Un tour de France historique et inédit (de la Gaule au XVIe siècle) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Voici le pari d’une Histoire de France où l’on ne parle pas de Paris.
Cela semble aussi fou que d’écrire un roman de 300 pages sans « e », lettre la plus utilisée - mais Georges Perec a relevé le défi avec La Disparition (1969) !

Notre défi n’est d’ailleurs pas si fou. Il part d’une bonne raison : rendre justice à toutes les autres villes et régions de notre Histoire. Nombre de faits s’imposent aussitôt.
Presque toutes les (grandes) batailles et les sièges les plus connus se situent hors Paris. La majorité des Noms cités sont natifs de province. Les monuments plus ou moins célèbres se trouvent partout sur le territoire. Toute la gastronomie française (avec ses vins) renvoie aux régions, tandis que la France est essentiellement agricole et paysanne jusqu’au XIXe siècle. Au XXe, l’écologie relance l’idée de terroir ou territoire avec les ZAD et autres combats d’avenir.
Même sous la Révolution où le peuple de notre capitale tient le premier rôle, les Girondins font face aux Montagnards, cependant que la guerre de Vendée et celle des Chouans de Bretagne tuent cent fois plus que la Terreur… qui sévit aussi en diverses régions.  

Notre tour de France qui passe aussi par les ex-colonies et territoires d’Outre-mer se déroule en une Chronique de la Gaule à nos jours : quatre semaines et quelque 300 villes, départements ou régions classés ici par ordre alphabétique.

VILLES citées : Abbeville – Agde - Aix en Provence – Alger -  Alésia – Ambleteuse  - Amboise - Amiens – Angers – Arcis - Argenteuil – Arras – Artois – Avignon -  Bar-le-Duc - Barrême - Beauvais – Belfort - Besançon – Béthune - Béziers – Billancourt - Blois - Bois le Prêtre - Bordeaux –  Boulogne - Bourges – Bouvines – Brazzaville - Brest – Brienne - Caen – Calais - Cannes – Carcassonne - Carhaix-Plouguer – Castellane - Cayenne - Chambord - Champaubert - Châteauneuf-de-Randon - Château-Thierry – Chenonceau – Cherbourg – Chinon – Cholet - Clermont-Ferrand – Clichy – Collioure - Colmar – Colombey –  Compiègne – Condé-sur-l’Escaut – Craonne - Crécy - Créteil – Digne-les-Bains - Dijon –Domrémy – Douaumont – Douai - Dunkerque -  Éparges - Ferney – Ferrières - Florange - Fontainebleau – Fort-Lamy - Fréjus – Gandrange - Gap - Golfe-Juan – Grasse - Grenoble – Guinegatte – Île de Ré - Juan-les-Pins - La Courneuve - La Rochelle – Laffrey – Lascaux - Le Havre – Le Mans – Lépanges-sur-Vologne - Lille – Limoges – Lorient - Lyon -  Machecoul – Mâcon - Malijai – Marciac - Marseille – Metz – Montereau - Montmartre - Montmirail - Montpellier  – Mostaganem – Nancy –  Nangis - Nanterre – Nantes -  Narbonne – Nérac - Nice -  Nîmes – Notre-Dame-des Landes – Orange - Orléans - Pau – Parthenay - Penthièvre - Perpignan – Phalsbourg - Plombières - Poitiers – Port-Royal - Quiberon - Rambouillet - Reims – Rennes – Rethondes - Rouen -  Rueil –Saint-Cloud – Saint-Dié - Saumur - Savenay - Sedan - Sèvres - Soissons – Saint-Jean-de-Luz  - Saint-Germain - Sainte-Marie-du-Pont (Utah Beach) - Sainte-Ménehould - Sainte-Mère-l’Église - Sisteron - Strasbourg – Tamanrasset  - Toulon - Toulouse - Tours – Troyes – Turckheim  - Valenciennes - Valmy - Varennes – Vaux-le-Vicomte - Verdun  - Versailles – Vichy - Villers-Cotterêts – Villeroy – Vincennes.

RÉGIONS et départements : Afrique noire - Algérie - Alsace – Anjou - Aquitaine – Ardèche - Argonne - Béarn - Bourgogne – Bretagne – Cameroun - Comtat Venaissin - Congo - Cotentin – Corrèze - Corse – Côte d’Ivoire - Dauphiné – Dordogne – Finistère - Franche-Comté – Gabon - Gironde – Grand Est - Guyenne – Haut-Rhin - Indochine - Languedoc - Larzac – Limousin - Lorraine – Madagascar – Maine - Marne - Maroc – Marquises (les) – Massif central - Midi-Pyrénées – Loire-Atlantique - Moselle - Nord-Pas-de-Calais - Normandie - Oise - Oubangui-Chari - Pays de la Loire - Périgord  - Picardie - Provence – Rhin (Bas) - Rhin (Haut) – Roussillon - Savoie – Somme - Tahiti - Tchad - Tonkin – Touraine – Tunisie – Vendée – Yvelines – Zambèze.

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GAULE

« Les Celtes, pensait-on à Marseille, étaient à la fois impossibles à dompter et toujours prêts à se vendre. »2

Camille JULLIAN (1859-1933), Histoire de la Gaule (1908-1921)

Historien de référence pour cette longue et lointaine période, Jullian rapporte cette opinion des habitants de Marseille (Massilia). La première ville de la (future) France est fondée au début du VIe siècle av. J.-C. par les Grecs de Phocée (venus d’Asie mineure) et aujourd’hui encore appelée « cité phocéenne ».

À la même époque, les Celtes, venus de l’Est par vagues successives depuis déjà un millénaire occupent massivement l’Europe et notamment la Gaule. Ils se mêlent aux peuples déjà présents : Ligures du Midi et Ibères du Sud-Ouest, sans créer véritablement de civilisation celtique. Leur apport est cependant essentiel : ils ont substitué à l’usage du bronze celui du fer, métal plus solide pour les lances, les épées, les faux, les socs de charrue, le cerclage des tonneaux de bois. Marseille, cité opulente à la population cosmopolite et raffinée, fut en relations constantes avec les tribus celtes de la vallée du Rhône. Les Celtes (ainsi dénommés par les Grecs) restent dans l’histoire sous le nom que leur donnèrent les Romains : Galli, Gaulois.

