Qui a dit quoi de Qui ? (Directoire, Consulat et Premier Empire) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Un personnage parle d’un autre personnage.
Exemple type : « Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. » François Mauriac évoquant de Gaulle en juin 1940.

Le premier « qui » est quelquefois le peuple (acteur anonyme) s’exprimant en chanson, pamphlet, slogan, épitaphe. Le second « qui » peut être un groupe, une assemblée, une armée à qui le discours est destiné.
Si les deux « qui » sont identiques, c’est un autoportrait, une profession de foi politique, parfois une devise.
Les lettres (Correspondance) et Mémoires (sous diverses formes) sont des sources précieuses, les « mots de la fin » livrent une ultime vérité sur l’auteur.

Dans ce défilé de Noms plus ou moins connus ou célèbres, le ton passe de l’humour à la cruauté avec ces citations référentielles ou anecdotiques, mais historiquement toujours significatives.
« Qui a dit quoi de Qui » est une version résumée en 12 éditos de notre Histoire en citations – « quand, comment et pourquoi » donnant l’indispensable contexte.

Ça peut aussi devenir un jeu : « Qui a dit quoi de Qui ». À vous de voir.

6. Directoire, Consulat et Premier Empire.

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Directoire (1795-1799)

« La propriété est odieuse dans son principe et meurtrière dans ses effets […] Les fruits de la terre sont à tous et la terre n’est à personne. »1654

Gracchus BABEUF (1760-1797), Le Tribun du Peuple, décembre 1795

Babeuf parle au peuple. Il ne se contente pas d’exposer ses théories communistes, il est au centre d’un complot qui se trame contre le régime : la conspiration des Égaux. Il échoue, est condamné à mort et se frappe avec un stylet. Il sera guillotiné le lendemain avec d’autres accusés. Le « babouvisme » inspirera les révolutionnaires des années 1830-1840, Marx et Engels en feront un précurseur du communisme.

Mais le Directoire est surtout l’entrée en scène du personnage le plus célèbre de notre Histoire, arrivant juste après Jésus-Christ sur le podium mondial.

« Un jeune homme de vingt-six ans se trouve avoir effacé en une année les Alexandre, les César, les Annibal, les Frédéric. Et, comme pour consoler l’humanité de ces succès sanglants, il joint aux lauriers de Mars l’olivier de la civilisation. »1647

STENDHAL (1783-1842), Vie de Napoléon (posthume)

Engagé dans l’armée de Bonaparte (âgé de 26 ans en 1795), le futur écrivain découvre l’Italie avec un émerveillement dont son œuvre sera plus tard le reflet.

Stendhal écrit cet essai à Milan en 1817-1818, pour répondre à Mme de Staël : dans ses Considérations sur la Révolution française, elle attaquait l’homme à qui Stendhal voue une vraie passion. Cela n’exclut pas la critique. Stendhal consacrera à l’empereur un second essai, Mémoires sur Napoléon (1836-1837).

« Vous n’avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides ; ceux de l’ennemi regorgent de tout. C’est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons ! »1656

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à ses soldats, Toulon, 29 mars 1796. L’Europe et la Révolution française, Cinquième partie, Bonaparte et le Directoire (1903), Albert Sorel

Nommé général en chef de l’armée d’Italie par le Directoire, il tient ce langage le jour même de son arrivée devant Toulon.

C’est le début de la (première) campagne d’Italie : Carnot, l’ « Organisateur de la victoire » sous la Révolution, devenu l’un des cinq Directeurs au pouvoir, a envoyé le général Bonaparte pour retenir en Italie une partie de l’armée autrichienne – simple opération de diversion, ce qui explique l’intendance déplorable. C’est quand même le commencement d’une irrésistible ascension.

Le jeune Bonaparte a déjà l’art de galvaniser ses troupes – vagabonds en guenilles dont il va faire des soldats victorieux face à des armées supérieures en nombre – avec les mots dictés par les circonstances : « Votre patience à supporter toutes les privations, votre bravoure à affronter tous les dangers excitent l’admiration de la France ; elle a les yeux tournés sur vos misères… »

« Chacun de ses pas désormais est marqué par une parole, par un de ces mots historiques qu’on retient parce qu’il est éclairé de gloire. »1659

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi, volume I (1857), 17 décembre 1849

Sainte-Beuve juge ici de Napoléon Bonaparte en critique littéraire, même s’il replace le discours en situation historique : « Henri IV avait eu des traits d’esprit, des saillies heureuses que répétaient Grillon et les gentilshommes ; mais, ici, il fallait une éloquence à la hauteur nouvelle des grandes opérations, à la mesure de ces armées sorties du peuple, la harangue brève, grave, familière, monumentale. Du premier jour, au nombre de ses moyens de grande guerre, Napoléon trouva celui-là. »

Relisant ses proclamations, exilé à Sainte-Hélène à la fin de sa vie, l’empereur a murmuré devant Las Cases : « Et ils ont osé dire que je ne savais pas écrire ! »

« Je me regardai pour la première fois non plus comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort des peuples. Je me vis dans l’histoire. »1662

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au soir de Lodi, 10 mai 1796. Le Manuscrit de Sainte-Hélène, publié pour la première fois avec des notes de Napoléon (1821), Jacob Frédéric Lullin de Châteauvieux

Première victoire décisive sur les Autrichiens : « C’est le succès qui fait les grands hommes ! » dira plus tard Napoléon Ier. À Lodi, le tacticien prend les dimensions d’un stratège. Et le Petit Caporal corse, ce « bâtard de Mandrin », brocardé, utilisé par les politiques (Barras en tête), a soudain conscience de son destin.

La métamorphose a frappé ses biographes, et sans doute aussi les contemporains. Six mois plus tard, la victoire de Bonaparte au pont d’Arcole est le titre et le sujet du plus célèbre tableau d’Antoine-Jean Gros, élève de David, jeune peintre inspiré par son modèle, affichant l’image du héros, à la fois classique et romantique, étonnamment contemporain.

« Vos intérêts sont ceux de la République, votre gloire celle de la nation entière. Vous êtes le héros de la France. »1665

Lazare CARNOT (1753-1823), Lettre au général Bonaparte, 3 janvier 1797. L’Europe et la Révolution française, Cinquième partie, Bonaparte et le Directoire (1903), Albert Sorel

Cette lettre du Directeur exprime l’opinion générale devant les victoires de Bonaparte en Italie.

L’historien Albert Sorel dresse également le panorama des conquêtes intérieures du futur maître de la France : « Bonaparte gagnera les paysans et les bourgeois par la sécurité du travail, la garantie de l’ordre, la jouissance assurée des biens nationaux, le Code civil, une administration vigilante, une justice égale pour tous ; il tiendra les anciens Jacobins par la crainte de la contre-révolution ; il se les associera en leur distribuant ce qu’ils aiment par-dessus tout, l’exercice du pouvoir ; il tiendra les anciens nobles par un bonheur qu’ils ne connaissent plus : vivre dans leur maison, retrouver leurs familles, refaire leur fortune ; l’armée par les grandeurs, les richesses, les enivrements de la conquête, les délices de la paix ; tous par l’illusion de cette paix glorieuse et de la France prospère dans les frontières de la Gaule. »

« Voilà votre homme, il fera votre coup d’État bien mieux que moi. »1675

Général MOREAU (1763-1813), à l’abbé Sieyès, quand il apprend le retour de Bonaparte, 17 octobre 1799. Sieyès, la clé de la Révolution française (1988), Jean-Denis Bredin

Moreau l’a vu à l’œuvre dans l’armée d’Italie et le recommande à Sieyès, l’un des cinq Directeurs. L’abbé est toujours en quête de son « sabre » (ou son épée) pour remettre de l’ordre dans le pays, renforcer l’exécutif, lutter contre la gauche jacobine et surtout la droite royaliste - Louis XVIII pourrait revenir et rétablir la monarchie. Le régime actuel, faible, corrompu, incompétent, est définitivement déconsidéré.

