Galerie présidentielle (III. De 1879 à la Grande Guerre) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

25 Présidents (avec ou sans majuscule selon les sources et l’usage) figurent en tête d’affiche dans ce résumé de la République française.

Présents dans notre Histoire en citations, les passer ainsi en revue à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril 2022 est une manière originale de revisiter l’histoire de France depuis la Révolution.

III. Série de présidents réputés plus ou moins originaux et insignifiants, confrontés à des faits tragiquement signifiants jusqu’à la Grande Guerre : Grévy, Sadi Carnot, Casimir-Périer, Félix Faure, Loubet, Fallières, Poincaré.

Président n° 4. Jules Grévy.

« Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels. »2462

Jules GRÉVY (1807-1891), succédant à Mac-Mahon, 30 janvier 1879. Gouvernements, ministères et constitutions de la France depuis cent ans (1893), Léon Muel

Mac-Mahon a démissionné de la présidence, les républicains ayant la majorité au Sénat. Les républicains gouvernent désormais la République, mais ils se divisent pour des raisons personnelles et institutionnelles.

Grévy est préféré à Gambetta qui se jugeant trop jeune ne se porte d’ailleurs pas candidat. Ce septuagénaire très « bourgeois moyen » rassure l’Assemblée nationale - Sénat et Chambre des députés réunis pour élire le président. Le lendemain, Gambetta est logiquement nommé président de la Chambre des députés.

Après l’échec de la république présidentielle, version Mac-Mahon, le nouveau président opte clairement pour une république parlementaire : c’est la « Constitution Grévy ». L’équilibre des pouvoirs est rompu au bénéfice de la Chambre et les députés, trop sûrs que le président n’osera plus jouer de la dissolution, vont désormais user et abuser de ce pouvoir, faisant tomber les ministères et se succéder les crises. Tel est le vice inhérent au régime.

« Nos ministres ? De simples numéros d’ordre sortis au hasard de la foule représentative que nous décorons du beau nom de Parlement ! »2464

Léon GAMBETTA (1838-1882), Chambre des députés, 1879. La Troisième République (1968), Maurice Baumont

Il fulmine déjà, le 5 février 1879, contre les députés et les ministres du nouveau gouvernement : « Dans trois mois, ils iront rejoindre dans les sous-sols de la vie publique les inconnus engendrés par le scrutin d’arrondissement. Ils végéteront jusque-là, ne disant rien, ne faisant rien, ex nihilo nihil. » Clémenceau tiendra le même langage, fond et forme.

De fait, avec Grévy à la présidence commence le système des crises ministérielles qui va caractériser, paralyser, empoisonner le régime.

« Gambetta […] ce n’est pas du français, c’est du cheval ! »2465

Jules GRÉVY (1807-1891). Histoire des institutions et des régimes politiques de la France (1985), Jean Jacques Chevallier, Gérard Conac

Deux avocats, deux républicains, mais trente ans les séparent et la haine éclate au grand jour. Le rigide Grévy se moque de Gambetta qui parle, passionnément, précipitamment, impressionnant à la tribune, jusqu’à perdre son œil de verre en tapant trop fort du poing sur la table (défendant la loi Ferry, du nom de son ami). Grévy l’écartera vite du pouvoir, de peur qu’il fasse peur au pays, surtout aux ruraux.

Dans les premiers temps, l’Assemblée nationale élit des présidents de la République choisis pour leur effacement, lesquels nommeront des présidents du Conseil eux-mêmes assez insignifiants pour ne pas leur porter ombrage. Gambetta n’aura jamais ses chances à la présidence, mort (sans doute accidentellement) à 44 ans. Clemenceau mort à 88 ans ratera pour la même raison ce dernier combat politique.

« Jadis on était décoré et content. Aujourd’hui on n’est décoré que comptant ! »2486

Alfred CAPUS (1857-1922), Le Gaulois, 7 octobre 1887

Ce journal, comme bien d’autres, dénonce le scandale de l’Élysée. La corruption tant reprochée aux républicains au pouvoir atteint la famille du président Grévy. Son gendre, Daniel Wilson, est accusé d’avoir créé à l’Élysée un « ministère des Recommandations et Démarches ». Bien entendu, il fait payer ses services.

Ce trafic des décorations, découvert en septembre 1887, porte notamment sur la Légion d’honneur. La chanson d’Émile Carré résume la situation.

« Ah ! quel malheur d’avoir un gendre […]
Avec lui, j’en ai vu de grises,
Fallait qu’j’emploie à chaque instant
Mon nom, mon crédit, mon argent
À réparer toutes ses sottises. »2487

Émile CARRÉ (1829-1892), Ah ! quel malheur d’avoir un gendre (1887), chanson. Jules Grévy, ou la République debout (1991), Pierre Jeambrun

Ainsi fait-on chanter le vieux président de la République, réélu pour un second mandat : « J’suis un honnête père de famille / Ma seule passion, c’est l’jeu de billard / Un blond barbu, joli gaillard / Une fois m’demande la main d’ma fille […] / Y sont mariés, mais c’que j’m’en repens ! / Ah ! quel malheur d’avoir un gendre ! »

« Vous regretterez le beau temps des crises
Quand, pauvres sans pain et riches gavés
Nous serons aux prises ! […]
Profitez-en bien du beau temps des crises
Où le peuple jeûne et pense en rêvant
Aux terres promises ! »2488

Jules JOUY (1855-1887), Le Temps des crises (1886), chanson reprenant l’air du Temps des cerises. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

L’instabilité des gouvernements est devenue un jeu politique qui lasse déjà l’opinion publique, mais aussi une tactique encouragée par le président de la République Jules Grévy, jusqu’à sa chute provoquée par la crise qui l’atteint personnellement.