« Prends-les ! Je suis brave, mais tu es plus brave encore, et tu m’as vaincu. »23

VERCINGÉTORIX (vers 82-46 av. J.-C.), jetant ses armes aux pieds de César, fin septembre 52 av. J.-C., à Alésia. Abrégé de l’histoire romaine depuis Romulus jusqu’à Auguste, Florus

Notre récit national commence avec ce jeune noble devenu chef d’une coalition contre les Romains qui se veulent maîtres de l’Europe. Ces mots du vaincu rapportés par le vainqueur servent d’épilogue à la brève épopée du guerrier gaulois, face au plus illustre des généraux romains.

Grand stratège, César est parvenu à enfermer Vercingétorix et son armée à Alésia (en Bourgogne). L’armée de secours, mal préparée, est mise en pièces par César qui exagère toujours les chiffres : 246 000 morts chez les Gaulois, dont 8 000 cavaliers. Vercingétorix juge la résistance inutile et se rend pour épargner la vie de ses hommes – quelque 50 000, mourant de faim après quarante jours de siège.

La chute d’Alésia marque la fin de la guerre des Gaules et l’achèvement de la conquête romaine. Mais le mythe demeure bien vivant : Vercingétorix, redécouvert par les historiens au XIXe siècle et popularisé jusque dans la bande dessinée, est notre premier héros national.

« Que d’autres villes soient menaçantes par leur situation, fondées sur des hauteurs par d’humbles puissances ; que des remparts édifiés sur des crêtes abruptes se glorifient de n’avoir jamais été abattus ; toi, ce sont tes blessures qui te font aimer et le siège que tu as subi a rendu publique ta ferme loyauté. »41

SIDOINE APOLLINAIRE (430-487), faisant l’éloge de Narbonne. Carmina, XXIII, Lettre au noble narbonnais Consentius, en 465-466, Sidoine Apollinaire

Cet auteur gallo-romain et chrétien du Ve siècle fait allusion au siège de la ville de Narbonne (actuel département de l’Aude), capitale de la province narbonnaise prise en 436 par Théodoric Ier, roi des Wisigoths. Quinze ans après, on retrouvera Théodoric allié aux Romains pour vaincre les Huns aux champs Catalauniques.

« Déjà les habitants se préparaient à évacuer leurs murs ; ils en sont dissuadés par les assurances prophétiques d’une simple bergère de Nanterre, Geneviève, devenue, depuis, la patronne de la capitale. »43

Louis-Pierre ANQUETIL(1723-1806), Histoire de France (1851)

Michelet, lyrique sur Jeanne d’Arc, ne consacre qu’une ligne à la première grande résistante de l’Histoire : « Paris fut sauvé par les prières de Sainte Geneviève. » En réalité, Paris n’est encore que Lutèce, bourgade de 2 000 habitants, dédaignée par Attila qui vient de piller Metz, Reims et Troyes, et fonce sur Orléans en 451.

Geneviève sauvera réellement Paris de la famine, quand les Francs assiégeront la ville en 465. Elle organise une expédition au moyen de bateaux qui, par la Seine, vont chercher le ravitaillement jusqu’en Champagne. Clovis et Clotilde lui voueront une grande vénération. Elle mourra à près de 90 ans. La sainte patronne de Paris est fêtée le 3 janvier.

Rappelons déjà cette évidence : la très longue liste des Noms plus ou moins célèbres nés hors Paris.

« Souviens-toi du vase de Soissons. »72

CLOVIS (vers 465-511), vers 486. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours

Clovis n’a pas pardonné l’affront subi après la bataille de Soissons (région des Hauts-de-France), quand il passe ses troupes en revue et reconnaît l’insolent. Lui reprochant la mauvaise tenue de ses armes, il jette au sol sa francisque. Le soldat se baissant pour la ramasser, Clovis lui brise le crâne d’un coup de hache, en prononçant ces paroles. Selon une autre version, il lui aurait crié : « Voilà ce que tu as fait au vase de Soissons. »

« Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. »77

RÉMI (vers 437-vers 533), à Clovis, baptisé à Reims le 25 décembre 496. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours

Comme promis, Clovis le païen va se faire chrétien après la victoire de Tolbiac en Germanie, contre la tribu des Alamans (futurs Allemands) - et 3 000 de ses hommes vont se convertir avec lui. Il est baptisé à Reims, comme tous les rois de France à sa suite. Il a déposé ses armes et sa cuirasse, quand Rémi, archevêque de la ville, apôtre des Francs et futur saint, procède à la cérémonie.

Le mot très souvent cité est peut-être apocryphe – Sicambre étant le nom donné à une ethnie des Francs. Il n’en exprime pas moins l’autorité religieuse sur le pouvoir royal et ce rapport de force moral de l’évêque sur le roi. La religion va désormais marquer l’histoire de France en maints épisodes et jusqu’au XXe siècle.

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MOYEN ÂGE

« Tel au combat sera ce grand Martel
Qui, plein de gloire et d’honneur immortel,
Perdra du tout par mille beaux trophées
Des Sarrasins les races étouffées,
Et des Français le nom victorieux
Par sa prouesse enverra jusqu’aux cieux. »86

Pierre de RONSARD (1524-1585), La Franciade (1572)

Dans son épopée inachevée, le poète de la Renaissance présente ainsi Charles Martel, fils de Pépin de Herstal, maire du palais qui doit son surnom (« Martel » signifiant marteau) à l’énergie déployée pour imposer sa politique. Il reste dans l’histoire pour avoir arrêté l’avancée impétueuse des Arabes à la bataille de Poitiers (732).

Ses dépenses de guerre sont telles que pour y faire face, il procède à une vraie spoliation des biens de l’Église (déjà riche), mais d’un autre côté, il soutient la politique d’évangélisation de Rome.

« De Cotentin partit la lance
Qui abattit le roi de France. »160

Dicton (1047). Histoire du château et des sires de Saint-Sauveur-Le-Vicomte (1867), Léopold Delisle

Ce roi de France est Henri Ier, fils de Robert le Pieux, suzerain et allié du jeune duc de Normandie Guillaume, venu lui demander appui contre ses barons normands révoltés. Les premiers rois capétiens sont faibles, n’ayant autorité que sur un modeste territoire, de Paris à Orléans.

Les armées de Guillaume et du roi de France se heurtent aux révoltés près de Caen, au Val-des-Dunes. Parmi les barons, un chevalier du Cotentin (actuel département de la Manche) désarçonne le roi – d’où ce dicton. Mais il est aussitôt tué par les chevaliers entourant le roi. Guillaume et Henri Ier l’emportent et le duc de Normandie reprend le contrôle de son duché.

