Qui a dit quoi de Qui ? (Siècle de Louis XIV) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Un personnage parle d’un autre personnage.
Exemple type : « Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. » François Mauriac évoquant de Gaulle en juin 1940.

Le premier « qui » est quelquefois le peuple (acteur anonyme) s’exprimant en chanson, pamphlet, slogan, épitaphe. Le second « qui » peut être un groupe, une assemblée, une armée à qui le discours est destiné.
Si les deux « qui » sont identiques, c’est un autoportrait, une profession de foi politique, parfois une devise.
Les lettres (Correspondance) et Mémoires (sous diverses formes) sont des sources précieuses, les « mots de la fin » livrent une ultime vérité sur l’auteur.

Dans ce défilé de Noms plus ou moins connus ou célèbres, le ton passe de l’humour à la cruauté avec ces citations référentielles ou anecdotiques, mais historiquement toujours significatives.
« Qui a dit quoi de Qui » est une version résumée en 12 éditos de notre Histoire en citations – « quand, comment et pourquoi » donnant l’indispensable contexte.

Ça peut aussi devenir un jeu : « Qui a dit quoi de Qui ». À vous de voir.

3. Siècle de Louis XIV.

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Avant le règne personnel : Mazarin Premier ministre et la Fronde (1643-1661)

« Il se fit de la honte de tout ce que l’autre s’était fait de l’honneur. Il se moqua de la religion. Il promit tout, parce qu’il ne voulut rien tenir. Il ne fut ni doux ni cruel, parce qu’il ne se ressouvenait ni des bienfaits ni des injures. Il s’aimait trop, ce qui est le naturel des âmes lâches. »752

Cardinal de RETZ (1613-1679), Mémoires (1671-1675)

Paul de Gondi, prélat sans vocation ecclésiastique, mais chef de parti aux grandes ambitions politiques sous la Fronde, est l’un des vaincus de Mazarin. Même si son témoignage sur cet autre cardinal à la réussite politique exemplaire est partial, ses Mémoires n’en sont pas moins une précieuse évocation de ces temps de trouble.

Il écrit aussi : « L’un des plus grands défauts du cardinal Mazarin est qu’il n’a jamais pu croire que personne lui parlât avec une bonne intention. » Cela en dit peut-être autant sur lui-même que sur Mazarin.

« Son esprit, qui lui a rendu de si bons services en sa vie, était assurément de premier ordre, fin, délié, pénétrant, sage, judicieux, grave, modeste, grand et élevé. »753

Louis-Henri de LOMÉNIE de BRIENNE (1635-1698), Mémoires de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne (posthume, 1720)

Conseiller d’État à 16 ans et secrétaire d’État aux Affaires étrangères à 23, surnommé le Jeune pour le distinguer de son père (Henri-Auguste de Loménie de Brienne), il juge en connaisseur. Michelet appréciera en historien : « Mazarin, le rusé […] cette glissante couleuvre ».

« Jamais personne n’eut les manières si douces en public, si rudes dans le domestique. »757

Hortense MANCINI (1646-1699), Mémoires

La duchesse de Mazarin est la plus jolie des cinq « Mazarinettes », ces nièces de Mazarin qui ont quitté leur Rome natale pour suivre l’oncle allant faire carrière en France. Sa vie amoureuse et mondaine défraie la chronique, mais toute la famille Mazarin fait parler. Bien que le cardinal ait assuré la fortune des siens, ils ne lui en eurent nulle reconnaissance.

« Grand Cardinal, que la fortune
Qui t’élève en un si haut rang,
Ne te fasse oublier ton sang,
Et que tu es de la commune. »758

Avertissement des enfarinés. La Vieille Fronde, 1648 (1832), Henri Martin

Le peuple déteste cet Italien de petite extraction qui, au terme d’une irrésistible ascension, possède un si grand pouvoir, en quelque sorte volé à la régente, puis au jeune roi devenu majeur (à 13 ans).

Mazarin accumula une immense fortune. À sa mort, il fera don à l’État de ses collections et de sa bibliothèque personnelle : la Mazarine, première bibliothèque ouverte au public dès 1643, bâtie dans l’aile gauche du palais de l’Institut, édifié à ses frais.

« Mon prix n’est pas dans ma couronne »

ANNE D’AUTRICHE, sa devise. Dictionnaire Larousse au mot « couronne »

Infante d’Espagne et du Portugal, reine de France et de Navarre par son mariage avec Louis XIII, elle révèle son habileté politique et sa force de caractère pendant la minorité de son fils, le roi Louis XIV. Nommée régente le 18 mai 1643, Anne d’Autriche prend pour Premier ministre le cardinal Mazarin, fin connaisseur des puissances européennes. Ce choix stratégique devient affectif et gagnant pour la France durant la Fronde dont elle vient à bout avec Mazarin. Finalement aimée et respectée dans le royaume, elle se retire pour vivre au Val-de-Grâce quand Louis XIV règne personnellement et absolument, mais toujours attentif et attaché à cette mère.

« Je plains le sort de la Reine ;
Son rang la contraint en tout ;
La pauvre femme ose à peine
Remuer quand on la f… »762

Le Frondeur compatissant, mazarinade. Nouveau siècle de Louis XIV, ou poésies-anecdotes du règne et de la cour de ce prince (1793), F. Buisson

Dès la mort de Louis XIII dont les chansons célébrèrent les insuffisances conjugales, voilà que l’on soupçonne les relations d’Anne d’Autriche avec « Mazarin ce bougeron ». Michelet rapporte dans son Histoire de France : « Mazarin commença dès lors l’éducation de la reine, enfermé toutes les soirées avec elle pour lui apprendre les affaires. La cour, la ville ne jasaient d’autre chose. »

On jasa beaucoup, on supposa tout, y compris un mariage secret. Anne d’Autriche nia toujours, assurant même que Mazarin « n’aimait pas les femmes », mais elle laissa gouverner le cardinal, mieux qu’elle n’avait jadis laissé régner son royal époux Louis XIII.

