14 juillet et autres symboles nationaux | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Date référentielle majeure, notre fête nationale est l’occasion de rappeler les symboles de la République française née sous la Révolution - associée à l’idée de démocratie au siècle des Lumières et dans l’esprit des États-Unis d’Amérique créés en 1776.

L’Ancien Régime est définitivement mort en France - l’Affaire du drapeau blanc (1873) sera anecdotique. Mais notre (première) République n’a pas survécu à l’Empire, suivi par la Restauration (de la royauté) et la Monarchie de Juillet (née des Trois Glorieuses journées révolutionnaires). La Deuxième République laisse vite place au Second Empire. La Troisième, installée non sans peine, survit malgré les crises, les scandales, la Grande Guerre… Mais la Seconde Guerre mondiale fait naître le 10 juillet 1940 une dictature de quatre ans - le régime de Vichy du maréchal Pétain.

C’est dire à quel point la République est fragile avec ses valeurs toujours menacées dans un monde fatalement chaotique, cependant que les citoyens moins épris de réformes que de révolutions sont toujours en quête de plus, de mieux… ou d’autre chose.

L’Histoire est heureusement là pour rappeler les fondamentaux de la République française :
1. Une date anniversaire : 14 juillet, mais lequel ?
2. Un slogan trinitaire : Liberté, égalité, fraternité.
3. Un drapeau tricolore : Bleu blanc rouge.
4. La Déclaration des droits de l’homme à vocation universelle.
5. Deux chants révolutionnaires au destin historique : Marseillaise et Carmagnole.
6. Marianne : symbole allégorique de la République française.
7. Deux monuments nationaux parisiens à valeur symbolique : la Bastille et le Panthéon.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

1. Une date anniversaire : 14 juillet, mais lequel ?

Quel symbole républicain allons-nous célébrer, la prise de la Bastille ou la Fête de la Fédération ? Le plus étonnant, c’est qu’on en débat encore…

« 14, rien. »1331

LOUIS XVI (1754-1793), note ces deux mots dans son carnet avant de se coucher, château de Versailles, le soir du 14 juillet 1789. Histoire des Français, volume XVII (1847), Simonde de Sismondi

L’histoire lui a beaucoup reproché cette indifférence à l’événement. Précisons à sa décharge que le fameux carnet consigne surtout ses tableaux de chasse !

Le roi a été prévenu de l’agitation à Paris par une députation de l’Assemblée. Le 11 juillet, il a malencontreusement renvoyé Necker, ministre des Finances jugé trop libéral, l’homme le plus populaire du royaume, et il le rappellera le 16. En attendant, le mal est fait : manifestations le 12 juillet, municipalité insurrectionnelle à l’Hôtel de Ville, milice et foule armées le 13 (avec 28 000 fusils et 20 canons pris aux Invalides). À la Bastille, on est allé chercher la poudre et les munitions. La forteresse est avant tout le symbole historique de l’absolutisme royal : la révolution parlementaire est devenue soudain populaire et parisienne, en ce 14 juillet 1789. Mais contrairement à ce que l’on croit trop souvent, ce jour n’est pas l’origine de notre fête nationale. Il faut attendre l’année suivante, la Fête de la Fédération.

« Mais c’est une révolte ?
— Non, Sire, c’est une révolution ! »1333

Réponse du duc de LA ROCHEFOUCAULD-LIANCOURT (1747-1827), à Louis XVI (1754-1793), réveillé le soir du 14 juillet, à Versailles. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Le grand maître de la garde-robe s’est permis de se manifester dans la nuit pour informer le roi : la Bastille est prise et le gouverneur assassiné. Mieux que son maître, il a compris l’importance symbolique du fait. Ce bref dialogue résume la situation.

« En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit. »1332

Victor HUGO (1802-1885), Le Dernier Jour d’un condamné (1829)

Bilan du 14 juillet 1789 : une centaine de morts et un peu plus de blessés, essentiellement chez les assaillants (au nombre de 800 à 3 000, selon les sources). Hugo a raison : le peuple est parti dans une escalade de la violence et les meneurs parlent toujours plus fort que les modérateurs.

Mais le temps n’est pas encore venu de la Terreur et la Révolution va donner l’espoir que tout peut finir vite et bien.

« Moi, roi des Français, je jure […] de maintenir la Constitution. »1369

LOUIS XVI (1754-1793), Fête de la Fédération sur le Champ de Mars, 14 juillet 1790. Histoire de France depuis 1789 jusqu’à nos jours (1878), Henri Martin

C’est le premier anniversaire de la prise de la Bastille. Toutes les provinces sont représentées à Paris par les délégations des gardes nationales venues de la France entière : c’est la Fête de la Fédération.

Une messe est célébrée par l’évêque d’Autun, Talleyrand qui a répété la scène, d’autant plus qu’il ne célèbre pas souvent. Heure solennelle, devant 300 000 personnes, alors qu’il murmure à l’abbé Louis (ou à La Fayette, selon les sources) : « Pitié, ne me faites pas rire ! » Mot apocryphe, selon Chateaubriand qui le cite quand même.

Quoi qu’il en soit de ces coulisses et des intentions réelles du roi, on peut encore rêver à une monarchie constitutionnelle conforme aux vœux des premiers révolutionnaires (dits monarchistes). Sitôt qu’il paraît et qu’il parle, il semble que le pacte millénaire entre les Français et le Capétien se renoue. Tous ces provinciaux qui voient Louis XVI pour la première fois oublient ce qu’on a pu dire du « tyran ». Le peuple est le plus sincère de tous les participants à ce grand spectacle national, criant spontanément : « Vive le roi, vive la reine, vive le dauphin ! »

« C’est une conjuration pour l’unité de la France. Ces fédérations de province regardent toutes vers le centre, toutes invoquent l’Assemblée nationale, se rattachent à elle, c’est-à-dire à l’unité. Toutes remercient Paris de son appel fraternel. »1370

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

L’historien de la Révolution voit en cette fête du 14 juillet 1790 le point culminant de l’époque, son génie même. C’est le jour de tous les espoirs. La preuve ? Le peuple chante la plus gaie des carmagnoles : « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira / Le peuple en ce jour sans cesse répète, / Ah ! ça ira, ça ira, ça ira. / Malgré les mutins tout réussira… » 

« Si Louis XVI avait su profiter de la Fédération, nous étions perdus. »1372

Antoine BARNAVE (1761-1793). La Chute de l’Ancienne France, La Fédération (1896), Marius Cyrille Alphonse Sepet

Le pilier du club des Jacobins, patriote d’ailleurs modéré parmi les révolutionnaires, s’oppose alors aux deux députés les plus en vue cherchant toujours à concilier Révolution et royauté : Mirabeau et La Fayette.

Cette Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 est aussi un jour de gloire pour le général La Fayette : on baise ses mains et même la croupe de son cheval, on frappera des médailles à son effigie ! Pourtant, Mirabeau déteste ce « maire du palais » qu’il traite de « Gilles-César », de « sous-grand-homme ». Et Marat de « faux ami du peuple ».

« Aristocrate, te voilà donc tondu,
Le Champ de Mars te fout la pelle au cul,
Aristocrate, te voilà confondu.
J’bais’rons vos femmes, et vous serez cocus,
Aristocrates, je vous vois tous cornus. »1373

Le Tombeau des aristocrates (anonyme), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Chanté le 14 juillet 1790 sur le Champ de Mars (avec « La Pelle au cul », version voisine), le jour même de cette fête de la réconciliation nationale ! C’est un tout autre ton que le « ça ira » – lequel va bientôt connaître nombre de parodies fort dures pour les aristos.

Cela montre la complexité de cette Révolution où tous les courants d’opinion se croisent ! C’est aussi le parfait reflet de l’opinion publique que sont les chansons. À travers ces citations chantées, toute l’histoire de France se déroule, notamment sous la Révolution.

« Partout la joie est générale
Depuis qu’en vertu d’un décret
Notre fête nationale
Doit avoir lieu l’quatorze juillet ! »2463

Aristide BRUANT (1851-1925), J’suis d’l’avis du gouvernement (1879), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Un couplet de la chanson de Bruant célèbre l’événement et chante le consensus du pays : « Quand je vois pour fêter la France / Choisir la date d’un événement / Qui lui rappelle sa délivrance / J’suis d’l’avis du gouvernement. »

La Marseillaise est proclamée hymne national en même temps que le 14 juillet devient fête nationale – mais l’on discute pour savoir si l’on célèbre 1789 ou 1790, la prise de la Bastille ou la Fête de la Fédération. Quoiqu’il en soit, la loi est promulguée le 6 juillet 1880.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

2. Un slogan trinitaire : Liberté, égalité, fraternité.

La trilogie républicaine née sous le signe de la Révolution s’est imposée au XIXe siècle. Elle trouve un écho qui remonte au Moyen Âge et à la Renaissance : « Un roi, une foi, une loi » et « France, mère des arts, des armes et des lois ».

