Galerie présidentielle (II. Troisième République jusqu'en 1879) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

25 Présidents (avec ou sans majuscule selon les sources et l’usage) figurent en tête d’affiche dans ce résumé de la République française.

Présents dans notre Histoire en citations, les passer ainsi en revue à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril 2022 est une manière originale de revisiter l’histoire de France depuis la Révolution

II. Troisième République : deux premiers cas de Présidents au fort caractère, Thiers et Mac-Mahon.

Président n°2. Adolphe Thiers.

« Gouverner, c’est prévoir. »2331

Adolphe THIERS (1797-1877). Le Spectacle du monde, nos 358 à 363 (1992)

Très longue carrière politique et personnalité très diversement jugée, comme en témoignent ses surnoms originaux.

Entré en politique en 1830 sous la Monarchie de Juillet, républicain modéré de la première heure (et jusqu’à la fin de sa longue vie), il cautionnera cette monarchie constitutionnelle, mais il irrite de plus en plus Louis-Philippe qui nomme cet orateur « Mirabeau-mouche » (pour sa grande gueule et sa petite taille) et « singe à portefeuilles » (pour ses ambitions politiques évidentes). Il sera plusieurs fois ministre sous ce règne.

Dans l’opposition républicaine sous le Second Empire, « Foutriquet » (petit homme à la houppe de cheveux) se fait remarquer pour sa défense des libertés, puis son hostilité à la guerre franco-allemande. 1871 est l’année de tous les pouvoirs et de tous les dangers pour Thiers.

« Pacifier, réorganiser, relever le crédit, ranimer le travail, voilà la seule politique possible et même concevable en ce moment. »2355

Adolphe THIERS (1797-1877), présentant son ministère et son programme à l’Assemblée, Bordeaux, 19 février 1871. Questions ouvrières et industrielles en France sous la Troisième République (1907), Pierre Émile Levasseur

À 73 ans, il a été élu député (par 26 départements) aux élections du 8 février. Il fallait un nouveau gouvernement, issu d’une assemblée régulièrement élue, pour ratifier les préliminaires de paix avec le chancelier allemand (suite à l’armistice). Après la défaite, voilà le second choc pour Paris : le pays est monarchiste – et veut la paix ! Paris seul a voté républicain en masse, étant représenté par Louis Blanc, Hugo, Gambetta.

L’Assemblée se réunit à Bordeaux le 12 février – Paris étant toujours assiégé par les Prussiens. Elle accepte la démission du gouvernement de la Défense nationale et désigne à la quasi-unanimité Thiers chef du pouvoir exécutif de la République. Belle et juste promotion. Mais c’est encore du provisoire, car les républicains sont minoritaires.

La France ayant d’autres priorités, Thiers, en vieux routier de la politique, s’engage à respecter la trêve des partis et à différer toute discussion sur la forme du régime et la Constitution. Son programme prend le nom de Pacte de Bordeaux. La guerre civile va de nouveau bouleverser le pays et déjouer tous les plans politiques.

« Le peuple de Paris veut conserver ses armes, choisir lui-même ses chefs et les révoquer quand il n’a plus confiance en eux. Plus d’armée permanente, mais la nation tout entière armée ! »2358

Comité central de la Commune, Manifeste à l’armée, 8 mars 1871. Cent ans de République (1970), Jacques Chastenet

Cette « Commune », qui n’est pas encore « la » Commune insurrectionnelle, commence ainsi son appel : « Soldats, enfants du peuple ! Les hommes qui ont organisé la défaite, démembré la France, livré tout notre or, veulent échapper à la responsabilité qu’ils ont assumée en suscitant la guerre civile. » Thiers vient de supprimer la paye des gardes nationaux qui, toujours armés, se sont donné le nom de Fédérés – cette solde était la seule ressource des ouvriers mobilisés.

Une énorme pression révolutionnaire, avec une propagande encouragée par la liberté de la presse et des clubs, agite à nouveau la capitale : des rumeurs de Restauration courent - Chambord ou d’Orléans pourrait revenir au pouvoir !

« Il n’y a qu’une solution radicale qui puisse sauver le pays : il faut évacuer Paris. Je n’abandonne pas la patrie, je la sauve ! »2361

Adolphe THIERS (1797-1877), aux ministres de son gouvernement, 18 mars 1871. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Thiers a décidé d’en finir : ordre est donné de désarmer les quelque 200 000 gardes nationaux organisés en Fédération, et de récupérer les 227 canons qui ont servi à la défense de Paris contre les Prussiens, à présent regroupés à Montmartre et Belleville, quartiers populaires.