« Je vous promets une de ces crises comme on n’en a pas encore vu dans le monde parlementaire ! »2489

Georges CLEMENCEAU (1841-1929). L’Affaire Wilson et la chute du président Grévy (1936), Adrien Dansette

Parole du célèbre « Tombeur de ministères » qui se ressemblent tous – « il s’agit toujours du même », dira-t-il, puisque les mêmes hommes reviennent toujours, changeant seulement de portefeuille.

Clemenceau le radical (incarnant la gauche pure et dure, comme jadis Gambetta mort prématurément) ne va pas rater cette occasion. Le gouvernement qui a soutenu Daniel Wilson (le gendre) est renversé le 20 novembre 1887.

Le Figaro du 21 novembre vise plus haut : « La crise, c’est M. Grévy ; c’est par son obstination qu’elle s’est ouverte, c’est par sa démission qu’elle peut finir. »

« J’en appelle à la France ! Elle dira que, pendant neuf années, mon gouvernement a assuré la paix, l’ordre et la liberté. Elle dira qu’en retour, j’ai été enlevé du poste où sa confiance m’avait placé. »2490

Jules GRÉVY (1807-1891). Gouvernements, ministères et constitutions de la France depuis cent ans (1893), Léon Muel

Démission forcée, le 2 décembre 1887. Il reste comme « le Jules-au-gendre » à cette époque où le prénom est très porté : Jules Grévy, Jules Ferry, Jules Favre, Jules Simon, mais aussi Jules Méline (ministre de l’Agriculture et président du Conseil) et Jules Dufaure (moins connu et pourtant plusieurs fois député, ministre, président du Conseil). C’est la « République des Jules », la « République des camarades », sous-entendu aussi des copains et des coquins.

Jules Ferry est candidat à la présidence de la République pour remplacer Grévy, mais les radicaux détestent ce républicain opportuniste et les républicains opportunistes ont besoin de l’appui des radicaux pour gouverner. On se rabat sur un autre homme – un compromis.

Président n° 5. Sadi Carnot.

« Votons pour Carnot, c’est le plus bête, mais il porte un nom républicain ! »2491

Georges CLEMENCEAU (1841-1929). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

C’est Marie François Sadi Carnot (1837-1894) : petit-fils de Lazare Carnot (« le Grand Carnot », célèbre révolutionnaire), fils de Lazare Hippolyte Carnot (ministre du gouvernement provisoire sous la Deuxième République), neveu de Nicolas Léonard Sadi Carnot (physicien qui laisse son nom à un théorème), il est lui-même polytechnicien, ingénieur des ponts et chaussées, préfet, puis député républicain modéré et plusieurs fois ministre.

« Bête » n’est pas le qualificatif le plus approprié, mais le Tigre (l’un des surnoms de Clemenceau) a la dent dure et l’humour féroce. François Mauriac a donné une explication à cet argument d’ailleurs repris en 1912 contre Pams (ministre de l’Agriculture) : « Je vote pour le plus bête, la boutade fameuse de Clemenceau, n’est cruelle qu’en apparence. Elle signifiait : Je vote pour le plus inoffensif. » (Bloc-notes, I).

Quoi qu’il en soit, élu le 3 décembre 1887 avec une confortable majorité face à Jules Ferry, Sadi Carnot va jouir d’une popularité personnelle au cours d’une présidence particulièrement mouvementée : l’agitation boulangiste met en péril les institutions de la Troisième République et le scandale de Panama en 1892 provoquera la démission d’une partie de son gouvernement. La même année commence une vague d’attentats anarchistes dans Paris, doublée de mouvements syndicaux.

« Dissolution, Révision, Constituante. »2492

Général BOULANGER (1837-1891), Mot d’ordre de sa campagne électorale, printemps 1888. Histoire politique de l’Europe contemporaine (1897), Charles Seignobos

Le scandale des décorations à l’Élysée en 1887 a transformé la vague de sentimentalité populaire en mouvement politique : le boulangisme, devenu « syndicat des mécontents », hostile aux (républicains) opportunistes détenant le pouvoir menace le régime parlementaire. Il rassemble des radicaux qui veulent depuis toujours la révision de la Constitution (Rochefort, Naquet), des patriotes de droite qui ne rêvent que revanche (Déroulède), mais aussi des royalistes et des bonapartistes devenus minoritaires, mais toujours actifs.

Boulanger se pose en champion d’une République nouvelle et crée son Parti républicain national. Clemenceau qui l’a d’abord soutenu se méfie, voyant poindre un nouveau Bonaparte – comme Hugo face à Louis-Napoléon Bonaparte.

« Pourquoi voulez-vous que j’aille conquérir illégalement le pouvoir quand je suis sûr d’y être porté dans six mois par l’unanimité de la France ? »2496

Général BOULANGER (1837-1891), réponse aux manifestants, 27 janvier 1889. Histoire de la Troisième République, volume II (1963), Jacques Chastenet

C’est sa réponse aux manifestants qui lui crient : « À l’Élysée ! » et marchent vers le palais où le président Carnot fait déjà ses malles ! Boulanger choisit la légalité, sûr d’avoir ses chances comme président de la République. Il choisit aussi d’écouter son cœur et les conseils de Marguerite de Bonnemains, maîtresse passionnément aimée – en fait, elle travaillait pour la police et l’espionnait.

