Galerie présidentielle (IV. Suite de l’entre-deux-guerres, jusqu’à la fin du régime républicain) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

25 Présidents (avec ou sans majuscule selon les sources et l’usage) figurent en tête d’affiche dans ce résumé de la République française.

Présents dans notre Histoire en citations, les passer ainsi en revue à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril 2022 est une manière originale de revisiter l’histoire de France depuis la Révolution.

IV. Suite de la galerie présidentielle dans l’entre-deux-guerres, jusqu’à la fin du régime républicain : Deschanel, Millerand, Doumergue, Doumer, Lebrun.

Président n° 11. Paul Deschanel.

« Paul Deschanel n’est pas de ceux dont on dit « il sera ministre » mais plutôt « il sera académicien. ».

Raymond POINCARÉ (1860-1934), Paul Deschanel (1991), Thierry Billard

C’est dire que l’homme fait bande à part dans la galerie présidentielle et n’a rien du profil politique de la Troisième République. Pourtant, le jeune intellectuel diplômé en lettres et en droit, sous-préfet à 22 ans et député à 30 ans, a toujours rêvé de ce mandat honorifique.

Mince, doté d’un visage fin et ovale, cheveux et sourcils clairs, nez fin et aquilin, moustache soigneusement peignée, il  cultive son « look » et sa tenue de dandy (veste longue, chemise blanche à faux col, cravate en soie à épingle de nacre). Paul Morand voit en lui « le dernier républicain bien mis ».

Dans les réceptions mondaines et les salons littéraires, il charme les femmes par sa culture, son allure et ses manières. Son biographe Thierry Billard précise : « Son apparence est son principal fonds de commerce. Elle attire, envoûte, tape dans l’œil. La presse d’extrême droite l’appelle « le pommadé » ou la « gravure de mode » ; la presse d’extrême gauche « le gommeux de sous-préfecture guindé », « le gérant de cafés chic ». Il joua de sa jeunesse en politique, mais âgé de 55 ans, ses adversaires le comparent aux « jolies femmes qui se fardent, se teignent, s’amincissent pour avoir l’air toujours jeunes, toujours désirables ». En 1909, Adolphe Tabarant, journaliste socialiste, le qualifiera de « mannequin fané » et d›« homosexuel de la République ».

« Un jeune drôle, du nom de Paul Deschanel, s’est permis de baver sur moi hier à la Chambre. Je n’ai pas sous les yeux le compte rendu officiel de la séance, mais je ne puis attendre plus longtemps pour lui dire qu’il s’est conduit comme un lâche et qu’il a effrontément menti. »

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), dans son quotidien La Justice, 27 juillet 1894. Paul Deschanel (1991), Thierry Billard

« Ce polisson, qui procède par basses insinuations, profère à l’égard de la Justice des allégations qu’il sait mensongères. Ce n’est pas tout. Il a mis en cause la politique extérieure que j’ai suivie pendant vingt ans, avec l’approbation de tout son parti, et il a honteusement insinué que je servais un intérêt étranger… »

Insulté, « le polisson » décide de répondre par un duel à l’épée. Preuve de courage ou d’inconscience : le Tigre, chatouilleux sur les règles de l’honneur, est une fine lame et l’a prouvé une douzaine de fois. Comme dit André Billy dans L’Époque 1900 : « Les duels faisaient partie des mœurs littéraires comme l’absinthe, les banquets et les récitations poétiques. » Deschanel est blessé à la tête, l’honneur est sauf et ce « baptême du fer » fait du mondain quelque peu suspect un politique courageux dans le milieu politicien.

« L’homme appelé au rôle d’arbitre doit faire taire ses préférences et s’élever au-dessus de sa foi même […]. À présent que la lutte électorale est terminée, élevons nos esprits et nos âmes au-dessus de l’étroit horizon de nos circonscriptions respectives pour ne plus voir que la France. »

Paul DESCHANEL (1855-1922), président de la Chambre des députés à son entrée en fonction, 13 juin 1898,  « La première bataille à la Chambre : discours de M. Paul Deschanel », Le Gaulois, n° 6046,‎ 14 juin 1898

Figure des Républicains modérés, partisan d’une troisième voie entre libéralisme économique et socialisme, il est élu à la surprise générale président de la Chambre en 1898.

Lors de sa montée au « perchoir », Paul Deschanel fait l’objet de vives protestations des radicaux et socialistes qui lui reprochent d’avoir été élu avec l’appui de la droite, l’empêchant pendant une dizaine de minutes de prononcer son discours de victoire. C’est le jeu traditionnel des partis sous la Troisième.

Mais Deschanel ne joue pas sur ce terrain, ou du moins, il se distingue par d’autres armes qui lui sont naturelles : courtoisie envers ses adversaires, volonté de séduire et de ne pas déplaire le poussent plusieurs fois à refuser d’entrer au gouvernement et à ne pas adopter un ton clivant, lors de ses présidences à la Chambre des députés. Doit-on accuser  un manque de personnalité ? En tout cas, sa capacité de travail et la connaissance des dossiers sont unanimement saluées. 

Une fois élu président de la Chambre, il respectera la traditionnelle impartialité incombant à la fonction : cherchant à échanger avec tous les groupes politiques, il innove en organisant des repas réguliers avec des élus de différents bords. Sa neutralité affichée fait qu’il ne prend part à aucun vote parlementaire. Cela passe à tort ou à raison comme une volonté d’apparaître en homme de consensus en vue de se faire élire à la présidence de la République – son but depuis toujours. Dans la même optique, il refuse tout  poste ministériel (cumul fréquents sous la Troisième).

« L’esprit français, c’est la raison en étincelles. »

Paul DESCHANEL (1855-1922), Discours prononcé en 1908 pour le 25e anniversaire de l’Alliance française fondée en 1883. La Langue française, revue pédagogique, année 1809

Président de la Chambre des députés après un long et beau parcours, de sous-préfet à député d’Eure-et-Loir - élu à 30 ans, réélu 8 fois de suite de 1885 à 1920 avec plus de 70% des suffrages, considéré comme l’un des meilleurs orateurs de sa génération. Il fait l’éloge de la langue française qu’il pratique en écrivain, élu à l’Académie française en 1899 (et à l’Académie des sciences morales et politiques en 1914).