« Dans une grande affaire, on est toujours forcé de donner quelque chose au hasard. »1676

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à Sieyès, avant le coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases

Le jeune homme pressé répond à l’abbé, inquiet de son projet de renverser le Directoire et qui lui demande où est la garantie du succès. Le hasard, à peine un peu « forcé », a jusqu’ici bien servi Bonaparte, au point d’en faire l’homme du destin pour la France. Et la « grande affaire » se prépare, avec des complicités politiques et familiales qui vont assurer la réussite du coup d’État.

« Souvenez-vous que je marche accompagné du dieu de la guerre et du dieu de la fortune. »1679

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Conseil des Anciens, 19 brumaire an VIII (10 novembre 1799). Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Les députés des deux assemblées doivent voter la révision de la Constitution - encore faut-il convaincre le Conseil des Cinq-Cents, majoritairement contre. De crainte que le peuple parisien ne s’invite aux débats, les élus vont se réunir le lendemain au château de Saint-Cloud.

Bonaparte harangue les « Citoyens représentants ». Les Anciens ne réagissent pas, mais il est hué par les Cinq-Cents. Sa rhétorique dramatique et menaçante rappelle les grandes heures révolutionnaires – et l’époque est révolue. On crie : « À bas le dictateur ! »

Lucien Bonaparte, qui préside l’Assemblée, sauve son frère défaillant, évacué de la salle par les grenadiers. Il invoque des menaces de mort, Murat fait donner la troupe, ses hommes chargent à la baïonnette, les députés se dispersent. Le coup d’État parlementaire est devenu militaire.

Dans la nuit, on rattrape le maximum possible des élus. Les Anciens et une minorité des Cinq-Cents votent enfin la révision et nomment un gouvernement provisoire de trois consuls, Bonaparte, Sieyès et Ducos.

Les deux Conseils (des Anciens et des Cinq-Cents) sont remplacés par deux commissions chargées de réviser la Constitution. Le « coup d’État du 18 Brumaire » a finalement réussi le 19.

« Messieurs, nous avons un maître, ce jeune homme fait tout, peut tout et veut tout. »1681

Abbé SIEYÈS (1748-1836), tirant la leçon du coup d’État du 18 Brumaire, après la réunion du 11 novembre 1799. Le Réalisme (1857), Champfleury

Sieyès est ébloui par Bonaparte qui exerce un irrésistible ascendant sur autrui. Cette fois, il l’a vu dominer tous les sujets : armée, administration, finances, droit, politique. Doué d’une intelligence à la fois synthétique et analytique, l’homme possède aussi une excellente mémoire et une force de travail stupéfiante.

Sieyès, qui a parfaitement manœuvré jusque-là, va perdre pratiquement tout pouvoir. Non sans regret, il a compris qu’il faut s’effacer. L’empereur ne sera pas totalement ingrat, lui donnant comme lot de consolation un poste de sénateur et le titre de comte. Exilé sous la Restauration comme régicide, il reviendra sous la Monarchie de Juillet et mourra en 1836, bien après l’empereur déchu.

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Consulat (1799-1804)

« De Clovis jusqu’au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout. »1686

Napoléon BONAPARTE (1769-1821). JO de la République française, n° 57 (1988), Maurice Schumann au Sénat, 9 décembre 1988

C’est l’un des principes politiques du nouveau dirigeant de la France, né de la Révolution et qui a vu ses excès, sans pour autant participer à la Terreur et au Comité de salut public, comme certains de ses collaborateurs ou ministres - à commencer par Carnot, Barras et surtout Fouché, incontournable ministre de sa police.

« Gouverner par un parti, c’est se mettre tôt ou tard dans sa dépendance. On ne m’y prendra pas. Je suis national. »1692

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au Conseil d’État, fin 1799. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume III (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Qu’il l’ait dit à Cambacérès ou à Thibaudeau (selon les sources), peu importe, et il l’a répété à diverses occasions, au début de son Consulat : c’est un autre principe de sa politique et un point fort de sa stratégie d’homme d’État.

La logique des partis fut fatale aux révolutionnaires – au sens littéral, si on se rappelle tous ceux guillotinés pour être ou ne pas être de tel ou tel parti, courant, tendance, nuance, club et autre faction. Le régime des partis se révélera également funeste aux Républiques qui se suivront et (en cela du moins) se ressembleront, pendant deux siècles. De Gaulle lui-même, autre général entré en politique à la faveur d’événements dramatiques, n’aura pas de mot assez fort ou méprisant pour fustiger les partis, leur jeu, et l’instabilité gouvernementale qui s’ensuit.

Cela dit, les partis sont inhérents à la démocratie. De Gaulle la respectera, Bonaparte n’a pas ce genre de problème.

« On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérances. »1768

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées

Précisant cette pensée, il dira aussi : « L’imagination gouverne le monde » (Mémorial). Et en 1800 : « Je ne suis qu’un magistrat de la République qui n’agit que sur les imaginations de la nation ; lorsque ce moyen me manquera, je ne serai plus rien ; un autre me succédera. » Et encore : « On ne peut gouverner l’homme que par l’imagination ; sans l’imagination, c’est une brute ! Ce n’est pas pour cinq sous par jour ou pour une chétive distinction que l’on se fait tuer ; c’est en parlant à l’âme que l’on électrise l’homme. »

C’est un message qui a dû plaire au général de Gaulle. D’autres chefs d’État devraient s’en inspirer, quelle que soit leur couleur politique.

« Sans trop de respect pour notre espèce, il ordonna de nous transformer sur-le-champ en bêtes de somme et de trait, ce qui fut effectué comme par enchantement. »1701

Capitaine GERVAIS (1779-1858), évoquant le passage du col du Grand-Saint-Bernard, 18-20 mai 1800. Souvenirs d’un soldat de l’Empire (posthume, 1939)

Engagé volontaire en 1793, il fera toutes les campagnes de l’Empire. Récit pris sur le vif de vingt années de guerres en Europe, d’un héros qui ne se prend jamais pour tel, ne demande rien et refuse parfois un avancement.

Le général Bonaparte, à la tête d’une armée de réserve de 50 000 soldats, renouvelle l’exploit d’Hannibal franchissant les Alpes au col du Saint-Bernard encore sous la neige, avec des pièces d’artillerie traînées à bras d’homme dans des troncs creux. Scène immortalisée et surtout sublimée par David : Le Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard, tableau peint en 1800.

David, conseillé par Bonaparte, dépasse la simple représentation de l’événement pour en faire le prototype de la propagande napoléonienne. Le Premier Consul a souhaité être peint « calme sur un cheval fougueux » et l’artiste cabre l’animal, pour donner un dynamisme à sa composition, renforcé par le geste grandiloquent de Bonaparte drapé dans un ample manteau de couleur vive. Le général victorieux, au visage idéalisé, regarde le spectateur et lui montre la direction à suivre, censée être cette troisième voie politique qu’il cherche à imposer entre les royalistes et les républicains.

Dans la réalité, Bonaparte a franchi le col à dos de mule, revêtu d’une redingote grise. C’est quand même un exploit qui contredit les prédictions des habitants du lieu. Ce passage réussi va permettre de prendre à revers les troupes autrichiennes, dans cette deuxième campagne d’Italie.

« Une victoire me laissera maître d’exécuter ce que je voudrai. »1702

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Lettre à son frère Joseph (membre du Corps législatif et du Conseil d’État), 20 mai 1800. Mémoires sur Carnot par son fils (1863), Hippolyte Carnot

Le Premier Consul sait qu’il doit affermir son pouvoir, menacé par certaines menées royalistes – le futur Louis XVIII voudrait récupérer son trône. Pour l’heure, le général Masséna, l’ « enfant chéri de la victoire », est en difficulté à Gênes, assiégé, attendant les renforts. La victoire de Marengo sauvera cette deuxième campagne d’Italie.

