Chronique de la colonisation française en 25 repères (3. La décolonisation) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Pour comprendre ce thème conflictuel toujours à la une de l’actu, référons-nous à l’Histoire.

Nous vous conseillons d’abord de lire nos éditos sur :

Troisième partie : la décolonisation.

 18. Quatrième République : la « question coloniale » trouve réponses dans diverses décolonisations plus ou moins problématiques (Maroc, Tunisie, Indochine), à côté des « événements d’Algérie ».

« Les colonies sont faites pour être perdues. »

Henry de MONTHERLANT, Le Maitre de Santiago (1947)

Cette évidence historique et théâtrale va s’imposer dans les décennies à venir – et pas seulement en France !

Dans son Journal (tome V, 1951), Julien Green salue « une œuvre d’une telle beauté, beauté irritante peut-être, exaspérante même, parce que l’auteur avec tout son génie, touche à des choses très graves avec une sorte d’insolence qui fait peur. »

« La France est le seul grand pays à recevoir de plein fouet tous les chocs majeurs de l’après-guerre : ruines, crise monétaire, séquelles de guerre civile, difficultés sociales et surtout guerre froide et décolonisation. »2837

Jean-Pierre RIOUX (né en 1939), La France de la Quatrième République (1980-1983)

Historien de ce passé proche, il en dresse un tableau politique, économique et social : la Quatrième – la plus mal aimée de toutes les Républiques – fit face, et pas toujours mal, à tous ces problèmes, mourant finalement de son impossibilité à régler la décolonisation.

« L’adversaire a voulu, avant que ne s’ouvre la conférence de Genève sur l’Indochine, obtenir la chute de Diên Biên Phu. Il a cru pouvoir porter un coup décisif au moral de la France. »2889

Joseph LANIEL (1889-1975), président du Conseil, Assemblée nationale, 7 mai 1954. Jours de gloire et jours cruels, 1908-1958 (1971), Joseph Laniel

La guerre d’Indochine a commencé fin 1946. Les gouvernements ont été maladroits à gérer l’affaire indochinoise, l’opinion publique se désintéressant de ce conflit lointain où ne sont engagés que des soldats professionnels et des auxiliaires « indigènes ».

Mais le pays se réveille à la « gifle de Diên Biên Phû » : après une résistance héroïque de 55 jours, c’est la défaite d’une armée française encerclée dans la cuvette par les forces du Viêt-minh (Front de l’indépendance du Vietnam). Dès l’annonce de la chute de Diên Biên Phû, les députés se lèvent, de la gauche à l’extrême droite, pour écouter la suite du discours. Valéry Giscard d’Estaing écrira en 1988 : « Je garde encore le souvenir – l’illusion ! – d’avoir vu un demi-crépuscule tomber sur l’hémicycle. »

Le gouvernement Laniel est renversé sur la question de l’Indochine et Mendès France le remplace, annonçant qu’il obtiendra un cessez-le-feu avant le 20 juillet. Mais un autre front s’impose, un autre feu s’allume.

« L’Algérie, c’est la France. »2895

François MITTERRAND (1916-1996), ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès France, 5 novembre 1954. Pierre Mendès France (1981), Jean Lacouture

Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, une insurrection éclate en Algérie. Mitterrand s’associe à la position du président du Conseil Mendès France : « Qu’on n’attende de nous aucun aménagement avec la sédition, aucun compromis avec elle […] Les départements de l’Algérie font partie de la République, ils sont français depuis longtemps […] Entre la population algérienne et la métropole, il n’est pas de sécession concevable […] Jamais la France, jamais aucun Parlement, jamais aucun gouvernement ne cédera sur ce principe fondamental. »

Nul n’imagine à cette date la suite du conflit algérien.

« Les hommes passent, les nécessités nationales demeurent. »2896

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Assemblée Nationale, nuit du 4 au 5 février 1955. Pierre Mendès France (1981), Jean Lacouture

L’Assemblée vient de lui refuser la confiance (319 voix contre 273) : par peur d’une politique d’« aventure » en Afrique du Nord. On l’accuse, dans son discours de Carthage, d’avoir encouragé la rébellion des Tunisiens et des fellagas d’Algérie, alors qu’il est partisan déclaré de l’Algérie française dont il a renforcé la défense. Contrairement aux usages et sous les protestations, il remonte à la tribune pour justifier son action.

Mendès France est resté populaire dans le pays, mais de nombreux parlementaires déplorent ses positions cassantes, aux antipodes des compromis et compromissions de la Quatrième République. Le « syndicat » des anciens présidents du Conseil et anciens ministres lui reproche de ne pas jouer le jeu politicien et de semer le trouble dans l’hémicycle et ses coulisses. De Gaulle l’avait prédit : « Ils ne vous laisseront pas faire ! » Et Mendès France, pour la dernière fois à la tribune, défie les députés : « Ce qui a été fait pendant ces sept ou huit mois, ce qui a été mis en marche dans ce pays ne s’arrêtera pas… »

« Quand l’opprimé prend les armes au nom de la justice, il fait un pas sur la terre de l’injustice. »2899

Albert CAMUS (1913-1960), « Les raisons de l’adversaire », L’Express, 28 octobre 1955

Né en Algérie, intellectuel épris de justice autant que de liberté, Camus est plus qu’un autre déchiré par les événements : « Telle est, sans doute, la loi de l’histoire. Il n’y a plus d’innocents en Algérie, sauf ceux, d’où qu’ils viennent, qui meurent. »

2 avril 1955, l’état d’urgence a été voté pour lutter contre la rébellion et les libertés publiques sont suspendues. Le gouverneur Soustelle tente une politique de réformes, mais l’insurrection dans le Constantinois et les massacres du FLN (Front de libération nationale) le 20 août poussent le gouvernement Edgar Faure à appeler les réservistes, le 24. Simples opérations de maintien de l’ordre ? La fiction est vite insoutenable. Il s’agit d’une guerre, une sale guerre.

« Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir… »2900

Boris VIAN (1920-1959), paroles et musique, Serge REGGIANI (1922-2004), co-compositeur de la musique, Le Déserteur (1954), chanson

Écrite à la fin de la guerre d’Indochine, chantée par Mouloudji le jour de la prise de Diên Biên Phû : « Monsieur le Président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être / Si vous avez le temps / Je viens de recevoir / Mes papiers militaires / Pour partir à la guerre / Avant mercredi soir / Monsieur le Président / Je ne veux pas la faire / Je ne suis pas sur terre / Pour tuer des pauvres gens. »

La chanson est interdite et reprise en 1955, dans une version un peu édulcorée : « Messieurs, qu’on nomme grands… » Mais c’est le temps de la guerre d’Algérie : la chanson sera censurée dix ans pour « insulte faite aux anciens combattants ». Elle connaît une diffusion limitée et parallèle : sifflée par les soldats du contingent qui s’embarquent à Marseille, avant de devenir un protest song bilingue, puis un succès de la scène et du disque, reprise par Reggiani et d’autres : « Il faut que je vous dise / Ma décision est prise / Je m’en vais déserter ».

« Faire accéder le Maroc au statut d’État indépendant uni à la France par les liens d’une interdépendance librement consentie. »2901

Antoine PINAY (1891-1994), ministre des Affaires étrangères, et MOHAMMED V (1909-1961), sultan du Maroc, Déclaration de la Celle Saint-Cloud, 6 novembre 1955. Histoire du continent africain, de 1939 à nos jours (1996), Jean Jolly

Cette formule de « l’indépendance dans l’interdépendance » qui mariait les contraires reste l’un des symboles des contradictions de la Quatrième République. Le Maroc obtiendra son indépendance totale, le 3 mars 1956.