« Le savez-vous assez, vous tous, jeunes gens, et vous, Françaises qui m’écoutez, que nous avons des devoirs envers notre langue comme envers la patrie même, et qu’il faut défendre l’intégrité de l’esprit français comme l’intégrité du territoire ? … Le français est la langue de la diplomatie. Elle est aussi celle des élites (en divers pays) et chaque jour ses clients deviennent plus nombreux. Elle est par excellence la langue de la conversation, elle a le sourire, la grâce. Il y a des races tristes, même sous le soleil ; la nôtre est gaie. Le ciel de France est sur nos lèvres. L’esprit français, c’est la raison en étincelles… Et grâces vous soient rendues à vous, apôtres de l’Alliance Française, artisans de raison et de beauté, qui sur toute la terre répandez la langue immortelle de la France et son âme divine ! »

C’est un joli rêve et le réveil sera brutal, pour la France comme pour l’orateur.

« Il suffit qu’au cours des siècles un seul homme ait été injustement condamné à la peine capitale pour que la peine capitale doive disparaître. »

Paul DESCHANEL (1855-1922)

En bonne compagnie avec Aristide Briand et Georges Clemenceau, Deschanel vote en faveur de l’abolition de la peine de mort en juillet 1908. Mais cette cause ne sera gagnée qu’en 1981, sous la présidence du socialiste Mitterrand.

« Nous voulons bien essayer de solutionner votre problème mais il faudrait d’abord nous l’explicationner. »

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), à Paul Deschanel qui lui avait demandé de « solutionner » un problème. Clemenceau, édition du centenaire (2017), Michel Winock

Le Tigre qui s’est battu en duel sans plus de façon après échange d’insultes se moque de ses manières trop distinguées et de son parler alambiqué – notons que de nos jours, cela passerait inaperçu, solutionner étant synonyme de résoudre, problème étant abusivement remplacé par problématique, pouvoir par « être en situation de », aveugle par « mal voyant », etc., etc., etc.

« Il est plus facile de faire la guerre que la paix. »2633

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours de Verdun, 14 juillet 1919. Discours de paix (posthume), Georges Clemenceau

Après la Grande Guerre, le « Père la Victoire » est toujours à la tête du gouvernement d’une France épuisée par l’épreuve des quatre ans de guerre, même si une minorité artiste et privilégiée fête la décennie des « Années folles » d’après-guerre.

Le vieil homme est devenu le « Perd la Victoire » : piètre négociateur au traité de Versailles signé le 28 juin, il a laissé l’Anglais Lloyd George et l’Américain Wilson l’emporter sur presque tous les points… Au final, il ne sera pas président de la République, l’Assemblée préférant voter en 1920 pour un homme qui ne lui portera pas ombrage, Deschanel.

« Nous voterons pour Deschanel en criant « vive Clemenceau ! ». »2636

Exclamation d’un député. La Vie politique sous la IIIe République : 1870-1940 (1984), Jean-Marie Mayeur

Qui va remplacer Poincaré en fin de septennat à la présidence de la République ?

Clemenceau, président du Conseil, souhaite être élu, mais le vieux routier de la politique ne pose pas officiellement sa candidature, laissant ses amis la proposer. Par son intransigeance, il s’est fait des ennemis aussi bien à gauche qu’à droite et le Bloc national (coalition au pouvoir des partis classés au centre et à droite) lui préfère Paul Deschanel, élu le 18 février 1920. La France en paix pense pouvoir se passer d’un homme fort et la règle du jeu politique éloigne de la présidence tout personnage risquant de contrecarrer le pouvoir parlementaire.. Le vieux Tigre de 79 ans se retire de la scène politique et vivra encore près de dix années, passées à écrire et à voyager.

« Ce peuple m’acclame mais je ne suis pas digne de lui. »

Paul DESCHANEL (1855-1922), à la suite de l’élection présidentielle du 17 janvier 1920, dans la voiture qui le ramène

Figure des Républicains modérés, partisan d’une troisième voie entre libéralisme économique et socialisme, il fut déjà élu à la surprise générale président de la Chambre des députés en 1898. En 1912, il retrouva ce poste qu’il conserve pendant la Grande Guerre, refusant de devenir président du Conseil. Deschanel est finalement élu au poste suprême avec le plus grand nombre de voix jamais obtenu pour ce type d’élection sous la Troisième République !

Mais l’homme est malade et il le sait. À peine élu et selon un processus connu, il passe de l’excitation à un état de dépression caractérisé par une mélancolie anxieuse, dite neurasthénie. Les signes en sont immédiats. Au sortir même du scrutin, il s’écrie, tragique : « Ce peuple m’acclame et je ne suis pas digne de lui. » Peu après, recevant les parlementaires dans son bureau de l’Élysée, il lance d’une voix emphatique, ouvrant les bras en croix : « Ces murs m’écrasent… »

« Je suis blessé. Je suis monsieur Deschanel, le président de la République. »

Paul DESCHANEL (1855-1922), nuit du dimanche 24 mai 1920

Fait divers historique, relaté avec force détails dans toute la presse.

23 mai, quatre mois après son élection, le président prend le train, gare de Lyon à Paris, destination Montbrison (Loire) où il doit inaugurer un monument aux morts. Fatigué, il se retire à 22h dans la chambre du wagon présidentiel. Il ne veut pas être dérangé avant son réveil à 7 heures. Comme d’habitude, il peine à dormir et la chaleur n’arrange rien. Il va ouvrir la très large fenêtre pour prendre l’air. Peut-être sous l’effet des calmants, il bascule et tombe sur la voie. Le train évolue à faible vitesse, il s’en sort avec quelques contusions et marche le long de la voie.

Il rencontre un cheminot effectuant une ronde de nuit et se présente, pitoyable…  L’autre prend cet homme en pyjama pour un ivrogne ou un fou. Après une courte marche, ils arrivent chez Gustave Radeau, garde-barrière de Mignerette (à 10 km de Montargis). Une femme témoin de l’événement déclara : « J’avais bien vu que c’était un Monsieur, il avait les pieds propres ». Le garde-barrière donne les premiers soins avant qu’un médecin n’identifie le Président et le conduise à la sous-préfecture de Montargis. La presse et les humoristes vont se déchaîner sur « Fou-fou-train-train ».

Cet épisode rocambolesque confirme les soupçons sur la santé mentale du président – on parlerait aujourd’hui d’état anxio-dépressif ou de burn-out. Mis au repos quelques semaines à Rambouillet, il revient en juillet, mais craque à nouveau. Les rumeurs vont bon train, comme l’on dit. Le contexte est propice aux fake news… On l’aurait vu plonger à l’aube dans le bassin du château de Rambouillet pour pêcher des carpes à mains nues, grimper en haut d’un arbre du parc de l’Élysée en coassant, recevoir un ambassadeur complètement nu ! Certains documents officiels seraient revenus signés « Vercingétorix » ou « Napoléon ». Deschanel poussé à la démission va céder.

