Les Mots de la Fin | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Distinguons d’abord ce qui prête souvent à confusion :

  • la Toussaint, fête catholique célébrée le 1er novembre, au cours de laquelle l’Église catholique honore tous les Saints, connus ou inconnus ;
  • le jour des morts, 2 novembre, destiné à la commémoration de tous les défunts « depuis le commencement du monde jusqu’à la fin », instauré au Moyen Âge dans les monastères clunisiens (décret de 998) et devenu tradition.


Cette actualité calendaire du 2 novembre offre l’occasion d’un édito original. Voici rassemblés plus de 50 mots de la fin (au sens littéral ou parfois testamentaire) et quelques citations dédiées à ce thème. La présentation chronologique en sept grandes périodes de la Gaule à nos jours souligne des évidences récurrentes qui valent leçons de l’Histoire.

On ne meurt pas aujourd’hui comme on mourait hier – question de forme plus que de fond.
On meurt en roi malade ou en militaire au combat (vaincu ou vainqueur), en chrétien, voire en martyr, en héros ou en traître, en bandit hors la loi ou en gamin de Paris sur une barricade.
On meurt dans un cri d’amour ou de haine, dans une profession de foi religieuse, politique ou philosophique, avec la certitude d’avoir réussi ou raté sa vie et/ou sa mort, dans l’espoir de jours meilleurs ou dans un ultime défi au monde.

Certains cas historiques sont vraiment particuliers. Henri IV, victime d’un nième attentat, rate son mot de la fin d’autant plus touchant. Louis XIV enchaîne les mots de la fin au long de son agonie – d’où cinq versions, parfaitement sourcées. Spirituelle incarnation du siècle des Lumières, Voltaire prépare son dernier mot pour ne pas rater sa sortie de scène à 84 ans. À l’heure de l’échafaud et face au peuple, Louis XVI se voit attribuer plusieurs mots pour illustrer sa « belle mort ». La Révolution bat un nouveau record de (belles) citations, vu la mortalité galopante des citoyennes et citoyens inspirés par la situation et politiquement engagés !

L’histoire contemporaine se révèle moins riche, moins « héroïque », hors les périodes de guerres - les millions de victimes (civiles ou militaires) demeurant anonymes et/ou muettes.

Au fil de l’Histoire en citations, les morts sont naturellement mises « en situation » , comme toutes les vies des quelque 1000 auteurs-acteurs cités. Dans cet édito thématique, elles se suivent sans se ressembler, chaque mot de la fin étant contextualisé comme les 3 5000 citations. On perd un peu le fil de l’histoire, autrement dit le récit national, atout irremplaçable. Mais on y gagne une fascinante réflexion sur la vie et la mort : confrontation à la fois humaine et historique entre des personnages pour la plupart connus ou célèbres, à redécouvrir au terme de leur existence.

Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.

I - De la Gaule au Moyen Âge.

« Acta est fabula. »   
« La pièce est jouée. »26

AUGUSTE (63 av. J.-C.-14), son mot de la fin, 14.. L’École normale : journal de l’enseignement pratique, volume V (1861), Pierre Larousse

C’est aussi par ces mots que s’achevaient les représentations théâtrales dans l’Empire romain qui va durer cinq siècles.

Fils adoptif et héritier de César (le général romain qui a conquis la Gaule), Octave est sacré empereur sous le nom d’Auguste et devient le seul maître de l’Empire romain en 30 av. J.-C. Il finit de pacifier la Gaule (future France) en triomphant des dernières résistances dans les Pyrénées et les Alpes, et fixe les bases administratives de la Gaule romaine. Premier empereur en titre, il meurt à près de 76 ans, pouvant se vanter d’avoir « trouvé une Rome de briques et laissé une Rome de marbre ». Son ami Mécène, ministre et protecteur des arts et lettres, contribua largement à la réputation d’Auguste et laisse son nom au mécénat. Toute l’Italie garde le souvenir nostalgique de ce long règne appelé le « siècle d’Auguste ».

« Tu as vaincu, Galiléen. »37

JULIEN l’Apostat (331-363), mourant au combat. Histoire de France, tome XVIII (1878), Jules Michelet

C’est le mot de la fin du plus redoutable ennemi du christianisme naissant en Gaule.

Julien a échappé au massacre de sa famille, ordonné par son cousin Constance II. Éloigné de la cour, le jeune prince se passionne pour la philosophie néoplatonicienne, alors qu’une éducation chrétienne trop sévère lui fait prendre cette religion en horreur. Excellent guerrier, il écrase les Alamans (hordes germaniques) à Strasbourg (357) et ses soldats le proclament empereur. La mort de son cousin fait de lui le seul maître de l’Empire, en 361. Il se rallie les hérétiques et s’efforce de rétablir les anciens cultes païens, d’où son surnom d’Apostat.

En guerre contre les Parthes (maîtres de l’ancien Empire perse) et en pleine débâcle de l’ennemi, Julien est atteint par un javelot. Il se croit frappé par une main invisible : le Galiléen Jésus le châtie pour avoir renié le christianisme. C’est comme une conversion tardive à la nouvelle religion. Après son règne très bref (moins de deux ans), l’évangélisation des villes, puis des campagnes, se poursuit.

« Jérusalem. »224

LOUIS IX (1214-1270), mot de la fin, le 25 août 1270, devant Tunis

Le futur Saint Louis meurt à 56 ans. « Grand péché firent ceux qui lui conseillèrent la croisade, vu la grande faiblesse de son corps. » Parole de Joinville, son ami et chroniqueur qui n’est pas de cette dernière aventure : il a vainement tenté de dissuader le roi de partir avec ses trois fils, persuadé qu’il est plus utile en France, à ses sujets.

Le roi n’écoute pas son ami et conseiller, il s’embarque le 1er juillet 1270 pour la huitième (et dernière) croisade, dans l’espoir de convertir le sultan de Tunisie.

« Les corps sont au roi de France, mais les âmes sont à Dieu ! »258

Cris des Templiers brûlés vifs dans l’îlot aux Juifs, 19 mars 1314. Les Templiers (2004), Stéphane Ingrand

Épilogue d’une sombre affaire médiévale, sur cet îlot à la pointe de l’île de la Cité qui doit son nom aux nombreux juifs persécutés, ayant subi le supplice du bûcher. Le peuple est friand de ce genre de spectacle et les Templiers attirent la foule des grands jours. Cette citation entre dans une catégorie peu fournie : « mot de la fin collectif ».

Les Templiers ont été accusés de mœurs obscènes, sodomie, hérésie, idolâtrie, pratique de messes noires. L’ordre du Temple, créé par bulle pontificale deux siècles plus tôt, a d’abord eu très bonne réputation, protégeant les pèlerins et participant aux guerres saintes des Croisades. Il a accumulé un immense trésor (il possède tout le « quartier du Temple », soit un tiers de Paris) et créé un véritable réseau international à la fois religieux (les monastères) et financier (transport de fonds, prêts à divers souverains). Cette fortune est devenue suspecte et la protection du pape est sans raison, après la fin des Croisades. Philippe le Bel, roi « faux monnayeur » toujours à court d’argent, voudrait récupérer tout ou partie du trésor et affirmer son autorité face au pape.

Une trentaine de Templiers va donc rejoindre dans le supplice les deux principaux dignitaires de l’Ordre, Jacques de Molay, le grand maître et Geoffroy de Charnay, le précepteur. Après quatre ans de prison et de silence, comme si le courage leur revenait soudain, ils ont proclamé leur innocence et dénoncé la calomnie à la lecture publique de l’ultime sentence du 19 mars, sur le parvis de Notre-Dame, face à la foule amassée. Après sept ans d’« affaire des Templiers », Philippe le Bel veut en finir. Il a donc ordonné l’exécution groupée des plus « suspects », le soir même.