Inquiet de la puissance de son vassal, le roi se retournera contre lui, ce qui lui vaudra plusieurs défaites (Mortemer en 1054, Varaville en 1058).

« Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! »191

Arnaud AMAURY (1135-1225), avant le sac de Béziers, 22 juillet 1209. Dialogi miraculorum (posthume), Césaire d’Heisterbach, savant et religieux allemand du XIIIe siècle

Digne des plus sanglantes guerres de Religion, l’ordre est attribué à Amaury (ou Amalric), abbé de Cîteaux et légat du pape, chargé de ramener les dévoyés à la foi catholique. C’est sans doute une invention de Césaire d’Heisterbach, moine qui conta la prise miraculeuse de Béziers par les croisés de Simon de Montfort, dans ses Dialogi miraculorum.

Chef spirituel de la croisade contre les Albigeois, et même s’il n’a pas donné l’ordre, Amaury écrit dans une lettre à Innocent III : « Sans égard pour le sexe et pour l’âge, vingt mille de ces gens furent passés au fil de l’épée. » Catholiques et cathares confondus, et Dieu reconnaîtra les siens…

« Une nation est née. La bataille de Bouvines est le premier événement national de notre histoire. »

Achille LUCHAIRE (1846-1908), Philippe Auguste et son temps (réédité en 1980)

Philippe Auguste, premier grand Capétien, s’est aliéné Jean sans Terre le nouveau roi d’Angleterre en lui confisquant ses fiefs sur le continent. En 1214, Jean sans Terre et Othon de Brunswick, empereur d’Allemagne, forment contre le roi de France une coalition qui réunit nombre de grands féodaux, tels Renaud, comte de Boulogne et Ferrand de Portugal, comte de Flandre. Philippe, appuyé sur les milices communales, va remporter à Bouvines (actuel département du Nord) une victoire considérée par les historiens comme « la défaite majeure de la haute féodalité ».

« Maintes fois il lui arriva, en été, d’aller s’asseoir au bois de Vincennes, après avoir entendu la messe ; il s’adossait à un chêne et nous faisait asseoir auprès de lui ; et tous ceux qui avaient un différend venaient lui parler sans qu’aucun huissier, ni personne y mît obstacle. »151

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis

Jean, sire de Joinville en Champagne, a suivi son seigneur Thibaud de Champagne à la cour du roi. Très pieux, il décide de partir avec les chevaliers chrétiens pour la septième croisade en Égypte et c’est alors que Louis IX l’attache à sa personne, comme confident et conseiller.

La partie anecdotique de sa chronique, la plus touffue, se révèle aussi la plus riche et cette page, l’une des plus célèbres de l’œuvre. L’historien, témoin direct des faits rapportés, campe un roi vivant et vrai, humain et sublime à la fois. L’image d’Épinal du roi rendant la justice sous un arbre du bois de Vincennes était présente dans tous les manuels scolaires. Après la mort de ce grand Capétien, Joinville sera très utile pour l’enquête faite à la demande du pape Boniface VIII, qui aboutira au procès en canonisation de Saint Louis.

« Le fils de Saint Louis, Philippe le Hardi, revenant de cette triste croisade de Tunis, déposa cinq cercueils au caveau de Saint-Denis. Faible et mourant lui-même, il se trouvait héritier de presque toute sa famille. »226

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)

Rappelons que la ville de Saint-Denis, proche de Paris, servira de place forte pour assiéger Paris pendant les Guerres de religion au XVe siècle. La nécropole royale de la basilique de Saint-Denis est un joyau de l’art gothique qui abrite les tombes de nombreux souverains francs et français, depuis Dagobert jusqu’à Louis XVIII.

Outre son père Louis IX, le nouveau roi a perdu sa femme, un enfant mort-né, son beau-frère et ami le roi de Navarre (Thibaud de Champagne), et la femme de ce dernier. Ce règne si mal commencé ne continue pas mieux : échec de la candidature de Philippe II le Hardi à l’empire (1273), massacres des Français en Sicile (1282), défaite de la France contre l’Aragon (1285).

« N’aurons-nous donc jamais fait [fini] ? Je crois qu’il pleut des Flamands ! »245

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Lille, automne 1304. L’Art de vérifier les dates des faits historiques (1818), David Bailie Warden

Le roi de France, toujours menant ses troupes, renversé avec son cheval, a pu se dégager à coups de hache. Il met ensuite le siège devant Lille et pousse cette exclamation, apprenant l’arrivée d’une nouvelle armée de 60 000 Flamands.

Plutôt que la poursuite de la guerre, il va choisir la diplomatie. Ce sera le traité d’Athis-sur-Orge (23 juin 1305) : les Flamands devront payer une lourde indemnité et démolir toutes leurs fortifications. En gage d’exécution de ces clauses, Philippe occupe Lille, Douai et Béthune. En 1312, les clauses du traité ne sont toujours pas exécutées : le roi annexe les trois villes à titre définitif, en vertu du traité de Pontoise, dit Transport de Flandre. Ainsi, le royaume s’agrandit.

« Si lui mua le sang, car trop les haïssait. »282

Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), parlant du roi de France face aux Anglais, bataille de Crécy, 26 août 1346. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Le chroniqueur conte par le menu les hauts faits de la chevalerie. Mais à Crécy (actuel département de la Somme), le désastre va être complet pour les Français. À la vue des Anglais, Philippe VI perd son sang-froid et charge imprudemment. C’est le premier choc frontal de la guerre de Cent Ans. Et pour la première fois, l’artillerie apparaît sur un champ de bataille.

« Ces bombardes menaient si grand bruit qu’il semblait que Dieu tonnât, avec grand massacre de gens et renversement de chevaux. »283

Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), Chroniques, bataille de Crécy, 26 août 1346

Les canons anglais, même rudimentaires et tirant au jugé, impressionnent les troupes françaises, avec leurs boulets de pierre. L’artillerie anglaise, jointe à la piétaille des archers gallois, décime la cavalerie française réputée la meilleure du monde, mais trop pesamment cuirassée pour lutter contre ces armes nouvelles. À cela s’ajoutent un manque d’organisation total, l’incohérence dans le commandement, la panique dans les rangs.