Les 4 000 soldats font leur devoir sans enthousiasme. La foule, les femmes surtout s’interposent. Deux généraux, l’un chargé de l’opération, l’autre à la retraite, mais reconnu, sont arrêtés, traînés au Château rouge (ancien bal de la rue Clignancourt, devenu quartier général des Fédérés), blessés, puis fusillés : Lecomte et Thomas. Clemenceau, maire du XVIIIe arrondissement et témoin, est atterré. « On ne connaîtra jamais les responsables de cette exécution sommaire : leur nom est la foule » (Georges Duby). C’est l’étincelle qui met le feu à Paris, insurgé en quelques heures.

Thiers renonce à réprimer l’émeute – il dispose de 30 000 soldats face aux 150 000 hommes de la garde nationale, et il n’est même pas sûr de leur fidélité. Il abandonne Paris au pouvoir de la rue et regagne Versailles, ordonnant à l’armée et aux corps constitués d’évacuer la place.

« Montmartre s’insurge contre le gouvernement du suffrage universel. Le gouvernement cesse d’être patient juste au moment où il fallait encore vingt-quatre heures de patience. Que se prépare-t-il pour l’histoire de France ? » (Le Siècle, 19 mars). Le quotidien commente les événements de la veille : responsabilités partagées dans cette insurrection du 18 mars qui consacre la rupture entre le Paris révolutionnaire et le gouvernement légal du pays.

C’est la première journée de la Commune (au sens d’insurrection) : la tragédie va durer 72 jours.

« C’est une guerre sans trêve ni pitié que je déclare à ces assassins. »2366

Général Gaston de GALLIFFET (1830-1909), 3 avril 1871. Histoire socialiste, 1789-1900, volume XI, La Commune, Louis Dubreuilh, sous la direction de Jean Jaurès (1908)

Galliffet a fait fusiller sans jugement 5 Fédérés prisonniers. « J’ai dû faire un exemple ce matin ; je désire ne pas être réduit de nouveau à une pareille extrémité. N’oubliez pas que le pays, que la loi, que le droit par conséquent sont à Versailles et à l’Assemblée nationale, et non pas avec la grotesque assemblée de Paris, qui s’intitule Commune. » Sa férocité lui vaudra le surnom de « Marquis aux talons rouges », ou « massacreur de la Commune ».

Cependant qu’à Paris, les clubs réclament la Terreur, veulent « faire tomber cent mille têtes », rétablir la loi des Suspects. On joue la mort de la peine de mort en brûlant une guillotine.

« Il y aura quelques maisons de trouées, quelques personnes de tuées, mais force restera à la loi. »2370

Adolphe THIERS (1797-1877), Réponse à une délégation maçonnique, 22 avril 1871. Le Coq rouge : une histoire de la Commune de Paris (1972), Armand Lanoux

Thiers continue de masser des troupes et de prendre des positions stratégiques dans la banlieue, cependant que l’organisation militaire de Paris se révèle une tâche irréalisable.

Le « délégué à la Guerre » Gustave Cluseret est remplacé le 1er mai par Louis Rossel, colonel de 27 ans – au lendemain des défaites de l’armée française et de la capitulation, il a pris parti pour la Commune (il sera fusillé). Il démissionne le 10 mai, remplacé par Charles Delescluze (bientôt tué au combat). Impossible de discipliner les gardes nationaux, tandis que la Commune hésite toujours entre l’anarchie et le pouvoir fort.

« Paris sera soumis à la puissance de l’État comme un hameau de cent habitants. »2373

Adolphe THIERS (1797-1877), Déclaration du 15 mai 1871. La Commune (1904), Paul et Victor Margueritte

Ces mots plusieurs fois répétés annoncent la Semaine sanglante du 22 au 28 mai. Le chef du gouvernement amasse toujours plus de troupes aux portes de Paris. « Anecdotiquement », la colonne Vendôme est abattue, suite à un vote du Comité de salut public.