Reprise et « recyclée » à l’envi, notre devise républicaine rebondit et change de sens, comme en témoigne l’Histoire en citations.

Liberté, Égalité, Fraternité.1266

Antoine François MOMORO (1756-1794), slogan révolutionnaire

Libraire à Paris et « premier imprimeur de la liberté », il se prétend inventeur de cette devise. En tout cas, c’est lui qui obtient de Jean-Nicolas Pache, maire de Paris, qu’elle figure sur les façades des édifices publics.

Au fil de la Révolution, la liberté, revendication venue du siècle des Lumières, et l’égalité – des droits plus que des conditions – vont inspirer les révolutionnaires, pour le meilleur et parfois le pire. La fraternité reste la parente pauvre jusqu’au socialisme du XIXe siècle et le triple principe ne sera inscrit dans la constitution qu’en 1848.

« Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort. »1516

Devise sur les flammes des drapeaux. Cahier noir (1944), François Mauriac

Fin juin 1793, la devise apparaît quand les armées de la République font face à la coalition des armées impériales et royales d’une Europe majoritairement royaliste et naturellement hostile à cette Révolution démocratique. Un peu plus tard, la devise gravée sur les bagues des drapeaux remplacera la trilogie passée de mode : « La Nation, le Roi, la Loi ».

Elle apparaît aussi sur les murs de la capitale : le maire de la commune de Paris fait peindre cette devise et en province, d’autres villes suivent la capitale. Mais l’injonction sera abandonnée progressivement avec la fin de la Révolution : elle évoquait plus la Terreur que la République !

Liberté, Égalité, Fraternité.2135

Devise républicaine

La devise reparaît sur les murs au lendemain de la révolution de février 1848 et s’inscrit dans la Constitution du 12 novembre qui instaure la Deuxième République. Dans la « sainte devise de nos pères » (formule de Pierre Leroux, socialiste élu député républicain), la petite dernière, parente pauvre, profite du progrès des idées socialistes et la fraternité a enfin ses chances.

Mais le reflux contre-révolutionnaire viendra vite, avant même le Second Empire. Il faut attendre la Troisième République pour que la France (désormais industrialisée) ait enfin une législation sociale digne de ce nom.

« Attentat contre la dignité humaine, violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité. »2160

Victor SCHŒLCHER (1804-1893), Le Moniteur, 2 mai 1848. Victor Schœlcher et l’abolition de l’esclavage (2004), Aimé Césaire

Sous-secrétaire d’État dans le gouvernement provisoire de la Deuxième République, il plaide ici contre l’esclavage et voit enfin l’aboutissement de sa longue lutte : « Par les décrets du 27 avril 1848, rendus sur l’initiative de Schœlcher, l’esclavage, aboli une première fois par la Convention, a été définitivement supprimé dans nos colonies primitives » (Alfred Rambaud, Histoire de la civilisation contemporaine).

Liberté, Égalité, Fraternité.2545

Slogan républicain

La trilogie républicaine née sous la Révolution et inscrite sur les édifices publics, devise gravée sur les pièces de monnaie française et inscrite par décret du 28 mars 1803, remplacée sous la Restauration par l’inscription de l’Ancien Régime « Domine salvum fac regem », rétablie sous la Deuxième République, abolie par la Commune, est finalement réapparue au nom de la loi du 5 janvier 1907 ! Mais la Seconde Guerre mondiale va mettre fin au régime républicain…

« C’est sous le triple signe du Travail, de la Famille et de la Patrie que nous devons aller vers l’ordre nouveau. »2763

Pierre LAVAL (1883-1945), « Réunion d’information » des députés, 8 juillet 1940. Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident (1956), Jacques Benoist-Méchin

Après un long parcours politique, Laval entre au gouvernement Pétain installé à Vichy depuis le 3 juillet. Ayant provisoirement le portefeuille de la Justice, le ministre manœuvre habilement pour que le vieux maréchal (illustre vainqueur de Verdun) obtienne les pleins pouvoirs.

On travaille à réviser la Constitution. Le slogan trinitaire de 1789, trop républicain, est remplacé par une autre trilogie : Travail, Famille, Patrie. Tout l’esprit de la révolution nationale du régime de Vichy est dans ces mots et la loi constitutionnelle du 10 juillet en prend acte : « Cette Constitution doit garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. »

Le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) va remplacer le régime de Vichy et gouverner deux ans la France jusqu’au 27 octobre 1946, date de l’entrée en vigueur de la Quatrième République. Depuis cette date, le slogan trinitaire est associé à la République française.

3. Un drapeau tricolore : Bleu blanc rouge.

Les trois couleurs du drapeau national et de la cocarde républicaine ont une histoire plus mouvementée que la trilogie révolutionnaire. Les sources sont confuses et diverses. Voici quelques repères historiques et quelques surprises empruntées à notre Histoire en citations.

« Ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire et de l’honneur. »616

HENRI IV (1553-1610), à ses compagnons, avant la bataille d’Ivry, 14 mars 1590. Histoire universelle (posthume), Agrippa d’Aubigné

Le blanc (par ailleurs associé à la fleur de lys) symbolise la royauté, sous l’Ancien Régime. On le retrouvera dans l’Affaire du drapeau blanc … qui n’aura plus aucune chance, au début de la Troisième République.

Les soldats de l’armée royale semblent hésiter : les troupes de la Ligue (ultra-catholique), commandées par le duc de Mayenne, sont trois fois supérieures en hommes et en armes ! Mais le roi va trouver les gestes et les mots qu’il faut. Il plante sur son casque un panache de plumes blanches (couleur bien visible en même temps que symbole de la monarchie) et harangue ses troupes : « Mes compagnons, Dieu est pour nous, voici ses ennemis et les nôtres ! Voici votre roi ! Gardez bien vos rangs. Et si vous perdez enseignes, cornettes ou guidons, ce panache blanc que vous voyez en mon armet vous en servira, tant que j’aurai goutte de sang. Suivez-le. Si vous le voyez reculer, je vous permets de fuir… » Et le roi charge en tête de ses hommes.

Le « panache blanc » d’Henri IV va entrer dans la légende à la fin du XVIe siècle et la commune de l’Eure (près de Chartres) prendra le nom d’Ivry-la-Bataille.

« Voici une cocarde qui fera le tour du monde. »1336

LA FAYETTE (1757-1834), 17 juillet 1789. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Nouveau jour de gloire pour La Fayette, déjà « Héros des deux mondes » à 20 ans dans la guerre d’Indépendance des ex-colonies américaines contre l’Angleterre.  Nommé le 15 juillet commandant de la garde nationale, le marquis prend la cocarde bleue et rouge aux couleurs de Paris, y joint le blanc, couleur du roi, et présente cette cocarde tricolore à Louis XVI venu « faire amende honorable » à l’Hôtel de Ville de Paris. Une idée de génie, en matière de « com patriotique » !

Le roi met la cocarde à son chapeau et, par ce geste, reconnaît symboliquement la Révolution. La rumeur veut qu’il l’ait ensuite piétinée… mais tout était bon aux révolutionnaires purs et durs pour le perdre aux yeux du peuple. Quoiqu’il en soit, la cocarde révolutionnaire est bien entrée dans l’Histoire – même sous le régime de Vichy, c’est le seul symbole républicain qui survivra.

« Ici commence le pays de la Liberté ! »1366

Inscription sur un drapeau français, planté sur le pont de Kehl à Strasbourg, 13 juin 1790. La France de l’Est (1917), Paul Vidal de La Blache

Des représentants d’Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté, réunis (presque) spontanément en Fédération à Strasbourg, plantent sur le pont de Kehl un drapeau français, tricolore et symbolique, avec ces mots. Ils manifestent ainsi l’adhésion de l’Alsace (au statut particulier depuis le Moyen Âge) à la communauté nationale française. Par là même, ils soutiennent les acquis de 1789, les lois votées par la Constituante et les frontières nationales. Les conséquences vont être immenses – une suite de guerres étalées sur vingt-trois ans !

« Allons, avec la cocarde, / Aux tyrans, foutre malheur ;
Puis, allons à l’accolade, / Foutons-nous là de bon cœur.
Au diable toutes les frontières / Qui nous tenaient désunis,
Foutre, il n’est point de barrières / Sur la terre des amis. »1454

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Réveil du Père Duchesne, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

C’est un couplet bien dans le ton du Père Duchesne, l’un des journaux les plus populaires de l’époque, distribué aux armées pour éveiller la conscience politique des soldats.