« La reine avait plus d’aigreur que de hauteur, plus de hauteur que de grandeur, plus de manière que de fond, […] plus de dureté que de fierté, plus de mémoire des injures que des bienfaits, plus d’intention de piété que de piété, plus d’opiniâtreté que de fermeté et plus d’incapacité que de tout ce que dessus. »763

Cardinal de RETZ (1613-1679), Mémoires (1671-1675)

On reconnaît le style et la partialité du grand mémorialiste. Frondeur et chef de parti, l’auteur de ce portrait s’oppose à la régente qui fait preuve de fermeté, dans cette période très difficile à vivre de la Fronde.

« Le voyez-vous comme il vole, ou à la victoire, ou à la mort ? »766

BOSSUET (1627-1704), Oraison funèbre de Louis de Bourbon, Prince de Condé (1686)

Quand il devra rendre hommage au Grand Condé, Bossuet évoquera la bataille de Rocroi du 19 mai 1643.

Chargé à 21 ans du commandement des armées du Nord, le quatrième prince de Condé remporte cette éclatante victoire qui anéantit l’armée espagnole des Pays-Bas et empêche l’invasion menaçante par les Ardennes : « L’armée commença l’action de grâce ; toute la France suivit ; on y élevait jusqu’au ciel le duc d’Enghien : c’en serait assez pour illustrer une autre vie que la sienne, mais pour lui, c’est le premier pas de sa course. »

C’est l’un des épisodes de la guerre de Trente Ans qui déchire l’Allemagne depuis 1618 et dans laquelle la France intervint directement huit ans plus tôt, jour pour jour, contre l’Espagne et les puissants Habsbourg tentés de reconstituer l’Empire de Charles Quint. L’autre héros de cette guerre est Turenne et les deux hommes vont souvent se croiser, amis ou ennemis, selon le camp choisi.

« Non, Madame, il ne s’agit pas de moi, mais de Paris soumis et désarmé, qui se vient jeter aux pieds de Votre Majesté. »775

Cardinal de RETZ (1613-1679), à la reine Anne d’Autriche, après la journée des Barricades du 27 août 1648. Mémoires du cardinal de Retz (posthume, 1717)

Paul de Gondi de Retz n’est pas encore cardinal, mais coadjuteur de l’évêque de Paris, son oncle. Il s’est rangé aux côtés de Broussel le frondeur, donc dans le parti du Parlement et contre Mazarin son ami de jadis.

Il se donne ici le (beau) rôle d’intercesseur entre le peuple de Paris et le pouvoir royal. C’est très excessif : quand Mathieu Molé, premier président du Parlement, risquait sa vie en s’interposant entre les insurgés et les troupes royales, l’ambitieux de Retz a seulement tenté de s’assurer une popularité sans péril. Une fois encore, l’auteur se trahit à travers le portrait qu’il fait, y compris de lui-même…

Voltaire dira de lui : « Cet homme singulier est le premier évêque en France qui ait fait une guerre civile sans avoir la religion pour prétexte. »

« Ce n’est là qu’un Pantalon. »776

Pierre BROUSSEL (1575-1654), parlant de Mazarin au cardinal de Retz. Mémoires du cardinal de Retz (posthume, 1717)

Pantalon, vieillard amoureux, avare et salace, cible perpétuelle de toutes les moqueries, habillé d’une ample culotte, est un personnage bien connu de la commedia dell’arte ! Et Mazarin est né Mazarini, donc italien.

Broussel se plaît ainsi à rabaisser son ennemi le cardinal, dans cet épisode de Fronde parlementaire. Et de Retz se plaît à rapporter cet aparté, en note dans ses Mémoires. Alors que Mazarin, toujours d’après son témoignage, l’avait couvert d’éloges, pour son rôle dans cette histoire. De Retz ne va cesser d’intriguer et de changer de camp, l’ambitieux n’ayant en fait qu’une obsession : le chapeau de cardinal.

Cette guerre sera l’occasion de multiples volte-face de la part des Grands. Pour l’heure et après la journée des Barricades du 27 août 1648, l’ordre est rétabli à Paris - de façon provisoire. La régente s’est réfugiée avec toute la cour à Rueil. Mazarin a cédé au Parlement et rappelé les intendants (symbole de l’absolutisme royal).

« Toujours pour moi à l’avenir, toujours contre moi dans le présent. »789

ANNE d’AUTRICHE (1601-1666), à Gaston d’Orléans. Mémoires du cardinal de Retz (posthume, 1717)

Parfaite définition de son interlocuteur ! La reine se plaint à Monsieur (Gaston d’Orléans, calamiteux frère du roi) qui s’engage pourtant à prendre sa défense devant le Parlement. Mais elle n’est pas dupe : son beau-frère lui promet toujours d’être dans son camp, alors qu’il complote sans cesse avec les frondeurs – conduite d’autant moins pardonnable qu’il a été nommé lieutenant général du royaume.

« Louis XIV le reçut comme un père et le peuple comme un maître. »796

VOLTAIRE (1694-1778) évoquant le retour de Mazarin, 3 février 1653. Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire

C’est la fin de la Fronde qui a duré cinq ans. Le roi, majeur depuis deux ans, va laisser le cardinal gouverner la France jusqu’à sa mort, en 1661. Il va apprendre son royal métier auprès de son Premier ministre et tuteur. Mais la Fronde, cette guerre civile de cinq ans qui aurait pu mener à la Révolution avec tous ses désordres lui servira de leçon… et son règne sera d’autant plus absolu.

