Galerie présidentielle (I. Première et Deuxième Républiques) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

25 Présidents (avec ou sans majuscule selon les sources et l’usage) figurent en tête d’affiche dans ce résumé de la République française.

Présents dans notre Histoire en citations, les passer ainsi en revue à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril 2022 est une manière originale de revisiter l’histoire de France depuis la Révolution.

« La royauté est abolie en France. »1439

Convention, décret du 21 septembre 1792. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1900), Assemblée nationale

C’est la fin de la monarchie millénaire, votée à l’unanimité des 749 députés.

La Première République est proclamée le 22 septembre 1792, mais la Constitution de l’An I (1793) ne prévoit pas de président et ne sera jamais appliquée. Deux députés (montagnards), responsables politiques ayant tout pouvoir, sont chefs de l’exécutif sous la Terreur improvisée de fait et bientôt décrétée : Danton puis Robespierre.

Consulat et Empire, Restauration et Monarchie de juillet se succèdent jusqu’à la Deuxième République :  stupéfiant faux départ présidentiel avec Louis-Napoléon Bonaparte, bien élu au suffrage universel (masculin), mais qui mène droit à la dictature sous le Second Empire.

La République s’installe enfin sous la Troisième, non sans problèmes et paradoxes !

Le président est élu par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale – on se méfie du suffrage universel. Le régime est d’abord présidentiel : pouvoir au président Mac-Mahon, maréchal de France et monarchiste à l’image du pays. Il tourne vite au régime parlementaire : pouvoir aux députés avec tous ses défauts, dans une France devenue majoritairement républicaine.

Sous la Seconde guerre mondiale, le gouvernement de Vichy instaure une dictature de quatre ans.

En 1946, la France revient à la République parlementaire sous la Quatrième. 

De Gaulle appelé au pouvoir pour résoudre le drame algérien crée la Cinquième République… évidemment présidentielle. L’élection du chef de l’État au suffrage universel, due à un fait divers en 1962, va changer la vie politique. Les Français tiennent à cette élection, même si certains souhaitent une Sixième République.

Cet édito en six semaines fait écho à l’actualité, offrant en même temps un triple intérêt : portrait de 25 personnages tous différents et chacun reflet de leur époque ; rappel des événements dramatiques auxquels tout président est fatalement confronté ; fonctionnement de nos institutions en perpétuel devenir, sinon « en crise ».

Dernière leçon de l’histoire, la présidence est une place enviée, mais le métier n’est pas de tout repos, vu le nombre de démissions, assassinats et autres décès prématurés en cours de mandat. Au final, la majorité des présidents ne se représente pas à l’élection.

I. Première et Deuxième Républiques : naissance chaotique du régime et premiers paradoxes présidentiels.

Première République (Révolution).

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »1514

Constitution du 24 juin 1793, article 35

La Constitution de l’an I (ou Constitution de 1793) est élaborée en deux semaines par la Convention, troisième et dernière assemblée révolutionnaire. Elle crée un régime républicain très démocratique et décentralisé. Adoptée par référendum populaire en juillet 1793, promulguée le 10 août, jour anniversaire de la chute de la royauté en France, elle est littéralement « extraordinaire » à divers titres.

1/ Elle ne prévoit pas de président de la République. Le pouvoir est confié à un Conseil exécutif de 24 membres choisis par le Corps législatif sur les listes de candidats élus par les citoyens et nommés par chaque département, renouvelés à chaque législature (annuelle) et agissant toujours sous la surveillance des députés. C’est dire la démocratisation (et la dilution) du pouvoir.

2/ Elle proclame de nouveaux droits économiques et sociaux très concrets : droit au travail, droit aux secours, droits à l’instruction. Il faudra plus d’un siècle pour les concrétiser. Avec le droit de vote reconnu à l’ensemble des citoyens, elle  consacre la souveraineté populaire : suffrage universel, mais réservé aux hommes. Et le vote est public – ce qui explique la très forte abstention au referendum approuvant la Constitution. Le vote secret est réellement plus démocratique.

3/ Elle crée aussi le droit à l’insurrection, par le fameux article 35 qui étonne toujours les constitutionnalistes. Inspiré de Rousseau, il est inapplicable : « Le droit à l’insurrection, incontestable en théorie, est en fait dépourvu d’efficacité. La loi constitutionnelle d’un pays ne peut le reconnaître sans jeter dans ce pays un ferment d’anarchie. C’est ce qui faisait dire à Boissy d’Anglas que la Constitution de 1793 avait organisé l’anarchie. » (Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel).

4/ Cette Constitution ne sera jamais appliquée, ce qui lui confère toujours un certain prestige dans les milieux de gauche. Le 10 octobre 1793, la Convention consacre l’établissement d’un gouvernement révolutionnaire dans le cadre d’un état d’exception : « Le gouvernement provisoire de la France sera révolutionnaire jusqu’à la paix ». La guerre intérieure (la Terreur), la guerre extérieure et le renversement de la Convention montagnarde en juillet 1794 sonnèrent le glas de son application.

Deuxième République.

Président n°1. Louis-Napoléon Bonaparte.

« Les Bonaparte, c’est tout de même un clan qui se remplit les poches, se distribue les couronnes, et qui, en 1851, s’attable pour le deuxième service. »2144

François MAURIAC (1885-1970), Bloc-notes, IV (1965-1967) dans le journal L’Express

On ne saurait mieux résumer l’irrésistible ascension du neveu de Napoléon qui deviendra empereur sous le nom de Napoléon III (après l’Aiglon, éphémère Napoléon II) et finira comme son illustre aîné, abdiquant suite au désastre militaire à Sedan (1870). « L’histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète » (Paul Morand, Fermé la nuit, 1923).

