Haro sur l’impôt ! Une tragédie historique jusqu’à la Révolution. | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Il n’existe pas d’État sans fiscalité. Sous la Gaule et au Moyen Âge, il fallait financer les armées, indispensables aux guerres de défense ou de conquête. Au fil de l’Histoire, les besoins se diversifient et les impôts augmentent.

En 2022, le budget de l’État atteindra 300 milliards d’euros. Premier poste, l’Éducation (56,5 milliards). Nul ne conteste l’enseignement gratuit, conquête de la Troisième République. Tous les autres ministères ont leur utilité : Agriculture, Armée (Défense), Culture, Écologie, Économie et finances, Europe et affaires étrangères, Intérieur, Justice, Logement, Pensions et retraites, Recherche et enseignement supérieur, Santé, Transports, Travail et emploi.

Mais la phobie fiscale est un mal bien français ! On peut même parler de « fiscalite » nationale. Les citations de quelques Anglo-saxons disent assez la différence de mentalité. Il faut pourtant distinguer deux périodes.

I. Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, les révoltes fiscales des Jacques et autres paysans tournent souvent à la tragédie, avec la misère et l’injustice dont le peuple qui travaille est victime, « taillable et corvéable à merci ». Ceux qui prient (le clergé) et ceux qui combattent (la noblesse) sont exemptés d’impôt. Ces privilégiés s’accrochent toujours à leurs privilèges, au siècle des Lumières.

II. La Révolution fait « table rase » (nuit du 4 août 1789). L’histoire contemporaine sera mouvementée et conflictuelle, mais la fiscalité est désormais plus juste, répartie sur toutes les classes sociales et progressive avec l’invention de l’impôt sur le revenu (1916). Malgré des progrès incontestables,

les contribuables contestent et protestent toujours avec autant de talent que de mauvaise foi, la fraude fiscale étant estimée à 80 milliards d’euros. Beaucoup moins de morts et beaucoup plus d’humour dans cette comédie fiscale : « Il faut demander plus à l’impôt et moins aux contribuables. » Tel sera le mot de la fin de cet édito.

I. L’impôt, tragédie historique jusqu’à la Révolution.

« Les nations ne peuvent pas avoir de tranquillité sans une armée ; pas d’armée sans une solde ; pas de solde sans des impôts. »

TACITE (58-120), cité dans la Revue des Deux-Mondes, mai 2015

Historien et sénateur romain au service des empereurs, mais néanmoins critique de la tyrannie et empruntant à la philosophie grecque l’essentiel de sa sagesse, il justifie la nécessité absolue de la fiscalité.

Encore faut-il la rendre supportable au peuple et aussi équitable que possible. Et ça, c’est toute l’histoire de la politique fiscale !

« Tellement grande était devenue la multitude de ceux qui recevaient en comparaison du nombre de ceux qui devaient payer, telle l’énormité des impôts, que les forces manquaient aux laboureurs, les champs devenaient déserts et les cultures se changeaient en forêts. »34

LACTANCE (vers 260-vers 325). Histoire de France, tome III (1837), Jules Michelet

Gaule romaine.

Rhéteur latin converti au christianisme, précepteur du fils de l’empereur Constantin, il nous donne ce témoignage sur la crise de l’Empire romain au IIIe siècle et les répercussions en Gaule.

Famines et misère entraînent des révoltes : les Bagaudes, bandes de paysans, chômeurs, esclaves et déserteurs, se soulèvent contre l’administration fiscale et les grands propriétaires. Le même scénario, plus ou moins tragique, se reproduira jusqu’à la Révolution.

« Ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. »52

Évêques ADALBÉRON de Laon (??–v.1030) et ANSELME (1033-1109). Histoire de France, tome II, Le Temps des principautés. De l’An mil à 1515 (1992), Jean Favier (entre autres sources)

Moyen Âge.

Cette claire définition des trois ordres sociaux représente le fondement de la société médiévale telle que la concevaient les envahisseurs germaniques. Elle va s’imposer au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime en France, avec des conséquences fiscales majeures. Le clergé - ceux qui prient – est exempté. La noblesse – ceux qui combattent – paie l’impôt du sang. Le peuple – ceux qui travaillent – doit s’acquitter d’une multitude d’impôts en nature ou en espèces qui vont devenir de plus en plus lourds et injustes.

« Ô France, tourmentée par les agents du fisc, tu as eu à supporter de dures lois et de terribles moments ! »139

GILLES de Paris (1162-1220). Étude sur la vie et le règne de Louis VIII (1975), collectif

Apostrophe lancée au début du XIIIe siècle par le précepteur du fils de Philippe Auguste, Louis VIII de France dit le Lion. La politique d’expansion de Philippe Auguste est assurément coûteuse, mais en plus de quarante ans de règne, il fait de la France le plus puissant royaume de l’Occident chrétien.

Cette récrimination sur la lourdeur des impôts reviendra comme un refrain tout au long de notre histoire, allant jusqu’à déclencher la Révolution de 1789.