« Sire, voici une demoiselle qui est bien fâchée d’avoir été méchante. Elle sera bien sage à l’avenir. »799

ANNE d’AUTRICHE (1601-1666), présentant au roi la Grande Mademoiselle (1658). Mémoires de Mlle de Montpensier

Bon sang ne saurait mentir. Mlle de Montpensier est la fille du Grand Monsieur, Gaston d’Orléans portant ce nom, depuis la naissance de « Monsieur » frère du roi Louis XIV. Elle s’est lancée dans la Fronde à cœur perdu, jusqu’à faire donner le canon de la Bastille contre les troupes royales (et Turenne) pour sauver son cousin Condé dont elle voudrait faire un mari ! De retour de son exil à Saint-Fargeau, la voilà enfin pardonnée. Mais elle ne sera pas « bien sage à l’avenir ».

Son extravagante conduite lui coûta sans doute un mariage avec Louis XIV - elle a certes onze ans de plus que lui, mais possède l’immense fortune des Bourbon-Montpensier. Madame de Sévigné consacrera au mariage de Mademoiselle avec Monsieur de Lauzun une de ses lettres les plus brillantes (en date du 15 décembre 1670).

« Si une fois vous prenez en main le gouvernail, vous ferez plus en un jour qu’un plus habile que moi en six mois, car c’est d’un autre poids, ce qu’un roi fait de droit fil, que ce que fait un ministre, quelque autorisé qu’il puisse être. »801

MAZARIN (1602-1661), Lettre à Louis XIV, 29 juin 1659. Les Annales conferencia, volume XIX (1925), Université des Annales

Ainsi le conseille-t-il deux ans avant sa mort, tout en continuant de l’initier à son métier de roi. Le conseil sera bien suivi par l’élève !

En attendant, le cardinal qui a tiré les leçons de la Fronde tient fermement le gouvernail : Parlements réduits au silence, interdiction à la noblesse de s’assembler (édit de 1657). En 1659, des assemblées secrètes de nobles se tiennent en certaines provinces. Le roi va sévir en personne dans le Midi. Il y a encore, entre eux deux, cette étonnante division du travail.

L’un des principaux acquis du « règne » de Mazarin sera la paix avec l’Espagne au traité des Pyrénées : le 7 novembre 1659, dans l’île des Faisans, sur la Bidassoa qui sert de frontière aux deux pays, Mazarin signe pour Louis XIV.

« Elle est digne de lui comme il est digne d’elle.
Des Reines et des Rois, chacun est le plus grand.
Et jamais conquête si belle
Ne mérita les vœux d’un si grand conquérant. »804

Jean RACINE (1639-1699), La Nymphe de la Seine (1660)

Le mariage entre Louis XIV et Marie-Thérèse est célébré le 6 juin 1660, avant l’entrée triomphale à Paris le 26 août.

Poète très courtisan, quand il écrit ainsi à la louange des jeunes époux, Racine n’exprime pas moins l’admiration et même la vénération des Français pour leur roi, image de Dieu sur Terre, par ailleurs fort bel homme et attendu comme un nouveau héros de leur histoire.

« Dieu merci, il est crevé. »806

Hortense MANCINI (1646-1699), Mémoires (posthume)

9 mars 1661. C’est le cri du cœur de la famille à la nouvelle de la mort du cardinal Mazarin, leur oncle.

La belle et spirituelle mazarinette ajoute : « À vrai dire, je n’en fus guère plus affligée ; et c’est une chose remarquable qu’un homme de ce mérite, après avoir travaillé toute sa vie pour élever et enrichir sa famille, n’en ait reçu que des marques d’aversion, même après sa mort. »

Règne personnel de Louis XIV (1661-1715)

« Non seulement il s’est fait de grandes choses sous son règne, mais c’est lui qui les faisait. »816

VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)

Pour cette raison, le Grand Siècle est bien le « siècle de Louis XIV ». Voltaire, en historien très documenté pour l’époque, traite des événements militaires et diplomatiques, insiste sur le développement du commerce et le rayonnement des arts et des lettres, mettant les affaires religieuses au passif du règne de ce « despote éclairé ».

« L’État, c’est moi. »807

LOUIS XIV (1638-1715). L’État baroque : regards sur la pensée politique de la France du premier XVIIe siècle (1985), H. Méchoulan, E. Le Roy Ladurie, A. Robinet

Mot réputé apocryphe, souvent cité, qui reflète la réalité de tout le règne et fut réellement prononcé avant même le début du règne personnel, selon l’historien Louis Madelin (La Fronde).

Louis XIV vient d’être sacré roi à Reims (1654), mais Mazarin exerçait toujours le pouvoir. À sa demande, le roi signe divers édits financiers pour renflouer le Trésor et poursuivre la guerre contre l’Espagne. Certains magistrats du Parlement de Paris en discutent la légalité. Or, il faut à tout prix éviter une nouvelle fronde parlementaire.

Louis XIV, en costume de chasse, se rend devant le Parlement réuni en lit de justice : « Chacun sait combien ces assemblées ont excité de troubles dans mon État et combien de dangereux effets elles y ont produits. J’ai appris que vous prétendiez encore les continuer sous prétexte de délibérer sur les édits qui ont été lus et publiés en ma présence. » Le président invoque l’intérêt de l’État dans cette affaire, et le roi le fait taire, en affirmant : « L’État, c’est moi » (13 avril 1655). Il a 16 ans.

« Nous sommes la tête d’un corps dont les sujets sont les membres. »808

LOUIS XIV (1638-1715), Mémoires pour l’instruction du Dauphin (1662)

Louis XIV, plus qu’aucun roi, incarne le pouvoir et s’identifie à la France. On trouve cette notion très physique et même sensuelle de la royauté chez Henri IV, mais le temps n’était pas encore venu de rendre effective la monarchie absolue.

« Ultima ratio regum. » « Dernier argument des rois. »817

LOUIS XIV (1638-1715), devise gravée sur ses canons

Concise et précise, la devise est une bonne citation historique. Celle-ci donne une clé de la politique extérieure du règne et du personnage. La guerre est l’une des passions du roi, la victoire étant ce qui peut le mieux servir sa gloire. D’où trente-trois années de guerre sur un règne personnel de cinquante-quatre ans. Ses contemporains sont du même avis : un roi guerrier fait son métier de roi.