« L’idée napoléonienne n’est point une idée de guerre, mais une idée sociale, industrielle, commerciale, humanitaire. »2100

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Idées napoléoniennes (1839)

Sous l’influence des saint-simoniens et des séjours qu’il fit en Angleterre, entre deux coups de force (Strasbourg en 1836 et Boulogne en 1840), il s’intéresse aux problèmes économiques et sociaux qui agitent la France et se présentera plus tard comme le protecteur du monde ouvrier.

Hugo qui l’a d’abord soutenu dans sa course à la présidence, devenu ensuite son plus farouche opposant, mettra toujours en doute la sincérité de cet engagement social. Dans son pamphlet contre « Napoléon le Petit », il reproduira un billet joint à l’ouvrage envoyé à l’un de ses amis : « Lisez ce travail sur le paupérisme et dites-moi si vous pensez qu’il soit de nature à me faire du bien. »

Impossible de trancher sur sa sincérité socialiste, ce « détail de l’histoire » dont les historiens discutent encore. Optons pour une sympathie démocrate qui se situe dans l’air du temps et qui pourra toujours servir, le temps venu. 

« La pauvreté ne sera plus séditieuse, lorsque l’opulence ne sera plus oppressive. »2118

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), L’Extinction du paupérisme (1844)

Le prince qui gouvernera bientôt la France (président, puis empereur) n’est encore qu’un évadé du fort de Ham. Il y a passé six ans, après sa tentative de coup d’État à Boulogne, et a réussi à fuir en Angleterre, déguisé en maçon sous le nom de Badinguet – surnom qui restera ironiquement et parfois cruellement attaché à sa personne fort chansonnée.

Il a profité de sa captivité (certes confortable) pour exposer ses théories économiques largement influencées par le socialisme utopique de Saint-Simon – Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (arrière-cousin du duc de même nom, célèbre mémorialiste du règne de Louis XIV). Philosophe et économiste admiré d’un petit cénacle qui, après sa mort, diffusera sa pensée tout en la déformant, précurseur de la science sociale politisée (déjà théorisée par Montesquieu), il met tous ses espoirs dans le développement de l’industrie et dénonce l’injustice de la société : « L’homme a jusqu’ici exploité l’homme. Maîtres, esclaves ; patricien, plébéien ; seigneurs, serfs ; propriétaires, fermiers ; oisifs et travailleurs. » Doctrine de Saint-Simon : Exposition. Première année (1829).

Beau résumé de toute l’histoire du monde des origines à nos jours… et du socialisme à la française, aux accents messianiques, vingt ans avant le marxisme. Saint-Simon est mort. Mais avec les saint-simoniens se constitue en France une forme de mouvement socialiste, à la veille de la Révolution de 1830 : il ne rassemble encore qu’une infime élite, destinée à se diversifier et s’élargir, à Paris comme en province, dans l’atmosphère des lendemains révolutionnaires du siècle.

« Haine vigoureuse de l’anarchie, tendre et profond amour du peuple. »2178

Victor HUGO (1802-1885), devise de L’Événement (juillet 1848 à septembre 1851)

La formule est empruntée à l’un de ses discours électoraux de mai 1848. Le poète a renoncé au théâtre (après l’échec des Burgraves) et entre sur la scène politique sous la Deuxième République. Élu par la bourgeoisie le 4 juin, favorable à la fermeture des Ateliers nationaux et partisan résolu de la répression des journées insurrectionnelles, Hugo demeure pourtant profondément libéral. Tout en refusant le socialisme, il s’opposer au gouvernement Cavaignac qui, avec le parti de l’Ordre, menace la liberté de la presse et multiplie les mesures répressives.

Dans son journal, créé avec l’aide de son ami Émile de Girardin, grand patron de presse, il dicte ou écrit la plupart des articles, même s’il ne signe pas. Il a deux buts précis et corollaires : promouvoir sa propre candidature à la présidence de la République et défendre le suffrage universel pour cette élection à venir. Au passage, il attaque le général, qui est candidat et très populaire : « M. Cavaignac n’a encore remporté de victoires que contre les talents et les libertés. De pareils Austerlitz sont toujours des Waterloo ! »

Mais dès le mois d’octobre, influencé par Girardin, Hugo renonce à se présenter, pour mettre L’Événement au service du prince Louis-Napoléon qui lui apparaît comme la solution au drame du pays. Cette grave erreur de stratégie politique aura de grandes conséquence politiques et expliquera en partie sa haine contre le nouvel homme fort de la France.

« Toute ma vie sera consacrée à l’affermissement de la République. »2179

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours du 21 septembre 1848. Napoléon le Petit (1852), Victor Hugo

Le futur Napoléon III fait un pas de plus dans l’histoire.

Juin 1848, première élection surprenante : Louis-Napoléon Bonaparte qui ne se présentait pas, sans même revenir en France et sur la seule force de la légende napoléonienne ravivée (entre autres) par Hugo, est élu dans quatre départements (Charente, Corse, Seine et Yonne), mais pense qu’il est encore urgent d’attendre son heure, craignant le vote d’une loi d’exil s’il rentre en France. Il démissionne donc.

De nouvelles élections intermédiaires sont nécessaires pour remplir des sièges restés libres. Réélu en septembre dans cinq départements, il choisit l’Yonne, décide de se présenter à la présidence de la République et commence à faire campagne pour le scrutin présidentiel, fixé aux 10 et 11 décembre.