« Maintenir et renforcer l’union indissoluble entre l’Algérie et la France métropolitaine […], en même temps reconnaître et respecter la personnalité algérienne et réaliser l’égalité politique totale de tous les habitants de l’Algérie. »2904

Guy MOLLET (1905-1975), Déclaration d’investiture, Assemblée nationale, 31 janvier 1956. La Constitution de la IVe République à l’épreuve de la guerre (1963), Jean Barale

Le gouvernement de Guy Mollet, laborieusement constitué, est investi triomphalement : 420 voix pour, face à 83 abstentions (les modérés) et 71 voix contre (droite et extrême droite). C’est un beau succès et ce sera le record de longévité sous cette République (seize mois). On attend de lui qu’il en finisse avec le cauchemar algérien.

Le 6 février, il se rend sur place : les Français d’Algérie le bombardent de tomates à Alger. Il prend conscience du drame et de l’extrême difficulté à en sortir. Pacification, élections, négociations, tel est le programme. Mais le rétablissement de l’ordre va se révéler impossible, malgré l’envoi de 400 000 soldats ! Pour la première fois depuis la dernière guerre, toutes les familles françaises se sentent concernées.

« On doit aborder de front l’argument majeur de ceux qui ont pris leur parti de la torture : celle-ci a peut-être permis de retrouver trente bombes, au prix d’un certain honneur, mais elle a suscité du même coup cinquante terroristes nouveaux qui, opérant autrement et ailleurs, feront mourir plus d’innocents encore. »2908

Albert CAMUS (1913-1960), Actuelles III : Chroniques 1939-1958, sous titrées Chroniques algériennes (1958)

Entre 1955 et 1958, comme beaucoup d’intellectuels et d’autant plus concerné qu’il est né en Algérie dans le département (français) de Constantine, Camus s’interroge sur l’insupportable et insoluble problème de la torture et du terrorisme en Algérie : « Nous devons condamner avec la même force et sans précautions de langage le terrorisme appliqué par le FLN aux civils français comme d’ailleurs, et dans une proportion plus grande, aux civils arabes. Ce terrorisme est un crime, qu’on ne peut ni excuser ni laisser se développer. »

« Ils n’osent écrire qu’une police qui torture, si blâmable qu’elle soit, c’est une police qui fait son métier, une police sur laquelle on peut compter. »2909

François MAURIAC (1885-1970), Bloc-notes, I, 1952-1957

« Ils ne l’écrivent pas noir sur blanc, mais cela court entre les lignes… » En 1952, Mauriac, écrivain catholique, reçut le prix Nobel de littérature pour « la profonde imprégnation spirituelle et l’intensité artistique avec laquelle ses romans ont pénétré le drame de la vie humaine ».

Il n’a pas pris position dans la guerre d’Indochine, mais il s’engage désormais en faveur de l’indépendance du Maroc, puis de l’Algérie, et condamne l’usage de la torture par l’armée française. Dans une méditation douloureuse et brûlante intitulée Imitation des bourreaux de Jésus-Christ, il dénonce l’État tortionnaire et non plus seulement l’État policier, lors de l’allocution de clôture de la Semaine des intellectuels catholiques à Florence, en novembre 1954. Il s’investit de plus en plus dans le drame algérien qu’il commentera jusqu’en 1958, convaincu que seul de Gaulle peut dénouer la situation.

« La France conduisant elle-même la Tunisie vers l’indépendance réalisera une conquête des cœurs plus efficace que celle qui résulte du traité du Bardo. »2910

Habib Ben Ali BOURGUIBA (1903-2000). Habib Bourguiba (1969), Jean Rous

L’indépendance de la Tunisie, le 20 mars 1956, suit de peu celle du Maroc. Ce militant nationaliste qui a choisi de négocier avec la Quatrième République française devient le premier président de la toute jeune République tunisienne – de 1957 à 1987. C’est l’épilogue d’une longue histoire.

12 mai 1881. Le bey de Tunis avait été contraint de signer le traité du Bardo : la Tunisie passait sous protectorat français. Résistance nationale immédiate : plusieurs fois brisée, toujours renaissante, elle poursuit son combat jusqu’à la formation du Néo-Destour, parti composé de jeunes intellectuels occidentalisés et dirigés par Bourguiba, leader du mouvement nationaliste en 1934. Reprise de la lutte en 1951, arrestation de Bourguiba. Devant l’ampleur du terrorisme, Mendès France a reconnu en 1954 l’autonomie interne et débloqué la situation.

« L’Occident qui, en dix ans, a donné l’autonomie à une dizaine de colonies, mérite à cet égard plus de respect et, surtout, de patience que la Russie qui, dans le même temps, a colonisé ou placé sous un protectorat implacable une douzaine de pays de grande et ancienne civilisation. »2911

Albert CAMUS (1913-1960), Actuelles III : Chroniques 1939-1958, sous titrées Chroniques algériennes (1958), Avant-propos

C’est une vérité bonne à dire, mais inaudible pour toute la gauche inconditionnellement communiste.

L’exposé des motifs de la loi-cadre du 23 juin 1956 sur les territoires d’outre-mer, appelée loi Defferre, annonce clairement la couleur : « Il ne faut pas se laisser devancer et dominer par les événements pour ensuite céder aux revendications lorsqu’elles s’expriment sous une forme violente. Il importe de prendre en temps utile les dispositions qui permettent d’éviter des conflits graves. »

Cette loi facilitera une évolution rapide et paisible, passant par la Communauté de 1958, pour aboutir en 1960 à « l’année de l’indépendance de l’Afrique », sous la Cinquième République et la présidence de De Gaulle. Cette décolonisation amorcée doit être portée à l’actif de la Quatrième.

« Le corps sain et vigoureux de notre pays est atteint par un mal purement politique qui nous interdit de plus en plus d’accomplir les grandes tâches de l’État. »2915

Félix GAILLARD (1919-1970), Déclaration d’investiture, Assemblée nationale, 5 novembre 1957. L’Année politique : revue chronologique des principaux faits politiques, économiques et sociaux de la France (1958)

Après deux longues crises ministérielles depuis le début de l’année, le nouveau gouvernement est investi par 357 voix contre 173. Le président du Conseil énumère les grandes tâches : « Nous allons jouer dans les mois qui viennent […] une partie dont dépendent à la fois la sauvegarde de notre monnaie et la prospérité de notre économie, l’avenir de l’Algérie et de la Communauté franco-africaine, la possibilité d’organiser une démocratie vraiment efficace et d’entrer comme des partenaires majeurs dans l’Europe qui s’unit. » Déclaration ambitieuse.

Les problèmes sont toujours les mêmes et c’est l’Algérie qui fera tomber Félix Gaillard, comme son prédécesseur Bourgès-Maunaury, sans lui laisser le temps de procéder à l’indispensable réforme institutionnelle.

19. La guerre d’Algérie tourne à la guerre civile et devient tragédie nationale, menaçant le régime qui se révèle impuissant dans cette épreuve.