Cela laisse le temps au gouvernement de réagir : le ministre de l’Intérieur, Ernest Constans, l’accuse de complot contre l’État. Craignant d’être arrêté, il fuit en Belgique. Son prestige s’effondre. Il se suicidera bientôt sur la tombe de sa maîtresse, d’où l’épitaphe cinglante de Clemenceau : « Il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant. »

Le boulangisme a vécu. Le vrai danger est ailleurs et bien réel, dans les attentats anarchistes. Le gouvernement adopte la première loi restreignant les libertés individuelles et Sadi Carnot refusera d’accorder sa grâce aux anarchistes Ravachol et Vaillant responsables des attaques.

« Désormais, ces messieurs sauront qu’ils ont toujours une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête, ils voteront peut-être des lois plus justes. »2510

Auguste VAILLANT (1861-1894), Déclaration à la police qui l’interroge, après l’attentat qu’il a perpétré, le 9 décembre 1893. L’Épopée de la révolte (1963), André Mahé

Au procès, il affirme avoir lancé cette bombe pour venger son idole Ravachol, et non pour tuer. Vaillant, 33 ans, est exécuté le 5 février 1894. Cela n’empêche pas, une semaine plus tard, l’explosion d’une autre bombe.

La flambée anarchiste qui frappe la France, inspirée de Proudhon et Bakounine en rupture de socialisme, va parcourir l’Europe, tuer l’impératrice Élisabeth d’Autriche (célèbre Sissi), le roi d’Italie Humbert Ier, et franchir l’Atlantique, pour atteindre le 25e président des États-Unis d’Amérique, William McKinley. Le terrorisme est une force de frappe récurrente, et le monde occidental devra affronter le terrorisme rouge dans les années 1970, le terrorisme islamique au début du XXIe siècle.

Vaillant, ni penseur ni même militant, est un marginal qui a survécu en multipliant les petits métiers, se lançant dans la lutte politique pour faire entendre « le cri de toute une classe qui revendique ses droits ». L’inexistence d’un vrai programme social demeure l’une des faiblesses de la Troisième République – jusqu’en 1936 et l’avènement du Front populaire.

Prochaine victime des anarchistes, l’incarnation du pouvoir en place, Sadi Carnot.

« Avec un geste cynique
Il prépare son poignard,
Puis il frappe sans retard
Le chef de la République. »2512

Léo LELIÈVRE (1872-1956), Le Crime de Lyon, chanson. Cent ans de chanson française, 1880-1980 (1996), Chantal Brunschwig, Louis-Jean Calvet, Jean-Claude Klein

Chanson écrite et interprétée par le chansonnier qui relate l’assassinat de Sadi Carnot.

Le 24 juin 1894, alors qu’il était en visite à Lyon, le président est assassiné par le jeune anarchiste italien Sante Geronimo Caserio qui voulait venger la mort de ses camarades.

C’est le seul président de la République panthéonisé : « martyr de la République », la foule qui l’escorta au Panthéon le 1er juillet est équivalente à celle qui rendit hommage à Victor Hugo en 1885 – 2 millions de personnes.

Président n° 6. Jean Casimir-Périer.

« Le poids des responsabilités est trop lourd pour que j’ose parler de ma reconnaissance. J’aime trop ardemment mon pays pour être heureux le jour où je deviens son chef. Qu’il me soit donné de trouver dans ma raison et dans mon cœur la force nécessaire pour servir dignement la France. ».

Jean CASIMIR-PERIER (1847-1907), Message du nouveau président de la République élu le 27 juin 1894

Étrange message du nouvel élu ! Sadi Carnot voyait en lui son héritier naturel – il l’avait choisi comme Président du Conseil (des ministres). Soutenu par la droite, il hésite pourtant à poser sa candidature, mais se laisse convaincre. Facilement élu par le Sénat et la Chambre (contre le radical Henri Brisson et le républicain modéré Charles Dupuy), pâle et défait, il éclate en sanglots. L’Intransigeant d’Henri Rochefort titre un entrefilet prémonitoire : « Premières larmes ! »

À 46 ans, c’est le troisième plus jeune président (après Louis-Napoléon Bonaparte en 1848 et Emmanuel Macron en 2017). Casimir-Périer détient surtout le record du mandat présidentiel le plus court, toutes républiques confondues : 6 mois et 20 jours.

La presse satirique de gauche (le Chambard socialiste en tête) le caricature comme il est d’usage à l’époque : le « criblage caricatural » vise un président « descendant de » et fortuné. Les radicaux et les socialistes font chorus contre le « président de la réaction ». Il appartient à la haute bourgeoisie. Propriétaire de la majeure partie des actions des mines d’Anzin, « Casimir d’Anzin » est trop riche aux yeux de la France démocratique. Les campagnes de presse hostiles se multiplient, parallèlement aux procès pour offense au chef de l’État.

Casimir-Périer prend aussi conscience du faible rôle réservé au président. Tenu à l’écart des Affaires étrangères (domaine pourtant réservé au chef de l’État), marginalisé par le président du Conseil Charles Dupuy, il sombre dans l’abattement. Surnommé « le Prisonnier de l’Élysée », il ne supporte plus cette prison dorée, « décor menteur où l’on ne fait que recevoir des coups sans pouvoir les rendre ».

Sous ses allures hautaines, l’homme est sensible, fragile et angoissé. Cloitré en son Palais, il n’ose plus sortir dans la rue de peur d’être insulté ou sifflé. Il demande aux cochers de retirer leur cocarde tricolore pour qu’on ne remarque pas la voiture présidentielle dans la capitale. Se croyant espionné, il reçoit ses intimes sur la pelouse de l’Élysée pour pouvoir parler librement. Il va démissionner au premier prétexte, un jour après son président du Conseil avec qui l’entente était décidément impossible.