Les trois couleurs révolutionnaires s’affichent à chaque bataille depuis Valmy (20 septembre 1792), première grande victoire de la République. N’oublions pas que la Révolution vit sous le signe de la guerre face à l’Europe des rois et des empereurs coalisés contre une France républicaine… et ardemment prosélyte.  

« L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. »1927

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Golfe-Juan, Proclamation du 1er mars 1815. Recueil de pièces authentiques sur le captif de Sainte-Hélène, de mémoires et documents écrits par l’empereur Napoléon (1821-1822)

L’empereur annonce la couleur dès le premier jour de son « come-back » historique. Il se pose devant l’armée en soldat de la Révolution et honnit le drapeau blanc de la Charte constitutionnelle associée à la Restauration de Louis XVIII : « Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites et qui pendant vingt-cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France ! Arborez cette cocarde tricolore ; vous la portiez dans nos grandes journées […] Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna. »

Il n’en faut pas plus, pas moins non plus pour que Napoléon gagne cet incroyable pari : rallier les troupes envoyées pour l’arrêter, soulever d’enthousiasme les populations et traverser la France en vingt jours, sous les yeux de l’Europe pétrifiée. Ainsi commence « le vol de l’Aigle » sur la route Napoléon qui mène à Paris.

« Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! »2146

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, derniers mots de son discours du 25 février 1848. Les Orateurs politiques de la France, de 1830 à nos jours (1898), Maurice Pellisson

Aux grandes heures du siècle romantique, son lyrisme fait merveille, cette citation faisant date et sens dans l’histoire de nos symboles nationaux.

La veille, 24 février, le poète élu député en 1833 et passionnément engagé en politique, a accepté la proclamation de la République comme un fait accompli. Mais ce jour, il refuse l’adoption officielle du drapeau rouge et, seul des onze membres du gouvernement provisoire, il a le courage de se présenter à la foule en armes qui cerne l’Hôtel de Ville ! Lui seul aussi est capable d’apaiser les insurgés du jour et de rallier le lendemain les modérés à la République – cet état de grâce sera malheureusement de courte durée pour le poète et pour la France.

« On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge, « qui n’avait fait que le tour du Champ de Mars tandis que le drapeau tricolore », etc. ; et tous se rangèrent sous son ombre, chaque parti ne voyant des trois couleurs que la sienne – et se promettant bien, dès qu’il serait le plus fort, d’arracher les deux autres. »2147

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

Le romancier voit juste, aidé par le recul du temps : la confusion et l’enthousiasme des premiers jours masquent toutes les incompatibilités d’opinion. Le même phénomène se reproduit à chaque changement de régime ou d’alternance politique : grands espoirs et lendemains qui déchantent.

« Le gouvernement provisoire déclare que la nation adopte les trois couleurs disposées comme elles l’étaient pendant la République. Ce drapeau portera ces mots : République française. »2149

Gouvernement provisoire, Décret du 25 février 1848. Histoire de la révolution de 1848 : Gouvernement provisoire (1862), Louis-Antoine Garnier-Pagès

Le gouvernement provisoire pense à tout - et d’abord aux symboles ! Dès les premiers jours, il prend aussi toute une série de mesures : proclamation de la République et abolition des titres de noblesse, réforme démocratique de la garde nationale, dissolution de la Chambre des députés, proclamation du suffrage universel, annonce de l’élection prochaine d’une Assemblée constituante, reconnaissance de toutes les libertés d’expression (presse, théâtre, clubs), abolition de la peine de mort en matière politique, limitation de la journée de travail (10 heures à Paris, 11 heures en province), etc. etc.

Cette deuxième République éphémère sera bientôt remplacée par le Second Empire très attaché aux symboles du Premier.

« J’ai reçu le drapeau blanc comme un dépôt sacré, du vieux roi mon aïeul. Il a flotté sur mon berceau, je veux qu’il ombrage ma tombe ! »2417

Comte de CHAMBORD (1820-1883), Manifeste du 5 juillet 1871, à Chambord. La Droite en France, de la première Restauration à la Ve République (1963), René Rémond

Début chaotique et retour aux symboles… de la monarchie ! Henri de Bourbon, comte de Chambord, se fait appeler Henri V et se voit déjà roi de France. On frappe des monnaies à son effigie, on construit des carrosses pour son entrée à Paris… Les deux partis, légitimistes et bonapartistes, se sont en effet mis d’accord sur son nom et sa légitimité.

Dans ce discours, il renie le drapeau tricolore. Scandalisés, certains de ses partisans en deviennent républicains ! L’« Affaire du drapeau » sert la stratégie politicienne de Thiers, vieux routier de la politique et républicain depuis la fin de la Restauration en 1830. Il pavoise devant tant de maladresse et dit avec humour que le prétendant mérite d’être « appelé le Washington français, car il a fondé la république ! »

Son attitude s’explique : le comte de Chambord a vécu quarante ans en exil, dont trente dans un château coupé du monde, entouré d’une petite cour d’émigrés aristocrates plus royalistes que le roi, comme tant de courtisans. Mais au début de la Troisième, le drapeau blanc lui fait perdre la présidence espérée. C’est dire l’importance historique du symbole !

« Avant d’aller planter le drapeau français là où il n’est jamais allé, il fallait le replanter d’abord là où il flottait jadis, là où nous l’avons tous vu de nos propres yeux. »2476

Paul DÉROULÈDE (1846-1914), Discours du Trocadéro, octobre 1884. Pour en finir avec la colonisation (2006), Bernard Logan

Sous la Troisième, le symbolisme du drapeau républicain se retrouve à chaque crise politique. Il illustre ici l’expression du patriotisme continental (exacerbé par la perte de l’Alsace-Lorraine en 1870-71), opposé à l’aventure coloniale incarnée par Ferry. Ce qui explique l’anticolonialisme de Déroulède - personnage par ailleurs injustement caricaturé.

« Faire passer avant toute chose la grandeur du pays et l’honneur du drapeau. »2477

Jules FERRY (1832-1893), Chambre des députés, 30 mars 1885. Discours et opinions de Jules Ferry (1897), Jules Ferry, Paul Robiquet

La conquête de l’Indochine a commencé sous Napoléon III et Jules Ferry poursuit cette colonisation française en Extrême-Orient. Par le traité de Hué (1883), l’empereur du Vietnam a été contraint de céder le Tonkin devenu un protectorat français, mais la Chine voisine conteste ce traité et envahit le Tonkin : ses troupes, les « Pavillons noirs », se heurtent aux troupes françaises. Sièges et batailles navales se succèdent durant près de deux ans.

Le 29 mars, les journaux ont appris l’attaque des Chinois à Lang-Son, ville du Vietnam sur la frontière chinoise, et le recul ou plus exactement la retraite du corps expéditionnaire français commandé par le lieutenant-colonel Herbinger, avec quelque 200 tués ou blessés. Incident démesurément grossi : on parle du « désastre de Lang-son » comme d’un second Waterloo et d’un nouveau Sedan ! Les radicaux, avec Clemenceau, dénoncent la politique coloniale de Jules Ferry, surnommé « Ferry-Tonkin » et accusé de haute trahison pour avoir engagé des troupes, sans bien informer les députés.

Ferry, président du Conseil, garde son calme et le 30 mars, invoquant la grandeur du pays et l’honneur du drapeau, demande une augmentation des crédits pour envoyer des renforts au Tonkin. Il déchaîne des clameurs, à la gauche comme à la droite de l’Assemblée.

« Seul, le maréchal peut réaliser l’union de la France, c’est un drapeau, un drapeau un peu taché, un peu souillé, mais c’est un drapeau tout de même. »2765

Général WEYGAND (1867-1965), à Stanislas Mangin venu lui demander de se rallier aux Forces françaises libres (FFL), été 1940. Tout est bien (1989), Roger Stéphane

Le régime de Vichy qui donne les pleins pouvoirs au maréchal Pétain a aboli la République – le drapeau tricolore demeure, avec au centre et sur fond blanc la Francisque, hache à deux tranchants. Le général Weygand daubait sur « Vichy qui se roule dans la défaite comme un chien dans la merde ». Pourtant, pas question pour l’ex-chef d’état-major français de se rallier à un mouvement né et entretenu à l’étranger avec de Gaulle, en toute illégalité !

La « perfide Albion » est haïe par une France traditionnellement anglophobe, surtout depuis le torpillage de la flotte française au mouillage dans la baie d’Oran à Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940. Pour éviter que la marine française passe à l’ennemi, plus de 1 300 marins furent tués dans l’attaque de la Royal Navy. Nombre de Français passèrent alors à la collaboration.

Par ailleurs, Pétain rassure. Sa dictature teintée de paternalisme tend à refaire une France sur le modèle du passé, paysanne et chrétienne, dans un carcan corporatiste et hiérarchisé, avec appel aux valeurs traditionnelles : Travail, Famille, Patrie (pour remplacer la trilogue républicaine, Liberté, Égalité, fraternité). « Maréchal, nous voilà… » chantent les enfants des écoles.