« Pourquoi ne m’est-il pas permis de pleurer ? »1707

Napoléon BONAPARTE (1769-1821) à la mort de Desaix, Marengo, 14 juin 1800. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

C’était un valeureux compagnon de route pour Bonaparte qui a pu apprécier l’homme et le militaire, dans la campagne d’Égypte. Certains historiens dénonceront son mépris de la vie humaine, mais il ne ménage pas la sienne : « Qu’est-ce qu’un homme après tout ? », dit-il.

« C’est en me faisant catholique que j’ai fini la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais le peuple juif, je rétablirais le temple de Salomon. »1710

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Déclaration au Conseil d’État, 1er août 1800. L’Europe et la Révolution française (1907), Albert Sorel

Principe pragmatique et conception très utilitaire de la religion : il ne faut pas la combattre et la détruire comme les révolutionnaires, mais s’en servir pour affermir l’État et garantir l’obéissance des citoyens au pouvoir civil. Paradoxalement, Danton et Robespierre pensaient de même.

« Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole » a dit Bonaparte aux curés de Milan (5 juin 1800), après être entré dans la ville en vainqueur. Cette idée lui est chère. La signature du Concordat à venir le confirmera.

« Ma politique est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l’être […] C’est la manière de reconnaître la souveraineté du peuple. »1711

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Déclaration au Conseil d’État, 1er août 1800. L’Europe et la Révolution française (1907), Albert Sorel

Dans la même déclaration, il donne une raison plus générale et sa conception personnelle de la démocratie. En cette année 1800, il y a entente parfaite entre la volonté du peuple et la politique de l’homme au pouvoir. La plupart des problèmes viendront quand il y aura divorce entre les deux.

« C’était un fou, votre Rousseau ; c’est lui qui nous a menés où nous sommes. »1712

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à Stanislas Girardin, lors d’une visite à Ermenonville, dans la chambre où mourut le philosophe, 28 août 1800. Œuvres du comte P. L. Roederer (1854)

Il n’y a sans doute pas une phrase du Contrat social « tolérable » pour Bonaparte Premier Consul, et moins encore Napoléon Empereur. Mais aucun philosophe des Lumières ne peut être pris pour maître à penser ou à gouverner d’un homme aussi autoritaire. Il l’a d’ailleurs écrit dans ses Maximes et pensées : « On ne fait rien d’un philosophe. »

Les deux grands « despotes éclairés » du siècle des Lumières, Frédéric II le roi de Prusse et Catherine II de Russie, ont eu des relations suivies avec Voltaire et Diderot, mais ils étaient moins « fous » que Rousseau dans leur idéalisme libertaire et leur théorie sociale – et dans le premier cas, les deux hommes se sont quand même brouillés.

« N’est-ce pas que je suis de la poule blanche ! »1714

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à sa mère, après l’attentat de la rue Saint-Nicaise, 24 décembre 1800. Histoire de la France (1986), André Bendjebbar

« Être de la poule blanche » est une expression corse qui signifie avoir de la chance… et ce Corse fut toute sa vie très superstitieux.

C’est miracle s’il n’est pas mort, ce soir de Noël 1800. Au passage de son carrosse, explosion de la « machine infernale » – tonneau de 200 livres de poudre et rempli de clous. L’attentat fait 22 morts, une cinquantaine de blessés, 46 maisons détruites. Le fracas ébranle tout le quartier Saint-Honoré… Le Premier Consul est indemne. Il dormait, épuisé, toujours prompt à récupérer, avant d’aller à La Création du monde de Joseph Haydn, à l’Opéra (alors place Louvois). Il se rendra d’ailleurs au spectacle, sans se soucier de son épouse Joséphine (légèrement blessée) dans une autre voiture du cortège, avec sa fille Hortense.

Le 10 octobre, cette fois dans sa loge à l’Opéra, il a échappé de peu au couteau de cinq conjurés – la « conspiration des poignards ». Bonaparte est persuadé que cette série d’attentats contre sa personne est l’œuvre des Jacobins. Mais Fouché a d’autres informations – ce sont les Chouans.

« Nous sommes trente millions d’hommes réunis par les Lumières, la propriété et le commerce. »1726

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Conseil d’État, 4 mai 1802. Mémoires sur le Consulat (1827), comte Antoine-Claire Thibaudeau

Voilà une définition de la nation qu’aurait pu signer Necker, Sieyès ou Benjamin Constant. Grâce à la paix extérieure et intérieure momentanément retrouvée, agriculture, industrie et commerce se développent, la France se réforme (administration, monnaie, fiscalité, éducation).

« Voici le second pas fait vers la royauté. Je crains que cet homme ne soit comme les dieux d’Homère, qu’au troisième acte il n’atteigne l’Olympe. »1729

Mme de STAËL (1766-1817), jugeant l’irrésistible ascension du Premier Consul. Bonaparte (1977), André Castelot

Opposante résolue, avec autant de courage que d’intelligence, elle ironise quand le 15 août (anniversaire de Bonaparte né sous le signe astral du lion) devient jour de fête nationale. Le prénom Napoléon s’inscrit déjà sur des pièces de monnaie. Le sénatus-consulte du 4 août 1802 (Constitution de l’an X) augmente encore les pouvoirs du Premier Consul à vie au détriment du législatif.

Un agent du comte de Provence (futur Louis XVIII) constate : « Bonaparte continue à régner avec une plénitude de pouvoirs que ne déployèrent jamais nos rois. »

« L’arrivée de cette femme, comme celle d’un oiseau de mauvais augure, a toujours été le signal de quelque trouble. Mon intention n’est pas qu’elle reste en France. »1738

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au Grand Juge Régnier (ministre de la Justice). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Il vient d’apprendre le retour de Mme de Staël près de Beaumont-sur-Oise, le 3 octobre 1803. Il lui donne cinq jours pour partir, sinon il la fera reconduire à la frontière par la gendarmerie. C’est vraiment la « bête noire » de ce misogyne invétéré.

« Les Bourbons croient qu’on peut verser mon sang comme celui des plus vils animaux. Mon sang cependant vaut bien le leur. Je vais leur rendre la terreur qu’ils veulent m’inspirer […] Je ferai impitoyablement fusiller le premier de ces princes qui me tombera sous la main. »1743

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), 9 mars 1804. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

Cadoudal vient d’être arrêté au terme d’une course-poursuite meurtrière au Quartier latin. Il a parlé sans le nommer d’un prince français complice : de l’avis de tous, c’est le duc d’Enghien, émigré près de la frontière en Allemagne.

Le lendemain, le Premier Consul, en proie à une fureur extrême, donne l’ordre de l’enlever, ce qui sera fait dans la nuit du 15 au 16 mars, par une troupe d’un millier de gendarmes, au mépris du droit des gens (droit international). L’assassinat du duc d’Enghien sera très diversement commenté et jugé : « C’est pire qu’un crime, c’est une faute ! »

Premier Empire (1804-1814).

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Portraits de Napoléon et de Talleyrand.

« Ce qui paraît est misérable ! cela dégoûte. »1758

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Journal : notes intimes et politiques d’un familier des Tuileries (posthume, 1909), Pierre-Louis Roederer

L’empereur a souvent ce mot, comme déjà le Premier Consul déçu par la production littéraire de son temps. Sans doute veut-il trop diriger la pensée des créateurs et des intellectuels. La plupart d’entre eux sont dociles et les « best-sellers » d’une époque où les amateurs de romans et de poèmes abondent sont aujourd’hui illisibles.

Les seuls grands talents seront des opposants au régime : Chateaubriand hostile à Napoléon après l’exécution du duc d’Enghien (1804), Mme de Staël, coupable d’être la femme la plus intelligente et la plus libre de son temps. Paradoxalement, le personnage de Napoléon Bonaparte inspirera des chefs-d’œuvre de la littérature française et mondiale !

Même pauvreté dans le domaine théâtral. Le genre qui fait fureur sur les boulevards, c’est le mélodrame. Napoléon méprise le « mélo », il n’aime que le genre noble, la tragédie (à la Comédie-Française), mais aucun auteur ne peut rivaliser, même de très loin, avec les dramaturges du siècle de Louis XIV. Il a quand même trouvé son grand acteur (et ami), Talma.