C’est la fin de la chevalerie en tant qu’ordre militaire. C’est aussi une révolution dans l’art de combattre. Malheureusement, les Français n’ont pas compris la leçon à cette première défaite de Crécy.

« Et je me remettrai volontiers, vêtu seulement de ma chemise, nu-tête, nu-pieds et la corde au cou, à la merci du noble roi d’Angleterre. »285

EUSTACHE de SAINT-PIERRE (vers 1287-1371), 3 août 1347. Chroniques, Jean Froissart

Froissart conte l’épisode des six bourgeois de Calais (actuel département du Pas-de-Calais) avec maints détails, d’autant plus volontiers qu’il deviendra historien officiel à la cour de Philippine (ou Philippa) de Hainaut, reine d’Angleterre à qui l’on doit le happy end de l’histoire.

Les Anglais ont mis le siège devant Calais et, onze mois après, la ville est réduite aux abois. Eustache de Saint-Pierre, le plus riche bourgeois, vient implorer le roi d’Angleterre pour obtenir le salut de sa ville en échange de sa vie. Avec lui, cinq autres Calaisiens se déclarent prêts au sacrifice.

« Six des bourgeois les plus notables, nu-pieds et nu-chef, en chemise et la hart [corde] au col, apporteront les clefs de la ville et châteaux et de ceux-ci je ferai ma volonté. »286

ÉDOUARD III d’Angleterre (1327-1377), 3 août 1347. Chroniques, Jean Froissart

Le roi avait promis la mort à tous les habitants de la ville forcée de se rendre. Mais il se ravise et accepte le sacrifice des six bourgeois qui se présenteront le lendemain. Plusieurs hauts personnages de son entourage intercèdent en leur faveur, mais en vain : « Ceux de Calais ont fait périr tant de mes hommes qu’il convient que ceux-ci meurent aussi. » Mais la reine d’Angleterre, Philippine de Hainaut, intervient à son tour.

« Ah ! noble sire, depuis que j’ai fait la traversée, en grand péril, vous le savez, je ne vous ai adressé aucune prière, ni demandé aucune faveur. Mais à présent je vous prie humblement et vous demande comme une faveur personnelle, pour l’amour du fils de sainte Marie et pour l’amour de moi, de bien vouloir prendre ces six hommes en pitié. »287

Philippine de HAINAUT (vers 1310-1369), reine d’Angleterre 4 août 1347. Chroniques, Jean Froissart

La reine, « durement enceinte », s’est jetée aux genoux de son royal époux. Elle fait preuve de toute sa vertu chrétienne pour sauver les malheureux bourgeois de Calais qui vont entrer dans l’Histoire.

« Ah ! Madame, j’eusse mieux aimé que vous fussiez ailleurs qu’ici. Vous me priez si instamment que je n’ose vous opposer un refus, et quoique cela me soit très dur, tenez, je vous les donne : faites-en ce qu’il vous plaira. »288

ÉDOUARD III d’Angleterre (1327-1377), 4 août 1347. Chroniques, Jean Froissart

Le roi se laisse finalement fléchir par sa femme. « Alors la reine se leva, fit lever les six bourgeois, leur fit ôter la corde du cou et les emmena avec elle dans sa chambre ; elle leur fit donner des vêtements et servir à dîner, bien à leur aise ; ensuite elle donna six nobles [monnaie anglaise] à chacun et les fit reconduire hors du camp sains et saufs. » Propos toujours rapportés par Froissart.

Calais devient anglaise le 3 août 1347 et jusqu’au 6 janvier 1558, lorsque Henri II de France reprendra la ville à Marie Tudor.

Quant à l’épisode des « bourgeois de Calais », il sera immortalisé dans le bronze par le sculpteur Auguste Rodin, très inspiré par le récit de Froissart et l’héroïsme des six hommes : monument inauguré à Calais, en 1895. Œuvre reproduite en 12 exemplaires originaux (selon la législation), dispersés partout dans le monde. C’est l’un des chefs-d’œuvre du maître Rodin (auquel participa Camille Claudel, élève dont le génie fut tardivement reconnu à légal du maître).

« Je ne regrette en mourant que de n’avoir pas chassé tout à fait les Anglais du royaume comme je l’avais espéré ; Dieu en a réservé la gloire à quelque autre qui en sera plus digne que moi. »314

Bertrand du GUESCLIN (1320-1380), son mot de la fin, le 13 juillet 1380. Histoire de Bertrand du Guesclin (1787), Guyard de Berville

Le connétable assiège la place forte de Châteauneuf-de-Randon (Lozère). Victime d’une congestion brutale, il remet son épée au maréchal de Sancerre pour qu’il la rende au roi dont il demeure « serviteur et le plus humble de tous ». Restent aux Anglais la Guyenne (Aquitaine), Brest, Cherbourg, Calais.

Le gouverneur anglais de la ville avait dit qu’il ne se rendrait qu’à lui : il déposera les clefs de la cité sur son cercueil. Du Guesclin voulait être enterré en Bretagne, mais Charles V ordonne que sa dépouille rejoigne celle des rois de France, en la basilique de Saint-Denis. Insigne et ultime honneur.

« Vive le roi de France ! Montjoie Saint-Denis ! »317

Cris de joie du peuple, 14 novembre 1380. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Le nouveau roi Charles VI a été sacré à Reims le 4 novembre. Il n’a que 12 ans et la régence est assurée par ses quatre oncles. Le peuple a appris la suppression des fouages par le feu roi et l’un des oncles surenchérit en promettant la suppression des aides. Quand une assemblée comparable à des États généraux décide d’abolir tous les impôts, c’est l’explosion de joie du peuple : « Vive le roi de France ! Montjoie Saint-Denis ! »

Mais la guerre continue et il faut payer les soldes des soldats. Le début du règne, compromis par la rivalité des quatre oncles – duc d’Anjou, de Bourgogne, de Berry et de Bourbon – va être marqué par de graves troubles intérieurs, souvent d’origine fiscale, suivis de dures répressions. À la Toussaint 1388, le roi qui a 20 ans entreprend de gouverner en personne avec les « Marmousets », anciens ministres de son père : c’est l’espoir d’un retour à la « bonne police ». Mais l’espoir ne va pas durer. De 1337 à 1453, la France vit l’épreuve de la guerre de Cent Ans contre l’Angleterre qui envahit son territoire.