« Je ne me résigne pas à comparer le poids des responsabilités morales qui pèsent sur moi et l’impuissance à laquelle je suis condamné. »

Jean CASIMIR-PERIER (1847-1907), Dernier message du Président démissionnaire, janvier 1895

Autoritaire et susceptible, il présente sa démission en janvier 1895, résumant ainsi le drame de sa situation.

Retiré de la politique, Casimir Perier consacra la fin de sa vie à la gestion de la fortune familiale. Il n’évoqua jamais plus le souvenir de son bref passage à l’Élysée.

Leçons de l’histoire ?  La politique est un métier interdit aux faibles. Et la « souveraineté parlementaire » l’emporte  une fois de plus au détriment de la présidence toujours rabaissée. À son décès, la famille, fidèle à son vœu, refusa toute cérémonie officielle : obsèques sans fleurs, ni couronnes, ni discours.

Président n° 7. Félix Faure

« Le nouveau chef de l’État ne manque ni d’intelligence ni de bon sens ni de finesse ; légitimement fier de son ascension sociale, peut-être apparaît-il un peu trop ouvertement content de soi. L’idée qu’il se fait de la dignité présidentielle est très haute. »,

Maxime TANDONNET (né en 1958), Histoire des présidents de la République, Félix Faure, l’ombre d’un « président-Soleil » (2013)

Pareillement insignifiants, les présidents se suivent, mais ne se ressemblent pas !

La presse dénonce en Félix Faure la « rayonnante sottise » et le « contentement de soi ». Fier de sa réussite sociale, il présente bien, comme l’on dit : « Taille exiguë, barbe blanchissante, teint fleuri, yeux très clairs, sourire facile, pointe d’accent provençal, mise proprette : l’homme est plus avenant qu’imposant. Il est d’ailleurs fin, connaît à fond son monde politique et sait à point rendre des services. Modéré de tempérament, socialement plutôt conservateur, fort peu sectaire, la simplicité de ses manières et sa bonhomie lui valent néanmoins beaucoup d’amis à gauche » selon Jacques Chastenet (Histoire de la IIIe République).

Ironiquement comparé à Louis XIV en raison de son attachement obsessionnel à l’étiquette et de sa fascination pour la cour de Louis le Grand, la presse en fait « le Président-Soleil » et la légende veut qu’il ait ambitionné de créer, pour la fonction suprême, un habit d’apparat chamarré qui puisse rivaliser avec ceux des empereurs et des rois.

Restent à son actif la conscience professionnelle, l’application au travail, le patriotisme. Peu connu du grand public lors de son élection, il devient vite populaire : les foules acclament ce bel homme souriant, cet ancien apprenti tanneur devenu grand seigneur. Il hérite d’un autre surnom, confirmé par sa fin : « le Galant ».

Son septennat abrégé (1895-1899) est surtout marqué par l’Affaire (majuscule) de la Troisième République et une déchirante question : la révision du procès Dreyfus.

« J’accuse. »2517

Émile ZOLA (1840-1902), titre de son article en page un de L’Aurore, 13 janvier 1898

L’Aurore est le journal de Clemenceau et le titre est de lui. Mais l’article en forme de lettre ouverte au président de la République Félix Faure est bien l’œuvre de Zola, romancier le plus populaire après Hugo. Avec courage, il accuse deux ministres de la Guerre, les principaux officiers de l’état-major et les experts en écriture d’avoir « mené dans la presse une campagne abominable pour égarer l’opinion », et le Conseil de guerre qui a condamné Dreyfus, d’« avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète ». Le ministre de la Guerre, général Billot, intente alors au célèbre écrivain un procès en diffamation.

Pour l’opinion, Félix Faure est un adversaire du capitaine. Son Journal à l’Élysée (publié seulement en 2009) apporte une nuance. Convaincu au départ de la culpabilité de Dreyfus comme l’immense majorité des Français, il va changer d’avis, se réfugiant pourtant dans un « légalisme commode ».
Son nom reste quand même dans l’histoire pour le fait divers final qui défraya la chronique et fit rire plus que pleurer.

« Le président a-t-il toujours sa connaissance ?
— Non, elle est sortie par l’escalier. »2522

L’anecdote qui court dans Paris le 16 février 1899. Petit Journal (avec illustration), 26 février 1899

Le président de la République, bel homme de 58 ans, meurt ce jour-là en galante compagnie. La « connaissance » prit la fuite et le concierge de l’Élysée témoigne en ces termes (à quelques variantes près selon les sources), répondant à la question du prêtre appelé en hâte pour confesser Félix Faure victime d’une congestion cérébrale.

La rumeur murmure le nom de Cécile Sorel, actrice célèbre. En fait, la compagne de ses derniers instants est une demi-mondaine, Marguerite Steinheil, bientôt surnommée « la Pompe funèbre ». Clemenceau surenchérit dans l’humour noir, le mot étant repris dans la presse.

« Il voulait être César, il ne fut que Pompée. »

Georges CLEMENCEAU (1841-1929)

Facile, mais irrésistible ! On lui prête aussi ce mot plus politique : « Félix Faure est retourné au néant, il a dû se sentir chez lui. » Toujours cette insignifiance présidentielle qui prévaut dans la galerie des portraits, sous la Troisième République.