« Mon état de santé ne me permet plus d’assumer les hautes fonctions dont votre confiance m’avait investi lors de la réunion de l’Assemblée nationale le 17 janvier dernier. L’obligation absolue qui m’est imposée de prendre un repos complet me fait un devoir de ne pas tarder plus longtemps à vous annoncer la décision à laquelle j’ai dû me résoudre. Elle m’est infiniment douloureuse et c’est avec un déchirement profond que je renonce à la noble tâche dont vous m’avez jugé digne. »

Paul DESCHANEL (1855-1922), message du président lu aux Chambres le 21 septembre 1920

Il tentera un retour en politique, élu au Sénat le 10 janvier 1921, et meurt d’une pleurésie, le 28 avril 1922.

Président n° 12. Alexandre Millerand.

« Il a l’air idiot, mais méchant […] une tête carrée, fermée à tout, des yeux de myope, et pourtant il a des lueurs de bon sens. »,

CLEMENCEAU (1841-1929), Clemenceau (1968) Philippe Erlanger

« Le Tigre » qui a toujours la dent dure face aux confrères croque à grands traits ce terrien (comme lui) aux allures de taureau. Il juge dès la première rencontre le jeune avocat (de gauche) qui va entrer dans l’équipe de rédaction de son journal, La Justice.

Biographe attitré de Millerand, Jean-Louis Rizzo confirme : « Son caractère ombrageux, ses obstinations ainsi que ses erreurs éloignèrent de lui nombre de ses amis politiques. »

Au physique et au mental, Millerand s’oppose à Deschanel auquel il succède au poste suprême, après avoir été son président du Conseil et assuré l’intérim présidentiel du 21 au 23 septembre 1920.

Quant à ses idées, elles peuvent être simplement résumées dans un paysage politique complexe et changeant. En 56 ans de carrière intense et à la « belle époque » des partis, il commence très à gauche et finit très à droite – sans tomber dans la violence des extrêmes. Mais sur le plan institutionnel, Millerand a une idée fixe qui remonte à Mac-Mahon et aboutira sous de Gaulle : il faut renforcer le pouvoir présidentiel face au Parlement.

« Un régime bâtard, qui a de la République le nom et de la monarchie les vices. »

Alexandre MILLERAND (1859-1943), « Une solution », La Justice, no 3167,‎ 15 septembre 1888

Dès le début de sa carrière et à contre-courant de la pensée dominante, il milite pour la révision des lois constitutionnelles de 1875. Il déplore (ici, dans le journal de Clemenceau) ce qui est devenu l’évidence et le point faible de la Troisième : « l’instabilité dans le pouvoir exécutif (…) des conflits et l’impuissance dans le pouvoir législatif. »

« L’affaire de Panama a montré toutes les forces sociales de ce pays au service et sous les ordres de la haute finance […] La nation doit reprendre sur les barons de cette nouvelle féodalité cosmopolite les forteresses qu’ils lui ont ravies pour la dominer : la Banque de France, les chemins de fer, les mines. »2506

Alexandre MILLERAND (1859-1943), Profession de foi aux électeurs du XIIe arrondissement, 1893. Les Socialistes indépendants (1911), Albert Ory

C’est l’idée toujours actuelle du pouvoir de la finance internationale. Sont d’ailleurs citées des entreprises qui seront nationalisées après la Seconde Guerre, en 1945-1946.

Millerand, républicain radical (au sens littéral et premier) devenu socialiste (avec toutes les nuances) avant de finir résolument conservateur fait partie de ces hommes nouveaux qui, comme Jean Jaurès, se retrouvent députés au terme des élections de l’été 1893. La République reste modérée, mais la nouvelle Chambre amorce un tournant à gauche avec l’apparition du socialisme parlementaire, encore trop désuni pour être fort. Quant à l’affaire de Panama, la plus grave crise financière de la Troisième République, elle laisse des traces durables : antiparlementarisme et antisémitisme accrus, dans une France divisée.

« Ni révolution, ni réaction ! »2521

Jules MÉLINE (1838-1925), à Alexandre Millerand, Chambre des députés, 14 juin 1898. Histoire des institutions du droit public français au XIXe siècle, 1789-1914 (1953), Gabriel Lepointe

Président du Conseil (des ministres) qui a bénéficié du redressement économique et financier de la France, Méline réplique à Millerand, député socialiste dans l’opposition qui l’attaque sur sa politique générale, lui reprochant de combattre les socialistes et les syndicats - reconnus par la loi du 21 mars 1884. Méline tente de replâtrer son ministère, mais refuse de gouverner avec l’appui des socialistes comme des conservateurs et doit démissionner le lendemain 15 juin.

Un an après, le 23 juin 1899, le groupe socialiste de la Chambre donne son accord de principe à une participation ministérielle : Millerand entre au gouvernement Waldeck-Rousseau comme ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes. C’est un événement, sinon une révolution : première nomination d’une personnalité socialiste sous la Troisième. Mais plusieurs de ses alliés dénoncent (déjà) cette collaboration à un « gouvernement bourgeois » comme contraire à la lutte des classes.

Dans un contexte de graves conflits sociaux, Millerand obtient des résultats concrets là où la Troisième a tant tardé ! Il facilite l’accès des ouvriers aux postes d’inspecteurs adjoints du travail et la création des conseils de prud’hommes. Pour éviter des débats parlementaires à l’issue incertaine, il prend une série de décrets et circulaires renforçant les missions de l’inspection du travail, l’indemnisation des accidents du travail, les mesures sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs dans l’industrie. La « loi Millerand » du 30 mars 1900 harmonise la durée maximale de travail à dix heures par jour (contre douze). Il parvient à obtenir le soutien du Sénat réputé favorable au patronat, mais il s’aliène les socialistes qui demandent davantage… ce qu’il obtiendra en partie dans le secteur public : journée de travail de huit heures dans les postes et télégraphes, création d’un syndicat ouvrier, temps de repos hebdomadaire, etc. 

Aux antipodes de cet engagement social, devenu sénateur de l’Union républicaine (résolument de droite) dans les années trente et en pleine crise économique, suite au krach de 1929 à la Bourse de New York, Millerand affirmera que « le bien-être de l’ouvrier est fonction de la prospérité du patron ». C’est dire qu’il est passé de la révolution à la réaction.

« Taisez-vous ! Méfiez-vous ! Des oreilles ennemies vous écoutent. »2585

Alexandre MILLERAND (1859-1943). Avant l’oubli : la vie de 1900 à 1940 (1987), Édouard Bonnefous

Ministre de la Guerre en 1914-1915, il fait placarder des affiches avec ces exhortations – formule reprise sous la Seconde Guerre mondiale, en vertu de quoi c’est sa citation la plus connue. Rien de paranoïaque, mais une simple évidence : la plupart des « renseignements » ne viennent pas de services spéciaux ni d’espions plus ou moins professionnels, mais de la collecte de tout ce qui se dit et se répète à tort ou à raison en temps de guerre.

