (1804-1876), Lettre à Joseph Mazzini, novembre 1848, Correspondance (posthume)

Très politisée sans être jamais « femme politique », elle vit le suspense électoral qui doit donner un président à la (Deuxième) République : « Je travaille, j’attends le 10 décembre comme tout le monde. Il y a là un gros nuage, ou une grande mystification, et il faut s’avouer impuissant… »

La dame de Nohant semble donc résignée, comme Lamartine. Et le peuple chansonne toujours, son arme favorite étant l’humour.

« Je suis Corse d’origine, / Je suis Anglais pour le ton,
Suisse d’éducation / Et Cosaque pour la mine […]
J’ai la redingote grise, / Et j’ai le petit chapeau ;
Ce costume est assez beau, / On admire cette mise.
Seul le génie est absent / Pour faire un bon président. »2188

Complainte de Louis-Napoléon pour compléter sa profession de foi (1848), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Louis-Napoléon Bonaparte dut souffrir de toutes ces chansons qui le brocardèrent, déjà en « Ratapoil », bientôt en « Badinguet » et autres surnoms. Selon Hugo : « Peu lui importe d’être méprisé, il se contente de la figure du respect » (Napoléon le Petit).

Bien que chansonné et ridiculisé, sous-estimé, malmené, le candidat à la présidence de la République a toutes ses chances : porté par la légende napoléonienne qui enchante le peuple et l’a déjà fait député, il rassure les bourgeois qui ont vu de près le « péril rouge », lors des dernières émeutes. Il est donc élu président.

Et après ? Que va devenir cette République encore fragile dans une France toujours déchirée ?

« On craint une folie impériale. Le peuple la verrait tranquillement. »2200

Élise THIERS (1818-1880), née Dosne. Napoléon III (1969), Georges Roux.

L’épouse de Thiers témoigne, ayant vu Louis-Napoléon Bonaparte passer en revue les troupes le 4 novembre 1849.

Le président est particulièrement populaire dans l’armée : il multiplie les grandes revues, augmente la solde des sous-officiers. Celui qu’on commence à appeler le « prince Louis-Napoléon » mène une politique personnelle, se fait acclamer en province, crée son propre parti, ses journaux. Les craintes de Mme Thiers sont justifiées et la carrière de son mari (républicain depuis toujours) marquera un temps d’arrêt sous le Second Empire.

« L’élu de six millions de suffrages exécute les volontés du peuple, il ne les trahit pas. »2208

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours de Lyon, 15 août 1850. Le Prince, le peuple et le droit : autour des plébiscites de 1851 et 1852 (2000), Frédéric Bluche

Étape d’un voyage triomphal de six mois à travers la France. Fort des 75 % de Français qui l’ont élu président de la République au suffrage universel le 10 décembre 1848, il réussit à se poser en défenseur dudit suffrage et donc de la vraie démocratie, contre la Chambre et ses conservateurs avec lesquels il prend ses distances.

C’est bien joué, pour celui qu’on qualifiait deux ans avant d’imbécile et d’impuissant. Il apprend son métier. Et la propagande est parfaitement organisée : par ses hommes (fidèles bonapartistes comme Persigny, libéraux non ralliés au parti de l’Ordre, hommes d’affaires, banquiers, et Morny son demi-frère), par ses journaux (Le Pays, Le 10-Décembre, Le Napoléon), et son parti (noyauté par la Société du 10-Décembre) regroupant boutiquiers, ouvriers, petits rentiers qui assurent une claque bruyante à chacune de ses apparitions.

« L’an passé, ils adoraient le sabre. Les voilà maintenant qui adorent le gourdin. »2209

Victor HUGO (1802-1885), mots prémonitoires, datés de novembre 1849. Actes et Paroles. Avant l’exil (1875)

Hugo parle non sans mépris du peuple électeur au suffrage universel, facilement manipulé par la propagande. Il constate surtout les progrès de l’autorité et l’irrésistible ascension du prince Louis-Napoléon. Le premier Bonaparte a eu sa campagne d’Italie, le second s’offre une campagne de France. La « folie impériale » redoutée par Mme Thiers se précise.

« Le propre de la démocratie est de s’incarner dans un homme. »2215

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), à la veille du coup d’État. Le Second Empire : innovation et réaction (1973), Alice Gérard

Autoportrait un peu simple de l’homme en question, à savoir lui-même…

2 décembre 1851, le jour est choisi : c’est l’anniversaire d’Austerlitz. Louis-Napoléon Bonaparte a voulu personnellement et ardemment ce coup d’État, mais il en ressentira plus tard une réelle culpabilité : c’est sa « tunique de Nessus » dira l’impératrice Eugénie.

