Si Paris nous était conté... (de la Révolution à nos jours) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Relevons le défi, en quelque 250 citations et deux éditos de la Gaule à nos jours, la Révolution servant souvent de césure à nos chroniques. Les élections municipales sont un bon prétexte pour évoquer l’histoire cette ville capitale et de son maire.

Destination la plus populaire au monde, Paris bat son record de fréquentation en 2017 : 23,6 millions d’ « arrivées hôtelières » (devant Londres, Rome et New York). Son passé historique, ses monuments et ses musées, son art de vivre expliquent cet attrait.

Paradoxe étonnant, cette ville symbole de l’ordre (royal ou républicain) dans une France très centralisée est la source permanente des émeutes, révoltes, révolutions et autres journées des Barricades : « Paris n’est Paris qu’arrachant ses pavés ».

Paris se retrouve au rendez-vous des périodes tragiques : Saint-Barthélemy (1572), Révolution, siège de 1870 et Commune de 1871, résistance et Libération, Mai 68. La Fronde (1648-1653) mérite aussi d’être contée.

La ville capitale est concurrencée par des rivales épisodiques, choisies (le Versailles de Louis XIV, mais aussi Soissons sous Clovis, Aix-la-Chapelle sous Charlemagne, les villes à château du Val de Loire sous la Renaissance) ou imposées par les guerres (Bourges avec la Guerre de Cent Ans, Bordeaux, Vichy, Versailles suite à la Commune, même phénomène au XXe s).

Reste la concurrence séculaire entre Paris et province, au fil des alternances de civilisation. Paroxysme révolutionnaire et tragique : la lutte entre Jacobins et Girondins. Mais les Républiques à venir seront aussi centralisatrices que la monarchie d’Ancien Régiume. D’où la « macrocéphalie » dont Paris souffre comme la province.

Capitale culturelle depuis le Moyen Âge et la Renaissance, capitale politique et administrative incontestée depuis Philippe Auguste (Capétiens), Ville Lumière depuis le XVIIe, mondaine et philosophique au siècle des Lumières, métamorphosée par l’urbanisme du préfet Haussmann au Second Empire, lieu des Expositions universelles vitrines de la France à la fin du XIXe, Paris bénéficie d’une politique de Grands Travaux sous Mitterrand.

Signalons enfin le cas particulier du maire de Paris : « prévôt des marchands » depuis le Moyen Âge (Étienne Marcel en révolte contre le pouvoir royal), premier maire sous la Révolution (désigné par acclamation ou nommé), réapparu en 1870-1871 (siège de Paris et Commune), il réapparaît sous la Cinquième, maire élu depuis 1977 avec les trois mandats successifs de Jacques Chirac.

Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.

 

La Révolution

Essentiellement parisienne, presque toutes les citations venant de la capitale : Assemblée nationale, clubs politiques, journaux populaires, Commune de Paris, Tribunal révolutionnaire, mots de la fin des condamnés à l’échafaud… et peuple (des sans-culottes) qui manifeste en chansons ou en cris. Paris élit un maire qui fait (ou non) autorité. L’opposition Paris-Province culmine avec le combat des Montagnards (centralisateurs et jacobins) contre les Girondins (de Gironde et autres départements).

Liberté, Égalité, Fraternité.1266

Antoine François MOMORO (1756-1794), slogan révolutionnaire

Libraire imprimeur à Paris, « premier imprimeur de la liberté », il se prétend inventeur de cette devise. En tout cas, c’est lui qui obtient de Pache, maire de Paris de février 1793 à juillet 1794, qu’elle figure sur les façades des édifices publics.

Remarquons au passage que le maire de Paris est, si l’on peut dire, une « création et une créature révolutionnaire ». Le premier, Jean-Sylvain Bailly, est désigné au lendemain de la prise de la Bastille, pour remplacer Jacques de Flesselles, (dernier) prévôt des marchands assassiné (successeur lointain d’Étienne Marcel). Bailly finira guillotiné sous la Terreur. Il est remplacé en juillet 1792 par Pétion de Villeneuve, suspendu, puis rétabli, qui démissionne vite. Deux successeurs démissionneront plus vite encore de ce poste à haut risque, dans cette période fatale à tant d’hommes politiques.

« De la première page à la dernière, elle [la Révolution] n’a qu’un héros : le peuple. »1273

Jules MICHELET (1798-1874), Le Peuple (1846)

Le peuple, c’est naturellement le peuple de Paris, meneur de la Révolution et retrouvant le premier rôle dans les « événements » qui vont changer la France.

Michelet, fils d’un imprimeur ruiné par le régime de la presse sous le Consulat et l’Empire, connaît la misère dans sa jeunesse et en garde un profond amour du peuple. Écrivain engagé dans les luttes de son temps riche en révolutions d’un autre style, manifestant contre la misère des ouvriers, il composera dans l’enthousiasme son Histoire de la Révolution française : dix ans et sept volumes pour une œuvre inspirée, remarquablement documentée. Les plus belles pages de son œuvre maintes fois rééditée, ici mentionnée sous le terme générique d’« Histoire de France ».

« Nous sommes le premier de tous les Français qui écrivîmes contre la Révolution avant la prise de la Bastille. »1328

RIVAROL (1753-1801), Pensées inédites de Rivarol (posthume, 1836)

Monarchiste et rare humoriste de l’époque, c’est un homme d’ordre, il aurait pu écrire : « Oui à la Constitution, non à la chienlit. » La première pièce qui met en scène la prise de la Bastille est un vaudeville en un acte et en prose de Pellet-Desbarreaux, Le Champ de Mars ou la Régénération de la France, joué dans la région de Toulouse, en août 1789. Certaines sources situent même la création en mars : ce serait de la politique-fiction !

« La Révolution m’aurait entraîné, si elle n’eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d’une pique et je reculai. »1329

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

La tête « au bout d’une pique » est un classique de l’horreur révolutionnaire qui culmine dans certains quartiers populaires  de la capitale.

La « première tête » peut être celle du gouverneur de la Bastille, de Launay, massacré par le peuple le 14 juillet, lors de la prise du fort. Chateaubriand, 21 ans, réformé de l’armée, hésitant sur sa vocation, s’est essayé à la vie politique au début de l’année, en participant aux États de Bretagne (assemblée provinciale). Présent à Paris au début de la Révolution, il est très choqué par cette violence « cannibale ».

Représentatif de sa classe, il écrit aussi : « Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d’admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste. »

« Mais c’est une révolte ?
— Non, Sire, c’est une révolution ! »1333

Réponse du duc de la ROCHEFOUCAULD-LIANCOURT (1747-1827), à Louis XVI (1754-1793), réveillé le soir du 14 juillet, à Versailles. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Le grand maître de la garde-robe s’est permis de se manifester dans la nuit versaillaise, pour informer le roi qu’à Paris, la Bastille est prise et le gouverneur assassiné. Mieux que son maître, il a compris l’importance symbolique du fait. Ce bref dialogue résume la situation.

« Voici une cocarde qui fera le tour du monde. »1336

LA FAYETTE (1757-1834), 17 juillet 1789. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Nommé le 15 juillet commandant de la garde nationale, La Fayette prend la cocarde bleue et rouge aux couleurs de Paris, y joint le blanc, couleur du roi, et présente cette cocarde tricolore à Louis XVI, venu « faire amende honorable » à l’Hôtel de Ville de Paris. Le roi met la cocarde à son chapeau et, par ce geste, reconnaît symboliquement la Révolution.

« Mes amis, j’irai à Paris avec ma femme et mes enfants : c’est à l’amour de mes bons et fidèles sujets que je confie ce que j’ai de plus précieux. »1355

LOUIS XVI (1754-1793), au matin du 6 octobre 1789 à Versailles. La Révolution française (1965), François Furet, Denis Richet

Le roi ne peut que céder à la foule – des milliers de Parisiens et Parisiennes amassés dans la cour du château de Versailles, criant : « À Paris ! À Paris ! » Il se rend à nouveau populaire, du moins il l’espère, d’autant plus que la foule fraternise avec les gardes. Il va quitter définitivement Versailles, pour regagner le palais des Tuileries, sa résidence parisienne.

L’Assemblée se réunit à 11 heures, sous la présidence de Mounier, bouleversé. Sur proposition de Mirabeau et Barnave, elle s’affirme inséparable du roi et décide de le suivre à Paris.

Un immense cortège s’ébranle à 13 heures : plus de 30 000 personnes. Des gardes nationaux portant chacun un pain piqué au bout de la baïonnette, puis les femmes escortant des chariots de blé et des canons, puis les gardes du corps et les gardes suisses désarmés, précédant le carrosse de la famille royale escorté par La Fayette, suivi de voitures emmenant quelques députés, puis la majeure partie des gardes nationaux et le reste des manifestants.

« Nous ne manquerons plus de pain ! Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. »1356

Cri et chant de victoire des femmes du peuple ramenant le roi, la reine et le dauphin, sur le chemin de Versailles à Paris, 6 octobre 1789. Histoire de la Révolution française (1847), Louis Blanc

Épilogue des deux journées révolutionnaires, 5 et 6 octobre. Les 6 000 à 7 000 femmes venues la veille de Paris crient victoire, car le roi a promis le pain aux Parisiens. En tant que « Père du peuple », le roi doit assurer la subsistance et le pain tient une grande part dans le budget des petites gens, d’où l’expression : boulanger, boulangère, petit mitron.

« Tant que les femmes ne s’en mêlent pas, il n’y a pas de véritable révolution », écrit Choderlos de Laclos en 1783 dans L’Éducation des femmes. Cela dit, la très symbolique marche des femmes a été encadrée au départ par des meneurs qui ont participé à la prise de la Bastille, trois mois plus tôt. On a vu des hommes armés de piques et de fourches et certains travestis en femmes, trahis par leur voix.

Le soir, à 20 heures, le nouveau maire de Paris Jean-Sylvain Bailly accueille le carrosse royal sous les vivats et les bravos du peuple. Quand Louis XVI peut enfin s’installer aux Tuileries, il n’imagine pas qu’il est désormais prisonnier du peuple parisien. Mais d’autres sont plus lucides.

« C’est une fête pour les Parisiens de posséder enfin le roi. »1357

MARAT (1743-1793), L’Ami du peuple, 7 octobre 1789

On pourrait croire à une forme d’humour, rare chez Marat. En réalité, le mot « posséder » doit être pris au premier degré. On pourrait même dire que le roi ne s’appartient plus, devenu le sujet de ses sujets, qui ne veulent plus, quant à eux, rester les sujets, mais exigent tous les pouvoirs.

Hormis le roi, les premiers perdants de ces journées sont les monarchiens qui rêvaient encore d’une constitution avec une monarchie forte.

« Du temps de la Fronde, Paris n’est encore que la plus grande ville de France. En 1789, il est déjà la France même. »1358

Alexis de TOCQUEVILLE (1805-1859), L’Ancien Régime et la Révolution (1856)

La prise de la Bastille a replacé d’un seul coup la capitale à la tête de la France et redonné au peuple parisien un grand premier rôle dans le psychodrame révolutionnaire. L’Assemblée constituante, qui a quitté Versailles et suivi la famille royale, siège à partir du 19 octobre à la salle du Manège, près du palais des Tuileries.

Le peuple de Paris remplit les tribunes de l’Assemblée, perturbe les séances, intervient dans les débats, allant même jusqu’à empêcher le vote de telle ou telle motion. Le même phénomène va se reproduire jusqu’en 1794.

« Moi, roi des Français, je jure […] de maintenir la Constitution. »1369

LOUIS XVI (1754-1793), Fête de la Fédération sur le Champ de Mars, 14 juillet 1790. Histoire de France depuis 1789 jusqu’à nos jours (1878), Henri Martin

Le jour anniversaire de la prise de la Bastille, toutes les provinces sont représentées à Paris par les délégations des gardes nationales, venues de la France entière : c’est la Fête de la Fédération. Une messe est célébrée par Talleyrand, l’évêque d’Autun qui a répété la scène, d’autant plus qu’il ne célèbre pas souvent. Heure solennelle, devant 300 000 personnes, alors qu’il murmure à l’abbé Louis (ou à La Fayette, selon les sources) : « Pitié, ne me faites pas rire ! » Mot apocryphe, selon Chateaubriand.

Quoi qu’il en soit de ces coulisses et des intentions réelles du roi, le pays peut encore rêver à une monarchie constitutionnelle. Sitôt qu’il paraît et qu’il parle, il semble que le pacte millénaire entre les Français et le Capétien se renoue. Tous ces provinciaux qui voient Louis XVI pour la première fois oublient ce qu’on a pu dire du « tyran ». Le peuple est le plus sincère de tous les participants à ce grand spectacle, criant spontanément : « Vive le roi, vive la reine, vive le dauphin ! »

« C’est une conjuration pour l’unité de la France. Ces fédérations de province regardent toutes vers le centre, toutes invoquent l’Assemblée nationale, se rattachent à elle, c’est-à-dire à l’unité. Toutes remercient Paris de son appel fraternel. »1370

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

L’historien de la Révolution voit en cette fête du 14 juillet 1790 le point culminant de l’époque, son génie même. C’est le jour de tous les espoirs et le peuple chante la plus gaie des carmagnoles :« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira / Le peuple en ce jour sans cesse répète, / Ah ! ça ira, ça ira, ça ira. / Malgré les mutins tout réussira […] Pierre et Margot chantent à la guinguette : / Ah ! ça ira, ça ira, ça ira. / Réjouissons-nous le bon temps viendra. »

« S’il est fait la moindre violence, le moindre outrage à leurs Majestés, le roi, la reine et la famille royale, s’il n’est pas pourvu immédiatement à leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, [les Majestés impériale et royale étrangères] en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion, et les révoltés coupables d’attentats aux supplices qu’ils auront mérités. »1419

Charles Guillaume Ferdinand de BRUNSWICK (1735-1806) Manifeste rédigé le 25 juillet 1792. Journal de Paris (1792)

Fait sous la pression des émigrés et sans doute aussi de Marie-Antoinette, connu à Paris le 1er août, « le manifeste du général prussien Brunswick […] était, avec ses menaces insolentes de détruire Paris, conçu dans les termes les plus propres à blesser la fierté des Français » (Jacques Bainville, Histoire de France).

« La fermentation est au comble, et tout semble présager pour cette nuit même la plus grande commotion à Paris. Nous sommes arrivés au dénouement du drame constitutionnel. »1422

ROBESPIERRE (1758-1794), Lettre à Couthon, 9 août 1792. Robespierre (1946), Gérard Walter

Et de conclure : « La Révolution va reprendre un cours plus rapide si elle ne s’abîme pas dans le despotisme militaire et dictatorial. » C’est bien vu : il écrit ces mots la veille du drame. Robespierre espérait encore une voie légale et constitutionnelle. Mais les sans-culottes parisiens supportent de plus en plus mal la monarchie, et préparent ouvertement une nouvelle « journée révolutionnaire ». Dans la nuit du 9 au 10 août, le tocsin sonne aux clochers de la capitale.

« Le peuple français est invité à former une Convention nationale […] Le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions. »1424

Législative, 10 août 1792. Collection générale des lois : décrets, arrêtés, sénatus-consultes, avis du Conseil d’État et règlements d’administration publiés depuis 1789 jusqu’au 1er avril 1814, Assemblée législative : mai- septembre 1792, volume III, n° 2 (1818)

Deux mesures prises par l’Assemblée qui ne fait que se survivre jusqu’à la prochaine Convention. Juridiquement, ce n’est qu’une suspension de plus ; politiquement, la Législative se saborde et le roi est déchu.

Le pouvoir est à la Commune de Paris, c’est la « Première Terreur », elle va durer six semaines : un tournant dans la Révolution, jusque-là modérée et libérale. Elle préfigure la dictature de la gauche jacobine et montagnarde.

La famille royale est transférée à la prison du Temple, trois jours après la journée révolutionnaire du 10 août : le roi déchu, son épouse Marie-Antoinette, sa sœur Madame Élisabeth, son fils le Dauphin et sa fille dite « Madame Royale » (seule survivante à la Révolution).

« Madam’ Veto avait promis
De faire égorger tout Paris.
Mais son coup a manqué
Grâce à nos canonniers.
Refrain
Dansons la carmagnole
Vive le son vive le son
Dansons la carmagnole
Vive le son du canon ! »1425

La Carmagnole (fin août 1792), chanson. Chansons populaires de France (1865), Librairie du Petit Journal éd

De parolier inconnu, cette Carmagnole est chantée sous les fenêtres du Temple où la famille royale est prisonnière. Monsieur Veto est aussi violemment apostrophé que sa femme. Adoptée par tous les patriotes, la Carmagnole aura de nombreuses parodies, comme la plupart des chants très populaires.

« Le peuple veut se faire justice lui-même de tous les mauvais sujets qui sont dans les prisons […] Je me fous bien des prisonniers : qu’ils deviennent ce qu’ils pourront ! »1431

DANTON (1759-1794), à Grandpré, collaborateur du ministre de l’Intérieur Roland. La Révolution française (1928), Pierre Gaxotte

Récemment nommé inspecteur des prisons, Grandpré l’informe du climat régnant dans la capitale et du danger couru par les prisonniers. Danton n’en a cure, et parle d’un « sacrifice indispensable […] pour apaiser le peuple de Paris. « Vox populi, vox Dei », c’est l’adage le plus vrai, le plus républicain que je connaisse. »

Quelques dizaines de sans-culottes font irruption dans les prisons parisiennes, la Conciergerie, l’Abbaye, Bicêtre. À la Force, la princesse de Lamballe, confidente de la reine, est dépecée par les émeutiers, sa tête plantée sur une pique promenée sous la fenêtre de Marie-Antoinette, prisonnière au Temple.

Les massacres du 2 au 6 septembre 1792 feront quelque 1 500 morts (sur 3 000 prisonniers). Des « droits commun » sont égorgés en même temps que les « politiques », nobles et prêtres.