« Et pour ce qu’il avait entendu, que les sujets du royaume se tenaient fortement aggravés de la mutation des monnaies, [Jean II le Bon] offrit à faire bonne monnaie et durable, mais que l’on fît autre aide qui fût suffisante pour faire la guerre. »294

Grandes Chroniques de France

Le père de Jean II le Bon, Philippe VI, instaura en 1341 ce qui allait devenir la principale ressource du fisc royal : la gabelle, impôt sur le sel (essentiel pour la conservation des aliments). Cependant, les guerres ont englouti tout l’argent dont le roi Jean peut disposer. Il convoque alors à Paris les États généraux de langue d’oïl, le 2 décembre 1355.

Le roi promet de ne plus toucher à la valeur de la monnaie : de 1350 à 1355, rien moins que 85 ordonnances de dévaluation avaient ôté à la monnaie royale près des trois quarts de sa valeur en métal précieux – vertigineuse dévaluation.

En échange de cette promesse, les députés, avec à leur tête Étienne Marcel, le prévôt des marchands de Paris, acceptent de généraliser l’application de la gabelle et de créer une taxe sur les marchandises - remplacée l’année suivante par la capitation, impôt par tête plus facile à percevoir. Ils exigent aussi d’importantes réformes judiciaires et des garanties sur le droit des personnes : la Grande Ordonnance du 28 décembre 1355, limitant les pouvoirs du roi, est comparable à la Grande Charte anglaise.

« À ceux qui travaillaient la terre,
La terre doit appartenir,
Récompense à la vie austère
D’un illustre peuple martyr :
Et de baraques en baraques
Se levèrent les paysans,
Les va-nu-pieds, les artisans,
Les rudes gars qu’on nommait Jacques. »301

Jacques VACHER (1842-1897), chanson évoquant la Jacquerie de 1358. Voix d’en bas : la poésie ouvrière du XIXe siècle (1979), Edmond Thomas

Ardent républicain sous le Second Empire, ce chansonnier populaire créera le premier Caveau stéphanois en 1869, lieu de poésie, de chansons et d’expression libre, avant de s’enrôler en 1870 comme franc-tireur républicain. Une rue de Saint-Étienne porte son nom.

Fils de paysan et lui-même artisan menuisier, Vacher évoque le mécontentement du « petit peuple » dans les campagnes au Moyen Âge. Les paysans ont déjà dû payer l’équipement de leurs seigneurs qui se firent battre à Crécy, puis à Poitiers. Il faut à présent donner pour leur rançon, car ils sont prisonniers des Anglais. Décimés il y a dix ans par la peste noire et la famine, les voilà également pillés par les bandes anglo-navarraises, comme par les soldats du dauphin Charles.

« Le fisc d’une part, la féodalité de l’autre semblaient lutter pour l’abrutir [le peuple] sous la pesanteur des maux. »

Jules MICHELET 1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

Fils d’un imprimeur ruiné par le régime de la presse sous le Consulat et l’Empire, Michelet a connu la misère dans sa jeunesse. Il en garde un profond amour du peuple. Écrivain engagé dans les luttes de son temps riche en révolutions, manifestant contre la misère des ouvriers, il composera dans l’enthousiasme son Histoire de la Révolution française : une œuvre inspirée, remarquablement documentée. Les plus belles pages concernent le peuple : « La terre est à peine remise en état, et le fisc fond dessus. » Le Peuple, héros de ce livre éponyme.

« Taillable et corvéable » à merci, l’expression doit être prise à la lettre. Au Moyen Age, la « taille » est l’impôt que le serf doit verser au seigneur - les bourgeois, les gens d’églises et les nobles ne sont pas redevables. Il doit également des journées de travail à son maître. Dans ces conditions, le serf est totalement à la merci du seigneur qui décide de tout. C’est de ce principe que vient l’expression toujours utilisée, même si la fiscalité est devenue plus juste !

« La manière et ordre de vivre des gens d’armes afin de faire cesser la pillerie qui longuement a eu cours au royaume. »356

Préambule de la Grande Ordonnance, publiée le 26 mai 1445. Jean de Bueil : comte de Sancerre, amiral de France (1994), Jacques Faugeras

La permanence de l’impôt (consentie à Charles VII par les États généraux réunis en 1435, 1436 et 1439) rend possible la permanence de l’armée. Elle est instaurée par la Grande Ordonnance qui permet en outre de récupérer et de payer les mercenaires laissés sans emploi par la trêve de Tours (1444) et d’éviter qu’ils ne redeviennent bandits de grands chemins ou « routiers ».

Charles VII, bien conseillé par son connétable Richemont, crée les « compagnies d’ordonnance du roi » (cavalerie), puis une milice de « francs archers » (infanterie), soit un homme par 50 feux (foyers), roturiers dispensés de la taille. La réorganisation des effectifs s’accompagne d’une nouvelle utilisation de l’artillerie : jadis réservée à l’attaque et la défense des places fortes, elle va désormais servir sur les champs de bataille. La trêve de Tours qui va durer quatre ans est encore mise à profit pour réorganiser le royaume, rétablir une monnaie saine, perfectionner la fiscalité directe et indirecte.