« Habitants de Paris, l’armée de la France est venue vous sauver. Paris est délivré. Nos soldats ont enlevé, à quatre heures, les dernières positions occupées par les insurgés. Aujourd’hui la lutte est terminée ; l’ordre, le travail et la sécurité vont renaître. »2376

Maréchal MAC-MAHON (1808-1893), Proclamation affichée le 29 mai 1871. Décrets et rapports officiels de la Commune de Paris et du gouvernement français du 18 mars au 31 mars 1871 (1871), Ermete Pierotti

Proclamation signée du maréchal de France, commandant en chef – que nous allons bientôt retrouver dans un autre rôle, Président de la République…

Reste le fort de Vincennes, toujours aux mains des insurgés, qui va être assiégé par une brigade de l’armée du général Vinoy. Simple formalité pour les Versaillais. La garnison désarmée se rend, les officiers sont immédiatement passés par les armes. Thiers télégraphie ce même jour aux préfets, à propos des Parisiens insurgés : « Le sol est jonché de leurs cadavres ; ce spectacle affreux servira de leçon. »

« Ce ne sont plus des soldats qui accomplissent leur devoir, ce sont des êtres retournés à la nature des fauves. »2379

La France, juin 1871. Les Révoltes de Paris : 1358-1968 (1998), Claude Dufresne

Les journalistes, unanimes, condamnent la répression. La Seine est devenue un fleuve de sang. Dans Le Siècle, on écrit : « C’est une folie furieuse. On ne distingue plus l’innocent du coupable. » Et dans Paris-Journal du 9 juin : « C’est au bois de Boulogne que seront exécutés à l’avenir les gens condamnés par la cour martiale. Toutes les fois que le nombre des condamnés dépassera dix hommes, on remplacera par une mitrailleuse le peloton d’exécution. »

3 500 insurgés sont fusillés sans jugement dans Paris, près de 2 000 dans la cour de prison de la Roquette, et plusieurs centaines au cimetière du Père-Lachaise : c’est le « mur des Fédérés », de sinistre mémoire.

Il y aura 400 000 dénonciations écrites – sur 2 millions de Parisiens, cela fait un fort pourcentage de délateurs, et montre assez la haine accumulée.

Près de 40 000 Fédérés prisonniers sont entassés à Versailles, internés dans des pontons flottants et dans les forts côtiers, faute de places dans les prisons : 22 000 non-lieux, près de 2 500 acquittements, plus de 10 000 condamnations, dont près de la moitié à la déportation, et de nombreux morts à la suite de mauvais traitements. Pour juger ces vaincus de la Commune, quatre conseils de guerre vont fonctionner jusqu’en 1874.

« Nous sommes gueux comme des rats d’église. »2415

Adolphe THIERS (1797-1877), au gouverneur de la Banque de France, faisant allusion aux finances de l’État, 24 mars 1871. Les Convulsions de Paris (1899), Maxime Du Camp

Le coût total de la guerre est évalué à 15,6 milliards de francs. Une rançon de 5 milliards est la condition de la libération du territoire. Le 27 juin 1871, Thiers lance un premier emprunt d’État de 4,9 milliards à 6,6 % d’intérêt. Les souscriptions massives seront considérées comme autant de plébiscites en sa faveur. Thiers travaille au redressement du pays, sans pourtant le doter de finances modernes : par conservatisme, il écarte le projet d’un impôt sur le revenu qui sera finalement adopté en 1914.

« Avez-vous une monarchie à me proposer ? »2414

Adolphe THIERS (1797-1877), Chambre des députés, juin 1871. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1971), Georges Duby

Le « chef du pouvoir exécutif de la République » (régime toujours provisoire) s’adresse aux monarchistes, majoritaires à l’Assemblée, mais divisés entre légitimistes (pour le comte de Chambord, petit-fils de Charles X) et orléanistes (pour le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe).
Fort de son prestige qui lui vient de l’écrasement de la Commune (ce que l’histoire lui reprochera plus tard), Thiers veut imposer la République au pays et s’imposer lui-même en Président, place tant convoitée par ce Républicain de la première heure.

« Chef, c’est un qualificatif de cuisinier ! »2418

Adolphe THIERS (1797-1877). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

31 août 1871. Le petit homme surnommé Foutriquet troque enfin son titre de chef du pouvoir exécutif pour celui, plus prestigieux, de président de la République et l’Assemblée se proclame Constituante : c’est la loi Rivet (député de centre gauche, ami de Thiers).

La tâche institutionnelle avait été sagement remise à plus tard, en février 1871 : année terrible, avec la guerre contre la Prusse si mal finie, et la guerre civile débouchant sur la Commune de Paris et ses suites sanglantes.