« Bonjour, aimable République,
Je m’appelle Napoléon […]
Pour votre époux, me voulez-vous ? […]
Je vous mettrai tout sens dessus dessous,
Avec moi vous aurez l’Empire,
République, marions-nous ! »2180

Le Prétendu de la République (1848), chanson anonyme. La Nouvelle critique : revue du marxisme militant, nos 138 à 141 (1962)

Une partie du peuple se moque déjà de lui, avec un humour prophétique. Les professionnels de la politique et la presse vont sous-estimer l’homme – ou le pouvoir du nom. Les deux peuvent le servir ou le desservir, selon le hasard ou le destin.

« Laissez le neveu de l’empereur s’approcher du soleil de notre République ; je suis sûr qu’il disparaîtra dans ses rayons. »2181

Louis BLANC (1811-1882). Histoire parlementaire de l’Assemblée nationale, volume II (1848), F. Wouters, A.J.C. Gendeblen

Comme quoi un bon historien peut faire gravement erreur sur son temps ! C’est la République qui va bientôt disparaître devant l’Empire restauré. Il est vrai que les premiers témoins n’ont pas cru dans le destin du nouvel homme qui paraît particulièrement falot.

Louis Blanc fait ici allusion à une déclaration du candidat empruntant au lyrisme hugolien : « L’oncle de Louis-Napoléon, que disait-il ? Il disait : « La république est comme le soleil. » »

« La tribune est fatale aux médiocrités et aux impuissants. Nous ne voulons pas être trop cruels envers un homme condamné à cet accablant contraste, en sa propre personne, d’une telle insuffisance et d’un tel nom. »2182

Le National, 10 octobre 1848. Louis Napoléon le Grand (1990), Philippe Séguin

La veille, Louis-Napoléon Bonaparte est interpellé par les députés sur ses intentions. Un témoin raconte qu’« il avait le regard mal assuré, comme un écolier qui n’est pas certain d’avoir bien récité sa leçon ». Lors de sa première présentation au palais Bourbon, le 26 septembre, le nouveau député de l’Yonne avait déjà fait mauvaise impression, montant à la tribune pour lire un papier chiffonné, parlant de ses « compatriotes » avec un fort accent étranger (il a longtemps vécu en Angleterre).

Verdict de Ledru-Rollin : « Quel imbécile, il est coulé ! » Et Lamartine l’appelle « un chapeau sans tête ». Deux mois plus tard, il va être humilié, ridiculisé par le nouvel homme politique.

« Une Chambre ressemble trop à un théâtre où les grands acteurs seuls peuvent réussir. »2183

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Améliorations à introduire dans nos mœurs et nos habitudes parlementaires (1856)

En ces temps de grande éloquence, il est conscient de ses insuffisances à la tribune, ce qui est déjà preuve d’intelligence. Le talent lui venant en parlant, il se révélera, au fil des discours et des années, un vrai personnage public et populaire – au-delà de la propagande qu’il apprendra aussi à maîtriser, comme son illustre ancêtre.

« Oui, quand même le peuple choisirait celui que ma prévoyance, mal éclairée peut-être, redouterait de lui voir choisir, n’importe : Alea jacta est ! Que Dieu et le peuple prononcent ! »2185

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Assemblée constituante, 4 novembre 1848. Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Homme de principe, fidèle à son idéal démocratique et malgré le risque croissant de voir Louis-Napoléon Bonaparte au pouvoir, Lamartine défend le suffrage universel en ces termes lyriques : « Il faut laisser quelque chose à la Providence ! Elle est la lumière de ceux qui, comme nous, ne peuvent pas lire dans les ténèbres de l’avenir ! Invoquons-la, prions-la d’éclairer le peuple, et soumettons-nous à son décret. » Inscrit dans la Constitution du 12 novembre, le suffrage universel va lui être cruellement fatal.

« Si je réussissais, je serais obligé d’épouser la République et je suis trop honnête garçon pour épouser une si mauvaise fille ! »2186

Adolphe THIERS (1797-1877), refusant de se porter candidat à la présidence. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume VI (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Le voir à la présidence était le souhait du parti de l’Ordre qui regroupe des monarchistes (légitimistes et orléanistes) et des républicains conservateurs, voire modérés, unis par leur opposition au socialisme.

Même refus de Bugeaud, le maréchal qui a un nom, un prestige. Lamartine s’étant déconsidéré aux yeux de ses anciens partisans, le parti de l’Ordre se rabat sur le troisième homme : Louis-Napoléon Bonaparte. Et Thiers de conclure : « Sans affirmer que la nomination de M. Louis Bonaparte soit le bien, elle paraît à nous tous, hommes modérés, un moindre mal. » C’est avec de tels arguments que se joue une élection…

« Il faut s’avouer impuissant devant cette fatalité politique d’un nouvel ordre dans l’histoire : le suffrage universel. »2187

George SAND (1804-1876), Lettre à Joseph Mazzini, novembre 1848, Correspondance (posthume)

« Je travaille, j’attends le 10 décembre comme tout le monde. Il y a là un gros nuage, ou une grande mystification, et il faut s’avouer impuissant… » La dame de Nohant semble résignée, comme Lamartine. Et le peuple chansonne toujours, son arme favorite étant l’humour.

« Je suis Corse d’origine,
Je suis Anglais pour le ton,
Suisse d’éducation
Et Cosaque pour la mine […]
J’ai la redingote grise,
Et j’ai le petit chapeau ;
Ce costume est assez beau,
On admire cette mise.
Seul le génie est absent
Pour faire un bon président. »2188

Complainte de Louis-Napoléon pour compléter sa profession de foi (1848), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Il dut souffrir de toutes ces chansons qui le brocardèrent, déjà en « Ratapoil », bientôt en « Badinguet » et autres surnoms. Selon Hugo : « Peu lui importe d’être méprisé, il se contente de la figure du respect » (Napoléon le Petit).