« Les Bonaparte, c’est tout de même un clan qui se remplit les poches, se distribue les couronnes, et qui, en 1851, s’attable pour le deuxième service. »2144

François MAURIAC (1885-1970), Bloc-notes, IV (1965-1967) dans le journal L’Express

Hugo n’aurait pas mieux dit contre le second, mais son culte pour le premier l’a rendu encore plus cruel. Les contemporains de Louis-Napoléon Bonaparte et au fait de la politique sont sévères pour ce nouvel empereur.

« C’est le premier vol de l’Aigle ! »2224

André Marie Jean Jacques Dupin (1783-1865), 22 janvier 1852. La Sarabande, ou Choix d’anecdotes, bons mots, chansons, gauloiseries, épigrammes, épitaphes, réflexions et pièces en vers des Français depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours (1903), Léon Vallée

Jouant sur le mot « vol », ce magistrat qui présida la Législative en 1849 et sera sénateur sous l’Empire, parle du décret pris par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, portant confiscation des biens de la maison d’Orléans le 22 janvier 1852. Le même jour, Dupin démissionne de ses fonctions à la Cour de cassation.

« C’est beaucoup d’être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire et un principe d’autorité. »2227

François GUIZOT (1787-1874), Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (1858-1867)

Homme politique et historien, il vise naturellement le prince Louis-Napoléon Bonaparte et résume l’alchimie du vote, avec « la force du parti bonapartiste, ou pour dire plus vrai du nom de Napoléon » à l’occasion des élections au Corps législatif, le 29 février 1852. Les opposants n’ayant aucun moyen de faire campagne (pas une affiche imprimée, pas une réunion électorale), ils obtiennent 800 000 voix et les candidats officiels plus de 5 millions. D’où 253 bonapartistes face à 7 royalistes et 3 républicains.

De manière plus générale, la remarque de Guizot explique la facilité avec laquelle le futur empereur va arriver à son but, le pouvoir, et les difficultés que le régime connaîtra plus tard.

« Il est des morts qu’il faut qu’on tue. »2229

Fernand DESNOYERS (1828-1869), protestant contre une statue de Casimir Delavigne érigée au Havre, 1852. La Nouvelle Revue, volume XXXIX (1906)

Homme de lettres et poète misanthrope, il a fait le voyage de Paris au Havre pour dire son indignation : Casimir Delavigne (1792-1843) fut un auteur dramatique très connu et un poète libéral à qui sa ville natale rend hommage. Durant les journées révolutionnaires de 1830, il écrivit La Parisienne, chant patriotique devenu immédiatement chant populaire et La Varsovienne, chantée par les Polonais dans les combats qui les opposent aux Russes.

L’hostilité du très conservateur Desnoyers s’exprime en ces vers : « Habitants du Havre, Havrais / Je viens de Paris tout exprès / Pour jeter à bas la statue / De Casimir Delavigne / Il est des morts qu’il faut qu’on tue. »

« Représentant à tant de titres la cause du peuple et la volonté nationale, ce sera la nation qui, en m’élevant au trône, se couronnera elle-même. »2231

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Sénat, 4 novembre 1852. Recueil général des lois, décrets et arrêtés (1853)

Le message du prince-président s’adresse à la nation invitée à un nouveau plébiscite. Les 21 et 22 novembre, la nation répond massivement oui (au suffrage universel toujours masculin) : 7,8 millions de voix contre 250 000 non.

Émile Zola explique les raisons de ce triomphe : « La société, sauvée encore une fois, se félicitait, se reposait, faisait la grasse matinée, maintenant qu’un gouvernement fort la protégeait et lui ôtait jusqu’au souci de penser et de régler ses affaires. La grande préoccupation de la société était de savoir grâce à quels amusements elle allait tuer le temps […] Paris se mettait à table et rêvait gaudriole au dessert. »

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Second Empire (1852-1870)

« Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »2234

Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)

Le prestigieux proscrit témoigne de son opposition irréductible à l’empereur désormais haï de lui. Le poète qui se veut « écho sonore » et conscience de son siècle refusera de rentrer en France après le décret d’amnistie.