« Il est difficile de garder l’Algérie, il est difficile de la perdre, il est encore plus difficile de la donner. »2916

Félix GAILLARD (1919-1970), président du Conseil, début 1958. Vie politique sous la Cinquième République (1981), Jacques Chapsal

Ce mot dit le dilemme et traduit à la fois l’indécision du pouvoir et l’incertitude de l’opinion publique métropolitaine dans sa grande majorité.

« Les soussignés […] somment les pouvoirs publics, au nom de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de condamner sans équivoque l’usage de la torture qui déshonore la cause qu’elle prétend servir. »2917

Protestation solennelle adressée au président de la République, avril 1958. Signée André Malraux (1901-1976), Roger Martin du Gard (1881-1958), François Mauriac (1885-1970), Jean-Paul Sartre (1905-1980), parue dans la presse et appelant les Français à se joindre à eux. Les Porteurs de valise : la résistance française à la guerre d’Algérie (1979), Hervé Hamon, Patrick Rotman

Cause récurrente. Cette fois, l’occasion est donnée par le livre d’Henri Alleg, La Question, récit d’un torturé, saisi par la police le 25 mars. Tous les intellectuels engagés s’expriment sur cet insupportable et insoluble problème.

« Le cadavre bafouille. »2918

Hubert BEUVE-MÉRY (1902-1989) citant Maurice Barrès (1862-1923). Le Suicide de la Quatrième République (1958), Hubert Beuve-Méry

La France vit à l’heure algérienne et la plupart des familles sont concernées. Le pouvoir, donc le régime, est dans une situation sans issue : aucune majorité stable possible, ni à gauche, ni au centre, ni à droite, face au drame national.

La guerre divise les Français et les consciences – même si on la nomme « lutte contre la rébellion ». À Paris, on parle de « bons offices » anglo-américains en vue de la paix. Félix Gaillard tombe, Pflimlin arrive, Alger craint d’être lâchée… et c’est l’armée qui réagit.

« L’armée française, d’une façon unanime, sentirait comme un outrage l’abandon de ce patrimoine national [l’Algérie]. On ne saurait préjuger sa réaction de désespoir. »2919

Général SALAN (1899-1984), commandant supérieur en Algérie, Télégramme au général Ély, chef d’état-major général, 9 mai 1958. Le Siècle dernier : 1918-2002 (2003), René Rémond

« L’armée en Algérie est troublée par le sentiment de sa responsabilité à l’égard des hommes qui combattent […] à l’égard de la population française de l’intérieur qui se sent abandonnée. […] Je vous demande de vouloir bien appeler l’attention du président de la République sur notre angoisse, que seul un gouvernement fermement décidé à maintenir notre drapeau en Algérie peut effacer. »

« L’Armée au pouvoir ! Tous au GG ! »2920

Cris de la foule, Alger, manifestation du 13 mai 1958. L’Appel au père : de Clemenceau à de Gaulle (1992), Jean-Pierre Guichard

« Le GG », c’est le palais du gouverneur général, devenu depuis 1956 celui du ministre résident. Il est le symbole du pouvoir et, en tant que tel, pris d’assaut, pillé. Un Comité de salut public se constitue, mêlant Français et musulmans, civils et militaires en une coalition très hétéroclite, présidée par le général Massu : c’est le putsch d’Alger, ou coup d’État du 13 mai.

« Deux pouvoirs s’instaurent : le pouvoir légal à Paris et le pouvoir militaire à Alger. Un troisième, le pouvoir moral, celui du général de Gaulle, est encore à Colombey. »2921

Jacques FAUVET (1914-2002), La Quatrième République (1959)

De Gaulle, retiré de la scène politique peu après la guerre (20 janvier 1946), très hostile au régime des partis de la Quatrième, se tient en réserve de la République et sent son heure enfin revenue : oui, la France a besoin de lui ! On imagine comme il a dû peser chaque mot de son premier communiqué à la presse.

« Naguère, le pays, dans ses profondeurs, m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut. Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. »2922

Charles de GAULLE (1890-1970), Communiqué remis à la presse le 15 mai 1958. 1958, le retour de De Gaulle (1998), René Rémond

Ce 15 mai, au Forum d’Alger, Salan crie « Vive de Gaulle ! » Cependant que le général se présente comme sauveur de la Nation, après avoir fait un sombre et juste diagnostic de la situation : « La dégradation de l’État entraîne infailliblement l’éloignement des peuples associés, les troubles de l’armée au combat, la dislocation nationale, la perte de l’indépendance. Depuis douze ans, la France, aux prises avec des problèmes trop rudes pour le régime des partis, est engagée dans ce processus désastreux. » Il pourrait ajouter : « Je vous l’avais bien dit. »

« Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur ? »2923

Charles de GAULLE (1890-1970), conférence de presse, 19 mai 1958. 1958, le retour de De Gaulle (1998), René Rémond

Le général tient à tranquilliser une opinion émue par sa déclaration du 15 mai. Et de conclure : « J’ai dit ce que j’avais à dire. À présent, je vais rentrer dans mon village et m’y tiendrai à la disposition du pays. » Il repart à Colombey.

Le pays, divisé, bouleversé, est par ailleurs sensible à toutes les rumeurs. Les réseaux sociaux n’ont rien inventé.

« Il ne faut pas beaucoup de mitraillettes pour disperser cent mille citoyens armés de grands principes. »2924

François MAURIAC (1885-1970), L’Express, 12 juin 1958, Bloc-notes, 1958-1960, II (1961)

Au cours des journées de mai 1958, la rumeur s’est répandue d’un dénouement possible de la crise algérienne par l’établissement d’une dictature militaire en France. Des parachutistes venus d’Algérie pourraient débarquer, faire jonction avec les réseaux favorables à l’Algérie française en métropole, les putschistes bénéficiant même de complicités dans l’appareil de l’État. Le 28 mai, à Paris, une foule immense et pacifique va défiler de la Nation à la République, conspuant les paras et criant : « Le fascisme ne passera pas ! »

Mauriac qui en rend compte dénonce le danger fasciste dans L’Express, au fil de sa fameuse chronique hebdomadaire. Cette menace va précipiter la solution de Gaulle, recours à l’ultime sauveur. Pour Mauriac, c’est l’homme du destin, l’homme de la grâce, le garant de l’unité du pays. Dès lors, sa vision de la politique se confond avec celle du gaullisme. Ses prises de position passionnées le conduisent à quitter L’Express pour Le Figaro littéraire, trop heureux d’accueillir désormais son Bloc-notes, publié plus tard en quatre recueils.

« Dans le péril de la patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des Français. »2925

René COTY (1882-1962), Message du président au Parlement, 29 mai 1958. Histoire mondiale de l’après-guerre, volume II (1974), Raymond Cartier

Face à la menace de guerre civile, le président de la République fait savoir aux parlementaires qu’il a demandé au général de Gaulle de former un gouvernement. Chahuts et chants de la part des députés qui entonnent La Marseillaise – procédé contraire à tous les usages et même à la lettre de la Constitution.

« Tout le plaisir et l’honneur que j’ai de me trouver parmi vous… »2928

Charles de GAULLE (1890-1970), premiers mots de sa déclaration, Assemblée nationale, séance de nuit du 1er au 2 juin 1958. Le Crapouillot (1967)

Dans son discours d’investiture du 1er juin, « président du Conseil désigné » par le Président Coty, il a dénoncé « la cause profonde de nos épreuves […] la confusion et, par là même, l’impuissance des pouvoirs » et s’est « proposé pour tenter de conduire une fois de plus le salut du pays, l’État, la République », en réclamant les pleins pouvoirs. Il est sorti de l’hémicycle.