« Respectables citoyens, vous venez d’égorger des scélérats ; vous avez sauvé la patrie ; la France entière vous doit une reconnaissance éternelle. »1432

Jean-Nicolas BILLAUD-VARENNE (1756-1819) aux massacreurs, 3 septembre 1792. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Parole de Jacobin, membre de la Commune insurrectionnelle de Paris. Il encourage les égorgeurs à se servir sur le butin et la dépouille des cadavres, offre à chaque égorgeur 24 livres et les encourage : « Continuez votre ouvrage, et la patrie vous devra de nouveaux hommages. »

Ce mouvement n’a pas touché la province, sauf lorsque des tueurs parisiens y furent envoyés (à Versailles, Meaux, Reims, Orléans, Lyon). Certains quartiers de Paris sont restés calmes. La même remarque vaudra sous la Grande Terreur. Billaud-Varenne, avocat au Parlement sous l’Ancien Régime, sera l’un des révolutionnaires les plus violents, redouté au Comité de salut public à Paris, mais aussi dans ses missions en province.

« Il faut que Paris soit réduit à un quatre-vingt-troisième d’influence comme chacun des autres départements. »1443

Marie David Albin LASOURCE (1762-1793), député du Tarn, Convention, 25 septembre 1792. Histoire politique de la Révolution française (1913), François-Alphonse Aulard

L’orateur parle au nom des Girondins et c’est une riposte aux Montagnards.

Députés venus assez nombreux de la Gironde et en majorité de la province, les Girondins sont partisans d’un régime fédéraliste. Ils s’opposent aux tendances centralisatrices des Montagnards : les chefs de ce parti mettent leurs espoirs sur les éléments révolutionnaires les plus avancés, qu’on trouve naturellement à Paris, dans la Commune insurrectionnelle et les sections des sans-culottes.

Rappelons que la France fut divisée en 83 départements par la Constituante, le 15 janvier 1790.

Lasource, élu à la Législative et réélu à la Convention, ancien pasteur protestant, est fidèle à ses principes plus qu’à un meneur ou un parti. Du côté des Montagnards partisans de la guerre, il refuse ensuite leur dictature, se rallie bientôt aux Girondins et mourra avec eux.

« Si jamais la Convention était avilie, si jamais par une de ces insurrections qui se renouvellent sans cesse, il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare au nom du peuple de la France entière, Paris serait anéanti ; bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé. »1503

Maximin ISNARD (1755-1825), Déclaration à une délégation de la Commune de Paris, 25 mai 1793. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Girondin, menacé, il menace à son tour. Ces mots, adressés à la délégation d’une Commune de Paris constituée d’extrémistes et devenue insurrectionnelle depuis le 10 août 1792, rappellent le Manifeste de Brunswick ! La déclaration d’Isnard se révélera aussi dangereusement maladroite.

« Ne craignez rien des départements, je les connais : avec un peu de terreur et des instructions, nous tournerons les esprits à notre gré. »1505

Jean Henri HASSENFRATZ (1755-1827), propos rapportés par Lanjuinais à la Convention, 30 mai 1793. Journal d’un bourgeois de Paris pendant la Terreur (1895), Edmond Biré

Autodidacte (charpentier), il réussit de brillantes études (physique, chimie), mais choisit d’entrer en politique avec la Révolution. Membre très écouté du club des Jacobins, il parle ici en meneur de la Commune de Paris et il ne voit que trop juste : la province ne bougera pas, à l’annonce de la proscription des Girondins. C’est lui qui demande leurs têtes, le 31 mai – cet acte lui sera reproché plus tard, mais sauvé par l’amnistie et renonçant désormais à l’engagement politique, il reprendra une carrière scientifique.

« Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort. »1516

Devise sur les flammes des drapeaux. Cahier noir (1944), François Mauriac

Elle apparaît fin juin 1793, alors que les armées de la République font face à la coalition des armées impériales et royales de l’Europe. Un peu plus tard, la devise sera gravée sur les bagues des drapeaux et remplacera la trilogie passée de mode : « La Nation, le Roi, la Loi ».

Elle apparaît aussi sur les murs de la capitale : le maire de la commune de Paris, Jean-Nicolas Pache, fait peindre cette devise. En province, d’autres villes suivent la capitale, mais l’injonction sera abandonnée progressivement avec la fin de la Révolution : elle évoquait plus la Terreur que la République.

« Oui ! Je tremble, mais c’est de froid. »1555

Jean-Sylvain BAILLY (1736-1793), mot de la fin, avant son exécution dont les préparatifs s’éternisent, 12 novembre 1793. Histoire de la Révolution française, volume II (1869), Louis Blanc

Ex-président de la Constituante et premier maire de Paris, élu au lendemain de la prise de la Bastille, c’est surtout un grand scientifique, astronome et mathématicien, membre de l’Académie des Sciences (1763), puis de l’Académie française (1783). La Révolution ne va pas épargner les savants.

Bailly attend au pied de l’échafaud, dans le froid et sous la pluie. Il paie de sa vie son refus de témoigner à charge au procès de Marie-Antoinette, ainsi que la fusillade du Champ de Mars (17 juillet 1791), considérée comme un crime contre le peuple. Son exécution était prévue au centre de l’esplanade, où trône l’autel de la Patrie. Mais le sang sacré des martyrs du peuple ne peut être mêlé au sang impie, en vertu de quoi l’on décide de transporter la guillotine et de la remonter dans un coin obscur de l’esplanade. Cela prend du temps et le condamné ne peut réprimer les tremblements de tout son corps. Un assistant du bourreau le remarque et se moque du vieil homme qu’il interpelle : « Tu trembles, Bailly ! » D’où la réponse.

« Fouquier-Tinville avait promis
De guillotiner tout Paris,
Mais il en a menti,
Car il est raccourci […]
Vive la guillotine
Pour ces bourreaux
Vils fléaux. »1617

La Carmagnole de Fouquier-Tinville, mai 1795, chanson. Chansons nationales et républicaines de 1789 à 1848 (1848), Théophile Marion Dumersan

La célèbre Carmagnole révolutionnaire se fait gaiement cruelle : le plus célèbre accusateur public est exécuté le 6 mai 1795, après 41 jours de procès devant le Tribunal révolutionnaire (réformé). À travers Fouquier-Tinville et 23 coaccusés, on juge aussi cette justice d’exception.

L’homme est convaincu « de manœuvres et complots tendant à favoriser les projets liberticides des ennemis du peuple […] et à exciter l’armement des citoyens les uns contre les autres, en faisant périr sous la forme déguisée d’un jugement une foule innombrable de Français, de tout âge et de tout sexe ». En dix-sept mois, il a obtenu la tête de quelque 2 000 condamnés, et parmi eux tous les grands noms de cette histoire.

Il se déclare « en butte à la calomnie » et se retranche derrière les lois : « Je n’ai été que la hache de la Convention ; punit-on une hache ? »

Ramené à la Conciergerie, la veille de son exécution, il écrit : « Je meurs pour ma patrie et sans reproche. Plus tard, on reconnaîtra mon innocence. » Ce dernier vœu ne sera pas exaucé. Mais Billaud-Varenne, Barère de Vieuzac, Collot-d’Herbois, Fouché lui-même ne sont pas moins coupables.

Directoire, Consulat, Empire

Paris fait la fête après les temps difficiles de la Révolution, mais Napoléon Bonaparte va mettre bon ordre et imposer son pouvoir à Paris dès le Consulat - en héritier des Lumières ou en promoteur d’un nouvel absolutisme ? L’empereur rêve d’en faire « la capitale du monde », mais il impose une censure qui ne dit pas son nom à toutes les formes d’opposition, politiques ou intellectuelles. Il se fait sacrer à Notre-Dame de Paris et recrée une vie de cour au château des Tuileries, centre du pouvoir. L’aventure finit mal, mais la légende commence, avant le retour des cendres aux Invalides. Et ses projets d’urbanisme inspireront la métamorphose de la capitale sous Napoléon III.

« La goinfrerie est la base fondamentale de la société actuelle. »1642

Louis-Sébastien MERCIER (1740-1814), Nouveau Paris (1799-1800)

Auteur dramatique connu avant la Révolution, il juge ainsi la bonne société du Directoire, essentiellement parisienne. Selon un policier, « le débordement des mœurs dépasse toute idée ».

La danse fait fureur : 645 bals à Paris, dont le bal des Zéphirs au cimetière Saint-Sulpice et le bal des Victimes, réservés aux parents d’un guillotiné. C’est le temps des « Muscadins » (le mot désignait sous la Révolution les jeunes royalistes lyonnais usant de riches parfums au musc). Sur les boulevards parisiens, on voit se pavaner les « Merveilleuses » (élégantes aux perruques de toutes les couleurs) et les « Incroyables » (excentriques à l’extrême). Ils s’étourdissent dans des fêtes coûteuses. C’est une réaction normale, après les années d’austérité et de terreur, mais ce beau monde est frelaté et le reste du pays souffre.

« Souvenez-vous que je marche accompagné du dieu de la guerre et du dieu de la fortune. »1679

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Conseil des Anciens, 19 brumaire an VIII (10 novembre 1799). Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Les députés des deux assemblées doivent voter la révision de la Constitution, mais le Conseil des Cinq-Cents est majoritairement contre. De crainte que le peuple parisien ne s’invite aux débats, les élus vont se réunir le lendemain au château de Saint-Cloud.

Bonaparte harangue les « Citoyens représentants ». Les Anciens ne réagissent pas, mais il est hué par les Cinq-Cents. Sa rhétorique menaçante rappelle les grandes heures révolutionnaires – et l’époque est révolue. On crie : « À bas le dictateur ! »

Lucien Bonaparte, qui préside l’Assemblée, sauve son frère défaillant, évacué de la salle par les grenadiers. Il invoque des menaces de mort, Murat fait donner la troupe, ses hommes chargent à la baïonnette, les députés se dispersent. Le coup d’État parlementaire est devenu militaire.

Dans la nuit, on rattrape le maximum possible des élus. Les Anciens et une minorité des Cinq-Cents votent enfin la révision, avec un gouvernement provisoire de trois consuls, Bonaparte, Sieyès et Ducos. Les deux Conseils (des Anciens et des Cinq-Cents) sont remplacés par deux commissions chargées de réviser la Constitution. Le « coup d’État du 18 Brumaire » a finalement réussi, le 19.

« Qu’y a-t-il dans la Constitution ?
— Il y a Bonaparte. »1697

Le mot circule dans Paris en 1800. Histoire socialiste, 1789-1900, volume VI, Consulat et Empire, Paul Brousse et Henri Turot, sous la direction de Jean Jaurès (1908)

On a compris que Bonaparte a l’essentiel du pouvoir : « La décision du Premier Consul suffit. » Les deux autres consuls n’ont qu’une voix consultative. Irresponsable devant les assemblées, il nomme ministres et fonctionnaires, a l’initiative des lois.

Le législatif est émietté en trois assemblées qui se neutralisent (Sénat, Tribunat, Corps législatif) et le suffrage universel escamoté. C’est un « sur-mesure institutionnel » pour le nouveau César – le mot de Consulat vient du droit romain, de même les sénatus-consultes, textes promulgués par le Sénat, autre souvenir de la République romaine.

« Bonaparte, très en colère de l’impassibilité de Paris, a dit à ses courtisans réunis : « Que leur faut-il donc ? » Et personne ne s’est levé pour lui dire : « La liberté, citoyen consul, la liberté ! » »1723

Mme de STAËL (1766-1817). Lettres inédites de Mme de Staël à Henri Meister (posthume, 1903)

C’est le genre de vérité que le « citoyen consul » et futur empereur ne saurait entendre.

Le traité (ou paix) d’Amiens, signé le 25 mars 1802, a mis fin aux guerres de la deuxième coalition. C’est la paix avec l’Angleterre qui se retrouvait trop seule à combattre. Dès les préliminaires de paix, Londres illumine en apprenant la signature. On crie « Vive Bonaparte ! » Alors que Paris reste calme (1er octobre 1801).

« Ce qui paraît est misérable ! cela dégoûte. »1758

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Journal : notes intimes et politiques d’un familier des Tuileries (posthume, 1909), Pierre-Louis Roederer

L’empereur a souvent ce mot, comme déjà le Premier Consul, déçu par la production littéraire de son temps. Il veut trop diriger la pensée des créateurs et des intellectuels. La plupart d’entre eux sont dociles, et les « best-sellers » d’une époque où les amateurs de romans et de poèmes abondent sont aujourd’hui illisibles. Les seuls grands talents seront des opposants au régime : Chateaubriand hostile à Napoléon après l’exécution du duc d’Enghien (1804), Mme de Staël, coupable d’être la femme la plus intelligente et la plus libre de son temps. Paradoxalement, le personnage de Napoléon Bonaparte inspirera des chefs-d’œuvre de la littérature française et mondiale.

Même pauvreté au théâtre. Le genre qui fait fureur sur les boulevards, c’est le mélodrame. Napoléon méprise le « mélo », il n’aime que le genre noble, la tragédie (à la Comédie-Française), mais aucun auteur ne peut rivaliser, même de très loin, avec les dramaturges du siècle de Louis XIV. Il a quand même trouvé son grand acteur, Talma.

Napoléon a plus de chance dans le domaine des beaux-arts. Peintre officiel sous la Révolution, David reste magnifiquement inspiré, dans le parcours imposé par le nouveau maître de la France : voir Le Sacre, chef-d’œuvre de l’école néoclassique.

« Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. »1799

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Pie VII, le jour du sacre en la cathédrale Notre-Dame de Paris, 2 décembre 1804. Napoléon a dit (1996), Lucian Regenbogen, préface de Jean Tulard

Le sacre se tient à Paris, non pas à Reims, comme de tradition pour les rois de France.

À peine couronné empereur des Français par le pape, il dévoile sa véritable ambition, le titre d’empereur d’Occident à la tête du Grand Empire. Le 7 septembre, résidant à Aix-la-Chapelle, il s’est recueilli devant le tombeau de Charlemagne, il a ordonné une procession solennelle avec tous les symboles impériaux (couronne, épée, main de justice, globe, éperons d’or).

« Il ne rêvait certainement pas d’un empire unitaire, mais d’une confédération d’États : il parlera, un jour, des États-Unis d’Europe » (Louis Madelin, Histoire du Consulat et de l’Empire : vers l’empire d’Occident).

« On va leur percer le flanc
En plain plan, r’lan tan plan […]
Ah ! que nous allons rire !
R’lan tan plan tire lire. »1808

Marche d’Austerlitz, 2 décembre 1805, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

On chante encore, sur l’air de la Prise de la Bastille qui a déjà servi à une plaisante bluette, sous Louis XV (À mon mari je suis fidèle). Les « timbres » populaires sont repris au fil des événements : seules les paroles changent, créant au fil des ans une histoire de France par la chanson.

Le jour anniversaire du sacre de l’empereur, les grenadiers montent à l’assaut : sur ordre de Napoléon redevenu chef militaire, la musique de chaque bataillon joue la chanson connue de chaque homme.

Selon le capitaine Coignet, soldat de la campagne d’Italie, chevalier de la première promotion de la Légion d’honneur en 1804, grognard à Austerlitz et admis dans la garde : « Les tambours battaient à rompre les caisses, la musique se mêlait aux tambours. C’était à entraîner un paralytique. » Il sera de toutes les guerres de Napoléon, enchaînant 48 batailles sans une blessure, et mourra nonagénaire, sous Napoléon III.

« Soldats, je suis content de vous. »1809

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Histoire de l’empereur Napoléon (1834), Abel Hugo

Abel Hugo est le frère aîné de Victor et leur père, général d’Empire, a participé à toutes les guerres de Napoléon. Cela explique en partie l’inspiration et la nostalgie impériales dans la famille. Au soir de la victoire, le général sait comme toujours trouver les mots pour ses troupes. Et pour l’heure, le plus simple est le plus vrai.

« Il vous suffira de dire : j’étais à la bataille d’Austerlitz, pour qu’on vous réponde : voilà un brave ! »1810

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin de la Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Faits mémorables de l’histoire de France (1844), Louis Michelant

Cette « bataille des Trois Empereurs » opposa les 65 000 hommes de Napoléon aux 90 000 hommes d’Alexandre Ier (Russie) et de François II (Saint Empire romain germanique). Le dieu de la guerre et de la fortune est avec Napoléon : le brouillard matinal cache ses mouvements à l’ennemi, et le soleil d’Austerlitz brille sur une suite de manœuvres tactiques hardies, et réussies – un classique, enseigné dans les écoles de guerre.

Le bronze des 180 canons ennemis sera fondu pour édifier la colonne Vendôme (inspirée de la colonne de Trajan, à Rome), au centre de la place du même nom, dans le Ier arrondissement au cœur de la capitale. Détruite sous la Commune de Paris et reconstruite, rebaptisée colonne d’Austerlitz, colonne de la Victoire, colonne de la Grande Armée, elle est classée au titre des Monuments historiques en 1992.

La victoire d’Austerlitz met fin à la troisième coalition. D’autres vont suivre.

« La liberté de la pensée est la première conquête du siècle. L’Empereur veut qu’elle soit conservée. »1811

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Le Moniteur, 22 janvier 1806

Précisons que c’est un journal très officiel… et il n’en reste pratiquement plus d’autres. Après les 1 500 périodiques nés au début de la Révolution, plus de 70 périodiques paraissaient encore à Paris sous le Directoire. Ils ne seront plus que 4 en 1811. En 1810, un seul journal par département – reproduisant les pages politiques du Moniteur, sous contrôle du préfet.

La liberté de pensée est réduite comme celle de la presse. Même les tragédies classiques, répertoire préféré de l’empereur, sont épurées : les habitués du Théâtre-Français, brochure en main, s’amusent à traquer les nouvelles coupes imposées par la censure impériale à Racine et Corneille. Les contemporains sont dociles. Sauf exception.

Chateaubriand est hostile au régime (depuis l’exécution du duc d’Enghien). Dans son discours de réception à l’Académie française, il veut faire l’éloge de la liberté. Napoléon le lui interdit. Mme de Staël est plus gravement persécutée : l’exil punit sa liberté d’expression.