À la date où son œuvre est diffusée sous le manteau, l’opposition républicaine est réduite à néant : chefs en prison ou en exil, journaux censurés. Ces mots ont d’autant plus de portée, Hugo devenant le chef spirituel des républicains refusant le dictateur : « Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même / Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ; / S’il en demeure dix, je serai le dixième ; / Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

« L’Empereur [Napoléon Ier] doit être considéré comme le messie des idées nouvelles. »2246

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Des idées napoléoniennes (1839)

Louis-Napoléon Bonaparte parle naturellement de son illustre ancêtre. Sa bible, c’est le Mémorial de Sainte-Hélène, revu, corrigé, influencé par le saint-simonisme et ses séjours en Angleterre qui le font s’intéresser aux problèmes économiques et sociaux. Pour lui, « l’idée napoléonienne n’est point une idée de guerre, mais une idée sociale, industrielle, commerciale, humanitaire. »

L’empereur conservera le double idéal de sa jeunesse, Napoléon et la liberté, « les deux grandes choses du siècle » comme dit Hugo. Le drame, c’est qu’elles sont inconciliables et le « césarisme démocratique » est une utopie de plus.

L’indécision reprochée à Napoléon III viendra parfois de ce que ses idées fixes sont contradictoires. L’âge venant, et la maladie, cet « entêtement dans l’indécision » (Émile Ollivier) deviendra dramatique.

« Qui arracherait une plume à son aigle risquerait d’avoir dans la main une plume d’oie. »2248

Victor HUGO (1802-1885), Histoire d’un crime (1877)

Le « crime » de l’histoire, c’est le coup d’État du 2 décembre 1851 auquel Hugo tenta en vain de s’opposer par la force des pavés, avant de s’en remettre à la force des mots. On sait que le ridicule blesse, s’il ne tue pas à tout coup.

Même si le coup d’État réussi donne une soudaine assurance au personnage, Napoléon III souffrira toujours de la comparaison avec Napoléon Ier. « L’histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies. » Ce jugement de Tocqueville, d’ailleurs antérieur au Second Empire, s’applique particulièrement bien à Napoléon III.

À noter qu’il prit le numéro trois, le roi de Rome ayant reçu officiellement le nom de Napoléon II.

« L’empereur est une grande incapacité méconnue. »2249

Otto von BISMARCK (1815-1898). Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Cette boutade du Premier ministre de la Prusse (qui fut ambassadeur à Paris en 1862) date de 1864. L’homme de fer n’a qu’un but, la grandeur de son pays et par tous les moyens. Il va déjouer les plans européens de Napoléon III, avant d’imposer une défaite rapide et fatale à l’Empire.

« Ce n’est pas la peine d’avoir risqué le coup d’État avec nous tous pour épouser une lorette. »2254

Duc de PERSIGNY (1808-1872), à Napoléon III, décembre 1852. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Parole du seul honnête homme dans l’équipe d’aventuriers qui prépara le coup d’État du 2 décembre 1851 et se retrouve ministre de l’Intérieur.

La « lorette » est quand même une jeune fille de vraie noblesse espagnole (par son père, trois fois Grand d’Espagne !), fort belle, moins sotte qu’on ne le dira. Mais sa mère irlandaise, quelque peu aventurière, promenait sa fille en Europe dans l’espoir d’un bon mariage. Et l’empereur en est fou !

« On peut tomber amoureux de mademoiselle de Montijo, mais on ne l’épouse pas. »2255

Princesse MATHILDE (1820-1904). Napoléon III ou l’empire des sens (2010), Michel de Decker

Mathilde-Létizia Wilhelmine Bonaparte, dite « la princesse Mathilde », fille de Jérôme Bonaparte (roi de Westphalie et frère de Napoléon Ier), cousine germaine de Napoléon III auquel elle fut fiancée vers 1835, se montre elle aussi bien méprisante. Et pourtant…

Épouse d’un richissime parvenu russe dont elle s’est séparée en 1845 avec une pension de 200 000 roubles, elle vit avec un sculpteur, tient fort élégamment la maison de son cousin Président et va perdre son rôle à la cour quand Eugénie entrera dans la vie de Napoléon III. Il a répondu : « Je l’aime, c’est elle que je veux. »

Il l’épousera le 29 janvier 1853. Et la princesse Mathilde se repliera sur le 10 rue de Courcelles, salon littéraire où elle joue les mécènes pour les artistes les plus brillants de l’Empire. Tandis que l’impératrice, épouse bientôt déçue, mère passionnée, catholique dans l’âme et conservatrice convaincue, se mêlera de politique et ne pensera bientôt qu’à assurer l’avenir de son fils, le prince impérial Eugène Louis Napoléon.