« Clément, juge inique et cruel bourreau, je t’ajourne à comparaître dans quarante jours devant le tribunal du souverain juge. »259

Jacques de MOLAY (vers 1244-1314), sur le bûcher dans l’îlot aux Juifs, île de la Cité à Paris, 19 mars 1314. Histoire de l’Église de France : composée sur les documents originaux et authentiques, tome VI (1856), abbé Guettée

Dernières paroles attribuées au grand maître des Templiers. Ce mot de la fin est l’un des plus célèbres de l’histoire, pour diverses raisons. Quarante jours plus tard, le 20 avril, Clément V meurt d’étouffement, seul dans sa chambre à Avignon, comme aucun pape avant lui, ni après.

Autre version de la malédiction, tirée de la saga des Rois maudits de Maurice Druon et du feuilleton de télévision qui popularisa l’affaire des Templiers au XXe siècle : « Pape Clément ! Chevalier Guillaume ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » Nogaret est mort il y a un an et il peut s’agir d’un autre Guillaume. Mais le pape va mourir dans le délai imparti, comme Philippe le Bel, suite à une chute de cheval à la chasse (blessure infectée ou accident cérébral). Plus troublant, le nombre de drames qui frapperont la descendance royale en quinze ans, au point d’ébranler la dynastie capétienne : assassinats, scandales, procès, morts subites, désastres militaires. Quant à la treizième génération… cela tombe sur Louis XVI, le roi de France guillotiné sous la Révolution !

« Pesez, Louis, pesez ce que c’est que d’être roi de France. »260

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314) à son fils aîné Louis, le jour de sa mort, 29 novembre 1314. La Nouvelle Revue des deux mondes (1973)

C’est le « mot de la fin » politique du dernier grand Capétien.

Certes impopulaire de son vivant, très impliqué dans l’affaire des Templiers et mal aimé de certains historiens, il a fait faire des progrès décisifs à la royauté : diversification des organes de gouvernement (Parlement, Chambre des comptes, etc.), grandes ordonnances de « réformation » du royaume, raffermissement de l’État contre la féodalité, lutte contre la justice ecclésiastique et indispensable centralisation. La France est à présent le pays le plus riche et le plus peuplé d’Europe !

Son fils va devenir Louis X le Hutin, dit aussi « le Querelleur ». Suivant l’exemple de rapacité de son père, il dépouille les juifs et les banquiers lombards, et vend des chartes d’affranchissement aux serfs.

« Je ne regrette en mourant que de n’avoir pas chassé tout à fait les Anglais du royaume comme je l’avais espéré ; Dieu en a réservé la gloire à quelque autre qui en sera plus digne que moi. »314

Bertrand du GUESCLIN (1320-1380), son mot de la fin, le 13 juillet 1380. Histoire de Bertrand du Guesclin (1787), Guyard de Berville

Le connétable assiège la place forte de Châteauneuf-de-Randon (Lozère). Victime d’une congestion brutale, il remet son épée au maréchal de Sancerre, pour qu’il la rende au roi dont il demeure « serviteur et le plus humble de tous ». Restent aux Anglais la Guyenne (Aquitaine), Brest, Cherbourg, Calais.

Le gouverneur anglais de la ville avait dit qu’il ne se rendrait qu’à lui : il déposera les clefs de la cité, sur son cercueil. Du Guesclin voulait être enterré en Bretagne, mais Charles V ordonne que sa dépouille rejoigne celle des rois de France, en la basilique de Saint-Denis. Ultime honneur rendu à un simple gentilhomme, devenu capitaine et fait connétable par le roi. Ce guerrier incarna le sentiment patriotique naissant au Moyen Âge. D’une laideur remarquable et d’une brutalité qui fit la honte de sa famille, il gagna le respect de la noblesse, par son courage, sa force et sa ruse, pour devenir le type du parfait chevalier, héros populaire dont poèmes et chansons célèbrent les hauts faits.

« Je loue mon Dieu et le remercie de ce qu’il lui plaît que le plus grand pécheur du monde meure le jour de la fête de la pécheresse. »364

CHARLES VII (1403-1461), mot de la fin, doublement chrétien, du roi mourant le jour de la sainte Madeleine, 22 juillet 1461. Louis XI : homme d’État, homme privé (1995), Emmanuel Bourassin

Pécheur, certes : après la mort d’Agnès Sorel, première d’une très longue liste de favorites officielles des rois de France, Charles VII, bien que de complexion maladive, vivait entouré d’un essaim de femmes faciles. Mais beaucoup de rois auront bien davantage de maîtresses et Charles, si mal aimé de sa mère, si malheureux, si méprisé au début de sa vie avait quelques excuses !

Dauphin médiocre, mis en confiance par Jeanne d’Arc, il se révéla à mi règne un bon roi : libération du territoire et reconquête d’une partie de la France sur les Anglais, réorganisation du royaume, création d’une armée permanente, rétablissement des finances et de la monnaie avec levée d’impôts réguliers. Son père Louis XI, dernier roi du Moyen Âge, va continuer l’extension de la maison France, abaisser les grands féodaux et « faire suer les écus ».

II - Renaissance, guerres de Religion, règne d’Henri IV.

« Monsieur, il n’y a point de pitié en moi, car je meurs en homme de bien. Mais j’ai pitié de vous, de vous voir servir contre votre prince, et votre patrie, et votre serment. »452

BAYARD (vers 1475-1524), à l’ex-connétable de Bourbon - son mot de la fin, 30 avril 1524. Traité des Études ou De la manière d’enseigner et d’étudier les Belles-Lettres (1841), Charles Rollin

Mortellement blessé en couvrant la retraite de l’armée française au passage de la Sesia en Piémont, il reproche à Charles de Bourbon d’être à présent lieutenant de l’ennemi, Charles Quint.

La vie de Bayard sera écrite, entre autres, par son écuyer qui signe le Loyal Serviteur. À cette race de « chevalier sans peur et sans reproche » s’applique bien la phrase de Montaigne : « La plus volontaire mort, c’est la plus belle. » Dans la littérature de ce beau XVIe siècle qui renaît et rayonne, entre Moyen Âge et période classique, en ce siècle plein de bruits, de fureurs, de guerres, la mort revient comme un thème obsédant. Mais la mort à la guerre est considérée comme une belle mort, avec la satisfaction d’un devoir accompli.

« Si l’on ouvrait mon cœur, on y trouverait gravé le nom de Calais. »488

Marie TUDOR (1516-1558), son mot de la fin. Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, tome IX (1844), Henri Martin

Ainsi s’exprime la reine d’Angleterre, mourante (dit-on) du chagrin que lui causa la perte de cette ville, seule place restée anglaise en France à la fin de la guerre de Cent Ans. Sauvée du massacre il y a deux siècles par les bourgeois de Calais, la ville fut quelque peu oubliée par les rois de France, davantage intéressés par la riche et fascinante Italie…

La France commence la onzième – et dernière – guerre d’Italie en attaquant le royaume de Naples. Le roi d’Espagne Philippe II (fils de Charles Quint et mari de la reine d’Angleterre) attaque en Picardie, par les Pays-Bas. Redoutant une invasion espagnole, le roi de France Henri II rappelle François de Guise (dit le Balafré) et le nomme lieutenant général du royaume. Il reprend Calais aux Anglais le 13 janvier 1558, après un siège très bref de six jours et malgré les renforts envoyés par Marie Tudor.

La perte de cette ville rendra encore plus impopulaire Marie la Catholique, dite aussi la Sanglante pour avoir persécuté les protestants anglais. Elle meurt au terme d’une longue agonie, le cœur brisé d’avoir perdu Calais, mais (dit-on) aussi Philippe qui s’est éloigné d’elle pour s’en retourner en Espagne, après un an de mariage.

« Que mon peuple persiste et demeure ferme en la foi en laquelle je meurs. »492

HENRI II (1519-1559), mot de la fin, le 10 juillet 1559. Henri II, roi gentilhomme (1987), Georges Bordonove

Le roi meurt des suites d’un accident de tournoi – blessure à l’œil d’un coup de lance donné par le comte de Montgoméry, capitaine des gardes et régicide involontaire. Nostradamus qui a prédit ce malheur devient astrologue de la cour.