« Je suis plus à l’aise sous la mitraille qu’entouré d’un essaim de jolies filles décolletées. »1825

Maréchal LEFEBVRE (1755-1820), à Talleyrand, confidence lors d’une soirée à la cour des Tuileries. Le Dictionnaire des citations du monde entier (1960), Karl Petit

La réflexion donne bien le climat de cette cour impériale, créée en même temps que l’Empire au palais des Tuileries…

L’étiquette, dictée par l’empereur, est stricte et quasi militaire, mais l’on y rencontre des personnages venus de toutes les couches de la société : bourgeoisie (Bernadotte, Berthier, Jourdan, Junot, Masséna, Soult) et peuple (Augereau, Carnot, Lannes, Lefebvre, Murat, Ney), mal à l’aise face à la vieille noblesse (Brissac, La Rochefoucauld, Montesquiou, Talleyrand) et aux dames. La « femme à Lefebvre » comme elle s’annonçait elle-même, servit de modèle à Victorien Sardou pour la populaire Madame Sans-Gêne.

« Il faut que je fasse de tous les peuples de l’Europe un même peuple et de Paris la capitale du monde. »1849

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin 1810, à son ministre Fouché. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin

Rêve européen, plus tenaillant que jamais. « Ma destinée n’est pas accomplie ; je veux achever ce qui n’est qu’ébauché ; il me faut un code européen, une Cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois… »

Les historiens s’interrogent encore aujourd’hui : impérialiste à l’état pur et avide de conquêtes, patriote français voulant agrandir son pays, ou unificateur de l’Europe en avance sur l’histoire ?

Napoléon s’identifie toujours à Charlemagne, mais le temps n’est plus à ce genre d’empire, les peuples sont devenus des nations, la Révolution de 1789 leur a parlé de Liberté. Il invoque un autre modèle historique : « Les Romains donnaient leurs lois à leurs alliés ; pourquoi la France ne ferait-elle pas adopter les siennes ? » Le Code Napoléon s’applique à tout l’Empire, depuis 1807. Et nombre de pays l’adopteront de leur plein gré.

Mais quand il parle ainsi à Fouché, c’est pour défendre son idée d’envahir la Russie. Fouché est contre cette campagne qui sera catastrophique. Il voit plus clair que l’empereur, qui ne lui pardonnera pas cette lucidité.

« Il était un p’tit homme
Qu’on appelait le grand […]
Courant à perdre haleine,
Croyant prendre Moscou,
Ce grand fou !
Mais ce grand capitaine
N’y a vu, sabergé, que du feu ! »1867

La Campagne de Russie (automne 1812), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Cette chanson se diffuse sous le manteau à Paris, tandis que commence la retraite de Russie d’octobre 1812. Le tsar accusa les Français d’avoir incendié Moscou. Sans doute se sont-ils contentés de piller la ville et d’achever ainsi de la détruire, après l’incendie qui aurait été ordonné par Rostopchine, gouverneur militaire. Il a fait évacuer la ville où ne restent que 800 prisonniers de droit commun, leur promettant la réhabilitation s’ils mettaient le feu.

« Ce diable de roi de Rome, on n’y pense jamais ! »1868

Nicolas FROCHOT (1761-1828), préfet de Paris. Mémoires de Madame de Chastenay (1896)

Le général Malet, opposant à Napoléon, arrêté en 1808, organise une conspiration. Interné avec des royalistes dans une maison de santé dont il s’évade dans la nuit du 22 au 23 octobre 1812, il fait courir le bruit de la mort de l’empereur devant Moscou. Paris y a cru un moment. Malet entraîne quelques troupes, libère des généraux républicains, improvise un gouvernement provisoire. C’est un quasi-coup d’État. Le général Hulin, commandant la place de Paris, lui résiste et Napoléon précipite son retour à Paris, laissant à Murat les débris de son armée. Malet est arrêté, fusillé le 29 octobre. Et tout rentre dans l’ordre.

Mais personne, pas même le préfet Frochot, n’avait pensé à crier : « L’empereur est mort ! Vive l’empereur ! » Cet oubli de son fils (l’Aiglon) atteignit Napoléon plus que la conspiration du général Malet. Frochot sera mis à pied pour cette faute.

« Fussé-je mort à Moscou, ma renommée serait celle du plus grand conquérant qu’on ait connu. Mais les sourires de la Fortune étaient à leur fin. »1870

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases

Au lieu de cela, Paris continue de chanter tout bas la cruelle chanson de La Campagne de Russie, durant la retraite de décembre 1812 : « Il était un p’tit homme / Qu’on appelait le grand […] / Sans demander son reste / Fier comme un César / De hasard / Dans cet état funeste / Napoléon le Grand / Fout le camp ! »

« Messieurs, une partie du territoire de la France est envahie ; je vais me lancer à la tête de mon armée et, avec l’aide de Dieu et la valeur de mes troupes, j’espère repousser l’ennemi au-delà des frontières. »1879

NAPOLÉON Ier (1769-1821), devant 800 officiers de la garde nationale, Salle des Maréchaux, château des Tuileries, 23 janvier 1814. Le Rêve inachevé (1990), Alain Lunel

L’empereur prend acte à Paris, dans la grande salle de son palais. La campagne d’Allemagne s’est terminée par le désastre de Leipzig (16 au 18 octobre 1813). Ce fut la « bataille des Nations » entre Napoléon (185 000 hommes) et les Alliés (300 000) : Autrichiens, Prussiens, Russes, auxquels se sont joints les Suédois sous le commandement de leur roi Charles XIV, alias Bernadotte, ancien maréchal de France que Napoléon a mis sur le trône de Suède.

Bilan : plus de 60 000 Français perdus (morts ou prisonniers) et l’obligation de reculer en deçà du Rhin.

« J’ai tout fait pour mourir à Arcis. »1883

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Caulaincourt, évoquant la bataille du 19 mars 1814. Mémoires du général de Caulaincourt, duc de Vicence, grand écuyer de l’empereur (posthume, 1933)

L’aveu est postérieur à la bataille. Plusieurs fois, Napoléon a tenté de se suicider, notamment à l’opium. Et chaque fois, il évoquait ce nom et regrettait cette mort qui se refusait à lui.

Le 19 mars 1814, l’épée à la main, il s’est jeté dans la mêlée à Arcis-sur-Aube, bientôt rejoint par sa Garde. La bataille est restée indécise face à Schwarzenberg, ex-ambassadeur d’Autriche à Paris, ex-allié de Napoléon pendant la campagne de Russie. Il commande à présent les armées alliées qui envahissent la France. L’étau se resserre autour de Paris.

« Les guerres de Napoléon ont divulgué un fatal secret : c’est qu’on peut arriver en quelques journées de marche à Paris après une affaire heureuse ; c’est que Paris ne se défend pas ; c’est que ce même Paris est beaucoup trop près de la frontière. »1884

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Le 30 mars 1814, c’est la bataille de Paris. Blücher occupe Montmartre et de ses hauteurs, bombarde la capitale. Moncey résiste héroïquement à la barrière de Clichy. Mais Marmont doit signer la capitulation en fin d’après-midi. Les Alliés entrent dans Paris le lendemain. Il y a quelques cris pour acclamer le roi de Prusse et le tsar de Russie. Napoléon s’est replié sur Fontainebleau.

« Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes. »1885

Général DAUMESNIL (1776-1832), aux Alliés assiégeant Vincennes, début avril 1814. Daumesnil : « Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes » (1970), Henri de Clairval

Volontaire sous la Révolution, général et baron d’Empire multipliant les actions d’éclat, surnommé Jambe de bois, il a perdu une jambe à Wagram (1809). Gouverneur du fort de Vincennes depuis 1812, il résiste au siège des troupes coalisées, alors que la capitale est aux mains des Alliés. Sa garnison se compose d’un millier de gardes nationaux et de 300 invalides, qu’il appelle « mon Jeu de quilles ». Un stock de munitions considérable (évalué à 80 millions de francs) fait du donjon une poudrière en puissance. La nuit du 30 au 31 mars, Jambe de bois et son Jeu de quilles ont raflé à Montmartre armes, munitions, chevaux, canons, pour les ramener à l’abri dans Vincennes. Les Alliés lui proposent enfin une forte somme pour sa reddition. D’où la réplique.

Il négociera la capitulation avec Louis XVIII, après l’exil de Napoléon.

En 1830, quinquagénaire vaillant, toujours gouverneur de Vincennes et toujours résistant, il répond aux menaces des assaillants : « Je me fais sauter avec le château et nous nous rencontrerons en l’air. »

« Dans la position où je suis [en 1814], je ne trouve de noblesse que dans la canaille que j’ai négligée, et de canaille que dans la noblesse que j’ai faite. »1887

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Napoléon (1921), Élie Faure

L’empereur déchu par des sénateurs qui lui devaient honneurs, titres, fortune, hésite encore à abdiquer, au château de Fontainebleau (Paris étant aux mains des Alliés). Un dicton court dans Paris : « Bientôt, il n’y aura en France qu’un Français de moins. » L’expression va resservir à la Restauration qui ramène le roi à Paris.

« Les Alliés ! Je vais les écraser dans Paris. Il faut marcher sur la capitale sans tarder ! »1888

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au château de Fontainebleau, 4 avril 1814. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Il lui reste des soldats qui défilent devant lui, chantant la Marseillaise et criant : « À Paris ! À Paris ! » Prêt à donner l’ordre de l’offensive, le général expose son plan devant les maréchaux qui espèrent seulement sauver l’Empire, avec le roi de Rome, et sont las de la guerre. L’empereur se résout à l’abdication.

Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

Le XIXe romantique cultive la légende napoléonienne popularisée par Hugo et Béranger, mais c’est surtout le siècle des révolutions, réussies ou ratées en Europe, et la France donne l’exemple : « Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés » va s’illustrer sous les trois régimes. La capitale se modernise tant bien que mal (avec retard sur Londres, sa grande rivale). L’apprentissage de la vie politique et de la démocratie est toujours chaotique… et tout se termine par un retour à l’Empire, avec Napoléon III.

« Enfin, v’la qu’je r’voyons à Paris
Ce fils de la victoire !
L’aigle remplace la fleur de lys,
C’est c’qui faut pour sa gloire.
De l’île d’Elbe en quittant le pays,
Crac ! Il se met en route.
En vingt jours, il arrive à Paris.
C’t’homm’-là n’a pas la goutte. »1929

Ot’-toi d’là que j’m’y mette, chanson de 1815. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Retour de Napoléon pour les Cent Jours, le plus étonnant come-back de l’histoire. Voilà l’un des couplets du chant des partisans de plus en plus nombreux : la magie impériale agit encore. Cependant qu’à Paris comme à Vienne, la réaction s’organise. Dès que la nouvelle touche la capitale, le 5 mars 1815, le comte d’Artois prend la route de Lyon. Le Journal des Débats stigmatise le traître, les anciens compagnons de l’empereur s’apprêtent à le combattre, avant de se rallier à lui, pour la plupart.

« Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé. »1982

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases

Ces mots figurent dans son testament, daté du 16 avril 1821. Il meurt le 5 mai 1821, après cinq ans de captivité à Sainte-Hélène, cinq ans d’humiliation de la part du gouverneur anglais Hudson Lowe.

« Peuple français, peuple de braves,
La liberté r’ouvre ses bras.
On nous disait : « Soyez esclaves »,
Nous avons dit : « Soyons soldats ».
Soudain Paris dans sa mémoire
A retrouvé son cri de gloire. »2026

Casimir DELAVIGNE (1793-1843), La Parisienne (1830), chanson. Recueil de chants patriotiques et guerriers dédiés aux braves Suisses qui prennent les armes pour défendre la patrie (1838), Bienne, imprimerie

Poète et auteur dramatique en renom, rival des romantiques sur la scène, mais libéral convaincu en politique, il écrit cette œuvre de circonstance aux accents révolutionnaires : la Parisienne fait écho à la Marseillaise. Une nouvelle révolution parisienne va faire chuter le régime.

« On parlera de sa gloire,
Sous le chaume bien longtemps […]
Bien, dit-on, qu’il nous ait nui,
Le peuple encore le révère, oui, le révère,
Parlez-nous de lui, Grand-mère,
Parlez-nous de lui. »1984

BÉRANGER (1780-1857), Les Souvenirs du peuple (1828), chanson. L’Empereur (1853), Victor Auger

L’une des plus belles et simples chansons de ce parolier très populaire, salué par Chateaubriand comme « l’un des plus grands poètes que la France ait jamais produits » et par Sainte-Beuve comme un « poète de pure race, magnifique et inespéré ».

Pierre Jean de Béranger contribue à nourrir la légende napoléonienne avec « la chanson libérale et patriotique qui fut et restera sa grande innovation » (Sainte-Beuve). Le souvenir de l’empereur sera bientôt lié à l’opposition au roi. La dynastie au pouvoir n’est pas si solide.

« La troupe fraternise avec le peuple.
— Eh bien, il faut tirer aussi sur la troupe ! »2027

Réponse du prince de POLIGNAC (1780-1847), chef du gouvernement, au chef d’escadron Delarue, 28 juillet 1830. Révolution française : histoire de dix ans, 1830-1840 (1846), Louis Blanc

Dès le 27 juillet, deux compagnies des troupes royales, bombardées de jets de pierre, sont passées aux émeutiers. Le 28, dans Paris hérissé de barricades, Marmont résiste encore, tant bien que mal, avec ses 10 000 hommes. Il reçoit enfin des ordres précis de Charles X, toujours à Saint-Cloud : concentrer ses troupes autour des Tuileries et du Louvre. Il abandonne aux insurgés tous les quartiers de l’est et du nord de Paris.

« La dernière raison des rois, le boulet. La dernière raison des peuples, le pavé. »2028

Victor HUGO (1802-1885), Littérature et philosophie mêlées (1834)

L’histoire de France est ponctuée de « journées des Barricades » à Paris – murailles vite improvisées, faites de pavés, de galets, de poutres, construites par le peuple pour barrer la route aux troupes organisées, chargées du maintien de l’ordre. La première Journée remonte à la Sainte Ligue (catholique) qui tenait Paris en 1588. En 1649, c’est la Fronde, où l’on a beaucoup joué avec les pavés. La Révolution de 1830 dépave à son tour les rues de Paris, durant ces Trois Glorieuses. Après l’insurrection républicaine de 1832, les pavés reprennent du service avec la Révolution de 1848. Vient ensuite la Commune de Paris en 1871, la plus sanglante guerre des pavés – Hugo sera encore témoin. Au XXe siècle, Paris vivra deux séries de journées où les rues se hérissent à nouveau de barricades et de pavés, qui font également projectiles : à la Libération en 1940, et en mai 1968. Entre les deux, la « semaine des Barricades » à Alger, en janvier 1960. Le pavé servira de moins en moins, les rues de Paris et de toutes les grandes villes étant recouvertes de macadam.

« Habitants de Paris ! Charles X a cessé de régner sur la France ! »2031

Proclamation de la Commission municipale, 30 juillet 1830. Bulletin des lois et ordonnances : publiées depuis la Révolution de juillet 1830, volume I (1849), Dupont éd

C’est un véritable gouvernement provisoire qui a été constitué par le banquier Laffitte et Casimir Périer. Seul suspense, qui va l’emporter, de la République ou de la branche orléaniste ?

« Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »2076

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Mot d’un populaire gamin de Paris, ainsi mis en situation : « Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre. »

Hugo immortalise dans ce roman la première grande insurrection républicaine sous la nouvelle Monarchie de Juillet, les 5 et 6 juin 1832. Une manifestation aux funérailles du général Lamarque (député de l’opposition) se termine en émeute, quand la garde nationale massacre les insurgés, retranchés rue du Cloître-Saint-Merri : barricades et pavés font à nouveau l’histoire et la une des journaux de l’époque.

« Tous deux sont morts. Seigneur, votre droite est terrible. »2079

Victor HUGO (1802-1885), Poème d’août 1832 (Napoléon II, Les Chants du crépuscule)

L’Aiglon, le fils de l’empereur, vient de mourir de tuberculose à 21 ans. Rappelons que Napoléon est mort à 51 ans, le 5 mai 1821, après cinq ans de captivité à Sainte-Hélène. La légende napoléonienne doit beaucoup au génie d’Hugo et à la comparaison inévitable avec le prochain maître de la France, Napoléon III, le Petit.

Louis-Napoléon Bonaparte se considère désormais comme le chef du parti bonapartiste, en tant que neveu de Napoléon Ier – même si l’infidélité notoire de sa mère, Hortense de Beauharnais, femme de Louis Bonaparte, roi de Hollande, poussa son père à nier sa paternité et à rompre avec Hortense, la très jolie belle-fille de Napoléon.

« Il nous semble que notre Paris, ce Paris dont on aime le mouvement, l’animation et le bruit, perdrait beaucoup de son charme, si les 50 000 voitures qui, tous les jours circulent à sa surface, n’en sillonnaient plus les rues, et se trouvaient en grande partie remplacées par des convois s’engouffrant dans les entrailles de la terre. »2090

Louis FIGUIER (1819-1894), L’Année scientifique et industrielle (1837)

Dans cette publication sous-titrée Exposé annuel des travaux scientifiques, des inventions et des principales applications de la science à l’industrie et aux arts, qui ont attiré l’attention publique en France et à l’étranger, le très sérieux vulgarisateur scientifique reconnaît que le réseau de chemins de fer souterrain proposés par M. Le Hir comporte d’admirables détails, ajoutant cependant qu’il menace la solidité des constructions parisiennes : « Ce travail de taupe ne s’accomplirait point sans de graves inquiétudes pour les 40 000 maisons et le million d’habitants dont se compose Paris. »

Il faut attendre la fin du siècle et les embouteillages monstres pour que le métropolitain soit reconnu d’utilité publique (loi de 1898) et que les travaux commencent. Figuier avait raison sur un point : des effondrements de terrain perturberont et endeuilleront les chantiers. Mais rien n’arrête le progrès et au XXe siècle, ce nouveau mode de transport urbain se révèlera indispensable, dans toutes les métropoles du monde.

Les premiers chemins de fer en surface vont s’imposer plus vite, quoique posant beaucoup d’autres problèmes.

« Il faudra donner des chemins de fer aux Parisiens comme un jouet, mais jamais on ne transportera ni un voyageur ni un bagage. »2091

Adolphe THIERS (1797-1877), aux frères Péreire demandant une aide financière, 1836. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Ces banquiers juifs ont transformé la France, inventant le capitalisme populaire et lançant le chemin de fer, avec la ligne Paris-Saint-Germain. L’inauguration a lieu le 24 août 1837, avec la première locomotive française (des usines Schneider). Le réseau ne sera vraiment organisé qu’en 1842 et 1 930 km seront construits en 1848.