L’investiture est votée par 329 voix contre 224 (communistes, radicaux amis de Mitterrand et de Mendès France). Il a obtenu ce qu’il voulait : les pleins pouvoirs en métropole et des pouvoirs spéciaux en Algérie, avec la modification de l’article 90 de la Constitution, pour lui permettre d’en préparer une nouvelle.

Dans la nuit du 1er au 2, il revient entouré de ses ministres et les présente aux parlementaires, leur faisant ainsi une faveur inhabituelle, d’autant plus étonnante qu’il n’a cessé de vilipender le régime et son « personnel ».

« Vous verrez, après la musique de chambre, ce sera la musique militaire. »2929

Georges BIDAULT (1899-1983), dans les couloirs du Parlement, après la séance de nuit du 1er au 2 juin 1958. Vie politique sous la Cinquième République (1981), Jacques Chapsal

Et les communistes résument : « Après l’opération sédition, c’est l’opération séduction. » De Gaulle aura presque tous les partis contre lui et presque toujours le peuple avec lui.

« Je vous ai compris ! »2930

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours au balcon du gouvernement général à Alger, 4 juin 1958. Mémoires d’espoir, tome I, Le Renouveau, 1958-1962 (1970), Charles de Gaulle

Que n’a-t-on dit sur ces quatre mots ! Dans ses Mémoires, le Général explique : « Mots apparemment spontanés dans la forme, mais au fond bien calculés, dont je veux qu’elle [la foule] s’enthousiasme, sans qu’ils m’emportent plus loin que je n’ai résolu d’aller. »

Au journaliste du Monde André Passeron, il confiera le 6 mai 1966, : « J’ai toujours su et décidé qu’il faudrait donner à l’Algérie son indépendance. Mais imaginez, qu’en 1958, quand je suis revenu au pouvoir, je disais sur le Forum d’Alger qu’il fallait que les Algériens prennent eux-mêmes leur gouvernement, il n’y aurait plus eu de De Gaulle immédiatement ! »

« Il n’y a plus ici, je le proclame en son nom [la France] et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères qui marcheront désormais dans la vie en se tenant la main […] Vive l’Algérie française. »2931

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours de Mostaganem, 6 juin 1958. De Gaulle, 1958-1969 (1972), André Passeron

À Mostaganem, il confirme le fameux discours d’Alger. De Gaulle fera cinq fois le voyage Paris-Algérie, en 1958. Il joue de son charisme qui est immense. Il veut montrer qu’il prend l’affaire algérienne en main, qu’il y a un pouvoir et qu’il l’incarne. Bref, que c’en est fini des mœurs de la Quatrième République.

20. De Gaulle, rappelé au pouvoir en 1958 pour régler la question algérienne, créée la Cinquième République qui donne un chef à l’État. Le président se résout à l’inévitable rupture avec l’Algérie française et trouve des solutions de compromis pour les autres territoires, la décolonisation restant le maître mot.

« Un des caractères essentiels de la Constitution de la Ve République, c’est qu’elle donne une tête à l’État. »2932

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 20 septembre 1962. Les Grands Textes de la pratique institutionnelle de la Ve République (1992), Documentation française

C’est cette autorité qui a tant manqué à la précédente République et qui est indispensable pour régler « les trois affaires qui dominent notre situation : l’Algérie, l’équilibre financier et économique, la réforme de l’État », dira de Gaulle à la radio, quelques jours après son arrivée au pouvoir en 1958.

« La décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique. Pourquoi resterions-nous accrochés à des dominations coûteuses, sanglantes et sans issue, alors que notre pays est à renouveler de fond en comble ? »2939

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 11 avril 1961. Paroles de chefs, 1940-1962 (1963), Claude Cy, Charles de Gaulle

C’est son intime conviction, plusieurs fois répétée. Il a reconnu auparavant que la France a réalisé outre-mer une grande œuvre humaine qui, malgré des abus ou des erreurs, lui fait pour toujours honneur. La Quatrième République qui a commencé la décolonisation (Indochine, Maroc, Tunisie, Afrique noire en cours) a rappelé de Gaulle au pouvoir pour résoudre l’« affaire algérienne ». Ce qu’il fera, en lui donnant l’indépendance inscrite dans le cours de l’histoire. De Gaulle, grand politique, sait se montrer grand pragmatique à l’occasion. Mais que de difficultés à venir, sur ce parcours ! Résumons-le en quelques citations qui font date.

« Que vienne la paix des braves et je suis sûr que les haines iront en s’effaçant. »2981

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse à l’hôtel Matignon, 23 octobre 1958. 1958, le retour de De Gaulle (1998), René Rémond

« Qu’est-ce à dire ? Simplement ceci : que ceux qui ont ouvert le feu le cessent et qu’ils retournent sans humiliation à leur famille et à leur travail ! »

Mais ce n’est pas ce que veut le Front de Libération nationale (FLN) : le 25 septembre, il a affirmé sa volonté de négociations politiques aussi bien que militaires et deux mois plus tard, il crée le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). De Gaulle posera bientôt comme seule condition aux négociations de laisser le « couteau au vestiaire ». Mais la paix des braves, sur le terrain comme dans un traité, est encore loin d’être conclue.

« L’Algérie de papa est morte. Si on ne le comprend pas, on mourra avec elle. »2984

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration à Pierre Laffont, directeur de L’Écho d’Oran, 29 avril 1959. Algérie 1962, la guerre est finie (2002), Jean Lacouture

Mais que sera l’Algérie de l’avenir ? Le président est trop pragmatique, l’Algérie trop déchirée par la guerre et les événements trop incertains pour que soit fixée une ligne politique.

De Gaulle attend la mi-septembre pour lancer le mot, l’idée d’« autodétermination », d’où trois solutions possibles : sécession pure et simple, francisation complète dans l’égalité des droits, « de Dunkerque à Tamanrasset », ou gouvernement des Algériens par les Algériens en union étroite avec la France.

En France, la droite qui veut l’Algérie française commence à se diviser ; en Algérie, le GPRA veut des négociations préalables et l’armée va vivre bien des déchirements.

« Non, il n’est pas chaud, le contingent. Pour tout dire, il n’a pas d’allant. Il est même buté comme un âne. »2985

Michel COURNOT (1922-2007), L’Express (1959). Les Parachutistes (2006), Gilles Perrault

Il donne l’état d’esprit d’un jeune soldat dans la Casbah d’Alger, alors que la pacification est un préalable à toute négociation, donc un devoir de l’armée. C’est dire la sympathie que ce journaliste (très) intellectuel de gauche éprouve pour « le contingent » : « Le contingent a écouté, et il n’est pas convaincu. Il ne se sent pas tellement chaud pour défendre la liberté en allant au-delà des mers tirer à coups de canon sur des gaillards en espadrilles… »

« Je m’adresse à la France. Eh bien, mon cher et vieux pays, nous voici donc ensemble encore une fois, face à une nouvelle épreuve. »2989

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 29 janvier 1960. De Gaulle (1964), François Mauriac

Omniprésent sur tous les fronts, le président excelle dans la communication directe avec la France et les Français. Cette fois, le général s’est mis en tenue militaire pour traiter du drame national. Le costume va lui resservir à plusieurs occasions !