« Le royaume est paisible et tranquille au point que les marchandises peuvent librement circuler […] Les impôts sont lourds ? Je ne les emploie que pour le bien et honneur du royaume et les diminuerai dès que je le pourrai. N’y ai-je pas le plus grand intérêt, puisque je suis le chef et le père de la chose publique ! »372

LOUIS XI (1423-1483), 10 mars 1465. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Fin du Moyen Âge. Heureux effet de la paix et contraste saisissant avec la France de la première moitié du siècle.

Quant aux impôts que Charles VII contribua à fixer, certes utilisés dans le cadre d’une bonne gestion, ils ne seront jamais diminués ! À mesure que la monarchie s’affirme et se centralise, elle assume des tâches de police, justice, intervention économique (routes, ports, canaux, marine marchande, manufactures, bâtiments) nécessitant des rentrées publiques toujours croissantes. À quoi s’ajouteront les guerres sans cesse recommencées, de plus en plus lourdes en hommes et matériel.

Naissance de la monarchie absolue

« On tient les paysans en France dans une telle sujétion qu’on n’ose pas leur donner des armes […] On leur laisse à peine de quoi se nourrir. »588

Sir George CAREW(??-1613), ambassadeur anglais (1609). Encyclopædia Universalis, article « Henri IV, roi de France et de Navarre »

Témoignage plus conforme à la réalité que la « poule au pot » du dimanche, qualifiée de légende par les historiens. Sully privilégie l’agriculture (politique économique classique dans une France agricole à plus de 90 %) et prend des mesures pour pallier les injustices et les misères les plus criantes, chez les petits paysans ruinés par l’usure et les ravages des soldats et contraints de céder leurs parcelles à vil prix. Ainsi, il réduit la taille. Mais il faut augmenter les gabelles et avec l’ordre revenu, les dîmes sont plus rigoureusement perçues.

La fiscalité écrase à ce point la masse paysanne qu’elle est à l’origine de révoltes continuelles, depuis celle des « croquants » du Limousin, du Périgord et de Guyenne (1594). Les disettes céréalières, à partir de 1617, se répètent tous les quatre ou cinq ans, jusqu’en 1643.

« Si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les contenir dans les règles de leur devoir. »590

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Testament politique

Louis XIII s’inquiétait, dit-on, plus que son ministre des efforts demandés au peuple.

De 1624 à 1643, chaque année connaît de graves soulèvements populaires, urbains aussi bien que paysans, et aucune province n’est épargnée. C’est comme une interminable répétition générale de la Fronde à venir : intendants malmenés, maisons des fermiers d’impôts pillées, attaques des agents du fisc, milices d’insurgés, révoltes des Va-Nu-Pieds, colères de tous les croquants et autres Jacques de France et de Navarre. À partir de 1635, la guerre avec l’Espagne alourdit encore la fiscalité, aggravant la misère et l’impopularité du cardinal. Qu’importe : la grandeur de la France avant tout ! Les sujets ? « Il faut les comparer aux mulets qui, étant accoutumés à la charge, se gâtent par un long repos plus que par le travail. » Homme de devoir, Richelieu mourra lui-même d’épuisement à la tâche.

« Qu’ils chantent, pourvu qu’ils paient. »759

MAZARIN (1602-1661). Dictionnaire de français Larousse, au mot « payer »

Un impôt de plus, des relations supposées avec la reine, une impopularité grandissante, tout est occasion de mazarinade (pamphlet), mais Mazarin se moque de ces chansons et de ceux qui les chantent. Il bravera toutes les formes d’opposition, gardant et renforçant son pouvoir jusqu’à sa mort.

« Il importe à la gloire de Votre Majesté que nous soyons des hommes libres et non pas des esclaves. Il y a, Sire, des ans que la campagne est ruinée, les paysans réduits à coucher sur la paille. »769

Omer TALON(1595-1652) à Louis XIV, 15 janvier 1648. Un magistrat de l’Ancien régime : Omer Talon (1902), Hubert Mailfait

L’avocat général au Parlement de Paris s’adresse au roi qui n’a pas encore 10 ans, à l’occasion d’un lit de justice qui va enregistrer de force de nouveaux édits, pour les annuler le lendemain.

C’est l’un des épisodes de la lutte qui oppose Mazarin au Parlement, amendant ou rejetant systématiquement chaque année les édits financiers aggravant la fiscalité, frappant les paysans aussi bien que les bourgeois, les rentiers et les « robins » (hommes de robe). Le pouvoir fait ainsi l’unanimité contre lui et le feuilleton fiscal est réellement au cœur de l’histoire de France.

Siècle de Louis XIV

« Qui presse trop la mamelle pour en tirer du lait, en l’échauffant et en la tourmentant, tire du beurre ; qui se mouche trop fortement fait venir le sang ; qui presse trop les hommes excite des révoltes et des séditions. C’est la règle que donne Salomon. »832

BOSSUET (1627-1704), Politique tirée de l’Écriture sainte (posthume).

Bien que chantre de la monarchie absolue et de droit divin, l’évêque de Meaux dénonce ici les méfaits d’une trop forte pression fiscale.