Bien que chansonné et ridiculisé, sous-estimé, malmené, le candidat à la présidence de la République a désormais toutes ses chances : porté par la légende napoléonienne qui enchante le peuple et l’a déjà fait député, il rassure les bourgeois qui ont vu de près le « péril rouge », lors des dernières émeutes.

« Surtout n’ayez pas peur du peuple, il est plus conservateur que vous. »2142

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Du système électoral. Questions de mon temps : 1836 à 1856 (1865), Émile de Girardin

Paroles du principal gagnant de cette République numéro deux, qui va être élu président, avant d’être plébiscité empereur. Cité et approuvé par le grand patron de presse, Girardin.

C’est fort bien vu dans la France de l’époque et l’heure venue, il saura se présenter comme le champion du suffrage universel. Rétabli le 5 mars 1848, c’est la grande conquête de la Révolution de 1848, mais la France est-elle prête ? Sans préparation, sans transition, le nouveau régime substitue aux intérêts de la classe dirigeante les sentiments et les passions du peuple. Pas de géant vers la démocratie, le suffrage universel est, selon le juriste Marcel Prélot, « politiquement une surprise ; psychologiquement une anticipation ; techniquement une inconnue ». La réponse est donnée par les faits – dont on peut ensuite discuter en historien ou politologue.

« Le citoyen Bonaparte élu président de la République. »2189

Armand MARRAST (1801-1852), président de l’Assemblée constituante, Déclaration du 20 décembre 1848. Napoléon III (1969), Georges Roux

Résultats du scrutin des 10 et 11 décembre, proclamés lors d’une séance solennelle à l’Assemblée. Triomphe pour le « citoyen Bonaparte », élu au suffrage universel par 75 % des votants, (5,5 millions de voix masculines). Déroute de Lamartine qui n’était candidat que de lui-même (17 914 voix). Les voix républicaines se sont dispersées entre Cavaignac (1,4 million de modérés), Ledru-Rollin (370 000 démocrates) et Raspail (moins de 37 000 socialistes révolutionnaires), trois candidats relativement ignorés hors Paris et la minorité éclairée.

Devenu le premier Président de la République française, Louis-Napoléon Bonaparte s’installe au palais de l’Élysée, ancien hôtel particulier de la marquise de Pompadour. C’est déjà le monarque républicain dont on parle toujours sous la Cinquième République.

Mais qui sont réellement les électeurs de ce candidat qu’on pourrait dire « antisystème » et « populiste » avant la lettre ? Ils viennent de tous les milieux, ouvriers et paysans, socialistes et conservateurs : citoyens lassés du parlementarisme bourgeois et bien-pensant qui prône de grands principes, mais n’a pas de scrupules à opprimer, voire massacrer, les ouvriers et les chômeurs. Mêmes causes et mêmes effets, le phénomène se reproduira jusqu’à nos jours et pas seulement en France. L’Histoire se répète.

« Le 10 décembre 1848 fut le jour de l’insurrection des paysans. »2190

Karl MARX (1818-1883). La Vie politique en France 1848-1879 (1969), René Rémond

La victoire du nom de Bonaparte, si soudaine, née du tout nouveau suffrage universel, c’est la revanche de la France profonde et de l’opinion inorganisée sur les partis, la presse, les professionnels de la politique. Marx qui a séjourné à Paris à plusieurs reprises et brièvement en 1848, va demeurer très attentif aux événements de France, notamment lors de la Commune en 1871.

« Monsieur de Lamartine […] est bien toujours le même, un pied dans chaque camp et sur chaque rive, un vrai colosse de Rhodes, ce qui fait que le vaisseau de l’État lui passe toujours entre les jambes. »2191

Auguste BLANQUI (1805-1881), Critique sociale (1885)

Lamartine va bientôt quitter la scène politique et vivre ses vingt dernières années en « galérien de la plume » : pas assez riche pour s’exiler comme Hugo ni pour se draper dans sa dignité d’opposant comme Chateaubriand, il est condamné à des travaux forcés littéraires pour éponger ses dettes, obligé de vendre sa propriété de Milly, et devra même solliciter de l’Empire un secours d’abord refusé. Sa famille refusera les funérailles nationales, en 1869.

« En présence de Dieu et devant le peuple français représenté par l’Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la république démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les devoirs que m’impose la Constitution. »2192

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Assemblée constituante, 20 décembre 1848. Les Hommes de 1851 : histoire de la présidence et du rétablissement de l’Empire (1869), Auguste Vermorel

Trois ans plus tard, ce sera le coup d’État présidentiel pour rester au pouvoir contre la Constitution qui lui interdit de se faire réélire – et un an après, ce sera l’Empire.

Victor Hugo dit de lui dans Napoléon le Petit : « Cet homme ment comme les autres hommes respirent. Il annonce une intention honnête, prenez garde ; il affirme, méfiez-vous ; il fait un serment, tremblez. Machiavel a fait des petits. Louis Bonaparte en est un. »

« Plus ça change, plus c’est la même chose. »2193

Alphonse KARR (1808-1890), titre de deux recueils d’articles, Les Guêpes, janvier 1849

Le journaliste multiplie les pamphlets dans sa revue de satire politique, sans savoir à quel point l’avenir va lui donner raison. « L’histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète », écrira Paul Morand (Fermé la nuit). On dit aussi qu’elle bégaie. En vertu de quoi la République, bientôt volée aux républicains, débouchera donc sur l’Empire.