Profitant de son prestige, le « Libérateur du territoire » s’impose enfin, aussi conservateur que républicain, soutenu par Gambetta, républicain d’extrême gauche à la tête de l’Union républicaine. Comme Gambetta et Clemenceau, également admirés, contestés, détestés, Thiers demeure l’un personnages politiques importants de cette période.

« Le soldat n’habitue pas son âme à un métier qu’il va quitter. »2421

Adolphe THIERS (1797-1877). Discours parlementaires de M. Thiers : 1872-1877 (posthume, 1883)

Il préconisait un service militaire de huit ans ! Il obtiendra « seulement » cinq ans, le 25 juillet 1872. La loi sur le recrutement instaure un service personnel et universel : elle devra fournir à la France des effectifs comparables à ceux de l’Allemagne, en cas de conflit – c’est sans compter avec la supériorité démographique de l’ennemi.

« La République existe, elle est le gouvernement légal du pays, vouloir autre chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes. »2422

Adolphe THIERS (1797-1877), Discours de rentrée parlementaire, 13 novembre 1872. Discours parlementaires de M. Thiers : 1872-1877 (posthume, 1883)

Le Président veut défendre « sa » République qui n’est toujours qu’un régime provisoire. Il assure que c’est « le régime qui nous divise le moins » (comme dans son discours du 13 février 1850, sous la Deuxième République) et met en garde les monarchistes, majoritaires à l’Assemblée comme dans le pays – paradoxe de la situation.

« La République sera conservatrice ou elle ne sera pas. »2423

Adolphe THIERS (1797-1877), Discours de rentrée parlementaire, 13 novembre 1872. Les Opportunistes : les débuts de la République aux républicains (1991), Léo Hamon

Il prêche toujours pour sa paroisse, en l’occurrence sa personne. Et d’insister : « Tout gouvernement doit être conservateur et nulle société ne pourrait vivre sans un gouvernement qui ne le serait point. » Il vise alors les républicains avancés de l’Assemblée.

C’est la tactique classique du « un coup à droite, un coup à gauche ». Fort de son autorité, Thiers veut rassurer le pays et pour faire la République, jouer l’alliance des républicains modérés et des orléanistes contre les extrêmes : légitimistes ultras inconditionnels du drapeau blanc et nostalgiques de la Commune révolutionnaire. Le conflit va éclater quelques mois plus tard, avec l’arrivée de Mac-Mahon.

« Vous faites appel à mon patriotisme… soit, j’accepte ! »2426

MAC-MAHON (1808-1893), 18 mai 1873. Cent ans de République (1970), Jacques Chastenet

Chef de l’armée à 65 ans, héros du siège de Malakoff (« J’y suis, j’y reste »), vaincu et prisonnier à Sedan avec Napoléon III, mais vainqueur à la tête des Versaillais contre les insurgés de la Commune, ce qui lui vaut une nouvelle popularité… C’est quand même l’invité surprise dans cette galerie présidentielle.

Réputé pour sa piété, son honnêteté, l’homme n’a rien d’un politique ! Gambetta méprise « ce caporal, le plus insignifiant des reîtres de l’Empire » et Thiers ne l’appelle que « cet imbécile de maréchal ». Et pourtant…

Monarchiste (comme la majorité de la France), Mac-Mahon s’est entendu avec le duc de Broglie pour occuper la présidence de la République et rétablir ensuite la monarchie – étonnant marché ! Reste à se débarrasser de Thiers, de plus en plus contesté par les conservateurs.

« Il faut tout prendre au sérieux, mais rien au tragique. »2427

Adolphe THIERS (1797-1877), Discours à la Chambre des députés, 24 mai 1873. Annales de l’Assemblée nationale, volume XVIII (1873), Assemblée nationale

Contesté pour son parti pris républicain par les monarchistes majoritaires, Thiers a perdu son droit de parole à l’Assemblée : étant président de la République, il ne peut plus s’exprimer que par un message lu, ne donnant lieu à aucune discussion (loi de Broglie, du 13 mars). Il se conforme à ce « cérémonial chinois » - ce sont ses mots pour qualifier la chose.

La veille, de Broglie l’a interpellé sur la nécessité de défendre l’« ordre moral », des députés royalistes lui demandant de faire prévaloir une « politique résolument conservatrice ». Le 24 mai au matin, avant la séance à la Chambre, il réaffirme sa position républicaine avec un argument de plus : « La monarchie est impossible : il n’y a qu’un trône, et on ne peut l’occuper à trois ! » Outre le comte de Paris et le comte de Chambord, il y a le prince impérial, fils de Napoléon III.