La « semaine des Barricades » a commencé à Alger, le 24 janvier. La population de souche métropolitaine refuse l’idée d’autodétermination lancée par de Gaulle et s’oppose au renvoi du général Massu – qui a affirmé dans un journal allemand que l’armée était pour l’Algérie française. Attitude inacceptable pour le général président.

« L’armée française, que deviendrait-elle, sinon un ramas anarchique et dérisoire de féodalités militaires, s’il arrivait que des éléments mettent des conditions à leur loyalisme ? […] Aucun soldat ne doit, sous peine de faute grave, s’associer à aucun moment, même passivement, à l’insurrection. »2990

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 29 janvier 1960. De Gaulle : le souverain, 1959-1970 (1986), Jean Lacouture

Le général, en tenue de général, en appelle enfin à la discipline des soldats et sauve la situation par ce discours. Selon Raymond Aron (Preuves, mars 1960) : « Durant ces cinq jours, rien n’existait plus, ni le régime, ni la Constitution, ni moins encore le gouvernement, hésitant et divisé : il ne restait plus rien qu’un homme, et un homme seul. » Comme en juin 1940, dans une autre guerre. L’Histoire se répète.

La semaine des Barricades aura des suites importantes : gouvernement remanié, affaires algériennes prises encore plus directement en main par l’Élysée. De Gaulle se rend sur place début mars pour reprendre contact avec l’armée – c’est la « tournée des popotes » où les déclarations restent officieuses et contradictoires. Il parlera publiquement de « République algérienne » le 4 novembre prochain.

« Il est tout à fait naturel qu’on ressente la nostalgie de ce qui était l’Empire, tout comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais, quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. »2992

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 14 juin 1960. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1961)

Outre le drame de l’Algérie, après la guerre d’Indochine, l’affaire tunisienne, puis l’imbroglio marocain réglés sous la Quatrième République, il restait encore à achever la décolonisation de l’Afrique noire et de Madagascar, en germe dans la loi Defferre de 1956. L’opinion publique y est moins sensible qu’au problème algérien.

De Gaulle pense d’abord à une Communauté avec défense, politique étrangère et politique économique communes. Sous la pression des événements, il opte pour la décolonisation et accorde en 1960 l’indépendance, qui n’exclut pas le maintien de liens privilégiés entre la métropole et ses ex-colonies africaines.

« Il faut qu’avant d’entrer dans la salle [des négociations] on ait déposé son couteau. »2993

Charles de GAULLE (1890-1970), 6 septembre 1960. De Gaulle (1972), André Passeron

Retour au drame algérien. Le « couteau au vestiaire » devient le préalable de toute négociation. Mais l’on continue de se battre en Algérie, tandis qu’en France, intellectuels et syndicalistes manifestent pour la paix en Algérie.

« Pendant la guerre d’Algérie, Zola deviendrait légion, et quotidien J’accuse. »2994

Georges DUBY (1919-1996), Histoire de la France (1987)

Allusion au combat de Zola dans l’affaire Dreyfus et à son célèbre article dans L’Aurore du 13 janvier 1898.

Nombre d’intellectuels de gauche se sont politiquement engagés dans l’affaire algérienne. Exemple : le « Manifeste des 121 », signé par des professeurs et des écrivains, des artistes et des comédiens, publié le 6 septembre 1960, dénonçant la torture en Algérie et réclamant le « droit à l’insoumission ». C’est une façon de soutenir le réseau Jeanson, démantelé au début de l’année, dont le procès commence devant le tribunal des forces armées.

« La gauche est impuissante et elle le restera si elle n’accepte pas d’unir ses efforts à la seule force qui lutte aujourd’hui réellement contre l’ennemi commun des libertés algériennes et des libertés françaises. Et cette force est le FLN. »2995

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), Lettre au procès Jeanson (5 septembre-1er octobre 1960). La Guerre d’Algérie : des complots du 13 mai à l’indépendance (1981), Henri Alleg

Certains Français ne se contentent plus de prendre position en faveur de la paix en Algérie et de négociations avec le FLN, ils apportent une aide directe à ses membres, c’est-à-dire aux dirigeants de la rébellion, participant même à des faits de guerre ou de terrorisme.

Le réseau Jeanson regroupe 6 Algériens et 17 Français de métropole accusés, entre autres, de transporter des fonds, des faux papiers, du matériel de propagande – d’où le nom de « porteurs de valises » donné par Sartre. Il est personnellement lié à Francis Jeanson (en fuite et donc absent au procès). Ne pouvant se présenter lui-même au tribunal (retenu au Brésil pour une tournée de conférences), l’écrivain exprime sa solidarité par une longue lettre, se référant au Manifeste des 121 qu’il a naturellement signé.

26 avocats (dont Roland Dumas) défendent les inculpés, faisant durer le procès et ridiculisant le tribunal, stratégie payante face à l’opinion publique. Jeanson sera reconnu coupable de haute trahison et condamné à dix ans de réclusion – amnistié en 1966. La majorité des autres membres du réseau sont condamnés plus ou moins sévèrement, et neuf acquittés. Le Monde, en septembre 2000, rend justice à « ces traîtres qui sauvèrent l’honneur de la France » (Dominique Vidal).

« La République algérienne existera un jour. »2996

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence télévisée, 4 novembre 1960. La Guerre d’Algérie et les intellectuels français (1991), Jean-Pierre Rioux, Jean-François Sirinelli

Alors que la guerre s’éternise, il relance la politique algérienne, annonçant un référendum sur l’autodétermination, parlant pour la première fois de « République algérienne », fustigeant les « deux meutes ennemies, celle de l’immobilisme stérile et celle de l’abandon vulgaire ».
Le président part en Algérie le 12 décembre, pour lancer la campagne sur le référendum : émeutes à Alger, Oran. Le Front de l’Algérie française se heurte aux musulmans brandissant le drapeau vert du FLN : 120 morts, et c’en est fini du mythe de la fraternisation entre les communautés.

21. 1961. Autodétermination acceptée par référendum, prélude à l’indépendance. Mais l’OAS se bat pour garder l’Algérie française, un « quarteron de généraux » ovationné par les pieds-noirs tente un coup d’État et le FLN algérien multiplie les attentats. 1962. Accords d’Évian sur l’indépendance approuvés à plus de 90% par référendums en France et en Algérie… où la terreur redouble. Exode de 700 000 rapatriés en quatre mois et attentat manqué de peu contre de Gaulle au Petit-Clamart (22 août 1962).

« Françaises, Français […] j’ai besoin de savoir ce qu’il en est dans les esprits et dans les cœurs, c’est pourquoi je me tourne vers vous par-dessus tous les intermédiaires. En vérité, qui ne le sait, l’affaire est entre chacune de vous, chacun de vous et moi-même. »2997

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 6 janvier 1961. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1962)

Dernière apparition présidentielle, avant le référendum du 8 qui demande au peuple français d’approuver le principe de l’autodétermination du peuple algérien. « Oui » : plus de 75 % des suffrages exprimés. Les électeurs n’ont pas suivi les consignes des partis politiques et, comme de Gaulle, ont négligé ces intermédiaires.

Le choc est dur, chez les Européens d’Algérie (également consultés et qui ont répondu majoritairement « non ») : ils ne se savaient pas à ce point coupés de la métropole, autant dire abandonnés. D’où le durcissement de leur position, alors que des négociations sont annoncées entre la France et le FLN à Évian.