À côté de Millerand qui a enfreint dès 1899 la règle de non-participation d’un socialiste à tout ministère bourgeois, deux membres du Parti socialiste apparaissent au gouvernement en août 1914 : Marcel Sembat aux Travaux publics et Jules Guesde, ministre d’État, le « socialisme fait homme. C’est l’un des symboles de l’« Union sacrée » devant la patrie en danger. Mais l’union sacrée ne durera pas.

Millerand, « socialiste indépendant » devenu patriote avec la Grande Guerre, crée en 1914 la Fédération des gauches et dix ans plus tard la Ligue républicaine nationale (LRN) de droite. Entre-temps, président du Conseil après la victoire du Bloc national (de droite) aux législatives de 1919 (élu face au socialiste Gustave Delory), il appelle à une révision constitutionnelle pour accroître les prérogatives du chef de l’État - son idée force et fixe, mais son grand échec politique.

« La politique tracée par Monsieur Millerand découvre sa personne et si demain elle était désapprouvée par le suffrage universel, nous aurions sûrement à déplorer sa démission. »

Gratien CANDACE (1873-1953), revue du PRDS (Parti Républicain Démocratique et Social) à la fin de l’année 1923

Ce député de Guadeloupe dénonce l’attitude du président de la République et annonce le commencement de la fin pour son mandat de plus en plus chahuté.

Défendant une application à la lettre des lois constitutionnelles, Millerand s’implique dans les affaires du pays, contre la pratique en vigueur sous la Troisième depuis la « Constitution Grévy » limitant le Président au rôle d’arbitre – et à « l’inauguration des chrysanthèmes » (de Gaulle). Il appelle à une révision constitutionnelle pour renforcer les prérogatives du chef de l’État en supprimant les restrictions au droit de dissolution de la Chambre des députés.

En politique extérieure, il s’oppose à la détente avec l’Allemagne souhaitée par Aristide Briand, président du Conseil qui va démissionner le 12 janvier 1922, remplacé par Poincaré, ex-Président de la République et homme de droite.

Le 14 octobre 1923, dans son discours d’Évreux, se posant comme chef de la droite, Millerand manifeste clairement son intention de réduire le rôle du Parlement et s’oppose alors à Poincaré juriste pointilleux, avec cet art de se mettre à dos même ses alliés. En vue des élections de mai 1924, il prend position en faveur du Bloc national (groupant modérés et conservateurs). Mais le Cartel des gauches va l’emporter.

« Monsieur le Président, j’ai l’honneur de vous présenter ma démission de Président de la République. »

Alexandre MILLERAND (1859-1943), 11 juin 1924, Lettre lue et adressée aux président du Sénat et de la Chambre des députés

Regroupant les socialistes SFIO, les républicains socialistes, les radicaux-socialistes et la gauche radicale, autrement dit toute l’opposition, le Cartel des gauches remporte une victoire électorale qui lui permet d’accéder au pouvoir. Millerand tente l’impossible pour trouver un président du Conseil viable et au bout d’un mois, constatant qu’il a « épuisé tous les moyens légaux » et refusant un éventuel coup d’État, il présente sa démission dans une lettre lue aux deux chambres, remplacé par son opposé en presque tout, le très populaire Gaston Doumergue.

Cherchant un nouveau mandat pour bénéficier d’une tribune nationale, l’ancien président met en avant la révision constitutionnelle, « le seul moyen légal d’en finir avec ce régime dont on ne peut dire s’il inspire au pays plus de lassitude ou plus d’écœurement. » Il fustige la « dictature parlementaire », l’instabilité ministérielle, le « désordre ». Il s’oppose naturellement au Front populaire durant la campagne législative de 1936. Il reste officiellement sénateur jusqu’à sa mort mais il ne l’est plus de facto après l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain qui ne réunit pas une seule fois le Parlement.

Dans les notes qu’il prend pendant l’Occupation, il critique l’armistice et estime que « les hommes qui ont traité au nom de la France ont commis le crime de ne pas croire en la France. »

« Il semble que cet homme, fatigué par des années de lutte, ait manqué de la ténacité qui lui aurait permis de mettre en échec des adversaires nombreux, mais dont aucun n’avait son envergure. Peut-être avait-il compris la vanité de vouloir faire une politique nationale avec un régime parlementaire qui s’y prêtait si mal. »

L’Illustration, hebdomadaire du 17 avril 1943, à la mort du Président Millerand. Alexandre Millerand : socialiste discuté, ministre contesté et président déchu (1859-1943) (2013), Jean-Louis Rizzo

Dans cette biographie très documentée, l’auteur conclut : « Il détint véritablement le pouvoir en 1920, il le quitta pour une présidence de la République qui lui apporta davantage de désillusions que de satisfactions. Il n’en demeure pas moins qu’il fut parfois un précurseur, aussi bien dans l’affirmation d’un socialisme démocratique que dans la volonté de voir émerger un pouvoir exécutif fort. »

Leçon de l’histoire et du parcours d’un républicain entièrement voué à la politique. Mais cet homme eut quand même une vie privée réussie. Elle s’appelait Jeanne, ils formaient un couple fusionnel.

« Mais c’est une reine que vous avez là ! »

MARIE D’ÉDIMBOURG (1875-1938) en visite à Paris avec son époux le roi Ferdinand Ier de Roumanie, s’adressant au chef du protocole, mai 1924. Les Dames de l’Élysée : celles d’hier et de demain (1987), Bertrand Meyer-Stabley

Finissons par une touche glamour et people, histoire de rappeler que la fonction présidentielle est largement honorifique et que le Paris de l’entre-deux-guerres brille encore de tous ses feux. La reine de Roumanie salue en ces termes la Première Dame de France, quelques jours avant la fin d’un mandat présidentiel écourté.

Malgré son physique peu séduisant et son caractère guère séducteur, Millerand fut un président parfaitement heureux en ménage. Alexandre et Jeanne ont en commun le sens pratique, l’esprit terrien, l’attachement à la propriété, un esprit conservateur. Ils se marient après quinze ans de vie commune.

Épouse discrète, mère attentive à leurs quatre enfants, peu encline aux mondanités, elle tient quand même son rôle, participant aux soirées du palais de l’Élysée. Fidèle au  style d’antan, robe longue à corset, velours pesant et soies bruissantes, ombrelles et lourds chapeaux fleuris, cette belle et grande femme ignore la haute-couture signée Coco Chanel ou Jeanne Lanvin. Elle autorise les musiques en vogue, mais proscrit le tango. Cette Première Dame de France dépense assez pour bien tenir son rôle, apprécie d’être l’intendante du Palais et exerce une certaine influence sur son mari.