Louis XIV va poursuivre trois buts qu’on nommerait aujourd’hui géopolitiques : prééminence de la France dans le monde, frontière stratégique assurée au nord-est, visées sur la prochaine succession d’Espagne.

Il se donnera les moyens de sa politique : grands diplomates (Lionne, Pomponne, de Torcy, le neveu de Colbert), réorganisation militaire conduite par Louvois, effectifs considérables pour une armée de métier (passant de 72 000 hommes en 1667 à 400 000 en 1703), marine de guerre développée par Colbert (La Royale a 18 vaisseaux en 1661, 276 en 1683), places fortes créées ou renforcées par Vauban.

« Nec pluribus impar. » « Supérieur à tous. »853

LOUIS XIV (1638-1715), sa devise

« Non inférieur (ou : inégal) à plusieurs (ou : au plus grand nombre) » – c’est littéralement intraduisible. On peut quand même essayer, en recourant à une litote.

D’autres traductions existent, signées d’historiens. Pierre Larousse, auteur du dictionnaire, pose la question et avoue qu’il n’y a pas de réponse claire, même pas celle de Louis XIV dans ses Mémoires : « Je suffirai à éclairer encore d’autres mondes. »

En tout cas, la devise latine accompagne l’emblème choisi lors de la fête du Carrousel, en juin 1662 : le Soleil. Ainsi se développe une mystique d’origine divine, mais en réalité bien païenne du « Roi-Soleil », personnage presque supraterrestre, dont le culte atteint son apogée avec l’installation de Louis XIV à Versailles en 1682.

« Il est Dieu, il faut attendre sa volonté avec soumission, et tout espérer de sa justice et de sa bonté, sans impatience, afin d’en avoir plus de mérite. »831

Duchesse de MONTPENSIER (1627-1693), Mémoires de Mlle de Montpensier

La Grande Mademoiselle, Anne-Marie d’Orléans, fille de Gaston d’Orléans, cousine germaine de Louis XIV, rescapée de la Fronde et de l’exil qui s’ensuivit pour elle, extravagante princesse, illustre bien l’adage : l’argent ne fait pas le bonheur. On peut même dire que son immense fortune héritée de sa mère (Marie de Bourbon, duchesse de Montpensier) lui attire de nombreux prétendants et d’innombrables ennuis en amour. Elle souffre également de voir la noblesse neutralisée, impuissante et humiliée sous le règne de Louis XIV.

« J’ai failli attendre. »848

LOUIS XIV (1638-1715). Dictionnaire de français Larousse, au mot « attendre »

On lui prête ce mot, souvent cité, jamais « sourcé ». La duchesse d’Orléans, dans ses Mémoires, rapporte seulement que le roi ne peut souffrir qu’on le fasse attendre. Ce qui est assez normal pour un homme si occupé, si minuté dans l’emploi de son temps, et roi, de surcroît.

« Avec un almanach et une montre, on pouvait, à trois cents lieues de lui, dire avec justesse ce qu’il faisait. »849

Duc de SAINT-SIMON (1675-1755), Mémoires (posthume)

Contraste frappant et paradoxe apparent, le roi si occupé se plaît à réduire tous les Grands à une inactivité dorée, mais forcée. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, resté dans l’histoire pour ses Mémoires (posthumes), fut un éternel frustré, n’ayant jamais le rôle politique qu’il rêvait de jouer.

« Les louanges, disons mieux, la flatterie, lui plaisaient à tel point que les plus grossières étaient bien reçues, les plus basses encore mieux savourées. »852

Duc de SAINT-SIMON (1675-1755), Mémoires (posthume)

C’est une des faiblesses de cet homme fort et un des petits côtés du grand homme que cette mauvaise langue de Saint-Simon se plaît à relever. L’orgueil inné en est la cause, la fonction royale développe ce penchant, l’attitude de la cour et des courtisans aggrave le cas.

« Il y a en lui de l’étoffe de quoi faire quatre rois et un honnête homme. »845

MAZARIN (1602-1661) à propos de Louis XIV. Mémoires du maréchal de Gramont (posthume, 1827)

Ministre tout-puissant de 1643 à 1661, Mazarin initia le jeune roi aux affaires après sa majorité (13 ans), d’où une solide formation politique, plus pratique que livresque. Le maître eut le temps d’apprécier son royal élève – qui aura le plus long règne de l’histoire de France : de 5 à 77 ans.
Après huit années d’apprentissage, âgé de 22 ans, le roi ne perd pas un jour pour appliquer ses leçons. Le « siècle de Louis XIV » commence vraiment avec le règne personnel qui va durer 54 ans.

Le « Qui a dit quoi de qui » nourrit une chronique où le roi est naturellement le personnage principal, auteur ou objet du portrait.

« Je résolus sur toutes choses de ne point prendre de Premier ministre […] rien n’étant plus indigne que de voir d’un côté toute la fonction et de l’autre le seul titre de Roi. »855

LOUIS XIV (1638-1715), Mémoires pour l’instruction du Dauphin (1662)

Le roi entreprend la rédaction de ce précieux document dès la première année du règne personnel, songeant déjà à l’éducation politique de son successeur et l’initiant, par l’exemple, au difficile métier de roi. Le Grand Dauphin, né cette même année 1661, meurt trop tôt pour régner, de même le Second Dauphin. C’est donc son arrière-petit-fils (Louis XV) qui en fera usage. Et c’est Voltaire, dans Le Siècle de Louis XIV, qui publiera le premier une partie de ces Mémoires.

L’autorité de Louis XIV est désormais sans partage : « Sans la donner entière à pas un », il donne sa confiance à quelques ministres bien choisis, « appliquant ces diverses personnes à diverses choses, selon leurs divers talents, [ce] qui est peut-être le premier et le plus grand talent des princes ».