Les trois fils d’Henri II vont lui succéder, sans jamais avoir son autorité. L’aîné François II, 15 ans, confie le gouvernement à sa mère Catherine de Médicis : elle donne le pouvoir aux Guise, les oncles du jeune roi. Sous l’influence de cette famille très catholique, la guerre aux protestants reprend de plus belle. La Saint-Barthélemy s’ensuivra bientôt, sous le règne de Charles IX lui aussi très influencé par sa mère, dans le déclenchement de cette tragédie nationale.

« Si c’était un homme du moins ! C’est un goujat ! »524

Amiral Gaspard de COLIGNY (1519-1572), dans la nuit du 23 au 24 août 1572 (Saint-Barthélemy). Histoire de France au seizième siècle, Guerres de religion (1856), Jules Michelet

Coligny toise l’homme qui va le frapper, un certain Bême, sbire des Guise, même pas un seigneur digne de lui ! Cette exclamation de mépris peut être considérée comme son « mot de la fin ».

Ce grand militaire a servi tous les rois de France depuis François Ier, participé à toutes les guerres, quitté plusieurs fois la cour pour fuir ses intrigues, toujours rappelé pour ses qualités de courage, de diplomatie et même de tolérance, quand il se convertit à la religion réformée. Sa fin à 53 ans est des plus humiliantes et spectaculaires : surpris dans son lit, achevé à coups de dague, son corps jeté par la fenêtre, éventré, émasculé, décapité, puis porté au gibet de Montfaucon, exhibé, pendu par les pieds, exposé à d’autres sévices, pour finir à nouveau pendu en place de Grève.

« Hélas qu’ai-je donc fait ?
– Si tu n’as rien fait, cela doit te consoler : tu mourras innocent ! »526

Réplique d’un capitaine suisse au jeune Saint-Martin, nuit du 23 au 24 août 1572 (Saint-Barthélemy). Charles IX (1986), Emmanuel Bourassin

L’« innocent » Saint-Martin, dit Brichanteau, est arquebusier du roi et le Suisse transperce le cœur du « parpaillot », la nuit de la Saint-Barthélemy. « Tuez-les tous ! » a dit Charles IX. Ce mot terrible a déjà résonné, lors du massacre des cathares au sac de Béziers, le 22 juillet 1209. On retrouvera ce climat de guerre civile sous la Terreur révolutionnaire.

« Charles IX, près de sa fin, restant longtemps sans sonner mot, dit en se tournant, comme s’il se fût réveillé :
— Appelez-moi mon frère !
La reine mère envoie chercher le duc d’Alençon.
— Non, madame, je veux le roi de Navarre ; c’est celui-là qui est mon frère. »538

CHARLES IX (1550-1574), sur son lit de mort au château de Vincennes, le 30 mai 1574.  Histoire de France au seizième siècle, La Ligue et Henri IV (1856), Jules Michelet

Charles IX préfère son beau-frère Henri de Navarre – futur Henri IV, le mari qu’il a voulu pour sa sœur la reine Margot – à son frère de sang, le duc d’Alençon, quatrième fils de Catherine de Médicis, atteint du même mal (la tuberculose) qui emporte le jeune roi, deux ans après la Saint-Barthélemy.

« Ah ! le méchant moine, il m’a tué, qu’on le tue ! »573

HENRI III (1551-1589), Saint-Cloud, 1er août 1589, « premier mot de la fin ». Mémoires relatifs à l’histoire de France, Journal de Henri III (posthume), Pierre de l’Estoile

Au château de Saint-Cloud, le roi prépare le siège de Paris avec Henri de Navarre : 30 000 hommes sont prêts à attaquer la capitale, défendue par la milice bourgeoise et la Ligue ultra catholique, armée par Philippe II d’Espagne.

Dominicain de 22 ans, ligueur fanatique, Jacques Clément préparait son geste : le complot est connu, approuvé par de nombreux catholiques et béni par le pape Sixte Quint. Le moine réussit à approcher le roi – seul, sur sa chaise percée. La garde personnelle (les Quarante-Cinq), alertée par les cris du roi poignardé, transperce l’assassin à coups d’épée : défenestré, le corps est sitôt tiré par quatre chevaux, écartelé et brûlé sur le bûcher, pour régicide.

La scène se rejouera avec Ravaillac et Henri IV. Ces assassinats, comme tous les complots et attentats contre les rois de l’époque, s’inspirent de la théorie du tyrannicide dont Jean Gerson fut l’un des prophètes : « Nulle victime n’est plus agréable à Dieu qu’un tyran. »

« Seul Henri de Navarre a droit au trône, et il est d’un caractère trop sincère et trop noble pour ne pas rentrer dans le sein de l’Église ; tôt ou tard, il reviendra à la vérité. »574

HENRI III (1551-1589), sur son lit de mort, « second mot de la fin », 1er août 1589. La Conversion et l’abjuration d’Henri IV, roi de France et de Navarre, Henri Gaubert

De tous les mots de la fin qui ponctuent l’histoire de France, celui d’Henri III a une portée doublement remarquable.

Blessé à mort, transporté sur son lit, le roi met en garde son allié contre le danger qui le menace à son tour et le conjure en même temps de se convertir. Le mourant trouve la force de désigner son successeur au trône et de le faire reconnaître face aux nobles présents. En même temps, il prophétise la conversion d’Henri de Navarre. Le roi meurt le lendemain : fin de la dynastie des Valois, au pouvoir depuis 1328, et place à la dynastie des Bourbons.

« Ce n’est rien. »662

HENRI IV (1553-1610), mot de la fin, 14 mai 1610. Histoire du règne de Henri IV (1862), Auguste Poirson

Il vient d’être poignardé par Ravaillac : l’homme a sauté dans le carrosse bloqué par un encombrement, rue de la Ferronnerie, alors que le roi se rendait à l’Arsenal chez Sully, son ministre et ami souffrant. Le blessé a tressailli sous le coup et redit « Ce n’est rien », avant de mourir.

Ce jour-là, de très bonne heure, le roi fut assailli de pressentiments et dit à ses compagnons : « Je mourrai un de ces jours et, quand vous m’aurez perdu, vous connaîtrez lors ce que je valais et la différence qu’il y a de moi aux autres hommes. »   Il se sait menacé, après douze tentatives en dix ans – dix-huit, selon d’autres calculs, et vingt-cinq durant son règne !

Le régicide sera écartelé, après avoir été torturé : il affirma avoir agi seul. Sully, dans ses Mémoires, n’y croit pas. Le mystère demeure, sur la mort d’Henri IV le Grand. C’est l’une des énigmes de l’histoire de France.

III. Monarchie absolue et Siècle des Lumières.

À son confesseur qui lui demande de pardonner à ses ennemis :
« Je ne m’en connais d’autres [ennemis] que ceux de l’Église et de l’État. »732

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), mourant, 6 décembre 1642. Son mot de la fin. Encyclopédie des mots historiques, Historama (1970)

Cela fait encore beaucoup d’ennemis au cardinal et « principal ministre d’État » qui a dirigé la France et le roi pendant vingt ans, détesté autant que craint et admiré ! Mazarin son successeur connaîtra finalement le même sort, de même que Colbert succédant à Mazarin. Trois grands serviteurs de l’État certes différents, mais se ressemblant à divers titres et notamment à l’heure de la mort – en partie due à l’épuisement « professionnel ».

« Sire, je vous dois tout, mais je m’acquitte envers Votre Majesté en lui donnant Colbert. »805

MAZARIN (1602-1661) à Louis XIV, le 9 mars 1661. C’est son « mot de la fin » politique. Le Plutarque français, vie des hommes et femmes illustres de la France (1837), Édouard Mennechet

Premier ministre d’Anne d’Autriche, gardé par Louis XIV à sa majorité, se donnant tout entier à son métier de « principal ministre », il a eu la totalité du pouvoir. Il a parallèlement collectionné les charges et acquis une immense fortune – impossible à estimer, car il est difficile de donner la valeur des tableaux de maître signés Vinci, Titien, Raphaël, Caravage ; des sculptures, des bijoux et médailles disséminés dans un grand nombre de palais ; des livres rares de la bibliothèque Mazarine. C’est sans doute la plus grande fortune privée de tout l’Ancien Régime ! Disons au passage que Mazarin fut aussi un mécène et qu’au moment de mourir, il pense aux chefs-d’œuvre qu’il ne verra plus : « Il faut quitter tout cela », dit-il. L’essentiel est légué au roi qui refuse élégamment, de sorte que Mazarin peut encore en disposer.