Après la frayeur des premières années, c’est l’engouement du public et la modernisation indispensable à l’économie française, très en retard sur l’Angleterre.

On imagine mal la complexité de l’entreprise, son coût humain et financier. Les trains déraillant dans les virages, il faut tracer des lignes droites, dans une France agricole aux propriétés morcelées. Il faut creuser des tunnels sous les montagnes, lancer des ponts sur les rivières. Les compagnies de diligences font tout pour retarder ou saboter les travaux. Cependant que les chantiers créent un prolétariat qui ne retourne plus aux champs et se retrouve au chômage.

« Je ne me prosterne pas devant cette mémoire ; je ne suis pas de cette religion napoléonienne, de ce culte de la force que l’on veut substituer dans l’esprit de la nation à la religion sérieuse de la liberté. »2105

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), à l’occasion du retour des cendres de Napoléon, Discours à la Chambre, 26 mai 1840. La France parlementaire (1834-1851) : œuvres oratoires et écrits politiques, volume II (1864), Alphonse de Lamartine, Louis Ulbach

Les cendres de Napoléon sont rapportées de Sainte-Hélène par le prince de Joinville, fils de Louis-Philippe, sur la Belle-Poule, et transférées aux Invalides le 15 décembre 1840. Thiers, revenu à la tête du gouvernement le 1er mars 1840, à défaut de programme, flatte la vanité nationale, aussi répandue dans le peuple que dans la bourgeoisie, par cette décision prise au mois de mai. Le député Lamartine y est hostile, prophétisant le Second Empire – poète et politicien, il a souvent une étrange prescience de l’avenir.

« Partout on travaille activement aux barricades déjà formidables. C’est plus qu’une émeute, cette fois, c’est une insurrection. »2131

Victor HUGO (1802-1885), Choses vues, 24 février 1848 (posthume)

Lamartine, Dumas, Flaubert, Baudelaire, George Sand et beaucoup d’autres écrivains sont témoins, parfois acteurs, et enthousiastes. Hugo vit et vibre à ces nouvelles journées des Barricades, toujours aux premières loges – après les Trois Glorieuses de 1830 et l’insurrection républicaine de 1832, célébrée dans les Misérables.

Il note encore, en date du 24 : « Je fais une reconnaissance autour de la place Royale. Partout l’agitation, l’anxiété, une attente fiévreuse. »

Thiers a un plan, celui-là même qu’il appliquera contre les communards en 1871 : évacuer Paris, puis l’encercler, le reconquérir comme une place forte ennemie, avec une troupe de métier. Il dispose de 60 000 hommes pour écraser la révolution. Le petit homme entrerait dans l’histoire. Cela ferait naturellement des milliers de morts… Louis-Philippe ne peut s’y résoudre. Il faut une décision, alors que l’émeute gronde autour du palais des Tuileries.

« Aux journées de février 1848 comme aux journées de juillet 1830, la monarchie avait cédé presque sans résistance à l’émeute de Paris. Dans les deux cas, ce n’était pas seulement le roi qui avait abdiqué, c’était l’autorité elle-même. »2152

Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France (1924)

La brève histoire de la Deuxième République se résumera en une restauration de l’autorité, dans un pays encore très conservateur et rural, avec des sursauts républicains et révolutionnaires principalement à Paris, entraînant des réactions qui renforcent encore l’autorité. Jusqu’à ce que l’Empire s’ensuive.

« Demain, nous dresserons dans Paris autant de guillotines que nous y avons dressé d’arbres de liberté. »2165

Le chef des émeutiers (nom inconnu), 15 mai 1848. Choses vues (posthume), Victor Hugo

La foule envahit l’Assemblée, Hugo est témoin de cette manifestation : « On se figure la Halle mêlée au Sénat, cela dura trois heures. » Les mois de mai sont traditionnellement agités dans notre histoire. En 1848, le mouvement est organisé par les clubs révolutionnaires et les socialistes (Barbès, Blanqui, Cabet, Raspail). Point de départ : une manifestation de soutien aux patriotes polonais (dont le soulèvement a été écrasé dans le sang) regroupe des ouvriers des Ateliers nationaux, des émigrés politiques, des hommes de gauche qui n’ont pas la parole à l’Assemblée. La foule se précipite à l’Hôtel de Ville et veut la dissolution de l’Assemblée. Le coup de force échoue, les principaux instigateurs sont arrêtés et emprisonnés. Lamartine a tenté de rétablir le calme, par son éloquence.

« Les barricades sont contagieuses, c’est la tentation, la passion héréditaire de la population parisienne. »2168

LEDRU-ROLLIN (1807-1874). Les Révoltes de Paris : 1358-1968 (1998), Claude Dufresne

Avocat de journalistes condamnés après les insurrections républicaines sous la Monarchie de Juillet, député d’extrême gauche, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement provisoire de février-mars 1848, il se retrouve dans la nouvelle Commission exécutive (gouvernement très provisoire) de la Deuxième République – déjà bien ébranlée, faute de pouvoir satisfaire tous les espoirs mis en elle par le peuple !

15 mai, une manifestation dégénère en coup de force et tourne au coup d’État : 50 000 personnes envahissent l’Assemblée. Les meneurs républicains sont arrêtés et emprisonnés. Lamartine tente de rétablir le calme par son éloquence. Mais la France modérée s’effraie.

Le pouvoir doit faire face aux nouvelles journées du 23 au 26 juin 1848, suite à la fermeture des Ateliers nationaux, le 21 juin : bourgeois et rentiers s’exaspéraient de devoir financer ces « râteliers nationaux » où l’on pave, dépave et repave les rues pour rien. 110 000 travailleurs se retrouvent jetés sur le pavé de Paris. Les barricades commencent à l’est de la capitale, dans les quartiers populaires.

« Ce sont des amis éprouvés,
Crions tous : Vive les pavés ! »2169

Eugène PHILIPPE (XIXe siècle), Chanson en l’honneur des pavés (1848). Manuel d’histoire littéraire de la France : 1789-1848 (1973), Jean Charles Payen, Jean Claude Abramovici

Juin 1848. C’est encore et toujours « Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés » (Aragon). Cette Chanson en l’honneur des pavés fait écho au mot d’ordre des manifestants : « Du travail et du pain ».

Second Empire

Paris lui doit une spectaculaire métamorphose imposée à la population par Haussmann, préfet de la Seine ayant tout pouvoir et l’appui impérial. Comme pour le Versailles de Louis XIV, le coût est naturellement exorbitant. Autre joyau impérial au cœur du Paris haussmannien : l’Opéra de Charles Garnier, inauguré après quinze ans de travaux sous la Troisième République (1875), chef d’œuvre toujours vivant. La capitale profite du progrès technique et du réseau des chemins de fer en étoile. Mais l’armée française est défaite à Sedan (4 septembre 1870) et la nouvelle révolution parisienne met fin au régime.

« Qu’est-ce que Paris ? Qu’est-ce que la France ? Imaginez un champ. Au lieu de l’ensemencer dans toute son étendue, on s’est avisé d’entasser la semence en un point où elle risque de ne pas germer précisément parce qu’elle y est entassée. Ce champ, c’est la France, ce point, c’est Paris. »2241

Louis BLANC (1811-1882), Histoire de la révolution de 1848, volume II (1871)

Paris grandit, Paris s’embellit sous le Second Empire : Haussmann, préfet pendant dix-sept ans, déborde d’énergie et d’activité. On a pu le comparer à un maire qui aurait tous les pouvoirs - et la confiance de Napoléon III. Il taille et retaille la capitale à coups de pioches et de millions. Mais les témoins de l’époque n’admirent pas tous ces travaux et s’inquiètent – déjà – de l’excessive centralisation qui est un mal bien français.

L’afflux des ruraux là où le travail existe – dans les grands centres urbains et industriels – est encore facilité à Paris par le réseau de voies ferrées en étoile, qui toutes convergent vers la capitale. Ce n’est pas encore le « désert français » de 1945, mais les statistiques pouvaient affoler les observateurs : 547 000 habitants en 1801 à Paris, 1 054 000 en 1846, 1 800 000 en 1871 : « La centralisation, c’est l’apoplexie au centre, la paralysie aux extrémités » (Lamennais).

« Osman, préfet de Bajazet,
Fut pris d’un étrange délire :
Il démolissait pour construire,
Et pour démolir, construisait.
Est-ce démence ? Je le nie.
On n’est pas fou pour être musulman ;
Tel fut Osman,
Père de l’osmanomanie. »2258

Gustave NADAUD (1820-1893), L’Osmanomanie, chanson. Chansons de Gustave Nadaud (1870)

Texte en forme de conte, signé d’un poète chansonnier qui fait la satire du Second Empire, parfois interdite par le régime. Remarquons que ces formes de contestation sont signées, preuve que les auteurs courent moins de risques que jadis.

Nommé préfet de la Seine le 1er juillet 1853, le baron Haussmann voit grand et beau pour le Paris impérial. Il faut en finir avec le Paris de Balzac aux rues pittoresques, mais sales et mal éclairées, pour créer une capitale aussi moderne que Londres qui a séduit l’empereur, creuser des égouts, approvisionner en eau les Parisiens, aménager des espaces verts, loger une immigration rurale massive, percer de larges avenues facilitant l’action de la police et de l’artillerie contre d’éventuelles barricades. « Ce qu’auraient tenté sans profit / Les rats, les castors, les termites / Le feu, le fer et les jésuites / Il le voulut faire et le fit. / Puis quand son œuvre fut finie / Il s’endormit comme un bon musulman / Tel fut Osman / Père de l’Osmanomanie. »

On accuse le baron de sacrifier des joyaux anciens, d’avoir un goût immodéré pour la ligne droite et bientôt de jongler avec les opérations de crédit. L’« osmanomanie » va rimer avec mégalomanie.

« L’extrême rapidité des voyages en chemin de fer est une chose anti médicale. Aller, comme on fait, en vingt heures, de Paris à la Méditerranée, en traversant d’heure en heure des climats si différents, c’est la chose la plus imprudente pour une personne nerveuse. Elle arrive ivre à Marseille, pleine d’agitation, de vertige. »2282

Jules MICHELET (1798-1874), La Mer (1861)

Tous les progrès techniques ont commencé par susciter la peur ou le déni d’utilité. Le XIXe siècle, particulièrement riche en inventions, pourrait alimenter un étonnant bêtisier technologique. Le chemin de fer n’échappe pas à la règle et l’historien Michelet, ici témoin de son temps, se trompe en jouant les prophètes de malheur.

Rappelons aussi le mot de Thiers, en 1836 : « Il faudra donner des chemins de fer aux Parisiens comme un jouet, mais jamais on ne transportera ni un voyageur ni un bagage. »

Depuis le début du Second Empire, le réseau ferroviaire s’étend et rattrape enfin le retard pris sur l’Angleterre, première puissance industrielle. L’État fixe le tracé des voies et finance les infrastructures (terrassement, ouvrages d’art), concédant l’exploitation des lignes à de grandes compagnies privées, Compagnies de l’Ouest, du Nord, de l’Est, et le fameux PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) né en 1857, axe vital de 862 km. Facteur essentiel de l’aménagement du territoire, le réseau passe de 3 000 km en 1852 à 17 000 km en 1870. Il s’inscrit désormais dans le paysage français, et toute l’économie du pays en bénéficie.

Mais que d’inquiétudes, pour la santé des passagers ! Michelet, historien romantique, n’est pas seul à s’en émouvoir. Selon François Arago, polytechnicien, astronome et physicien, mort en 1853 et témoignant donc des tout premiers chemin de fer, « le transport des soldats en wagon les efféminerait » et les voyageurs sont mis en garde contre le tunnel de Saint-Cloud, qui peut causer « des fluxions de poitrine, des pleurésies et des catarrhes. »

À l’impératrice qui lui demande de quel style peut bien être ce projet d’Opéra pour Paris :
« C’est du Napoléon III, Madame. »2283

Charles GARNIER (1825-1898), 1861. Napoléon III et le Second Empire : l’aube des temps (1975), André Castelot

Un concours public est lancé pour l’édification d’un opéra digne du nouveau Paris haussmannien : 171 concurrents déposent un millier de dessins. Viollet-le-Duc, ami du couple impérial, est favori. Célèbre architecte de l’époque, il restaure à sa manière (très moderne) le patrimoine national des monuments historiques (châteaux et cathédrales du Moyen Âge, y compris Notre-Dame de Paris aujourd’hui à la une de l’actualité).

C’est un inconnu qui l’emporte, à l’unanimité du jury ! L’empereur s’incline, séduit par la maquette.

Les plus grands artistes, peintres, décorateurs, sculpteurs œuvrent pour le monument. Mais le chef-d’œuvre est bien signé Garnier, illustrant l’éclectisme en architecture : au lieu de se référer à un style unique, on dresse un répertoire des modèles les plus achevés, pour combiner les éléments issus des différentes époques et civilisations, en les adaptant à la réalité contemporaine. Ainsi, Garnier utilise les nouveaux matériaux pour leur aspect fonctionnel, mais à l’inverse des modernistes (tels Eiffel, Baltard), il dissimule le fer de la charpente sous le stuc et la pierre de taille.

« Cathédrale mondaine de la civilisation » selon Théophile Gautier, l’Opéra de Paris va fasciner le monde et sera « copié » une centaine de fois.

« Vive la Commune ! »2321

Cri des gardes nationaux, 4 septembre 1870

Nouvelle « révolution » parisienne, la troisième en quarante ans. Paris a appris la stupéfiante capitulation de l’armée française à Sedan. Le Corps législatif veut assurer le pouvoir, mais les députés républicains – qui ont applaudi à la défaite valant chute du régime – veulent la déchéance de l’empereur et de sa dynastie. Le 4, manifestation organisée par Blanqui, l’homme de tous les coups d’État, et Delescluze, déjà célèbre pour son opposition à l’Empire.

Le palais Bourbon est envahi. Léon Gambetta, sous la pression des forces populaires révolutionnaires, proclame la déchéance de Napoléon III, puis le même jour, à l’Hôtel de Ville, la République. Il faut parer au plus pressé, protéger le pays de l’invasion allemande : un gouvernement de la « Défense nationale » va être formé, sous la présidence du général Trochu. En fait, le régime a moins été renversé qu’il n’a disparu dans la tourmente de Sedan, et sans la moindre effusion de sang, à Paris. Place à la République !

Guerre franco-allemande et Commune de Paris

Dans un contexte de guerre déjà perdue, Victor Hugo de retour d’exil vit volontairement le siège de la capitale, avant d’être élu député dans l’Assemblée nationale retirée à Bordeaux (avant Versailles). Cependant que Paris donne l’exemple d’une résistance absolue sous la Commune (1871), vivant l’une des pages les plus sanglantes de notre histoire et créant un mythe fascinant autant que terrifiant. Vierge rouge et pasionaria des barricades, Louise Michel reste l’une de nos héroïnes les plus populaires.

« Citoyens, j’avais dit : le jour où la République rentrera, je rentrerai. Me voici ! »2335

Victor HUGO (1802-1885), de retour à Paris, gare du Nord, 5 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876), Victor Hugo

Après dix-neuf ans d’exil, il rentre, sitôt proclamée la République. Il a pris le train de nuit de Bruxelles, pour passer inaperçu. Peine perdue ! La foule l’attend. La renommée du poète proscrit a encore grandi. Il doit parler. C’est un orateur né pour le peuple, la tribune, les temps héroïques, la résistance : « Les paroles me manquent pour dire à quel point m’émeut l’inexprimable accueil que me fait le généreux peuple de Paris. […] Deux grandes choses m’appellent. La première, la république. La seconde, le danger. Je viens ici faire mon devoir. Quel est mon devoir ? C’est le vôtre, c’est celui de tous. »

« Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde. »2325

Victor HUGO (1802-1885), Pendant l’exil (écrits et discours de 1852-1870)

Le plus éloquent, le plus passionné des grands auteurs et acteurs témoins de leur temps écrit ces mots quand l’Empire le tient en exil. De retour à Paris dès que la République est proclamée, patriote et révolutionnaire, il les répète. Il parlera, agira, souffrira, écrira L’Année terrible (publiée en 1872).

Paris joue à nouveau le premier rôle dans cette page d’histoire de France, au risque de se perdre : refus de capituler devant l’ennemi, jusqu’au-boutisme révolutionnaire qui le coupe du reste de la France et le déchire intra-muros, martyre de cité deux fois assiégée, deux fois bombardée, par les Prussiens d’abord, les Versaillais ensuite.

« Paris va terrifier le monde. On va voir comment Paris sait mourir. Le Panthéon se demande comment il fera pour recevoir sous sa voûte tout ce peuple qui va avoir droit à son dôme. »2336

Victor HUGO (1802-1885), le 5 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876), Victor Hugo

Entre la gare du Nord et son domicile, la foule qui se presse l’oblige à prononcer quatre discours. Auteur immensément populaire, c’est aussi la conscience et la grande voix de la France. Il aura naturellement droit au Panthéon, après des obsèques nationales. C’est même en son honneur que l’église Sainte-Geneviève, au cœur du 5e arrondissement, retrouve cette vocation et cette inscription : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante. »

« Les Prussiens sont huit cent mille, vous êtes quarante millions d’hommes. Dressez-vous et soufflez sur eux ! »2340

Victor HUGO (1802-1885), 14 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876), Victor Hugo

Il encourage la France à la résistance : « Lille, Nantes, Tours, Bourges, Orléans, Dijon, Toulouse, Bayonne, ceignez vos reins. En marche ! Lyon, prends ton fusil… »

Le gouvernement a décidé de rester dans la capitale – pour l’honneur et parce que la province n’est pas favorable à tous ces révolutionnaires parisiens qui recommencent à (se) manifester ! Paris possède d’énormes réserves de nourriture (30 000 bœufs, 180 000 moutons) une véritable artillerie (700 pièces) et même une marine de guerre - « beaucoup d’hommes, mais peu de soldats » aux dires de Trochu, gouverneur militaire. De quoi tenir un siège.