Napoléon a plus de chance dans le domaine des beaux-arts : David, peintre officiel, d’ailleurs issu de la Révolution, reste magnifiquement inspiré dans le parcours imposé par le nouveau maître de la France : voir Le Sacre, chef-d’œuvre de l’école néoclassique.

« La diplomatie est la police en grand costume. »1759

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées

L’aphorisme convient parfaitement à son ministre des Relations extérieures (jusqu’en 1807), M. de Talleyrand, l’un des principaux personnages sous l’Empire et le plus grand diplomate français de l’histoire.

« L’art de la police est de ne pas voir ce qu’il est inutile qu’elle voie. »1760

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Premier Consul, Au citoyen Fouché, 24 mai 1800. Dictionnaire des citations françaises, Le Robert

Il s’adresse au ministre de la Police, autre éminence grise et pilier du régime qui fait souvent couple avec Talleyrand, tout aussi talentueux et détestable. Mais Fouché a du sang sur les mains, ancien élève des Oratoriens, rallié aux idées révolutionnaires en 1789, élu à la Convention, il a réprimé l’insurrection fédéraliste et royaliste en novembre 1793 à Lyon. Son ardeur lui vaudra le surnom de Mitrailleur de Lyon, le canon remplaçant la guillotine trop lente pour exécuter les condamnés par centaines.

« Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; c’était l’impôt payé à César. »1764

Alfred de MUSSET (1810-1857), La Confession d’un enfant du siècle (1836)

« … Et s’il n’avait ce troupeau derrière lui, il ne pouvait suivre sa fortune. C’était l’escorte qu’il lui fallait, pour qu’il pût traverser le monde, et s’en aller tomber dans une petite vallée d’une île déserte, sous un saule pleureur. » L’histoire finit mal, pour la France exsangue, et pour l’empereur exilé.

Mais Musset, l’enfant du siècle orphelin de Napoléon, évoque aussitôt après l’Empire glorieux : « Jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs. Jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. »

« L’ogre corse sous qui nous sommes,
Cherchant toujours nouveaux exploits,
Mange par an deux cent mille hommes
Et va partout chiant des rois. »1765

Pamphlet anonyme contre Napoléon. Encyclopædia Universalis, article « Premier Empire »

De nombreux pamphlets contribuent à diffuser la légende noire de l’Ogre de Corse, contre la légende dorée de la propagande impériale.

Les rois imposés par l’empereur sont nombreux, pris dans sa famille ou parmi ses généraux : rois de Naples, d’Espagne, de Suède, de Hollande, de Westphalie. Royautés parfois éphémères, souvent mal acceptées des populations libérées ou conquises.

Les historiens estimeront à un million les morts de la Grande Armée, « cette légendaire machine de guerre » commandée par Napoléon en personne.

« Les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle. »1766

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Discours de Lyon, 1791

Ce sont les premiers mots que l’histoire a retenus du futur empereur. Bonaparte, 22 ans, lieutenant d’artillerie, participe au concours ouvert par l’Académie de Lyon. Le thème : l’éducation à donner aux hommes pour les mettre sur le chemin du bonheur – d’où l’autre nom du « Discours sur le bonheur ».

Bonaparte condamne la monarchie absolue et trouve bien des vertus au philosophe des Lumières qu’il traitera ensuite de « fou » dangereux pour la société : « Ô Rousseau, pourquoi faut-il que tu n’aies vécu que soixante ans ! Pour l’intérêt de la vertu, tu eusses dû être immortel. » C’est le style de l’époque. Mais le talent d’expression et l’ambition évidente offrent cette phrase prémonitoire que n’aurait pas désavouée Hugo ou Chateaubriand : « Les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle. »

Du chef de brigade à l’empereur déchu, l’aventure va durer vingt-deux ans. C’est assez pour en faire l’un des personnages les plus célèbres au monde, « le plus grand héros de tous les temps » pour l’Encyclopædia Britannica. Et toujours comparé aux plus grands : « Qu’est-ce donc que cette chose dont parle Alexandre lorsqu’il évoque sa destinée, César sa chance, Napoléon son étoile ? Qu’est-ce donc sinon la confiance qu’ils avaient tous les trois dans leur rôle historique ? » (Charles de Gaulle, Mémoires).

« Je suis annulé de la nature humaine ! j’ai besoin de solitude et d’isolement ; la grandeur m’ennuie ; le sentiment est desséché ; la gloire est fade ; à 29 ans, j’ai tout épuisé. »1767

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Lettre à Joseph Bonaparte, Le Caire 25 juillet 1799. Dictionnaire des citations françaises, Le Robert

C’est moins un mot historique (après la victoire d’Aboukir) qu’un diagnostic de dépression nerveuse – brève, il va aussitôt quitter l’Égypte et rentrer à Paris pour préparer son coup d’État de brumaire.

Hyperactif quasi maladif, infatigable battant, il songe au suicide la première fois à 17 ans. Il fera plusieurs tentatives, à Arcis-sur-Aube où il se bat, à Fontainebleau après l’abdication où il use du poison, puis à l’île d’Elbe, lieu du premier exil, avant de reprendre courage. Brèves faiblesses d’un homme fort.

« Le cœur d’un homme d’État doit être dans sa tête. »1771

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases

Priorité donnée à la raison, à l’intelligence : « J’ai toujours aimé l’analyse : « pourquoi » et « comment » sont des questions si utiles qu’on ne saurait trop se les poser. » Mais il fait la part des choses : « Il faut donner les deux tiers à la raison, et l’autre tiers au hasard. Augmentez la seconde fraction, vous serez téméraire ; augmentez la première, vous serez pusillanime. »

Emmanuel Augustin Dieudonné, comte de Las Cases, est nommé chambellan et comte d’Empire en 1810. Après la seconde abdication de Napoléon en 1815, il est son compagnon à Sainte-Hélène durant dix-huit mois et note précieusement les propos de l’illustre exilé. Le Mémorial est une contribution à l’histoire, mais aussi à la légende napoléonienne. Les deux se confondent parfois, surtout dans ce cas.

« On gouverne mieux les hommes par leurs vices que par leurs vertus. »1773

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées

L’empereur est sans illusion sur la nature humaine. « J’ai fait des courtisans, je n’ai jamais prétendu me faire des amis. » Les vraies fidélités, il les trouvera dans la Grande Armée, chez ses généraux comme chez les soldats.

« Quand j’ai besoin de quelqu’un, je n’y regarde pas de si près, je le baiserais au cul. »1774

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémoires du général de Caulaincourt, duc de Vicence, grand écuyer de l’empereur (posthume, 1933)

Caulaincourt fut aide de camp de Bonaparte en 1802, ambassadeur en Russie de 1807 à 1811. Étonnante parole, aveu rarement cité.

« Je sais, quand il le faut, quitter la peau du lion pour prendre celle du renard. »1775

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémoires du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

Talleyrand a eu tout loisir d’observer l’homme, du Directoire jusqu’à la fin de l’Empire, et d’apprécier en connaisseur ses talents.

Napoléon est né sous le signe astral du lion, le 15 août 1769. Pour compléter le bestiaire napoléonien, il a pris pour symboles l’aigle impérial et les abeilles, qui renvoient à l’Antiquité romaine.

« Je suis né et construit pour le travail, je ne connais pas chez moi la limite de mes forces. »1777

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Œuvres du comte P. L. Roederer : histoire contemporaine, 1789-1815 (1854), Pierre Louis Roederer

Infatigable dans son cabinet, épuisant ses collaborateurs, surprenant ses ministres, dormant quatre heures et travaillant dix-huit heures par jour, délaissant un peu sa « bonne Louise ». Quand il est en campagne, il passe des journées entières à cheval, peut rester des nuits sans dormir, n’ayant besoin pour récupérer que de brèves siestes.