Il recommande au roi le financier Jean-Baptiste Colbert qui gérait avec succès sa fortune, depuis dix ans. Louis XIV le gardera à son service jusqu’à sa mort, durant plus de vingt ans. Il fera de même avec la plupart des collaborateurs tout dévoués dont l’habile Mazarin a su s’entourer.

« Si j’avais fait pour Dieu ce que j’ai fait pour cet homme, je serais sauvé dix fois. »891

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), sur son lit de mort, parlant de Louis XIV, début septembre 1683. Histoire de la vie et de l’administration de Colbert (1846), Pierre Clément

Ce grand commis de l’État accomplit une tâche surhumaine, cumulant peu à peu les postes d’intendant des Finances, contrôleur général, surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures, secrétaire à la Maison du roi et à la Marine. Il dirigea et réglementa l’économie, réorganisa l’administration, géra les « affaires culturelles », encouragea le commerce défini comme « une guerre d’argent » et enrichit le pays au nom d’un mercantilisme qui fait loi – le colbertisme. Louis XIV lui doit, autant que la France, une part de cette grandeur dont il est si fier.

À la veille de sa mort (6 septembre 1683), le créateur du budget public (au sens moderne du mot) doit pourtant avoir un sentiment d’échec : les dépenses de l’État ne peuvent plus être équilibrées par les recettes, notamment à cause des dépenses militaires, et la cour parle d’une éventuelle disgrâce de Colbert au profit de son rival, l’intrigant Louvois, ministre de la Guerre qui encourage le roi dans une politique extérieure toujours plus ambitieuse, aventureuse, bientôt ruineuse.

« La plus éclatante victoire coûte trop cher, quand il faut la payer du sang de ses sujets. »941

LOUIS XIV (1638-1715), Lettre à l’intention du Dauphin, août 1715. Louis XIV (1923), Louis Bertrand

Cette lettre testamentaire peut être considérée comme le premier mot de la fin du roi agonisant, dont les moindres propos prennent une valeur symbolique. Écrite peu de jours avant sa mort, elle est confiée au maréchal de Villeroi son ami de toujours, pour être remise à Louis XV quand il aura 17 ans. Âgé de 5 ans, cet arrière-petit-fils est le seul héritier survivant après l’hécatombe familiale, véritable malédiction de cette fin de règne.

« Mon enfant, vous allez être un grand roi. Ne m’imitez pas dans le goût que j’ai eu pour les bâtiments ni dans celui que j’ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager vos peuples, ce que je suis malheureux pour n’avoir pu faire. »943

LOUIS XIV (1638-1715), au futur Louis XV, 26 août 1715. Mémoires (posthume), Saint-Simon

Le roi reçoit le petit Dauphin dans sa chambre. Il lui donne une ultime leçon, cette fois de vive voix. Les derniers mots vont se succéder au fil d’une agonie interminable, le roi mourant gardant une énergie exceptionnelle et la volonté d’aller au bout de sa mission royale.

On sait précisément la cause de sa mort. Début août, après une chasse (sportive) au château de Marly, le roi se plaint d’une douleur à la jambe gauche. Son médecin, Fagon, diagnostique une sciatique. Il sera « soigné » pour cela (bains au lait d’ânesse et pansements à l’eau camphrée), mais la douleur devenant insupportable, le premier chirurgien du roi détecte enfin une gangrène sénile. On renonce à l’amputation – opération trop risquée à 76 ans. Louis XIV sait donc qu’il va mourir, avant de tomber dans un semi-coma les 30 et 31 août.

Le marquis de Dangeau, mémorialiste, nous a laissé un Journal de la cour de Louis XIV qui retrace avec minutie les derniers jours. Roi Très Chrétien, Louis XIV fait preuve d’autant de dignité que d’humilité (qualité plus surprenante chez Louis le Grand). La guerre, entreprise et soutenue par souci de grandeur mais aussi par passion et vanité, cause de la ruine des peuples, semble être son grand remords : sincère, mais tardif.

« Je m’en vais, Messieurs, mais l’État demeurera toujours. »944

LOUIS XIV (1638-1715), à ses courtisans les plus proches, 26 août 1715. Louis XIV, son gouvernement et ses relations diplomatiques avec l’Europe (1842), Jean Baptiste Honoré Raymond Capefigue

Le roi les remercie de leurs services et s’inquiète de ce qu’il adviendra après lui. Il leur recommande de servir le Dauphin : « C’est un enfant de cinq ans, qui peut essuyer bien des traverses, car je me souviens d’en avoir beaucoup essuyé pendant mon jeune âge. » Allusion aux cinq ans de Fronde qui aurait pu finir en révolution. Il leur demande enfin d’être « tous unis et d’accord ; c’est l’union et la force d’un État ». « L’État c’est moi », disait-il à 16 ans ! L’État reste une obsession royale, jusqu’à l’extrême fin de sa longue vie.

« Mon neveu, je vous fais Régent du royaume. Vous allez voir un roi dans le tombeau et un autre dans le berceau. Souvenez-vous toujours de la mémoire de l’un et des intérêts de l’autre. »945

LOUIS XIV (1638-1715), à Philippe d’Orléans, Testament, 1715. Histoire de la Régence pendant la minorité de Louis XV, volume I (1922), Henri Leclercq

Le texte sera lu au lendemain de sa mort. Le roi a institué un Conseil de régence dont le Régent en titre est président, la réalité du pouvoir allant au duc du Maine (fils légitimé de Mme de Maintenon). Il se méfie non sans raison de ce neveu qui ne s’en satisfera pas : le roi mourant a peu d’illusion sur l’avenir de ses dernières volontés royales.

« J’ai toujours ouï dire qu’il est difficile de mourir ; pour moi qui suis sur le point de ce moment si redoutable aux hommes, je ne trouve pas que cela soit difficile. »946

LOUIS XIV (1638-1715), à Mme de Maintenon, 28 août 1715. Son ultime mot de la fin. Archives curieuses de l’histoire de France depuis Louis XI jusqu’à Louis XVIII (1840), L. Cimber

Voilà les dernières paroles rapportées, propos intimes d’un souverain absolu qui vécut toujours en représentation. Quasi inconscient les deux derniers jours d’octobre, il mourra le 1er septembre.

La grandeur du roi face à l’adversité dans les dernières années et la dignité de l’homme devant la mort jusqu’aux dernières heures frappent même ses ennemis les plus intimes : Saint-Simon saluera « cette fermeté d’âme, cette égalité extérieure, cette espérance contre toute espérance, par courage, par sagesse, non par aveuglement ».

« La journée sera rude ! »1145

Robert François DAMIENS (1715-1757), à qui sa condamnation est lue, 28 mars 1757. Derniers mots prononcés avant le supplice. Biographie universelle, ancienne et moderne, volume X (1855), Louis Gabriel Michaud

Louis XV ne fut que légèrement blessé par le couteau (un simple canif). Pourtant, il est profondément choqué par l’attentat : outre qu’il redoute effroyablement l’enfer, il comprend soudain qu’il n’est plus « le Bien-aimé » de ses sujets. Cet attentat manqué accrut sa mélancolie et sa méfiance, isolant davantage encore le roi de son entourage et de son peuple.

Sur l’échafaud dressé, Damiens sera donc « tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlée au feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et souffre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendres et ses cendres jetées au vent ».