L’après-midi, en son absence, par 360 voix contre 334, l’Assemblée vote un blâme contre Thiers. Il offre sa démission. Il n’y est pas obligé, mais il est sûr qu’on le rappellera, sa position en sera renforcée…

Le soir, sa lettre est lue à l’Assemblée qui procède aussitôt à l’élection du nouveau président. La gauche s’abstient et Mac-Mahon, candidat des royalistes, est élu. Thiers a joué, et perdu. Il lui reste une dernière chance…

« La présidence est un enfer, je n’y retournerai pas. Et vous-même, mon cher Maréchal, n’y entrez pas. Aujourd’hui le pouvoir est un guêpier dans lequel une nature militaire telle que la vôtre perdrait patience en quarante-huit heures. »2428

Adolphe THIERS (1797-1877), 24 mai 1873. Cent ans de République (1970), Jacques Chastenet

Dans la nuit qui suit la démission de Thiers et l’élection à la présidence de Mac-Mahon, le « cher Maréchal » s’est rendu au domicile de Thiers, au cas où celui-ci regretterait sa lettre de démission. En vieux routier de la politique, Thiers lui tient ce discours, sans résultat. Mac-Mahon reste droit dans ses bottes, investi de sa mission monarchique. Il sera donc président de la République. Et pourtant, Thiers espèrera encore lui succéder.

« La République, c’est la nécessité. »2455

Adolphe THIERS (1797-1877). Discours parlementaires de M. Thiers : 1872-1877 (posthume, 1883)

Dernier message du vieux républicain, possible successeur de Mac-Mahon à la présidence, car il y croyait toujours, malgré son âge.

Il meurt à 80 ans, le 3 septembre 1877. Sa famille refuse les obsèques officielles. Mais 384 villes sont représentées et une foule estimée à un million assiste à ses funérailles parisiennes. L’émotion nationale atteste à la fois l’immense prestige du petit homme et son incontestable réussite : son ralliement à la République a su rallier le pays à ce régime et réconcilier les Français avec les républicains.

« Je n’aimais pas ce roi des prud’hommes. N’importe ! comparé aux autres, c’est un géant. »2456

Gustave FLAUBERT (1821-1880), à la mort de Thiers, Correspondance (1893)

« … et puis il avait une vertu rare : le patriotisme. Personne n’a résumé comme lui la France, de là l’immense effet de sa mort. »

Flaubert, un an plus tôt, s’exclamait pourtant : « Rugissons contre M. Thiers ! Peut-on voir un plus triomphant imbécile, un croûtard plus abject, un plus étroniforme bourgeois ! Non, rien ne peut donner l’idée du vomissement que m’inspire ce vieux melon diplomatique, arrondissant sa bêtise sur le fumier de la bourgeoisie ! Il me semble éternel comme la médiocrité ! »

Cet hommage posthume et du bout de la plume prendra encore plus de valeur par la suite : le personnel politique de la Troisième République fut – sauf exceptions – d’une grande médiocrité. Exceptions à la règle, Gambetta et Clemenceau qui ne seront jamais Présidents.

Président n° 3. Mac-Mahon.

« Avec l’aide de Dieu, le dévouement de notre armée qui sera toujours l’esclave de la loi, l’appui de tous les honnêtes gens, nous continuerons l’œuvre de la libération du territoire et du rétablissement de l’ordre moral dans notre pays. »2429

MAC-MAHON (1808-1893), Message présidentiel du 25 mai 1873. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Le président définit la politique du ministère de Broglie qu’il vient d’appeler.

Rappelons qu’il arrive auréolé de son passé militaire, symbolisé à jamais par le fameux « J’’y suis, j’y reste ! » au fort de Malakoff qui tenait depuis 350 jours de siège et qu’il a pris d’assaut, avec ses zouaves.

Cet « ordre moral » va, aux yeux de l’histoire, caractériser le premier gouvernement sous sa présidence. La formule est assez vague pour avoir l’accord de la majorité monarchiste, sans raviver les disputes entre légitimistes et orléanistes. L’ordre moral a pourtant beaucoup d’opposants. Il implique le renforcement de la puissance de l’Église catholique et de son ascendant sur les masses pratiquantes. « Je sens une odeur de sacristie qui monte ! » écrit George Sand à Flaubert.