Seul défaut de cette cuirasse, hypothèse de médecins : une hépatite chronique d’origine paludéenne (responsable de ce teint jaune dès sa jeunesse). Il mourra à 52 ans, sans doute d’un cancer à l’estomac (comme son père). On a aussi évoqué une épilepsie dès sa jeunesse, comme chez l’empereur romain César. Mais on se plaît peut-être à charger le tableau.

En tout cas, l’énergie de la volonté est infinie, presque sans faille : « Napoléon, c’est un professeur d’énergie ! » (Maurice Barrès).

« Eh bien ! duchesse, aimez-vous toujours autant les hommes ?
— Oui Sire, quand ils sont polis. »1778

Duchesse de FLEURY (1769-1820), répondant librement à NAPOLÉON Ier (1769-1821), vers 1806. Revue politique et littéraire : revue bleue, volume I (1875)

La duchesse reste dans l’histoire sous le nom d’Aimée de Coigny - qui inspira le poème de La Jeune Captive à André Chénier. Elle écrira bientôt ses Mémoires, comme tant de gens lettrés à l’époque.

Quant à l’empereur, sa goujaterie est proverbiale. Dans les salons, il ne se gêne pas pour apostropher une dame en ces termes : « Cette robe est sale, vous n’en changez donc jamais ? » ou encore « Quelle déception ! On m’avait assuré que vous étiez jolie ». Étant empereur, personne n’ose lui répliquer, hormis la duchesse de Fleury revenue d’émigration avec une réputation de galanterie.

Le seul être féminin qui trouve grâce à ses yeux est sa mère, Marie Letizia Ramolino. Elle a eu treize enfants, huit ont survécu, élevés à la dure. Une femme de tête, entrée dans la résistance corse contre l’annexion de la France en même temps que son mari ! Elle refusa de participer au couronnement de l’empereur et de se soumettre à l’étiquette imposée par son fils qui exige qu’on lui baise la main. Napoléon a beau tempêter, trépigner : « Mais je suis l’empereur ! », il se verra répondre un superbe et dédaigneux : « Oui, mais vous êtes mon fils. » Madame Mère figure toutefois en bonne place dans Le Sacre peint par David. C’est Napoléon qui l’a voulu.

« Il avait trop, certes, du soldat quand il était parmi les rois, mais qui plus que lui fut royal au milieu des soldats ? »1780

Walter SCOTT (1771-1832), La Vie de Napoléon (1827)

L’empereur sera toujours un parvenu, face aux têtes couronnées. Il enrage en 1804 : « Cinq ou six familles se partagent les trônes de l’Europe et elles voient avec douleur qu’un Corse est venu s’asseoir sur l’un d’eux. Je ne puis m’y maintenir que par la force. » D’où l’engrenage des guerres et des coalitions.

Mais avec ses hommes, le contact est immédiat et remarquable depuis toujours et jusqu’à la fin. Royal dans ses célèbres Proclamations, il est également fraternel et familier dans ses faits et gestes de « Petit Caporal » au plus près de ses troupes.

Signalons aussi le charisme de Napoléon, salué par celui qui deviendra le « premier peintre de l’empereur » : « Quelle belle tête il a ! C’est pur, c’est grand, c’est beau comme l’antique ! C’est un homme auquel on aurait élevé des autels dans l’Antiquité…  Bonaparte est mon héros. » Jacques-Louis David confie ce coup de foudre aux élèves de son atelier, en 1797 (rapporté par Delécluze).

« Commediante ! Tragediante ! »
« Comédien ! Tragédien ! »1781

PIE VII (1742-1823). Servitude et grandeur militaires (1835), Alfred de Vigny

Ces deux mots n’ont peut-être pas été prononcés tels qu’ils sont passés à la postérité, mais ils reflètent ce que ce pape de caractère pensait de l’empereur.

Don de la simulation et sens théâtral sont deux qualités reconnues au grand premier rôle que fut Napoléon sur la scène de l’Histoire. Son don de la mise en scène, il en joue en artiste : « Rien n’interrompt aussi bien une scène tragique qu’inviter l’autre à s’asseoir ; lorsqu’il est assis, le tragique devient comique. » Il a d’ailleurs pris des cours avec le plus célèbre sociétaire de la Comédie-Française, son ami Talma.

Il sait donner une dimension épique aux défaites comme aux victoires, revues et corrigées par les peintres voués à sa propagande. Le sommet de l’art reste le sacre, dont Pie VII est témoin et acteur, condamné au second rôle : Napoléon tint à se couronner lui-même… et le pape n’a béni que la couronne !

« Quel roman que ma vie ! »1782

NAPOLÉON Ier (1769-1821), juin 1816. Quel roman que ma vie ! : itinéraire de Napoléon Bonaparte, 1769-1821 (1947), Louis Garros

L’épopée aura duré un peu plus de vingt ans. Le 5 mai 1821, le proscrit de Sainte-Hélène déclare à Las Cases : « L’adversité manquait à ma carrière. Grâce au malheur, on pourra me juger à nu. » Ces six ans de captivité vont servir sa légende.

Le personnage est une source d’inspiration inépuisable pour les historiens, les écrivains, les cinéastes, jusqu’aux créateurs de jeux vidéo. Le culte napoléonien se voit dans les musées du monde entier, dans les collections de soldats de plomb, dans les dictionnaires de citations. Sur Internet, au mot Napoléon, 41 400 000 résultats s’inscrivent en 0,37 seconde (avril 2023) – ce qui aurait comblé l’homme pressé, obsédé par son image. C’est aussi une manière de passer à la postérité.

« Vivant, il a manqué le monde ; mort, il le possède. »1783

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Vie de Napoléon, livres XIX à XXIV des Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Grand témoin et acteur de l’histoire, pour lui la plus belle conquête de Napoléon n’est pas l’Europe, mais celle de l’imagination des générations qui ont suivi l’Empire. Il ne cessera d’être fasciné par l’empereur, alors même qu’il le combat, en opposant résolu : « Cet homme, dont j’admire le génie et dont j’abhorre le despotisme. »

« Sauf pour la gloire, sauf pour l’art, il eut probablement mieux valu qu’il n’eût pas existé. »1784

Jacques BAINVILLE (1879-1936), Napoléon (1931)

Conclusion d’un historien politiquement très engagé à droite, qui déplore la mythologie impériale entretenue par le Mémorial de Sainte-Hélène et la nostalgie des enfants du siècle romantique.

Curieux colosse, décrit par Bainville, dont les campagnes d’Italie et d’Égypte ont assuré la popularité à l’intérieur, et qui doit sans cesse se rétablir à l’extérieur par « l’entassement des alliances (avec la Russie, puis l’Autriche), des traités (Campo-Formio, Lunéville, Amiens, Presbourg, Tilsitt, Vienne), de ses annexions (les villes hanséatiques, la Hollande, l’Italie, les provinces illyriennes), de ses victoires mêmes ». Le plus étonnant, c’est que Bonaparte avait prédit cet engrenage du destin à 28 ans. Rappelons ces mots prophétiques, la clé de l’histoire, du début à la fin de l’Empire :

« Mon pouvoir tient à ma gloire, et ma gloire aux victoires que j’ai emportées […] La conquête m’a fait ce que je suis, la conquête seule peut me maintenir. »

Un seul autre personnage fait le poids, face à Napoléon. Malheureusement pour la France, la chronique montre comment et pourquoi leur duo finit en duel.

« Ne dites jamais de mal de vous. Vos amis s’en chargeront toujours. »1787

TALLEYRAND (1754-1838). Dictionnaire des citations françaises, Jean-Yves Dournon

Le mot qui lui est attribué va bien à ce cynique, sans illusion sur les hommes.

Prosper Mérimée (1803-1870) reprend la citation dans ses Lettres d’Espagne : « Un vieux diplomate de mes amis, homme très fin, m’a dit souvent… » De fait, en 1833, promu haut fonctionnaire, Mérimée rencontre à Londres Talleyrand, ambassadeur de France. Dans une lettre à Stendhal, il décrit l’octogénaire comme « un gros paquet de flanelle enveloppé d’un habit bleu et surmonté d’une tête de mort recouverte d’un parchemin. »

Napoléon fut plus cruel, qualifiant Talleyrand de « merde dans un bas de soie » - il est vrai que la situation s’y prêtait (en janvier 1809).

