Qui a dit quoi de Qui ? (Renaissance - Naissance de la monarchie absolue) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Un personnage parle d’un autre personnage.
Exemple type : « Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. » François Mauriac évoquant de Gaulle en juin 1940.

Le premier « qui » est quelquefois le peuple (acteur anonyme) s’exprimant en chanson, pamphlet, slogan, épitaphe. Le second « qui » peut être un groupe, une assemblée, une armée à qui le discours est destiné.
Si les deux « qui » sont identiques, c’est un autoportrait, une profession de foi politique, parfois une devise.
Les lettres (Correspondance) et Mémoires (sous diverses formes) sont des sources précieuses, les « mots de la fin » livrent une ultime vérité sur l’auteur.

Dans ce défilé de Noms plus ou moins connus ou célèbres, le ton passe de l’humour à la cruauté avec ces citations référentielles ou anecdotiques, mais historiquement toujours significatives.
« Qui a dit quoi de Qui » est une version résumée en 12 éditos de notre Histoire en citations – « quand, comment et pourquoi » donnant l’indispensable contexte.

Ça peut aussi devenir un jeu : « Qui a dit quoi de Qui ». À vous de voir.

2. Renaissance et guerres de Religion - Naissance de la monarchie absolue.

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Renaissance et guerres de Religion (1483-1589)

« C’est la moins folle femme du monde, car de sage il n’y en a guère. »413

LOUIS XI (1423-1483). Les Arts somptuaires : histoire du costume et de l’ameublement, volume II (1858), Charles Louandre

Tel est le jugement du roi mourant – et misogyne – sur sa fille aînée Anne, 22 ans, à qui il laisse la tutelle du royaume, le 30 août 1483. Charles VIII, fils de Louis XI, est tout juste majeur avec ses 13 ans, et sans grande personnalité (il sera surnommé l’Affable).

Le jugement est sévère, et le choix est bon. Anne de France, dame de Beaujeu – femme de Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu, confident de Louis XI – va en fait gouverner la France (avec son époux) jusqu’en 1492, et mériter son surnom de Madame la Grande : intelligence et force de caractère lui permettent de continuer l’œuvre paternelle et d’affermir le royaume en ces temps difficiles, ainsi résumés par Michelet : « Telle était cette France : jouir ou tuer. »

« Je suis certain que soit de corps, soit d’esprit, il vaut peu. »423

Ambassadeur de Venise (1492) parlant du roi Charles VIII. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Jugement confirmé par l’ambassadeur de Florence à son gouvernement : « Je pense le voir, bien que par lui-même il ne soit nullement capable de traiter d’affaires sérieuses. Il s’y entend si peu, il y prend si peu d’intérêt que j’ai honte de le dire. »

Charles VIII dit l’Affable connaît cependant le latin, aime les arts et les lettres, la chasse et la joute. Mais il souffre de la comparaison avec son père Louis XI et sa sœur Anne de Beaujeu. Comme le dit Commynes en 1492, non sans indulgence pour ses 22 ans, « il ne faisait que saillir de son nid ».
Pour l’heure, il a la tête tournée par l’Italie : la péninsule exerce une irrésistible fascination avec sa Renaissance précoce et superbe, sous le signe de Laurent le Magnifique. Des conseillers ambitieux flattent ses projets et sa sœur ne peut le détourner de ses rêves italiens.

« Je ne pensais pas qu’elle fût si laide ! »421

LOUIS d’ORLÉANS (1462-1515), futur LOUIS XII. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Cri du cœur à la vue de sa femme entrant dans son cachot : c’est Jeanne de France, fille de Louis XI que ce dernier l’a contraint d’épouser (en 1476, elle avait 12 ans, il en avait 14). « Jeanne la Boiteuse » est difforme, apparemment débile, sans doute stérile. Louis XI pensait ainsi éteindre la branche d’Orléans, toujours menaçante pour les Valois…

En 1491, Louis d’Orléans est depuis trois ans prisonnier du roi Charles VIII (et des Beaujeu). Devenu roi à la mort de Charles en 1498, Louis XII répudie Jeanne de France qui se retire à Bourges pour fonder l’ordre de l’Annonciade. Et il épouse la veuve du roi défunt, Anne de Bretagne, une forte femme !

« Malo mori quam fœdari. »
« Plutôt mourir que se déshonorer. »420

ANNE de BRETAGNE (1476-1514), sa devise

Ou encore « Je préfère la mort à la souillure », et elle prend pour symbole la blanche hermine.

Fille de François II, dernier duc de Bretagne auquel elle succède le 9 septembre 1488 (âgée de 13 ans) à la tête du duché de Bretagne. C’est le début d’une vie publique (et privée) fort mouvementée, pour une femme de grand caractère qui deviendra (deux fois) reine de France – mariée à Louis XII le 8 février 1492, puis à sa mort (et par testament) à son héritier Charles VIII, pour que son duché reste à la France.

« Les Français veulent faire de moi le chapelain de leur roi, mais j’entends être pape et le leur montrerai par des actes. »433

JULES II (1443-1513), en 1510. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le 214e pape, dit le Terrible pour son énergie, est également malin, voire machiavélique, et les rois de France (avec leurs conseillers) seront jusqu’à la fin les cocus de cette comédie italienne à épisodes et imbroglio.

Pas assez fort pour chasser d’Italie les « barbares », Jules II les a utilisés. II s’est allié à Louis XII contre Venise (Ligue de Cambrai, 1508), puis s’allie à présent avec Venise contre Louis XII : c’est la Sainte Ligue, le 24 février 1510. En fait, c’est la coalition de toute l’Europe occidentale contre la France.

« Le Turc qu’il veut attaquer, c’est moi ! »434

LOUIS XII (1462-1515). Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1901), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Le roi comprend et note, non sans humour, qu’il est devenu la « tête de Turc » du pape, les Ottomans étant toujours une menace virtuelle, capable de fédérer tous les souverains d’Europe.

Jules II, qui déteste le roi de France, va l’excommunier en 1511. Cette quatrième guerre d’Italie se termine après la mort du « Terrible » et l’élection d’un pape pacifique, Léon X. Ni vaincu ni vainqueur, au traité de Dijon (septembre 1513) non ratifié par Louis XII, mais du moins y a-t-il réconciliation entre le pape et le roi de France, en janvier 1514.

Le seul avantage de ces guerres d’Italie est d’importer peu à peu la Renaissance italienne en France, pour le plus grand bien de notre art de vivre et de nos beaux-arts.

« Ce gros garçon gâtera tout. »435

LOUIS XII (1462-1515). Louis XII et François Ier ou Mémoires pour servir à une nouvelle histoire de leur règne (1825), Pierre Louis Rœderer

Ainsi parle-il de son cousin et successeur, le futur François Ier à qui il a fiancé sa fille Claude. Son exubérante et folle jeunesse doit effrayer le « Père du peuple ». La mort de la reine Anne (9 janvier 1514) va permettre la célébration de ce mariage qui la contrariait si fort.

Louis XII à peine veuf d’Anne de Bretagne en 1514 épouse lui-même la très jeune Marie d’Angleterre, sœur du roi Henri VIII. Il ne profitera pas longtemps des charmes de cette troisième femme : il meurt le 1er janvier 1515.

« Avant moi, tout était grossier, pauvre, ignorant, gaulois. »387

FÉNELON (1651-1715), Dialogues des morts (1692-1696), faisant parler François Ier de son prédécesseur Louis XII

Cet auteur de la fin du XVIIe siècle met en scène et oppose Louis XII et François Ier. Baptisé par Brantôme « Père et vrai restaurateur des arts et des lettres », le « Roi Chevalier » incarne la Renaissance avec ses trente-deux années de règne au cœur du beau XVIe qui succède au long Moyen Âge.

Ce ne sont plus seulement les couvents et les universités qui diffusent la culture ; les cours donnent l’exemple, pratiquant le mécénat, lançant les modes et cultivant le raffinement. « François Ier, découragé des guerres lointaines, veuf de son rêve d’Italie, se fait une Italie française » (Jules Michelet). Il invite Léonard de Vinci et sa Joconde (achetée 4 000 florins d’or, soit 15 kg), puis d’autres artistes prestigieux, Cellini, le Rosso, le Primatice. Favorable à l’esprit nouveau et bien que peu instruit (il ne sait pas le latin), il protège les savants et les écrivains, secondé par sa sœur Marguerite d’Angoulême (future reine au royaume de Navarre), l’une des femmes les plus cultivées du siècle.

C’est dire que Louis XII se trompait en parlant de son petit-cousin et successeur : « Ce gros garçon gâtera tout. »

« Le roi de France est le roi des bêtes, car en quelque chose qu’il commande, il est obéi aussitôt comme l’homme l’est des bêtes. »397

MAXIMILIEN Ier (1459-1519). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

Boutade visant François Ier. L’empereur d’Allemagne (grand-père du futur Charles Quint) affirme que lui-même n’est que le roi des rois et le roi catholique (roi d’Espagne) le roi des hommes.

Machiavel donne le royaume de France en exemple aux Italiens pour sa solidité et les ambassadeurs vénitiens qui se succèdent en France font des témoignages qui tous se ressemblent : « Il y a des pays plus fertiles et plus riches ; il y en a de plus grands et de plus puissants, tels que l’Allemagne et l’Espagne ; mais nul n’est aussi uni, aussi facile à manier que la France. Voilà sa force à mon sens : unité et obéissance » (Marino Cavalli, relation de 1546).