Président n° 13. Gaston Doumergue.

Celui qui « connut les égarements et les fureurs de la foule qui hurle la mort et qui veut le sang de ceux qui se refusent à flatter ses passions et à partager ses erreurs »;

Gaston DOUMERGUE (1863-1937), Discours du 4 juin 1908 à l’occasion du transfert des cendres d’Émile Zola au Panthéon

Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, il parle au nom du gouvernement Clemenceau et conclut la cérémonie sur l’héroïsme de l’écrivain s’engageant tout entier dans la défense de Dreyfus, signant le fameux « J’accuse » dans l’Aurore (journal de Clemenceau), le 13 janvier 1898 et déclenchant le long processus judiciaire aboutissant à la réhabilitation du capitaine juif.

Le jour même de la cérémonie, des milliers de manifestants crient « Vive Zola » ou « À bas Zola » et un journaliste d’extrême-droite tire sur le commandant Dreyfus, légèrement blessé. L’Affaire continuera de déchirer la France jusque dans l’entre-deux-guerres !

« Échappé de la Saint Barthelemy. »

Édouard DRUMONT (1844-1917) injuriant en ces termes Gaston Doumergue, ministre de l’Instruction publique, La Libre Parole, 30 juin 1908

Fervent partisan de l’école laïque, Doumergue a déclenché sans le vouloir la guerre scolaire la plus violente de l’histoire de France, déposant en juin 1908 trois projets de loi de « défense laïque » visant à punir les familles qui empêchent leurs enfants de suivre l’enseignement (gratuit et obligatoire), même anticatholique.

D’où le surnom lancé par le polémiste ultra-catholique Édouard Drumont dans son journal. Une injure sous sa plume, mais Doumergue le protestant doit apprécier de se retrouver aux côtés d’Henri IV particulièrement visé par la Saint-Barthélemy catholique le jour de ses noces.

Trop clivante, cette défense laïque ne passera pas au Parlement, mais l’enseignement impulsé par les lois Ferry progresse lentement et sûrement dans le pays.

« Je suis républicain de gauche. Je ne fais appel qu’aux voix de gauche. J’entends gouverner à gauche avec une majorité de gauche. »

Gaston DOUMERGUE (1863-1937), Discours du nouveau président du Conseil, 9 décembre 1913. L’Appel au père : de Clemenceau à de Gaulle (1992), Jean-Pierre Guichard.

Il se positionne résolument à la tête de son gouvernement et ces mots feront date. Il présente le projet d’impôt sur le revenu (signé Joseph Caillaux) ardemment soutenu par cette majorité socialiste et le Sénat conservateur qui s’y oppose depuis cinq ans finit par céder, en juillet 1914. Mais comme ministre des Affaires étrangères, il défend loyalement la loi militaire dite des Trois ans contre les radicaux : « Nul d’entre vous n’attend que nous rouvrions le débat : c’est la loi. »

Le président de la République Raymond Poincaré avait choisi Doumergue comme conciliateur capable de former un cabinet « d’entente républicaine ». Dès lors, il s’est attaché à concilier les revendications du parti radical et l’intérêt du pays, dans un horizon international qui s’obscurcit : l’homme d’État a pris le pas sur l’homme de parti.

L’opinion lui saura gré, à la veille de la Grande Guerre, de dépasser les querelles partisanes et d’imposer avec clairvoyance et fermeté la politique de défense dont la nation a besoin.

« Dans une démocratie bien organisée, Doumergue serait juge de paix en province. »

René VIVIANI (1863-1925), nouveau président du Conseil, 3 août 1914

Le jour même où l’Allemagne déclare la guerre à la France - début de la Première Guerre mondiale -, Viviani appelle Gaston Doumergue pour le remplacer aux Affaires étrangères, dans son éphémère et premier gouvernement. Il deviendra ensuite ministre des Colonies.

Dans l’esprit de Viviani, c’est un compliment, la reconnaissance d’un sens pratique et d’un bon sens qui font défaut à tant de politiciens. Précisons que Doumergue, avocat de profession (comme la plupart des politiciens de la Troisième) fut juge de paix à Alger en 1893, tandis que Viviani, né en Algérie (française), y fut avocat avant de venir en métropole pour faire carrière en politique.

« Respectueux de la Constitution dont je dois être le gardien, je resterai toujours dans le rôle qu’elle m’assigne. Ce rôle exige que je sois au-dessus des partis, afin d’être un arbitre impartial et indiscuté. »

Gaston DOUMERGUE (1863-1937), Discours d’investiture du nouveau Président de la République, 13 juin 1924. L’Élysée, coulisses et secrets d’un palais (2012), Patrice Duhamel et Jacques Santamaria

Il s’oppose à son prédécesseur Millerand qui n’a cessé de vouloir imposer ses positions au Parlement, contrairement à la règle du jeu institutionnel en vigueur depuis 1875 et avec une brutalité souvent maladroite.

Son septennat sera marqué par une instabilité ministérielle chronique dans le contexte politique chaotique de l’entre-deux-guerres : il nommera 15 gouvernements différents ! Mais ce président n°13 déjoue le maléfice du nombre et s’affiche en homme heureux, dans un rôle qui convient à son caractère et qu’il joue apparemment sans effort, d’où sa popularité à la fois immédiate et durable.

« Rose et noir – de noir vêtu, rose du front au menton – sa joue reluit, peinte aux couleurs de la pomme d’hiver. Un sang vif garnit le bout charnu de l’oreille. L’œil, où danse un point d’or, rit d’un rire moins familier que la bouche. Ce Romain affable fixe lui-même les bornes de sa propre liesse et doit savoir limiter celle d’autrui. »

COLETTE (1873-1954). L’Élysée, histoire d’un palais (2010), Georges Poisson

La romancière attentive à la vie politique « croque » le nouveau chef de l’État, également sensible à « l’étonnante prestesse d’expression qui maintient la jeunesse sur ce visage méridional. » Très aimé dans le pays, ce célibataire qui fait exception à la règle présidentielle et ne peut afficher aucune Première Dame de France, classé homosexuel (ou bisexuel) plaît beaucoup aux femmes.