« Née de l’émeute, comme la Monarchie de Juillet, la deuxième République se mettait tout de suite de l’autre côté de la barricade. »2194

Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France

La tendance s’affirme avec la nouvelle assemblée. La Législative, élue au suffrage universel le 13 mai 1849, montre l’opinion partagée entre deux grands courants. Le parti de l’Ordre, conservateur, a 53 % des voix et quelque 500 élus (légitimistes, orléanistes, républicains modérés et bonapartistes). Les démocrates-socialistes, avec à leur tête Ledru-Rollin, ont 35 % des voix et quelque 180 élus. Un troisième groupe, dit des républicains de la veille (tendance du journal Le National), obtient 70 députés avec 12 % des voix. Le jeu des partis recommence – apprentissage républicain qui n’en finit pas de se renouveler, la Troisième République en donnera un exemple caricatural, et les Républiques suivantes ne seront pas en reste.

Malgré leur majorité, les conservateurs s’inquiètent du succès des démocrates dans certaines villes (dont Paris), quelques régions industrielles (autour de Lyon, Saint-Étienne) et même rurales (au nord du Massif Central).

« C’est l’absence des femmes qui permet aux hommes d’aborder journellement les questions sérieuses. »2196

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Améliorations à introduire dans nos mœurs et nos habitudes parlementaires (1856)

Parler ici de misogynie est une évidence, mais accuser l’auteur serait pécher par anachronisme. À l’époque, même une féministe comme George Sand repousse l’idée de la femme entrant en politique. Et le très socialiste Proudhon renchérit.

Il faut attendre encore un siècle et le préambule de la Constitution de 1946 pour que soit reconnu en France le principe de l’égalité des droits entre hommes et femmes dans tous les domaines - y compris le vote et l’éligibilité. En cela du moins, l’histoire républicaine progresse dans un sens véritablement démocratique.

« Il est temps que les bons se rassurent et que les méchants tremblent. »2199

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), président de la République, justifiant la condamnation de Ledru-Rollin et vingt autres montagnards, juin 1849. Formule reprise en 1858, après l’attentat d’Orsini, par le général Espinasse (1815-1859), ministre de l’Intérieur et de la Sûreté générale.
Mémoires du duc de Persigny (1896).

Suite à la manifestation du 13 juin qui a dégénéré en émeute, le président précise : « Ce système d’agitation entretient dans le pays le malaise et la défiance qui engendrent la misère ; il faut qu’il cesse. »

Ce langage ne peut que plaire à un peuple éprouvé par les événements et cette dernière insurrection n’a pas trouvé un réel appui populaire. Le gouvernement, ayant la majorité à la Chambre, en profite pour liquider l’opposition démocratique : dix journaux suspendus, état de siège décrété à Paris et à Lyon, clubs fermés, députés d’opposition déchus. Ledru-Rollin, qui a réussi à passer en Angleterre, terre d’accueil, va prendre contact avec d’autres révolutionnaires européens (Kossuth le Hongrois, Mazzini l’Italien, Ruge l’Allemand).

« On craint une folie impériale. Le peuple la verrait tranquillement. »2200

Élise THIERS (1818-1880), née Dosne. Napoléon III (1969), Georges Roux

L’épouse de Thiers témoigne, ayant vu Louis-Napoléon Bonaparte passer en revue les troupes le 4 novembre 1849.

Le président est particulièrement populaire dans l’armée, pas seulement en raison de son Nom : il multiplie les grandes revues, augmente la solde des sous-officiers. Celui qu’on commence à appeler le « prince Louis-Napoléon » mène une politique personnelle, se fait acclamer en province, crée son propre parti, ses journaux. Les craintes de Mme Thiers sont justifiées et la carrière de son mari, républicain de la première heure (dans l’opposition libérale depuis la fin de la Restauration) marquera un temps d’arrêt sous le Second Empire.

« C’est parce que je veux la souveraineté nationale dans toute sa vérité que je veux la presse dans toute sa liberté. »2206

Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, 9 juillet 1850. Les Médias (2004), Francis Balle

Le défenseur des libertés s’oppose ici à la loi sur la presse qui va rétablir le timbre et le cautionnement, le 16 juillet. Le prince qui gouverne chaque jour un peu plus la France déplaît chaque jour davantage à Hugo qui a commis l’erreur impardonnable de le soutenir.

« Situation grave pour le cabinet.
Que faire ? Comment sortir de là ?
Le bon sens répond : par la porte.
Le gouvernement dit : par une loi. »2207

Victor HUGO (1802-1885), Avant l’exil (discours 1841-1851)

À propos de la loi sur la presse votée le 16 juillet 1850. Cela pourrait s’appliquer aux autres lois réactionnaires qu’il fustige et qui passent, mais qui vont réveiller en lui l’homme de gauche et en faire le député d’opposition le plus farouche et le plus éloquent.

« L’élu de six millions de suffrages exécute les volontés du peuple, il ne les trahit pas. »2208

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours de Lyon, 15 août 1850. Le Prince, le peuple et le droit : autour des plébiscites de 1851 et 1852 (2000), Frédéric Bluche

Étape d’un voyage triomphal de six mois à travers la France.

Fort des 75 % de Français qui l’ont élu président de la République au suffrage universel le 10 décembre 1848, il réussit à se poser en défenseur dudit suffrage et donc de la vraie démocratie, contre la Chambre et ses conservateurs avec lesquels il prend ses distances.

C’est bien joué, pour celui qu’on qualifiait deux ans avant d’imbécile et d’impuissant. Il apprend son métier. Ajoutons que la propagande est parfaitement organisée : par ses hommes (fidèles bonapartistes comme Persigny, libéraux non ralliés au parti de l’Ordre, hommes d’affaires, banquiers, et Morny son demi-frère), par ses journaux (Le Pays, Le 10-Décembre, Le Napoléon) et par son parti (noyauté par la Société du 10-Décembre) regroupant boutiquiers, ouvriers, petits rentiers qui assurent une claque bruyante à chacune de ses apparitions.