Colbert tente en vain d’équilibrer le budget de l’État, mais la guerre et l’industrialisation du pays sont trop coûteuses et il n’ose pas s’attaquer au vrai problème : des impôts mal répartis et peu productifs. Il commence par poursuivre les financiers concussionnaires, traquer les faux nobles (s’exemptant de la taille). Cela ne suffit pas, il doit accroître les impôts indirects (gabelles sur le sel, traites, c’est-à-dire douanes intérieures, aides sur les boissons) et en créer de nouveaux : enregistrement, estampille des métaux précieux, marque des cartes à jouer, papier timbré. Cette politique cause des révoltes : contre la gabelle en Béarn (1663) et en Roussillon (1668), contre les aides en Berry (1663), contre le papier timbré en Bretagne et Guyenne, avec des jacqueries paysannes (1675). En 1680, année de la création de la Ferme générale (et de l’unification des fermes, des gabelles, traites, aides, etc.), les révoltes fiscales se multiplieront.

« Par la gabelle et les aides, l’inquisition entre dans chaque ménage. »833

Hippolyte TAINE (1828-1893), Les Origines de la France contemporaine, tome I, L’Ancien Régime (1875)

Cet historien précise : « Dans les pays de grande gabelle […], le sel coûte treize sous la livre […] Bien mieux, en vertu de l’ordonnance de 1680, chaque personne au-dessus de 7 ans est tenue d’en acheter sept livres par an. » La levée des impôts est assurée par les « fermiers », traitants ou « partisans » privés qui passent contrat avec l’État : ils lui remettent une somme forfaitaire et prélèvent les taxes et droits sur les contribuables, en faisant leur bénéfice.

Le fermier est un personnage aussi haï que l’intendant sous l’Ancien Régime, en raison de nombreux abus.

« Toute la bourgeoisie fut tenue sous la terreur d’un arbitraire indéfiniment élastique qui croissait ou baissait à la volonté des commis. Ces commis gouvernèrent sous le nom d’ »intendants », armés d’un pouvoir triple de justice, police et finances […] Un seul roi reste en France, c’est l’Intendant, l’envoyé du ministre. »834

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)

Les intendants, jadis itinérants, se fixent en 1666 dans les provinces, chacun coiffant une « généralité » (circonscription géographique qui recoupe celle des recettes générales). Nommé par le roi, révocable à volonté, l’intendant est l’agent docile et dévoué du pouvoir central. Surchargé de travail, il s’entoure de subdélégués, eux-mêmes aidés par des adjoints sur lesquels certains se déchargent pratiquement du pouvoir d’administrer. Ce système d’administration royale est plus efficace dans les villes que dans les campagnes, vu la lenteur des communications et l’insuffisance des routes.

Les préfets, assistés des sous-préfets, exerceront à partir de 1800 des fonctions analogues aux intendants, dans les départements créés par la Révolution.

« Sollicitez fortement le particulier qui veut entreprendre un établissement de le réussir et, s’il a besoin de la protection du roi, vous pouvez lui assurer qu’elle ne lui manquera pas. »866

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Conseil donné à l’un de ses mandataires à Lille, vers 1665. Encyclopædia Universalis, article « Colbertisme »

Illustration du « colbertisme », politique industrielle nationaliste qui implique un certain nombre de postulats favorables : dynamisme économique et goût du travail (première qualité de Colbert), volonté d’expansion extérieure à partir de solides bases nationales, aspiration à la croissance.
Une telle politique implique l’intervention de l’État : les manufactures « royales » se multiplient, entreprises privées bénéficiant de subventions, d’exemptions fiscales ou d’un monopole de fabrication ou de vente (à ne pas confondre avec les manufactures « du Roi », ateliers d’État). Ce mercantilisme à la française réussit au début du règne, mais les règles étatiques trop rigides finissent par devenir un frein, cependant que la conjoncture nationale et internationale se dégrade en raison des guerres, les impôts devenant littéralement insupportables au peuple « taillable et corvéable à merci ». C’est toujours le même cercle vicieux.

« Colbert avait un grand-père
Qui n’était pas si savant
Ni si riche que son père
Ni si dur aux pauvres gens. »881

Colbert avait un grand-père, chanson. Fouquet, surintendant général des finances, d’après les documents d’archives et les mémoires (1908), Albert Savine, François Bournand

Choisir un bourgeois pour ministre fut une initiative royale mal acceptée des Grands. Mais le peuple se méfie aussi : la fortune rapide de Colbert devient suspecte. Autre raison d’impopularité : les impôts indirects accrus ou créés, injustes et  causant des émeutes fiscales. 1675 sera l’année de la révolte du papier timbré – notamment en Bretagne.