« L’OAS frappe où elle veut, quand elle veut, comme elle veut. »2998

Slogan de la nouvelle « Organisation Armée secrète ». L’OAS et la fin de la guerre d’Algérie (1985), M’Hamed Yousfi

Premiers tracts lancés début février 1961. L’armée fait son métier en Algérie, avec 400 000 hommes qui se battent sur le terrain. La pacification progresse (excepté dans les Aurès), mais le terrorisme fait rage et le FLN multiplie les attentats.

Les Européens d’Algérie vivent aussi dans la terreur de la négociation qui conduira inévitablement à l’indépendance. Et l’OAS, choisissant la politique du désespoir, recourt également aux attentats. Ainsi, le maire d’Évian, Camille Blanc, tué par une charge de plastic le 31 mars, assassiné uniquement parce que sa ville est choisie pour accueillir les négociations. Cela n’infléchit en rien la politique du président.

« Cet État sera ce que les Algériens voudront. Pour ma part, je suis persuadé qu’il sera souverain au-dedans et au-dehors. Et, encore une fois, la France n’y fait aucun obstacle. »2999

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 11 avril 1961. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1962)

De Gaulle annonce qu’il envisage l’indépendance de l’Algérie « avec un cœur parfaitement tranquille ». Rappelons ses mots, ce même jour, et son intime conviction : « La décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique. Pourquoi resterions-nous accrochés à des dominations coûteuses, sanglantes et sans issue, alors que notre pays est à renouveler de fond en comble ? »

Mais onze jours plus tard, c’est le (second) putsch, dans la nuit du 21 au 22 avril.

« Ce qui est grave dans cette affaire, Messieurs, c’est qu’elle n’est pas sérieuse. »3000

Charles de GAULLE (1890-1970), Conseil des ministres extraordinaire, réuni à 17 heures, le 22 avril 1961. La Fronde des généraux (1961), Jacques Fauvet, Jean Planchais

La population d’Alger a été réveillée à 7 heures du matin par ce message lu à la radio : « L’armée a pris le contrôle de l’Algérie et du Sahara. » Les généraux rebelles font arrêter le délégué général du gouvernement et un certain nombre d’autorités civiles et militaires. Quelques régiments se rallient aux rebelles. La population européenne, qui se sent abandonnée par la métropole, est avec eux. Mais de Gaulle semble serein, devant ses ministres.

Le directoire militaire a quand même pris le pouvoir à Alger. Les ralliements se multiplient derrière les quatre généraux, Challe, Zeller, Jouhaud et Salan qui dénoncent la « trahison » du général de Gaulle et font le serment de « garder l’Algérie pour que nos morts ne soient pas morts pour rien ».

Les insurgés tiennent Oran, Constantine le lendemain. Le coup d’État semble réussi. De Gaulle reparaît et va trouver les mots qui tuent.

« Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. »3001

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 23 avril 1961. Algérie 1962, la guerre est finie (2002), Jean Lacouture

Revêtu de sa tenue de général, revoilà le de Gaulle des grandes heures : « Au nom de la France, j’ordonne que tous les moyens soient employés pour barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. » Il demande que s’applique l’article 16 de la Constitution (pouvoirs spéciaux) : c’est une « dictature républicaine », justifiée par la situation.

Tous les bidasses entendent cette voix de la France sur leur transistor. Le contingent refuse de suivre le quarteron de généraux ovationnés par les pieds-noirs sur le Forum d’Alger, entre les cris « Algérie française » et « de Gaulle au poteau ! »
Cependant, le vent tourne. Challe se livre le 26, suivi par Zeller. Salan et Jouhaud continuent dans la clandestinité, l’OAS résiste encore : combat d’hommes désespérés, d’autant plus dangereux.

« Dès lors que l’État et la nation ont choisi leur chemin, le devoir militaire est fixé une fois pour toutes. Hors de ses règles, il ne peut y avoir, il n’y a que des soldats perdus. »3003

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours à Strasbourg, 23 novembre 1961. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1962)

Lors d’une grande manifestation militaire, il s’exprime solennellement devant les cadres de l’armée.

L’automne et l’hiver sont dramatiques, les passions s’exaspérant de part et d’autre. L’OAS multiplie les attentats, en Algérie comme en métropole : le plastic vise de Gaulle lui-même (9 septembre à Pont-sur-Seine), Malraux et divers intellectuels. Les manifestations pro-FLN, musulmanes, syndicales, entraînent contre-manifestations, charges de police et morts. Ils sont neuf à la station de métro Charonne. 300 000 personnes suivront leur enterrement, le 13 février 1962. L’opinion est mobilisée, mais de plus en plus lasse aussi. Il faut en finir avec cette sale guerre.

« Il va peser lourd le oui que je demande à chacune et à chacun de vous ! »3005

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 26 mars 1962. Les Accords d’Évian, le référendum et la résistance algérienne (1962), Maurice Allais

Le général, comme à son habitude dans les grands moments, en appelle à la population. Il donne les résultats des négociations d’Évian, proclame le cessez-le-feu et annonce le prochain référendum : « Il faut maintenant que s’expriment très haut l’approbation et la confiance nationale. »

Le 8 avril, plus de 90 % des Français approuveront les accords d’Évian (signés le 18 mars). Le oui des Algériens consultés le 2 avril est encore plus massif. Le 3, la France reconnaît l’indépendance de l’Algérie et Ben Bella devient président de la République. Juridiquement, la guerre est finie.

La vie politique française sera marquée par les séquelles de cette guerre non déclarée qui a éclaté le 1er novembre 1954 et mobilisé deux millions de jeunes Français du contingent. Bilan : 25 000 tués chez les soldats français, 2 000 morts de la Légion étrangère, un millier de disparus et 1 300 soldats morts des suites de leurs blessures. Environ 270 000 musulmans algériens sont morts, sur une population de dix millions d’habitants. Deux millions de musulmans sont déportés en camps de regroupement.

La valise ou le cercueil.3006

FLN, écrit sur des petits cercueils postés aux pieds-noirs. De Gaulle ou l’éternel défi : 56 témoignages (1988), Jean Lacouture, Roland Mehl, Jean Labib

Au printemps 1946, le PPA (Parti du peuple algérien luttant pour l’indépendance) diffusait déjà le slogan à Constantine, sur des tracts glissés dans les boîtes aux lettres. Mais c’est au printemps 1962, à Alger, à Oran, que les attentats sont les plus nombreux - une charge de plastic peut faire plus de cent morts et blessés !

Le FLN déclenche également à la mi-avril une série d’enlèvements pour lutter contre l’OAS toujours active dans le maquis. Mais ses membres sont protégés en centre-ville et les victimes sont surtout les colons isolés dans les bleds, les harkis, les habitants des banlieues. La découverte de charniers augmente la peur des petits blancs. L’exode s’accélère : il y aura beaucoup de valises, et de cercueils aussi, à l’issue de cette guerre de huit ans.

« La guerre ne s’est pas terminée dans de bonnes conditions, mais c’étaient les seules conditions possibles. »3007

Paul REYNAUD (1878-1966), fin avril 1962. Vie politique sous la Cinquième République (1981), Jacques Chapsal

Il s’exprime à l’occasion du déjeuner de la presse anglo-saxonne dont il est l’hôte d’honneur.

Le 8 avril, plus de 90 % des Français ont approuvé par référendum les accords d’Évian du 18 mars. Juridiquement, la guerre est finie et le 3 juillet, la France reconnaît l’indépendance de l’Algérie. Mais politiquement, bien des drames vont encore se jouer. Certains jours de printemps, à Alger, à Oran, les attentats font plus de cent morts.