« On me croit immoral et machiavélique, je ne suis qu’impassible et dédaigneux. »1788

TALLEYRAND (1754-1838), à Lamartine. Talleyrand (1936), comte de Saint-Aulaire

Et précisant sa pensée, faisant allusion à son ami : « Mirabeau était un grand homme, mais il lui manquait le courage d’être impopulaire. Sous ce rapport, voyez, je suis plus homme que lui : je livre mon nom à toutes les interprétations et à tous les outrages de la foule. »

« Si, quand cet homme vous parle, son derrière recevait un coup de pied, sa figure ne vous en dirait rien. »1789

Joachim MURAT (roi de Naples), parlant de Talleyrand. Murat (1983), Jean Tulard

Le personnage, supérieurement intelligent, garde le souvenir de son éducation religieuse et ses manières de seigneur, jointes à des qualités de grand diplomate. Il est aussi différent que possible de Murat, jeune homme pauvre, fils d’aubergiste, remarqué par Bonaparte qui le prend comme aide de camp dans sa campagne d’Italie : intrépide et impétueux, il méritera son surnom, le Sabreur. Mais c’est un piètre politicien.

« Ne suivez jamais votre premier mouvement, il est toujours généreux. »1790

TALLEYRAND (1754-1838), aux jeunes secrétaires d’ambassade. Mémoires d’un touriste (1838), Stendhal

Conseil de diplomate. Selon Sainte-Beuve, sa consigne aux jeunes qui débutaient dans la carrière était : « Pas de zèle ! » Pour l’écrivain contemporain Cioran, c’est « le plus grand praticien du cynisme ; tous les philosophes cyniques sont des enfants de chœur à côté de lui ».

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Chronique impériale

« Il y a parmi les conjurés un homme que je regrette. C’est Georges. Celui-là est bien trempé ; entre mes mains, un pareil homme aurait fait de grandes choses. »1795

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Bourrienne, son secrétaire, 10 juin 1804. Mémoires de M. de Bourrienne, ministre d’État : sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration (1829), Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne

L’empereur vient d’apprendre la condamnation à mort du conspirateur Cadoudal et de ses 19 complices. Héros de la guerre de Vendée, rallié après la Révolution au comte d’Artois (futur Charles X), Cadoudal fut le chef des deux principaux complots contre Bonaparte sous le Consulat : l’attentat de la rue Saint-Nicaise en 1800 et la dernière conspiration déjouée au début de l’année 1804.

Il ajoute : « Je lui ai fait dire par Réal que s’il voulait s’attacher à moi, non seulement il aurait sa grâce, mais que je lui aurais donné un régiment. Georges a tout refusé : c’est une barre de fer. Qu’y puis-je ? Il subira son sort, car c’est un homme trop dangereux dans un parti. » Certains condamnés seront graciés, mais pas Cadoudal, leur chef, guillotiné en place de Grève le 25 juin en criant : « Vive le roi ! »

« Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. »1799

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Pie VII, le jour du sacre en la cathédrale Notre-Dame de Paris, 2 décembre 1804. Napoléon a dit (1996), Lucian Regenbogen, préface de Jean Tulard

À peine couronné empereur des Français par le pape, il dévoile sa véritable ambition, le titre d’empereur d’Occident à la tête du Grand Empire. Le 7 septembre, résidant à Aix-la-Chapelle, il s’est recueilli devant le tombeau de Charlemagne, il a ordonné une procession solennelle avec tous les symboles impériaux (couronne, épée, main de justice, globe, éperons d’or). Et le sacre se tient à Paris, non pas à Reims comme de tradition pour les rois de France.

« Il ne rêvait certainement pas d’un empire unitaire, mais d’une confédération d’États : il parlera, un jour, des États-Unis d’Europe » (Louis Madelin, Histoire du Consulat et de l’Empire : vers l’empire d’Occident).

« Cet homme est insatiable, son ambition ne connaît pas de bornes ; il est un fléau pour le monde ; il veut la guerre, il l’aura, et le plus tôt sera le mieux ! »1803

ALEXANDRE Ier, fin mai 1805. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin

Le tsar de Russie apprend que la République de Gênes sollicite sa réunion à l’Empire. Napoléon, déjà médiateur de la Confédération suisse, vient de se faire couronner roi d’Italie (Lombardie et Émilie-Romagne) – il était déjà président de la République, mais l’Italie est devenue un royaume, quand la France devient un Empire.

Craignant l’hégémonie française en Europe, le tsar rejoint l’Angleterre (en guerre depuis 1803) dans la troisième coalition.

« La liberté de la pensée est la première conquête du siècle. L’Empereur veut qu’elle soit conservée. »1811

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Le Moniteur, 22 janvier 1806

Précisons que c’est un journal très officiel… et il n’en reste pratiquement plus d’autres. Après les quelque 1 500 périodiques nés au début de la Révolution, plus de 70 périodiques paraissaient encore à Paris sous le Directoire. Ils ne seront plus que 4 en 1811. En 1810, un seul journal par département – reproduisant les pages politiques du Moniteur, sous contrôle du préfet.

La liberté de pensée est réduite comme celle de la presse. Même les tragédies classiques, répertoire préféré de l’empereur, sont épurées : les habitués du Théâtre-Français, brochure en main, s’amusent à traquer les nouvelles coupes imposées par la censure impériale à Racine et Corneille. Les contemporains sont dociles. Sauf exception.

Chateaubriand est hostile au régime (depuis l’exécution du duc d’Enghien). Dans son discours de réception à l’Académie française, il veut faire l’éloge de la liberté. Napoléon le lui interdit. Mme de Staël est plus gravement persécutée : l’exil punit sa liberté d’expression.

« Votre Sainteté est souveraine de Rome, mais j’en suis l’Empereur. »1812

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Sa Sainteté le Pape, Paris, 13 février 1806. L’Église et la Révolution française : histoire des relations de l’Église et de l’État (1864), Edmond de Pressensé

En vertu du Concordat (1801), il précise : « Nos conditions doivent être que Votre Sainteté aura pour moi, dans le temporel, les mêmes égards que je lui porte pour le spirituel. » Mais les relations commencent à se gâter sérieusement, entre ces deux fortes personnalités.

Pie VII voit d’un mauvais œil toute l’Italie passer sous la domination française, les territoires annexés au fur et à mesure des conquêtes impériales et au gré des circonstances, et les enclaves pontificales occupées par Joseph Bonaparte, nouveau roi de Naples. L’empereur lui fait bientôt la leçon, lui livrant sa conception de la royauté.

« Un roi doit se défendre et mourir dans ses États. Un roi émigré et vagabond est un sot personnage. »1815

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Joseph, roi de Naples, 9 août 1806. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

L’empereur a chassé les Bourbons du royaume de Naples pour y mettre son frère aîné. Mais il n’approuve pas toujours la politique des nouveaux souverains qu’il essaime un peu partout en Europe et ceux-ci ont souvent des difficultés avec leurs peuples. Ainsi Joseph qui entreprend des réformes inspirées du Consulat et se montre bien faible, oubliant que « la force et une justice sévère sont la bonté des rois ».

« À tout peuple conquis, il faut une révolte, et je regarderai une révolte à Naples comme un père de famille voit une petite vérole à ses enfants, pourvu qu’elle n’affaiblisse pas trop le malade. »1816

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Joseph, roi de Naples, 17 août 1806. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Napoléon use d’une métaphore singulière pour être mieux compris de son aîné.

Joseph ne restera que deux ans sur ce trône. Remplacé par Murat, il se retrouvera en Espagne où la population madrilène se révoltera bien davantage !