Il y a pire : c’est la personnalité du nouveau candidat au trône que le président Mac-Mahon s’est engagé à présenter au pays….

« Je suis le pilote nécessaire, le seul capable de conduire le navire au port, parce que j’ai mission et autorité pour cela. »2437

Comte de CHAMBORD (1820-1883), 30 octobre 1873. Histoire de la révolution de 1870-71 (1877), Jules Claretie

Les monarchistes se sont enfin mis d’accord sur son nom : Henri de Bourbon, prétendant légitimiste, est le plus âgé, sans descendant. Le comte de Paris et les orléanistes attendront leur tour quelques années. Mais que serait cette restauration ? Monarchie parlementaire de modèle anglais ou monarchie de type Ancien Régime.

Chambord est intransigeant sur ce point : « Ma personne n’est rien, mon principe est tout. » Dans son journal L’Union, il agite le drapeau blanc : il le veut, pour lui et pour la France. Querelle symbolique, mais c’est un symbole que les orléanistes ne peuvent admettre – et la majorité de la France non plus, sans doute. Bref, voici la restauration de la monarchie bien compromise sous cette République encore fragile.

« Je croyais avoir affaire à un Connétable de France, je n’ai trouvé qu’un capitaine de gendarmerie. »2438

Comte de CHAMBORD (1820-1883), apprenant le refus de Mac-Mahon qui se récuse, le 12 novembre 1873. L’Échec de la restauration monarchique en 1873 (1910), Arthur Loth

Sa cour d’aristocrates, durant son long exil autrichien, habitua le prétendant à plus d’égards que n’en a le maréchal ! Mac-Mahon devait introduire le monarque à la Chambre, appuyé à son bras, venant se faire acclamer par la majorité monarchiste.

Mais le maréchal est choqué par cette affaire de drapeau blanc que le comte entend rétablir. Il est également certain que l’armée, son armée, n’acceptera jamais. Bref, en son âme et conscience, il dit non à ce « roi » et garde sa présidence.

« Premier magistrat du pays,
L’honneur me met, je vous l’atteste,
Au-dessus de tous les partis.
Aussi, Messieurs, j’y suis, j’y reste. »2439

Paul AVENEL (1823-1902), J’y suis, j’y reste (1873), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Le vieux maréchal, pourtant royaliste, a compris que la restauration est chose impossible avec ce « Henri V » qui serait funeste à la France : « La Chambre à mon honnêteté / A confié la République / Je dois garder sa liberté / Et protéger sa politique. »

Le 20 novembre 1873, la loi du septennat lui garde son poste pour sept ans encore – entre-temps, le vieux comte de Chambord ne sera peut-être plus de ce monde et le comte de Paris aura ses chances. Mais l’histoire déjoue ce genre de calculs et la France, sous le régime provisoire qui dure, va devenir de plus en plus républicaine. Reste la question à venir : Mac-Mahon, quel président sera-t-il ?

« Il est assez difficile que Monsieur Mac-Mahon nous dise ce qu’il veut, puisqu’il ne peut même pas nous apprendre ce qu’il est. C’est ce qu’on appelle en photographie un négatif, et en histoire naturelle un mulet. »2440

Henri ROCHEFORT (1831-1913), La Lanterne, 1874

Plus républicain que jamais après la Commune, le journaliste, déporté à Nouméa (en même temps que Louise Michel la Vierge rouge), réussit la seule évasion du bagne de Nouvelle-Calédonie, avec quelques camarades. Il rejoint à Londres un groupe de communards exilés. Son journal La Lanterne reparaît de juillet 1874 à octobre 1876, diffusée clandestinement en France, mariant humour et opposition, et régalant les amateurs.

Avec le recul de l’histoire, il faut pourtant rendre justice à Mac-Mahon.

Maréchal et improbable président de la République, populaire par sa prestance, sa loyauté et sa franchise, il va assister ou participer à la mise en place de beaucoup d’institutions durables : le domaine réservé du chef de l’État, les difficultés de la cohabitation, les risques de la dissolution. Le septennat et la présidence du Conseil des ministres ont longtemps fonctionné… Au total, ce premier président fera autant pour l’établissement de la République que Thiers, Gambetta ou Grévy, ses contemporains et adversaires.

« Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. »2443

Henri WALLON (1812-1904), amendement du 30 janvier 1875

Sans effet oratoire, sans tambour ni trompette d’aucune sorte, c’est bien discrètement que la République s’installe en France. « Le 30 janvier 1875, à une seule voix de majorité (353 contre 352), l’amendement Wallon, qui prononçait le nom de République, qui l’inscrivait officiellement dans les lois, était adopté » (Jacques Bainville, Histoire de France).

Henri Wallon, député catholique tolérant, devient célèbre comme « Père de la République » et cela doit plaire au Président Mac-Mahon, même si certains en plaisantent : « Un homme dont l’aspect vaudrait un passeport pour le gendarme le plus soupçonneux. L’amour de l’ordre est inscrit sur son front en rides majuscules », selon Camille Pelletan, député radical, autrement dit d’extrême gauche en 1875.

« Que d’eau, que d’eau ! »2445

MAC-MAHON (1808-1893) à la vue des inondations catastrophiques, Toulouse, 26 juin 1875. Mac-Mahon (1895), abbé Berry

Le maire de la ville sinistrée, voulant recevoir dignement le président de la République, s’est lancé dans un long discours. Le maréchal, pour couper court à ce déluge de paroles, regardant les plaines envahies par les eaux, a ce mot pour lequel il sera mal à propos plaisanté. Son militaire « J’y suis, j’y reste » avait plus fière allure. Nous verrons qu’un autre Président également militaire, le général de Gaulle, surdoué du Verbe comme de l’Action, manquait parfois d’inspiration dans la banalité quotidienne du rôle présidentiel.

« Je suis, vous le savez, messieurs, profondément républicain et profondément conservateur. »2448

Jules SIMON (1814-1896), président du Conseil, Chambre des députés, Déclaration ministérielle du 14 décembre 1876. Histoire de la Troisième République, volume I (1973), Jacques Chastenet

Les républicains ayant triomphé aux élections, la situation devient inconfortable pour Mac-Mahon, président de la République et monarchiste. On parlerait aujourd’hui de « cohabitation ». Il s’en tire en appelant un centriste, Jules Simon, républicain modéré, pour former le gouvernement.
Dans son premier discours, le personnage se montre onctueux et conciliateur. Les présidents du Conseil des ministres - fonction qui apparaît dans l’histoire de France - brilleront souvent par leur insignifiance jusqu’en 1900.

« Il sera cardinal avant moi ! »2449

Monseigneur DUPANLOUP (1802-1878). Histoire de la France contemporaine, 1871-1900 (1903), Gabriel Hanotaux

Évêque d’Orléans et député, il a ce mot sur Jules Simon qui ne reste pourtant pas longtemps à la tête du gouvernement.

Professeur de philosophie bien connu pour s’être opposé avec courage à Napoléon III, Jules Simon tente une politique de conciliation entre la droite et l’extrême gauche. C’est mission impossible et la crise explose au bout de quelques mois, le 16 mai 1877. On parlera (improprement) du « coup d’État » de Mac-Mahon qui le renvoie alors qu’il a l’appui des députés. Mais le gouvernement est responsable devant la Chambre et le président (parlementarisme dualiste).

Le prétexte est une loi sur les délits de presse et une lettre de désaccord entre eux. La vraie raison est ailleurs, dans une opposition entre les républicains et les catholiques.

« Le cléricalisme ? Voilà l’ennemi. »2450

Léon GAMBETTA (1838-1882), Discours sur les menées ultramontaines, Chambre des députés, 4 mai 1877. Le Cléricalisme, voilà l’ennemi ! (1879), Paroles de M. Gambetta, commentées par Émile Verney

La question religieuse prend des proportions démesurées, sous la Troisième République. Pour l’heure, les catholiques français veulent aider le pape contre le gouvernement italien et les républicains refusent absolument cette intervention : « Nous en sommes arrivés à nous demander si l’État n’est pas maintenant dans l’Église, à l’encontre de la vérité des principes qui veut que l’Église soit dans l’État », proteste Gambetta. En tout cas, il redonne à l’union des gauches son principe d’anticléricalisme. Sa formule fait mouche, elle va beaucoup resservir !

Mac-Mahon, après le renvoi de Jules Simon, rappelle un monarchiste, le duc de Broglie comme chef de gouvernement, le 16 mai. L’ordre moral revient à l’ordre du jour, face à une Assemblée qui ne peut l’accepter.