L’exode vers la métropole sera plus massif que prévu et dans des conditions plus pénibles : on attendait 350 000 rapatriés en cinq ans, ils seront 700 000 en quatre mois.

« Aujourd’hui ou demain, envers et contre tous, le traître de Gaulle sera abattu comme un chien enragé. »3010

Tract CNR (nouveau Conseil national de la résistance, créé par l’OAS) reçu par tous les députés, après l’attentat du Petit-Clamart, août 1962. Chronique des années soixante (1990), Michel Winock

C’est encore une retombée de la guerre d’Algérie, aux conséquences importantes et surtout inattendues.
De Gaulle échappe par miracle à l’attentat, le soir du 22 août, au carrefour du Petit-Clamart, près de l’aéroport militaire de Villacoublay. Sa DS 19 est criblée de 150 balles et seul le sang-froid du chauffeur, accélérant malgré les pneus crevés, a sauvé la vie au général et à Mme de Gaulle. Condamné à mort par la Cour militaire de justice, le lieutenant-colonel Bastien-Thiry, chef du commando et partisan de l’Algérie française, est fusillé le 11 mars 1963 – dernier cas en France.

Dès le lendemain de l’attentat, de Gaulle profite de l’émotion des Français pour faire passer une réforme qui lui tient à cœur : l’élection du président au suffrage universel. S’il devait mourir, cela donnerait plus de poids et plus de légitimité à son successeur. Tous les partis sont contre, sauf le parti gaulliste (UNR) et une minorité d’indépendants (Giscard d’Estaing en tête). Le seul précédent historique est fâcheux : Louis-Napoléon Bonaparte, élu du suffrage universel, transforma vite ce coup d’essai en coup d’État. De Gaulle annonce un référendum pour le 28 octobre. Il le gagnera et la vie républicaine en sera changée.

22. La force des mots présidentiels.

« Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le Québec libre ! »3036

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours de Montréal, 25 juillet 1967. De Gaulle, volume III (1986), Jean Lacouture

L’orateur enchaîne et termine par : « Vive le Canada français et vive la France ! » Le monde entier est ébahi. Pompidou, Premier ministre, dira du discours : « Celui-là, il ne me l’avait pas montré ! »

De Gaulle répondra, pour se justifier : « Il fallait bien que je parle aux Français du Canada. Nos rois les avaient abandonnés » – allusion à cette Nouvelle-France découverte sous François Ier, colonisée depuis Henri IV, avant que Louis XV ne cède les « quelques arpents de neige » du Canada à l’Angleterre (en 1763).

Il n’empêche, cette harangue déclenche une crise entre le Canada et la France qui semble soutenir les indépendantistes québécois – sujet toujours sensible !

« Les Juifs […] étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur. »3037

Charles de GAULLE (1890-1970), conférence de presse, 27 novembre 1967. De Gaulle, volume III (1986), Jean Lacouture

La guerre des Six Jours a commencé à l’aube du 5 juin 1967 : attaque des Israéliens, fulgurante ; défaite des Arabes, humiliante.

L’opinion publique est divisée en France, au-delà des traditionnels clivages gauche-droite. La majorité gaulliste renâcle. Les intellectuels de gauche sont crucifiés : militants de la cause arabe et de l’anticolonialisme, ils ne peuvent trahir la solidarité sacrée avec le peuple juif victime du génocide et avec le petit État d’Israël. En préface au numéro spécial des Temps modernes préparé sur le conflit israélo-arabe depuis plus d’un an et qui sort en juillet 1967, Jean-Paul Sartre, qui est encore le maître à penser d’une génération et prend position tranchée sur presque tout, avoue : « Déchirés, nous n’osons rien faire et rien dire. »

« Ne nous laissons pas accabler par les rhumatismes de l’histoire. »3093

« Ne nous laissons pas accabler par les rhumatismes de l’histoire. »

De tous les présidents de la Cinquième République, c’est le seul à avoir explicitement considéré le passé comme un poids dont il faut se libérer. Pour preuve, en 1975, il supprime la commémoration du 8 mai 1945 (rétablie par son successeur, Mitterrand, dès 1981).

Giscard d’Estaing, président le plus jeune avant Macron (élu à 48 ans), se veut moderne et sensible au désir de changement dans le pays. Il pense qu’une nation ne peut se tourner vers l’avenir si elle ressasse constamment son histoire : « Conduisons-nous comme un peuple jeune et fier, ne nous laissons pas accabler par les rhumatismes de l’histoire. »

Les autres présidents assignent à l’histoire, « passion française », une fonction pédagogique, voire thérapeutique, depuis de Gaulle qui évoquait la grandeur passée alors que le pays devait faire le deuil de son empire colonial, jusqu’à Nicolas Sarkozy pour qui l’évocation des heures glorieuses doit conjurer le spectre du « déclinisme ».

« Les droits de l’homme ne valent que parce qu’ils sont universels. »3346

Jacques CHIRAC (1932-2019), Discours pour le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, 23 avril 1998

Pour exister vraiment en période de cohabitation, le président va prendre de la hauteur. L’occasion est belle. La France est universellement reconnue comme la « patrie des droits de l’homme ». Ils sont nés au siècle des Lumières, la Révolution les a inscrits dans le marbre de l’éternité, avec la Déclaration de 1789.

Mais l’homme noir a dû attendre : aboli par un décret de 1794, l’esclavage fut rétabli sous le Consulat de Bonaparte et définitivement aboli par la Deuxième République, en 1848. En 2001, la loi Taubira reconnaîtra l’esclavage et la traite en tant que crimes contre l’humanité.

23. Les grands discours de Sarkozy président concernent l’Afrique : souvent écrits par Henri Guaino  et inspirés de Victor Hugo (mission civilisatrice de la France), mais réduits à des citations tronquées, souvent mal compris, ils illustrent la difficulté d’écrire l’Histoire sur certains thèmes toujours sensibles, comme la colonisation.

« C’est à la France, européenne et méditerranéenne à la fois, de prendre l’initiative avec le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et Chypre, d’une Union Méditerranéenne comme elle prit jadis l’initiative de construire l’Union européenne. »3407

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Discours de Toulon, 7 février 2007

En campagne présidentielle - et déjà avec les mots d’Henri Guaino, « la plume » de ses grands discours présidentiels -, il annonce l’un des axes de sa politique étrangère. Faisant d’une pierre deux coups, il remet en question le Processus de Barcelone (1995) engagé par l’UE à l’initiative de Jacques Chirac et s’apprête à lancer son Union pour la Méditerranée, qui prendra forme institutionnelle et intergouvernementale à Paris où se tient le sommet fondateur de l’UPM (13 juillet 2008).

Cette initiative va irriter les autres partenaires européens, Allemagne en tête, cependant que des pays jadis colonisés peuvent redouter les intentions « missionnaires » de la France. Cet ambitieux projet n’aboutira à rien. Car rien n’est simple dans cette histoire, comme l’a résumé Fernand Braudel : « La Méditerranée, c’est […] mille choses à la fois. Non pas un paysage, mais d’innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais plusieurs civilisations superposées […] La Méditerranée est un carrefour antique. Depuis des millénaires, tout conflue vers cette mer, bouleversant et enrichissant son histoire. » (La Méditerranée, l’espace et l’histoire).