« Jeanne d’Arc est née à Domrémy
Petit village de la Lorraine
C’est les Anglais qui l’ont trahie
Domrémy. »

Comptine anonyme à la gloire de Jeanne d’Arc (1412-1431), notre première héroïne nationale

Née à Domrémy (petit village du département des Vosges, en Lorraine) et morte en Normandie à Rouen après une épopée devenue légendaire, Jeanne est restée la plus populaire de nos héroïnes.

« Je viens de la part du roi des Cieux pour faire lever le siège d’Orléans et pour conduire le roi à Reims pour son couronnement et son sacre. »336

JEANNE d’ARC (1412-1431), Château de Chinon, 7 mars 1429. Jeanne d’Arc (1860), Henri Wallon

Réponse aux conseillers de Charles VII qui lui demandent pourquoi elle est venue. Curieusement, sa réponse ne semble pas surprendre les conseillers.

À peine âgée de 17 ans, elle a déjà persuadé le sire de Baudricourt, capitaine royal de Vaucouleurs, de lui donner une escorte. Elle a traversé la France infestée d’Anglais et de Bourguignons (alliés à l’ennemi) pour se rendre à Chinon (Val-de-Loire) où se trouve le dauphin. Le lendemain, elle est conduite dans la salle du trône. Et tout ce qu’elle annonce va se réaliser, du siège d’Orléans au sacre de Reims.

« Vous, hommes d’Angleterre, qui n’avez aucun droit en ce royaume, le roi des Cieux vous mande et ordonne par moi, Jehanne la Pucelle, que vous quittiez vos bastilles et retourniez en votre pays, ou sinon, je ferai de vous un tel hahu [dommage] qu’il y en aura éternelle mémoire. »431

JEANNE d’ARC (1412-1431), Lettre du 5 mai 1429. Présence de Jeanne d’Arc (1956), Renée Grisell

Siège d’Orléans, épisode majeur de la guerre de Cent Ans. Le 4 mai, à la tête de l’armée de secours envoyée par le roi et commandée par le Bâtard d’Orléans (jeune capitaine séduit par sa vaillance et fils naturel de Louis d’Orléans, assassiné), Jeanne attaque la bastille Saint-Loup et l’emporte. Le 5 mai, fête de l’Ascension, on ne se bat pas, mais elle envoie par flèche cette nouvelle lettre.

Le 7 mai, elle attaque la bastille des Tournelles. Après une rude journée de combat, Orléans est libérée. Le lendemain, les Anglais lèvent le siège. Et toute l’armée française, à genoux, assiste à une messe d’action de grâce.

« Gentil roi, or est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que vous vinssiez à Reims recevoir votre saint sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume de France doit appartenir. »343

JEANNE d’ARC (1412-1431). Jeanne d’Arc (1860), Henri Wallon

Jeanne a tenu parole, Charles est sacré à Reims le 17 juillet 1429 par l’évêque Regnault de Chartres. Alors seulement, Charles VII peut porter son titre de roi. Plusieurs villes font allégeance : c’est « la moisson du sacre ». En riposte, le duc de Bedford fait couronner à Paris Henri VI de Lancastre « roi de France ».

Les victoires ont permis de reconquérir une part de la « France anglaise », mais Jeanne, blessée, échoue devant Paris en septembre. Après la trêve hivernale (de rigueur à l’époque), elle décide de « bouter définitivement les Anglais hors de France », contre l’avis du roi qui a signé une trêve avec les Bourguignons.

23 mai 1430, capturée devant Compiègne, elle est vendue aux Anglais pour 10 000 livres et emprisonnée à Rouen le 14 décembre. Les Anglais veulent sa mort. Les juges français veulent y mettre les formes.

[Question à l’accusée] « Pourquoi votre étendard fut-il porté en l’église de Reims au sacre, plutôt que ceux des autres capitaines ?
— Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur. »347

JEANNE d’ARC (1412-1431), Procès, 9e interrogatoire du 15 mars 1431. Dictionnaire de français Larousse, au mot « peine »

Jeanne va subir une suite d’interrogatoires minutieux et répétitifs, en deux procès qui vont durer plus de deux mois, à Rouen. Le calme bon sens de la jeune fille l’emporte sur tous les pièges du frère. Le théâtre et le cinéma reprendront presque au mot à mot ce dialogue.

« Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte. »348

Secrétaire du roi d’Angleterre, après l’exécution de Jeanne, Rouen, 30 mai 1431. Histoire de France, tome V (1841), Jules Michelet

Le mot est aussi attribué à l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon.

En fin de procès, le 24 mai, dans un moment de faiblesse, Jeanne abjure publiquement ses erreurs et accepte de faire pénitence : elle est condamnée au cachot. Mais elle se ressaisit et, en signe de fidélité envers ses voix et son Dieu, reprend ses habits d’homme, le 27 mai. D’où le second procès, vite expédié : condamnée au bûcher comme hérétique et relapse (retombée dans l’hérésie), brûlée vive sur la place du Vieux-Marché à Rouen, ses cendres sont jetées dans la Seine. Il fallait éviter tout culte posthume de la Pucelle, autour des reliques.

Charles VII n’a rien tenté pour sauver Jeanne, mais il fit procéder à une enquête quand il reconquit Rouen sur les Anglais. Le 7 juillet 1456, on fait le procès du procès, d’où annulation, réhabilitation de sa mémoire. Jeanne ne sera béatifiée qu’en 1909 et canonisée en 1920.

« Mais où sont les neiges d’antan ? […]
Et Jeanne la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ? »350

François VILLON (vers 1431-1463), Le Grand Testament, Ballade des dames du temps jadis (1462)

Un des premiers poètes à lui rendre hommage est Villon, né (vraisemblablement) l’année de sa mort.

Princesse (bâtarde de sang royal) ou simple bergère de Domrémy, petit village de la Lorraine, le mystère nourrit la légende, et la fulgurance de cette épopée rend le sujet toujours fascinant, six siècles plus tard. La récupération politique est une forme d’exploitation du personnage, plus ou moins fidèle au modèle.