Les Prussiens assiègent Paris (et Versailles) à partir du 19 septembre 1870 : deux armées de 180 000 hommes. Les « 300 000 fusils » français ne se pressent pas aux « fortifs », les soldats de la garde nationale préfèrent aller boire leur solde et jouer au bouchon. À la première attaque allemande, la débandade est immédiate : véritable sauve-qui-peut. Les onze du gouvernement de la Défense nationale sont déjà dépassés par les événements. Gambetta seul se bat – il faut affermir cette République qui n’a pour l’heure la caution que de Paris ! Le système D est bon pour ce jeune et vaillant ministre : les pigeons voyageurs, baptisés par lui « premier service de l’État », permettent les communications entre Paris assiégé et la province. Lui-même s’envole en ballon de la capitale le 7 octobre (au soulagement de ses vieux collègues), pour aller animer une résistance provinciale, organiser la levée en masse de 600 000 hommes – entre-temps, il est devenu ministre de la Guerre, en s’adjoignant Freycinet qui n’est malheureusement pas le meilleur des généraux.

« Cette affaire aura un bon côté, elle fera cesser la résistance de Paris et rendra la paix au pays. »2342

BAZAINE (1811-1888), 27 octobre 1870. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Commandant en chef de l’armée du Rhin, il s’est laissé bloquer dans Metz avec le meilleur des troupes françaises. En secret, il a pris contact avec l’impératrice pour tenter une restauration de l’Empire, tout en négociant avec les Allemands la sortie de son armée, « pour sauver la France elle-même », autrement dit échapper à la République et la révolution menaçante. Tout cela échoue et il capitule ce 27 octobre : reddition sans combat et sans condition de 173 000 prisonniers, 1 570 canons – Bazaine sera jugé et condamné pour trahison, en 1873.

La défection de Bazaine est un cadeau pour les Allemands : une partie des troupes ainsi libérée va foncer sur l’armée de la Loire qui tente de secourir Paris. Malgré tout, la résistance continue dans la capitale.

« La municipalité du XVIIIe arrondissement proteste avec indignation contre un armistice que le gouvernement ne saurait accepter sans trahison. »2343

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Affiche placardée le 31 octobre 1870. Clemenceau (1968), Gaston Monnerville

C’est l’entrée sur la scène de l’histoire d’un grand premier rôle : Clemenceau, le « Tigre » sous la Troisième République, puis le « Père la Victoire » de la prochaine guerre. Pour l’heure, il n’est que le maire du XVIIIe, arrondissement populaire.

Ce médecin vendéen de 30 ans a déjà participé à la journée révolutionnaire du 4 septembre. Avec les patriotes parisiens, il tente à présent de renverser « le Provisoire », gouvernement de capitulards aux projets de paix honteux - seul Gambetta croit encore à la victoire.

On apprend la capitulation de Bazaine à Metz, la prise du Bourget par les Allemands et les démarches de Thiers en vue d’un armistice. D’où cette nouvelle journée révolutionnaire.

Belleville descend et fait peur aux bourgeois des beaux quartiers : ses gardes nationaux marchent sur l’Hôtel de Ville où siège le gouvernement, quelques membres sont faits prisonniers. Mais le peuple ne suit pas, les gardes des autres quartiers s’interposent. Le gouvernement de la Défense nationale en appelle à la population de Paris le 1er novembre, et sera plébiscité le 3 novembre. Les élections municipales qui suivent amènent les « rouges » dans quatre arrondissements sur les vingt déjà existants. C’est peu. Paris semble s’assagir, après l’effervescence de septembre. Et Trochu, gouverneur militaire, répète : « J’ai un plan, j’ai un plan. » La situation devient quand même dramatique, dans Paris toujours assiégé.

« Je ne rentrerai dans Paris que mort ou victorieux. Vous pourrez me voir tomber, mais pas reculer. »2344

Général DUCROT (1817-1882), Proclamation aux soldats, 28 novembre 1870. Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Le général multiplie les actes de bravoure, sans grand résultat, et cette proclamation est restée l’exemple du genre. Il commande la IIe armée de Paris, aux abords de la capitale assiégée où les Parisiens vont « tenter une sortie » pour faire la jonction, mais sans s’aventurer trop loin des « fortifs ». Le général en chef va s’emparer de Champigny et décide, le 2 décembre, de faire rentrer ses troupes, mais l’héroïsme n’empêche pas la défaite, le 3 décembre : 8 000 soldats français y trouvent la mort, 5 000 allemands. Ducrot revint vivant, mais vaincu.

« Le gouverneur de Paris ne capitulera pas. »2345

Général TROCHU (1815-1896), Affiche du 5 janvier 1871. L’Empire et la défense de Paris devant le jury de la Seine (1872), Louis Jules Trochu

Serment du gouverneur militaire de Paris qui préside en même temps le gouvernement de la Défense nationale. Le moins qu’on puisse dire est qu’il fait preuve de passivité dans ce double rôle.

Alors que Gambetta, jeune tribun de choc, tente en vain de galvaniser la France profonde, aussi pacifiste qu’elle est peu républicaine, le vieux Thiers, envoyé en mission diplomatique par Jules Favre, fait la tournée des capitales européennes pour plaider la cause de la France contre la Prusse. Sans succès.

« Le grand Peuple de 89, qui détruit les bastilles et renverse les trônes, attendra-t-il dans un désespoir inerte que le froid et la famine aient glacé dans son cœur, dont l’ennemi compte les battements, sa dernière goutte de sang ! Non ! Réquisitionnement général. Rationnement gratuit… Place au peuple ! Place à la Commune ! »2346

Affiche rouge signée de 140 noms, 6 janvier 1871. Histoire de la révolution de 1870-71 (1877), Jules Claretie

L’Affiche rouge annonce résolument la couleur, alors que le bombardement de Paris par les Allemands commence.

La fièvre patriotique se double de la « folie du siège » (Georges Duby), un Comité central s’érige en délégation révolutionnaire, en appelle au peuple, reparle « Commune ». Mais Paris ne bouge pas : le temps n’est pas venu de l’explosion. C’est encore celui de la souffrance et d’une certaine apathie.

« D’vant l’boucher, d’vant l’boulanger,
On grelotte dans la rue :
Ni pain ni viand’ pour changer,
Mais quelqu’fois y’a d’la morue.
C’est dans l’plan de Trochu.
Refrain
Savez-vous l’plan de Trochu ?
Grâce à lui rien n’est fichu. »2348

Le Plan de Trochu, chanson (1871) - « œuvre collective des journalistes du Grelot ». Les Communards (1964), Michel Winock, Jean-Pierre Azéma

Paris trouve encore la force de rire et de chanter. Trochu, gouverneur de la capitale, est sa tête de Turc favorite, lui qui répète encore et toujours : « J’ai un plan, j’ai un plan. »

Rien moins que 30 couplets détaillent avec un humour parfois noir les misères quotidiennes des Parisiens. On voit aussi venir la défaite. « Le jour où Paris n’aura / Plus d’quoi nourrir une puce / S’disait chacun, l’on fera / Semblant d’se rendre à la Prusse / Ça doit être l’plan de Trochu. »

« Spectacle écœurant de la République vendue et livrée par des mains républicaines. »2351

Jules GUESDE (1845-1922), indigné par l’armistice signé le 26 janvier 1871. Encyclopædia Universalis, article « guerre »

Révolutionnaire marxiste (l’un des premiers en France), hostile à la guerre contre la Prusse, il n’en est pas moins révolté par les conditions de la trêve, signée à Versailles avec Bismarck.

Sans consulter Gambetta dont les armées ont accumulé les défaites, Jules Favre négocie avec l’ennemi dès le 22 janvier (nouveau jour d’émeute parisienne) et le 24, le chancelier Bismarck accepte la capitulation. L’armée de Paris (130 000 hommes) est déclarée prisonnière de guerre à Paris, et désarmée, mais la garde nationale conserve ses armes. Même si les fusils ne sont pas excellents, une ville en armes est une poudrière.

« Tous les esprits tournés vers la guerre, et cette lutte de cinq mois aboutissant à une immense déception, une population entière qui tombe du sommet des illusions les plus immenses que jamais population ait conçues. »2352

Jules FERRY (1832-1893). Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars (1872), Commission d’enquête sur l’insurrection du 18 mars, comte Napoléon Daru

Membre du gouvernement de la Défense nationale, c’est un témoin lucide de la situation.

La guerre prolongée sans espoir faisait craindre une prise de pouvoir révolutionnaire dans la capitale, mais la capitulation ôte toute crédibilité à ce gouvernement de la « défection nationale », cette « République des Jules » (Favre, Ferry, Simon et Trochu portent ce prénom en vogue).

« La ville de Paris est une personne trop puissante et trop riche pour que sa rançon ne soit pas digne d’elle. »2353

Otto von BISMARCK (1815-1898), le chancelier allemand qui fixe donc la « rançon » à au moins un milliard de francs, le 23 janvier 1871. Bismarck et son temps (1905), Paul Matter

Jules Favre, ministre des Affaires étrangères, propose 100 millions, ses collègues ont fixé la limite à 500, l’indemnité de guerre sera finalement de 200 millions pour Paris et cinq milliards de francs or pour l’ensemble de la France, au lieu de six, Thiers ayant négocié en bon bourgeois.

Le pays s’acquittera de cette dette considérable dès 1873, grâce à l’emprunt et à l’empressement des souscripteurs, les troupes allemandes évacuant alors le territoire. Mais ce n’est pas la clause la plus humiliante d’un armistice que la capitale va refuser de toutes ses forces bientôt combattantes et de nouveau révolutionnaires.

« Bismarck qui n’est pas en peine
D’affamer les Parisiens
Nous demande la Lorraine,
L’Alsace et les Alsaciens.
La honte pour nos soldats,
Des milliards à son service.
Refrain
Ah ! zut à ton armistice,
Bismarck, nous n’en voulons pas. »2354

Alphonse LECLERCQ (1820-1881), L’Armistice (1870), chanson. La Chanson de la Commune : chansons et poèmes inspirés par la Commune de 1871 (1991), Robert Brécy

Thiers et Favre ont cédé au chancelier allemand. Mais le peuple résiste si bien que les Prussiens n’entreront dans Paris qu’un mois après la capitulation de la capitale, signée avec l’armistice, le 28 janvier 1871.

« L’Assemblée refuse la parole à M. Victor Hugo, parce qu’il ne parle pas français ! »2357

Vicomte de LORGERIL (1811-1888), Assemblée nationale, Bordeaux, 8 mars 1871. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876), Victor Hugo

Ce député monarchiste, poète à ses heures, coupe la parole à l’élu de Paris en ces termes ! Hugo le républicain est déjà monté à la tribune pour condamner la paix infâme le 1er mars, pour déplorer que Paris soit décapitalisée au profit de Bordeaux, le 6. En cette séance houleuse du 8, il se fait insulter pour avoir défendu l’Italien Garibaldi, élu député d’Alger : il conteste l’invalidation de ce vieux révolutionnaire italien « venu mettre son épée au service de la France » dans la guerre contre les Prussiens. Hugo va démissionner et regagner Paris (pour enterrer son fils Charles, mort d’apoplexie).

La haine est terrible entre l’Assemblée monarchiste, pacifiste, et Paris où les forces révolutionnaires, remobilisées, refusent de reconnaître le pouvoir de cette « assemblée de ruraux » défaitistes.

« Le peuple de Paris veut conserver ses armes, choisir lui-même ses chefs et les révoquer quand il n’a plus confiance en eux. Plus d’armée permanente, mais la nation tout entière armée ! »2358

Comité central de la Commune, Manifeste à l’armée, 8 mars 1871. Cent ans de République (1970), Jacques Chastenet

Cette nième « Commune », qui n’est pas encore « la » Commune insurrectionnelle, commence ainsi son appel : « Soldats, enfants du peuple ! Les hommes qui ont organisé la défaite, démembré la France, livré tout notre or, veulent échapper à la responsabilité qu’ils ont assumée en suscitant la guerre civile. »

Thiers, chef du gouvernement, vient de supprimer la paye des gardes nationaux qui, toujours armés, se sont donné le nom de Fédérés – cette solde était la seule ressource des ouvriers mobilisés.

Une énorme pression révolutionnaire, avec une propagande encouragée par la liberté de la presse et des clubs, agite à nouveau la capitale : des rumeurs de Restauration courent - Chambord ou d’Orléans pourrait revenir au pouvoir !

« Nous ne voulons pas recevoir tous les quinze jours des révolutions par le chemin de fer et le télégraphe. »2360

Gabriel Lacoste de BELCASTEL (1820-1890), début mars 1871. Histoire de quinze ans, 1870-1885 (1886), Edmond Benoît-Lévy

L’Assemblée qui est à Bordeaux, le 10 mars, décide son transfert non à Paris, mais à Versailles, ville au passé royal – ce qui est pris comme une provocation par les républicains ! Belcastel, député légitimiste, résume l’idée que ses collègues se font de Paris : « le chef-lieu de la révolution organisée, la capitale de l’idée révolutionnaire ».

« Il n’y a qu’une solution radicale qui puisse sauver le pays : il faut évacuer Paris. Je n’abandonne pas la patrie, je la sauve ! »2361

Adolphe THIERS (1797-1877), aux ministres de son gouvernement, 18 mars 1871. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Thiers a décidé d’en finir : ordre est donné de désarmer les quelque 200 000 gardes nationaux organisés en Fédération et de récupérer les 227 canons qui ont servi à la défense de Paris contre les Prussiens, à présent regroupés à Montmartre et Belleville, quartiers populaires.

Les 4 000 soldats font leur devoir sans enthousiasme. La foule, les femmes surtout s’interposent. Deux généraux, l’un chargé de l’opération, l’autre à la retraite, mais reconnu, sont arrêtés, traînés au Château rouge (ancien bal de la rue Clignancourt, devenu quartier général des Fédérés), blessés, puis fusillés : Lecomte et Thomas. Clemenceau, maire du XVIIIe arrondissement et témoin, est atterré. « On ne connaîtra jamais les responsables de cette exécution sommaire : leur nom est la foule » (Georges Duby). C’est l’étincelle qui met le feu à Paris, insurgé en quelques heures.

hiers renonce à réprimer l’émeute – il dispose de 30 000 soldats face aux 150 000 hommes de la garde nationale et il n’est même pas sûr de leur fidélité. Il abandonne Paris au pouvoir de la rue et regagne Versailles, ordonnant à l’armée et aux corps constitués d’évacuer la place.

« Montmartre s’insurge contre le gouvernement du suffrage universel. Le gouvernement cesse d’être patient juste au moment où il fallait encore vingt-quatre heures de patience. Que se prépare-t-il pour l’histoire de France ? » (Le Siècle, 19 mars). Le quotidien commente les événements de la veille : les responsabilités sont partagées, dans cette insurrection du 18 mars qui consacre la rupture entre le Paris révolutionnaire et le gouvernement légal du pays.

C’est la première journée de la Commune (au sens d’insurrection) : la tragédie va durer 72 jours.

« Au nom du peuple, la Commune est proclamée ! »2363

Gabriel RANVIER (1828-1879), place de l’Hôtel-de-Ville, Déclaration du 28 mars 1871. Histoire socialiste, 1789-1900, volume XI, La Commune, Louis Dubreuilh, sous la direction de Jean Jaurès (1908)

Ranvier est maire de Belleville, ouvrier peintre décorateur, et disciple de Blanqui, l’éternel insurgé. Les élections municipales du 26 mars n’ont mobilisé que la moitié des Parisiens (230 000 votants), très majoritairement de gauche, beaucoup de gens des beaux quartiers ayant fui la capitale : 18 élus « bourgeois » refuseront de siéger à côté des 72 révolutionnaires, jacobins, proudhoniens, blanquistes, socialistes, internationaux.

Mais qu’est cette Commune ? Un conseil municipal de gauche, un contre-gouvernement élu, provisoire et rival de celui de Versailles, un exemple devant servir de modèle à la France ? La Commune se veut tout à la fois, mais ne vivra pas deux mois.

« Paris ouvrait à une page blanche le livre de l’histoire et y inscrivait son nom puissant ! »2364

Comité central de la garde nationale, Proclamation du 28 mars 1871. Histoire du socialisme (1879), Benoît Malon

En présence de 200 000 Parisiens, le comité central de la garde nationale s’efface devant la Commune, le jour même de sa proclamation officielle. Le lyrisme s’affiche : « Aujourd’hui il nous a été donné d’assister au spectacle populaire le plus grandiose qui ait jamais frappé nos yeux, qui ait jamais ému notre âme. » Le mouvement s’étend à quelques villes : Lyon, Marseille, Narbonne, Toulouse, Saint-Étienne.

« La révolution sera la floraison de l’humanité comme l’amour est la floraison du cœur. »2365

Louise MICHEL (1830-1905), La Commune, Histoire et souvenirs (1898)

Ex-institutrice, militante républicaine et anarchiste (prête à un attentat contre Thiers), auteur de poèmes et de théâtre, c’est d’abord une idéaliste comme tant de communards, et l’héroïne restée la plus populaire. Un quart de siècle après, elle fit revivre ces souvenirs vibrants et tragiques.

« Montmartre, Belleville, ô légions vaillantes,
Venez, c’est l’heure d’en finir.
Debout ! La honte est lourde et pesantes les chaînes,
Debout ! Il est beau de mourir. »2326

Louise MICHEL (1830-1905), À ceux qui veulent rester esclaves. La Commune (1898), Louise Michel

La Vierge rouge, pasionaria des barricades, appelle les quartiers populaires à l’insurrection, et jusqu’au sacrifice.

« Faisons la révolution d’abord, on verra ensuite. »2330

Louise MICHEL (1830-1905). L’Épopée de la révolte : le roman vrai d’un siècle d’anarchie (1963), Gilbert Guilleminault, André Mahé

La révolutionnaire anarchiste se retrouve sur les barricades dès les premiers jours du soulèvement de Paris : cause perdue d’avance, révolution sans espoir, utopie d’un « Paris libre dans une France libre » ? En tout cas, rien de moins prémédité que ce mouvement qui échappe à ceux qui tentent de le diriger, au nom d’idéaux d’ailleurs contradictoires.