« Si j’avais fait pour Dieu ce que j’ai fait pour cet homme, je serais sauvé dix fois. »891

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), sur son lit de mort, parlant de Louis XIV, début septembre 1683. Mot de la fin. Histoire de la vie et de l’administration de Colbert (1846), Pierre Clément

Ce grand commis de l’État accomplit une tâche surhumaine, cumulant peu à peu les postes d’intendant des Finances, contrôleur général, surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures, secrétaire à la Maison du roi et à la Marine. Il dirigea et réglementa l’économie, réorganisa l’administration, géra les « affaires culturelles », encouragea le commerce défini comme « une guerre d’argent » et enrichit le pays au nom d’un mercantilisme qui fait loi – le colbertisme. Louis XIV lui doit, autant que la France, une part de cette grandeur dont il est si fier.

Mais à la veille de sa mort (6 septembre 1683), le créateur du budget public (au sens moderne du mot) devait avoir un sentiment d’échec : les dépenses de l’État ne peuvent plus être équilibrées par les recettes en raison des dépenses militaires, et la cour parle d’une éventuelle disgrâce de Colbert au profit de son rival, l’intrigant Louvois, ministre de la Guerre qui encourage le roi dans une politique extérieure toujours plus ambitieuse, aventureuse, bientôt ruineuse.

« Ci-gît l’auteur de tous impôts
Dont à présent la France abonde.
Ne priez point pour son repos
Puisqu’il l’ôtait à tout le monde. »892

Épitaphe (anonyme) de Colbert, 1683. Dictionnaire de la mort (1967), Robert Sabatier

Les ministres des Finances sont souvent impopulaires et Colbert, par sa rigueur, le fut tout particulièrement.

La Mort de Colbert est le titre d’une chanson connue, en cette fin d’année 1683 : « Caron étant sur le rivage, / Voyant Colbert, dit aussitôt : / Ne vient-il pas mettre un impôt / Sur mon pauvre passage. » (Dans la mythologie, Caron avec sa barque permet aux âmes d’accéder au royaume des morts, mais il exige un péage, pour franchir le fleuve Styx.)

« Tant que la levée des revenus [de l’État] s’exigera par des voies arbitraires, il est impossible que les peuples ne soient exposés à un pillage universel répandu par le royaume. »931

VAUBAN (1633-1707), Projet d’une dîme royale (1707)

Pour y remédier, ce génial ingénieur militaire propose un nouvel impôt : « La dîme royale délivrerait [le peuple] de toutes les vexations et avanies des collecteurs, des receveurs des tailles et de leurs suppôts. » L’ouvrage est interdit et Vauban meurt en 1707, maréchal de France, mais tombé en disgrâce.

Des tentatives sont cependant faites. On pourrait même parler de révolution fiscale avec la capitation, taxe par tête frappant les contribuables en raison de leur rang social, et le dixième, impôt proportionnel à tous les revenus. Mais ce sera l’échec : l’équipement administratif est insuffisant et les privilégiés (noblesse et haut clergé) résistent si bien que le poids fiscal retombe pratiquement sur le peuple, toujours taillable et corvéable. Le même scénario se reproduira au siècle des Lumières.

« Impositions indirectes ; pauvres paysans. Pauvres paysans ; pauvre royaume. Pauvre royaume ; pauvre souverain. »965

Pierre Samuel DUPONT de NEMOURS (1739-1817), De l’origine et des progrès d’une science nouvelle (1768).

Parole d’économiste, et voici tracé le cercle vicieux de l’économie.

La fiscalité frappe la masse des paysans pauvres, alors que les privilégiés aux grandes fortunes (fermiers généraux, financiers, courtisans) sont intouchables et que l’essentiel des revenus industriels et commerciaux y échappe. Le trop faible pouvoir d’achat de la paysannerie – 90 % de la population – ne permet pas la consommation accrue de produits manufacturés et ne peut donc stimuler le développement de l’industrie courante, comme en Angleterre. Enfin, le rendement d’impôts perçus sur des contribuables trop pauvres ne peut alimenter suffisamment les caisses de l’État. L’Ancien Régime devait mourir de cette crise financière sans solution, hormis une réforme fondamentale de l’État : il faudra une révolution pour y arriver.

Siècle des Lumières

« Le peuple est taillable et corvéable à merci. »966

Jean-François JOLY de FLEURY (1718-1802). Dictionnaire de français Littré, au mot « taillable »

Le mot est prononcé quand Turgot tente l’abolition de la corvée, en 1775-1776, mais la chose date du Moyen Âge ! Et jusqu’à la Révolution, le tiers état sera écrasé par le clergé et la noblesse.

La taille est pratiquement le seul impôt direct de l’Ancien Régime : représentant (en principe) le rachat du service militaire, il n’est payé ni par les nobles qui se battent en personne, ni par le clergé qui ne se bat pas. C’est donc un impôt roturier. Très injustement réparti, il retombe lourdement sur les plus pauvres qui n’ont pas les moyens (argent, relations) pour s’en faire exempter. Même injustice pour la corvée royale – impôt en nature sous forme de journées de travail.

« On taxe tout, hormis l’air que nous respirons. »967

Mme du DEFFAND (1697-1780). Histoire de France (1924), Jacques Bainville

Et l’historien ajoute : « Ce qui viendra d’ailleurs sous la Révolution, avec l’impôt des portes et fenêtres. »

La marquise, amie des encyclopédistes, paie proportionnellement beaucoup moins que le peuple et peut pourtant se plaindre d’impôts nouveaux, tels les vingtièmes, censés frapper les nobles et les propriétaires. Mais les vices inhérents à la perception les rendent à la fois injustes et inefficaces.