« Cela ne fait pas un homme de moins en France. Néanmoins, voici une belle place à prendre. »2523

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), L’Aurore, au lendemain de la mort de Félix Faure, fin février 1899. Contre la justice (1900), Georges Clemenceau

Ce mot cruel rappelle certaines sorties de scène historiques plus ou moins ratées, mais il faut dire que le bilan du président défunt est assez nul et qu’il reste comme notoirement antidreyfusard.

Après Grévy démissionnaire pour cause de scandale, Sadi Carnot assassiné, Jean Casimir-Périer démissionnaire au bout de six mois, Félix Faure est à son tour remplacé le 18 février par Émile Loubet - qui ira au bout de son septennat.

Le 23 février, à la fin des obsèques du président dont la mort fait encore scandale, Paul Déroulède, député d’extrême droite, tente avec ses amis le coup d’État refusé dix ans plus tôt par Boulanger attendant plus raisonnablement son heure présidentielle. Ils essaient de soulever l’armée contre la République parlementaire et d’entraîner à l’Élysée les troupes qui venaient de défiler, escortant le cercueil. Le putsch échoue et Déroulède, condamné à dix ans de bannissement, s’installe en Espagne.

Président n° 8. Émile Loubet.

« Je ne serai ni sénateur, ni député, ni même conseiller municipal. Rien, absolument rien. »;

Émile LOUBET (1838-1924), quittant l’Élysée en 1906. Archives des hommes politiques (1999), Jacques Borgé et Nicolas Viasnoff

Satisfait à juste titre du travail accompli au cours de son septennat, c’est un sage qui revient à la vie civile, heureux à l’idée de vivre une retraite dorée et bien méritée. C’est aussi le premier président de la République à avoir terminé son mandat sans être poussé à la démission ou assassiné !

Loubet a mené la carrière la plus classique et la plus complète : fils d’un paysan de la Drôme, affable et modeste, bon élève en droit devenu avocat (métier le plus courant chez les politiques), élu en 1870 maire de Montélimar (capitale du nougat, d’où son surnom de « Nougateux »), député en 1876, sénateur en 1885, ministre des Travaux publics, mais aussi président du Conseil (chef du gouvernement), président du Sénat… et finalement élu à 71 ans président de la République, deux jours après la mort « accidentelle » de Félix Faure. Son adversaire malheureux est Jules Méline, connu pour ses convictions protectionnistes et antidreyfusardes. Lui-même est accusé par ses adversaires d’être le candidat des « dreyfusards et des panamistes ». En temps de crises, tout est bon pour attaquer. Mais le nouveau président n’est pas du style boxeur.

Modéré, soutenu par Clemenceau qui annonce dans son journal l’Aurore « Je vote pour Loubet », il parvient à ce poste dans les derniers mois du scandale de Panama (feuilleton politico-financier associé au percement de l’isthme par de Lesseps, père et fils), accueilli au cri de de « Loubet démission » ou « Loubet Panama ». Mais c’est l’Affaire Dreyfus qui va marquer son septennat. Élu par les partisans de la révision, il gère avec tact l’Affaire qui déchire la France et gracie le capitaine en 1906, dans un climat toujours passionné.

Il cultive l’art de conquérir tous les cœurs. Il préside avec bonheur les festivités exceptionnelles du passage au XXe siècle et, lors de l’Exposition universelle de 1900, il reçoit dix mille maires de France venus saluer la tour Eiffel, participant au banquet géant dans le jardin des Tuileries.

« La constitution qui arbitre le pays depuis vingt-six ans ne peut être bouleversée à la légère ; il ne faut procéder qu’à de prudentes réparations. »

Émile LOUBET (1838-1924), Discours au banquet des maires, 24 mai 1901. Les Présidents de 1870 à nos jours (2017), Raphaël Piastra

Un an après le fastueux banquet des dix mille, il réunit à nouveau les maires de la France profonde qui lui est familière, témoignant une fois de plus de son habileté politique et de cette modération qui explique la stabilité de son septennat. Il expose ici sa conception institutionnelle.

Il a inauguré la première ligne de métro à Paris (19 juillet 1900) et joue bien le jeu de la « Belle Époque ». Au cours de ses nombreux voyages à travers la France, sa bonhomie, son accent méridional plaisent à ses interlocuteurs qui apprécient également son visage avenant et malicieux, orné d’une barbe poivre et sel. Parfait diplomate, il participe au rapprochement avec l’Angleterre et la Russie, scellé par la signature de l’Entente cordiale en 1904. Bref, un homme heureux.

La fin de son mandat est plus difficile pour ce partisan de la manière douce : rupture des relations avec le Saint-Siège en lien avec la politique anticléricale d’Émile Combes qu’il désapprouve. Il voit la séparation des Églises et de l’État définitivement actée en 1905, ce qui déchire la France presque autant que l’Affaire Dreyfus.

Au final, le Nougateux a bien mérité sa retraite sur ses terres à Marsanne, proche de Montélimar dans la Drôme.

Président n° 9. Armand Fallières.   

« Ça, rien ? Mais c’est tout un programme ! »2521

Georges CLEMENCEAU (1841-1929). le mot du jour quand Armand Fallières récemment élu appelle au gouvernement Ferdinand Sarrien, radical sans éclat. Clemenceau (2007), Michel Winock

Grand homme politique (et jamais président), Clemenceau est de surcroît le meilleur humoriste de son temps, avec le mot juste, souvent cruel et toujours en situation. Jouant ici sur le nom du nouveau président du Conseil désigné par Fallières et dénonçant – déjà – l’insignifiance de Sarrien, il ne risquait pas de devenir « Clément Sot » : trop méchant et trop intelligent pour ça. Pour preuve, la suite de l’histoire.