L’histoire de Jeanne inspirera d’innombrables œuvres littéraires, cinématographiques et artistiques, signées : Bernard Shaw, Anatole France, Charles Péguy, Méliès, Karl Dreyer, Otto Preminger, Roberto Rossellini, Robert Bresson, Luc Besson, Jacques Rivette, Jacques Audiberti, Arthur Honegger, etc. Et L’Alouette de Jean Anouilh : « Quand une fille dit deux mots de bon sens et qu’on l’écoute, c’est que Dieu est là. […] Dieu ne demande rien d’extraordinaire aux hommes. Seulement d’avoir confiance en cette petite part d’eux-mêmes qui est Lui. Seulement de prendre un peu de hauteur. Après Il se charge du reste. »

« Ce Dauphin en son Dauphiné, c’est déjà le roi Louis. »362

Pierre CHAMPION (1880-1942), Louis XI (1927)

Né à Bourges en 1423, « petite fleur malingre au jardin de France », le futur Louis XI, pendant dix ans, administre soigneusement le Dauphiné : il y fait son apprentissage de roi, révélant déjà toutes les qualités de l’un des plus grands souverains notre histoire. Cette région montagneuse du sud-est de la France rassemble aujourd’hui neuf départements : Isère, Savoie, Haute-Savoie, Ain, Ardèche, Drôme, Hautes-Alpes, Vaucluse et la région de Barcelonnette pour les Alpes de Haute-Provence.

« Calais, après trois cent quarante jours de siège,
Fut sur Valois vaincu conquis par les Anglais ;
Quand le plomb flottera sur l’eau comme le liège
Les Valois reprendront sur les Anglais Calais. »367

Inscription placée par les Anglais sur la citadelle de Calais, 23 juin 1462. L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, nos 475 à 485 (1991)

Calais est le seul point du territoire resté aux Anglais à la fin de la guerre de Cent Ans. La reine d’Angleterre Marguerite d’Anjou, femme d’Henri VI devenu fou, se réfugie en France et Louis XI obtient d’elle que soit désigné comme gouverneur de Calais un homme à sa dévotion. Mais les Anglais qui ont mis près d’un an à conquérir Calais n’entendent pas la céder si facilement ! Ils garderont cette ville jusqu’en 1558.

« Il me semble que je n’ai pas perdu mon écot. »366

LOUIS XI (1423-1483). Louis XI : un roi entre deux mondes (1976), Pierre Roger Gaussin

En avril 1462, Jean II d’Aragon et Louis XI concluent un accord d’assistance réciproque, mais celui qui obtiendra de l’autre des troupes en paiera la solde.

En mai, Jean II, pour soumettre les Catalans, demande infanterie, artillerie, machines de guerre et 300 000 écus d’or. Pour garantir le paiement de cette dette, Louis XI prend en gage, le 9 mai 1462, les forteresses de Perpignan et de Collioure et stipule qu’après la prise de Barcelone par Jean II, il annexera tout le Roussillon jusqu’au remboursement de la dette. Louis XI est sûr que cette dette ne sera jamais remboursée et que le Roussillon lui restera. En fait, il lui faudra quand même faire conquérir cette province et sa capitale Perpignan, par ses alliés Gaston de Foix et Jacques d’Armagnac.

« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »369

CHARLES le Téméraire (1433-1477). L’Histoire du monde, volume III (1963), Jean Duché

Cet aphorisme convient bien au personnage et à son parcours guerrier. Fils de Philippe III de Bourgogne (et membre de la dynastie des Valois), il va lui succéder à la tête de l’État bourguignon à sa mort (1467), mais il a déjà la réalité du pouvoir en 1465 quand il s’engage dans la première grande coalition contre Louis XI, la Ligue du Bien public.

Le nouveau duc de Bourgogne n’a qu’un but : unir ses territoires en un seul royaume, des Pays-Bas à la vallée de la Saône et du Rhin à la mer du Nord. Il va fatalement s’opposer à Louis XI qui ne peut accepter un si grand État voisin de la France. Il se heurtera aussi aux princes allemands et à l’empereur qui s’allie à Louis XI pour contrecarrer les ambitions démesurées du bien nommé « Téméraire ». Son échec final et sa mort au combat devant Nancy (1477) aboutiront au démembrement de ses États. Louis XI y gagnera le duché de Bourgogne, la Picardie et Boulogne. Mais auparavant, les deux hommes se seront affrontés de toutes les manières, politiques, diplomatiques et guerrières.

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RENAISSANCE ET GUERRES DE RELIGION

« Car je suis né et été nourri jeune au jardin de France : c’est Touraine. »389

François RABELAIS (vers 1494-1553), Pantagruel (1532)

Moine médecin, né près de Chinon et lancé en littérature par ce personnage de géant (fils de Gargantua) qu’il a créé. Paris reste ville capitale, mais les Valois au pouvoir fuient ses violences révolutionnaires et vont en Val de Loire construire leurs châteaux : Amboise, Blois, Chambord, Chenonceau dont nous reparlerons. Là se situe la vie culturelle, galante et bien souvent politique de la France : Léonard de Vinci le prestigieux invité finira sa vie près d’Amboise, les États généraux se tiennent à Blois, à Tours. Et ce qui deviendra au XVIe siècle la langue nationale est le français parlé en Touraine, réputé le plus pur.

« L’histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d’une nationalité. »391

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1840)

C’est l’ordonnance de Villers-Cotterêts (région Hauts-de-France) édictée par François Ier en 1539 qui réorganise la justice, impose le français au lieu du latin pour les ordonnances et jugements des tribunaux. Mais il faudra se battre jusqu’à la fin du siècle pour que le français devienne aussi la langue des savants et des artistes.

« Pour un marchand que l’on trouvait au temps dudit roi Louis onzième, riche et gros personnage à Paris, à Rouen, à Lyon et autres bonnes villes du royaume et généralement par toute la France, on en trouve en ce présent règne plus de cinquante. »407

Claude de SEYSSEL (vers 1450-1520), La Grande Monarchie de France (1519)

Le commerce par terre aussi bien que par mer, et intérieur autant qu’international, prospère sous la Renaissance et les témoignages de contemporains pallient le manque de statistiques. Une nouvelle classe s’enrichit et devient politiquement influente, achète des terres, des offices royaux, des bénéfices ecclésiastiques, met la main sur les institutions municipales : c’est la bourgeoisie d’affaires.

« Roi très puissant, mon souverain seigneur,
Reims très ancienne, par grande humilité,
Son cœur vous ouvre par excellent honneur,
Vous promettant garder fidélité. »416

Guillaume COQUILLART (vers 1452-1510). Du sacre des Rois de France (1825), Félix Lacointa

Poète et chanoine du chapitre de Reims, il dédie ces vers au jeune roi : Charles VIII fait son entrée à Reims pour y être couronné, le 29 mai 1484. Lieu de sacre traditionnel depuis le baptême de Clovis par l’évêque Rémi, mais les « Entrées » royales deviennent des fêtes toujours plus fastueuses, sous la Renaissance.