Sentence exécutée le jour même par le bourreau Sanson (Charles-Henri, père du futur exécuteur de Louis XVI) et rien moins que seize assistants. Le supplice dure plus de deux heures et l’on remarque tout particulièrement la résistance des femmes à ce spectacle. Damiens est jeté mourant sur le bûcher.

On dit que les cheveux du supplicié, de châtain, sont devenus d’un blanc immaculé, signe d’une terreur extrême. L’atrocité et la durée du supplice contribueront à l’abolition de cet acte barbare, sous la Révolution : la guillotine sera, de fait, un progrès, en attendant l’abolition de la peine de mort que certains (très minoritaires) demandent déjà.

« Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition. »1229

VOLTAIRE (1694-1778), profession de foi manuscrite, 18 février 1778. « Mot de la fin » écrit. Choix de testaments anciens et modernes (1829), Gabriel Peignot

Le plus célèbre représentant des Lumières soigne sa sortie, en amoureux du théâtre en général et de la tragédie en particulier. Écrits de sa plume, ses derniers mots sont pour la tolérance, le combat de sa vie. Il mourra le 30 mai 1778, âgé de 84 ans.

De « faible constitution » depuis toujours et fort soucieux de sa personne, il a pourtant travaillé sans se ménager jusqu’à la fin de sa vie. Il quitte son refuge de Ferney pour venir fin avril à Paris, assister à son propre triomphe. La Comédie-Française joue sa dernière tragédie (Irène) et son buste est acclamé sur scène. Le tout-Paris se presse pour voir l’idole, jusque dans l’hôtel où il réside. Il reçoit ses admirateurs, si heureux d’être encore le roi Voltaire. Bien qu’épuisé par cette apothéose personnelle, il néglige les conseils de bon sens de Tronchin, son médecin. Il retourne à la Comédie et se rend aussi l’Académie française. Il travaille encore sur une page du Dictionnaire. Il se bourre d’opium et de café. Jusqu’à l’extrême fin de ses forces.

Ses cendres seront transférées au Panthéon sous la Révolution - seul philosophe à avoir cet honneur avec Rousseau, son intime ennemi.

IV. Révolution.

« Échafaud. – S’arranger quand on y monte pour prononcer quelques mots éloquents avant de mourir. »

Gustave FLAUBERT (1821-1880), Dictionnaire des idées reçues (posthume, 1913)

Le mot peut s’appliquer à bien des « mots de la fin » attribués aux personnages de la Révolution. Quels que soient leur âge, leur sexe, leur condition, leurs convictions, la plupart sont morts en héros, dignes de cette époque héroïque. « Les mots ! Les mots ! On a brûlé au nom de la charité, on a guillotiné au nom de la fraternité. Sur le théâtre des choses humaines, l’affiche est presque toujours le contraire de la pièce. ». Edmond et Jules de Goncourt, Idées et Sensations (1866). Cette autre vérité vaut sous la Révolution plus qu’en toute autre époque de notre histoire de France.

D’où le nombre considérable de (belles ou très belles) citations, parallèlement au nombre de victimes, guillotinées ou massacrées. Le « théâtre » révolutionnaire est un grand spectacle politique et humain qui passionne toujours les historiens et un vaste public. Mirabeau, premier acteur de la Révolution, fait exception à la règle et sort de scène assez piteusement.

« Mon ami, j’emporte avec moi les derniers lambeaux de la monarchie. »1384

MIRABEAU (1749-1791), à Talleyrand, fin mars 1791. Son « mot de la fin politique ». Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives (1832), Pierre Étienne Louis Dumont

Monarchiste comme son ami, Talleyrand est venu voir le malade chez lui, 42 rue de la Chaussée d’Antin, juste avant sa mort (2 avril 1791). Conséquence d’une vie de libertin débauché… ou empoisonnement possible ? Paris en était fort ému. « Il a vu, il a entendu tout un peuple s’occuper de sa maladie comme d’un événement qui aurait menacé la révolution : de son lit de douleur il entendait crier dans la rue les bulletins de sa maladie. Ses amis et son médecin (Cabanis) qui méritait à tant de titres d’être l’ami le plus cher à son cœur, l’entretenaient de cet intérêt qu’il inspirait au peuple. » (Journal de Paris). Délicate attention, le sol de sa rue avait été couvert de paille pour que le bruit ne trouble pas son repos, ni son agonie. À sa mort, elle est rebaptisée « rue Mirabeau »… et tous les spectacles sont annulés.

Certains députés, connaissant son double jeu et son double langage entre le roi et l’Assemblée, l’accusaient de trahison – le fait ne sera prouvé qu’en novembre 1792, quand l’armoire de fer où le roi cache ses papiers compromettants révélera ses secrets. Mirabeau, l’Orateur du peuple, la Torche de la Provence, fut quand même le premier personnage marquant de la Révolution. Le peuple prend le deuil de son grand homme qui a droit aux funérailles nationales et au Panthéon.

Rivarol rectifie l’image : « Mirabeau (le comte de). – Ce grand homme a senti de bonne heure que la moindre vertu pouvait l’arrêter sur le chemin de la gloire, et jusqu’à ce jour, il ne s’en est permis aucune. » Dans le même esprit, rappelons cet autre mot : « Mirabeau est capable de tout pour de l’argent, même d’une bonne action » (Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution, publié en 1790). La monarchie n’en perd pas moins son meilleur soutien. Désormais, personne ne peut plus sauver ce régime.

« Peuple, je meurs innocent ! »1479

LOUIS XVI (1754-1793), à la foule, place de la Révolution à Paris (aujourd’hui place de la Concorde), 21 janvier 1793. Mémoires d’outre-tombe (posthume), François René de Chateaubriand

« Premier mot de la fin » du roi qui a été jugé coupable par la Convention érigée en tribunal. L’importance de l’événement est telle que l’imagination populaire ou historienne se donne libre cours.

Le roulement de tambours de la garde nationale interrompt la suite de sa proclamation, entendue seulement par le bourreau Sanson et ses aides. La scène sera maintes fois reproduite en gravures et tableaux, avec le bourreau qui brandit la tête du roi dégoulinante de sang, face au peuple amassé.

« Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que mon sang ne retombe pas sur la France. »1480

LOUIS XVI (1754-1793), au bourreau Sanson et à ses aides, 21 janvier 1793. « Second mot de la fin » du roi. Histoire de France depuis les temps les plus reculés (1867), Antonin Roche

Autre mot de la fin attribué au roi, toujours dans le même esprit : « Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français. » Et encore : « Dieu veuille que ce sang ne retombe pas sur la France. » Cela relève de la « belle mort », destinée à alimenter la légende.

Reste un fait avéré. Louis XVI, tout au long de sa vie, eut une obsession louable et rare chez un roi : ne pas faire couler le sang des Français.

« Eh ! qui suis-je pour me plaindre, quand des milliers de Français meurent aux frontières pour la défense de la patrie ? On tuera mon corps, on ne tuera pas ma mémoire. »1549

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), guillotiné le 31 octobre 1793. Son mot de la fin. Histoire socialiste, 1789-1900, volume IV, La Convention (1908), Jean Jaurès

L’homme si élégant, séducteur au physique romantique, avocat brillant sous l’Ancien Régime, devenu l’un des orateurs les plus doués de la Législative et de la Convention, a perdu toute flamme, usé par cinq mois de prison et résigné au pire. Il aurait sans doute pu fuir comme quelques autres, mais il renonce : « Fuir, c’est s’avouer coupable. » Il fait donc partie du groupe des 21 Girondins exécutés.

« Je meurs le jour où le peuple a perdu la raison ; vous mourrez le jour où il l’aura recouvrée. »1550

Marie David Albin LASOURCE (1762-1793), mot de la fin, 31 octobre 1793. Lasource, député à la Législative et à la Convention (1889), Camille Rabaud

Ancien pasteur, acquis à la Révolution, défendant toujours ses convictions avec courage, décrété d’accusation, il est jugé avec les Girondins auxquels il s’est rallié, la dernière semaine d’octobre 1793. Les 21 sont condamnés à mort.