Clemenceau sait le désir de Ferdinand Sarrien : avoir Aristide Briand comme ministre de l’Instruction publique et des Cultes, pour faire passer la loi de Séparation (des Églises et de l’État). De son côté, Briand préfère voir Clemenceau dans l’équipe gouvernementale plutôt que dans l’opposition, en redoutable « Tombeur de ministères ».

Clemenceau se rend donc chez Sarrien où se trouvent déjà quelques futurs ministres, le verre à la main. « Que prendrez-vous, cher ami, demande le maître de maison ? _ L’Intérieur. » Sarrien convoitait le ministère en plus de la présidence du Conseil. Il se rabattra sur la Justice et Clemenceau accède enfin à un poste de responsabilité… Bien joué !

Fallières (avec Sarrien) aura au moins quatre personnalités au ministère, noms historiques à divers titres : Clemenceau (devenu le « Premier Flic de France » pour réprimer les grèves dures marquant l’agitation sociale), Briand (orateur hors pair qui débute une longue carrière, 21 fois ministre, promoteur de la nouvelle laïcité en France, artisan de la paix et co-créateur de la SDN après la Grande Guerre), Caillaux (créateur de l’impôt sur le revenu) et Poincaré (prochain président de la République).

« Je vote pour Pams parce que c’est le plus bête ! »2560

Georges CLEMENCEAU (1841-1929). La Légende du siècle : l’Est républicain, 1889-1989 (1989), Michel Caffier

L’argument a déjà servi contre, ou plutôt pour un autre président, Sadi Carnot, élu en 1887. Alors que Poincaré, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, fait campagne en cette fin d’année 1912 pour succéder à Armand Fallières qui ne se représentera pas à la présidence de la République, Clemenceau, son ennemi politique, choisit de voter pour Pams, ministre de l’Agriculture, homme aimable, très riche et inoffensif, proposé par les groupes de gauche. Mais l’argument ne passe pas et Poincaré l’emporte.

« La place n’est pas mauvaise, mais il n’y a pas d’avancement. »2561

Armand FALLIÈRES (1841-1931), à Raymond Poincaré reçu à l’Élysée, 17 janvier 1913

Fallières, huitième président de la Troisième République, élu à 65 ans, fit une carrière politique classique, consciencieuse et discrète : maire, député, sénateur, plusieurs fois ministre, président du Conseil. Il avait le physique de l’emploi : la barbe et la moustache, le ventre – un embonpoint qui lui vaut le surnom d’« Hippopotame » - et une assurance tranquille. Ce fut aussi « le Père Fallières ».

De son septennat, retenons la réintégration de Dreyfus dans l’armée et la création de l’isoloir pour assurer le secret des votes. Sagement, le septuagénaire choisit de ne pas se représenter. Poincaré est élu, avec une carrière et un physique comparables à Fallières. Son premier septennat sera bouleversé par la plus grande tragédie du siècle.

Président n° 10. Raymond Poincaré.

« Ce n’est pas un homme qui triomphe, ce n’est pas un parti. C’est une idée nationale. »2562

Le Journal, 18 janvier 1913. La Troisième République, 1870-1940 (2000), Paul M. Bouju, Henri Dubois

Au lendemain de l’élection de Raymond Poincaré, nouveau président de la République qui, député ou ministre, s’est toujours tenu prudemment « ailleurs », hors du Bloc et des radicaux.

C’est le résultat d’une nouvelle alliance : celle de la droite traditionnelle, des républicains de gouvernement et d’une partie des radicaux touchés par le renouveau nationaliste et sensibles aux mots d’ordre d’union, de patrie. Caillaux, plus clairvoyant, prophétise : « C’est la guerre. » Mais qui peut le croire ?

« Ne croyez pas à la bonn’ République
Si Poincaré veut s’mettre à gouverner,
Il devra l’l’endemain quitter la boutique
Comm’ Mac-Mahon et Casimir-Périer. »2563

Vive Poincaré ! chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Chanson de l’Action française : le titre est naturellement ironique. Même si Poincaré, en mai 1912, a érigé la fête de Jeanne d’Arc en fête nationale et s’est rallié d’indispensables suffrages de droite, même s’il ne s’est pas engagé pour Dreyfus au temps de l’Affaire et vient de mener une politique de fermeté face à l’Allemagne, ce n’est pas encore assez pour l’extrême droite qui se moque donc : « Qui donc parlait de renverser la gueuse ? / Il n’y a plus pour nous en séparer / Que tout’ l’étendu’ d’la question religieuse / Mais… vive Poincaré ! »

« Il n’est possible à un peuple d’être efficacement pacifique qu’à la condition d’être prêt à la guerre. »2564

Raymond POINCARÉ (1860-1934), message aux Chambres, 20 février 1913. Histoire illustrée de la guerre de 1914 (1915), Gabriel Hanotaux

Ayant donné sa version du «  si vis pacem, para bellum » (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »), le président ajoute : « Une France diminuée, une France exposée, par sa faute, à des défis, à des humiliations, ne serait plus la France. »

Alors que Jaurès le pacifiste déclare « la guerre à la guerre », Poincaré va renforcer l’alliance avec la Russie, mais aussi l’armée. Ce président de la République reste dans l’Histoire sous le surnom de « Poincaré-la-Guerre ». Pour la petite histoire, « Pointu » est juste un jeu de mot avec son patronyme, Poincaré.