« L’an passé, ils adoraient le sabre. Les voilà maintenant qui adorent le gourdin. »2209

Victor HUGO (1802-1885), mots prémonitoires, datés de novembre 1849. Actes et Paroles. Avant l’exil (1875), Victor Hugo

Hugo constate les progrès de l’autorité et l’irrésistible ascension du prince Louis-Napoléon. Le premier Bonaparte a eu sa campagne d’Italie, le second s’offre une campagne de France. La « folie impériale » redoutée par Mme Thiers se précise.

« Si l’Assemblée cède, il n’y aura plus qu’un pouvoir […] Le mot viendra plus tard : l’Empire est fait. »2210

Adolphe THIERS (1797-1877), Assemblée législative, 3 janvier 1851. Annuaire historique universel ou Histoire politique pour 1818-61 (1853), Charles-Louis Lesur

Louis-Napoléon Bonaparte voit venir le jour où, la Constitution lui interdisant de se faire réélire (article 45), il devra quitter le pouvoir. Changarnier, à la fois député, commandant de l’armée de Paris et commandant de la garde nationale, craint le coup de force et le dénonce à la Chambre, dans un discours provocant. Thiers, conservateur, mais républicain, soutient Changarnier. Avec son intelligence politicienne, il encourage la Chambre à résister : elle l’écoute et vote un ordre du jour de défiance.

« Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot : la police partout, la justice nulle part. »2211

Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, avril 1851. L’Évolution de la pensée politique et sociale de Victor Hugo (1973), Michel Granet

Le parti de l’Ordre est devenu impopulaire, par ses lois trop réactionnaires ; les monarchistes sont divisés sur le nom d’un candidat, après la mort de Louis-Philippe (26 août 1850). Louis-Napoléon Bonaparte se pose en homme providentiel et sait se rallier un nombre grandissant de partisans.

Hugo qui avait mis son journal, L’Événement, au service de sa candidature, est désormais son principal opposant. Le libéral en lui est révolté : le président de la République manipule l’opinion et exploite à son profit la peur – peur de la révolution, peur d’un vaste complot démocratique, peur de l’incertitude née de la Constitution qui empêche sa réélection en 1852. Des troubles dans le pays affolent le bourgeois.

« Quels que soient les devoirs que le pays m’impose, il me trouvera décidé à suivre sa volonté. »2212

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours de Dijon, 12 juin 1851. Paris en décembre 1851 : étude historique sur le coup d’État (1868), Eugène Ténot

Coup classique, mais bien mis en scène et qui aurait pu réussir ! Le président veut obtenir la révision de la Constitution, seule voie légale pour lui, seule solution, assure-t-il, pour le pays. Campagne de pétitions, propagande efficace : 1 123 000 signatures parviennent à l’Assemblée.

« Belle dame, voulez-vous accepter mon bras ?
— Votre passion est trop subite pour que je puisse y croire ! »2213

Honoré DAUMIER (1808-1879), légende d’une caricature (1851). Honoré Daumier : témoin de la comédie humaine (1999), Pierre Cabanne

Dessinateur et peintre de grand talent, il reste célèbre pour son art de la caricature rendue très populaire par la presse. Pour l’heure, Ratapoil (Louis-Napoléon Bonaparte) offre son bras à la République, pour des noces reconduites. Mais le geste est suspect et cache d’autres ambitions.

« La Révolution et la République sont indivisibles. L’une est la mère, l’autre est la fille. L’une est le mouvement humain qui se manifeste, l’autre est le mouvement humain qui se fixe. La République, c’est la Révolution fondée […] On ne sépare pas l’aube du soleil. »2214

Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, Discours du 17 juillet 1851. Actes et Paroles. Avant l’exil (1875), Victor Hugo

Discours violent et célèbre, prononcé devant une assemblée houleuse. Hugo est contre la révision de la Constitution qui est débattue. Le 19 juillet, elle ne réunit que 446 voix contre 270. Il fallait la majorité des trois quarts (543 voix). L’article 45 interdisant la rééligibilité est donc maintenu. Cette fois, les députés n’ont pas été dupes, la manœuvre présidentielle a échoué.

Louis-Napoléon Bonaparte n’a plus le choix ! Il prépare son coup d’État avec soin, avec ses hommes bien placés dans l’armée, la police. Il prépare aussi l’opinion, entretient la peur, dénonce l’imminence du complot : Le Spectre rouge de 1852, brochure signée Romieu, en dit assez par son titre.

« Le propre de la démocratie est de s’incarner dans un homme. »2215

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), à la veille du coup d’État. Le Second Empire : innovation et réaction (1973), Alice Gérard

2 décembre 1851, le jour est choisi : c’est l’anniversaire d’Austerlitz, la plus éclatante victoire de l’épopée napoléonienne. On est superstitieux, dans la famille (corse d’origine).

Louis-Napoléon Bonaparte a voulu personnellement et ardemment ce coup d’État, mais cet homme plus torturé qu’il ne paraît en ressentira plus tard une réelle culpabilité : c’est sa « tunique de Nessus », dira l’impératrice Eugénie.

« Une opération de police un peu rude. »2216

Duc de MORNY (1811-1865), ministre de l’Intérieur (et demi-frère de Louis-Napoléon) qualifiant le coup d’État du 2 décembre 1851. Mot attribué plus tard, selon certaines sources, à l’écrivain Eugène-Melchior de VOGÜÉ (1848-1910). Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Dans la nuit du 1er au 2, il y a bal à l’Élysée. La troupe envahit le palais Bourbon, un « Appel au peuple et aux soldats » s’affiche sur les murs avec deux décrets : état de siège, dissolution de l’Assemblée et rétablissement du suffrage universel ; appel des Français à un plébiscite pour reconnaître l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte.