« Je suis plus à l’aise sous la mitraille qu’entouré d’un essaim de jolies filles décolletées. »1825

Maréchal LEFEBVRE (1755-1820), à Talleyrand, confidence lors d’une soirée à la cour des Tuileries. Le Dictionnaire des citations du monde entier (1960), Karl Petit

La réflexion donne bien le climat de cette cour impériale, créée en même temps que l’Empire.

L’étiquette dictée par l’empereur est stricte et quasi militaire, mais l’on y rencontre des personnages venus de toutes les couches de la société : bourgeoisie (Bernadotte, Berthier, Jourdan, Junot, Masséna, Soult) et peuple (Augereau, Carnot, Lannes, Lefebvre, Murat, Ney), mal à l’aise face à la vieille noblesse (Brissac, La Rochefoucauld, Montesquiou, Talleyrand) et aux dames. La « femme à Lefebvre » comme elle s’annonçait elle-même, servit de modèle à Victorien Sardou pour la populaire Madame Sans-Gêne.

« J’écris au ministre de la Police d’en finir avec cette folle de Mme de Staël, et de ne pas souffrir qu’elle sorte de Genève, à moins qu’elle ne veuille aller à l’étranger faire des libelles. »1822

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Regnault de Saint-Jean-d’Angély, procureur général de la Haute Cour, 20 avril 1807. Les Opposants à Napoléon : l’élimination des royalistes et des républicains, 1800-1815 (2003), Gérard Minart

Napoléon est de plus en plus irrité par cette femme qui le hait d’autant plus qu’elle voulut se faire aimer de lui, jadis : les deux plus grands génies du siècle, lui l’homme et elle la femme, n’étaient-ils pas faits pour cela, pensait-elle ! Ce n’était certainement pas le genre de maîtresse qu’il recherchait.

« C’est la dernière fois que j’entre en discussion avec cette prêtraille romaine. »1829

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Eugène de Beauharnais, 22 juillet 1807. « L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814) », Revue des deux mondes, tome LXXII (1867)

La « prêtraille », c’est le pape. Et l’empereur sous-estime l’adversaire…

Pie VII refuse d’annuler le mariage (américain) de Jérôme Bonaparte, le cadet de ses quatre frères, mineur à l’époque. Il refuse aussi de se joindre au blocus contre l’Angleterre, au nom de sa neutralité de pasteur universel.

Napoléon menace et charge Eugène, son beau-fils (qu’il a fait vice-roi d’Italie) de passer le message : « Si l’on veut continuer à troubler les affaires de mes États, je ne reconnaîtrai le pape que comme évêque de Rome… Je ne craindrai pas de réunir les Églises gallicane (française), italienne, allemande, polonaise, dans un concile pour faire mes affaires sans pape. » Ce qui se fera en 1811.

Après le Concordat, compromis religieux qui satisfait les deux partis, et le sacre qui comble l’orgueil de l’empereur, les relations des deux hommes vont tourner au drame. Napoléon annexe les États de l’Église, le pape va l’excommunier, l’empereur le fait enlever et le maintient prisonnier – c’est L’Otage du drame de Paul Claudel.

« Je vous dispense également de me comparer à Dieu […] Je veux croire que vous n’avez pas réfléchi à ce que vous écriviez. »1832

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au vice-Amiral Decrès, ministre de la Marine, 22 mai 1808. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

L’empereur est entouré de courtisans, mais la servilité a quand même des limites et s’attire ce genre de riposte.

Il écrit une lettre furieuse à Decrès, homme par ailleurs courageux (au combat) et compétent (sur les questions maritimes) : abordant divers sujets, mais finissant sur ces mots : « Je vous dispense également de me comparer à Dieu. Il y a tant de singularité et d’irrespect pour moi, dans cette phrase, que je veux croire que vous n’avez pas réfléchi à ce que vous écriviez. Je plains votre jugement… »

À la décharge du ministre de la Marine (en poste de 1801 à 1814), rappelons les mots du catéchisme impérial (1806) qu’il a dû prendre au pied de la lettre : « Dieu a établi Napoléon, notre souverain, l’a rendu son image sur la terre […] Honorer et servir notre empereur est donc honorer et servir Dieu. »

« Vous êtes un voleur, un lâche, un homme sans foi. Vous ne croyez pas à Dieu ; vous avez toute votre vie manqué à tous vos devoirs, vous avez trompé, trahi tout le monde […] Tenez, Monsieur, vous n’êtes que de la merde dans un bas de soie. »1834

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Talleyrand, Conseil des ministres restreint convoqué au château des Tuileries, 28 janvier 1809. Mémoires et Correspondance du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

D’Espagne où il tente d’affermir le trône de son frère Joseph, Napoléon a appris que Talleyrand complote avec Fouché pour préparer sa succession – sans nouvelles de lui, on l’imagine victime de la guérilla qui fait rage.

Il rentre aussitôt, épargne momentanément Fouché son ministre de la Police, mais injurie le prince de Bénévent (qui n’est plus son ministre depuis 1807, Talleyrand impassible - et sort en claquant la porte.

« Quel dommage, Messieurs, qu’un si grand homme soit si mal élevé ! »1835

TALLEYRAND (1754-1838). Talleyrand, ou le Sphinx incompris (1970), Jean Orieux

La citation est parfaitement en situation, le 28 janvier 1809, après l’injure lancée devant témoins par l’empereur furieux. Talleyrand se venge de l’affront public, avec une certaine classe diplomatique. Il semble qu’il ait redit ce mot à divers ambassadeurs, toujours à propos de Napoléon.

« Je me suis mis à la disposition des événements et, pourvu que je restasse Français, tout me convenait. »1836

TALLEYRAND (1754-1838), Mémoires et Correspondance du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

Napoléon l’avait fait grand chambellan en 1804, prince de Bénévent en 1806, vice-grand électeur en 1807 - « le seul vice qui lui manquât », dit Fouché en apprenant cet honneur.

Le plus habile diplomate de notre histoire est aussi le plus corrompu. Il servira et trahira successivement tous les régimes, mais il respecte les intérêts supérieurs de la France. Il voudrait surtout lui éviter cette course à l’abîme, prévisible dès 1809. Fouché, tout aussi intelligent et retors, pense et agit de même.

« Il avait l’air de se promener au milieu de sa gloire. »1839

CAMBACÉRÈS (1753-1824), archichancelier de l’Empire et duc de Parme, parlant de Napoléon en 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

La cinquième coalition qui réunit l’Angleterre et l’Autriche en 1809 s’est vite soldée par la victoire de Napoléon sur l’Autriche. Défaite par la Grande Armée à Wagram (5 et 6 juillet), elle signe la paix de Vienne (14 octobre), perd 300 000 km2 et 3 500 000 habitants.

« Il est le Souverain de l’Europe. »1840

METTERNICH (1773-1859), 1809. Mémoires, documents et écrits divers laissés par le prince de Metternich, chancelier de cour et d’État, volume II (1880)

Parole de connaisseur ! Ambassadeur d’Autriche en France depuis 1806, le prince de Metternich est nommé chancelier et ministre des Affaires étrangères en octobre 1809, signant à ce titre l’humiliant traité (ou paix) de Vienne. Il choisit alors de s’allier à Napoléon – pour mieux l’abattre le moment venu. Et c’est lui qui va négocier son mariage avec Marie-Louise d’Autriche.

Cette domination culminera en 1811 : le Grand Empire comporte 130 départements qui réuniront 45 millions de « Français », plus 40 millions d’habitants des États vassaux (Italie, Espagne, Naples, duché de Varsovie, Confédération du Rhin, Confédération helvétique).