« Nous ne nous arrêterons que quand le drapeau français flottera aussi sur Metz et Strasbourg. »2776

Colonel LECLERC (1902-1947), Serment de Koufra, 2 mars 1941. Leclerc et le serment de Koufra (1965), Raymond Dronne

Philippe Marie de Hautecloque, dit Leclerc, sera élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume, en 1952. Deux fois prisonnier, deux fois évadé en mai-juin 1940 (pendant la guerre éclair), il a rejoint de Gaulle à Londres. Il obtient le ralliement du Cameroun à la France libre dès la fin août 1940, et il en devient le gouverneur.

Devenu commandant militaire de l’Afrique équatoriale française (AEF), parti de Fort-Lamy (Tchad) avec une pauvre colonne des Forces françaises libres, il franchit 1 600 km de désert et prend le fort de Koufra (Libye), tenu par une garnison italienne.

Libérateur de Paris avec sa fameuse 2e DB (division blindée) le 25 août 1944, il sera aussi le libérateur de Strasbourg, le 23 novembre : le serment de Koufra sera tenu.

4. Déclaration des droits de l’homme.

C’est un texte à vocation universaliste, idéalement symbolique de la Révolution française.

« La Déclaration des droits de l’homme apprit au monde entier que la Révolution française était faite pour lui. »1347

Jules SIMON (1814-1896), La Liberté (1859)

Par son exigence de rationalité et d’universalité, la Déclaration française dépasse les précédentes déclarations anglaise et américaine, même si elle s’inspire de la Déclaration d’Indépendance de 1776. Elle porte surtout la marque d’une bourgeoisie libérale nourrie de la philosophie des Lumières. Deux autres Déclarations suivront, en 1793 et 1795.

Au XXIe siècle, le monde a perdu beaucoup de ses repères et de ses utopies, les Français sont souvent critiques et critiqués, mais la France reste dans la mémoire collective comme « la patrie des droits de l’homme ». C’est un motif de fierté légitime.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »1344

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 1er

Le premier article énonce la liberté et l’égalité en termes généraux. Les définitions sont complétées par les articles 4 – « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » – et 6 – « La loi […] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. »

La Déclaration énonce d’abord les « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme : liberté, égalité devant la loi, propriété. Elle ajoute ceux de la nation : séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ; souveraineté nationale.

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. »1345

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 3

Formule lapidaire. La souveraineté sera par ailleurs qualifiée de « une, indivisible, inaliénable et imprescriptible » dans la Constitution de 1791 à laquelle la Déclaration sert de base.

« Cette maxime de la souveraineté du peuple avait pourtant si bien exalté les têtes que l’Assemblée […] s’abandonna tout entière au flux et reflux des motions, ainsi qu’à la fougue de ses orateurs, qui entassèrent à l’envi décrets sur décrets, ruines sur ruines, pour satisfaire le peuple. »1346

RIVAROL (1753-1801), Tableau historique et politique des travaux de l’Assemblée constituante, depuis l’ouverture des États généraux, jusqu’après la journée du 6 octobre 1789 (1797)

Il fallut un mois et demi de discussions avant le vote du texte final, mais il est remarquable ! Tout le long préambule et les 17 articles seraient à citer.

Selon Alphonse Aulard : « 1 200 députés, incapables d’aboutir à une expression concise et lumineuse quand ils travaillaient soit isolément, soit par petits groupes, trouvèrent les vraies formules, courtes et nobles, dans le tumulte d’une discussion publique […] À lire cette discussion […], on a l’impression que c’est la nation, devenue souveraine par des actes spontanés, qui dicte la Déclaration à ses représentants » (Histoire politique de la Révolution française : origines et développement de la démocratie et de la République, 1789-1804).

« L’Assemblée Générale proclame la présente Déclaration Universelle des Droits de l’Homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des États Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction. »

Déclaration universelle des Droits de l’Homme, fin du Préambule. Texte adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris, au palais de Chaillot

Au Comité de rédaction, la France était représentée par René Cassin (grand juriste et prix Nobel qui aura sa place au Panthéon pour le centenaire de sa naissance en 1987). Sur les 58 États membres de l’ONU (à l’époque), 48 ont adopté cette charte universelle. Aucun État ne s’est prononcé contre, mais huit se sont abstenus et deux n’ont pas pris part au vote.

Le Préambule est suivi de 30 articles. Article 1. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Pour commémorer son adoption, la Journée des droits de l’homme est célébrée chaque année le 10 décembre. Traduit dans plus de 500 langues différentes, ce document fondateur reste une source d’inspiration pour promouvoir l’exercice universel des droits de l’homme, justement présenté « comme l’idéal commun à attendre ».

5. Deux chants révolutionnaires au destin historique : Marseillaise et Carmagnole.

La Marseillaise s’impose en premier, toujours chantée telle qu’elle fut écrite à l’origine, guerrière et sanguinaire - seule l’orchestration change. Mais des parodies existent…

La Carmagnole est moins officielle, sa petite histoire donne quand même à voir et entendre les coulisses d’un chant dont le sens évolue au fil des événements.

« Allons, enfants de la patrie… »1410

ROUGET de l’ISLE (1760-1836), Chant de guerre pour l’armée du Rhin (1792)

Premier vers de ce qui deviendra l’hymne national français sous le nom de La Marseillaise, paroles et musique de Claude Joseph Rouget de l’Isle, chant composé dans la nuit du 25 avril 1792 à la requête du maire Dietrich à Strasbourg, joué pour la première fois le 29 avril par la musique de la garde nationale de cette ville.

« Aux armes, citoyens ! / Formez vos bataillons !
Marchez, marchez, / Qu’un sang impur / Abreuve nos sillons ! »1417

ROUGET de l’ISLE (1760-1836), Le Chant de guerre pour l’armée du Rhin, refrain (1792)

« Trouvé à Strasbourg […] il ne lui fallut pas deux mois pour pénétrer toute la France. Il alla frapper au fond du Midi, comme par un violent écho, et Marseille répondit au Rhin. Sublime destinée de ce chant ! » écrit Michelet, lyrique et romantique dans son Histoire de la Révolution française.

Mystérieusement arrivé à Marseille, le chant plaît au bataillon des Marseillais qui l’adopte comme hymne de ralliement et le chante le 29 juin 1792, en plantant dans la ville un arbre de la Liberté. Son histoire ne fait que commencer.

Notons l’expression « sang impur » : il ne s’agit pas comme on pourrait le croire du sang des ennemis de la France, mais du sang de ses défenseurs, le peuple des travailleurs, ouvriers et paysans opposé aux nobles réputés avoir le « sang bleu ».

« Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs.
Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs. »1420

ROUGET de l’ISLE (1760-1836), Chant de guerre pour l’armée du Rhin (1792), devenu La Marseillaise (dernier couplet)

Les fédérés marseillais, appelés à la suite de la déclaration de guerre (20 avril 1792), ont traversé la France et défilent dans la capitale, avec ce Chant de guerre le 30 juillet 1792 (le 10 août selon d’autres sources).

La Chronique de Paris note que les Marseillais « chantent avec beaucoup d’ensemble et le moment où ils agitent leurs chapeaux et leurs sabres en criant tous à la fois « Aux armes, citoyens ! » fait vraiment frissonner. Ils ont fait entendre cet hymne guerrier dans tous les villages qu’ils traversaient et ces nouveaux bardes ont inspiré ainsi dans les campagnes des sentiments civiques et belliqueux ; souvent ils le chantent au Palais-Royal, quelquefois dans les spectacles entre les deux pièces. »

Connu de tout Paris en quelques jours, rebaptisé Marseillaise par les Parisiens, diffusé à 100 000 exemplaires par la Convention fin septembre, ce chant entre dans l’histoire de France. Promu hymne national une première fois en 1795, abandonné en 1804 sous l’Empire au profit du Chant du départ préféré par Napoléon, il redeviendra définitivement hymne national en 1880, sous la Troisième République.

« Contre nous de la tyrannie
L’étendard sanglant est levé ! »1575

ROUGET de l’ISLE (1760-1836), Chant de guerre pour l’armée du Rhin (1792), devenu La Marseillaise

Le chant le plus populaire de l’époque révolutionnaire, repris par toutes les armées de la République, semble faire écho aux mots de Robespierre. Notons le sang, présent sur l’étendard, donnant sa noblesse au drapeau.

Le plus étonnant, c’est que ces mots résonnent toujours, inchangés : un monument national littéralement intouchable, sauf exceptions. Le président Giscard d’Estaing s’est risqué dans une Marseillaise au rythme plus lent et solennel que la marche initiale (reprise par son successeur Mitterrand), mais Serge Gainsbourg a fait scandale en 1980 avec sa réécriture anti-paras sur un rythme reggae : « Aux armes et caetera ».