« Vous êtes le gouvernement des prêtres et le ministre des curés. »2451

Léon GAMBETTA (1838-1882), au ministre de l’Intérieur Fourtou, mi-juin 1877. Discours et plaidoyers politiques de M. Gambetta (1884)

Oscar Bardy de Fourtou, adepte de la manière forte, de nouveau en poste à l’Intérieur, a pour mission d’empêcher le retour en force des républicains à l’Assemblée. La coalition monarchiste et conservatrice caresse à nouveau la France à rebrousse-poil.

Le 18 juin, les 363 députés républicains font adopter un ordre du jour – l’Ordre des 363 – qui refuse la confiance au cabinet de Broglie. Une semaine plus tard, avec l’accord du Sénat, Mac-Mahon dissout la Chambre des députés, le 25 juin. C’est la crise la plus grave depuis la Commune : le sort du régime républicain est en jeu. Tout va dépendre des prochaines élections, fixées au 14 octobre.

« L’ordre moral atteint au délire de la stupidité. »2452

Gustave FLAUBERT (1821-1880), Correspondance, volume IV (1893)

Dans la campagne électorale qui bat son plein, cet été 1877, Mac-Mahon prend parti, tel un maréchal à la tête de ses troupes, et lance dans la bataille les fonctionnaires et le clergé.

De leur côté, les républicains font bloc avec deux têtes d’affiche : le toujours jeune Gambetta (40 ans) et le déjà vieux Thiers qui, malgré ses 80 ans, se verrait bien succéder à son successeur Mac-Mahon.

« Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, […] il faudra se soumettre ou se démettre. »2453

Léon GAMBETTA (1838-1882), Discours de Lille, 15 août 1877. Histoire de la France (1947), André Maurois

C’est au président de la République que ce discours s’adresse, après la crise institutionnelle ouverte le 16 mai, le renvoi du président du Conseil et la dissolution de la Chambre des députés.

Le Président a tenté d’imposer au pays un régime présidentiel et c’est toute l’orientation de la Troisième République qui se joue alors. La campagne électorale est dure, le peuple étant rendu arbitre de l’opposition entre le législatif et l’exécutif – le Parlement et le Président.

« La monture a l’air intelligent, ma foi. »2454

Légende d’un portrait de Mac-Mahon à cheval, été 1877. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Le journal qui publie cette belle image tirée d’une brochure de propagande, et l’assortit de ce commentaire, est poursuivi pour offense au président de la République et condamné à 500 francs d’amende. On ne compte plus les condamnations pour délits de presse et cris séditieux. Fourtou veille, à l’Intérieur : « Le chef-d’œuvre du cabinet Broglie-Fourtou, c’est d’avoir concentré en cinq mois tout ce que le despotisme impérial avait fait d’arbitraire en dix-huit années », selon Edmond About, écrivain et journaliste politique, anticlérical qui déplore les mesures prises par le ministère.

« Nous partons trois cent soixante-trois, nous reviendrons quatre cents ! »2458

Léon GAMBETTA (1838-1882). Histoire de la France (1947), André Maurois

Le chef des républicains tous regroupés derrière son nom était un peu trop optimiste. Partis 363, ils n’auront que 321 élus à la Chambre des députés, les 14 et 28 octobre 1877. La pression administrative de Fourtou, à l’Intérieur, a certainement joué. Cela fait quand même une forte majorité républicaine, face aux 208 députés monarchistes. De Broglie démissionne,  le 23 novembre.

Mac-Mahon qui a voulu imposer un régime présidentiel par la force institutionnelle prend acte de son échec, signant, les larmes aux yeux, le message qui sera lu devant les sénateurs et les députés.

« La Constitution de 1875 a fondé une république parlementaire en établissant mon irresponsabilité, tandis qu’elle a institué la responsabilité solidaire et individuelle des ministres. »2459

MAC-MAHON (1808-1893), Message du président de la République aux Chambres, 14 décembre 1877. Gouvernements, ministères et constitutions de la France depuis cent ans (1893), Léon Muel

Le président se soumet – avant de se démettre. Il démissionnera en janvier 1879, les républicains devenant majoritaires au Sénat. Il pouvait rester, mais il perd patience sur un « détail » – on lui demande la destitution de généraux, alors que le maréchal n’a « avalé tant de couleuvres » depuis un an que pour protéger l’armée. Il n’écourte finalement son mandat que d’une année.

Avec le départ de ce président monarchiste, la République sera totalement acquise. D’ores et déjà, le droit de dissolution est discrédité, le président jouant désormais le jeu du régime parlementaire, avec ses qualités et ses défauts.

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