Le 2, arrestation de députés, dispersion de manifestants, tandis qu’un Comité de résistance tente de soulever le peuple de Paris, animé par Hugo, Schœlcher (qui a fait abolir l’esclavage en mai 1848) et Jules Favre (avocat engagé à gauche qui avait soutenu le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte contre la Monarchie de Juillet en 1836).

« Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs. »2217

Alphonse BAUDIN (1811-1851), député, appelant le peuple à la lutte, sur une barricade de la rue Sainte-Marguerite, 3 décembre 1851. Histoire des crimes du 2 décembre (1852), Victor Schœlcher

(L’indemnité parlementaire est de 25 francs, alors que le salaire ouvrier atteint rarement 5 francs par jour).

Authentique homme de gauche, « médecin des pauvres », Baudin s’efforce de mobiliser la foule, mais les Parisiens se rappellent les journées sanglantes de juin 1848. Quelques barricades se dressent quand même, faubourg Saint-Antoine. Le député appelle un homme à la lutte, qui se dérobe : « Nous ne voulons pas nous faire tuer pour vous garder vos 25 francs par jour ! » D’où la réplique de Baudin. Un coup de feu part, la troupe riposte, Baudin tombe, mortellement blessé, à côté d’un ouvrier. La nouvelle de ces morts suscite d’autres barricades.

La journée du 3 décembre est une réaction contre le coup d’État du 2. Le 4 décembre, la troupe tire sur la foule, boulevard Poissonnière. Bilan : de 100 à 300 morts (selon les sources), dont beaucoup de femmes et d’enfants.

« Oui, le 2 décembre, autour d’un prétendant, se sont groupés des hommes que la France ne connaissait pas jusque-là, qui n’avaient ni talent, ni honneur, ni rang, ni situation […] de ces gens dont on peut répéter ce que Cicéron a dit de la tourbe qui entourait Catilina : un tas d’hommes perdus de dettes et de crimes ! »2218

Léon GAMBETTA (1838-1882). Histoire du Second Empire (1916), Pierre de la Gorce

Avocat de Delescluzes, il plaidera en ces termes le 14 novembre 1868, au procès d’opposants au régime impérial, coupables d’avoir lancé une souscription pour élever un monument au député Baudin, tombé sur une barricade en décembre 1851.

Hugo, exilé, rend compte du coup d’État du 2 décembre, dans L’Histoire d’un crime et Napoléon le Petit, pamphlet dénonçant les ambitions dictatoriales du nouveau maître de la France.

« La France a compris que je n’étais sorti de la légalité que pour entrer dans le droit. Plus de sept millions de suffrages viennent de m’absoudre… »2220

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), plébiscité les 21 et 22 décembre 1851. Napoléon III (1998), Georges Bordonove

Le pays (au suffrage universel rétabli) approuve massivement le coup d’État : 7 439 216 oui contre 640 737 non.

Il faut quand même signaler que le scrutin est sous haute surveillance et l’opinion publique systématiquement manipulée par la propagande officielle – aussi efficace que les réseaux sociaux, chaque époque ayant ses influenceurs.

« Qu’importe ce qui m’arrive ? J’ai été exilé de France pour avoir combattu le guet-apens de décembre […] Je suis exilé de Belgique pour avoir fait Napoléon le Petit. Eh bien ! je suis banni deux fois, voilà tout. Monsieur Bonaparte m’a traqué à Paris, il me traque à Bruxelles ; le crime se défend, c’est tout simple. »2221

Victor HUGO (1802-1885), Pendant l’exil (écrits et discours de 1852-1870)

Hugo a fui le 11 décembre 1851, pour éviter d’être arrêté. L’exil commence. Il va durer près de vingt ans, avant le triste retour au lendemain de l’abdication de l’empereur à Sedan, en pleine guerre, à la veille de la défaite et de la Commune.

« Louis Bonaparte […] ne connaissait qu’une chose, son but […] Toute sa politique était là. Écraser les républicains, dédaigner les royalistes. »2222

Victor HUGO (1802-1885), Histoire d’un crime (1877)

Ainsi résume-t-il la politique du nouvel homme fort qui dévoile son jeu, entre le coup d’État du 2 décembre 1851 et le rétablissement de l’Empire à son profit, en novembre 1852.

« Une constitution doit être faite uniquement pour la nation à laquelle on veut l’adapter. Elle doit être comme un vêtement qui, pour être bien fait, ne doit aller qu’à un seul homme. »2223

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873). Les Trois coups d’État de Louis Napoléon Bonaparte (1906), André Lebey

La Constitution de 1852, rédigée en quelques jours, promulguée le 14 janvier, est un sur-mesure pour Louis-Napoléon : le président reçoit « le gouvernement de la République française pour dix ans […] avec l’initiative et la promulgation des lois ».

On retrouve le système des deux assemblées, Corps législatif et Sénat, aux pouvoirs très réduits. C’est un « copié-collé » de la Constitution de l’an VIII, celle du Consulat né du coup d’État du 18 Brumaire. L’histoire, décidément, se répète. Cette fois, c’est clair.

« C’est le premier vol de l’Aigle ! »2224

André Marie Jean Jacques DUPIN (1783-1865), 22 janvier 1852. La Sarabande, ou Choix d’anecdotes, bons mots, chansons, gauloiseries, épigrammes, épitaphes, réflexions et pièces en vers des Français depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours (1903), Léon Vallée

Jouant sur le mot « vol », ce magistrat qui présida la Législative en 1849 et sera sénateur sous l’Empire, parle du décret pris par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, portant confiscation des biens de la maison d’Orléans, le 22 janvier 1852. Le même jour, Dupin démissionne de ses fonctions à la Cour de cassation.