Le roi garde les trois ministres de Mazarin, la « triade » expérimentée : Fouquet (Finances), Lionne (Affaires étrangères), Le Tellier (Guerre). Colbert, chaudement recommandé par Mazarin mourant, a charge d’enquêter sur la fortune du surintendant Fouquet. Cela va prendre quelques mois et le résultat sera le premier coup de théâtre du règne. En attendant…

« Mon frère, vous allez épouser tous les os des Saints Innocents. »856

LOUIS XIV (1638-1715), à son frère Philippe d’Orléans, fin mars 1661. Mémoires de Mlle de Montpensier

On le marie malgré lui à Henriette Anne d’Angleterre, fort maigre à cette époque où la mode est aux femmes bien en chair - elle s’épanouira joliment, l’amour du comte de Guiche aidant, et le roi lui-même le remarquera.

Mazarin s’est chargé d’éduquer Philippe d’Orléans de façon à affaiblir sa personnalité, pour éviter que Louis XIV ait avec lui les mêmes ennuis que Louis XIII avec son frère Gaston d’Orléans, l’éternel comploteur. Il l’a fait initier à l’homosexualité par son neveu Filipo Mancini, en flattant ses penchants innés pour les fards et les déguisements. Philippe fera néanmoins plusieurs enfants à ses deux femmes successives (la seconde étant Charlotte-Élisabeth de Bavière, princesse Palatine, mère du futur Régent). Et il se révélera l’un des meilleurs chefs militaires de son temps, au point que Louis XIV, jaloux, lui retirera tout commandement.

« Quo non ascendet ? »
« Jusqu’où ne montera-t-il pas ? »858

Nicolas FOUQUET (1615-1680), devise figurant dans ses armes, sous un écureuil

Il monta si haut… que le roi ne put le tolérer.

Fils d’un conseiller au Parlement, vicomte de Vaux, enrichi par le commerce avec le Canada, Nicolas Fouquet achète la charge de procureur général au Parlement de Paris, devient ami de Mazarin, surintendant des Finances, s’enrichit encore, se paie le marquisat de Belle-Isle, y établit une force militaire personnelle et même des fortifications. Au château de Vaux qu’il fait construire, il sera le mécène des plus prestigieux artistes du temps : La Fontaine, Molière, Poussin, Le Vau, Le Brun.

Colbert qui brigue sa place apporte la preuve qu’une telle fortune fut acquise au prix de graves malversations. Invité à une fête somptueuse à Vaux, 5 septembre 1661, Louis XIV fait arrêter son surintendant.

« La chute de ce ministre à qui on avait bien moins de reproches à faire qu’au cardinal Mazarin, fit voir qu’il n’appartient pas à tout le monde de faire les mêmes fautes. »859

VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)

Richelieu avant Mazarin et Colbert après Fouquet ont aussi profité de leur place dans l’État pour s’enrichir. Mais Fouquet voulut éblouir le roi qui voulait seul éblouir le monde. Prétention impardonnable.

Son arrestation est le premier acte politique du règne : Louis XIV prenant ainsi le pouvoir surprend tout son entourage. Et Colbert sera payé de sa première mission si bien remplie.

« Pro rege saepe; pro patria semper. »
« Pour le roi souvent ; pour la patrie toujours. »862

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), sa devise

Fils de bourgeois anoblis (drapiers de Reims), Colbert sera l’un des grands « commis de l’État » durant vingt-deux ans, sachant rester au second plan pour ne pas faire ombre au Roi-Soleil !

Homme de dossiers, mais aussi de clan et de famille, il place ses hommes et ses fils, marie ses filles à des ducs et lutte contre les intrigues du clan Le Tellier, notamment de Louvois, ministre de la Guerre.

Travailleur infatigable, il cumule les postes clés avec un ambitieux programme pour enrichir le pays : « Il faut rétablir ou créer toutes les industries, même de luxe ; établir le système protecteur dans les douanes ; organiser les producteurs et les commerçants en corporations ; restituer à la France le transport maritime de ses produits ; développer les colonies et les attacher commercialement à la France ; développer la marine militaire pour protéger la marine marchande. »

La France du XVIIe siècle doit son rayonnement international à Colbert. Une disgrâce royale imminente en fin de vie semble plus injuste aux historiens que son impopularité dans le pays.

« Fils de roi ; père de roi ; jamais roi ! »864

Horoscope de Louis de France. Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire

Le Grand Dauphin (Monseigneur) naît le 1er novembre 1661. Fils aîné de Louis XIV, il sera père de Philippe V roi d’Espagne, mais il meurt de la petite vérole à 50 ans, avant d’avoir pu accéder au trône.

Il n’est pas certain qu’il l’ait ardemment désiré, vu son caractère un peu mou et son éducation un peu rude. Il reporta toute la fierté de son sang royal sur son deuxième fils, le duc d’Anjou (les deux autres moururent jeunes), revendiquant l’héritage de la couronne d’Espagne sur laquelle sa mère Marie-Thérèse d’Autriche (infante espagnole) lui a donné des droits.

Les astrologues étaient régulièrement consultés en ces époques où superstition, sorcellerie et magie faisaient partie de la vie quotidienne – le Grand Siècle est en cela plus proche de la Renaissance que des Lumières. Mais jusqu’à la fin du XXe siècle, la classe politique restait une clientèle fidèle des devins, encore très sollicités.

« Tu trembles, carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais où je vais te mener ! »868

TURENNE (1611-1675) se parlant à lui-même, en 1667. Nouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral (1834), Pierre Maine de Biran

Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, s’apprête à reprendre du service vingt ans après sa brillante guerre de Trente Ans.

La guerre de Dévolution (dite aussi de Flandre ou des Droits de la Reine), première guerre de conquête, se prépare depuis le début du règne par un jeu d’alliances. À la mort de Philippe IV d’Espagne (1665), Louis XIV invoquant le traité des Pyrénées (1659) entend faire valoir les droits de sa femme sur les Pays-Bas (espagnols) : fille du roi d’Espagne, elle y a renoncé en épousant le roi de France, mais en échange d’une dot considérable, toujours impayée… Les victoires se succèdent, Louvois et Vauban ont bien préparé l’armée. En trois mois, cette année 1667, Turenne enlève la Flandre (dont Lille) à l’Espagne.