Cet absolutisme – qui se renforce également dans les pays voisins – n’est pas encore celui du siècle de Louis XIV : des provinces gardent leurs privilèges, les Parlements de province et surtout celui de Paris demeurent des forces d’opposition latente. Tout risque d’être remis en question avec les guerres de Religion, et plus tard la Fronde.

« Nutrisco et exstinguo. »
« Je le nourris et je l’éteins. »436

FRANÇOIS Ier (1494-1547), devise accompagnant la salamandre sur ses armes. Encyclopédie théologique (1863), abbé Jean Jacques Bourasse

Allusion à l’ancienne croyance selon laquelle cet animal est capable de vivre dans le feu et même de l’éteindre. Depuis un siècle, les rois de France ont des emblèmes personnels souvent associés à un animal : le lion pour Charles VI le Fou, le cerf ailé pour Charles VII et Charles VIII, le porc-épic pour Louis XII.

La salamandre se marie bien à cette Renaissance où la frontière est floue entre nature et surnature, chimie et alchimie, astronomie et astrologie. On croit l’air et l’onde peuplés de démons – même le très savant Ambroise Paré !

« Car tel est notre plaisir. »437

FRANÇOIS Ier (1494-1547). L’Art de vérifier les dates (1818), David Bailie Warden

Ou encore : « Car ainsi nous plaît-il être fait. » Après sept jours de règne, ce sont des formules royales qui disent assez la volonté de pouvoir du jeune roi. Celui que sa mère Louise de Savoie appelle son « César triomphant » et les Italiens « Sa Majesté » (à l’égal de l’empereur) ne convoquera jamais les États généraux en trente-deux années de règne.

Il crée le Conseil secret (dit aussi Conseil étroit, ou Conseil des affaires) : « Ce conseil est nouveau et fut introduit par François Ier qui avait en haine les conseils trop nombreux et qui fut le premier à prendre de son chef les grandes décisions » écrira l’ambassadeur de Venise Michel Suriano en 1561. La cour elle-même, fort brillante, peuplée d’artistes, de poètes, de nobles venus de leurs terres de province, d’étrangers accourus (souvent d’Italie) et de dames aussi belles que fastueuses, devient un instrument du règne de ce personnage séduisant et léger, aussi galant avec les femmes que brave au milieu des soldats.

« Je suis votre roi et votre prince. Je suis délibéré de vivre et mourir avec vous. Voici la fin de notre voyage, car tout sera gagné ou perdu. »438

FRANÇOIS Ier (1494-1547), à ses troupes, avant la bataille de Marignan, 13 septembre 1515. François Ier, le souverain politique (1937), Louis Madelin

Avec la fougue de ses 21 ans, le nouveau roi se lance dans la cinquième guerre d’Italie, allié à Venise pour la reconquête du Milanais pris, puis perdu par Louis XII. Son armée passe les Alpes, forte des meilleurs capitaines, avec 300 canons et 30 000 hommes : chiffres considérables à l’époque. Le voilà parvenu à Marignan, ville de Lombardie (au sud-est de Milan). 1515, victoire qui fait date dans l’histoire de France. Mais dix ans après, ce sera la défaite de Pavie.

« Il est jeune et à la fleur de l’âge, libéral, magnanime, expérimenté et habile à la guerre. Il a bonne paix avec tous ses voisins, en sorte qu’il pourra employer au service de Dieu et de la foi sa personne et tout son avoir, sans que nul le détourne et que rien l’empêche. »445

FRANÇOIS Ier (1494-1547), autoportrait et déclaration de candidature en 1519. François Ier (1953), duc de Lévis-Mirepoix

Le roi brigue la couronne impériale à la mort de Maximilien (12 janvier 1519).

L’adversaire est de taille : Charles, prince bourguignon (arrière-petit-fils de Charles le Téméraire), devenu prince des Pays-Bas en 1516, puis roi d’Espagne sous le nom de Charles Ier, roi de Sicile sous le nom de Charles IV, héritant par sa mère des possessions espagnoles de l’Amérique latine (mines d’or et d’argent inépuisables) et par son père des terres héréditaires des Habsbourg !

Le petit-fils de Maximilien (l’empereur du Saint-Empire) l’emporte assez naturellement dans cette compétition par ailleurs « truquée » – les sept princes-électeurs allemands sont plus sensibles aux florins et ducats allemands et espagnols qu’aux écus français. Une fois élu, il devient à son tour empereur du Saint Empire romain germanique, le 28 juin 1519 à la Diète de Francfort. Il sera Charles Quint pour l’histoire.

Et l’histoire de France en est changée. Le nouvel ennemi héréditaire n’est plus l’Anglais, mais le Habsbourg trop puissant, rêvant de dominer toute l’Italie et voulant récupérer la Bourgogne de ses ancêtres, « tyranniquement et indûment détenue et occupée par le roi de France ». Face à Charles Quint, nos guerres vont devenir plus défensives qu’offensives.

« Monsieur, il n’y a point de pitié en moi, car je meurs en homme de bien. Mais j’ai pitié de vous, de vous voir servir contre votre prince, et votre patrie, et votre serment. »452

BAYARD (vers 1475-1524), à l’ex-connétable de Bourbon - son mot de la fin. Traité des Études ou De la manière d’enseigner et d’étudier les Belles-Lettres (1841), Charles Rollin

Mortellement blessé en couvrant la retraite de l’armée française au passage de la Sesia en Piémont, le 30 avril 1524, il reproche à Charles de Bourbon d’être devenu lieutenant de l’ennemi, Charles Quint.

La vie de Bayard sera écrite, entre autres, par son écuyer qui signe le Loyal Serviteur. À cette race de « chevalier sans peur et sans reproche » s’applique bien la phrase de Montaigne : « La plus volontaire mort, c’est la plus belle. » Dans la littérature de ce XVIe siècle qui renaît et rayonne, entre Moyen Âge et période classique, en ce siècle plein de bruits, de fureurs, de guerres, la mort revient comme un thème obsédant.

« Je lis les histoires de ce royaume, et j’y trouve que de tous les temps, les putains ont dirigé les affaires des rois ! »479

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589) à Diane de Poitiers. Le Royaume de Catherine de Médicis (1922), Lucien Romier

Fille de Laurent II de Médicis, elle épousa le futur Henri II en 1533 et faillit être répudiée pour cause de stérilité pendant onze ans, avant de lui donner 10 enfants. Depuis 1538 et durant les douze années de règne d’Henri II, la reine est éclipsée par Diane de Poitiers.

Âgée de 48 ans en 1547 et de vingt ans l’aînée du roi, Diane fit son éducation à la cour, quand l’enfant de 11 ans rentra, après quatre années passées comme otage en Espagne (à la place de son père François Ier). Influente et intrigante, elle reste sa favorite jusqu’à la fin, mais certains historiens doutent de la nature exacte de leur liaison.

« Lorsque, maîtresse en titre et reine, elle était moquée par les jeunes qui ne l’appelaient que la vieille, elle fit cette réponse cynique de leur montrer ce qu’on cache en se faisant peindre nue » (Jules Michelet, Histoire de France). Les peintres de la première école de Fontainebleau rendirent ainsi un juste hommage à leur adorable mécène.

« Madame, contentez-vous d’avoir infecté la France de votre infamie et de votre ordure, sans toucher aux choses de Dieu. »482

Un domestique du tailleur d’Henri II, s’adressant à Diane de Poitiers (1550). Histoire de France au seizième siècle, Guerres de religion (1856), Jules Michelet

Le ton dit assez la violence des haines qui couvent. L’homme est interrogé sur son éventuelle conversion au calvinisme par Diane de Poitiers, la maîtresse du roi, qui encourage la répression du protestantisme. Il paiera de sa vie cette phrase, sitôt condamné à être brûlé vif devant Henri II, spectateur du supplice. Envers et contre tout, l’Église réformée de France va se constituer sous ce règne.

« Fille pire que sa mère, qui avait gâté son mari et infesté toute la maison de Vendôme. »494

PAUL IV (1476-1559), peu avant sa mort. Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret (1882), baron Alphonse de Ruble

Le pape parle de Jeanne d’Albret, fille de Marguerite de Navarre – sœur de François Ier qui protégea les artistes, les humanistes et les protestants. La nouvelle reine de Navarre entraîne son époux, le très indécis Antoine de Bourbon (duc de Vendôme) et son royaume de Navarre à suivre Calvin le protestant. Elle professe publiquement la nouvelle religion en 1560 et l’impose en 1567.

Entre-temps, Antoine de Bourbon, nommé lieutenant général du royaume, se retrouve combattant avec les Guise, à la tête des armées catholiques.

« Dieu qui avait frappé le père à l’œil a frappé le fils à l’oreille. »496

Jean CALVIN (1509-1564). Charles IX (1986), Emmanuel Bourassin

Le « pape de Genève » fait en ces termes l’oraison funèbre de François II, mort à 16 ans d’une infection à l’oreille, le 5 décembre 1560 – un an et demi après Henri II, mort d’un œil crevé dans un tournoi.

Charles IX lui succède à 10 ans et sa mère Catherine de Médicis se retrouve régente. Protestants et catholiques semblent d’accord pour regretter que le pouvoir politique échappe aux hommes : « Ceux-là ont sagement pourvu à leur État qui ont ordonné que les femmes ne vinssent jamais à régner » selon Théodore de Bèze, le grand théoricien protestant, rappelant la loi salique. Alors que pour Fournier, prédicateur catholique de Saint-Séverin : « Ce n’est pas l’état d’une femme de conférer les évêchés et les bénéfices. La mère de Jésus-Christ se voulut-elle mêler de l’élection de saint Mathias ? » (élu pour être le douzième apôtre, à la place de Judas).