« Vous êtes notre Gastounet national ! »

Anna de NOAILLES (1876-1933). Gaston Doumergue. Du modèle républicain au sauveur suprême (1992), Jean Rives

Romancière et poétesse d’origine roumaine, première femme élevée au grade de commandeur de la Légion d’honneur, icône immensément riche de la Belle-Époque et de l’entre-deux-guerres, son salon de l’avenue Hoche attire l’élite intellectuelle, littéraire et artistique : Edmond Rostand, Francis Jammes, Paul Claudel, Colette, André Gide, Maurice Barrès, Frédéric Mistral, Paul Valéry, Jean Cocteau, Léon Daudet, Pierre Loti, ou encore Max Jacob, Robert Vallery-Radot et François Mauriac. C’est également une amie de Clemenceau.

« Monsieur le président, c’est dans mon tempérament.
– Monsieur le ministre, quand on veut commander aux autres, il faut d’abord se commander soi-même. »

Gaston DOUMERGUE (1863-1937), président de la République. « Ils étaient Présidents : Gaston Doumergue », Histoire, mars 2017, Contrepoints

Doumergue répond à Joseph Caillaux jouant du monocle et vitupérant contre ses successeurs aux Finances. Le président de la République soulignait combien la polémique n’a pas sa place dans un projet de loi. Rappelons que ce ministre fit passer non sans mal l’impôt sur le revenu, à la veille de la Grande Guerre.

Le septennat présidentiel (1924-1931) est marqué par un petit miracle économique dû à Poincaré qu’il encourage et par l’aboutissement d’une utopie géopolitique d’Aristide Briand qu’il ne contrarie pas.

« La réconciliation des enfants au chevet de la mère malade. »2652

Édouard HERRIOT (1872-1957), parlant avec ironie du nouveau gouvernement Poincaré, 23 juillet 1926. Histoire de France (1954), Marcel R. Reinhard

Après la Grande Guerre de 1914-1918, l’agriculture et l’industrie se redressèrent vite et bien, mais pas les finances. L’inflation galope, les possesseurs de capitaux se méfient d’un gouvernement de gauche soutenu par les socialistes partisans de l’impôt sur le capital. En 1925, chute du franc sur le marché des changes : la livre, 90 francs en décembre 1924, vaudra 240 francs le 21 juillet 1926. On manifeste devant la Chambre des députés.

Le nouveau gouvernement Herriot est renversé le jour même de sa présentation – par 288 voix contre 243. La crise financière a eu raison du Cartel des gauches. Herriot s’en va, Poincaré revient. Le partant salue ainsi le gouvernement Poincaré d’Union nationale – socialistes exclus. Poincaré annonce aussitôt un train de mesures financières.

« Il faut croire que les difficultés financières étaient en partie artificielles et politiques. Dès que le ministère Poincaré est constitué, tout péril immédiat disparaît comme par enchantement. »2653

Édouard HERRIOT (1872-1957). Jadis : d’une guerre à l’autre, 1914-1936 (1952), Édouard Herriot

C’est la seconde fois que Poincaré rassure – déjà en 1924. Herriot fait ici l’éloge de la confiance et reconnaît en même temps l’hégémonie de l’économie : « Les porteurs de bons, les banquiers de France ou d’ailleurs étaient, au-dessus des hommes politiques, les maîtres, toujours invisibles, mais toujours présents de la France. » Herriot se retrouvera membre du ministère Poincaré (à l’Instruction publique de 1926 à 1928). Sous la République des camarades et au fil des gouvernements, les mêmes noms reviennent à des postes différents ou pas.

« Certes, nos différends n’ont pas disparu, mais, désormais, c’est le juge qui dira le droit […] Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! »2654

Aristide BRIAND (1862-1932), ministre des Affaires étrangères, Discours du 10 septembre 1926. Histoire de l’Europe au XXe siècle : de 1918 à 1945 (1995), Jean Guiffan, Jean Ruhlmann

À l’inverse de Doumergue et de Poincaré qui incarnent la fermeté face à l’Allemagne, Briand croit à la réconciliation, au désarmement, au droit international et à la Société des nations (SDN) garante de la paix. Après le pacte de Locarno d’octobre 1925 qui garantit les frontières fixées au traité de Versailles, le ministre des Affaires étrangères salue l’entrée de l’Allemagne au sein de la SDN. On sait la suite de ce rêve fracassé face à Hitler et l’armée du Reich.

« Ouf ! »

Gaston DOUMERGUE (1863-1937) se levant à la fin de son dernier Conseil des ministres.  quittant l’Élysée le 12 juin 1931. « Ils étaient Présidents : Gaston Doumergue », Histoire, mars 2017, Contrepoints

Avec sa cote de popularité, notre « Gastounet » pouvait solliciter le renouvellement de son septennat. Il n’en fit rien. En bon républicain, il avait œuvré pour la « chose publique »  et une bonne raison de quitter l’Élysée l’attendait : son amour d’enfance, Jeanne Marie Joséphine Gaussal, quinquagénaire, riche et veuve.

Le vieux célibataire avait convolé le 1er juin dernier, dans le salon vert au premier étage du palais. Le personnel de l’Élysée attendait les mariés avec les bras chargés de fleurs. Doumergue qui s’était montré discret en fut surpris. « C’est l’Ambassade d’Angleterre qui nous a prévenus » lui répondit-on. Un président n’a pas vraiment de vie privée. Il partit donc pour vivre une retraite heureuse et dorée dans la maison de Tournefeuille (Haute-Garonne). Mais la Politique ne lâche pas ses pratiquants.

6 février 1934, journée dramatique pour la République, attaquée jusqu’au sein du Palais-Bourbon. 30 000 manifestants d’extrême-droite protestent contre les « voleurs » (députés complices de l’escroc Stavisky) et la révocation du préfet de police Jean Chiappe, favorable à la droite. La garde mobile tire. L’émeute fait 17 morts, plus de 1 000 blessés (la moitié sont des policiers et soldats). Le gouvernement Daladier démissionne : sous la pression de la rue et par impuissance du régime, la gauche doit rendre le pouvoir à la droite. Albert Lebrun, président de la République, se tourne vers « le sage de Tournefeuille » et l’invite à former un gouvernement pour assurer le redressement du pays.

« L’arrivée au pouvoir de M. Doumergue offre à ce régime l’occasion à la fois de se maintenir, de s’amender et par là-même de se sauver [ ] C’est sans doute le dernier barrage. »

L’Œuvre, 11 février 1934. « Héros de la normalité » et circonstances inhabituelles : l’incapacité de Gaston Doumergue à réformer l’État à la suite du 6 février 1934. Revue française de droit constitutionnel 2005/4 (n° 64) Christopher Charles

Gaston Doumergue constitue un gouvernement d’Union nationale allant de la droite nationale à la gauche néo-socialiste. Souhaitant la « trêve » entre les partis, son cabinet réunit des hommes d’expérience, dont six anciens présidents du Conseil, mais l’opinion publique sera bientôt déçue. Les « vieux chevaux de parade » du parlementarisme ne sont pas les mieux à même de relever l’image dégradée du régime, malgré la caution d’Édouard Herriot, chef du Cartel des gauches, maire « à vie » de Lyon, et la présence d’André Tardieu, défenseur d’une réforme constitutionnelle qui devait fournir à la gauche de bonnes raisons pour entraver l’action gouvernementale. Les relations deviennent exécrables.