« Osman, préfet de Bajazet,
Fut pris d’un étrange délire :
Il démolissait pour construire,
Et pour démolir, construisait.
Est-ce démence ? Je le nie.
On n’est pas fou pour être musulman ;
Tel fut Osman,
Père de l’osmanomanie. »2258

Gustave NADAUD (1820-1893), L’Osmanomanie, chanson. Chansons de Gustave Nadaud (1870)

Texte en forme de conte, signé d’un poète chansonnier qui fait la satire du Second Empire, parfois interdite par le régime. Remarquons que toutes ces formes de contestation échappent à l’anonymat, preuve que les auteurs courent quand même moins de risques que jadis.

Nommé préfet de la Seine le 1er juillet 1853, le baron Haussmann voit grand et beau pour le Paris impérial. Il faut en finir avec le Paris de Balzac aux rues pittoresques, mais sales et mal éclairées, pour créer une capitale aussi moderne que Londres qui a séduit l’empereur. Il faut donc creuser des égouts, approvisionner en eau les Parisiens, aménager des espaces verts, loger une immigration rurale massive, percer de larges avenues pour faciliter l’action de la police et de l’artillerie contre d’éventuelles barricades. « Ce qu’auraient tenté sans profit / Les rats, les castors, les termites /

Le feu, le fer et les jésuites / Il le voulut faire et le fit. / Puis quand son œuvre fut finie / Il s’endormit comme un bon musulman / Tel fut Osman / Père de l’Osmanomanie. »

On accuse le baron de sacrifier des joyaux anciens, d’avoir un goût immodéré pour la ligne droite et bientôt de jongler avec les opérations de crédit. L’ « osmanomanie » va rimer avec mégalomanie.

« Il est impossible d’être plus beau sous le feu. »2263

Aimable PÉLISSIER (1794-1864), admirant Mac-Mahon, Fort de Malakoff, 8 septembre 1855. Campagne de Piémont et de Lombardie en 1859, volume XXX (1860), Amédée Barthélemy Gayet de Cesena

Militaire qui participa à la conquête de l’Algérie sous la Monarchie de Juillet, Pélissier se retrouve en Russie, commandant en chef à la tête de l’armée de Crimée. Il suit à la lorgnette les péripéties du combat de Mac-Mahon à l’assaut du fort de Malakoff qui défend l’entrée de la ville de Sébastopol. Apprenant que la position est minée, il a ordonné à Mac-Mahon de renoncer, à cinq reprises. Mais le général s’obstine.

« J’y suis, j’y reste. » Mot attribué au général qui a fini par prendre le fort de Malakoff et ne veut pas le rendre, alors que les Russes annoncent qu’ils vont le faire sauter. Le siège de Sébastopol durait depuis 350 jours, quand Mac-Mahon prit la tête des colonnes d’assaut et partit à l’attaque, entouré de ses zouaves.

Pélissier, commandant de l’armée de Crimée, va y gagner son bâton de maréchal, le titre de duc de Malakoff, sa place au Sénat, une pension annuelle de 100 000 francs et divers honneurs. Mac-Mahon, pour ce mot et ce fait de guerre, entre dans l’histoire – il aura d’autres occasions de se manifester comme président de la République sous le prochain régime.

« Il y a aussi plusieurs sortes de Liberté. Il y a la Liberté pour le Génie, et il y a une liberté très restreinte pour les polissons. »2272

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Notes et Documents pour mon avocat (1857)

25 juin 1857, Les Fleurs du mal sont publiées. Elles font scandale : immorales, triviales, géniales. Baudelaire paraît devant le tribunal correctionnel, très conscient de son Génie et méprisant « la multitude vile » tout comme le socialisme, le naturalisme et le réalisme. Il écrit aussi pour sa défense : « Il était impossible de faire autrement un livre destiné à représenter l’agitation de l’esprit dans le mal. » Il est condamné à trois mois de prison pour outrage aux mœurs. Il se soumet : dans la seconde édition de 1861, les six poèmes incriminés auront disparu.

La même année 1857, l’immoralité de Madame Bovary mène Flaubert en justice. Mais son avocat obtient l’acquittement. Il plaide qu’une telle lecture est morale : elle doit entraîner l’horreur du vice et l’expiation de l’épouse coupable est si terrible qu’elle pousse à la vertu.