« Divide ut regnes. » « Divise, afin de régner. »498

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), maxime politique

Autre formulation et même signification : « Divide et Impera. » Cette maxime énoncée par Machiavel fut celle du Sénat romain, mais aussi de Louis XI et de la nouvelle régente en 1560.

Catherine de Médicis, après presque trente années d’effacement derrière le roi, les favorites et les conseillers, va gouverner la France pendant près de trente autres années, marquées par les guerres de Religion.

« Je puis donner la mort,
Toi l’immortalité. »517

CHARLES IX (1550-1574), à Ronsard : Ton esprit est, Ronsard…

Le poème royal commence ainsi : « Ton esprit est, Ronsard, plus gaillard que le mien ; / Mais mon corps est plus jeune et plus fort que le tien… »

Rendant hommage au poète engagé et enflammé des Discours, il continue : « L’art de faire des vers, dût-on s’en indigner, / Doit être à plus haut prix que celui de régner. / Tous deux également nous portons des couronnes ; / Mais roi, je la reçus ; poète, tu la donnes. »

Une véritable amitié s’est nouée entre les deux hommes. Le poète esquisse un plan d’éducation en alexandrins, puis passe à l’art de gouverner et aux devoirs d’un roi à peine âgé de 12 ans, dans une France déchirée par la guerre civile. Charles IX de son côté, tombé littéralement sous le charme de Ronsard, lui aménagera un appartement à l’intérieur de son palais. Dans l’histoire, d’autres grands noms des lettres seront préposés à l’éducation des princes ou dauphins et prendront cette tâche fort à cœur, comme Bossuet et Fénelon au XVIIe siècle.

Mais le jeune roi se sait malade et mourra à 24 ans de la tuberculose. Ronsard qui lui survit connaîtra une demi-disgrâce.

« La mauvaise femme est morte. »518

Antonio Maria SALVIATI (1537-1602), nonce apostolique au pape Grégoire XIII. Correspondance du nonce en France, Antonio Maria Salviati : 1572-1578 (1975)

Telle est l’oraison funèbre de Jeanne d’Albret, morte à Paris le 9 juin 1572. Femme de tête et de conviction protestante, cette reine de Navarre sut préserver l’indépendance de son royaume. Mais en professant publiquement le calvinisme, puis en imposant cette religion à la Navarre, elle devint la mortelle ennemie des papes de Rome.

« Si c’était un homme du moins ! C’est un goujat ! »524

Amiral Gaspard de COLIGNY (1519-1572), dans la nuit du 23 au 24 août 1572. Histoire de France au seizième siècle, Guerres de religion (1856), Jules Michelet

Coligny toise l’homme qui va le frapper, un certain Bême, sbire des Guise, même pas un seigneur digne de lui ! Cette exclamation de mépris peut être considérée comme son « mot de la fin ».

Ce grand militaire a servi tous les rois de France depuis François Ier, participé à toutes les guerres, quitté plusieurs fois la cour pour fuir ses intrigues, toujours rappelé pour ses qualités de courage, de diplomatie et même de tolérance, quand il se convertit à la religion réformée. Sa fin à 53 ans est des plus humiliantes : surpris dans son lit, achevé à coups de dague, son corps jeté par la fenêtre, éventré, émasculé, décapité, puis porté au gibet de Montfaucon, exhibé, pendu par les pieds, exposé à d’autres sévices, pour finir à nouveau pendu place de Grève.

« Le corps d’un ennemi mort sent toujours bon. »525

CHARLES IX (1550-1574), le 24 août 157, jour de la Saint-Barthélemy (du nom du saint, fêté sur le calendrier). Cité au XVIIIe siècle par Voltaire (Œuvres complètes, volume X), au XIXe siècle par Alexandre Dumas (La Reine Margot), entre autres sources

Ce mot (de l’empereur romain Vitellius) est attribué à Charles IX devant le corps de Coligny son propre conseiller, l’un des chefs protestants lui ayant dit de se méfier de sa mère et des Guise ! Cette nuit, cet assassinat et ses suites – les milliers de morts et le sacrifice de son conseiller – hanteront cependant les nuits du jeune roi jusqu’à sa mort prochaine.

Faible de caractère, manipulé par sa mère et ses proches (les Guise ultra catholiques et son frère Henri, le duc d’Anjou), il semble qu’il ait donné son accord pour tuer tous les chefs… Oui, mais pas tous les protestants de Paris, de Navarre et de France !

Selon certaines sources (dont Agrippa d’Aubigné), il tirait à l’arquebuse sur les fuyards. Selon d’autres historiens, il a tenté d’arrêter la tuerie qui commence dans les rues et ruelles. De toute manière, il est trop tard ! On a fermé les portes de Paris et la capitale est profondément anti-huguenote. La haine se déchaîne. Chaque protestant passe pour un Coligny en puissance : « Tuez-les tous ! » L’ordre royal du 23 août est répété à tous les échos, tous les carrefours.

« Il valait mieux que cela tombât sur eux que sur nous. »529

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à l’ambassadeur de Toscane à propos du massacre de la Saint-Barthélemy. Lettres de Catherine de Médicis (1891), Collection de documents inédits sur l’histoire de France, Imprimerie nationale

La reine mère définit sa politique, étant sans doute responsable des massacres malgré la prochaine déclaration de Charles IX au Parlement de Paris. Mais au point de haine où catholiques et protestants sont arrivés, le choc semblait inévitable et la balance pouvait pencher de l’un ou l’autre côté. Rappelons aussi les sept années où son chancelier Michel de l’Hospital tenta en vain une politique de conciliation avec les protestants… On peut également penser que cette forte femme fut dépassée par la force des événements !

Effet non prévu, la Saint-Barthélemy va renforcer le parti protestant qui s’organise pendant cette quatrième guerre de Religion.

« En France, il ne peut exister deux rois. Mon frère, il est nécessaire que vous quittiez mon royaume pour chercher une autre couronne ; quant à moi, j’ai déjà l’âge de me gouverner. »537

CHARLES IX (1550-1574), à son frère Henri duc d’Anjou. Catherine de Médicis présente à Charles IX son royaume (1937), Pierre Champion

Le jeune roi de France n’aime guère ce frère, brillant à la guerre et fils préféré de leur mère. La monarchie étant devenue élective en Pologne, Catherine de Médicis a intrigué pour lui faire avoir cette couronne en mai 1573. Le futur Henri III préférerait rester en France et gouverner de loin sa Pologne, mais Charles IX semble trop heureux de cette raison pour le voir partir. Son règne sera de courte durée…

« Bien qu’il meure en jeunesse, il a beaucoup vécu.
Si sa Royauté fut de peu d’âge suivie,
L’âge ne sert de rien, les gestes font la vie. »539

Pierre de RONSARD (1524-1585), Le Tombeau du feu Roi Très Chrétien Charles IX - épitaphe

Dernière victime collatérale de la Saint-Barthélemy, le roi meurt un mois avant ses 24 ans, le 30 mai 1574. La tuberculose familiale fait des ravages chez les fils de Catherine de Médicis, mais le remords d’avoir donné l’ordre du massacre (qui lui fut arraché par sa mère) hanta les jours et les nuits du jeune roi et hâta sa fin. Son précepteur et très proche ami Ronsard lui rend ainsi hommage.

« France et vous valent mieux que Pologne. »540

HENRI III (1551-1589), Lettre à Catherine de Médicis, 22 juin 1574. Henri III, roi de France et de Pologne (1988), Georges Bordonove

Élu roi de Pologne en 1573 grâce aux intrigues maternelles, il rentre avec joie au pays natal auprès de cette mère dont il est sans conteste le fils préféré. Elle a mis tous ses espoirs en lui, le faisant siéger aux États généraux à 7 ans aux côtés de son frère Charles IX qui en était jaloux, le faisant nommer lieutenant général du royaume à 16 ans au lieu du prince Louis de Condé qui rompit avec la cour.

« Il y a bien de la besogne
 À regarder ce petit roi
Car il a mis en désarroi
Toutes les filles de sa femme
Mais on sait que la bonne dame
S’en venge bien de son côté ! »547

Chanson populaire sur Henri de Navarre et la reine Margot (1579). Mémoires relatifs à l’histoire de France, Journal de Henri III (posthume), Pierre de l’Estoile

Après sept ans de mariage, tout ne va pas pour le mieux dans le couple royal de Navarre ! Henri III (futur Henri IV) reste aussi célèbre par sa galanterie que Margot par sa nymphomanie.

« S’il y eut jamais une au monde parfaite en beauté, c’est la reine de Navarre. Toutes celles qui sont, qui seront et jamais ont été, près de la sienne sont laides et ne sont point beautés. » L’abbé et seigneur de Brantôme, devenu mémorialiste, lui rend ainsi hommage.

Elle a été chassée de la cour de France par son frère Henri III – accusée d’intrigue avec leur frère François, le très ambitieux duc d’Anjou (ex-duc d’Alençon), allié contre la couronne à son mari Henri de Navarre dans la cinquième guerre de Religion.

Marguerite de France, reine de Navarre, tient désormais cour brillante à Nérac. La septième guerre de Religion (1579-1580) menée par Henri de Navarre et le maréchal de Biron sera dite « guerre des amoureux » par allusion à la frivolité qui règne en cette cour ! Le traité de Nérac, signé le 28 février 1579 par Catherine de Médicis au nom du roi, mais non respecté par les protestants, relance la guerre.