Autre version du mot de Turenne : il parlerait à son cheval Carcasse, avant sa dernière bataille, en 1675. De toute manière, c’est le mot d’un très courageux soldat de Louis XIII et Louis XIV, promu maréchal de France à 32 ans. Sa mort à 64 ans le rendra plus illustre encore.

« Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte. »873

BOSSUET (1627-1704), Oraison funèbre d’Henriette Anne d’Angleterre (1670)

Depuis dix ans, Bossuet est le prédicateur de la cour : des sermons par centaines, et une éloquence incantatoire dont Malraux, ministre de la Culture, retrouvera les accents et le lyrisme, trois siècles après.

L’éloge funèbre de Madame, femme de Monsieur, est un modèle du genre. Le frère du roi, Philippe d’Orléans, fut marié malgré lui à cette princesse anglaise, maigre comme « les os des Saints Innocents » (1661). La cour de France et l’amour de quelques amants (dont le roi) ont métamorphosé Henriette. Aussi belle que spirituelle, elle vit au-dessus des moyens d’une santé fragile : passion pour la chasse et la danse, intrigues, quatre maternités, scènes de jalousie de Monsieur qui voit sa femme dans les bras de son favori, le comte de Guiche…

On parla d’un empoisonnement, démenti après autopsie. En tout cas, la mort subite d’Henriette, à 26 ans, cause un émoi dont Bossuet donne un juste écho : « Le roi, la reine, Monsieur, toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré ; et il me semble que je vois l’accomplissement de cette parole du prophète : « Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d’étonnement. » »

« Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu’aujourd’hui, la plus brillante, la plus digne d’envie… »875

Marquise de SÉVIGNÉ (1626-1696), Lettre, 15 décembre 1670

Quelle « chose » déchaîne le talent de l’infatigable chroniqueuse du Grand Siècle dans la plus célèbre de ses lettres ? Tout simplement le mariage annoncé pour dimanche prochain de M. de Lauzun avec… « Devinez qui ? Mademoiselle, la Grande Mademoiselle ; Mademoiselle fille de feu Monsieur ; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV ; Mlle d’Eu, Mlle de Dombes, Mlle de Montpensier, Mlle d’Orléans, Mademoiselle, cousine germaine du Roi ; Mademoiselle, destinée au trône ; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur. » En fait, Mademoiselle n’épousera pas Lauzun ou du moins pas « dimanche prochain » comme annoncé. Le roi s’y oppose.

« Il est mort aujourd’hui un homme qui faisait honneur à l’homme. »883

Prince MONTECUCOLLI (1609-1680), rendant hommage à son ennemi Turenne, Salzbach (ou Sasbach), 27 juillet 1675. L’Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789 (1875), François Guizot

Après sa (première) victoire sur l’armée impériale du Saint-Empire à Turckheim, la foule accueille Turenne à Paris comme le libérateur du royaume. Comblé d’honneurs et toujours modeste, il souhaite se retirer à l’Oratoire, mais Louis XIV lui donne le commandement de la nouvelle campagne de 1675. Et à 64 ans, le maréchal de France retrouve son vieil adversaire Montecucolli : généralissime des troupes de l’empereur germanique, âgé de 66 ans et toujours combattant.

Deux mois durant, ils déploient leurs armées en grands tacticiens. Turenne semble avoir l’avantage et va passer à l’offensive… quand il est mortellement blessé par un boulet de canon, au cours d’une opération de reconnaissance. Il sera enseveli à la basilique de Saint-Denis – et transféré en 1800 aux Invalides, par Bonaparte admiratif.

Pardonné par Louis XIV après sa Fronde, sa traîtrise et sa condamnation à mort, le Grand Condé remplacera son plus ancien ami et adversaire, Turenne. De nouvelles victoires sur terre et sur mer (contre l’escadre hollandaise en Méditerranée) permettent à Louis XIV de traiter en position de force au congrès de Nimègue (1678-1679). Louis XIV le Grand, à l’apogée de son règne, apparaît comme l’arbitre de l’Europe.

« Toutes les fois qu’elle craignait quelque diminution aux bonnes grâces du Roi, elle donnait avis à ma mère afin qu’elle y apportât quelque remède. »885

Marie-Marguerite MONVOISIN (1658- ??), belle-fille (et complice) de la Voisin, parlant de Madame de Montespan. Le Drame des poisons (1900), Frantz Funck-Brentano

La Voisin (du nom de son mari, le sieur Monvoisin), née Catherine Deshayes, est connue dans le quartier Saint-Denis (lieu de tous les trafics) comme marchande de beaux effets pour nobles dames, mais aussi avorteuse. Elle va être au centre du plus grave fait divers faisant scandale au siècle de Louis XIV.

Accusée d’avoir pratiqué la sorcellerie et fourni des poisons, elle ne donne pas le nom de la maîtresse royale, mais sa belle-fille met en cause Mme de Montespan, la maîtresse de Louis XIV. Elle aurait donné au roi des « remèdes », en fait des aphrodisiaques peu ragoûtants (fœtus séchés, sperme de bouc, bave de crapaud, poussière de taupes desséchées, sang de chauve-souris, semence humaine et sang menstruel) qui ont ébranlé sa santé pourtant robuste. On parle aussi de messes noires où, dit-on, des enfants sont égorgés sur l’autel du diable.

L’affaire des Poisons allait compromettre trop de monde à la cour. Il suspend les interrogatoires. L’enquête publique est fermée, le roi fait brûler les dossiers, jetant lui-même au feu de la cheminée les pages compromettant son ex-favorite. La Chambre ardente aura siégé trois ans ! Au final, 36 condamnations à mort prononcées et appliquées.