« Votre Altesse Royale sera en état de relever le royaume de la triste situation à laquelle il est réduit et de le rendre plus puissant qu’il n’a encore été, de rétablir l’ordre des finances, de remettre, entretenir et augmenter l’agriculture, les manufactures et le commerce, d’augmenter le nombre des peuples […] d’augmenter les revenus du Roi en soulageant les peuples et de diminuer la dette de l’État sans faire tort aux créanciers. »1078

John LAW (1671-1729), Première Lettre au duc d’Orléans. Recherches historiques sur le système de Law (1854), Émile Levasseur

Le Régent qui gouverne tant bien que mal se laisse convaincre : c’est la chance d’une France dramatiquement appauvrie. Dès mai 1716, le banquier écossais fonde sa Banque générale (privée), société par actions, autorisée à émettre des billets ayant cours public, promue Banque royale le 4 décembre 1718. En 1719, le succès du Système est foudroyant.

Le principe est simple : on remplace les pièces d’or et d’argent par du papier-monnaie à la circulation plus rapide. Des crédits sont ouverts, garantis par les bénéfices des entreprises de Law (coloniales, commerciales, fiscales, financières) qui vont s’étendre à toute l’économie. Ses sociétés filles et petites-filles de la Banque royale drainent les capitaux, promettant des plus-values de 40 % sur les dividendes. Il n’y a théoriquement aucun risque : l’exploitation des colonies françaises rapportera autant d’argent que nécessaire pour rembourser les déposants. La Louisiane est un pays de cocagne, les Indes orientales font rêver.

« Dieu ne tire pas plus rapidement les hommes du néant. »1082

MONTESQUIEU (1689-1755), parlant du système de Law en 1719, Lettres Persanes (1721)

Le Système fait des miracles et permet de tout espérer : « Que de valets servis par leurs camarades, et peut-être demain par leurs maîtres ! » Des fortunes colossales naissent en quelques heures et l’on cite des cas incroyables, mais vrais : des laquais devenus millionnaires paradent en carrosse, un abbé gagne 18 millions de livres, un garçon de cabaret 30, un ramoneur 40, un mendiant 70 et une mercière 100. Ces nouveaux riches achètent des châteaux, donnent des fêtes, épousent des filles nobles… avant que leur fortune s’écroule.

Le Système s’effondre en 1720, au terme d’un emballement affolé : chute des dividendes, perte de confiance des porteurs, spéculation à la baisse de banquiers rivaux (les frères Pâris), trop forte émission de billets que la banque ne peut rembourser à vue, panique boursière. Les compagnies créées dans les colonies n’ont pas eu le temps de rapporter les richesses espérées. La bourse de la rue Quincampoix ferme en mars, la débâcle financière générale provoque des émeutes en juillet. Le 21, une semi-banqueroute est prononcée, un arrêt du 10 octobre retire tout usage monétaire aux billets de banque de Law (il y en avait pour plus de 10 milliards de livres). John Law, devenu entre-temps contrôleur général des Finances, prend la fuite et mourra ruiné aux Pays-Bas. L’idée était bonne et resservira au système bancaire, mais la première réalisation fut catastrophique.

« J’aime mieux leur [aux paysans] demander des bras qu’ils ont que de l’argent qu’ils n’ont pas. »1104

Philibert ORRY (1689-1747), contrôleur général des Finances de 1730 à 1745. Histoire politique de l’Europe, XVIe-XVIIIe siècles (1996), Bernard et Monique Cottret

Remarquable financier, Orry bénéficie à ce poste d’un record de longévité battu seulement par Colbert. Ils ont d’autres qualités en commun.

Il défend ici, de manière pragmatique, le principe de la corvée royale, impôt en nature sous forme de travail obligatoire (six jours à un mois par an) qu’il destine à un grand chantier devenu indispensable au pays et relevant de l’École des ponts et chaussées, également créée par Orry. Mais ce nouvel impôt est considéré comme « féodal » par les économistes libéraux – généralisé en 1738, il sera aboli à la Révolution.

Résultat : 44 000 km d’anciens chemins de terre ou de chaussées défoncées deviennent des routes élargies, empierrées, bordées d’arbres, bornées de lieue en lieue. Digues, bassins, canaux, ponts, assèchements et détournements de rivières changent le paysage de la France. Le commerce en profite. Il profite aussi d’une stabilité financière exceptionnelle, de 1730 à 1745.

« Il faut convenir que la gent ecclésiastique a les bras longs et même qu’elle est à craindre. »1130

Edmond Jean-François BARBIER (1689-1771), Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV (posthume, 1866)

23 décembre 1751, Louis XV cède au clergé qui refuse de payer l’impôt dit du vingtième, frappant tous les biens, la « gent ecclésiastique » se déconsidérant du même coup dans l’opinion publique.