« Pardonnez un mot à vos fidèles serviteurs, Sire. Ces amours si découvertes, et auxquelles vous donnez tant de temps, ne semblent plus de saison. Il est temps que vous fassiez l’amour à toute la chrétienté et particulièrement à la France. »551

Philippe DUPLESSIS-MORNAY (1549-1623), juillet 1583. Histoire des Français (1821-1844), Simonde de Sismondi

Qu’en termes galants ces choses-là sont dites au roi galant ! Son ambassadeur et principal conseiller s’inquiète pourtant auprès d’Henri de Navarre, toujours bon vivant.

La France et les chefs de partis ont un bref répit entre la septième guerre de Religion et la huitième, déclenchée (à terme) par un événement inattendu, le 10 juin 1584 : la mort par tuberculose du quatrième fils de Catherine de Médicis, François d’Alençon à 29 ans.

« Vous pouvez penser comme je suis malheureuse de tant vivre et de voir tout mourir devant moi, encore que je sache bien qu’il faut se conformer à la volonté de Dieu. »552

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à Bellièvre, 10 juin 1584. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Mère de dix enfants, elle n’en finit plus de porter leur deuil. François d’Anjou (ex-duc Alençon) meurt le 10 juin 1584, âgé de 30 ans. Éternel frustré de la famille, ambitieux et rebelle, très impopulaire, il a comploté à la tête du parti des Malcontents et ce n’est pas une grande perte pour le roi…

Mais Henri III n’ayant pas fait d’enfant à sa femme pourtant bien-aimée, à sa mort la couronne de France doit revenir à Henri de Navarre, chef du parti protestant. L’astrologue de la cour Nostradamus l’avait prédit il y a longtemps : « Il aura tout l’héritage. »

La perspective qui se précise d’un Henri IV protestant, roi de France, affole les Français catholiques et insupporte aux Guise. La Sainte Ligue en sommeil se réveille.

« Pensant à cela et tenant ma tête appuyée sur ma main, l’appréhension des maux que je ressentis pour mon pays fut telle qu’elle me blanchit la moitié de la moustache. »555

HENRI III DE navarre (1553-1610) au duc de La Force. Henri IV ou la France sauvée (1943), Marcel Reinhard

Parole du futur Henri IV, quand il apprend la volte-face du roi Henri III qui se range ouvertement du côté de la Ligue : une nouvelle guerre civile est imminente. De surcroît, pour conforter la Ligue et le roi, le 225e pape, Sixte Quint, excommunie « Henri jadis roi de Navarre » : comme relaps, pour s’être converti à la Saint-Barthélemy (contraint, « la messe ou la mort ») et avoir ensuite abjuré.

La huitième et dernière guerre de Religion sera la plus longue : treize années. Baptisée la guerre des trois Henri, elle oppose le roi de France Henri III, Henri III de Navarre (bientôt Henri IV) et Henri de Guise le Balafré, chef incontesté de la Ligue. Elle commence en 1585, par une série de batailles dont aucune n’est décisive et les alliances vont changer, entre les forces en présence. Aucun des trois Henri ne mourra au combat, mais chacun sera victime d’un assassinat, dont deux relevant du régicide.

« Le Diable est déchaîné. Je suis à plaindre et c’est merveille que je ne succombe pas sous le faix. Si je n’étais huguenot, je me ferais Turc ! »560

HENRI III DE navarre (1553-1610), Lettre à Diane d’Andouins, dite la Belle Corisande, 8 mars 1588. Henri IV en Gascogne (1553-1589), Charles Henry Joseph de Batz-Trenquelléon

Le roi de Navarre se plaint à sa maîtresse de cette (huitième) guerre de Religion dont il ne voit pas la fin et qu’elle finance par amour pour lui.

Cependant que, grisé par ses victoires et poussé par les ligueurs catholiques (soutenus par les subsides du très catholique roi d’Espagne Philippe II), Henri de Guise se voit déjà roi de France. L’année dernière, la Sorbonne n’a-t-elle pas précisé qu’on peut déposer les « mauvais rois » ?

« Pour la religion dont tous les deux font parade, c’est un beau prétexte pour se faire suivre par ceux de leur parti ; mais la religion ne les touche ni l’un ni l’autre. »561

Michel de MONTAIGNE (1533-1592). Dictionnaire universel des Sciences morale, économique, politique et diplomatique (1781), Jean B. Robinet

En mai 1588, le philosophe peine à préparer sa nouvelle édition des Essais. Catholique modéré, très hostile aux catholiques « zélés » de la Ligue et ayant plusieurs fois rencontré Henri de Navarre, il témoigne de cette évidence : les guerres de Religion ne sont plus religieuses, l’enjeu est avant tout politique. Henri de Navarre n’a pas plus de conviction protestante que catholique et Henri de Guise ne pense qu’à devenir roi. La preuve : il va se faire acclamer par Paris, au printemps 1588.

« Que Sais-je ? »

Michel de MONTAIGNE (1533-1592)

Rappelons la devise du très sage auteur des Essais, directement inspirée d’un autre grand philosophe de l’Antiquité, Socrate : « Je sais que je ne sais rien. » En 1576, Montaigne fit graver une médaille avec ces trois mots, point d’ancrage de toute son œuvre et fondement d’une nouvelle forme de pensée où le doute devient l’expression du devoir intellectuel. À l’époque de tous les fanatismes religieux et politiques, cette affirmation était aussi « révolutionnaire » que celle de Descartes affirmant au siècle suivant « Je pense, donc je suis ».

« Mon Dieu qu’il est grand ! Il paraît encore plus grand mort que vivant. »566

HENRI III (1551-1589), face au corps du duc de Guise, château de Blois, 23 décembre 1588. Journal de Henri III (posthume), Pierre de l’Estoile

Il a osé : ordre donné aux Quarante-Cinq (garde personnelle du roi, immortalisée par le roman de Dumas) d’assassiner Henri le Balafré qui se croyait invulnérable, ainsi que son frère Louis, cardinal de Lorraine – arrêté, exécuté le lendemain dans sa prison.

« C’est bien taillé mon fils ; maintenant il faut recoudre. »567

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589) à Henri III, château de Blois, 23 décembre 1588. Dictionnaire des citations françaises et étrangères (1982), Robert Carlier

Le roi courut annoncer à sa mère l’assassinat de son pire ennemi, le duc de Guise. Cette façon d’éliminer ceux qui font obstacle au pouvoir de ses fils est bien dans ses mœurs – et dans celles de l’époque. Mais à 70 ans et à quelques jours de sa mort (5 janvier 1589), la reine mère ne doit pas se faire beaucoup d’illusions sur l’avenir de son dernier fils…

« Ah ! le méchant moine, il m’a tué, qu’on le tue ! »573

HENRI III (1551-1589), Saint-Cloud, 1er août 1589, « premier mot de la fin ». Mémoires relatifs à l’histoire de France, Journal de Henri III (posthume), Pierre de l’Estoile

Au château de Saint-Cloud, le roi prépare le siège de Paris avec son allié Henri de Navarre : 30 000 hommes sont prêts à attaquer la capitale, défendue par la milice bourgeoise et la Ligue, armée par Philippe II d’Espagne.

Le « méchant moine » est un dominicain de 22 ans, Jacques Clément, ligueur fanatique. Il préparait son geste : le complot est connu, approuvé de nombreux catholiques et béni par le pape Sixte Quint. Le moine réussit à approcher le roi – seul, sur sa « chaise percée ». La garde personnelle (les Quarante-Cinq), alertée par les cris du roi poignardé, transperce l’assassin à coups d’épée : défenestré, le corps est sitôt tiré par quatre chevaux, écartelé, et brûlé sur le bûcher pour régicide.

La scène se rejouera avec Ravaillac et Henri IV. Ces assassinats, comme tous les complots et attentats contre les rois de l’époque, s’inspirent de la théorie du tyrannicide dont Jean Gerson fut l’un des prophètes : « Nulle victime n’est plus agréable à Dieu qu’un tyran. »

« Ce Roy étoit un bon prince, s’il eût rencontré un meilleur siècle. »575

Pierre de l’ESTOILE (1546-1611), Mémoires relatifs à l’histoire de France, Journal de Henri III (posthume)

Tel est le jugement du fidèle chroniqueur à la mort du roi. Avec le recul de l’Histoire, il semble que ce soit bien vu. Le personnage est toujours discuté, mais son action finit par être reconnue.

Quant au siècle d’Henri III, son fanatisme étonne autant qu’il effraie. Paris honore le moine meurtrier comme un saint et un martyr. On célèbre des messes pour le repos de son âme, son portrait trône sur l’autel des églises. On le nomme libérateur de la religion, sauveur de Paris. L’ambassadeur d’Espagne annonce à Philippe Il l’assassinat d’Henri III en disant : « C’est à la main seule du Très-Haut qu’on est redevable de cet heureux événement. » On demande au pape la béatification de Jacques Clément et dans les processions, on porte son image sur une bannière, comme celle d’un saint et d’un héros.

Cependant que les princes ultra-catholiques jurent de ne jamais reconnaître Henri IV pour roi : « Plutôt mourir de mille morts ! »

Naissance de la monarchie absolue (1589-1643)

Henri IV (1589-1610)

« Je suis votre chef, mon royaume est mon corps, vous avez cet honneur d’être les membres, d’obéir et d’y apporter la chair, le sang, les os et tout ce qui en dépend. »579

HENRI IV (1553-1610), au Parlement de Bordeaux. Lettres et négociation de Paul Choart… et de François d’Aerssen…, 1598-1599 (1846), Paul Choart de Buzanval, baron François van Aerssen

Notons la sensualité très charnelle de ce pouvoir royal qui s’affirme et s’exprime, quand Louis XI se définissait plus simplement et sobrement à la fin du Moyen Âge par cette forte identification : « Je suis France ».