La Voisin, main coupée, subit la question, avant d’être brûlée en place de Grève, le 22 février 1680 et la « fille Monvoisin » sera enfermée à la citadelle Vauban de Belle-Isle.

« Si j’avais fait pour Dieu ce que j’ai fait pour cet homme, je serais sauvé dix fois. »891

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), sur son lit de mort, parlant de Louis XIV, début septembre 1683. Mot de la fin. Histoire de la vie et de l’administration de Colbert (1846), Pierre Clément

Grand commis de l’État, il accomplit une tâche surhumaine, cumulant peu à peu les postes d’intendant des Finances, contrôleur général, surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures, secrétaire à la Maison du roi et à la Marine. Il dirigea et réglementa l’économie, réorganisa l’administration, géra les « affaires culturelles », encouragea le commerce défini comme « une guerre d’argent » et enrichit le pays au nom d’un mercantilisme qui fait loi – le colbertisme. Louis XIV lui doit, autant que la France, une part de cette grandeur dont il est si fier.

À la veille de sa mort (6 septembre 1683), le créateur du budget public (au sens moderne du mot) doit pourtant avoir un sentiment d’échec : les dépenses de l’État ne peuvent plus être équilibrées par les recettes, notamment à cause des dépenses militaires, et la cour parle d’une éventuelle disgrâce de Colbert, au profit de son rival, l’intrigant Louvois, ministre de la Guerre qui encourage le roi dans une politique extérieure toujours plus ambitieuse, aventureuse, bientôt ruineuse.

« Ci-gît l’auteur de tous impôts
Dont à présent la France abonde.
Ne priez point pour son repos
Puisqu’il l’ôtait à tout le monde. »892

Épitaphe (anonyme) de Colbert, 1683. Dictionnaire de la mort (1967), Robert Sabatier

Le peuple déteste souvent les ministres des Finances, mais Colbert, par sa rigueur, fut l’un des plus impopulaires sous l’Ancien Régime. La Mort de Colbert est le titre d’une chanson connue, en cette fin d’année 1683 : « Caron étant sur le rivage, / Voyant Colbert, dit aussitôt : / Ne vient-il pas mettre un impôt / Sur mon pauvre passage. » (Dans la mythologie, Caron avec sa barque permet aux âmes d’accéder au royaume des morts, mais il exige un péage, pour franchir le fleuve Styx.)

Les impôts accrus ou créés, indirects et particulièrement injustes au siècle de Louis XIV, ont causé des émeutes fiscales comme en 1675 : révolte du papier timbré, notamment en Bretagne. Autre raison d’impopularité : la fortune rapide de ce fils de bourgeois anobli, mal vu par les Grands et suspect au peuple.

« À force de vouloir paraître grand, vous avez failli ruiner votre propre grandeur. »893

FÉNELON (1651-1715), Les Aventures de Télémaque (1699)

Cette phrase de Mentor à Idoménée, c’est en fait Fénelon s’adressant à Louis XIV dans cette œuvre rédigée en 1695. Ce jugement sévère, malgré l’effet de style et la métaphore mythologique, s’applique bien à cette année 1683, tournant du règne.

Un excès de confiance en soi fait perdre au roi sa prudence et son sens inné de la mesure. Les ambitions territoriales et les continuelles provocations de Louis XIV (encouragé par Louvois) auront bientôt pour conséquence de coaliser au sein de la ligue d’Augsbourg toute l’Europe (sauf la Suisse) contre la France. Déjà les « réunions » ont révolté bien des populations depuis 1681 : voulant renforcer stratégiquement les frontières du royaume, Louis XIV se sert de l’imprécision juridique des traités pour annexer les « dépendances » des villes conquises. Stupeur, puis fureur des souverains concernés : roi d’Espagne, roi de Suède, empereur d’Allemagne.

« Le plus grand roi du monde, couvert de gloire, épouser la veuve Scarron ? Voulez-vous vous déshonorer ? »894

LOUVOIS (1639-1691), à Louis XIV qui lui fait part de son projet de mariage, 1683. Mémoires et réflexions sur les principaux événements du règne de Louis XIV (1715), marquis de la Fare

François Michel Le Tellier, marquis de Louvois, ose reprocher au roi son intention d’épouser Mme de Maintenon, veuve d’un bohème des lettres.

Sans ressources, la « veuve Scarron » était devenue gouvernante des enfants de Louis XIV et Mme de Montespan. La gouvernante supplanta la maîtresse. Après la mort de sa femme Marie-Thérèse (30 juillet 1683), le roi va écouter son cœur plutôt que son ministre préféré. Il épousera secrètement (en 1683 ou 1684) Mme de Maintenon qui ne pardonnera jamais à Louvois : il sera disgracié sur son intervention, après la chute de Mayence (en 1689).

Surnommée Sainte Françoise par Louis XIV (qui apprécie sa piété), mais aussi « Madame Quatorze » et « Madame de Maintenant », deux autres surnoms spirituels et appropriés, elle est détestée de la Palatine (mère du Régent et belle-sœur du roi) qui ne supporte pas cette femme bien-pensante, maîtresse du roi promue épouse et toujours plus influente : c’est « l’Ordure du roi, la Vieille touffe, la Ripopée, la Vieille conne, la Vieille guenon ».

« Un Prince qui a honoré la Maison de France, tout le nom français, son siècle, et pour ainsi dire l’humanité tout entière. »906

BOSSUET (1627-1704), Oraison funèbre de Louis de Bourbon (1686)

Ayant fini l’éducation du Dauphin (1670-1680), l’infatigable évêque a repris ses activités de prédication à Meaux. Il redevient grand orateur devant des auditoires mondains, en certaines occasions solennelles : la dernière sera la mort de son protecteur et ami, le prince de Condé.