Cinq charrettes les mènent à l’échafaud le même jour. Dans la dernière, il y a le corps de Valazé qui s’est plongé un stylet dans le cœur, à l’énoncé du verdict. Certains, qui croyaient pouvoir échapper à la mort, se sont défendus plutôt médiocrement. Une femme sauvera bientôt l’honneur : Madame Roland.

« Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort. »1552

Olympe de GOUGES (1755-1793), guillotinée le 3 novembre 1793. Son mot de la fin. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, avec le Journal de ses actes (1880), Henri Alexandre Wallon

Féministe coupable d’avoir écrit en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, d’avoir défendu le roi, puis courageusement attaqué Robespierre en « brissotine » (synonyme de girondine), elle a été arrêtée en juillet 1793.

Femme de lettres et femme libre jusqu’à la provocation, elle est comparable à George Sand au siècle suivant, mais ce genre de provocation est encore plus mal vu, en 1793 ! Quant à la reconnaissance espérée par la condamnée, elle sera tardive. Candidate posthume et logique au Panthéon depuis 2014, elle attend encore avec toutes les féministes qui lui rendent régulièrement hommage.

« Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »1554

Mme ROLAND (1754-1793), montant à l’échafaud et s’inclinant devant la statue de la Liberté (sur la place de la Révolution), 8 novembre 1793. Mot de la fin. Le Nouveau Tableau de Paris (1799), Louis Sébastien Mercier

Son mari, poursuivi comme Girondin et réfugié à Rouen, apprenant la mort de sa femme, se tuera deux jours après.

Manon Roland fit preuve d’une belle énergie et d’une plume infatigable, dans sa prison (l’Abbaye, puis la Conciergerie). Elle écrit pour se défendre devant le Tribunal révolutionnaire, même sans espoir. Elle écrit ses Mémoires, destinées à sa fille Eudora. Elle écrit des lettres, notamment à son ami Buzot qui, contrairement à elle, a fui comme son mari, pour échapper au sort des Girondins. Il se suicidera lui aussi, apprenant, quelques mois plus tard, la mort de Manon.

« Oui ! Je tremble, mais c’est de froid. »1555

Jean-Sylvain BAILLY (1736-1793), mot de la fin, avant son exécution dont les préparatifs s’éternisent, 12 novembre 1793. Histoire de la Révolution française, volume II (1869), Louis Blanc

Il attend au pied de l’échafaud, dans le froid et sous la pluie. Il paie de sa vie son refus de témoigner à charge au procès de Marie-Antoinette, ainsi que la fusillade du Champ de Mars (17 juillet 1791), considérée comme un crime contre le peuple alors qu’il était maire de Paris. Son exécution était prévue au centre de l’esplanade, où trône l’autel de la Patrie. Mais le sang sacré des martyrs du peuple ne peut être mêlé au sang impie, en vertu de quoi l’on décide de transporter la guillotine et de la remonter dans un coin obscur de l’esplanade… Cela prend du temps et le condamné ne peut réprimer les tremblements de tout son corps. Un assistant du bourreau le remarque et se moque du vieil homme qu’il interpelle : « Tu trembles, Bailly ! » D’où la réponse.

Ex-président de la Constituante et maire de Paris au lendemain de la prise de la Bastille, c’est un grand scientifique, astronome et mathématicien, membre de l’Académie des Sciences (1763) et de l’Académie française (1783). La Révolution ne va pas épargner les savants. Au chimiste Lavoisier demandant un peu de temps pour terminer une expérience, le vice-président du Tribunal révolutionnaire répondra (8 mai 1794) : « La République n’a pas besoin de savants. »

« Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la peine. »1584

DANTON (1759-1794), mot de la fin au bourreau, avant de poser sa tête sous le couperet de la guillotine, 5 avril 1794. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris (1862), Émile Campardon

C’est « une gueule » et il en a bien joué ! Personnage éminemment théâtral, orateur né, il a suscité des haines farouches chez ses adversaires (à commencer par Mme Roland), mais fasciné le peuple et l’Assemblée nationale. Son sens de la formule (le plus souvent improvisée) est remarquable, littéralement jusqu’à la fin. Son ennemi intime, Robespierre, n’aura pas cette chance – ni ce talent.

« Hélas ! je n’ai rien fait pour la postérité ; et pourtant, j’avais quelque chose là. »1599

André CHÉNIER (1762-1794), se frappant le front avant de monter à l’échafaud, 25 juillet 1794. Mot de la fin d’un poète. Dictionnaire de français Larousse, au mot « postérité »

L’une des dernières victimes de la Terreur (guillotiné deux jours avant l’arrestation de Robespierre) : avec autant de courage que de talent, de son « cœur gros de haine, affamé de justice », le poète crie jusqu’à la fin sa révolte contre les exactions.

Il n’a que 32 ans, pas tout à fait l’âge du Christ. Il s’est engagé avec enthousiasme dans la Révolution, avant de s’opposer aux Girondins. Plutôt que d’émigrer, il a tenté de sauver Louis XVI. C’était un suspect idéal ! Son frère cadet, Marie-Joseph Chénier, lui-même suspect, n’a rien pu faire pour le sauver. Il est l’auteur d’une tragédie, censurée, puis jouée avec succès à la Comédie-Française (par Talma), Charles IX, ou la Saint-Barthélemy (encore titrée Charles IX, ou l’école des rois) : plaidoyer contre le fanatisme et pour la liberté, un sujet maintes fois traité.

Mais si le nom de Chénier est passé à la postérité, c’est par les vers d’André. La Jeune Captive, ode écrite en prison, est dédiée à Aimée de Coigny, prisonnière à Saint-Lazare : « Je ne veux pas mourir encore ! » Elle sera sauvée par la chute de Robespierre.

V. Napoléon – Consulat, Empire et Cent-Jours.

« Allez dire au Premier Consul que je meurs avec le seul regret de n’avoir pas assez fait pour la postérité. »1706

DESAIX (1768-1800), au jeune Lebrun, son aide de camp, mot de la fin à Marengo, 14 juin 1800. L’Honneur français, ou Tableau des personnages qui, depuis 1789 jusqu’à ce jour, ont contribué à quelque titre que ce soit, à honorer le nom français (1808), Jean-Baptiste-Louis Brayer de Beauregard

Frappé d’une balle, au commencement de la charge de sa division, le général a juste le temps de dire ces mots. Impossible de ne pas penser au chevalier Bayard… Rallié à la Révolution, il se distingua dans l’armée du Rhin. Il accompagnait Bonaparte en Égypte et fut chargé de l’organisation du Fayoum : son gouvernement lui valut le surnom de Sultan juste.

« Pourquoi ne m’est-il pas permis de pleurer ? » dira Napoléon Bonaparte en apprenant la mort ce valeureux compagnon de route qu’il a pu apprécier en campagne. Certains historiens dénonceront le mépris de l’empereur pour la vie humaine, mais lui-même ne ménage pas la sienne : « Qu’est-ce qu’un homme après tout ? », dit-il.

« Qu’il est affreux de mourir ainsi de la main des Français ! »1745

Duc d’ENGHIEN (1772-1804), quelques instants avant son exécution, 21 mars 1804. Son mot de la fin. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Bonaparte a maintenant la preuve que le prince de 32 ans, dernier rejeton de la prestigieuse lignée des Condé, n’est pour rien dans le dernier complot, même s’il est le chef d’un réseau antirépublicain qui a fait le projet de l’assassiner.

De tous les condamnés à mort réellement impliqués, il ne regrettera que Cadoudal, 33 ans. Pichegru s’est suicidé dans sa cellule. Moreau, jugé, condamné à deux ans de prison, sera finalement exilé. Mais l’histoire retient surtout le drame du duc d’Enghien. Bonaparte l’a laissé condamner après un simulacre de jugement, puis fusiller la nuit même dans les fossés de Vincennes. Sans regret ni remords : « La saignée entre dans les combinaisons de la médecine politique. »

« Vive le roi ! »1796

Georges CADOUDAL (1771-1804), mot de la fin, et dernier cri du premier des condamnés à être guillotiné place de Grève, 25 juin 1804. Georges Cadoudal et les Chouans (1998), Patrick Huchet

Selon d’autres sources, reprenant la devise des insurgés vendéens, dix ans plus tôt : « Mourons pour notre Dieu et notre Roi. » La chouannerie meurt avec lui. Mais dix ans plus tard, le vœu de Cadoudal est exaucé : la Restauration ramène en France le roi Louis XVIII.