Après des rois faibles et à travers la tourmente d’une huitième et dernière guerre de Religion qui va occuper la moitié de son règne, le bon roi Henri incarne ce pouvoir royal qu’il doit réaffirmer face à bien des formes d’opposition : Grands qui agissent encore en féodaux, assemblées de notables indisciplinés, Parlements rebelles. Selon les circonstances, il use habilement de la menace ou de la bonhomie, de l’autoritarisme ou de l’ironie, pour neutraliser ces corps intermédiaires.

« Incertain et dépravé, je ne me retiens pas assez du plaisir comme chrétien, je m’y laisse aller comme homme, mais je ne m’y laisse pas tromper comme bête. »594

Théophile de VIAU (1590-1626), Au lecteur (1641)

Jolie définition du libertin par soi-même ! Élevé dans la religion protestante, converti pour la forme (et pour sa tranquillité) au catholicisme, le poète se retrouve naturaliste épicurien. Autrement dit libertin d’esprit et de mœurs, le plus hardi d’un groupe (Boisrobert, Mainard, Saint-Amant), banni dès 1619, rentré en grâce, célèbre par sa tragédie Pyrame et Thisbé en 1621, de nouveau poursuivi et condamné par contumace à être brûlé vif en 1623 ! Ses ennuis continueront jusqu’à sa mort prochaine et prématurée en 1626, à 36 ans.

Le libertinage, véritable fait de société, va souvent de pair avec l’incroyance et la débauche et passe ainsi pour un crime. Théophile de Viau en sera le symbole, lui qui écrit : « Notre destin est assez doux / Et, pour n’être pas immortelle, / Notre nature est assez belle / Si nous savons jouir de nous. / Le sot glisse sur les plaisirs, / Mais le sage y demeure ferme / En attendant que ses désirs / Ou ses jours finissent leur terme. »

« Je croyais que c’était un roi, mais ce n’est qu’un carabin. »606

Alexandre FARNÈSE, duc de Parme (1545-1592). Histoire de France au seizième siècle, La Ligue et Henri IV (1856), Jules Michelet

Soutien de la Ligue catholique et adversaire politique d’Henri IV le protestant, célèbre condottiere, c’est surtout l’héritier d’une des plus grandes maisons princières italiennes qui affiche ici son mépris pour l’allure si peu royale du nouveau souverain. Michelet ajoute : « Nous trouvons sévère le mot du prince [duc] de Parme. » – précisons que « carabin » signifie ici porteur de carabine… sans rapport avec le mot d’argot désignant les étudiants en médecine… sauf que dans l’armée, leur uniforme rappelait celui des carabiniers !

L’empereur dira plus tard d’Henri IV : « Mon brave capitaine de cavalerie » … et Michelet de commenter à nouveau : « Nous trouvons fort dur le mot de Napoléon ».

Quoiqu’il en soit, avec ses allures rustiques, son humeur joviale et son goût effréné pour les femmes, le roi – et plus encore les compagnons d’armes lui faisant escorte – choquent les Grands, habitués à une étiquette de cour très stricte depuis Henri III et au raffinement tout italien de mise sous Catherine de Médicis.

« Capitaine Bon Vouloir, il n’est pas grand abatteur de bois. »607

TALLEMANT des RÉAUX (1619-1692), Historiettes (posthume)

Faut-il revoir la légende d’Henri IV et retoucher le portrait du Vert Galant ? Grand coureur de jupons, n’est-il pas si bon amant sur le terrain ? Une chose est sûre : sceptique envers les hommes, il s’est tourné passionnément vers les femmes, laissant parfois de belles intrigantes se mêler un peu trop de sa politique.

« C’était un grand homme de guerre et encore plus un grand homme de bien. On ne peut assez regretter qu’un petit château ait fait périr un capitaine qui valait mieux que toute une province. »619

HENRI IV (1553-1610), août 1591. Musée des protestants célèbres (1824), Guillaume Tell Doin

Le roi vient d’apprendre la mort de François de La Noue, capitaine huguenot frappé d’une balle au front, alors qu’il levait la visière de son heaume au siège de Lamballe (Côtes-du-Nord), le 4 août 1591. Son courage lui a valu le double surnom de « Bayard protestant » et de « Bras de fer » (blessé en pleine guerre de Religion, amputé, appareillé, il continua de se battre jusqu’à ses 60 ans). Mais sa tolérance, son sens de l’honneur étaient tout aussi dignes d’estime, aux yeux du roi.

« Sire, il ne faut plus tortignonner […] Avisez de choisir : ou de complaire à vos prophètes de Gascogne et retourner courir le guilledou en nous faisant jouer à sauve qui peut, ou de vaincre la Ligue qui ne craint rien de vous tant que la conversion […] gagnant plus en une heure de messe que vous ne feriez en vingt batailles gagnées et en vingt années de périls et de labeurs. »622

Duc de SULLY (1560-1641), à Henri IV, mars 1593. La Monarchie française, 1515-1715, du roi-chevalier au Roi-Soleil (1971), Philippe Erlanger

Sully est l’un des plus anciens compagnons d’Henri IV. Ingénieur militaire, blessé à la bataille d’Ivry, c’est aussi un conseiller très écouté. Il parle en sage politique, étant lui-même protestant. Il sait que la conversion au catholicisme est la seule solution à cette guerre qui dure, épuise les deux partis et semble sans issue militaire.

Henri IV hésite encore. Il tient de son père Antoine de Bourbon sa versatilité et n’est plus à une conversion près – il est vrai que le jour de la Saint-Barthélemy, c’était « la messe ou la mort ». Il doit aussi se rappeler Henri III ayant choisi de faire alliance avec lui et prophétisant juste avant de mourir : « Henri de Navarre est d’un caractère trop sincère et trop noble pour ne pas rentrer dans le sein de l’Église ; tôt ou tard, il reviendra à la vérité. »

« J’ai bien vu le roi, mais je n’ai pas vu Sa Majesté ! »628

Mme de SIMIER (XVIe siècle), à l’entrée d’Henri IV dans Paris, 22 mars 1594. Historiettes : mémoires pour servir à l’histoire du XVIIe siècle (posthume, 1834), Tallemant des Réaux

L’Entrée royale est un événement majeur dans la vie d’une ville : une fête, un spectacle dont on imagine mal aujourd’hui le symbole et la magnificence. Mais quand c’est Paris qui se rend à son roi après cinq années de combat, c’est un fait historique, à l’égal d’une victoire ! Henri IV en est heureux et fier : il a gagné la guerre de Paris sans morts et sans pillage, après moult négociations secrètes et versements d’argent.

Seule déception, celle des Grands restés sur le souvenir d’Henri III et des fastes de la cour, choqués à la vue du successeur plus Béarnais que nature, négligent, débraillé, puant l’ail et s’en vantant : « Je tiens de mon père, moi, je sens le gousset. » Encore a-t-il revêtu son armure, pour la cérémonie.

« Sire, vous n’avez encore renoncé Dieu que des lèvres, et il s’est contenté de les percer ; mais quand vous le renoncerez, alors il percera le cœur. »633

Agrippa d’AUBIGNÉ (1552-1630), à Henri IV, au lendemain de l’attentat de Châtel, 27 décembre 1594. Étude historique et littéraire sur Agrippa d’Aubigné (1883), Eugène Réaume

Très fervent protestant, poète militant et militaire querelleur, il regrette qu’Henri IV ait fait l’échange de Paris contre une messe – pour ne pas dire son âme. L’abjuration l’a indigné, l’édit de Nantes ne le satisfera pas, ne faisant que tolérer sa religion. Bien que resté fidèle au roi, il se retire dans ses terres de Vendée comme gouverneur, reprenant du service sous Louis XIII, puis contraint de se réfugier à Genève où il meurt, à près de 80 ans.

Ironie de l’Histoire, sa petite-fille, Françoise d’Aubigné, devenue marquise de Maintenon et femme de Louis XIV, contribuera pour une large part à la révocation de l’édit de Nantes et aux nouvelles persécutions contre les protestants.

« Les gens de justice sont mon bras droit, mais si la gangrène se met au bras droit, il faut que le gauche le coupe. »646

HENRI IV (1553-1610), Déclaration au Parlement, 7 février 1599. Lettres intimes de Henri IV (1885), Henri IV

Il improvise un autoportrait original et définit en même temps sa politique.

Le pouvoir du roi doit s’affirmer face à tous les corps intermédiaires : cours souveraines, états provinciaux, collèges d’officiers, assemblées d’ordres. Avec les Parlements, Henri IV se montre tour à tour bonhomme et menaçant : « J’ai autrefois fait le soldat ; on en a parlé, et n’en ai pas fait semblant. Je suis Roi maintenant et parle en Roi. Je veux être obéi. À la vérité, les gens de justice sont mon bras droit, mais… » En fait, le roi respectera les institutions (sauf rares exceptions), mais les videra de leur signification.

« Je me passerais mieux de dix maîtresses comme vous, que d’un serviteur comme lui. »647

HENRI IV (1553-1610) à Gabrielle d’Estrées, 1599. Dictionnaire historique, critique et bibliographique (1822), Louis Maïeul Chaudon

Sa belle maîtresse vient de se plaindre de Sully qu’elle appelle un « valet ».

Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de Sully (et bientôt premier au Conseil et pair de France), un de ses plus vieux compagnons de route, est déjà grand voyer de France (contrôlant toutes les voies de communication), superintendant des Fortifications et Bâtiments, grand maître de l’artillerie, chargé de l’agriculture, surintendant des Finances. Il s’acquitte de ses tâches avec autant de loyauté que d’efficacité.