Face aux Communards (ou Fédérés), les Versaillais se préparent, troupes commandées par les généraux Mac-Mahon et Vinoy. En plus des 63 500 hommes dont l’État dispose, il y a les 130 000 prisonniers libérés par Bismarck – hostile à tout mouvement populaire à tendance révolutionnaire.
Le 30 mars, Paris est pour la seconde fois ville assiégée, bombardée, et à présent par des Français.

Premiers affrontements, le 2 avril : bataille de Courbevoie. Les Fédérés (ou Communards) tentent une sortie de Paris pour marcher sur Versailles, mais sont arrêtés par le canon du Mont Valérien, fort stratégique investi par les Versaillais depuis le 21 mars : les rêveurs de la Commune qualifient les obus qui les écrasent de « choses printanières ». 17 tués (dont les 5 premiers fusillés de la Commune) et 25 prisonniers chez les Fédérés. Dans l’armée versaillaise, 5 morts et 21 blessés.

« C’est une guerre sans trêve ni pitié que je déclare à ces assassins. »2366

Général Gaston de GALLIFFET (1830-1909), 3 avril 1871. Histoire socialiste, 1789-1900, volume XI, La Commune, Louis Dubreuilh, sous la direction de Jean Jaurès (1908)

Galliffet a fait fusiller sans jugement 5 Fédérés prisonniers. « J’ai dû faire un exemple ce matin ; je désire ne pas être réduit de nouveau à une pareille extrémité. N’oubliez pas que le pays, que la loi, que le droit par conséquent sont à Versailles et à l’Assemblée nationale, et non pas avec la grotesque assemblée de Paris, qui s’intitule Commune. » Sa férocité lui vaudra le surnom de « Marquis aux talons rouges » ou « massacreur de la Commune ».

Cependant qu’à Paris, les clubs réclament la Terreur, veulent « faire tomber cent mille têtes », rétablir la loi des Suspects. On joue la mort de la peine de mort en brûlant une guillotine.

Premiers affrontements, le 2 avril : bataille de Courbevoie. Les Fédérés (ou Communards) tentent une sortie de Paris pour marcher sur Versailles, mais sont arrêtés par le canon du Mont Valérien, fort stratégique investi par les Versaillais depuis le 21 mars : les rêveurs de la Commune qualifient les obus qui les écrasent de « choses printanières ». 17 tués (dont les 5 premiers fusillés de la Commune) et 25 prisonniers chez les Fédérés. Dans l’armée versaillaise, 5 morts et 21 blessés.

« J’ai vu des prisonniers sanglants, les oreilles arrachées, le visage et le cou déchirés, comme par des griffes de bêtes féroces. »2367

Camille BARRÈRE (1851-1940), témoignage en date du 3 avril 1871. Les Convulsions de Paris : Épisodes de la commune (1883), Maxime Du Camp

Futur ambassadeur à Rome, ce Communard est témoin des combats aux premiers jours d’avril, entre Versaillais et Fédérés. Ce qui le choque plus que tout, ici, c’est la foule déchaînée, contre les convois de prisonniers ramenés à Versailles.

Le 4 avril, les Versaillais réattaquent du côté de Neuilly, s’emparent de Courbevoie et Châtillon. Le 5, les Communards prennent 74 otages, dont l’archevêque de Paris – Mgr Darboy sera exécuté pendant la Semaine sanglante, le 24 mai, en application du « décret des otages » promulgué par la Commune et faute d’avoir pu être échangé contre Auguste Blanqui. George Sand, bien que souvent le cœur à gauche, est déjà horrifiée par les vols, les pillages. Hugo, de Bruxelles où il dût se rendre en ce mois d’avril, condamne la guerre civile, la pratique des otages, avant de se déclarer « pour la Commune en principe, et contre la Commune dans l’application », prônant en vain « conciliation et réconciliation » - lettre publiée dans Le Rappel du 28 avril.

« Monsieur Thiers, tous les matins, annonce que dès le soir, entre les neuf heures, neuf heures un quart, il fera son entrée dans la capitale sauvage du monde civilisé. »2368

Henri ROCHEFORT (1831-1913), Le Mot d’ordre, 16 avril 1871. Les Damnés de la terre (1969), Maurice Choury

Thiers amasse des troupes aux portes de Paris pour écraser la révolution, mais il attend encore son heure. Rochefort, journaliste déjà républicain sous l’Empire, a pris parti pour la Commune.

« Nous avons la mission d’accomplir la révolution moderne la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé l’histoire. »2369

La Commune, Déclaration au peuple français, 19 avril 1871. Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars (1872), Commission d’enquête sur l’insurrection du 18 mars, comte Napoléon Daru

La Commune ne fait pas que se défendre et attaquer. Elle gouverne Paris et prend des mesures importantes qui préfigurent l’œuvre de la Troisième République : séparation des Églises et de l’État, instruction laïque, gratuite et obligatoire en projet. Elle est socialiste quand elle « communalise » par décret du 16 avril les ateliers abandonnés par les fabricants en fuite, pour en donner la gestion à des coopératives formées par les Chambres syndicales ouvrières. Ce qui fait écrire à Karl Marx, l’année même : « C’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiatives sociales » (La Guerre civile en France).

« Il y aura quelques maisons de trouées, quelques personnes de tuées, mais force restera à la loi. »2370

Adolphe THIERS (1797-1877), Réponse à une délégation maçonnique, 22 avril 1871. Le Coq rouge : une histoire de la Commune de Paris (1972), Armand Lanoux

Thiers continue de masser des troupes et de prendre des positions stratégiques dans la banlieue, tanis que l’organisation militaire de Paris se révèle une tâche irréalisable.

Le « délégué à la Guerre » Gustave Cluseret est remplacé le 1er mai par Louis Rossel, colonel de 27 ans – au lendemain des défaites de l’armée française et de la capitulation, il a pris parti pour la Commune (il sera fusillé). Il démissionne le 10 mai, remplacé par Charles Delescluze (bientôt tué au combat). Impossible de discipliner les gardes nationaux, tandis que la Commune hésite toujours entre l’anarchie et le pouvoir fort.

« Il s’agit aujourd’hui non plus de couper les têtes, mais d’ouvrir les intelligences. »2371

Henri ROCHEFORT (1831-1913), Le Mot d’ordre, 5 mai 1871. La Tête coupée, ou La Parole coupée (1991), Arnaud Aaron Upinsky

Les divergences politiques éclatent : ainsi à l’occasion du décret instituant le 1er mai un Comité de salut public doté de larges pouvoirs. Les (néo)jacobins et la plupart des blanquistes, majoritaires, sont pour et s’opposent à quelques blanquistes, tous les proudhoniens et certains socialistes proches du marxisme.

Quant au très républicain Rochefort, il refuse une révolution aboutissant logiquement à une nouvelle Terreur, en des termes que ne renierait pas Hugo.

« Nous ne sommes séparés d’une restauration que par l’épaisseur de Paris. »2372

Jules GUESDE (1845-1922), Les droits de l’homme, 13 mai 1871. 500 citations de culture générale (2005), Gilbert Guislain, Pascal Le Pautremat, Jean-Marie Le Tallec

Socialiste marxiste, futur député sous la Troisième République, il rappelle l’essentiel, au-delà des débats entre les gauches de la Commune. L’Assemblée nationale, qui gouverne la France et qui la représente, est monarchiste. La République est un régime qui fait peur et la Commune qui l’incarne est de plus en plus redoutée ou haïe, par la majorité du pays.

« Paris sera soumis à la puissance de l’État comme un hameau de cent habitants. »2373

Adolphe THIERS (1797-1877), Déclaration du 15 mai 1871. La Commune (1904), Paul et Victor Margueritte

Ces mots plusieurs fois répétés annoncent la Semaine sanglante du 22 au 28 mai. Le chef du gouvernement amasse toujours plus de troupes aux portes de Paris. « Anecdotiquement », la colonne Vendôme est abattue, suite à un vote du Comité de salut public.

« On peut vendre Paris, mais […] on ne peut ni le livrer ni le vaincre ! »2374

Charles DELESCLUZE (1809-1871). Les Hommes de la révolution de 1871 : Charles Delescluze (1898), Charles Prolès

Membre de la Commune de Paris, délégué à la Guerre depuis le 10 mai, il rappelle la rançon négociée avec la capitulation de Paris et lance ce défi à Thiers et aux troupes versaillaises qui assaillent Paris, le 21 mai 1871. 70 000 soldats entrent à l’ouest par le bastion mal surveillé du Point du Jour, et par la porte de Saint-Cloud.

La Semaine sanglante commence le lendemain. Delescluze se fera tuer sur une barricade du Château d’Eau abandonnée par ses défenseurs, où il reste seul, le 25 mai.

« Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’ait droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! »2375

Louise MICHEL (1830-1905). Histoire de ma vie (2000), Louise Michel, Xavière Gauthier

La Vierge rouge, très populaire dans le XVIIIe arrondissement, se retrouve sur les barricades, fusil sur l’épaule. Paris est reconquis, rue par rue, et incendié. La dernière barricade des Fédérés, rue Ramponeau, tombe le 28 mai 1871. À 15 heures, toute résistance a cessé.

« Habitants de Paris, l’armée de la France est venue vous sauver. Paris est délivré. Nos soldats ont enlevé, à quatre heures, les dernières positions occupées par les insurgés. Aujourd’hui la lutte est terminée ; l’ordre, le travail et la sécurité vont renaître. »2376

Maréchal MAC-MAHON (1808-1893), Proclamation affichée le 29 mai 1871. Décrets et rapports officiels de la Commune de Paris et du gouvernement français du 18 mars au 31 mars 1871 (1871), Ermete Pierotti

Proclamation signée du maréchal de France, commandant en chef.

Reste encore le fort de Vincennes, toujours aux mains des insurgés, qui va être assiégé par une brigade de l’armée du général Vinoy. Simple formalité pour les Versaillais. La garnison désarmée se rend, les officiers sont immédiatement passés par les armes. Thiers télégraphie ce même jour aux préfets, à propos des Parisiens insurgés : « Le sol est jonché de leurs cadavres ; ce spectacle affreux servira de leçon. »

« Paris suinte la misère,
Les heureux même sont tremblants,
La mode est au conseil de guerre
Et les pavés sont tout sanglants.
Refrain
Oui, mais ! ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront,
Et gare à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront. »2377

Jean-Baptiste CLÉMENT (1836-1909), paroles, et Pierre DUPONT (1821-1870), musique (prise au Chant des paysans), La Semaine sanglante, chanson. La Chanson de la Commune : chansons et poèmes inspirés par la Commune de 1871 (1991), Robert Brécy

Chant dédié aux fusillés de 1871. L’auteur du Temps des cerises est devenu républicain en 1868 et s’est lancé dans le journalisme d’opposition - collaborant au Cri du peuple de Jules Vallès. Membre de la Commune, il participe aux combats de la Semaine sanglante, échappe aux Versaillais. C’est de sa cachette, quai de la Gare, qu’il écrit ce chant vengeur qui dit les horreurs présentes : « On traque, on enchaîne, on fusille / Tout ce qu’on ramasse au hasard / La mère à côté de sa fille / L’enfant dans les bras du vieillard. »

Clément sera arrêté, jugé, exilé à Londres et reviendra en France après le décret d’amnistie de 1880.

« Elles ont pâli, merveilleuses
Au grand soleil d’amour chargé,
Sur le bronze des mitrailleuses
À travers Paris insurgé. »2329

Arthur RIMBAUD (1854-1891), Les Mains de Jeanne-Marie (1871)

Adolescent de 17 ans, bouleversé par la déclaration de guerre, puis par l’échec de la Commune, il fugue deux fois à Paris, en 1870 et 1871, chante Le Dormeur du val, jeune soldat cueilli par la mort, mais aussi les communardes sur les barricades, mêlant poésie, révolte, soif de révolution sociale et morale. Il comprend très vite l’impuissance des vers à « changer la vie », et après un silence de dix-huit ans, il meurt à 37 ans.

« Le bon Dieu est trop Versaillais. »2378

Louise MICHEL (1830-1905), La Commune, Histoire et souvenirs (1898)

La Vierge rouge témoigne de l’inévitable victoire des Versaillais, vu l’inégalité des forces et de l’organisation. Bilan de la Semaine sanglante, du 22 au 28 mai 1871 : au moins 20 000 morts chez les insurgés, 35 000 selon Rochefort. De son côté, l’armée bien organisée des Versaillais a perdu moins de 900 hommes, depuis avril.

La Commune est l’un des plus grands massacres de notre histoire, tragédie qui se joue en quelques jours, Français contre Français, avec la bénédiction des occupants allemands, Bismarck ayant poussé à écraser l’insurrection. Il y aura 100 000 morts au total d’après certaines sources, compte tenu de la répression également sanglante, « terreur tricolore » qui suit la semaine historique – en comparaison, sous la Révolution, la Grande Terreur fit à Paris 1 300 victimes, du 10 juin au 27 juillet 1794.

« Ce ne sont plus des soldats qui accomplissent leur devoir, ce sont des êtres retournés à la nature des fauves. »2379

La France, juin 1871. Les Révoltes de Paris : 1358-1968 (1998), Claude Dufresne

Les journalistes, unanimes, condamnent la répression. La Seine est devenue un fleuve de sang. Dans Le Siècle, on écrit : « C’est une folie furieuse. On ne distingue plus l’innocent du coupable. » Et dans Paris-Journal du 9 juin : « C’est au bois de Boulogne que seront exécutés à l’avenir les gens condamnés par la cour martiale. Toutes les fois que le nombre des condamnés dépassera dix hommes, on remplacera par une mitrailleuse le peloton d’exécution. »

3 500 insurgés sont fusillés sans jugement dans Paris, près de 2 000 dans la cour de prison de la Roquette, et plusieurs centaines au cimetière du Père-Lachaise : c’est le « mur des Fédérés », de sinistre mémoire.

Il y aura 400 000 dénonciations écrites – sur 2 millions de Parisiens, cela fait un fort pourcentage de délateurs et montre assez la haine accumulée.

Près de 40 000 Fédérés prisonniers sont entassés à Versailles, internés dans des pontons flottants et dans les forts côtiers, faute de places dans les prisons : 22 000 non-lieux, près de 2 500 acquittements, plus de 10 000 condamnations, dont près de la moitié à la déportation, et de nombreux morts à la suite de mauvais traitements. Pour juger ces vaincus de la Commune, quatre conseils de guerre vont fonctionner jusqu’en 1874.

« Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Ses martyrs seront enclos dans le grand cœur de la classe ouvrière. »2385

Karl MARX (1818-1883), La Guerre civile en France (1871)

Hommage du militant révolutionnaire, même si le théoricien socialiste émit de nombreuses réserves. Le mouvement ouvrier français restera marqué par les conséquences de la Commune : vide dans le rang de ses militants, haine des victimes contre les bourreaux, force du mythe qui s’attache à jamais au nom de la Commune.

Troisième République jusqu’à la Première Guerre Mondiale

La France, désormais républicaine, retrouve sa fierté nationale au fil de trois Expositions universelles, toujours parisiennes. Paris redevient capitale politique avec le retour de l’Assemblée nationale en 1879 - huit ans après la fin de la Commune ! Même année, le 14 juillet et la Marseillaise prennent rang de symboles républicains. La Tour Eiffel sera plus discutée (1889). Le régime survit à toutes les crises - y compris au boulangisme et à l’Affaire Dreyfus. Lors de la Première guerre mondiale, Paris, trop proche de la frontière, échappe de peu à l’occupation allemande.

« La France est un éblouissement pour le monde. »2460

Léon GAMBETTA (1838-1882), Inauguration de la troisième Exposition universelle de Paris, 1er mai 1878. Gloires et tragédies de la IIIe République (1956), Maurice Baumont

Paris, plus que jamais ville capitale et républicaine, en témoigne avec éclat. Comme le Second Empire, la Troisième République est portée par la vague du progrès scientifique et technique et par l’avènement de la civilisation industrielle. Les deux autres Expositions universelles qui se tiendront à Paris avant 1914 (en 1889 et 1900) confirmeront cette évidence.

« Partout la joie est générale
Depuis qu’en vertu d’un décret
Notre fête nationale
Doit avoir lieu l’quatorze juillet ! »2463

Aristide BRUANT (1851-1925), J’suis d’l’avis du gouvernement (1879), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Un couplet de la chanson de Bruant célèbre l’événement et chante le consensus du pays : « Quand je vois pour fêter la France / Choisir la date d’un événement / Qui lui rappelle sa délivrance / J’suis d’l’avis du gouvernement. »

La Marseillaise est donc proclamée hymne national, et le 14 juillet devient fête nationale – mais l’on discute encore pour savoir si l’on célèbre 1789 ou 1790, la prise de la Bastille ou la Fête de la Fédération. En tout cas, c’est le premier vote des Chambres (31 janvier 1879) revenues de Versailles à Paris.

Huit ans après la Commune, Paris redevient la capitale de la France.

« Si vous décidez la construction de la tour de M. Eiffel, je me coucherai sur le sol. Il ferait beau voir que les piques des terrassiers frôlent cette poitrine que n’atteignirent jamais les lances des Uhlans [Prussiens]. »2484

Tancrède BONIFACE (XIXe siècle). Guide de Paris mystérieux (1975), François Caradec, Jean-Robert Masson

Capitaine de cuirassier à la retraite, riverain du Champ de Mars, il mène la campagne de protestation contre la Tour Eiffel et intente un procès contre « le lampadaire tragique », « l’odieuse colonne de tôle boulonnée. » Le premier coup de pioche des travaux a été donné le 26 janvier 1887. La tour sera le « clou » de l’Exposition universelle, en 1889.

Le monument va beaucoup faire parler de lui à Paris, au fur et à mesure de son édification. « Nous sommes arrivés au maximum de ce que peuvent les humains. Il serait criminel de chercher à aller plus haut », dit Eugène Chevreuil, doyen de l’Institut : il a 101 ans – né sous Louis XVI, chimiste entré à l’Académie des sciences sous le règne de Charles X. Il s’inquiète devant la tour qui va atteindre 26 mètres, c’est-à-dire le premier étage, et donner d’ailleurs quelques soucis à l’ingénieur Gustave Eiffel, avant de continuer son irrésistible ascension, comme Boulanger.