« Souvenez-vous de Guinegatte ! »427

Cri des Français à la bataille de Fornoue, 5 juillet 1495. Mémoires, Philippe de Commynes

C’est rappeler qu’il ne faut pas revivre à Fornoue (affrontement de la première guerre d’Italie) l’humiliation de Guinegatte (près de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais) : Louis XI, en 1479, y perdit la guerre contre Maximilien d’Autriche, les francs-archers s’étant mis à piller les bagages de l’archiduc ennemi avant d’avoir remporté la victoire !

Juillet 1495, Charles VIII doit battre en retraite, les Italiens s’étant coalisés face à l’intervention étrangère : la Ligue de Venise réunit la Vénétie et la Lombardie, mais aussi le pape Alexandre VI, Ferdinand d’Aragon et l’empereur Maximilien d’Autriche. Avec 9 000 hommes contre 30 000 Vénitiens et Lombards formant l’avant-garde de la coalition, Charles VIII force le passage à Fornoue (ville italienne proche de Parme). La retraite se transforme en victoire et les soldats français retrouvent leur réputation perdue : c’est la « furia francese ».

« Souvent femme varie
Bien fol est qui s’y fie. »446

FRANÇOIS Ier (1494-1547). Vie des Dames galantes, extraites des Mémoires de Brantôme

Brantôme, abbé laïc et chroniqueur du XVIe siècle, nous donne à voir le roi chevalier écrivant ces mots, sur le côté d’une fenêtre au château de Chambord – il l’a fait construire sur des terres marécageuses et au centre d’une forêt très giboyeuse, pour en faire « un grand, bel et somptueux édifice » et son terrain de chasse.

Le jeune et beau François délaisse son épouse Claude de France, boiteuse et laide, mais très populaire, lui faisant quand même deux fils, François mort jeune et le futur Henri II. Et il va multiplier les aventures.

Michelet donne ce portrait du roi dans son Histoire de France : « Les femmes, la guerre – la guerre pour plaire aux femmes. Il procède d’elles entièrement. Les femmes le firent tout ce qu’il fut, et le défirent aussi. » Remarque pertinente, si l’on se rappelle l’importance de sa mère Louise de Savoie et de sa sœur Marguerite d’Angoulême, ou de favorites influentes comme la duchesse d’Étampes… et les multiples maîtresses qui, à la fin de sa vie, lui donnèrent la vérole – le fameux « abcès » dont il mourra.

« Dans le château de Rambouillet,
Le roi François s’y trépassait […]
Par quoi chantons à haute voix
Vive Henri, roi des François ! »478

Chanson nouvelle composée sur les regrets du trépassement du Très Chrétien Roi de France, 1547. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Prématurément vieilli à 52 ans, après trente-deux ans de règne, François Ier, dit le Roi chevalier ou le Roi guerrier, meurt : d’une fistule tuberculeuse ou du « mal de Naples » ? Les historiens en débattent encore.

La duchesse d’Étampes, maîtresse du roi devenue très influente ces dernières années, doit partir et laisser seule en la place Diane de Poitiers, favorite du nouveau « roi des François », Henri II.

« Si l’on ouvrait mon cœur, on y trouverait gravé le nom de Calais. »488

Marie TUDOR (1516-1558), son mot de la fin. Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, tome IX (1844), Henri Martin

Ainsi s’exprime la reine d’Angleterre, mourante dit-on du chagrin que lui a causé la perte de cette ville, seule place restée anglaise en France à la fin de la guerre de Cent Ans. Sauvée du massacre il y a deux siècles par les fameux bourgeois de Calais, la ville fut quelque peu oubliée par les rois de France, davantage intéressés par la riche et fascinante Italie.

C’est d’ailleurs parce que la France commence la onzième – et dernière – guerre d’Italie en attaquant le royaume de Naples que le roi d’Espagne Philippe II (fils de Charles Quint et mari de la reine d’Angleterre) attaque en Picardie.  Calais est reprise aux Anglais le 13 janvier 1558, après un siège très bref de six jours et malgré les renforts envoyés par Marie Tudor.

La perte de cette ville rendra encore plus impopulaire Marie la Catholique, dite aussi la Sanglante, pour avoir persécuté les protestants anglais. La reine meurt au terme d’une longue agonie, le cœur brisé d’avoir perdu Calais, mais dit-on aussi Philippe, qui s’est éloigné d’elle pour retourner en Espagne après un an de mariage.

« Ils ont décapité la France, les bourreaux ! »495

Jean d’AUBIGNÉ (??-1563), à son fils, devant le château d’Amboise, mars 1560. La Vie d’un héros, Agrippa d’Aubigné (1913), Samuel Rocheblave

Enfant de 8 ans, Agrippa d’Aubigné sera marqué à vie par la vue des conjurés protestants pendus sur la terrasse du château. C’est l’épilogue de la conjuration d’Amboise.

Les chefs protestants (Condé, Coligny, Henri de Bourbon) voulaient exprimer leurs doléances et soustraire le jeune roi François II à l’influence de ses oncles, le duc de Guise et le cardinal de Lorraine, catholiques responsables de la répression religieuse. Refusant la violence, ils projettent l’enlèvement organisé par d’autres gentilshommes, dont Jean d’Aubigné. Le complot échoue, le « tumulte » d’Amboise est noyé dans le sang. Le prince de Condé sera arrêté, mais relâché, aussitôt prêt à une nouvelle conjuration.

Le père d’Aubigné demande à son fils de « venger ces chefs pleins d’honneur » au péril de sa vie : ce qu’il fera, la plume et l’épée à la main, soldat, poète et mystique, parfaite incarnation des excès et des vertus de son époque.

« De là vient le discord sous lequel nous vivons,
De là vient que le fils fait la guerre à son père,
La femme à son mari, et le frère à son frère. »503

Pierre de RONSARD (1524-1585), Discours des misères de ce temps, Remontrance au peuple de France (1562).

Prince des poètes, devenu poète des princes, il est à présent protégé par Michel de L’Hospital.