« La censure quelle qu’elle soit me paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide ; l’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain. »2225

Gustave FLAUBERT (1821-1880), Lettre à Louise Colet (1852), Correspondance (posthume)

La répression a d’abord touché  la presse républicaine. La plupart de ses journaux ont disparu au lendemain du coup d’État. Suivent quatre décrets de février et mars 1852, qui enlèvent en fait toute liberté à la presse, placée sous contrôle du ministère de la Police.

« C’est beaucoup d’être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire et un principe d’autorité. »2227

François GUIZOT (1787-1874), Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (1858-1867)

Homme politique et historien, il résume l’alchimie du vote avec « la force du parti bonapartiste, ou pour dire plus vrai du nom de Napoléon », à l’occasion des élections au Corps législatif, le 29 février 1852. Les opposants n’ayant aucun moyen de faire campagne (pas une affiche imprimée, pas une réunion électorale !), ils obtiennent 800 000 voix et les candidats officiels plus de 5 millions. D’où 253 bonapartistes, face à 7 royalistes et 3 républicains.

De manière plus générale, la remarque de Guizot explique la facilité avec laquelle le futur empereur va arriver à son but, le pouvoir, et les difficultés que le régime connaîtra plus tard.

« L’Empire, c’est la paix. »2228

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours de Bordeaux, 9 octobre 1852. Dictionnaire des idées reçues (posthume, 1913), Gustave Flaubert

Le message déjà impérial est destiné aux puissances étrangères qui assistent à l’irrésistible ascension d’un nouveau Bonaparte et peuvent s’en inquiéter : « Par esprit de défiance, certaines personnes se disent : l’Empire, c’est la guerre. Moi, je dis… »

La présidence de la République assurée pour dix ans, ce n’était pas suffisant pour l’ambitieux qui a pris goût au pouvoir et gagné en assurance ! La propagande se remobilise.

Le 15 août, jour de la Saint-Napoléon, devient fête nationale. Et le prince refait sa « campagne de France », triomphalement accueilli aux cris de « Vive l’empereur ! » Les préfets veillent, actifs, dociles. Mais le personnage a incontestablement acquis autorité et popularité.

« Votre religion, comme la nôtre, apprend à se soumettre aux décrets de la Providence. Or, si la France est maîtresse de l’Algérie, c’est que Dieu l’a voulu, et la nation ne renoncera jamais à cette conquête. »2230

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Allocution à Abd el-Kader, 16 octobre 1852. Conquête de l’Algérie (1867), Céline Fallet

L’émir, en lutte contre la France poursuivant la conquête de l’Algérie commencée le 5 juillet 1830, a dû se rendre le 23 décembre 1847. Fait prisonnier, il est libéré ce 16 octobre par Louis-Napoléon. Le guerrier va renoncer à se battre, se retirant au Proche-Orient pour consacrer la fin de sa vie à l’étude et à la méditation religieuse.

« Représentant à tant de titres la cause du peuple et la volonté nationale, ce sera la nation qui, en m’élevant au trône, se couronnera elle-même. »2231

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Sénat, 4 novembre 1852. Recueil général des lois, décrets et arrêtés (1853)

Le message du prince-président s’adresse à la nation, invitée à un nouveau plébiscite. Les 21 et 22 novembre, la nation répond massivement oui : 7,8 millions de voix, contre 250 000 non.

Émile Zola explique les raisons de ce triomphe : « La société, sauvée encore une fois, se félicitait, se reposait, faisait la grasse matinée, maintenant qu’un gouvernement fort la protégeait et lui ôtait jusqu’au souci de penser et de régler ses affaires. La grande préoccupation de la société était de savoir grâce à quels amusements elle allait tuer le temps […] Paris se mettait à table et rêvait gaudriole au dessert. » Après Hugo, Zola sera l’auteur le plus populaire de son temps, avec le même engagement politique.

« Aidez-moi tous à asseoir sur cette terre, bouleversée par tant de révolutions, un gouvernement stable qui ait pour base la religion, la propriété, la justice, l’amour des classes souffrantes. »2232

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Sénat, 1er décembre 1852. Œuvres de Napoléon III, discours, proclamations, messages (1856)

Le lendemain 2 décembre, l’Empire est proclamé. C’est encore l’anniversaire d’Austerlitz, la plus grande victoire de l’oncle prestigieux, le souvenir vivant de Napoléon Ier. Respectant l’Aiglon, éphémère Napoléon II, le prince Louis-Napoléon prend le nom de Napoléon III.

Rappelons le mot de Mauriac : « Les Bonaparte, c’est tout de même un clan qui se remplit les poches, se distribue les couronnes, et qui, en 1851, s’attable pour le deuxième service. » Hugo n’aurait pas mieux dit contre le second, mais son culte pour le premier l’a rendu encore plus cruel. Les autres contemporains « éclairés » sont sévères pour ce nouvel empereur et la chanson donne le ton.

« La République à votre vote expire
Devant Machin, votre unanime élu.
Soyez heureux : vous possédez l’Empire,
Soyez-en fiers, car vous l’avez voulu.
De ce succès dont votre âme s’enivre
Peut-être un jour vous vous mordrez les doigts :
Votre empereur, dit-on, aime bien vivre !
Et vous paierez la carte, bons bourgeois ! »2233

Charles GILLE (1820-1856), La Carte à payer, chanson. La République clandestine (1840-1856) : les chansons de Charles Gille (posthume, 2002)

La presse d’opposition n’existe pratiquement plus depuis le coup d’État du 2 décembre 1851, mais la chanson reste un moyen d’expression et l’humour se fait cinglant.

Charles Gille, poète et ouvrier déjà persécuté, écrase de son mépris cette bourgeoisie qui, de nouveau, a trahi la République.

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