« Puisqu’il y a une bêtise à faire, la Ville Lumière la fera ! »2495

Jules SIMON (1814-1896), Souviens-toi du Deux-décembre (1889)

Républicain hostile au boulangisme, il voit venir les ennuis, dès l’automne 1888. De fait, Boulanger triomphe à Paris, à l’occasion d’une nouvelle partielle, le 27 janvier 1889 : 245 000 voix contre 162 000 au radical Édouard Jacques. La foule et certains de ses amis le poussent à s’emparer du pouvoir par un coup d’État. C’est aussi l’ardent désir de Paul Déroulède, à la tête de sa Ligue des patriotes. L’irrésistible ascension s’arrêtera, Boulanger devenant le héros malgré lui d’un triste fait divers sentimental et sombrant dans le ridicule.

« La tour Eiffel, témoignage d’imbécillité, de mauvais goût et de niaise arrogance, s’élève exprès pour proclamer cela jusqu’au ciel. C’est le monument-symbole de la France industrialisée ; il a pour mission d’être insolent et bête comme la vie moderne et d’écraser de sa hauteur stupide tout ce qui a été le Paris de nos pères, le Paris de nos souvenirs, les vieilles maisons et les églises, Notre-Dame et l’Arc de Triomphe, la prière et la gloire. »2497

Édouard DRUMONT (1844-1917), La Fin du monde (1889)

Mon vieux Paris (1878), premier livre qui le fait connaître, déborde de nostalgie pour cette capitale où il est né et qui a tant changé, depuis le Second Empire et les travaux d’Haussmann. Écrivain et journaliste, il reste surtout connu comme polémiste d’extrême droite.

« Aujourd’hui, la vérité ayant vaincu, la justice régnant enfin, je renais, je rentre et reprends ma place sur la terre française. »2524

Émile ZOLA (1840-1902), L’Aurore, 5 juin 1899

Épilogue de l’Affaire Dreyfus, la plus grave crise de la Troisième République. Le 3 juin, la Cour de cassation, « toutes Chambres réunies », s’est prononcée pour « l’annulation du jugement de condamnation rendu le 22 décembre 1894 contre Alfred Dreyfus ». Dreyfus a été sauvé par les « dreyfusards » ou « révisionnistes » : gracié par le président de la République, il sera réintégré dans l’armée en 1906. Mais l’Affaire a littéralement déchiré en deux la France, tous les partis, les milieux, les familles.

« Au moral, la haine de l’esprit militaire, au matériel, un désarmement qui attire la guerre comme l’aimant le fer. »2525

Charles MAURRAS (1868-1952), Au signe de Flore : souvenirs de vie politique, l’affaire Dreyfus, la fondation de l’Action française, 1898-1900 (1931)

Le théoricien du nationalisme intégral sera hanté à vie par le souvenir de l’affaire Dreyfus. Elle a de graves conséquences. Militaires d’abord. L’armée en sort divisée (on se bat en duel dans les garnisons, dreyfusards contre « anti »), affaiblie, discréditée, épurée, et le Service de renseignements est remplacé par la police civile qui ne sera pas de taille face au SR allemand.

Conséquences psychologiques ensuite. La France va vivre en guerre de religion, deux camps se lançant leurs invectives : haine raciale, violation des droits de l’homme, contre antipatriotisme, antimilitarisme.

Politiquement enfin, les républicains, modérés, gravement divisés sur l’Affaire, vont s’appuyer sur la gauche et finalement perdre le pouvoir au profit des radicaux. Le centrisme n’est plus possible, il faut être à gauche ou à droite et le gouvernement en fait vite l’expérience.

« Je me battrai devant Paris, je me battrai dans Paris, je me battrai derrière Paris ! »2609

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), printemps 1918. Les Grandes Heures de la Troisième République (1968), Robert Aron

Première Guerre mondiale. L’offensive allemande du 27 mai sur le Chemin des Dames (lieu de sanglante mémoire) enfonce en quelques heures les positions franco-anglaises, fait une avancée de 20 km en un jour, franchit bientôt l’Aisne et la Marne, créant une nouvelle « poche » de 70 km sur 50.

Foch, un moment contesté, est sauvé par Clemenceau arrivé au pouvoir en novembre 1917, en dernier recours. Et les Alliés reçoivent d’Amérique les renforts prévus, en hommes et en matériel. D’où la contre-offensive menée par Foch : seconde bataille de la Marne, déclenchée le 18 juillet. Les chars d’assaut (tanks) sont pour la première fois utilisés à grande échelle. Ils enfoncent les barbelés allemands en un rien de temps. Cette fois, la victoire est plus rapide qu’espéré : la guerre d’usure a physiquement et moralement atteint l’armée allemande. Défaite le 8 août à Montdidier, elle commence une retraite générale. Malgré tout, ce ne sera jamais la débâcle, seulement le recul pied à pied, sur le terrain peu à peu reconquis.

Seconde Guerre Mondiale

Malgré les déclarations répétées de Paul Reynaud, le gouvernement quitte Paris pour se replier à Tours, Bordeaux, puis Vichy, la capitale tombant aux mains des Allemands (14 juin 1940). La résistance commence, de plus en plus combattante. « Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés » vit à nouveau des heures historiques et manque d’être brûlé sur ordre d’Hitler, juste avant la Libération (suite au débarquement des Alliés en Normandie) et le retour du général de Gaulle, acclamé par la foule en délire (25 et 26 août 1944).

« Le gouvernement restera à Paris ; même sous le bombardement. Si Paris est pris, on ira ailleurs. S’il le faut, nous nous retirerons sur un cuirassé et nous croiserons, avec la flotte, en vue des côtes de France. »2740

Paul REYNAUD (1878-1966), Allocution à la radio, 16 mai 1940. Au cœur de la mêlée (1951), Paul Reynaud

Le chef du gouvernement multiplie les déclarations imprudentes. Après la « drôle de guerre » qui n’est qu’attente, voici la « guerre éclair » (Blitzkrieg). L’Allemagne a envahi les trois pays neutres : Luxembourg, Belgique, Pays-Bas. Le 10 mai, ses blindés attaquent la France par les Ardennes et percent le front à Sedan. L’arme absolue de la Wehrmacht est la Panzerdivision, unité autonome d’environ 300 chars, avec troupes d’assaut motorisées, artillerie tractée, ravitaillement par air, le tout alliant puissance et mobilité.

« Il n’y a pas deux cents kilomètres entre Paris et l’étranger, six jours de marche, trois heures d’auto, une heure d’avion. Un seul revers aux sources de l’Oise, voilà le Louvre à portée de camion. »2741

Charles de GAULLE (1890-1970), Vers l’armée de métier (1934)

Dans ce livre de stratégie militaire, de Gaulle préconise déjà une armée motorisée et blindée, mais il n’a pas l’oreille du pouvoir, alors qu’en Allemagne, le général Guderian, théoricien des chars, peut équiper de façon ultramoderne une armée dont il prend le commandement.

« Nous lutterons en avant de Paris, nous lutterons en arrière de Paris, nous nous enfermerons dans une de nos provinces et, si nous en sommes chassés, nous irons en Afrique du Nord et, au besoin, dans nos possessions d’Amérique. »2747

Paul REYNAUD (1878-1966), Message à F.D. Roosevelt, 10 juin 1940. Franklin Roosevelt et la France, 1939-1945 (1988), André Béziat

Le jour où le gouvernement quitte la capitale pour se replier sur Tours, puis Bordeaux, bientôt Vichy. Paris, déclarée ville ouverte par Weygand, tombe aux mains des Allemands le 14 juin.

Le gouvernement tombera aussi, le 16 : cette résistance voulue par Paul Reynaud (et que seul de Gaulle pourra imposer), la majorité du cabinet la refuse, à l’image du pays matraqué par la catastrophe. Laval et Darlan, hors ministère, font pression sur les ministres en faveur de la capitulation. Deux grands militaires de la Première Guerre mondiale, Pétain et Weygand, l’un maréchal, et l’autre général, la souhaitent aussi.

« La manifestation des étudiants de Paris se portant en cortège derrière « deux gaules » le 11 novembre [1940] à l’Arc de Triomphe et dispersée par la Wehrmarcht à coups de fusil et de mitrailleuse donnait une note émouvante et réconfortante. »2774

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Première manifestation de foule, premier acte de résistance public dans la capitale, ce 11 novembre 1940.

De Gaulle, inconnu il y a cinq mois, devenu le sauveur pour une partie des Français, comment expliquer cela ? « Vous savez, en 1940, j’ai eu de fameux alliés : les Allemands. S’ils s’étaient contentés d’occuper les côtes de la Manche et de l’Atlantique, si ailleurs ils avaient fait de l’occupation invisible […] les Français se seraient installés confortablement dans le désastre et rien ni personne n’aurait pu leur faire prendre part à aucune guerre […] Il y avait aussi la politique ! Pétain a fait de l’anti-démocratie, de l’antisémitisme, de l’anti-liberté, tout ce qu’il fallait pour déranger les Français dans leurs habitudes. Il faut prendre garde quand on dérange les Français ! » (cité par Roger Stéphane, Tout est bien, 1989).

« Je vous salue ma France où le peuple est habile
À ces travaux qui font les jours émerveillés
Et que l’on vient de loin saluer dans sa ville
Paris mon cœur trois ans vainement fusillé […]
Ma France d’au-delà le déluge, salut ! »2803

Louis ARAGON (1897-1982), « Je vous salue ma France… » (1943). L’œuvre poétique, volume X (1974), Aragon

Aragon s’est engagé, communiste d’abord, résistant ensuite. Ses vers, œuvres de circonstance au meilleur sens du terme, sont cités par le général de Gaulle à la radio de Londres.

Publié clandestinement, ce poème s’adresse aux prisonniers et aux déportés : « Lorsque vous reviendrez car il faut revenir / Il y aura des fleurs tant que vous en voudrez / Il y aura des fleurs couleur de l’avenir / […] Je vous salue ma France arrachée aux fantômes / Ô rendue à la paix vaisseau sauvé des eaux / Pays qui chante Orléans Beaugency Vendôme / Cloches cloches sonnez l’angélus des oiseaux. »

« Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés. »2811

Louis ARAGON (1897-1982), Les Yeux d’Elsa, « Plus belle que les larmes » (1942)

Paris se soulève, le 18 août 1944 : fusillade au pont des Arts. Le 19, la police parisienne (censée obéir au gouvernement de Vichy, qui n’existe plus depuis le 18) se met en grève, barricadée à la préfecture de police. Le Comité parisien de libération, où les communistes dominent avec un sens de l’organisation qui leur est propre, veut prouver au monde, aux Alliés et aux Allemands que le peuple de Paris peut se libérer lui-même. Mais les FFI (Forces françaises de l’intérieur, regroupant tous les mouvements de la Résistance armée en France) manquent de moyens, et le commandement allemand, lui, a encore les moyens de détruire la ville, et d’écraser ses défenseurs. Une trêve est signée, rompue par la Résistance (colonel Rol-Tanguy, chef des FTP, Francs-tireurs et partisans), et les combats de rue reprennent.

« Paris brûle-t-il ? »2812

Adolf HITLER (1889-1945) à Dietrich von Choltitz, 24 août 1944. Titre du film (1966) de René Clément (1913-1996), tiré du best-seller éponyme (1965) de Larry Collins (1929-2005) et Dominique Lapierre (né en 1931), sur la libération de Paris : l’un des plus beaux et longs génériques de l’histoire du cinéma, comme si, vingt ans après, toute la profession avait à cœur de participer à ce film événement

« Brennt Paris ? » C’est moins une question qu’un ordre du Führer au général allemand, gouverneur militaire de Paris.

Von Choltitz hésite, ce 24 août, dans Paris insurgé. De Gaulle de son côté a instamment demandé à Eisenhower de hâter la libération de Paris pour éviter le drame et Leclerc, avec sa 2e DB (division blindée), peut enfin marcher vers Paris.

Paris ne brûlera pas : après intervention du consul de Suède, von Choltitz élude l’ordre qu’il trouve absurde : faire sauter les ponts et les édifices qui étaient minés, et raser la capitale.

« Division de fer
Toujours en avant
Les gars de Leclerc
Passent en chantant. »2813

André LEDUR (1904-1975) et Victor CLOWEZ (1908-1973), paroles, Marche officielle de la Division Leclerc (refrain)

Leclerc entre dans Paris à la tête de ses troupes (2e division blindée) qui chantent : « Après le Tchad, l’Angleterre et la France / Le grand chemin qui mène vers Paris / Le cœur joyeux, tout gonflé d’espérance / Ils ont suivi la gloire qui les conduit. »

La reddition est signée par Leclerc, von Choltitz et Rol-Tanguy au nom des FFI le 25 août 1944, grand jour de la Libération, œuvre des Français de l’intérieur et de l’extérieur, symbole dont toutes les radios du monde vont se faire l’écho.

« Je n’ai pas à proclamer la République. Elle n’a jamais cessé d’exister. »2814

Charles de GAULLE (1890-1970), à Georges Bidault, Hôtel de Ville de Paris, 26 août 1944. Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956), Charles de Gaulle

Bidault est président du CNR (Conseil national de la Résistance) depuis la mort de Jean Moulin, et de Gaulle est venu à Paris pour y installer le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française).

La foule en délire l’a acclamé, la veille : « Devant moi, les Champs-Élysées. Ah ! c’est la mer ! », écrira-t-il dans ses Mémoires, évoquant ce qui est sans doute le plus beau jour de sa vie. Il a dit son émotion devant Paris, ces mots devenus célèbres : « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! »

Cependant le droit ne perd jamais ses droits, dans l’esprit du général ! Il refuse donc de « proclamer la République » : elle ne vient pas de ressusciter, il en a assuré la survie hors métropole, la continuité à Londres, puis à Alger. Une ordonnance du 9 août vient d’affirmer cette permanence de la République, frappant de nullité tous les actes du gouvernement de Vichy. Mais il y a un abîme entre le droit et les faits, d’où les problèmes du GPRF et de son chef, dans les mois à venir.

Quatrième République

Après-guerre, les Français s’unissent pour gagner la bataille de la reconstruction et de la production, mais le scandale des « laissés-pour-compte de la croissance » est trop visible à Paris et révoltant, d’où des initiatives privées de solidarité qui frappent l’opinion. La guerre d’Algérie (qui ne dit pas encore sans nom) divise bientôt les Français, des rumeurs de putsch militaire courent dans la capitale et la presse la plus sérieuse s’en fait l’écho. Il est temps de rappeler de Gaulle.

« Les saints vont en enfer. »2884

Gilbert CESBRON (1913-1979), titre de son roman (1952)

Livre à succès signé d’un écrivain catholique, il décrit l’aventure des prêtres-ouvriers. Dès 1941, le Père Loew, un dominicain de Marseille, s’est fait embaucher comme docker pour connaître de l’intérieur le monde du travail. La Mission de Paris est créée en 1944. Son but : convertir les ouvriers. En 1952, la Mission compte une centaine de prêtres-ouvriers qui s’activent à Paris, en région parisienne et dans les grandes villes, les usines, les chantiers. Mais en 1953, Rome va condamner brutalement ce mouvement, pour cause de politisation et d’engagement syndical.

« Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir de froid sur le trottoir du boulevard de Sébastopol. Elle serrait dans ses mains le papier par lequel on l’avait expulsée de son logement. Chaque nuit dans Paris, ils sont plus de deux mille à geler dans la nuit, sans toit, sans pain. »2887

Abbé PIERRE (1912-2007), Premiers mots de l’appel lancé à la radio dans l’hiver 1954. Emmaüs et l’abbé Pierre (2008), Axelle Brodiez-Dolino

1er février. Ce soir-là, dans un grand élan de colère, l’abbé Pierre fonce à Radio Luxembourg et s’empare du micro. Ce prêtre catholique a été résistant pendant la guerre et député MRP jusqu’en 1951, avant de renouer avec sa vocation première de prêtre aumônier, dans le cadre du Mouvement Emmaüs, organisation caritative laïque, créée en 1949.

L’abbé Pierre demande que le soir même, dans tous les quartiers de Paris, s’ouvrent des centres de dépannage, qu’on y apporte couvertures, paille, pour accueillir tous ceux qui souffrent quels qu’ils soient, et qu’ils puissent y dormir, y manger, reprendre espoir, savoir qu’on les aime et qu’on ne les laissera pas mourir. C’est la misère des laissés-pour-compte de la croissance économique. Trente ans plus tard, Coluche lancera ses « Restos du cœur ». Le quart-monde existe toujours et chaque époque crée ses nouveaux pauvres, en dépit des minima sociaux et des secours publics.

« Deux pouvoirs s’instaurent : le pouvoir légal à Paris et le pouvoir militaire à Alger. Un troisième, le pouvoir moral, celui du général de Gaulle, est encore à Colombey. »2921

Jacques FAUVET (1914-2002), La Quatrième République (1959)

De Gaulle, retiré de la scène politique peu après la guerre (20 janvier 1946), très hostile au régime des partis de la Quatrième, se tient en réserve de la République et sent son heure enfin revenue : oui, la France a besoin de lui ! On imagine comme il a dû peser chaque mot de son premier communiqué à la presse : « Naguère, le pays, dans ses profondeurs, m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut. Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. »

« Il ne faut pas beaucoup de mitraillettes pour disperser cent mille citoyens armés de grands principes. »2924

François MAURIAC (1885-1970), L’Express, 12 juin 1958, Bloc-notes, 1958-1960, II (1961)

Au cours des journées de mai 1958, l’idée s’est répandue d’un dénouement possible de la crise par l’établissement d’une dictature militaire en France. Des parachutistes venus d’Algérie pourraient débarquer, faire jonction avec les réseaux favorables à l’Algérie française en métropole, les putschistes bénéficiant même de complicités dans l’appareil de l’État. Le 28 mai, à Paris, une foule immense et pacifique va défiler de la Nation à la République, conspuant les paras et criant : « Le fascisme ne passera pas ! »

Mauriac qui en rend compte dénonce le danger fasciste dans L’Express, au fil de sa fameuse chronique hebdomadaire. Cette menace va précipiter la solution de Gaulle, recours à l’ultime sauveur. Pour Mauriac, c’est l’homme du destin, l’homme de la grâce, le garant de l’unité du pays. Dès lors, sa vision de la politique se confond avec celle du gaullisme. Ses prises de position passionnées le conduisent à quitter L’Express pour Le Figaro littéraire, trop heureux d’accueillir désormais son Bloc-notes, publié plus tard en quatre recueils.