Le massacre de Wassy (actuel département de la Haute-Marne) est l’acte I des grandes « misères de ce temps », qui inspirent ses Discours au patriotisme écorché vif et font de ce fervent catholique un auteur engagé.

Le 1er mars 1562, François de Guise et ses gens, revenant de Lorraine, voient des protestants au prêche dans la ville de Wassy – pratique interdite par l’édit de janvier. Ils foncent dans la foule au son des trompettes. Bilan : 74 morts et une centaine de blessés. C’est la « première Saint-Barthélemy » et les massacres de huguenots se suivent et se ressemblent dramatiquement à Sens et à Tours, dans le Maine et l’Anjou.

Ainsi commence la première des huit guerres de Religion – trente-six années de guerre civile, presque sans répit, jusqu’à l’édit de Nantes (1598).

« Après avoir pacifié les troubles qui par la punition de Dieu vinrent en France en l’an 1562 et 1563, Sa Majesté eut le désir d’aller voir plusieurs pays et provinces de son Royaume, pour connaître ses bons et loyaux sujets. »504

Recueil et discours du voyage du Roy Charles IX, Jean Bonfons (1566)

Le jeune roi se conforme à la volonté de sa mère Catherine de Médicis qui l’accompagne. Le « Grand Tour » débute le 24 janvier 1564 et va durer deux ans et demi, parcourant 4 000 km et suivi par une cour de 15 000 personnes ! Ce sera le voyage le plus le plus long et fastueux jamais effectué par un souverain français. Il doit permettre à Charles IX de découvrir son royaume et de se faire en même temps connaître de ses sujets

Menant la cour dans la plupart des provinces du royaume, le Grand Tour est ponctué par les « Entrées royales » dans les villes, suivies de réceptions et festivités parmi les plus spectaculaires du siècle. Il s’arrête plusieurs jours à Troyes, Dijon, Mâcon, Aix-en-Provence, Marseille, Nîmes, Montpellier, Narbonne, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Angers, Bourges et Clermont. Le cortège royal passe aussi par les puissances voisines du royaume, organisant des entrevues politiques dans le duché de Lorraine et le Comtat Venaissin (actuel département de la Drôme). À Troyes, Charles IX a rencontré la reine Élisabeth d’Angleterre– grande rivale protestante. Il espérait une entrevue avec son beau-frère Philippe II d’Espagne à Saint-Jean-de-Luz, mais ce principal rival catholique se fait représenter, recevant peu après un émissaire du sultan Soliman le Magnifique…

La rencontre festive entre le roi et ses sujets sert les enjeux politiques du voyage, après la première Guerre de religion. Le voyage permet de restaurer l’autorité royale en imposant la Paix d’Amboise aux régions récalcitrantes. Charles IX et Catherine de Médicis ont tenté d’assurer plus encore l’unité et l’intégrité du royaume de France, Malgré cette approche conciliante, il leur fut impossible de régler le conflit entre papistes et huguenots, d’où la sanglante nuit de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572.

« Vous devez louer Dieu, si prenez cette ville, de vous avoir fait la grâce d’être le restaurateur et conservateur du royaume et qu’à l’âge de vingt et un ans vous avez plus fait qu’homme, pour grand capitaine qu’il ait été, ait jamais fait. »536

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), à son fils Henri duc d’Anjou, lettre du 15 avril 1573. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le futur Henri III, brillant vainqueur de Jarnac et de Moncontour contre les protestants, n’aura pas la même chance devant cette ville de La Rochelle dont il fait le siège avec les troupes royales, en mars 1573. Six mois ne feront pas céder le grand port tenu par les protestants et la paix de La Rochelle (1er juillet 1573) leur donne quelques satisfactions.

En 1579, Catherine de Médicis entamera un nouveau Grand Tour de France avec Henri III son fils préféré devenu roi, au même motif qu’avec Charles IX. Mais la reine est plus âgée, sinon découragée, la France étant plus que jamais déchirée par les guerres de Religion.

« Je ne veux pas que l’on refuse aux charges publiques que l’on assume l’attention, les pas, les paroles, et la sueur et le sang au besoin, mais je veux que l’on s’acquitte de ces fonctions en se prêtant seulement et accessoirement, l’esprit se tenant toujours en repos et en bonne santé, non pas sans action, mais sans tourment et passion. ».

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1588, dernière édition augmentée)

C’est le premier d’une longue liste de maires « historiques » et en cela, la province devance Paris avec son premier maire élu sous la Révolution (Sylvain Bailly). Après sa démission, il est remplacé, la mairie de Paris étant finalement supprimée au bout de six ans, puis brièvement rétablie en 1848 (deux semaines avec Pagès). Il faut attendre la Cinquième République pour que la capitale ait désormais son maire. Premier élu, Jacques Chirac.

En province, les quelque 35 000 communes ont un maire et les grandes villes furent dirigées par des personnalités marquantes. Ainsi Montaigne, né au château de Saint-Michel-de-Montaigne (en Dordogne), philosophe humaniste, écrivain érudit de la Renaissance, absolument pas candidat au poste ! Il apprit son élection par ces « Messieurs de Bordeaux », étant en cure thermale (pour les reins). Il commença par refuser, mais deux amis insistèrent : Henri III, roi de France, et Henri de Navarre, le futur Henri IV. Ils appréciaient son esprit de tolérance – si rare et précieux à l’époque des guerres de Religion ! Ils savaient aussi ses qualités de négociateur, son honnêteté foncière.

Montaigne finit par accepter la charge et revint à Bordeaux : « À mon arrivée, j’expliquai fidèlement et consciencieusement mon caractère, tel exactement que je le sens être : sans mémoire, sans vigilance, sans expérience et sans vigueur ; sans haine aussi, sans ambition, sans cupidité et sans violence, pour qu’ils fussent informés et instruits de ce qu’ils avaient à attendre de mon service. » Il se voulait plus que tout sans passion et pour une bonne raison : « Nous ne conduisons jamais bien la chose par laquelle nous sommes possédés et conduits. »

Élu en 1581 et réélu en 1583, il se donna véritablement à cette tâche, prenant prudemment ses distances en juillet 1585 avec sa ville victime d’une épidémie de peste (quelque 14 000 victimes de juin à décembre). Réfugié dans son château et reprenant la rédaction de ses Essais, il n’était pas présent à la prise de pouvoir par son successeur. Il en donna la raison. Nul ne lui reprocha cette preuve de sagesse, elle fit polémique trois siècles après…

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