« Dieu merci, j’ai bien fait mon devoir. »1806

Amiral NELSON (1758-1805), touché à mort, à bord du Victory, 21 octobre 1805. Mot de la fin. Bibliographie universelle (1842), Louis Gabriel Michaud

Le ministre de la Marine avait transmis à Villeneuve, amiral de la flotte française bloquée à Cadix, le message de l’empereur : il faut sortir. Mais Nelson fait de même. La Nelson touch, autrement dit le « coup de Trafalgar », manœuvre habile, permet à l’amiral anglais de triompher.

La flotte française est anéantie. Cette victoire navale assure désormais la maîtrise des mers à l’Angleterre. Mais sur terre, Napoléon enchaîne encore les victoires avec la Grande Armée.

« Soldats, droit au cœur ! »1965

Maréchal NEY (1769-1815), commandant lui-même son peloton d’exécution, 7 décembre 1815. Son mot de la fin. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Berryer, son avocat, n’a pas pu sauver le « Brave des Braves », coupable de s’être rallié à l’empereur sous les Cent-Jours, alors qu’il s’était engagé à ramener « l’usurpateur dans une cage de fer ». Il est à présent victime désignée de la Terreur blanche, cette réaction ultra qui effraie même le roi Louis XVIII.

« Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé. »1982

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases

Ces mots sont dans son testament, daté du 16 avril 1821. Il meurt le 5 mai, après cinq ans de captivité à Sainte-Hélène, cinq ans d’humiliation de la part du gouverneur anglais Hudson Lowe. La mort de Napoléon Bonaparte est survenue le 5 mai 1821.

On s’interroge encore sur la cause : ulcère à l’estomac (d’où la main souvent posée sur son ventre visible sur les portraits), cancer (hérité de son père), intoxication à l’arsenic (empoisonnement par l’ennemi anglais dont il est prisonnier à Sainte-Hélène) ? On peut aussi incriminer l’ennui et l’exaspération de cette captivité sans issue qui le minait physiquement et moralement.

Les cendres de Napoléon seront rapportées de Sainte-Hélène par le prince de Joinville, fils de Louis-Philippe, sur la Belle-Poule, et transférées aux Invalides le 15 décembre 1840. Thiers, chef du gouvernement et à défaut de programme, flatte la vanité nationale, aussi répandue dans le peuple que dans la bourgeoisie. Mais Lamartine y est hostile, prophétisant le Second Empire – poète et politicien, il a souvent une étrange prescience de l’avenir.

VI.  Monarchie de Juillet et Deuxième République.

« C’était vraiment bien la peine de nous faire tuer. »2061

Honoré DAUMIER (1808-1879), lithographie publiée dans La Caricature (1835). « Mot de la fin posthume »

Au centre du dessin, trois morts sortent d’une tombe pour dire ces mots. À droite, une croix porte l’inscription « Morts pour la liberté ». À gauche, une colonne affiche la date des « 27-28-29 juillet 1830 » (évoquant le Génie de la Bastille, monument dédié aux victimes de cette révolution). Au lointain, on devine une charge furieuse contre des manifestants.

La Révolution de 1830 fut pourtant l’une des guerres civiles les plus brèves et les moins sanglantes : 1 800 morts chez les insurgés, environ 200 dans la troupe. Mais la république a bel et bien été escamotée sous le nez des républicains, les cocus de l’histoire qui se rappellent la leçon et ne rateront pas leur prochaine révolution qui marque la fin de la Monarchie de Juillet, en 1848.

« Du travail ou la mort. Nous aimons mieux périr d’une balle que de faim. »2071

Réponse des ouvriers au préfet. Compte-rendu des événements qui ont eu lieu dans la ville de Lyon au mois de novembre 1831 (1832), Louis Bouvier-Dumolart

L’Hôtel de Ville de Lyon est occupé par les insurgés, mais de nouvelles troupes, commandées par le maréchal Soult et le duc d’Orléans, réoccupent la ville, expulsent 10 000 ouvriers, le 5 décembre 1831. Bilan : 171 morts civils, 170 militaires, 600 arrestations.

On destitue le préfet trop bienveillant à l’égard des revendications ouvrières. Le tarif à l’origine de la révolte est proclamé nul et non avenu : échec total de la première grande grève de l’histoire de France. Mais elle fera école.

« Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »2076

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Gavroche meurt le 6 juin 1832, près de la barricade dressée rue de la Chanvrerie à Paris. « Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre […] Une deuxième balle fit étinceler le pavé à côté de lui. Une troisième renversa son panier. Gavroche regarda, et vit que cela venait de la banlieue. Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta : Je ne suis pas notaire / C’est la faute à Voltaire, / Je suis petit oiseau, / C’est la faute à Rousseau […] Joie est mon caractère, / C’est la faute à Voltaire,/ Misère est mon trousseau, / C’est la faute à Rousseau […] Je suis tombé par terre, / C’est la faute à Voltaire, / Le nez dans le ruisseau / C’est la faute à … » Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois il s’abattit la face contre pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler. »

Hugo immortalise dans sa fresque historique la première grande insurrection républicaine dont il fut le témoin sous la Monarchie de Juillet, les 5 et 6 juin 1832. Une manifestation aux funérailles du général Lamarque (député de l’opposition) se termine en émeute, quand la garde nationale massacre les insurgés, retranchés rue du Cloître-Saint-Merri : barricades et pavés font à nouveau l’histoire et la une des journaux de l’époque. Et Gavroche entre dans l’histoire, au titre de gamin de Paris le plus populaire qui existe.

« Ma tombe et mon berceau seront bien rapprochés l’un de l’autre ! Ma naissance et ma mort, voilà donc toute mon histoire. »2078

Duc de REICHSTADT (1811-1832), mourant à 21 ans de tuberculose, 22 juillet 1832. Les Errants de la gloire, princesse Lucien Murat (comtesse Marie de Rohan-Chabot)

L’Aiglon (héros de théâtre pour Rostand), fils de l’Aigle (Napoléon), ex-roi de Rome, promu Napoléon II (quelques jours, après les deux abdications en 1814 et 1815) n’aura pas le destin rêvé pour lui par son père, ni même aucun rôle politique. Son grand-père maternel, François Ier d’Autriche, y veille, occultant le souvenir de l’empereur et le faisant duc de Reichstadt (petite ville de Bohême), tout en aimant tendrement l’adolescent fragile. Il meurt du « mal du siècle », cette tuberculose qui fit déjà des ravages dans les familles royales par ailleurs victimes de la consanguinité.

Louis-Napoléon Bonaparte se considère désormais comme le chef du parti bonapartiste, en tant que neveu de Napoléon Ier – même si l’infidélité notoire de sa mère, Hortense de Beauharnais, femme de Louis Bonaparte, roi de Hollande, poussa son père à nier sa paternité, et à rompre avec Hortense, la très jolie belle-fille de Napoléon.

« Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs. »2217

Alphonse BAUDIN (1811-1851), député, appelant le peuple à la lutte, sur une barricade de la rue Sainte-Marguerite, 3 décembre 1851. Histoire des crimes du 2 décembre (1852), Victor Schœlcher

(L’indemnité parlementaire est de 25 francs, alors que le salaire ouvrier atteint rarement 5 francs par jour – et Schœlcher, manifestant présent lors du drame reste dans l’histoire comme le député qui imposa l’abolition de l’esclavage, en 1848).