« Ne conservant aucun espoir d’avoir des enfants qui puissent satisfaire les besoins de sa politique et l’intérêt de la France, je me plais à lui donner la plus grande preuve d’attachement et de dévouement qui ait été donnée sur la terre. »1843

JOSÉPHINE (1763-1814), répondant à Napoléon, 15 décembre 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

L’impératrice a écrit ces mots que l’émotion l’empêche de lire. Ils sont dits par le secrétaire d’État de la famille impériale, le comte Regnault de Saint-Jean d’Angély : « La dissolution de mon mariage ne changera rien aux sentiments de mon cœur : l’empereur aura toujours en moi sa meilleure amie. Je sais combien cet acte, commandé par la politique et par de si grands intérêts, a froissé son cœur, mais l’un et l’autre nous sommes glorieux du sacrifice que nous faisons au bien de la patrie. »

Répudiée pour stérilité après deux enfants d’un premier mariage, elle a aujourd’hui 46 ans. Le lendemain, l’ex-impératrice quitte les Tuileries pour ne plus jamais revenir. Largement dotée, elle se retire à la Malmaison et continue d’écrire à l’empereur qui fait annuler son mariage civil par sénatus-consulte, dès le lendemain 16 décembre. L’officialité de Paris fera de même pour le mariage religieux en janvier 1810.

« Je me donne des ancêtres. »1844

NAPOLÉON Ier (1769-1821), château de Compiègne, 27 mars 1810. Metternich (1965), Henry Vallotton

« Ivre d’impatience, ivre de félicité », il apprend la valse (viennoise) et attend sa future femme, Marie-Louise : archiduchesse d’Autriche, descendante de l’empereur Charles Quint, et petite-nièce de Marie-Antoinette. Napoléon, de petite noblesse corse (d’origine génoise), évoque volontiers « ma malheureuse tante Marie-Antoinette » et « mon pauvre oncle Louis XVI ». Cette union flatte son orgueil.

Il s’est décidé en février, dans une hâte qui a fort embarrassé l’ambassadeur d’Autriche à Paris (Schwarzenberg, successeur de Metternich à ce poste) : même pas le temps de prévenir l’empereur d’Autriche avant que Napoléon annonce sa décision aux Français ! Mais personne ne peut rien refuser à Napoléon, même pas sa fille.

« L’Autriche fit au Minotaure le sacrifice d’une belle génisse. »1845

Prince de LIGNE (1735-1814). L’Europe et la Révolution française (1904), Albert Sorel

De Ligne commente le mariage impérial en authentique et vieux prince autrichien, avec des références mythologiques familières au monde de son temps. Mais qui pense à l’humiliation du père de la mariée, François Ier d’Autriche, empereur romain germanique ?

Le mariage de Marie-Louise et de Napoléon a lieu le 1er avril 1810.

« C’est un ventre que j’épouse. »1846

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Le Fils de l’empereur (1962), André Castelot

Napoléon confirme la référence à la « belle génisse » sacrifiée par l’Autriche et assume le rôle du Minotaure prédateur, sans y mettre les formes. Il manifeste tant de hâte qu’on parle d’un enlèvement plus que d’un mariage.

La cérémonie religieuse a lieu le 2 avril 1810. Marie-Louise a 18 ans, il vit une lune de miel de trois semaines qui le comble, et sa seconde femme lui donnera un fils, le 20 mars 1811 : le roi de Rome.

« Bel enfant qui ne fait que naître,
Et pour qui nous formons des vœux,
En croissant, tu deviendras maître
Et régneras sur nos neveux.
Dame, dame, réfléchis bien,
Dame, dame, souviens-toi bien
Qu’alors il ne faudra pas faire
Tout comme a fait, tout comme a fait ton père. »1854

Chanson pour le roi de Rome (1811). Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Parmi toutes les chansons en l’honneur de l’illustre nouveau-né, celle-ci résonne comme un avertissement au père. Comme bien souvent, la chanson donne le pouls d’une opinion publique – c’est rare et précieux, sous l’Empire où la rigueur de la censure étouffa bien des pensées !

« Je l’envie. La gloire l’attend, alors que j’ai dû courir après elle […] Pour saisir le monde, il n’aura qu’à tendre les bras. »1855

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Duroc, 20 mars 1811. L’Aiglon, Napoléon II (1959), André Castelot

Le père est bouleversé devant le berceau de son fils, d’autant plus que cette naissance comble l’empereur. La dynastie semble installée à jamais. Il avoue son émotion à l’un de ses plus anciens compagnons de route et de gloire, connu au siège de Toulon en 1793.

« Messieurs, vous voulez me traiter comme si j’étais Louis le Débonnaire. Ne confondez pas le fils avec le père […] Moi, je suis Charlemagne. »1856

NAPOLÉON Ier (1769-1821), aux Pères conciliaires, 17 juin 1811. Le Pape et l’empereur, 1804-1815 (1905), Henri Welschinger

Scène décrite dans les Mémoires de Talleyrand, avec force détails et dialogues. La colère de l’empereur explose. Le concile qu’il voulait à sa botte s’est ouvert à Paris ce 17 juin. Et voilà que les Pères jurent, un par un, obéissance au pape, lequel refuse aux évêques son investiture, pourtant prévue par le concordat signé avec Napoléon.

Il faut rappeler à quel point, en dix ans, les relations se sont envenimées entre les deux personnages ! Le pape a refusé de respecter le blocus, l’empereur a annexé les États de l’Église, le pape l’a excommunié, l’empereur l’a mis en prison. Et Pie VII refuse tout « accommodement » aussi longtemps qu’il ne recouvrera pas sa liberté. Napoléon fait arrêter trois évêques et suspend le concile – qui reprendra début août.

« Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. »1871

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à son ambassadeur à Varsovie, Monseigneur de Pradt, 5 décembre 1812. Biographie universelle ancienne et moderne (1854), Michaud

Aveu, autocritique… Ce mot figure dans ses Maximes et pensées. Il fait partie d’un étrange discours tenu par un homme fatalement éprouvé dans son esprit et son corps. Il nie pourtant avoir été vaincu, il nie même les dangers courus. Il dit que « l’armée est superbe ». Quant à lui : « Je vis dans l’agitation ; plus je tracasse, mieux je vaux. Il n’y a que les rois fainéants qui engraissent dans les palais ; moi, c’est à cheval, et dans les camps. »

« La fortune m’a ébloui. »1873

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à ses ministres, 19 décembre 1812. Les Ministres de Napoléon (1959), Jean Savant

De retour à Paris dans la nuit du 18 décembre, il avoue à ses ministres, le lendemain : « J’ai été à Moscou, j’ai cru signer la paix. J’y suis resté trop longtemps […] J’ai fait une très grande faute, mais la fortune peut encore la réparer. »

« Ce n’est pas possible, m’écrivez-vous ; cela n’est pas français. »1876

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au général Lemarois, commandant de Magdebourg, 9 juillet 1813. Dictionnaire des expressions nées de l’histoire (1992), Gilles Henry

Le général avait écrit à l’empereur pour lui dire que, face aux coalisés supérieurs en nombre, il ne peut pas tenir plus longtemps la place (ville prise par les Français en 1806, sur la rive gauche de l’Elbe en Westphalie).

Durant cette campagne d’Allemagne, plus que jamais Napoléon paie de sa personne et fait preuve d’un génie militaire que Metternich lui-même salue. L’histoire en témoigne aussi : l’empereur obtint vraiment l’impossible de ses hommes et de leurs chefs.

La postérité a retenu la formule plus lapidaire : « Impossible n’est pas français. » Et le général courageux ne capitulera que le 20 mai 1814 – après l’abdication de Napoléon.

« Dans la position où je suis, je ne trouve de noblesse que dans la canaille que j’ai négligée, et de canaille que dans la noblesse que j’ai faite. »1887

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Début avril 1814. Napoléon (1921), Élie Faure

L’empereur déchu par des sénateurs qui lui devaient honneurs, titres, fortune, hésite encore à abdiquer au château de Fontainebleau. Un dicton court déjà dans Paris : « Bientôt, il n’y aura en France qu’un Français de moins. » L’expression va resservir….

Informé de la défection de Marmont qui défendait Fontainebleau et apprenant par Ney que d’autres maréchaux s’apprêtent à passer à l’ennemi, Napoléon se résout à abdiquer sans condition le 5 avril. Reste encore à faire ses adieux à la Vieille Garde avant de s’embarquer pour l’île d’Elbe… mais il reviendra pour les Cent-Jours.

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