La Marseillaise fut aussi récupérée pour d’autres causes, à commencer le féminisme sous le Deuxième République.

« Tremblez tyrans portant culotte ! / Femmes, notre jour est venu ;
Point de pitié, mettons en vote / Tous les torts du sexe barbu !
Notre patience est à bout, / Debout, Vénusiennes, debout […]
Refrain : Liberté sur nos fronts verse tes chauds rayons,
Tremblez, tremblez, maris jaloux, / Respect aux cotillons ! »2162

Louise de CHAUMONT (XIXe siècle), La Marseillaise des femmes (ou Marseillaise des cotillons), chanson de 1848. L’Illustration, volume XI (1848), J. Dubouchet

Les « Vénusiennes » chantent et défilent, féministes aux jupes retroussées, corsage en bataille, jeunes ouvrières vivant parfois en communauté à la mode saint-simonienne. La Marseillaise, parmi tous les chants de notre histoire, est le plus constamment repris, parodié, récupéré, exploité en d’innombrables versions. C’est la rançon du succès, voire de la gloire.

« Va, passe ton chemin, ma mamelle est française,
N’entre pas sous mon toit, emporte ton enfant,
Mes garçons chanteront plus tard La Marseillaise,
Je ne vends pas mon lait au fils d’un Allemand. »2413

Gaston VILLEMER (1840-1892), paroles, et Lucien DELORMEL (1847-1899), musique, Le Fils de l’Allemand, chanson. Les Chansons d’Alsace-Lorraine (1885), Gaston Villemer et Lucien Delormel

« Vrais frères siamois de la littérature des beuglants », ce couple d’auteur-compositeur exploite systématiquement la veine patriotique et revancharde au début de la Troisième République – après la mort de son confrère, Delormel fera équipe avec Garnier, dans un autre style : le music-hall et la vedette Paulus.

Les refrains patriotico-sentimentaux se multiplient après la guerre de 1870 et l’amputation du territoire. Toute une littérature et une imagerie populaires se développent naturellement, sur ce thème douloureux.

« Gais et contents / Nous marchions triomphants
En allant à Longchamp / Le cœur à l’aise,
Sans hésiter, / Car nous allions fêter,
Voir et complimenter / L’armée française. »2482

Lucien DELORMEL (1847-1899) et Léon GARNIER (1857-1905), paroles, et Louis-César DÉSORMES (1840-1898), musique, En r’venant d’la r’vue (1886), chanson. Cent ans de chanson française, 1880-1980 (1996), Chantal Brunschwig, Louis-Jean Calvet, Jean-Claude Klein

Le nouveau couple d’auteur-compositeur à la mode écrit pour Paulus cette chanson créée le 14 juillet 1886 à l’Alcazar, grand music-hall parisien. « Marseillaise des mitrons et des calicots » dit Anatole France, mais surtout « hymne boulangiste » et immense succès cocardier pour le « brave général » acclamé à Longchamp, barbe blonde et fière allure, rendant encore plus terne et vieillot le cortège du président de la République octogénaire Jules Grévy, usé politiquement et bientôt démissionnaire.

Paul Déroulède, propagandiste numéro un de Boulanger, lui invente le surnom de « général Revanche » et affirme qu’il est « le seul ministre qui fasse peur à l’Allemagne ». La droite va exploiter Boulanger qui se prétend pourtant général d’« extrême gauche » ! Le boulangisme est une forme de populisme, réunion de tous les contraires et lieu de bien des paradoxes, avant de s’effondrer dans le ridicule d’un suicide vaudevillesque, sur la tombe de sa maîtresse : « Il est mort comme il a vécu, en sous-lieutenant » dira Clemenceau. Petite histoire dans l’Histoire.

« Dans le péril de la patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des Français. »2925

René COTY (1882-1962), Message du président au Parlement, 29 mai 1958. Histoire mondiale de l’après-guerre, volume II (1974), Raymond Cartier

Fin de la Quatrième République. En plein drame algérien et face à la menace de guerre civile, le président fait savoir aux parlementaires qu’il a demandé au général de Gaulle de former un gouvernement. Chahuts et chants de la part des députés qui entonnent La Marseillaise – procédé contraire à tous les usages et même à la lettre de la Constitution ! Encore et toujours la force du symbole.

La Carmagnole née sous la Révolution comme la Marseillaise a une histoire plus courte et plus folklorique que véritablement nationale.

« Madam’ Veto avait promis / De faire égorger tout Paris.
Mais son coup a manqué / Grâce à nos canonniers.
Refrain : Dansons la carmagnole / Vive le son vive le son
Dansons la carmagnole / Vive le son du canon ! »1425

La Carmagnole (fin août 1792), chanson. Chansons populaires de France (1865), Librairie du Petit Journal éd

De parolier inconnu, cette première Carmagnole est chantée sous les fenêtres du Temple où la famille royale est prisonnière. Monsieur Veto (ex-Louis XVI) est aussi violemment apostrophé que Madame Veto (sa femme Marie-Antoinette). Immédiatement populaire, adoptée par tous les patriotes et devenue l’hymne des sans-culottes, la Carmagnole aura de nombreuses parodies, comme la plupart des chants très populaires.

« Que demande un Républicain ? / La liberté du genre humain,
Le pic dans les cachots, / La torche dans les châteaux
Et la paix aux chaumières ! »1430

La Carmagnole (automne 1792), chanson anonyme. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Cette nouvelle version de la Carmagnole résume la situation. Le « pic dans les cachots » va entraîner un massacre révolutionnaire plus spectaculaire que les précédents. Ministre de la Justice et responsable des prisons, Danton qui pouvait tout ne va rien faire pour empêcher les « massacres de septembre » dans les prisons : du 2 au 6 septembre 1792, quelque 1 500 morts (sur 3 000 prisonniers). Des « droits commun » sont égorgés en même temps que les « politiques », nobles et prêtres.

« Fouquier-Tinville avait promis / De guillotiner tout Paris,
Mais il en a menti, / Car il est raccourci […]
Vive la guillotine / Pour ces bourreaux / Vils fléaux. »1617

La Carmagnole de Fouquier-Tinville, mai 1795, chanson. Chansons nationales et républicaines de 1789 à 1848 (1848), Théophile Marion Dumersan

La chanson révolutionnaire se fait gaiement cruelle : le plus célèbre accusateur public est exécuté le 6 mai 1795, après 41 jours de procès devant le Tribunal révolutionnaire (réformé). À travers Fouquier-Tinville et 23 coaccusés, on juge aussi cette justice d’exception en vigueur sous la Terreur.

« Il y a les magistrats vendus, / Il y a les financiers ventrus,
Il y a les argousins, / Mais pour tous ces coquins,
Il y a d’la dynamite, / Vive le son, vive le son,
Il y a d’la dynamite ! / Dansons la ravachole !
Vive le son d’l’explosion. »2504

Sébastien FAURE (1858-1942), La Ravachole, version anarchiste de La Carmagnole (1892), chanson. Ravachol et les anarchistes (1992), Jean Maitron

L’auteur de la Ravachole a un long parcours militant : ex-séminariste, ex-marxiste, anarchiste à la fin des années 1880, libertaire avec Louise Michel sous la Commune, dreyfusard au moment de l’Affaire, avant de s’afficher pacifiste et antimilitariste au siècle suivant.

L’anarchie va occuper la vie publique un quart de siècle : avec ses chansons, sa presse, ses héros et ses criminels, ses attentats, ses victimes – jusqu’au président de la République, Sadi Carnot assassiné le 24 juin 1894 à l’Exposition universelle de Lyon.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

6. Marianne : symbole allégorique de la République française.

« Et l’élixir de Dumouriez,
Frotté à la plante des pieds,
Lui a bien dégagé le poumon :
Marianne se trouve mieux (bis). ».

Guillaume LAVABRE (1755-1845), La Guérison de Marianne (La Garisou de Marianno) (1792)

Cordonnier de Puylaurens (dans le Tarn) et poète à ses heures, il écrit en occitan la première chanson où figure le nom de Marianne (prénom courant dans la région) associé à la toute jeune République en termes imagés, mais conformes à la réalité. Rappelons le contexte véritablement historique.

Sous les ordres du général Dumouriez, le maréchal de France Kellermann rallié à la Révolution remporte la victoire de Valmy, le 20 septembre 1792. L’armée prussienne commandée par le duc de Brunswick qui marchait sur Paris fait retraite à l’est, au niveau de ce petit village de Champagne-Ardenne : l’invasion de la France est stoppée (miraculeusement, vu les forces respectives !) Les troupes françaises crient pour la première fois « Vive la Nation » et le lendemain la République est décrétée par le premier décret de la nouvelle Convention, le 21 septembre. En vertu de quoi « Marianne se trouve mieux ».