On oublie sa Fronde et son alliance avec l’Espagne ennemie, pour ne plus rappeler que le jeune vainqueur de Rocroi et de Nördlingen avec Turenne, puis ses campagnes de Franche-Comté et d’Alsace au service de Louis XIV. Le Grand Condé, à l’inverse de Turenne mort à 65 ans au combat, acheva au même âge sa vie à Chantilly, entouré de poètes et d’écrivains (Boileau, Racine).

« Je ne me soucie pas qu’il m’aime, je me soucie qu’il m’épouse. »911

Mlle de BLOIS (1677-1749), lors de son mariage avec le futur Régent, Philippe d’Orléans, janvier 1692. Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France : depuis le XIIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe (1837), J. Michaud, J. J. F. Poujoulat

À 15 ans, Françoise-Marie de Bourbon, fille de Louis XIV et de sa maîtresse Mme de Montespan, ne s’embarrasse pas de sentiments ! L’abbé Dubois, précepteur de Philippe, l’a influencé en sa faveur, alors que sa mère, la princesse Palatine, outrée que le roi fît épouser à son neveu une bâtarde, lui est farouchement opposée.

« Mon fils, soyez bon Espagnol, mais n’oubliez jamais que vous êtes né Français. »923

LOUIS XIV (1638-1715), à son petit-fils, Philippe duc d’Anjou, avant son départ pour Madrid, 16 novembre 1700. Mémoires (posthume), Saint-Simon

Le mémorialiste rapporte le propos royal, mais dans une forme un peu moins concise que celle habituellement retenue : « Soyez bon Espagnol, c’est présentement votre premier devoir ; mais souvenez-vous que vous êtes né Français, pour entretenir l’union entre les deux nations : c’est le moyen de les rendre heureuses et de conserver la paix de l’Europe. » « Il n’y a plus de Pyrénées ! » conclut le roi quand son petit-fils devient Philippe V d’Espagne.  Un prince de son sang succède à l’ennemi héréditaire, dans un pays certes décadent, mais encore immense avec son empire. Depuis cette date, les Bourbons règnent sur l’Espagne, jusqu’au roi actuel Felipe VI (fils de Juan Carlos).

Philippe V est royalement accueilli par ses nouveaux sujets. Fier de ce succès (remporté sur l’empereur d’Allemagne qui voulait placer son second fils, l’archiduc Charles), Louis XIV, trop sûr de lui, va multiplier les imprudences. La guerre de Succession d’Espagne déchirera l’Europe à partir de 1702 et jusqu’en 1714.

« Quelle grâce de faire par pure vertu ce que tant d’autres femmes font sans mérite et par passion ! »928

Paul GODET des MARAIS (1647-1709), évêque de Chartres et directeur spirituel de la Maison de Saint-Cyr, confesseur de Mme de Maintenon, à sa pénitente. Lettres à Madame de Maintenon (éditées en 1778)

Épouse morganatique du roi, elle se plaint en 1704 de ce qu’il « lui donne le bonsoir » jusqu’à deux fois par nuit : elle a 70 ans, et lui 66.

Louis XIV le séducteur n’a plus de maîtresses et la religion l’occupe davantage, avec l’âge et sous l’influence de « sainte Françoise » (le surnom qu’il donne à sa femme, née Françoise d’Aubigné). Il garde pourtant un grand appétit de vie – malgré l’opération d’une fistule anale (novembre 1686), première d’une série d’interventions qui vont amener une certaine déchéance physique, voire mentale. Louis XIV continuera cependant de chasser, de manger, d’aimer, de régner jusqu’à l’extrême limite de ses forces.

« Louis, avec sa charmante,
Enfermé dans Trianon,
Sur la misère présente,
Se lamente sur ce ton :
Et allons, ma tourlourette
Et allons, ma tourlouron. »934

Louis avec sa charmante, chanson. Le Nouveau Siècle de Louis XIV ou Choix de chansons historiques et satiriques (1857), Gustave Brunet

La crise économique et sociale ronge le pays et même à la cour, les marchands exigent d’être payés comptant, pour livrer au roi le linge à son usage personnel !

Louis XIV, très éprouvé, trouve un réconfort moral auprès de Mme de Maintenon, mais il est de plus en plus conscient de la gravité de la situation. Il cherche à négocier la paix. Malheureusement, la coalition impose des clauses inacceptables (restitution ou démilitarisation de villes françaises).

« Accablé des plus funestes revers et d’une cruelle famine, hors de pouvoir de continuer la guerre, ni d’obtenir la paix […], ce prince vit périr sous ses yeux son fils unique, une princesse qui seule fit toute sa joie, ses deux petits-fils, deux de ses arrière-petits-fils. »940

Duc de SAINT-SIMON (1675-1755), Mémoires (posthume). 

Triste fin de règne, en contraste avec les temps si longtemps florissants du Grand Siècle.

La princesse en question est Marie-Adélaïde de Savoie, femme de l’aîné de ses petits-fils, le duc de Bourgogne. Les époux mourront de la rougeole à six jours d’intervalle en février 1712. Suivis un mois après par leur fils aîné, Louis, duc de Bretagne. Au terme de tous ces décès, l’héritier de la couronne sera l’arrière-petit-fils de Louis XIV, le futur Louis XV, né à Versailles le 15 février 1710.

« Mon enfant, vous allez être un grand roi. Ne m’imitez pas dans le goût que j’ai eu pour les bâtiments ni dans celui que j’ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager vos peuples, ce que je suis malheureux pour n’avoir pu faire. »943

LOUIS XIV (1638-1715), au futur Louis XV, 26 août 1715. Mémoires (posthume), Saint-Simon

Le roi reçoit le petit Dauphin dans sa chambre. Il lui donne une ultime leçon.

Le marquis de Dangeau, mémorialiste, nous a laissé un Journal de la cour de Louis XIV qui retrace avec minutie les derniers jours. Roi Très Chrétien, Louis XIV fait preuve d’autant de dignité que d’humilité. La guerre, entreprise et soutenue par souci de grandeur mais aussi par vanité, cause de la ruine des peuples, semble être son grand remords.

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