Authentique homme de gauche, « médecin des pauvres », Baudin s’efforce de mobiliser la foule, mais les Parisiens se rappellent les journées sanglantes de juin 1848. Quelques barricades se dressent quand même, faubourg Saint-Antoine. Le député appelle un homme à la lutte, qui se dérobe : « Nous ne voulons pas nous faire tuer pour vous garder vos 25 francs par jour ! » D’où la réplique de Baudin. Un coup de feu part, la troupe riposte, Baudin tombe, mortellement blessé, à côté d’un ouvrier. La nouvelle de ces morts suscite d’autres barricades.

La journée du 3 décembre est une réaction contre le coup d’État du 2. Et le 4 décembre, la troupe tire sur la foule, boulevard Poissonnière. Bilan : de 100 à 300 morts (selon les sources), dont beaucoup de femmes et d’enfants.

VII. De la Troisième République à nos jours.

« Je désire reposer […] en face de cette ligne bleue des Vosges d’où monte jusqu’à mon cœur fidèle la plainte des vaincus. »2508

Jules FERRY (1832-1893), Testament. Jules Ferry (1903), Alfred Rambaud

Mort le 17 mars 1893, il reste dans l’histoire pour sa politique scolaire, mais aussi coloniale. Ses derniers mots prouvent qu’il n’oubliait pas l’Alsace et la Lorraine perdues, alors même qu’il lançait la France à la conquête de la Tunisie et du Tonkin (Indochine, nord du Vietnam). Mal compris, Ferry a pu voir relancée, à la fin de sa vie, une nouvelle colonisation prise en main par des politiques, des militaires, des hommes d’affaires : Indochine, Madagascar, Afrique noire, Maroc.

« Il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant. »2499

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), apprenant le suicide du général Boulanger sur la tombe de sa maîtresse à Ixelles (Belgique), le 30 septembre 1891. Histoire de la France (1947), André Maurois

L’épitaphe est cinglante, mais la fin du « Brave Général » qui fit trembler la République est un fait divers pitoyable.

Le gouvernement a réagi après ce qui aurait tourné au coup d’État populiste, si Boulanger avait osé ! Accusé de complot contre l’État, craignant d’être arrêté, il s’est enfui le 1er avril 1889, à Londres, puis à Bruxelles, avec sa maîtresse (de mèche avec la police). Son prestige s’effondre aussitôt. Le 14 août, le Sénat, réuni en Haute Cour de justice, le condamne par contumace à la déportation.

Mme de Bonnemains meurt du mal du siècle (la phtisie), le 16 juillet 1891. Sur sa tombe, toujours fou d’amour, le général Boulanger fait graver ces mots : « Marguerite… à bientôt ». Le 30 septembre, il revient se tirer une balle dans la tête, pour être enterré dans la même tombe où l’on gravera ses mots : «  Ai-je bien pu vivre deux mois et demi sans toi ? »

« Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre !
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés ! »2588

Charles PÉGUY (1873-1914), Ève (1914). Mot de la fin poétique

Deux derniers alexandrins d’un ultime poème qui en compte quelque 8 000. Le poète appelle de tous ses vœux et de tous ses vers la « génération de la revanche ». Lieutenant, il tombe à la tête d’une compagnie d’infanterie, frappé d’une balle au front à Villeroy, le 5 septembre, veille de la (première) bataille de la Marne.

« Et ceux que l’on mène au poteau
Dans le petit matin glacé,
Au front la pâleur des cachots,
Au cœur le dernier chant d’Orphée,
Tu leur tends la main sans un mot,
O mon frère au col dégrafé. »2822

Robert BRASILLACH (1909-1945), Poèmes de Fresnes, Chant pour André Chénier

Référence à Chénier, poète exécuté sous la Révolution à la fin de la Terreur, âgé de 31 ans.

Après la guerre de 1939-45, voici « l’épuration ». 1,5 à 2 millions de Français sont touchés (total des sanctions politiques, administratives et judiciaires). Paulhan et Camus protestent contre des listes noires trop longues et des peines trop sévères. L’épuration sauvage frappe aussi : 9 000 exécutions sommaires, mais des chiffres dix fois supérieurs seront avancés.

Condamné à mort pour intelligence avec les Allemands, Brasillach est fusillé à 35 ans, le 6 février 1945. Ses convictions hitlériennes ne font aucun doute et son journal (Je suis partout) en témoigne abondamment. Le procès est bâclé, de nombreux confrères tentent de le sauver. Mais le PC voulait la tête de l’homme responsable de la mort de nombreux camarades et de Gaulle ne lui pardonnait pas celle de Georges Mandel, résistant exécuté par la Milice, après les appels au meurtre signés, entre autres, par Brasillach. Jean Luchaire (journaliste, directeur des Nouveaux Temps) et Jean Hérold-Paquis (de Radio-Paris) subiront le même sort, parmi quelque 3 000 condamnés.

« Bal tragique à Colombey : un mort. »3128

Hara-Kiri, Hebdo satirique, titre pleine page du lundi 16 novembre 1970, n° 94

Le 1er novembre, l’incendie d’un dancing a fait 146 morts et les journaux ont titré sur ce bal tragique. Le titre est détourné, dans l’esprit « bête et méchant » du journal. L’équipe a planché sur le problème, mais pour une fois, aucun dessin ne pouvait rivaliser avec ces simples mots : « Bal tragique à Colombey : un mort ». Hara-Kiri se fait littéralement hara-kiri (suicide rituel des samouraïs apparu au Japon au XIIe siècle et abandonné en 1868). Interdiction à l’affichage le jour même.

Hari-Kiri est mort, vive Charlie Hebdo qui paraît dès la semaine suivante, dans le même esprit, avec les mêmes journalistes : Cavanna, Reiser, Wolinski et Cie. Le 7 janvier 2015, le journal satirique sera victime d’un attentat terroriste islamiste, en relation avec des caricatures du prophète Mahomet. Mais cette fois, il survit à l’épreuve.

« Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. »3310

François MITTERRAND (1916-1996) à la télévision, 31 décembre 1994

Sa maladie (cancer de la prostate), longtemps cachée avec la complicité du docteur Gubler et devenue de notoriété publique, dramatise naturellement ce rendez-vous annuel et convenu d’un président avec un peuple.

Le président adresse pour la dernière fois ses vœux à la nation, au terme de son second septennat. « L’an prochain, ce sera mon successeur qui vous exprimera ses vœux. Là où je serai, je l’écouterai, le cœur plein de reconnaissance pour le peuple français qui m’aura si longtemps confié son destin, et plein d’espoir en vous. Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. »

« J’ai mis la France à genoux. »3476

Mohamed Merah (1988-2012), Toulouse, 20 mars 2012. Mot cité par le procureur de la République de Paris, et rapporté par Claude Guéant, ministre de l’Intérieur

Le terroriste de 23 ans est assiégé durant 32 heures par le RAID (Recherche assistance intervention dissuasion), corps d’élite de la police nationale. Il s’est abondamment exprimé au téléphone, avant d’être abattu.

Le profil du tueur, délinquant multirécidiviste depuis l’âge de 13 ans, souffrant de troubles psychologiques, ayant séjourné en Afghanistan et professant des opinions islamistes, suscite une controverse sur de possibles failles dans sa surveillance. Comment a-t-il pu exécuter froidement sept personnes en 10 jours, trois militaires à Montauban, trois enfants juifs et leur professeur à Toulouse ?

L’opération policière est médiatisée à l’extrême. Sarkozy parle de « tragédie nationale » et comme à chaque fait divers, propose de nouvelles mesures, cette fois contre les apprentis terroristes. Sondés comme il se doit, 74 % des Français approuvent son attitude. Dans cette affaire, le président de la République tient son rôle. La campagne présidentielle est perturbée, voire suspendue un ou deux jours, tous les médias mobilisés et toute la France à l’écoute. Des polémiques suivront, mais moins qu’on ne pouvait le craindre. L’affaire Mohamed Merah ne bouleverse pas l’opinion, au-delà des quelques jours qui suivent. À l’inverse de l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015 et quelques autres attaques terroristes perpétrés au nom (ou prétexte) du Djihad.

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