« Elle est née dans le Paris 1790
Comme une rose épanouie
Au jardin des fleurs de lys.
Marianne a cinq enfants  
Qu’elle élève de son mieux
Marianne a maintenant
Quelques rides au coin des yeux.
Dieu ! Mais que Marianne était jolie
Quand elle marchait dans les rues de Paris
En chantant à pleine voix  
Ça ira, ça ira… toute la vie. »

Michel DELPECH (née en 1946) Que Marianne était jolie ! (1972), musique de Pierre Papadiamandis

En termes allégoriques, la chanson évoque l’histoire de la France, de la Révolution dans le Paris de 1790 jusqu’à Mai 68.

Les « cinq enfants » de Marianne, dont « quatre fils qu’elle a perdus », fait allusion à la Cinquième République et aux quatre autres républiques « défuntes ».

L’origine du prénom est incertaine. Seule certitude, « Marianne » est la contraction de Marie (la Vierge, mère de Jésus) et Anne (sa propre mère), les deux prénoms les plus répandus au XVIIIe siècle dans les milieux populaires à la  campagne et parmi les domestiques des noble. Ils sont logiquement choisis et associés pour représenter la très jeune République née le 21 septembre 1792 (abolition de la monarchie votée à l’unanimité des députés au premier jour de la Convention).

À partir de juin 1848 (Deuxième République), le prénom « Marianne » désigne de façon clandestine la République. Mais au cours du XIXe siècle, Marianne, surnom donné aux jeunes femmes de mœurs légères, est également employé de manière péjorative par les très nombreux adversaires de la République : curieux consensus entre les révolutionnaires républicains et leurs adversaires aristocrates pour qui Marianne est un prénom méprisable.

Quant au bonnet rouge de Marianne, il rappelle le bonnet phrygien des esclaves affranchis sous la Rome antique et symbolise la Liberté, première valeur de la trilogie républicaine. Marianne incarne symboliquement la France libérée de l›« esclavage » de la monarchie absolue et les sans-culottes de la Révolution portaient volontiers ce bonnet rouge.

Le buste féminin a évolué au cours des siècles. À l’origine, c’est une femme sculptée à l’antique aux traits réguliers et sévères, poitrine cachée par un voile moulant retenu par une agrafe. Le sein se dévoile ensuite, l’attitude devient provocante, « révolutionnaire ». Voir La Liberté guidant le peuple, célèbre tableau d’Eugène Delacroix, allégorie de la révolution parisienne des Trois Glorieuses journées de juillet 1830. Au XXe siècle, les traits du visage sont adoucis et personnalisés. Une Marianne aura le buste de Brigitte Bardot, avant  Catherine Deneuve. En 1999, la mairie de Frémainville (Val d’Oise) inaugure une Marianne noire. Ainsi va l’Histoire et l’incarnation républicaine de notre Marianne.

« À bas la Marianne, la fille à Bismarck,
La France est à nous, la France de Jeanne d’Arc. »2646

Me MAGNIER (fin XIXe-début XXe siècle), Quand on pendra la gueuse au réverbère, chanson

Dans cette chanson écrite sans doute en 1909, signée d’un avocat à la cour d’appel de Paris et très en vogue chez les Camelots du roi (extrême droite) dans l’entre-deux-guerres, la République est traitée de « gueuse », femme de mauvaise vie. Il est aussi question de régler leur compte aux « youpins » (juifs), aux « métèques » (étrangers) et aux francs-maçons, à Briand, Painlevé, Doumergue et autres politiciens honnis par l’Action française. Dans le même esprit, Charles Maurras prône le « nationalisme intégral » dont la violence répond d’ailleurs à celle des militants de gauche.

« Il n’y a pas si longtemps
Que l’on se battait pour elle
Et j’ai connu des printemps
Qui brillaient sous son soleil.
Marianne à cinq enfants,
Quatre fils qu’elle a perdus
Le cinquième à présent
Qu’elle ne reconnaît plus.
Dieu ! Mais que Marianne était jolie
Quand elle marchait dans les rues de Paris
En chantant à pleine voix
Ça ira, ça ira… toute la vie. »

Michel DELPECH (né en 1946), Que Marianne était jolie ! (1972), musique de Pierre Papadiamandis

La suite de la chanson fait naturellement allusion à l’autre révolution, la plus récente et la plus plaisante – celle de la jeunesse et de la société, en Mai 68.

« Marianne est une rebelle, elle ne laissera pas tomber Gavroche. »

Noël MAMÈRE (né en 1948), Ma république (1999)

Journaliste et homme politique français, partisan d’une écologie politique, membre des Verts puis d’Europe Écologie Les Verts (EÉLV) jusqu’en 2013, maire de Bègles de 1989 à 2017 et député de 1997 à 2017, candidat à l’élection présidentielle de 2002, il obtint 5,25 % des suffrages, soit le meilleur score réalisé par les écologistes à ce jour.

Quant à Gavroche, faut-il rappeler que ce gamin de Paris naît (et meurt sur une barricade révolutionnaire le 6 juin 1832) dans Les Misérables de Victor Hugo, roman historique, social et philosophique, publié en 1862, maintes fois adapté à l’écran et sur scène.

7. Deux monuments nationaux parisiens à valeur symbolique : la Bastille et le Panthéon.

La Bastille, symbole de la monarchie qui en fit une prison redoutée, est aussi un symbole de la Révolution par sa destruction !

Le Panthéon, monumentale église parisienne édifiée à la fin de l’Ancien Régime, change de vocation sous la Révolution et rappelle aujourd’hui la mémoire de nos grands morts.

« Nous sommes le premier de tous les Français qui écrivîmes contre la Révolution avant la prise de la Bastille. »1328

RIVAROL (1753-1801), Pensées inédites de Rivarol (posthume, 1836)

Monarchiste et rare humoriste de l’époque, il aurait pu écrire : « Oui à la Constitution, non à la chienlit. »

La première pièce qui met en scène la prise de la Bastille est un vaudeville en un acte et en prose de Pellet-Desbarreaux, Le Champ de Mars ou la Régénération de la France, joué dans la région de Toulouse en août 1789. Certaines sources situent même la création en mars : ce serait de la politique-fiction !

« La Révolution m’aurait entraîné, si elle n’eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d’une pique et je reculai. »1329

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

La tête « au bout d’une pique » est un classique de l’horreur révolutionnaire. La « première tête » peut être celle du gouverneur de la Bastille, de Launay massacré par le peuple le 14 juillet, lors de la prise du fort.

Chateaubriand, 21 ans, réformé de l’armée, hésitant sur sa vocation, s’est essayé à la vie politique au début de l’année en participant aux États de Bretagne (assemblée provinciale). Présent à Paris aux premières heures de la Révolution, il est choqué par cette violence « cannibale ». Représentatif de sa classe, il écrit aussi : « Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d’admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste. »

« Le bourgeois et le marchand
Marchent à la Bastille / Et ran plan plan […]
Sortez de vos cachots funèbres / Victimes d’un joug détesté
Voyez à travers les ténèbres / Les rayons de la Liberté ! »1330

La Prise de la Bastille (1790), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

C’est une « chanson vaudeville », genre très en vogue à la fin du XVIIIe. L’événement se joue en deux actes : « Départ pour le siège » suivi de « Délivrance des captifs ». Le style est typique de l’époque. Les « victimes d’un joug détesté », ce sont les prisonniers libérés.

L’inventaire est dérisoire, dans la réalité des faits. Le 14 juillet 1789, ils sont sept prisonniers : quatre escrocs ayant falsifié une lettre de change, deux malades mentaux et un jeune gentilhomme prodigue, le comte de Solanges embastillé pour inceste. À quelques jours près, on trouvait le marquis de Sade – transféré à Charenton.

« Génie de la Bastille qui culmine sur cette place, nous voici de retour, le peuple des révolutions et des rébellions en France. Nous sommes le drapeau rouge ! »3474

Jean-Luc MÉLENCHON (né en 1951), Discours du 18 mars 2012 à Paris

Précision historique : sur la place de la Bastille, grand carrefour parisien symbolisé par son Opéra moderne, la « Colonne de Juillet » surmontée du « Génie de la Liberté » est un monument dédié à la mémoire des Parisiens morts lors de la Révolution de 1830 (les Trois Glorieuses) et inauguré en 1840 sous la Monarchie de Juillet. Avec ses 52 mètres, c’est le plus haute pierre tombale de la capitale. Peu fréquentée, elle cache quelques secrets – des restes de momies égyptiennes mêlés aux martyrs révolutionnaires dont les noms sont gravés autour de la colonne.