Mais Gabrielle d’Estrées est aussi la plus aimée des femmes présentes. Henri IV projetait même, après annulation en cour de Rome de son mariage avec Marguerite de Valois, de l’épouser. À sa mort (soudaine), il jure : « La racine de mon cœur est morte et ne rejettera [repoussera] plus ! » Elle a droit à des funérailles royales. Trois mois après, il tombe fou de la nouvelle favorite, Henriette d’Entragues, et lui écrit une promesse de mariage fort bien libellée, car il va se séparer de Margot, toujours sans enfant. Mais pour raison d’État, il va épouser Marie de Médicis, fille du grand-duc de Toscane, François de Médicis – grande famille patricienne de Florence, et banquier de l’Europe depuis le Quattrocento. (l’expression désigne la Renaissance italienne au XVe siècle, les années 1400, ou millequattrocento.)

« Je ne trouve ni agréable compagnie, ni réjouissance, ni satisfaction chez ma femme […] faisant une mine si froide et si dédaigneuse lorsqu’arrivant du dehors, je viens pour la baiser, caresser et rire avec elle, que je suis contraint de dépit de la quitter là et de m’en aller chercher quelque récréation ailleurs. »653

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Sully. Lettres intimes de Henri IV (1876), Louis Dussieux

Marie de Médicis n’a certes pas le tempérament de la reine Margot, sa première femme ! Ce mariage florentin fut un sacrifice à la raison d’État – mais les rois ne se mariaient pas par amour, pour cela, ils avaient les maîtresses. La belle-famille est très riche et très catholique : deux raisons qui auraient dû faire de ce mariage une bonne affaire pour le roi de France. Il n’en est rien.

Quant à la vie privée du roi et ses « récréations », elles justifient sa réputation de Vert Galant. La progéniture d’Henri IV est à l’image de sa santé amoureuse, exceptionnelle, et il légitime souvent ses enfants nés hors mariage – premier roi de France qui ose cela. Quant au nombre de favorites, sur un temps de vie et de règne plus court, il bat largement les deux autres grands amoureux, Louis XIV et Louis XV. On avance le nombre de 73.

« Priez Dieu, Madame, que je vive longtemps, car mon fils vous maltraitera quand je n’y serai plus. »657

HENRI IV (1553-1610), à Marie de Médicis. Les Rois qui ont fait la France, Henri IV (1981), Georges Bordonove

Sait-il que sa femme n’est pas étrangère à certains complots tramés autour de lui ? Cette phrase est en tout cas prémonitoire des relations entre la mère et son fils le futur Louis XIII : une véritable guerre au terme de laquelle Marie de Médicis perdra son pouvoir, ses amis, sa liberté, pour finir en exil.

« Je voudrais n’être point roi et que mon frère le fût plutôt : car j’ai peur qu’on me tue, comme on a fait du roi mon père. »663

LOUIS XIII (1601-1643), le soir du 14 mai 1610. Journal pour le règne de Henri IV et le début du règne de Louis XIII (posthume, 1960), Pierre de L’Estoile

L’enfant qui n’a pas neuf ans restera traumatisé à jamais par ce drame, où sa mère est sans doute compromise. « Votre Majesté m’excusera. Les rois ne meurent point en France. » Ainsi parle le chancelier Nicolas Brulart de Sillery devant le petit Louis XIII, cependant que la reine Marie de Médicis se lamente bien fort sur le corps du roi ramené au Louvre, et que les conseillers la prient instamment d’agir « en homme et en roi ».

En juriste, Sillery rappelle un très ancien précepte de la monarchie française : « Le Roi de France ne meurt jamais » de sorte que le trône ne soit jamais vacant, d’où l’expression coutumière : « Le Roi est mort. Vive le roi ! »

« Il faut que je dise ici que la France, en le perdant, perdit un des plus grands rois qu’elle eût encore eus ; il n’était pas sans défauts, mais en récompense il avait de sublimes vertus. »665

Agrippa d’AUBIGNÉ (1552-1630). Histoire de France au dix-septième siècle, Henri IV et Richelieu (1857), Jules Michelet

Protestant ardent, mais resté fidèle au roi même après l’abjuration et l’édit de Nantes (qui ne le satisfaisait pas), d’Aubigné énonce une grande vérité à la mort d’Henri IV le Grand.

L’assassinat frappe la France de stupeur et fait du roi un martyr. Ce drame change aussitôt son image, fait taire toute critique et donne au personnage une immense popularité. La légende fera le reste. D’autant que la régente qui lui succède (Marie de Médicis) manque totalement de ces vertus politiques qui font les grands règnes.

Louis XIII et Richelieu (1610-1643)

« On m’a fait, six ans durant, fouetter les mulets aux Tuileries. Il est temps qu’enfin je fasse mon métier de roi. »674

LOUIS XIII (1601-1643), après la mort de Concini et le départ de Marie de Médicis. Louis XIII et Richelieu (1855), Alexandre Dumas

Pour une fois, le romancier est fidèle à l’histoire et le mot de Louis XIII est souvent repris. L’heure de sa revanche a sonné ! Mais pour faire son métier de roi qu’il prend très au sérieux, il aura toujours besoin d’un second. Encore faut-il faire le bon choix…

Luynes à ses côtés, promu duc, pair, connétable de France, gouverneur de Picardie, va diriger les affaires du royaume. Belle promotion pour le fauconnier royal – il est vrai que Louis XIII adore la chasse. Mais quand même, tant d’honneurs et de pouvoir ! On va jusqu’à comparer le favori à Concini, l’âme damnée de sa mère et ex-régente, Marie de Médicis.

« Mon Dieu, que vous êtes grandi ! »678

MARIE DE MÉDICIS (1575-1642), à Louis XIII, rappelée d’exil, 5 septembre 1619. L’Ancienne France : Henri IV et Louis XIII (1886), Paul Lacroix (dit Sébastien Jacob)

Terme provisoire à la première « guerre de la mère et du fils » : la reine mère reconnaît d’une certaine manière que le roi est bien Roi.

Le 22 février 1619, elle s’est échappée de sa prison au château de Blois d’une manière rocambolesque, pour prendre la tête d’un soulèvement contre son fils. Le traité d’Angoulême, négocié par Richelieu, apaise le conflit. Quelques mois plus tard, la mère repartira en guerre contre le fils, en ralliant les Grands du royaume.

Le roi n’aime pas sa mère et il a quelques raisons, mais il est assez intelligent pour comprendre que, tenue de force éloignée de la cour, elle ne cessera de comploter contre lui.

Cette réconciliation et quelques autres sont négociées par le très habile Richelieu qui se rapproche ainsi du pouvoir. Après la mort de Luynes (favori du roi et hostile à tout nouvel ambitieux), la reine mère le fera nommer cardinal, puis entrer au Conseil du roi en 1624, espérant avoir un allié en la place, ce en quoi elle se trompe.

« Jugez s’il faut de la mémoire pour appeler comme il fait quatre mille personnes par leur nom, et n’oublier jamais le visage d’une personne qu’il aura vue une seule fois. »682

Théophraste RENAUDOT (1586-1653). Mémoires de Saint-Simon (posthume, 1879)

Cela confirme le soin que Louis XIII attache aux détails et son souci de bien faire son métier de roi ! Renaudot est témoin, étant à la fois son médecin et son secrétaire. Il est aussi journaliste connu, créant en 1631 La Gazette dont Richelieu veut faire la « voix de la France ».

« Les quatre pieds carrés du cabinet du roi me sont plus difficiles à conquérir que tous les champs de bataille de l’Europe. »683

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). La France de Richelieu (1984), Michel Carmona

Nouvelle preuve du caractère de Louis XIII, prince jaloux de son autorité. C’est l’homme des décisions brusques – de l’assassinat de Concini aux barbes rasées de ses officiers. Sa mère en fera souvent les frais. Dans les derniers temps du « ministériat », il supporte mal l’autorité d’un ministre qu’il a cessé d’aimer, mais il le soutient jusqu’à la mort – et ne lui survivra d’ailleurs que quelques mois. « Vous m’avez pour second », dit parfois le roi au cardinal.

« Quand une fois j’ai pris ma résolution, je vais droit à mon but, je renverse tout, je fauche tout, et ensuite je couvre tout de ma robe rouge. »684

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Histoire du ministère du cardinal de Richelieu, tome II (1816), Antoine Jay

Autoportrait plus vrai que nature !

L’historien Michelet fait à sa manière un saisissant portrait du « sphinx à robe rouge » : « Que de contrastes en lui ! Si dur, si souple, si entier, si brisé ! Par combien de tortures doit-il avoir été pétri, formé et déformé, disons mieux, désarticulé, pour être devenu cette chose éminemment artificielle qui marche sans marcher, qui avance sans qu’il y paraisse et sans faire de bruit, comme glissant sur un tapis sourd, puis, arrivé, renverse tout. Il vous regarde du fond de son mystère. »

Mystère en vertu de quoi l’ « homme rouge » est très diversement jugé par les contemporains comme par les historiens. « Richelieu avait foudroyé plutôt que gouverné les humains » dit le cardinal de Retz dans ses Mémoires.  Talentueux mémorialiste, mais piètre politicien, il s’opposera surtout à Mazarin, mais se vante pourtant d’avoir voulu assassiner Richelieu. Cela enrichit son « CV ».

« Quelle tragédie plus sombre que sa personne même ! Auprès Macbeth est gai […] Le plus souvent il ravalait le fiel et la fureur, couvrait tout de respect, de décence ecclésiastique. »688

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)

Le sens et le goût du secret reviennent souvent dans les lettres signées Richelieu. Dans une tragédie qui lui est attribuée – Mirame –, on trouve cet alexandrin : « Savoir dissimuler est le savoir des rois. »  Son Testament politique nous donne aussi quelques pistes, même s’il n’est pas entièrement écrit de sa main.