« Le ministère Doumergue aura duré neuf mois jour pour jour. Mais pendant le temps d’une grossesse normale, il n’a enfanté que le néant. [ ] M. Doumergue n’a rien fait parce qu’il était inégal au rôle où l’avait juché un caprice de l’histoire. »

Léon BLUM (1872-1950)  savourant sa victoire, Le Populaire, 9 novembre 1934. André Tardieu (2019) Maxime Tandonnet.

Bref come-back perdant. Doumergue a laissé passer les dernières chances d’une réforme de l’État et du régime parlementaire. Erreur de calendrier, il ne profite pas de l’état de grâce pour prendre les mesures d’urgence et entreprendre la réforme institutionnelle. Erreur de « casting », l’équipe gouvernementale étant mal composée au départ et mal gérée par la suite. Erreur de méthode, il semble hésiter entre une pratique bonapartiste et monarchiste du pouvoir.

La campagne de Léon Blum a porté ses fruits. Le PRS s’est rallié à ses positions, rejetant la réforme proposée par Doumergue et lui demandant d’y renoncer. Face à son refus, les radicaux quittent le gouvernement le 8 novembre, provoquant la démission du président du Conseil.

Président n° 14. Paul Doumer.

« Tu peux devenir président de la République. Le moyen en est simple, il suffit que tu sois le premier partout. »:

Jean GIRAUDOUX (1882-1944), Simon le Pathétique (1918)

Diplomate et romancier, puis auteur dramatique, il fait une longue carrière aux Affaires étrangères de 1910 à 1940. Fils d’un petit fonctionnaire, Giraudoux est un « boursier ». Rien ne lui a été donné au départ. Comment ne pas croire qu’il ait lui-même entendu le discours qu’un père imaginaire tient à Simon le pathétique. Discours qui justifie cette méritocratie qu’a longtemps été notre République, jusque sous la Cinquième. Plus exceptionnelle, l’ascension sociale de Paul Doumer, fils d’ouvrier devenu chef de l’État, n’a sans doute pas d’équivalent dans l’histoire de France.

Il travaille à douze ans comme coursier, puis ouvrier graveur. Il fut ensuit enseignant, journaliste, élu municipal, puis député à une époque où il fallait généralement une manne financière personnelle considérable. En raison de son parcours « méritant », Paul Doumer va prouver que l’instruction et le mérite jouent un rôle déterminant dans la promotion sociale, même s’il a aussi profité de ses relations franc-maçonnes et coloniales – très bien vues à l’époque.’autres

« Du jour où les fils de France cesseraient d’être de vaillants soldats, ils pourraient s’attendre à voir leur pays rayé de la carte du monde. »

Paul DOUMER (1857-1932), Une ascension en République : Paul Doumer (1857-1932), d’Aurillac à l’Élysée (2013), Amaury Lorin

Fait capital dans son parcours : il perdra quatre de ses cinq fils dans la Grande Guerre.

Spécialiste des questions de défense, il considère la puissance militaire comme le seul moyen de sauvegarder la sécurité nationale. Il vénère Jeanne d’Arc qui participe du roman national plus que du récit. Patriote au sens plein du mot, il ne cessera de le dire et de le prouver de toutes les manières.

Entré en politique comme radical socialiste, plusieurs fois élu député entre 1888 et 1910, il est nommé gouverneur général de l’Indochine française en 1896, dans le cadre de la politique coloniale menée par la Troisième République. Cinq ans à ce poste, il se rend sur le terrain, administre sans chercher à gouverner et gagne son surnom (flatteur) : « Colbert de l’Indochine ». Pour comprendre l’autre surnom, « Barbe en zinc », il suffit de regarder ses photos : la barbe est à la mode dans la galerie présidentielle, mais la sienne est spectaculairement sculptée.

« Un homme n’est grand que s’il a vu la mort de près et l’a regardée en face, froid et impassible. »

Paul DOUMER (1857-1932), Livre de mes fils (1906)

Il présente cet essai qui tient très à cœur au père de huit enfants : « Ce ne doit pas être un nouveau traité de morale et de civisme, mais simplement le résumé du langage tenu par les pères à leurs enfants, sous mille formes, à tout instant, au hasard des conversations familiales. Ce sera le livre de mes fils, le livre des jeunes gens qui arrivent à l’âge d’homme et que la vie appelle (…) Je souhaite qu’ils se forment une idée élevée de l’homme du vingtième siècle, du bon Français, du citoyen de notre République, et que, les yeux fixés sur ce modèle, ils s’attachent à l’imiter, à réaliser en eux-mêmes les qualités et les vertus qu’ils auront mise en lui. »

« Sache vouloir ; fais ce que dois ! Fais ton devoir ! Sois en tout et toujours homme de devoir ! » Résumé des multiples préceptes à donner pour règles de la vie. C’est là le commandement supérieur, la prescription morale qui dominera la conduite de l’homme. Mais pour s’y conformer, il ne faut pas seulement désirer le faire ; il faut être capable de le faire ; il faut avoir la volonté et la force ; il faut être maître de soi. Et Doumer sera en cela aussi exemplaire.
« Je veillerai au maintien et au perfectionnement de nos institutions démocratiques, auxquelles le pays est ardemment attaché. L’instruction, libéralement dispensée, doit permettre aux travailleurs sans distinction de gravir l’échelle sociale, suivant leurs mérites et leurs aptitudes. La démocratie n’admet ni privilèges, ni castes, et elle a le devoir d’assurer à tous les citoyens une égale liberté. »

Paul DOUMER (1857-1932), Message du Président de la République aux Chambres, le jour de son arrivée à l’Élysée. Le Figaro, 17 juin 1931

Personnage atypique se présentant comme indépendant des partis bien qu’il ne puisse totalement s’en écarter, radical ayant évolué à droite, c’est plus un technicien et un pragmatique qu’un politique ou un théoricien. Le radical s’est quand même éloigné de la gauche pour rejoindre le centre et la droite.