18 mars 2012, le tribun fait place comble ce dimanche et défie le temps à la pluie. Plus de 120 000 personnes ont défilé entre Nation et Bastille, dans la symbolique rue du Faubourg-Saint-Antoine, avant d’écouter le candidat du Front de gauche.

Porté par la vague rouge des drapeaux et l’enthousiasme de la foule, il dynamise une campagne sans thème majeur, plombée par le non-dit sur la crise et la perte de confiance dans le pouvoir du politique. Il appelle à prendre le pouvoir et donc à reprendre (symboliquement) la Bastille. Ce jour doit marquer le début de « l’insurrection civique » et populariser sa « VIe République sociale, laïque et écologique » avec le slogan : « Le vote Mélenchon, c’est le vote utile. » Autrement dit, il s’imagine en « dernier président de la Ve » et Marie-George Buffet fait chorus, au nom du PCF moribond.

Mélenchon va renouveler son exploit à Toulouse et à Marseille le 14 avril, rassemblant 100 000 fans sur la plage du Prado, avec des accents lyriques à la Hugo. Il redonne ce goût de la fête, ce bonheur d’être ensemble, unis par la même cause. Le dimanche précédant le premier tour des présidentielles, Sarkozy place de la Concorde et Hollande face au Château de Vincennes rassembleront chacun de son côté un nombre de manifestants non chiffré, mais inférieur.

Le Panthéon, destiné aux grands hommes et à quelques femmes ayant mérité de la patrie a vécu une histoire compliquée – nous lui avons consacré un long édito.

La première série de panthéonisations révolutionnaires se fait dans un mélange de pagaille, panique, paranoïa et patriotisme poussés au paroxysme. Sur six « nominés » pour bons et loyaux services à la nation, il restera deux élus… associés à l’Ancien Régime : Voltaire et Rousseau. Mirabeau et Marat, héros sitôt portés au Panthéon, en seront jugés indignes et bientôt sortis… Les deux autres noms (Saint-Fargeau et Dampierre) ne restent pas dans l’Histoire.

« Mon ami, j’emporte avec moi les derniers lambeaux de la monarchie. »1384

MIRABEAU (1749-1791), à Talleyrand, fin mars 1791. Son « mot de la fin politique ». Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives (1832), Pierre Étienne Louis Dumont

Talleyrand est venu voir le malade, juste avant sa mort (2 avril 1791). Certains députés, connaissant son double jeu et son double langage entre le roi et l’Assemblée, l’accusent de trahison – le fait sera prouvé en novembre 1792, quand l’armoire de fer où le roi cache ses papiers compromettants révélera ses secrets.

Mirabeau, l’Orateur du peuple, la Torche de la Provence, fut le premier personnage marquant de la Révolution. Le peuple prend le deuil de son grand homme qui a droit aux funérailles nationales, et au Panthéon.

« Votre Comité vous propose d’exclure Mirabeau du Panthéon français, afin d’inspirer une terreur salutaire aux ambitieux et aux hommes vils dont la conscience est à prix. »

Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la Tribune nationale de 1789 jusqu’à nos jours. Volume 13 (1820)

Rivarol avait déjà rectifié l’image dans son Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution, publié en 1790. « Mirabeau (le comte de). – Ce grand homme a senti de bonne heure que la moindre vertu pouvait l’arrêter sur le chemin de la gloire, et jusqu’à ce jour, il ne s’en est permis aucune. » Dans le même esprit, rappelons cet autre mot : « Mirabeau est capable de tout pour de l’argent, même d’une bonne action »

« Ici repose Marat, l’Ami du Peuple, assassiné par les ennemis du peuple, le 13 juillet 1793. »1520

Épitaphe sur la tombe de Marat. Marat, l’ami du peuple (1865), Alfred Bougeart

Double rappel : son journal s’intitulait L’Ami du peuple et l’homme haï (et redouté) de ses confrères était idolâtré des sans-culottes. Sa gloire posthume fut éclatante, mais brève.

Le 25 juillet 1793, la rue des Cordeliers où Marat fut assassiné à son domicile est baptisée rue Marat, en même temps que l’on renomme la rue de l’Observance : place de l’Ami du Peuple. De nombreuses manifestations ont lieu en son honneur, 58 localités changèrent leur nom en celui de Marat et le 21 septembre 1794, son corps fut transféré au Panthéon.  Bref séjour et gloire éphémère. Après la Terreur, Marat n’était plus un modèle républicain.

Le Moniteur du 16 pluviôse an III (4 février 1795) relate comment, deux jours plus tôt, « des enfants ont promené » un buste de Marat « en l’accablant de reproches [et] l’ont ensuite jeté dans l’égout, en lui criant : ‘Marat, voilà ton Panthéon !’ » Le monument élevé à sa mémoire sur la place du Carrousel est détruit. Le 8 février 1795, un décret le dépanthéonise en précisant que l’image d’aucun citoyen ne figurera plus dans l’Assemblée ou en un lieu public quelconque que dix ans après sa mort – prudence pour éviter toute précipitation !

« Il combattit les athées et les fanatiques
Il inspira la tolérance
Il réclama des droits de l’homme contre la servitude et de la féodalité. »

Épitaphe entourée de deux anges sur le tombeau en pierre de Voltaire

En vertu de quoi l’homme du Siècle des Lumières mérite assurément sa place au Panthéon. : « Les mortels sont égaux, ce n’est pas la naissance / C’est la seule vertu qui fait la différence. » Ces deux vers (Mahomet ? ) seront « la citation reine de la Révolution » (Mona Ozouf).

La (première vraie) panthéonisation ne tarde pas. Le 30 mai 1790, douze ans après la mort de Voltaire et non sans débats, l’Assemblée nationale décrète que « ses cendres seront transférées de l’église de Romilly à celle de Sainte-Geneviève à Paris », autrement dit le Panthéon. Les révolutionnaires veulent donner le plus grand lustre à la cérémonie. David, le peintre officiel, est chargé de la mise en scène, le poète Marie-Joseph Chénier (auteur du Chant du départ et frère d’André bientôt guillotiné) écrit un hymne et le compositeur officiel François-Joseph Gossec mettra tout cela en musique. Le transfert est programmé pour le 11 juillet 1791 : grandiose mise en scène, le cortège traversant Paris et s’arrêtant à tous les lieux de la capitale où il vécut, les théâtres où il fut joué… Voltaire aurait été sensible à cet hommage populaire.

« Personne ne nous a donné une plus juste idée du peuple que Rousseau, parce que personne ne l’a plus aimé. »1033

ROBESPIERRE (1758-1794), Discours aux Jacobins (1792). Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Le personnage se situe aux antipodes du courtisan Voltaire. Laquais, vagabond, aventurier, précepteur, secrétaire, se déconsidérant par une liaison avec la servante d’auberge Thérèse Levasseur, il refuse pensions et sinécures, se fait copiste de musique pour vivre et seul de tous les écrivains militants de son siècle signe tous ses écrits, ce qui lui vaudra encore plus d’ennuis qu’aux autres. Luttant souvent contre la misère plus que pour la gloire, Rousseau éprouvera toujours une rancœur de roturier contre l’inégalité sociale.

Rousseau est le philosophe de chevet de Robespierre qui emprunte au Contrat social ce qui sera, selon Jean Jaurès, sa seule idée, celle de la nation souveraine. Voilà pourquoi la Convention vote l’entrée de Rousseau au Panthéon le 14 avril 1794. L’hommage solennel de la nation française a lieu le 11 octobre. Ses cendres sont transférées d’Ermenonville au Panthéon où il repose en face de Voltaire, mort deux mois avant lui. Ironie du sort : les frères ennemis vont se retrouver unis au nom de la Patrie reconnaissante ! Napoléon, le prochain maître de la France aura la bonne idée de ne PAS dépanthéoniser ces deux grands hommes présumés révolutionnaires.

« Ma demeure sera bientôt dans le néant ; quant à mon nom, vous le trouverez dans le panthéon de l’Histoire. »1582

DANTON (1759-1794), réponse au Tribunal révolutionnaire, 2 avril 1794

Le Tribunal procède à l’interrogatoire habituel, lui demandant son nom et ses qualités. Danton a toujours le sens de l’improvisation – quoique cette réplique ait pu être préparée. Mais Danton n’ira pas au Panthéon de la (Première) République. Son heure de gloire et de pouvoir est passée, il sera guillotiné avec tous les « Dantonistes » devenus trop indulgents aux yeux du nouveau maître de la Révolution, Robespierre – victime à son tour du coup d’État de Thermidor (27 juillet 1794).