« Qui a la force a souvent la raison, en matière d’État. »685

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Testament politique

« … Et celui qui est faible peut difficilement s’exempter d’avoir tort au jugement de la plus grande partie du monde. » Richelieu est un homme du XVIIe siècle. Pour lui, le pouvoir monarchique vient de Dieu et la puissance du pays n’existe que par ce pouvoir. Il faut donc que le roi sache se faire obéir à l’intérieur et craindre à l’extérieur. En vertu de quoi le « principal ministre » lutte pour la restauration de l’autorité royale contre les Grands et les protestants et pour la prépondérance de la France en Europe, face aux puissants Habsbourg d’Autriche et d’Espagne.

« Je réponds de la vertu de la reine de la ceinture aux pieds. Je n’en dirai pas autant du reste. »695

Princesse de CONTI (1574-1631). Mazarin (1972), Paul Guth

Anne d’Autriche, pas vraiment heureuse dans son royal ménage, est compromise par la folle passion du duc de Buckingham, ministre et favori du roi d’Angleterre Charles Ier (comme il le fut de son père Jacques Ier). Une lettre d’Anne d’Autriche à Buckingham confirme : « Si une honnête femme avait pu aimer un autre homme que son mari, vous auriez été le seul qui aurait pu me plaire. »

« Assurez-vous toujours de mon affection qui durera jusqu’au dernier soupir de ma vie. »703

LOUIS XIII (1601-1643), Lettre à Richelieu, 16 octobre 1629. Vie de Louis XIII (1936), Louis Vaunois

Ce pacte d’union entre le roi et son ministre fonde le « ministériat » original qui va les réunir. Richelieu sera nommé « principal ministre d’État » le 21 novembre, duc et pair de France le 26. Quand l’affection ne sera plus ce qu’elle est, la fidélité à cette parole donnée demeure, même si Richelieu craint toujours le brusque revirement pouvant tout réduire à néant : sa mission, sa politique, sa carrière, sa fortune.

Richelieu va avoir plus que jamais besoin de l’appui du roi, dans l’année qui vient et marque un tournant du règne.

« Ce fou n’a qu’une idée, abattre la maison d’Autriche […] Il déclenchera la guerre générale et les hordes de barbares se jetteront sur le trottoir français. »705

Pamphlet contre Richelieu. Mazarin (1972), Paul Guth

En cette année 1630, que d’opposants à la politique anti-habsbourgeoise de Richelieu ! Le très catholique cardinal de Bérulle est mort (octobre 1629), mais il reste le garde des Sceaux Michel de Marillac (antiprotestant farouche, prônant la paix et l’alliance avec l’Espagne catholique), Gaston d’Orléans le frère du roi qui est de tous les complots, la reine et surtout la reine mère à présent très hostile au cardinal et âme du parti dévot.

Richelieu, de son côté, paie des publicistes à gages pour mener une propagande anti-espagnole incessante, d’où une guérilla de libelles et de pamphlets. À dater de mai 1631, La Gazette hebdomadaire de Théophraste Renaudot, organe officieux du gouvernement, a pour but de réduire les « faux bruits qui servent souvent d’allumettes aux mouvements et séditions intestines ». Elle use de son monopole officiel pour diffuser les nouvelles et faire passer les articles transmis par le roi et Richelieu : tirage moyen de 1 200 exemplaires, qui deviendront 12 000 au siècle suivant. Organe officiel du ministre des Affaires étrangères sous le nom de Gazette de France à dater de 1762, cet ancêtre de nos journaux paraîtra jusqu’en 1915.

« C’est le plus grand serviteur que jamais la France ait eu. »706

LOUIS XIII (1601-1643), défendant le cardinal contre sa mère au lendemain de la journée des Dupes, le 11 novembre 1630. Richelieu et le roi Louis XIII (1934), Louis Batiffol

Marie de Médicis a tenté de perdre Richelieu. Elle l’avait introduit auprès du roi, espérant son soutien au parti dévot et à l’Espagne catholique. Et voilà qu’il s’allie aux protestants allemands pour contrer la puissante maison des Habsbourg qui règne en Autriche et en Espagne.

Avec la reine, elle a profité d’une grave maladie du roi (tuberculeux et de santé fragile) pour l’éloigner de son ministre et obtenir sa future disgrâce, en septembre 1630 à Lyon.

Le 10 novembre, en son palais du Luxembourg, elle presse son fils de tenir parole. Richelieu, craignant le pire, trompant la vigilance des huissiers, entre par une porte dérobée. Elle l’accable de sa colère et ses injures. Le roi, bouleversé, se retire sans un mot, sans un regard pour son ministre. La cour croit à une arrestation imminente, les courtisans s’empressent autour de la reine mère. « C’est la journée des Dupes » – le mot de Bautru, conseiller d’État et protégé du cardinal, fait le tour de Paris.

Le lendemain, le roi est à Versailles. Richelieu, convoqué, se croit perdu et se jette à ses genoux. Louis XIII le relève et le prie de rester. Il exile Marie de Médicis à Compiègne. Marillac est destitué. C’est la déroute du parti dévot. Richelieu a gagné. Le ministériat est plus fort que jamais.

« Je m’aperçois assez que l’on s’en prend au cardinal et qu’on ne s’ose plaindre de ma personne. Plus je verrai qu’on l’attaquera, cela sera cause que je l’aimerai davantage et porterai son parti. »709

LOUIS XIII (1601-1643), au sieur de La Barre Le Sec, 25 juillet 1631. Vie de Louis XIII (1936), Louis Vaunois

La Barre était venu lui parler de la reine mère, Marie de Médicis. Prisonnière, évadée, la voilà exilée hors de France. Elle le restera jusqu’à sa mort à Cologne, en 1642.

Le « parti des bons Français », celui des partisans de Richelieu, refusant l’immixtion de la religion dans les affaires de l’État et considérant la maison de Habsbourg comme le principal danger, a définitivement gagné contre le parti dévot.

Le couple formé par Louis XIII et Richelieu est uni et ce « ministériat » unique en son genre dans l’Histoire demeure la grande force du règne. Pourtant, les comploteurs ne désarment pas au siècle de tous les complots.

« Il entra dans toutes les affaires, parce qu’il n’avait pas la force de résister à ceux qui l’y entraînaient pour leurs intérêts ; il n’en sortit jamais qu’avec honte, parce qu’il n’avait pas le courage de les soutenir. »713

Cardinal de RETZ (1613-1679), Mémoires (1671-1675)

Retz, qui entrera lui-même dans la grande « affaire » de la Fronde, fait ici le portrait de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, décrit sans indulgence. Il n’en mérite guère.

Pourvu d’une grande culture, mais dépourvu de tout caractère, il est de tous les complots contre le roi ou Richelieu, lâchant ses complices au dernier moment et fort de son impunité, aussi longtemps qu’il est l’héritier de la couronne – Louis XIII étant sans enfant. De retour en France en juin 1632, il obtient l’aide d’Henri, quatrième et dernier duc de Montmorency. Avec 3 000 cavaliers allemands, ils soulèvent une partie du Midi, mais sont battus par les troupes royales le 1er septembre, à Castelnaudary.

« Ces animaux sont étranges. On croit quelquefois qu’ils ne sont pas capables d’un grand mal, parce qu’ils ne le sont d’aucun bien. »717

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Richelieu tel qu’en lui-même (1997), Georges Bordonove

La femme de Louis XIII, alliée à Marie de Médicis, chercha à obtenir du roi la disgrâce de son ministre jusqu’à la fameuse journée des Dupes (10 novembre 1630). Elle est aussi accusée de correspondance secrète avec son frère Philippe IV d’Espagne, en guerre « couverte » et bientôt « ouverte » avec la France, dans le cadre de la guerre de Trente Ans.

Quant à Marie de Rohan-Montbazon, ancienne épouse de Luynes (premier favori de Louis XIII), puis du duc de Chevreuse, sa vie est un roman où les intrigues politiques se mêlent sans fin aux aventures galantes.

« Elle trahit avec volupté. »718

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Vie de Louis XIII (1936), Louis Vaunois

C’est fort joliment résumer le personnage de la duchesse de Chevreuse. Elle pousse d’abord son amant, le comte de Chalais, à comploter contre Richelieu – le comte le paiera de sa vie. Elle profite d’un exil pour faire conspirer un de ses nouveaux amants, le duc de Lorraine. On la retrouvera bientôt, en héroïne de la Fronde.

« En vain, contre Le Cid, un ministre se ligue ;
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue. »721

Nicolas BOILEAU (1636-1711), Satire IX (1668)

C’est la gloire à 30 ans pour le plus célèbre protégé de Richelieu, Corneille. Sa pièce est jouée, fin décembre 1636, dans le théâtre privé du cardinal (près de 1 000 places pour les invités) et en janvier 1637 au théâtre du Marais. Ce qui explique l’une et l’autre date données, selon les sources, pour sa création.

La première grande tragédie classique (ou plutôt tragicomédie) est ovationnée pour son génie propre et pour ses allusions à l’actualité – le combat contre les Maures fait écho à l’invasion espagnole de cette année. Louis XIII anoblit l’auteur. Mais Richelieu ne lui pardonne pas son refus de participer à une société de cinq auteurs (avec Boisrobert, Colletet, L’Estoile et Rotrou) chargés de composer des pièces sur ses idées ! C’est le petit côté d’un grand homme, par ailleurs passionné de théâtre.