Cette réforme fiscale était l’œuvre de Machault d’Arnouville, contrôleur général des Finances depuis 1745. Le Parlement aura sa peau en 1754 et les privilégiés imposeront à son successeur tant d’adoucissements, de rachats et de forfaits que le vingtième deviendra un impôt comme les autres, mal assis, mal perçu, de faible rapport. L’État qui a besoin d’argent devient de plus en plus dépendant du bon vouloir de ces hauts magistrats.

« C’est le ton de la nation ; si les Français perdent une bataille, une épigramme les console ; si un nouvel impôt les charge, un vaudeville les dédommage. »1149

Carlo GOLDONI (1707-1793), Mémoires (1787)

L’humour à l’italienne rend hommage à l’humour français. Une occasion plaisante de rappeler la théâtromanie du siècle des Lumières, entre deux considérations fiscales.

Cet Italien de Paris connaît bien notre pays et notre littérature. Surnommé le Molière italien, il veut réformer la comédie italienne dans son pays, ôtant les masques aux personnages et supprimant l’improvisation pour écrire ses pièces de bout en bout, d’où son premier chef-d’œuvre, La Locandiera. Il est violemment attaqué par Carlo Gozzi, comte querelleur et batailleur, qui défend la tradition de la commedia dell’arte à coups de libelles et de cabales.

Fatigué de cette guerre des deux Carlo, le paisible Goldoni, invité par Louis XV, s’installe définitivement à Paris en 1762. Il écrit en français pour la Comédie-Italienne (rivale de la Comédie-Française), devient professeur d’italien à la cour. Il sera également pensionné sous Louis XVI. Il rédige ses Mémoires à la fin de sa vie, pauvre, malade, presque aveugle, mais exprimant toujours sa gratitude pour la France – même si la Révolution supprime sa pension à l’octogénaire.

« Pour nous autres Français, nous sommes écrasés sur terre, anéantis sur mer, sans vaisselle, sans espérance ; mais nous dansons fort joliment. »1157

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à M. Bettinelli, 24 mars 1760, Correspondance (posthume)

La guerre ne se joue pas sur le sol de France et ne menace pas tragiquement ses frontières comme au siècle dernier ou au siècle suivant. Mais elle coûte de plus en plus cher au pays et la fiscalité s’alourdit : la capitation est augmentée, on instaure un troisième vingtième jusqu’à la paix. Le problème n’est pourtant pas que financier. L’armée n’a pas de chefs militaires dignes de ce nom et les hommes de gouvernement se révèlent incapables de gérer la situation.

« Point de banqueroute, point d’augmentation d’impôts, point d’emprunt. »1212

TURGOT (1727-1781), Lettre au roi, résumant ses projets de nouveau contrôleur général des Finances, fin août 1774. Œuvres de Mr. Turgot, ministre d’État : précédées et accompagnées de Mémoires et de notes sur sa vie, son administration et ses ouvrages

Toutes ses idées sont bonnes et il a l’art du raccourci, dans la formule. Il ne manque pas de le rappeler au roi. Rappelons au passage la popularité de deux grands ministres des Finances, Turgot et Necker – plus chanceux en cela que Colbert.

Mais les réformes de Turgot vont lui aliéner les privilégiés et le roi, si faible, si hésitant, peut-il vraiment le soutenir dans son combat ? Il va quand même essayer.

« Enfin, j’ons vu les Édits
Du roi Louis Seize !
En les lisant à Paris,
J’ons cru mourir d’aise […]
Je n’irons plus au chemin
Comme à la galère
Travailler soir et matin
Sans aucun salaire.
Le Roi, je ne mentons point,
A mis la corvée à bas. »1218

Les Édits (1776), chanson des Jacques Bonhomme de France. Histoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette (1850-1851), Alexandre Dumas

Turgot, en janvier 1776, demande au Conseil l’abolition de la corvée royale des paysans (les Jacques), remplacée par une taxe additionnelle payable par tous les propriétaires terriens. S’y ajoute une série de mesures fiscales pour plus de justice et d’efficacité. Au total, six édits. C’est l’amorce d’une véritable équité fiscale : la mesure est très populaire auprès du petit peuple, le ministère semble bien assuré, mais tous les privilégiés qui se retrouvent frappés fiscalement vont s’opposer aux édits de Turgot. Et l’emporter une fois de plus. L’humour est le ton dominant, mais la situation est tragique et la Révolution inévitable.

« Le mur murant Paris rend Paris murmurant. »1240

Alexandrin cité par BEAUMARCHAIS (1732-1799) évoquant l’impopularité du mur en 1785, au point d’en faire une des causes de la Révolution. Histoire des agrandissements de Paris (1860), Auguste Descauriet

C’est le mur des Fermiers généraux, enceinte de 24 km qui ménage une soixantaine de passages (ou barrières) flanqués de bureaux d’octroi – impôt indirect, perçu à l’entrée des marchandises. Calonne, contrôleur général des Finances, a donné satisfaction aux fermiers généraux : pouvant mieux réprimer les fraudes, notamment la contrebande sur le sel au nez des gabelous (commis de la gabelle), ils verseront davantage au Trésor qui en a plus que jamais besoin.