« Dans le péril de la patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des Français. »2925

René COTY (1882-1962), Message du président au Parlement, 29 mai 1958. Histoire mondiale de l’après-guerre, volume II (1974), Raymond Cartier

Face à la menace de guerre civile, le président de la République fait savoir aux parlementaires qu’il a demandé au général de Gaulle de former un gouvernement. Chahuts et chants de la part des députés qui entonnent La Marseillaise – procédé contraire à tous les usages, et même à la lettre de la Constitution.

Cinquième République

La Constitution donne enfin un chef à l’État, mais de Gaulle va devoir affronter Mai 68. Cette révolte étudiante, essentiellement parisienne à l’origine, va bloquer tout le pays. Le président comprend mal le phénomène - il n’est pas le seul, mais il doit en finir avec la « chienlit ». L’urbanisme change Paris pour le pire (les « années béton ») et le meilleur (les « Grands travaux » sous les deux septennats de Mitterrand). Le nouveau statut du maire élu donne l’occasion à Chirac de parfaire sa popularité, d’en abuser parfois et d’accéder à la présidence.

« Guide de la France, et chef de l’État républicain, j’exercerai le pouvoir suprême dans toute l’étendue qu’il comporte désormais. »2982

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration radiotélévisée, 28 décembre 1958. Les Idées constitutionnelles du général de Gaulle (1974), Jean Louis Debré, Charles de Gaulle

Il vient d’être élu président de la République, le 21 décembre. La nouvelle Constitution, ratifiée par référendum du 28 septembre avec près de 80 % de oui et promulguée le 4 octobre, fonde le nouveau régime (présidentiel) de la Cinquième République, confiant au chef de l’État les quatre attributions fondamentales, sans aucune obligation de contreseing ministériel : nomination du Premier ministre, dissolution de l’Assemblée nationale, recours au référendum et mise en jeu des pouvoirs spéciaux en cas de crise. « Chèque en blanc », titre Le Monde.

Grâce à quoi de Gaulle va régler la question algérienne et gouverner réellement la France, envers et contre tous les partis et les oppositions, avant d’affronter un dernier combat : Mai 68 et les barricades à Paris.

« Jour J [3 mai] et heure H [16 h 50], embarquement des étudiants de la Sorbonne. »3041

Maurice GRIMAUD (1913-2009), En mai, fais ce qu’il te plaît (1977)

Préfet de police de Paris en mai 1968, selon lui tout commence alors.

Un meeting de protestation est prévu dans la cour du plus célèbre bâtiment universitaire de Paris, au cœur du Quartier latin : contre la convocation devant le conseil de discipline de l’université de Nanterre des meneurs du 22 mars, dont Cohn-Bendit.

La police, appelée par le recteur, intervient pour empêcher le meeting et évacue les lieux sans faire le détail : 500 personnes embarquées, manifestants et meneurs mêlés aux badauds et curieux.

La nouvelle se répand. 2 000 manifestants accourent au Quartier latin. Des lycéens, des étudiants découvrent l’ivresse de la violence. Et c’est le scénario qui va devenir classique : pavés, cocktails Molotov, grenades lacrymogènes, matraques.
Bilan officiel du 3 mai : 805 blessés dont 345 parmi les forces de police. Le bilan officieux est plus accablant.

Sous les pavés, la plage.
L’aboutissement de toute pensée, c’est le pavé.3044

Slogans de la nuit du 10 au 11 mai 1968

Première nuit d’émeute, dite « nuit des Barricades » : des dizaines se dressent, barrant petites rues et grandes artères du Quartier latin (boulevard Saint-Michel, rue Gay-Lussac), entassements de voitures et pavés, arbres et palissades, matériaux volés aux chantiers voisins.

Samedi 11, aux aurores et en trois heures de combat, la police vient à bout de la résistance étudiante : centaines de blessés, dégâts matériels considérables. L’opinion bascule du côté des jeunes et juge la police plus sévèrement que les manifestants. Récits vibrants, rumeurs incontrôlables, fracas de guérilla sur les ondes radio font croire au pays que le cœur de Paris est en guerre.

Les centrales ouvrières et la FEN (Fédération de l’éducation nationale, appelée la forteresse enseignante pour son pouvoir) appellent à la grève générale pour le surlendemain, lundi 13 mai.

« J’ai décidé que la Sorbonne serait librement ouverte à partir de lundi. »3045

Georges POMPIDOU (1911-1974), Discours radiodiffusé, samedi 11 mai 1968, 23 heures. L’Élysée en péril (2008), Philippe Alexandre

Le Premier ministre, de retour d’un voyage en Afghanistan, joue la carte de la détente, annonçant aussi la libération prochaine des étudiants arrêtés le 3 mai et condamnés le 5. Il retire la police de la Sorbonne pour que les cours reprennent. Mais… le mois de mai ne fait que commencer.

« En moins d’une semaine, dans un printemps sans histoire, une tempête fait lever sur Paris les pavés de l’émeute, les mousquetons du pouvoir et les idées de tout le monde. Une partie de la jeunesse française a déclaré sa guerre. Elle l’a déclarée à tous, faute de savoir à qui. »3048

L’Express, 13 mai 1968

Premier résumé des événements et première question existentielle – dont personne ne pourra vraiment donner la réponse, malgré les flots de commentaires écrits, parlés, pensés à l’infini. Le happening continue, dans le génie de l’improvisation.

« La récréation est finie. »3056

Charles de GAULLE (1890-1970), Orly, samedi 18 mai 1968. Mai 68 et la question de la révolution (1988), Pierre Hempel

Débarquant d’avion, de retour de Roumanie avec douze heures d’avance. Il dit aussi : « Ces jeunes gens sont pleins de vitalité. Envoyez-les donc construire des routes. »

« La réforme, oui, la chienlit, non. »3057

Charles de GAULLE (1890-1970), Bureau de l’Élysée, dimanche matin, 19 mai 1968. Le Printemps des enragés (1968), Christian Charrière

Formule rapportée par Georges Gorse, ministre de l’Information, et confirmée par Pompidou, Premier ministre. Le président réunit les responsables de l’ordre qui n’existe plus, demande le nettoyage immédiat de la Sorbonne et de l’Odéon. Cela risque de déclencher un engrenage de violences et ses interlocuteurs obtiennent un sursis d’exécution. Il faut éviter l’irréparable.

La chienlit, c’est lui.3058

Slogan sous une marionnette en habit de général aux Beaux-Arts, 20 mai 1968

La chienlit ? Ce sont surtout 6 à 10 millions de grévistes. Et tout ce qui s’ensuit : usines occupées, essence rationnée, centres postaux bloqués, banques fermées. Les ménagères stockent. Les cafés sont pleins. La parole se déchaîne jusque dans les églises. La moindre petite ville a son mini-Odéon et sa micro-Sorbonne.

« Je demande à Paris de vomir cette pègre qui la déshonore […] pègre qui sort des bas-fonds de Paris et qui est véritablement enragée, dissimulée derrière les étudiants. »3067

Christian FOUCHET (1911-1974), ministre de l’Intérieur, Déclaration aux journalistes, à l’aube du 25 mai 1968. Le Printemps des enragés (1968), Christian Charrière

Nouvelle nuit d’émeutes à Paris : des mouvements extrémistes et anarchistes sont rejoints par les bandes de « loubards » de la banlieue. Chaque groupe, lancé à travers la capitale, improvise sa manif et se demande quel symbole de la société il faut d’abord détruire. La Bourse brûle. La police est tenue en échec au Quartier latin jusqu’à 5 heures. Dans la matinée du 25 mai, le Premier ministre Pompidou évoque « une tentative évidente de déclencher la guerre civile. »

« L’opinion avait cessé de rire, d’applaudir le désordre ; elle commençait à avoir peur. »3068

Édouard BALLADUR (né en 1929), L’Arbre de mai (1979)

On peut dater cette peur du 25 mai. Après la nuit d’émeute en divers quartiers de Paris, le préfet de police Grimaud fait cette analyse (dans son livre témoignage, En mai, fais ce qu’il te plaît) : « Du côté des manifestants, ce ne sont plus les étudiants exaltés du 10 mai qui voulaient « mourir sur les barricades » et libérer la Sorbonne de l’occupation policière, mais de petites troupes de guérilleros, très mobiles, très décidées, rompues au harcèlement des forces de l’ordre, à l’édification rapide d’obstacles, de barricades […] On a l’impression que tout est en place pour des émeutes insurrectionnelles, si seulement l’occasion surgit qui permette d’entraîner la masse étudiante et, on l’espère toujours, les ouvriers. Ce style nouveau est le fait des mouvements extrémistes et anarchistes et, depuis quelques jours, s’y sont jointes les bandes de « loubards » de la banlieue. »

« Depuis quelque chose comme trente ans que j’ai affaire à l’histoire, il m’est arrivé quelquefois de me demander si je ne devais pas la quitter. »3072

Charles de GAULLE (1890-1970). De Gaulle, 1958-1969 (1972), André Passeron

Folle journée du 29 mai 1968 : le général a disparu. Conseil des ministres de 10 heures décommandé à la dernière minute. De Gaulle a quitté l’Élysée, mais il n’est pas à Colombey : « Oui ! le 29 mai, j’ai eu la tentation de me retirer. Et puis, en même temps, j’ai pensé que, si je partais, la subversion menaçante allait déferler et emporter la République. Alors, une fois de plus, je me suis résolu » (Entretien télévisé avec Michel Droit, 7 juin).

« Mitterrand, c’est raté ! Les cocos, chez Mao ! Le Rouquin, à Pékin ! Giscard, avec nous ! De Gaulle n’est pas seul ! »3075

Cris scandés par la foule sur les Champs-Élysées, 30 mai 1968. L’Express, « Mai 68, les archives secrètes de la police », 19 mars 1998

Ils sont 300 000 ou 400 000 à répondre à l’appel du général, dans une solidarité populaire presque spontanée. En fait, la manifestation était préparée, mais le succès est inespéré : ce ne sont pas seulement les anciens combattants et les bourgeois du XVIe arrondissement qui défilent, on voit aussi beaucoup de jeunes et des gens modestes. En tête du cortège, Malraux, Mauriac, diverses personnalités, et Debré le gaulliste de la première heure peut clamer : « De Gaulle n’est pas seul. »

« Le 30 mai, en l’espace de cinq minutes que dura l’allocution du général, la France changea de maître, de régime et de siècle. Avant 16 h 30, on était à Cuba. Après 16 h 35, c’était presque la Restauration. »3076

Jean LACOUTURE (né en 1921), De Gaulle, volume III. Le souverain (1986)

Le biographe exprime le ressaisissement du pouvoir, le revirement de l’opinion, l’incroyable rapidité du retour à l’ordre des choses. Jusqu’à la fin, Mai 68 sera le plus surprenant des happenings.

« Selon notre manière de compter, nous nous enrichirions en faisant des Tuileries un parking payant et de Notre-Dame un immeuble de bureaux. »2948

Bertrand de JOUVENEL (1903-1987), Arcadie : Essais sur le mieux-vivre (1968)

L’urbanisme des « années béton » a donné plus de confort aux classes jusqu’alors très défavorisées, mais également commis quelques crimes de lèse-civilisation, au centre ou aux abords des villes, à commencer par la région parisienne. Les barres de béton, les tours, les cités radieuses devenues des villes dortoirs et des banlieues repoussoirs, tout cela dessine un paysage remis en question, avec plus ou moins de moyens et de résultats.

Seul de tous les présidents, François Mitterrand, passionné d’architecture, mènera une politique culturelle de « Grands Travaux », lançant ou finalisant des projets littéralement monumentaux. BNF (Bibliothèque nationale de France) rêvée comme « la plus grande et la plus moderne du monde », Géode dans le Parc de la Villette, Cité des sciences et de l’industrie, Musée d’Orsay (reconversion de l’ancienne gare d’Orsay en musée d’art moderne, projet de VGE), Institut du Monde arabe conçu par Jean Nouvel, Grand Louvre (avec l’aile Richelieu reprise au ministère des Finances) et Pyramide du Louvre signée du très moderniste architecte Ieoh Ming Pei, Opéra Bastille conçu par Carlos Ott et voué à la musique à la fois « moderne et populaire ».

« La France doit devenir un immense chantier de réformes. »3156

Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Conseil des ministres, 25 septembre 1974

On lance d’innombrables projets dans les premiers mois du septennat, certains aboutiront : statut de la ville de Paris (qui retrouve un maire élu et unique), mais aussi abaissement à 18 ans de l’âge de la majorité (électorale et civile), éclatement de l’ORTF, simplification des procédures de divorce, loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) qui va déchaîner des passions.

« Lorsque j’engage un combat, il ne me vient pas à l’idée que je puisse le perdre. »3177

Jacques CHIRAC (1932-2019). L’Express (13 février 1978)

On reconnaît l’homme d’action, une des principales qualités en politique. Pompidou, qui lui a donné sa première chance au gouvernement et appréciait son efficacité de « jeune loup », l’appelait « mon bulldozer ».

Le 25 mars 1977, à 45 ans, il remporte sa première grande victoire à une élection : la mairie de Paris. Il la doit indirectement à son meilleur ennemi de droite, Giscard et sa réforme du statut de la capitale. Paris n’avait plus connu de maire depuis Étienne Arago, nommé le 4 septembre 1870 par le Gouvernement de la Défense nationale et remplacé le 15 novembre par Jules Ferry.

« Une personnalité politique ambitieuse est portée, par le suffrage universel, à un niveau où elle peut menacer la plus haute autorité de l’État. »3178

André MATHIOT (1909-1991), Chronique, 1977. La Vie politique sous la Ve République (1987), Jacques Chapsal

Fort bien vu par ce professeur de droit public. La mairie de Paris va servir de tremplin aux ambitions de Jacques Chirac. Contre Giscard président, il a démissionné de son poste de Premier ministre en août 1976 et fondé en décembre son propre parti, le RPR (Rassemblement pour la République). Une machine de guerre à son service. Il gagne donc cette mairie capitale et c’est une victoire personnelle – il sera réélu, en 1983 et 1989.

Dans ces municipales politisées à l’extrême, la droite chiraquienne triomphe à Paris, mais la gauche l’emporte dans l’ensemble du pays : elle contrôle à présent 71 % des villes de plus de 30 000 habitants, au lieu de 44 %.

« J’apprécie plus le pain, le pâté, le saucisson, que les limitations de vitesse. »3180

Jacques CHIRAC (1932-2019), L’Auto-Journal, 1er Août 1977

Le nouveau maire de Paris sait se rendre sympathique, avec un contact populaire inné (ou bien acquis) et un appétit devenu légendaire. Il pense déjà à la plus haute des fonctions et s’y prépare… La mairie est un bon poste, il va pourtant rester trop longtemps en pays conquis. Élu et réélu, avec une aura et une vraie cote de popularité, il sera rattrapé par « les affaires » – faute d’avoir respecté les « limitations de vitesse », autrement dit, la loi.

En attendant, dans le même esprit et plus que jamais en campagne, à la veille d’une élection présidentielle tant désirée, il s’amuse à répondre au journal Libération (de gauche) : « Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière » (17 février 1995).

« Nous allons terroriser les terroristes. »3262

Charles Pasqua (1927-2015), ministre de l’Intérieur du gouvernement Chirac, mars 1986. Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig

Climat de terreur à Paris : les attentats se multiplient et Pasqua répète cette formule qui plaît à l’opinion publique et à la presse. Au JT d’Antenne 2, le 12 avril, il en donnera une version light ou soft : « L’insécurité doit changer de camp et entre nous et les terroristes, la guerre est engagée. »

Le 7 août, l’Assemblée vote les lois Pasqua, très répressives. Mais à la rentrée, la vague terroriste recommence. L’attentat le plus meurtrier, rue de Rennes, devant le magasin Tati, fait 7 morts, 51 blessés.

« En 1994 [on pourra] se baigner de nouveau dans la Seine. Et je serai le premier à le faire. »3278

Jacques CHIRAC (1932-2019), lors du lâcher de 5 000 brochets dans la Seine, 28 novembre 1988. Le Nouvel Observateur

Parole du maire de Paris. Chirac sera le prochain président de la République, avec une conscience écologique de plus en plus affirmée. Sa Fondation, créée après sa retraite politique en 2008, prouve la sincérité de cet engagement.

Il n’est toujours pas possible de se baigner dans la Seine, en 2020. Mais la pollution diminue même à Paris et les poissons reviennent et les pêcheurs. Il n’est donc pas interdit de rêver à des baigneurs, dans un avenir raisonnable.

« Je ne suis pas un expert du 12e arrondissement, mais je l’ai traversé quand j’ai couru le marathon de Paris. »3422

Arno KLARSFELD (né en 1965), à la veille des élections législatives des 10 et 17 juin 2007

Une perle rare, dans la campagne. Pour cette déclaration qui ne vaut pas vraiment programme politique, le fringant avocat (fils de son père, Serge Klarsfeld) concourt au prix Press Club, humour et politique.

Après la victoire de Sarkozy à l’élection présidentielle le 6 mai, la commission d’investiture de l’UMP le désigne comme candidat aux élections législatives dans la huitième circonscription de Paris (12e arrondissement), pour succéder au député Jean de Gaulle (petit-fils du Général).

D’abord peu à l’aise dans ce rôle de candidat parachuté, accusé à juste titre par ses adversaires de ne pas habiter dans le secteur, il arrive en ballottage favorable au soir du premier tour, perdant finalement le second, contre la candidate socialiste Sandrine Mazetier (près de 56 % des voix). La majorité sortante UMP est reconduite, dans l’élan de la présidentielle, mais avec un nombre de sièges réduit par rapport à 2002.

Quant au marathonien, il sera occasionnellement conseiller du président, avant d’être nommé au Conseil d’État.

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