À la même époque, le génie d’Offenbach s’exprime au théâtre – l’humour et la musique aident à faire passer son apologie de l’adultère et ses bacchanales orgiaques. Dans l’Angleterre beaucoup plus puritaine, l’art n’a pas cette relative liberté.

« L’Empereur, vous n’avez rien de lui !
— Tu te trompes, mon cher, j’ai sa famille. »2269

NAPOLÉON III (1808-1873) à son cousin germain Jérôme-Napoléon Bonaparte (1856). Histoire de la France, volume II (1958), André Maurois

Jérôme-Napoléon, dit Prince Napoléon, fils de Jérôme Bonaparte (frère de Napoléon Ier) et frère de la princesse Mathilde, mettait ainsi en doute l’ascendance paternelle de l’empereur. Sa mère, Hortense de Beauharnais (fille de Joséphine future impératrice), avait eu avant sa naissance en 1808 bien des amants : un écuyer, son premier chambellan qui était comte, un marquis, un amiral hollandais. Les historiens ignoreront toujours si Napoléon III est bien le fils de son père Louis Bonaparte, roi de Hollande. Une seule chose est sûre : le doute… qui devait empoisonner l’empereur.

Sa famille n’était pas davantage un cadeau, surtout ce cousin germain, chef de la branche cadette, parfois appelé Napoléon V et surnommé Plon-Plon (diminutif affectueux de sa mère, devenu ridicule avec l’âge) qui affiche ses convictions anticléricales et jacobines. L’empereur se méfie de ce « César déclassé », impulsif et velléitaire, en état de fronde perpétuelle.

« Les choses ne vont pas tout droit dans mon gouvernement. Comment en serait-il autrement ? L’impératrice est légitimiste, Morny est orléaniste, je suis républicain. Il n’y a qu’un bonapartiste, c’est Persigny, et il est fou. »2278

NAPOLÉON III (1808-1873). Le Duc de Morny : « empereur » des Français sous Napoléon III (1951), Robert Christophe

La boutade lui a été prêtée. De fait, l’empereur est assez mal entouré. Les bonapartistes en particulier ont chacun leurs idées. Morny son demi-frère l’a aidé comme ministre de l’Intérieur à préparer le coup d’État, pour démissionner peu après à cause du décret confisquant les biens de la famille d’Orléans (le « premier vol de l’Aigle » en 1852) ; il préside à présent le Corps Législatif.

L’impératrice, conservatrice et catholique, se mêle de politique, pensant surtout à préserver les intérêts de son fils (né le 16 mars 1856). L’empereur qui se dit républicain a un bonapartisme complexe sinon contradictoire, héréditaire et plébiscitaire, s’appuyant sur la bourgeoisie d’affaires, mais regardant aussi du côté du peuple, voulant la liberté mais la surveillant avec autorité ! Persigny est le compagnon de toujours et de tous les coups ratés, puis réussis, mais il a le bonapartisme si prosélyte qu’il faudra bientôt le mettre à la retraite, quand sonnera l’heure d’un certain libéralisme.

Et l’empereur oublie le prince Napoléon, au bonapartisme jacobin et anticlérical, qui manœuvre à gauche et a des prétentions dynastiques.

« Vous voulez donc faire de la France une caserne ?
— Et vous, prenez garde d’en faire un cimetière. »2291

Maréchal NIEL (1802-1869), à Jules FAVRE (1809-1880), Corps législatif, 2 janvier 1868. Les Causes politiques du désastre (1915), Léon de Montesquiou

Héros de la campagne d’Italie, le maréchal répond lors d’un débat sur l’armée au député républicain contestant l’utilité des périodes d’exercice. Plus fondamentalement, l’opposition républicaine demande la suppression des armées permanentes, malgré la puissance militaire menaçante de la Prusse et l’échec de notre diplomatie. Pour Gambetta le républicain, avocat et opposant au Second Empire, « les armées permanentes sont cause de ruines et source de haine ».

Ministre de la Guerre depuis 1867, Niel fera passer deux mesures de réorganisation militaire le 14 janvier 1868 : extension du recrutement et création de la garde mobile. Il meurt en 1869, avant d’avoir pu achever la modernisation jugée indispensable.

Mais Napoléon III a cessé d’être un « aventurier heureux » (pour reprendre le mot de Thiers en 1864). Sa diplomatie devient brouillonne et l’expédition du Mexique est le premier grave échec extérieur.