« Lannes, le plus brave de tous les hommes, était assurément un des hommes au monde sur lesquels je pouvais le plus compter… L’esprit de Lannes avait grandi au niveau de son courage, il était devenu un géant. »

NAPOLEON (1769-1821) à Las Cases, Sainte-Hélène

Mort à la bataille d’Essling en 1809, voici le premier d’une longue liste de panthéonisés par Napoléon. Fils d’un garçon d’écurie, la Révolution lui ouvre la porte d’un destin exceptionnel : à 23 ans, répondant au premier appel de « la patrie en danger » (1793), il s’engage dans un bataillon de volontaires. Il fait ses classes dans l’armée de Bonaparte lors de la (première) campagne d’Italie. À Arcole, il se jette sur les lignes ennemies pour encourager ses hommes à aller de l’avant. Blessé par deux balles, il refuse d’arrêter de se battre. Il ne cessera de donner toutes les preuves de l’héroïsme. Malgré ces exploits à la fois collectifs et personnels, les combats incessants feront naître chez ce grand soldat un dégoût de la guerre qu’il ose exprimer. Ce sentiment s’accentue en 1808, quand il est missionné dans la sanglante guerre d’Espagne.

Au total, 43 transferts en moins de dix ans, véritable inflation patriotique voulue par l’empereur dans une hâte qui n’aura jamais d’équivalent ! Napoléon distingue plus de noms que tous les régimes à venir en plus de deux siècles ! Est-ce une volonté de marquer l’Histoire en démontrant l’importance de son règne mesurable par le nombre de ses grands hommes ? Toujours définitive, la panthéonisation est aussi un « hochet post mortem » comparable à la Légion d’honneur.

Le choix impérial obéit à des critères simples : militaires de carrière (généraux de la Révolution et de l’Empire n’ayant pas trouvé place aux Invalides), juristes d’expérience (déjà reconnus sous l’Ancien Régime, car le métier ne s’improvise pas), hommes politiques ralliés au régime après le coup d’État du 18 brumaire (1799) et tous les sénateurs. Restent quelques cas particuliers : un étranger (Italien), un artiste peintre (seul secteur culturel dont l’Empire peut s’enorgueillir), un cardinal (pour plaire au pape ?) et quelques scientifiques (encouragés par le mécénat d’État).

« Laissez ! Il [Voltaire] sera bien assez puni d’entendre la messe chaque matin. »

L’Esprit de tout le monde - Riposteurs (1893), Lorédan Larchey

La Restauration rendit le Panthéon au culte et il fut question d’expulser les restes de Voltaire, incroyant notoire (quoique déiste). Louis XVIII s’y opposa, avec son humour bien connu. Autre heureuse initiative à la fin du règne de Charles X, les « panthéonisations de rattrapage » qui feront florès sous les Républiques à venir ! Soufflot, l’architecte des lieux, se retrouve alors comme chez lui dans la monumentale église qu’il projeta à la fin de l’Ancien Régime.

« Le principal objet de M. Soufflot, en bâtissant son église, a été de réunir sous une des plus belles formes la légèreté de la construction des édifices gothiques avec la pureté et la magnificence de l’architecture grecque. »

Maximilien BRÉBION (1716-1897), Mémoire à Monsieur le comte de la Billarderie Angiviller, 1780, publié par Michael Petzel

Ainsi parle son plus proche collaborateur qui reprit à sa mort le chantier avec Jean-Baptiste Rondelet. La vie de Jacques-Germain Soufflot (1713-1780) se résume en deux voyages en Italie et deux villes, Lyon, Paris. Soutenu en haut lieu (politique et franc maçonnerie), mais naturellement très envié et critiqué, humainement fragile, romantique avant l’heure, il s’est peut-être suicidé à 67 ans. On pense aussi à un épuisement physique et nerveux dû à l’ampleur des tâches et des responsabilités de ce grand architecte.

« Paris va terrifier le monde. On va voir comment Paris sait mourir. Le Panthéon se demande comment il fera pour recevoir sous sa voûte tout ce peuple qui va avoir droit à son dôme. »2336

Victor HUGO (1802-1885), le 5 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876), Victor Hugo

Après dix-neuf ans d’exil sous le Second Empire, Hugo rentre sitôt proclamée la République. Il a pris le train de nuit de Bruxelles pour passer inaperçu. Peine perdue. La foule l’attend. La renommée du poète proscrit a encore grandi. Il doit parler. C’est un orateur né pour le peuple, la tribune, les temps héroïques, la résistance. Entre la gare du Nord et son domicile, la foule l’oblige à prononcer quatre discours. Auteur immensément populaire, c’est aussi la conscience et la grande voix de la France. Il aura naturellement droit au Panthéon, après des obsèques nationales. C’est même en son honneur que l’église Sainte-Geneviève, au cœur du 5e arrondissement, retrouve enfin sa vocation républicaine.

Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante.2480

Inscription au fronton du Panthéon

Victor Hugo meurt le 22 mai 1885. Paris lui fait des funérailles nationales, avec un cortège qui va de l’Arc de Triomphe au Panthéon. Ce vaste sanctuaire, à l’origine église Sainte-Geneviève édifiée par Soufflot, transformé en Panthéon destiné à recevoir les cendres des grands hommes sous la Révolution, fut rendu au culte sous l’Empire dans sa partie supérieure, la crypte accueillant toujours les grands serviteurs de l’État. Avec la Restauration, l’église reçoit une nouvelle inscription en latin, hommage à sainte Geneviève, Louis XVI et Louis XVIII réunis. Sous la Monarchie de Juillet, le Panthéon redevient Panthéon et l’inscription reparaît, pour disparaître à la fin de la Deuxième République quand le bâtiment redevient église ! Le Panthéon devient définitivement Panthéon le 28 mai 1885, pour recevoir les cendres du Poète. 

Après Hugo vient une longue liste de noms toujours à suivre. Citons les plus notables, par ordre d’entrée au Panthéon.

« Envions-le [Zola], sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand : il fut un moment de la conscience humaine. »2536

Anatole FRANCE (1844-1924), Éloge funèbre d’Émile Zola, 5 octobre 1902. Réhabilitation d’Alfred Dreyfus par la Chambre des députés [en ligne], Assemblée nationale

Discours prononcé au cimetière de Montmartre, lors de l’enterrement de Zola. Anatole France fait naturellement allusion au combat mené par son confrère pour que la vérité éclate dans l’affaire Dreyfus. Lui-même fit partie de ces intellectuels engagés dans le camp des « révisionnistes ».  Zola sera panthéonisé en 1908. N’oublions pas qu’il fut aussi le romancier le plus populaire de son époque, après Hugo.

« Pauvre roi supplicié des ombres, regarde ton peuple d’ombres se lever dans la nuit de juin constellée de tortures. »2797

André MALRAUX (1901-1976), Discours au Panthéon, lors du transfert des cendres de Jean Moulin, 19 décembre 1964. André Malraux et la politique : L’être et l’Histoire (1996), Dominique Villemot

Le corps de Jean Moulin fut renvoyé à Paris en juillet 1943 et incinéré au Père-Lachaise. Ses cendres (supposées telles) ont été transférées au Panthéon. Reconnaissance suprême de la patrie à ses héros, cette « panthéonisation » est l’acte final des célébrations du 20e anniversaire de la Libération. Jean Moulin, coordinateur des réseaux de Résistance en métropole, en fut à la fois le chef, le martyr et le symbole.

« Un jour j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris. »

Joséphine BAKER (1906-1975). Alliages culturels : la société française en transformation (2014), Heather Willis Allen, Sébastien Dubreil

30 novembre 2021. Dernière panthéonisation très médiatique et parfaitement méritée. Elle « coche toutes les cases » : c’est une femme (encore très minoritaires), artiste populaire dans le Paris des « Années folles » devenue star mondiale, femme libre au sens le plus fort du mot, descendante d’esclave noire, bisexuelle assumée, résistante triplement décorée et  naturalisée française, protectrice des animaux, mère de douze enfants adoptés et chacun d’ethnie différente (sa « tribu arc-en-ciel ») … Sa vie est un feuilleton dont l’héroïne est douée de tous les talents, avec un sacré caractère et une énergie hors norme dont elle abusa jusqu’à la limite de ses forces.

Vous avez aimé ces citations commentées ?

Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

Partager cet article

L'Histoire en citations - Gaule et Moyen Âge

L'Histoire en citations - Renaissance et guerres de Religion, Naissance de la monarchie absolue

L'Histoire en citations - Siècle de Louis XIV

L'Histoire en citations - Siècle des Lumières

L'Histoire en citations - Révolution

L'Histoire en citations - Directoire, Consulat et Empire

L'Histoire en citations - Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

L'Histoire en citations - Second Empire et Troisième République

L'Histoire en citations - Seconde Guerre mondiale et Quatrième République

L'Histoire en citations - Cinquième République

L'Histoire en citations - Dictionnaire