Ce mur se veut imposant comme une fortification : les bureaux, conçus par l’architecte Nicolas Ledoux dans un style néoclassique avec des références à l’antique, prennent le nom de Propylées de Paris. Mais les Parisiens ont l’impression d’étouffer derrière cette petite ceinture à vocation fiscale. D’où l’épigramme : « Pour augmenter son numéraire / Et raccourcir notre horizon, / La Ferme a jugé nécessaire / De mettre Paris en prison. »

Le mur, achevé sous la Révolution, renforcé sous le Consulat et l’Empire, sera démoli en 1860 par le préfet Haussmann, Paris s’agrandissant de 11 à 20 arrondissements.

« Il est impossible d’imposer plus, ruineux d’emprunter toujours ; non suffisant de se borner aux réformes économiques. »1244

CALONNE (1734-1802), Plan d’amélioration des finances, Mémoire, 20 août 1786. La Révolution française (1922), Albert Mathiez

L’Enchanteur a commencé par rassurer les prêteurs. Il a multiplié les projets industriels, financé les fêtes à Versailles, les spectacles à l’Opéra de Paris, dopé le commerce en diminuant les taxes, supprimé le troisième vingtième. Mais l’emprunt coûte de plus en plus cher, les recettes n’augmentent pas comme espéré, l’inflation encourage la spéculation, les faillites se multiplient, l’état de grâce est fini. Calonne a compris : « Il est indispensable de reprendre en sous-œuvre l’édifice entier pour en prévenir la ruine. » Il a raison, mais il est bien tard.

« Mais c’est du Necker tout pur que vous me donnez là ! »1245

LOUIS XVI (1754-1793), lisant le mémoire de Calonne, d’ordinaire moins rigoureux dans sa gestion publique. Histoire de France (1874), Victor Duruy

Le roi s’étonne du changement de politique proposé par son ministre. Plus que « du Necker », c’est du Turgot. Face à la crise économique et financière, le contrôleur général des Finances propose au roi un projet radical pour unifier l’administration des provinces et établir l’égalité fiscale. Mais jamais les Parlements n’accepteront de cautionner cette réforme remettant en cause tous les privilèges !

Contre Vergennes (qui fait office de Premier ministre depuis la mort de Maurepas et ménage les coteries de la cour), Calonne va convaincre le roi de convoquer une Assemblée des notables pour leur présenter son projet, au début de 1787. C’est le type même de la fausse bonne idée. Les notables ne pourront pas cautionner une réforme allant contre leurs intérêts. La seule issue sera radicale : la Révolution donnant le pouvoir aux élus de l’ensemble du peuple.

« Sire, il n’y a qu’un monarque dans votre royaume, c’est le fisc. Il ôte l’or de la couronne, l’argent de la crosse, le fer de l’épée et l’orgueil aux paysans. »1315

Cahier de doléances de la ville de Marseille. Cité par Marcel Jullian, invité à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, matinale sur France Inter en 1989

Superbe style qui contraste avec le ton quotidien, terre à terre et souvent laborieux des quelque 50 000 cahiers rédigés en février-mars 1789, pour exprimer les revendications des Français. Quant au fond, Marseille a raison : tout le mal vient du Fisc. Les autres villes et provinces font chorus : une unanimité citoyenne avant la lettre.

« Nous, députés de la paroisse de Champniers d’Angoulême, avons pris la hardiesse […] de vous faire savoir notre misère et notre pauvreté, que nous souffrons par les grosses impositions qui sont taxées par vos intendants et subdélégués ; en un mot, ils nous mettent à la mendicité. »1316

Cahier de doléances du tiers état. Département de la Charente. Cahiers de doléances de la sénéchaussée d’Angoulême et du siège royal de Cognac pour les États généraux de 1789 (1907)

Que veut le tiers ? Égalité devant l’impôt, accès aux emplois civils et aux grades militaires en fonction du mérite et non de la naissance, fin des privilèges de la noblesse.

La noblesse, se sentant menacée, revendique au contraire la défense de ses droits seigneuriaux et fonciers. Et presque tous les cahiers dénoncent l’arbitraire de « Monseigneur l’intendant », l’un des personnages les plus constamment haïs de l’Ancien Régime.

« Odieuse et funeste armée  
Du Fisc affreuse légion
Dont l’ardeur, de gain affamée
A dévoré la Nation ! »

Pierre-Louis GINGUENE (1748-1816), Ode sur les États généraux

Poète, historien et journaliste, partisan (modéré) des idées de la Révolution, il célèbre en ces termes pompeux l’ouverture des états généraux porteurs de tous les espoirs du peuple, au regard des tares de l’Ancien Régime.

Rappelons que les fameux États généraux de 1789 sont les premiers états généraux du royaume depuis ceux de 1614. Ce sont aussi les derniers de l’Ancien Régime. Cette assemblée des trois ordres (clergé, noblesse et tiers état) est convoquée par Louis XVI pour régler la crise financière – car il tout essayé et tout a échoué. Ils s’ouvrent à Versailles, le 5 mai 1789.

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