« Mon enfant, tu es sacré par ce plébiscite. L’Empire libéral, ce n’est pas moi, c’est toi ! »2304

NAPOLÉON III (1808-1873), à son fils, le prince impérial Eugène Louis Napoléon, âgé de 14 ans, 8 mai 1870. La Société du Second Empire, tome IV (1911-1924), Comte Maurice Fleury, Louis Sonolet

L’empereur rayonne et en oublie son mal, après le plébiscite triomphal du 8 mai : 7 350 000 oui (et 1 538 000 non) pour approuver le sénatus-consulte du 20 avril 1870. L’Empire devient une monarchie parlementaire : ministres responsables devant les Chambres qui ont aussi l’initiative des lois.

« Nous pouvons maintenant envisager l’avenir sans crainte » affirme Napoléon III au Corps législatif, 8 mai 1870.

L’empereur a joué et gagné, refaisant appel directement au peuple comme il y a vingt ans : « J’ai retrouvé mon chiffre », dit-il. L’opposition républicaine se divise et Gambetta résume la pensée de tous : « L’Empire est plus fort que jamais ! » C’est oublier la Prusse.

« Ce n’est pas par des discours et des votes de majorité que les grandes questions de notre époque seront résolues, mais par le fer et par le sang. »2306

Otto von BISMARCK (1815-1898), chancelier de la Confédération d’Allemagne du Nord. Bismarck (1961), Henry Valloton

Ces mots posent le personnage, surnommé le Chancelier de fer. « Par le fer et par le sang » est une expression qui lui est chère, tout comme « la force prime le droit » – traduction de sa Realpolitik.

Bismarck a déjà ravi à l’Autriche sa place à la tête de l’ex-Confédération germanique : la défaite autrichienne à Sadowa (1866) fut un « coup de tonnerre » en Europe. Il veut faire l’unité allemande sous l’égide de la Prusse. Pour cela, il lui faut prouver sa force : écraser la France est le moyen le plus sûr. Il manœuvre pour monter contre elle les États du sud de l’Allemagne et les rassembler dans sa Confédération.

Face au futur chancelier du Reich, il y a Napoléon III. « L’empereur est une grande incapacité méconnue » disait Bismarck en 1864. C’est surtout un homme prématurément vieilli, physiquement atteint et devenu maladivement indécis.

« V’là le Sire de Fish-ton-Kan,
Qui s’en va-t-en guerre,
En deux temps et trois mouv’ments
Sens devant derrière […]
Badinguet, fich ton camp. »2319

Paul BURANI (1845-1901), paroles, et Antonin LOUIS (1845-1915) musique, Le Sire de Fich-ton-kan (1870), chanson

La capitulation de Sedan est accueillie par les applaudissements de la gauche, le 3 septembre à la Chambre : l’opposition sait que le régime ne survivra pas à la défaite de l’armée impériale. De fait, l’opinion se retourne aussitôt : plébiscité en mai, l’empereur qui tombe est insulté.

« Si vous pensez que je suis un obstacle, que le nom de l’Empereur est un obstacle au lieu d’être une force, prononcez notre déchéance ; je ne me plaindrai pas, je serai déchargée du lourd fardeau qui pèse sur moi et je pourrai me retirer avec honneur. »2322

Impératrice EUGÉNIE (1826-1920), en réponse à la déclaration de Gambetta, 4 septembre 1870. Mémoires de l’Académie royale des sciences morales et politiques de l’Institut de France (1904), Académie des sciences morales et politiques (France)

L’impératrice prévenue de la déclaration qui proclame la déchéance de l’empereur se décide à fuir, quand les grilles des Tuileries sont forcées par la foule. Elle va quitter Paris non sans mal, gagner Deauville, se réfugier en Angleterre.

Napoléon III, prisonnier des Allemands, est libéré en mars 1871 pour un nouvel et dernier exil en Angleterre où il rejoint sa femme. Un complot doit le faire rentrer en France. Auparavant, il veut se faire opérer (calcul à la vessie) et meurt des suites de l’opération, le 9 janvier 1873.

Eugénie luttera pour redonner la couronne au prince impérial. À la mort de ce fils unique, le 1er juin 1879, elle se retire de la vie politique. Elle meurt en 1920, assez âgée pour que son ami le colonel Willoughby Verner mette un terme à « cinquante ans de tristesse et de soucis noblement subis » en lui apprenant l’armistice du 11 novembre 1918 par ces mots : « Madame, le jour de Sedan est vengé. »

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