« Il n’y a pas eu beaucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient tant œuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation. On peut condamner le principe du système colonial et avoir l’honnêteté de reconnaître cela. »3412

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Discours à Caen, 9 mars 2007

Il traite de l’identité française, de la spécificité et la grandeur de la France. Il s’inscrit en faux contre la « mode exécrable » de la repentance. 11 000 présents à ce meeting y sont sensibles, à l’image du pays qui va l’élire.

« Au bout du compte, nous avons tout lieu d’être fiers de notre pays, de son histoire, de ce qu’il a incarné, de ce qu’il incarne encore aux yeux du monde. Car la France n’a jamais cédé à la tentation totalitaire. Elle n’a jamais exterminé un peuple. Elle n’a pas inventé la solution finale, elle n’a pas commis de crime contre l’humanité, ni de génocide. Elle a commis des fautes qui doivent être réparées, et je pense d’abord aux harkis et à tous ceux qui se sont battus pour la France et vis-à-vis desquels la France a une dette d’honneur qu’elle n’a pas réglée, je pense aux rapatriés qui n’ont eu le choix au moment de la décolonisation qu’entre la valise et le cercueil, je pense aux victimes innocentes de toutes les persécutions dont elle doit honorer la mémoire… La vérité, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient tant œuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation. On peut condamner le principe du système colonial et avoir l’honnêteté de reconnaître cela. »

Notons que c’est un thème propre à séduire les électeurs du FN, mais sans injurier l’avenir.

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. »3425

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Discours de Dakar (Sénégal), 26 juillet 2007

Grand discours, écrit par Henri Guaino, gaulliste de gauche, la plume (le nègre) du président, désormais chargé de donner à sa pensée une forme présidentielle. L’opinion ne retient que cette phrase qui fait polémique : relent de racisme sur fond d’ancienne colonisation, assorti d’une confusion entre civilisation et progrès technique.

« Le paysan africain, qui depuis des millénaires vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne, mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance.

[…] Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Le problème de l’Afrique, ce n’est pas de s’inventer un passé plus ou moins mythique pour s’aider à supporter le présent, mais de s’inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres. […] Le problème de l’Afrique, c’est de rester fidèle à elle-même sans rester immobile. »

Deux femmes, nées à Dakar, répondront à ce discours. La candidate socialiste, Ségolène Royal, le 6 avril 2009 : « Quelqu’un est venu ici vous dire que « l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire ». Pardon pour ces paroles humiliantes et qui n’auraient jamais dû être prononcées et qui n’engagent pas la France. Car vous aussi, vous avez fait l’histoire, vous l’avez faite bien avant la colonisation, vous l’avez faite pendant, et vous la faites depuis. » Et le 26 octobre 2010, Rama Yade, secrétaire d’État dans le gouvernement Fillon, prend ses distances avec le sarkozysme en affirmant que « l’homme africain est le premier à être entré dans l’Histoire ».

Au XXIe siècle, selon les oracles économiques, l’Afrique décolle enfin, devenant le dernier « marché émergent », alors que la crise frappe le monde et surtout l’Europe.

« Au monde méditerranéen qui n’a pas cessé depuis des siècles d’être écartelé entre l’esprit des croisades et l’esprit du dialogue, qui n’a pas cessé d’être tiraillé entre la haine et la fraternité, qui n’a pas cessé d’hésiter finalement entre la civilisation et la barbarie, je veux dire que le temps n’est plus au dialogue puisqu’il est à l’action, qu’il n’est plus temps de parler parce qu’il est venu le temps d’agir. »3426

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Discours de Tanger, 23 octobre 2007

On retrouve les accents à la Guaino du dernier discours de Dakar et le projet euro-méditerranéen du discours de Toulon, le 7 février dernier.

« Ce qui se joue là est absolument décisif pour l’équilibre du monde. Pas seulement décisif pour l’avenir des peuples riverains, décisif pour l’avenir de l’humanité. En Méditerranée, se décidera si oui ou non les civilisations et les religions se feront la plus terrible des guerres. En Méditerranée se décidera de savoir si oui ou non le Nord et le Sud vont s’affronter, en Méditerranée se décidera de savoir si oui ou non le terrorisme, l’intégrisme, le fondamentalisme réussiront à imposer au monde leur registre de violence et d’intolérance. Ici on gagnera tout, ou on perdra tout.
Car l’avenir de l’Europe, je n’hésite pas à le dire, il est au Sud. En tournant le dos à la Méditerranée, l’Europe se couperait non seulement de ses sources intellectuelles, morales, spirituelles, mais également de son futur. Car c’est en Méditerranée que l’Europe gagnera sa prospérité, sa sécurité, qu’elle retrouvera l’élan que ses pères fondateurs lui avaient donné. C’est à travers la Méditerranée que l’Europe pourra de nouveau faire entendre son message à tous les hommes. »

Bien au-delà du projet avorté de l’Union pour la Méditerranée (UPM), c’est peu dire que le suspense reste entier dans les années suivantes, sur fond de révolutions arabes, de guerres africaines et de terrorisme djihadiste.

24. François Hollande revient sur l’Algérie et ce passé encore si présent.

« Sommes-nous capables d’écrire ensemble une nouvelle page de notre histoire ? Je le crois. Je le souhaite. Je le veux. Rien ne se construit dans la dissimulation, dans l’oubli et encore moins dans le déni »3500

François HOLLANDE (né en 1954), 20 décembre 2012, à la tribune du Parlement algérien, cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie

Hollande fait son métier de président, dans cet exercice incontestablement délicat et obligatoirement consensuel.

Pas question de repentance, pour éviter la polémique à son retour en France. Mais il y a publiquement reconnaissance des crimes coloniaux : « Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Ce système a un nom : c’est la colonisation. Et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. »

C’est un discours sur l’histoire, un discours pour l’histoire, dans le but de solder le passé compliqué de la France et de l’Algérie, avec un appel au devoir de vérité qui pêche par un certain anachronisme, inévitable sur ce thème de la colonisation.

L’attente des parlementaires algériens n’est pas totalement comblée, l’accueil populaire pas délirant, mais le minimum a été fait et bien fait, constate la presse. Même constat, sur un point concret, ô combien important : le président français a promis de « mieux accueillir » les Algériens demandant des visas pour se rendre en France, tout en rappelant la nécessité d’équilibrer les flux migratoires. Après six mois de présidence, Hollande se montre plus à l’aise à l’international que dans les débats franco-français d’ordre politique, économique, social ou sociétal. Qui l’eût cru ?

25. Soixante ans après, Emmanuel Macron en fin de mandat évite les mots polémiques, multiplie les gestes symboliques et tente de réconcilier les mémoires françaises et algériennes.

Vous avez aimé ces citations commentées ?

Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

Partager cet article

L'Histoire en citations - Gaule et Moyen Âge

L'Histoire en citations - Renaissance et guerres de Religion, Naissance de la monarchie absolue

L'Histoire en citations - Siècle de Louis XIV

L'Histoire en citations - Siècle des Lumières

L'Histoire en citations - Révolution

L'Histoire en citations - Directoire, Consulat et Empire

L'Histoire en citations - Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

L'Histoire en citations - Second Empire et Troisième République

L'Histoire en citations - Seconde Guerre mondiale et Quatrième République

L'Histoire en citations - Cinquième République

L'Histoire en citations - Dictionnaire