Le cardinal forme une cabale et l’Académie française, docile, suit, accable le jeune poète de critiques jalouses et de propos pédants. Corneille en souffre. Mais comme l’écrira Boileau : « L’Académie en corps a beau le censurer, / Le public en révolte s’obstine à l’admirer. » La « querelle du Cid » va émouvoir Paris, toute l’année 1637.

Quand Boileau écrit pour vanter le grand Corneille, la faveur du public s’est détournée de lui et Racine est le nouveau tragédien du siècle, sous un autre règne, encore plus riche au plan culturel.

« Je pense, donc je suis. »722

René DESCARTES (1596-1650), Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, plus la dioptrique, les météores et la géométrie, qui sont des essais de cette méthode (1637)

Autre événement majeur dépassant le cadre de la littérature pour devenir fait de société. Le titre est à lui seul une citation et tout un programme. Et la formule lapidaire, restée célèbre, va déclencher avec quelques autres des polémiques qui finiront par la mise à l’Index des œuvres de Descartes, après sa mort.

Philosophe, mathématicien et physicien, l’auteur s’est prudemment réfugié dans la proche, protestante et bourgeoise Hollande, pour poursuivre son œuvre. La condamnation de Galilée par le Saint-Office n’est pas si lointaine (1633). Coupable d’avoir affirmé, contre la Bible, que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse, l’astronome italien aurait dit : « Et pourtant, elle tourne. »

Descartes a d’autres audaces et la première est simple : il faut vérifier par le raisonnement toutes les idées ou vérités reçues. C’est cela, l’essentiel de sa méthode. Mais c’est une rupture avec tout ce qui est enseigné dans les universités. Le cartésianisme aura des vertus déstabilisantes et des conséquences scientifiques que l’auteur ne soupçonnait pas !

« En tout cas, pour ma consolation, il me reste de savoir qu’au galant homme tout pays est patrie. »724

MAZARIN (1602-1661), Lettre à de Montagu, septembre 1637, Londres. Mazarin et ses amis (1968), Georges Dethan

Diplomate au service du pape Urbain VIII, il rencontre au cours d’une mission en France Richelieu qui le remarque en 1630. Nonce (ambassadeur du pape) à Paris en 1635-1636, il est de nouveau apprécié de Richelieu qui le fait nommer cardinal - alors qu’il n’a jamais été ordonné prêtre. Devenu son principal collaborateur, il prend la place du père Joseph qui meurt en 1638… Et celle de Richelieu à sa mort en 1642, entrant alors au Conseil du roi, le 5 décembre.

« Tant plus on témoigne l’aimer et le flatter, tant plus il se hausse et s’emporte. »729

LOUIS XIII (1601-1643). Cinq-Mars ou la passion et la fatalité (1962), Philippe Erlanger

Il parle à Richelieu de son favori Henri Coiffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars qu’il lui a présenté trois ans plus tôt en 1639 pour divertir le roi fatigué, malade, et contrecarrer l’influence d’une amie de la reine, Madame de Hautefort. Bien que comblé d’honneurs, de titres et d’argent, le jeune homme n’est jamais satisfait et va conspirer contre Richelieu avec son ami et complice le magistrat de Thou, le duc de Bouillon et l’inévitable frère du roi, Gaston d’Orléans qui a cherché alliance auprès des Espagnols.

L’affaire Cinq-Mars, dernier grand complot du règne, attriste les derniers mois du cardinal, épuisé à la tâche et rongé par un ulcère.

« Je me rends, parce que je veux mourir, mais je ne suis pas vaincu. »730

Marquis de CINQ-MARS (1620-1642). Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri Robert

Ainsi parle le héros revu, corrigé, idéalisé, immortalisé par Alfred de Vigny dans son roman historique, Cinq-Mars, ou une conjuration sous Louis XIII (1826), inspiré de Walter Scott.

Le comte de Vigny, jeune officier et poète romantique, en fera le symbole de la noblesse humiliée par la monarchie absolue : grand écuyer, favori de la Reine, passionnément attaché aux prérogatives de sa caste, bravant les édits de Richelieu (comme témoin à un duel interdit), il s’apprête, avec la complicité des Espagnols et l’appui de la reine Anne d’Autriche, à écarter le trop puissant cardinal qui a tout pouvoir sur un roi trop faible – cet argument a déjà joué, dans la journée des Dupes. La conjuration est dénoncée. Le cardinal triomphe. « Cinq-Mars sourit avec tristesse et sans amertume, parce qu’il n’appartenait déjà plus à la terre. Ensuite, regardant Richelieu avec mépris », il a cette phrase… La réalité est quelque peu différente du roman, mais pas moins dramatique.

« Je voudrais bien voir la grimace que Monsieur le Grand doit faire à cette heure. »731

LOUIS XIII (1601-1643), à Paris, apprenant l’exécution de son favori à Lyon. Historiettes : mémoires pour servir à l’histoire du XVIIe siècle (posthume, 1834), Tallemant des Réaux

Monsieur le Grand, c’est donc Cinq-Mars, 22 ans. Condamné à mort, il est décapité à Lyon le 12 septembre 1642.

Dernier favori du roi et jamais satisfait, le marquis avait cédé à tentation du complot avec le soutien de Philippe IV d’Espagne, toujours en guerre contre la France. En échange, les conjurés lui promettent la restitution de toutes les villes conquises et la victoire ! On projette aussi de s’emparer du cardinal… et même de le tuer.

Cinq-Mars recule au dernier moment - Richelieu étant avec son capitaine des gardes. Mais une copie du traité félon l’accuse. Richelieu en fait part à Louis XIII et le roi ne peut pardonner une si grave traîtrise à son favori.

« Les Grands du royaume eurent joie de sa mort, et quasi tout le peuple s’en réjouit. »734

Marquis de MONTGLAT (1610-1675), Mémoires (1635-1654)

On fait des feux de joie à la mort de Richelieu – son successeur, Mazarin, connaîtra le même sort post mortem.

L’autorité du cardinal, son ascendant sur le roi et ses méthodes de gouvernement l’ont rendu fort impopulaire, surtout les dernières années, avec la guerre, le désespoir et la misère du peuple, mais aussi le mécontentement des privilégiés, bourgeois, nobles, conseillers des parlements tardant à réprimer les émeutes de la « populace ». Longue est la liste de ses ennemis.

« Ci-gît un fameux cardinal
Qui fit plus de mal que de bien :
Le bien qu’il fit, il le fit mal
Le mal qu’il fit, il le fit bien. »735

Isaac de BENSERADE (1612-1691), Épitaphe

La plus connue des inscriptions funéraires et vengeresses qui accueillirent la mort de Richelieu est signée d’un gentilhomme normand, écrivain précieux et académicien français que le cardinal avait protégé.

« Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. »737

Pierre CORNEILLE (1606-1684), Poésies diverses (posthume)

Auteur le plus célèbre de son temps avec le Cid et après le triomphe de ses trois récentes tragédies (Horace, Cinna, Polyeucte), il compose ce quatrain à l’occasion de la mort du cardinal de Richelieu.

Il se rappelle la protection dont il a bénéficié, alors qu’il était totalement inconnu et que le cardinal fit ouvrir un second théâtre à Paris (Le Marais, rival de l’Hôtel de Bourgogne) pour jouer ses premières pièces. Mais il ne peut oublier la méchante cabale montée contre lui par le cardinal et la querelle du Cid qui s’ensuivit, en 1637.

Le mécénat artistique, devenu véritable politique culturelle, va encourager les créateurs dans tous les domaines : lettres, théâtre, musique, peinture, architecture. L’art classique naît à cette époque, contribuant au rayonnement de la France en Europe.

« Grand ministre ! Que n’es-tu né de mon temps ! Je te donnerais la moitié de mon empire pour m’apprendre à gouverner l’autre. »736

PIERRE le Grand (1672-1725). Histoire de l’Empire de Russie sous Pierre le Grand (posthume, 1831), Voltaire

Tsar de Russie à la fin du XVIIe siècle, très européen, grand admirateur de la France, autocrate et autoritaire, Pierre Ier dit Pierre le Grand viendra s’incliner devant la tombe du cardinal de Richelieu et lui rendra cet hommage.

Artisan de la grandeur russe, promoteur de réformes centralisatrices, pratiquant un « dirigisme de guerre » et cédant à la tyrannie, il devait se sentir frère en politique de ce grand homme d’État.

« Il acheva ce que Louis XI avait commencé […] Il rendit le pouvoir absolu. »582

Philippe BUCHEZ (1796-1865) et Pierre-Célestin ROUX (1802-1874), Histoire parlementaire de la Révolution française (1834-1838)

Historien du XIXe siècle, Buchez fait de Richelieu le premier héros de l’histoire moderne de la France, celui qui se bat pour l’unité du pays et le pouvoir du roi, l’un n’allant pas sans l’autre à l’époque.

Fait remarquable, ce sont deux ministres qui, sous des rois trop faibles ou trop jeunes, ont fait la monarchie absolue et en quelque sorte créé le trône sur lequel Louis XIV s’installera. Tous deux cardinaux, mais de nature aussi différente que possible : Richelieu avec sa lucidité politique et son caractère intransigeant, puis Mazarin, son principal collaborateur et bientôt successeur.

« En dépit de tous, sinon de tout, l’action du cardinal conjuguée avec celle du roi avait été décisive pour l’avenir du pays, en l’engageant dans la voie qui allait faire de lui un état moderne. »742

Charles de GAULLE (1890-1970). Encyclopædia Universalis, article « Richelieu »

Autre hommage qui rejoint l’idée de l’historien Buchez.

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