« Notre grand pays veut la paix, mais seulement la paix qui s’accorde avec sa fierté et sa dignité, non la paix née de la peur. »2565

Louis BARTHOU (1862-1934). L’Illustration, nos 3658 à 3696 (1913)

Président du Conseil de mars à décembre 1913, il fait voter en juillet la loi dite « des trois ans », qui allonge d’une année la durée du service militaire (réduit à deux ans en 1905). Il s’attire du même coup l’hostilité des radicaux et des socialistes.

Le Bloc des gauches, reconstitué pour les élections législatives (26 avril et 10 mai 1914), fait campagne contre « la folie des armements » et obtient 300 élus à la Chambre, contre 260 députés du centre et de la droite. C’est un désaveu pour le président qui se soumet et prend pour président du Conseil un socialiste, René Viviani.

« Il ne suffit pas d’être des héros. Nous voulons être des vainqueurs. »2568

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), L’Homme libre, 15 juillet 1914. Clemenceau (1968), Gaston Monnerville

Clemenceau exprime ses idées dans son journal d’opposition créé en 1913 (rebaptisé L’Homme enchaîné pendant la guerre). Hostile à la politique de Poincaré et de ses gouvernements successifs, il aura l’occasion de mettre en pratique ses idées quand le président appellera son adversaire fin 1917 pour mener la France à la victoire.

« La mobilisation n’est pas la guerre. »2580

Raymond POINCARÉ (1860-1934), Appel au pays, 1er août 1914. Dictionnaire de français Larousse, au mot « mobilisation »

Le président de la République fait afficher cet appel sur les murs des communes de France, en même temps que l’ordre de mobilisation générale. « Poincaré-la-Guerre » a poussé le gouvernement russe à faire preuve de fermeté sur les Balkans, face à l’Autriche. Surestimant la puissance du « rouleau compresseur » de notre allié russe, il pense reconquérir l’Alsace-Lorraine en quelques semaines.

Cette croyance en une guerre courte prévaut en France, mais aussi en Allemagne. Dès juillet 1914, 170 000 hommes stationnés en Afrique du Nord ont été rappelés. À la mi-août, ils seront plus de 4 millions sous les drapeaux. Pratiquement pas de déserteurs, contrairement aux craintes du gouvernement.

« Dans la guerre qui s’engage, la France […] sera héroïquement défendue par tous ses fils dont rien ne brisera, devant l’ennemi, l’union sacrée. »2581

Raymond POINCARÉ (1860-1934), Message aux Chambres, 4 août 1914. La République souveraine : la vie politique en France, 1879-1939 (2002), René Rémond

L’Allemagne a déclaré la guerre à la France le 3 août, envahissant la Belgique pour arriver aux frontières françaises : selon le chancelier allemand Bethmann-Hollweg, le traité international garantissant la neutralité de ce pays n’était qu’un « chiffon de papier ». La violation de la Belgique, en exposant directement les côtes anglaises, a pour effet de pousser cet allié à entrer en guerre.

La guerre va bouleverser l’échiquier politique en France. L’« union sacrée », c’est le gouvernement qui élargit sa base avec l’arrivée de ministres socialistes. C’est surtout la volonté de tous les Français de servir la patrie : royalistes, princes d’Orléans et princes Bonaparte s’engagent, tout comme les militants d’extrême gauche, hier encore pacifistes et internationalistes.

Signalons que « Poincaré-la-guerre » se rendra plusieurs fois sur le front, parfois même au péril de sa vie, pour encourager les soldats. Clemenceau prendra le relais, encore plus présent et plus médiatisé. C’est « de bonne guerre » entre ces deux adversaires politiques, l’essentiel étant la victoire finale.

« Le Parlement est le plus grand organisme qu’on ait inventé pour commettre des erreurs politiques, mais elles ont l’avantage supérieur d’être réparables, et ce, dès que le pays en a la volonté. »2603

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Sénat, 22 juillet 1917. Discours de guerre (1968), Georges Clemenceau, Société des amis de Clemenceau

Toujours dans l’opposition, il met en cause Malvy, ministre de l’Intérieur depuis le début de la guerre, accusé de « défaitisme », en l’occurrence trop de mollesse et de négligence pour réprimer tant des affaires de trahison caractérisées que des menées pacifistes. Clemenceau se pose en recours. Et Poincaré va se résoudre à appeler l’homme de la dernière chance, quels que soient ses préjugés sur le Tigre, le Tombeur de ministères…

« La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires. »2579

Georges CLEMENCEAU (1841-1929). Soixante Années d’histoire française : Clemenceau (1932), Georges Suarez

À 76 ans, il est appelé à la tête du gouvernement et en dernier recours, par le président Poincaré (16 novembre 1917). Jusque-là, il s’est tenu à l’écart, accablant de sarcasmes les chefs civils et militaires : très opposé à la dictature de fait du maréchal Joffre, le grand homme de la France jusqu’en 1916, comme aux ministres de la Guerre qui se succèdent – Millerand le premier, qui couvrait Joffre sans le contrôler.

Désormais, plus question de laisser carte blanche au général en chef ! À la tête d’une France fatiguée, divisée, à bout de nerfs et de guerre, et devenue défaitiste par lassitude, il saura imposer son autorité, à l’armée comme au pays et méritera son nouveau surnom de « Père la Victoire ».

« Nous voulons vaincre pour être justes. »2604

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Chambre des députés, Déclaration ministérielle du 20 novembre 1917. Discours de guerre (1968), Georges Clemenceau, Société des amis de Clemenceau

Il forme un nouveau gouvernement, accepté par une très forte majorité de députés. Pour devenir le « Père la Victoire », il exerce une véritable dictature, avec suprématie du pouvoir civil sur le militaire. Il incarne une république jacobine, au patriotisme ardent, animé par la volonté de se battre jusqu’au bout, mais autrement. Il commence, en décembre, par poursuivre les politiciens défaitistes, Malvy, mais aussi et surtout Caillaux, ex-président du Conseil, accusé d’intelligence avec l’ennemi. Plus grave, il exclura le président Poincaré des négociations de paix.

La haine entre les deux hommes est attestée par un échange de lettres et Poincaré n’est pas le plus fort, dans ce duel. Il le sait et se retire. Seule certitude, chacun n’avait qu’un but : la victoire de la France (et des Alliés).

« L’Allemagne paiera. »2635

Axiome lancé après la Grande Guerre. Histoire de l’Europe au XXe siècle : de 1918 à 1945 (1995), Jean Guiffan, Jean Ruhlmann

Après la guerre, le Bloc national a fondé sa campagne sur ce slogan pour les élections législatives du 16 novembre 1919. C’est aussi la réponse de Clemenceau, chef du gouvernement, interpellé sur les difficultés de la reconstruction. Et la confirmation de Klotz, son ministre des Finances : « L’Allemagne paiera. » « Et jusqu’au dernier penny ! », renchérit Lloyd George, le Premier ministre anglais poussé par son opinion publique.

L’Allemagne paiera, oui, mais mal : le paiement de la dette est un long et décevant feuilleton. Et l’axiome va justifier les prodigalités financières du Bloc national. Comptant sur ces réparations, l’État multiplie les dépenses publiques et les finance par l’emprunt au lieu de l’impôt. L’accroissement considérable de la dette publique et de la monnaie en circulation engendre l’inflation : prix multipliés par 6,5 de 1914 à 1928 ! Le « franc Poincaré » sauvera heureusement les finances et l’économie française.

« Nous voterons pour Deschanel en criant « vive Clemenceau ! ». »2636

Exclamation d’un député. La Vie politique sous la IIIe République : 1870-1940 (1984), Jean-Marie Mayeur

Qui va remplacer Poincaré à la présidence de la République ? Il ne se représente pas, soulagé d’en finir avec ce septennat tout entier marqué par la plus grande tragédie de l’Histoire et les responsabilités écrasantes.

Clemenceau, président du Conseil, souhaite être élu, mais ne pose pas officiellement sa candidature, laissant ses amis la proposer. Par son intransigeance naturelle, il s’est fait des ennemis aussi bien à gauche qu’à droite et le Bloc national va lui préférer Paul Deschanel, élu le 18 février 1920. La France en paix pense pouvoir se passer d’un homme fort et la règle du jeu politique éloigne de la présidence tout personnage risquant de porter ombrage au pouvoir parlementaire. Le vieux Tigre de 79 ans vivra encore près de dix années, passées à écrire et à voyager.

Quant à Poincaré, après sa présidence, il continue sa carrière politique ! La suite de l’histoire lui donne raison.

« La commission est un ministère au petit pied et aux grandes prétentions. »2644

Raymond POINCARÉ (1860-1934), à propos de la commission des Finances, en 1922. Essai sur le travail parlementaire et le système des commissions (1934), Joseph Barthélémy

Voici l’ex-président de la République de retour en président du Conseil – à deux reprises et au total plus de cinq ans, entre 1922 et 1929. Cas exceptionnel de longévité ministérielle. D’habitude, les gouvernements changent si souvent que le vrai pouvoir revient aux commissions parlementaires (Finances et Affaires étrangères notamment).

« La réconciliation des enfants au chevet de la mère malade. »2652

Édouard HERRIOT (1872-1957), parlant avec ironie du nouveau gouvernement Poincaré, 23 juillet 1926. Histoire de France (1954), Marcel R. Reinhard

Après la guerre, l’agriculture et l’industrie se redressèrent vite et bien, pas les finances. L’inflation galope, les possesseurs de capitaux se méfient d’un gouvernement de gauche, soutenu par les socialistes partisans de l’impôt sur le capital. En 1925, chute du franc sur le marché des changes : la livre, 90 francs en décembre 1924, vaudra 240 francs le 21 juillet 1926. On manifeste devant la Chambre des députés. Le nouveau gouvernement Herriot est renversé, le jour même de sa présentation – par 288 voix contre 243. La crise financière a eu raison du Cartel des gauches.

Herriot s’en va, Poincaré revient. Le partant salue ainsi le gouvernement Poincaré d’Union nationale (socialistes exclus) le 23 juillet. Poincaré annonce un train de mesures financières.

« Il faut croire que les difficultés financières étaient en partie artificielles et politiques. Dès que le ministère Poincaré est constitué, tout péril immédiat disparaît comme par enchantement. »2653

Édouard HERRIOT (1872-1957). Jadis : d’une guerre à l’autre, 1914-1936 (1952), Édouard Herriot

Pour la seconde fois, Poincaré rassure comme chef du gouvernement. Herriot fait ici l’éloge de la confiance et reconnaît en même temps l’hégémonie de l’économie : « La liberté politique m’apparaissait une fois de plus terriblement réduite. Les porteurs de bons, les banquiers de France ou d’ailleurs étaient, au-dessus des hommes politiques, les maîtres, toujours invisibles, mais toujours présents de la France. » Herriot se retrouvera membre du ministère Poincaré (à l’Instruction publique de 1926 à 1928).

La Troisième République de l’entre-deux-guerres va enrichir la galerie présidentielle de cinq noms, avant d’être remplacée par le nouveau « régime de Vichy », en fait une dictature. La République et la France seront finalement sauvées par de Gaulle.

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