Doumer est élu au second tour de scrutin, ayant devancé au premier tour Aristide Briand, candidat de gauche et figure du pacifisme. Durant son mandat tragiquement écourté, Doumer sera très populaire, appelant à l’union nationale, critiquant l’attitude partisane des partis politiques et défendant le renforcement de la puissance militaire française. Rappelons le contexte géopolitique de l’entre-deux-guerres : la « montée des périls » (fascismes allemand, espagnol et italien) provoque une tension internationale croissante, également ressentie au niveau national. 

« À mon âge, ce serait une belle fin de mourir assassiné. »

Paul DOUMER (1857-1932) à Léon Noël, avril 1932. Un « régicide républicain » : Paul Doumer, le président assassiné (6 mai 1932) (2011), Amaury Lorin

À 75 ans, inaugurant une exposition sur l’aviation en Seine-et-Marne, il s’étonne de l’importance du dispositif de sécurité qui l’entoure. Négligeant les mises en garde du service d’ordre, le chef de l’État continue de se mêler aux foules lors des manifestations auxquelles il participe.

Moins d’un an après le début de son septennat, inaugurant à Paris un salon d’écrivains anciens combattants, le Président est assassiné à coup de pistolet par Paul Gorgulov, immigré soviétique aux motivations confuses. L’émotion est considérable, en France et à l’étranger. Qualifié à la fois de « régicide républicain » et de « Sarajevo de la Seconde Guerre mondiale » par les contemporains, le 6 mai 1932 est un événement charnière : quatorze ans après la « der des ders », la France passe de l’après-guerre à un nouvel avant-guerre, en pleine et inexorable montée des fascismes.

« Pour la seconde fois en soixante-et-un ans, la République a la douleur de conduire au tombeau son chef assassiné. Crime odieux crime absurde, et par la fonction qu’il vise, et par l’homme qu’il atteint car la fonction est d’arbitrage et de conciliation ; l’homme était de paix, de sagesse et de bonté. »

André TARDIEU (1876-1945), Discours du président du Conseil aux funérailles nationale du Président de la République. Le Figaro, 13 mai 1932

Le discours résume parfaitement le personnage, son parcours et son image : « Paul Doumer, pour trois quarts de siècle, fut le vivant témoignage de ce qu’est et de ce que peut la démocratie. Fils du peuple, c’est le peuple entier qu’il représentait. Et c’est aussi le peuple entier qu’ont frappé les balles qui l’ont tué. Des rigueurs, que la vie inflige à tous les hommes, et celles aussi qu’elle réserve aux humbles, il n’a rien ignoré. […] Patriote, au sens plein du mot, il l’était dans les fibres de son être. Son intimité de jeunesse avec ce grand historien de la France que fut Henri Martin suffirait à le prouver, si l’histoire de sa vie n’en apportait l’éclatante démonstration. […] Pour assurer le succès des solutions qu’il croyait sages, il n’hésitait pas à sortir des traditions et des rites. »

« Ils me l’ont pris toute sa vie, ils me l’ont tué. Je veux au moins être avec lui dans la mort. »

Blanche DOUMER (1859-1933) Une ascension en République : Paul Doumer, 1857-1932 (2013), Amaury Lorin

Les autorités proposent à Blanche Doumer d’inhumer son mari au Panthéon, la veuve s’y oppose.

Elle a  perdu quatre de ses cinq fils « morts pour la France » pendant la Grande Guerre et l’une de ses trois filles, Lucile,  en mourra de chagrin. Femme austère, elle se réfugie au foyer. Quand son époux septuagénaire accède à la présidence, plus ascète et travailleur que jamais, le couple se retrouve le soir avec leurs filles Hélène et Germaine, dans les appartements privés du palais de l’Élysée ; Ils continuent de mener une vie simple, se promènent souvent avec leurs filles et petits-enfants, dans le parc de Saint-Cloud ou au bois de Boulogne.

Après les funérailles et l’inhumation dans le caveau familial du cimetière de Vaugirard, Blanche Doumer se retire dans son appartement du 16eme. Elle survit moins d’un an à Paul Doumer. La presse rend UN hommage unanime à « une grande Française, une mère admirable, dont les services rendus à la patrie se comptent par autant de deuils » (Le Figaro). Elle est inhumée avec son époux et ses enfants au cimetière de Vaugirard.

Président n° 15. Albert Lebrun.

« Comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un État. »2662

Charles de GAULLE (1890-1970), à propos d’Albert Lebrun, Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

Dans notre galerie présidentielle, voici sans doute l’un des moins originaux ou des plus insignifiants. Mais cette citation bien connue est – plus que jamais ! - à replacer dans son contexte.

Le président de la République n’a que des prérogatives limitées, le pouvoir exécutif étant surtout détenu par le président du Conseil nommé par lui. Et l’effondrement de l’État en 1940 s’explique par la Seconde Guerre mondiale, par des décennies politiquement désastreuses, par l’affrontement des partis extrêmes, les menaces des dictatures à nos frontières et au-delà dans le monde.

Enfin, le général de Gaulle tenait à une nouvelle Constitution renforçant les pouvoirs du chef de l’État – raison d’être de sa Cinquième République.

« Enfant du peuple aimant le monde des travailleurs, celui de la terre, de la mine et de l’usine, plaçant la liberté de conscience en tête de toutes les libertés. »

Albert LEBRUN (1871-1950,) Profession de foi décembre 1900. Albert Lebrun : le dernier Président de la IIIe République (2013), Éric Freysselinard

À 29 ans, il devient le plus jeune parlementaire de France, élu président de la République en 1932, après l’assassinat du président Paul Doumer et au terme d’un parcours politique méritant, typique de cette Troisième République.

Peu charismatique, fuyant les affrontements partisans et les honneurs, il n’envisageait pas une carrière politique, affirmant que c’est la politique qui s’empara de lui. Républicain modéré, il évoluera vers la droite, comme la plupart de ses confrères. Député, sénateur et même président du Sénat, éphémère ministre de la Guerre et des Colonies, son premier septennat est surtout marqué par l’avènement du Front populaire. Suite aux législatives de 1936 gagnées par les gauches, il se résout à nommer Léon Blum à la tête du gouvernement, avant de signer « la mort dans l’âme »  les grands textes de la nouvelle majorité. Réélu président de la République, ce sera l’épreuve de la guerre et la fin de la Troisième République.

« Il est revenu un espoir, un goût du travail, un goût de la vie. »2681

Léon BLUM (1872-1950), constat du chef du gouvernement du Front populaire, 31 décembre 1936. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1971), Georges Duby

« … La France a une autre mine et un autre air. Le sang coule plus vite dans un corps rajeuni. Tout fait sentir qu’en France, la condition humaine s’est relevée. »

Georges Duby confirme, dans son Histoire de la France : « Le Front populaire, ce n’est pas seulement un catalogue de lois ou une coalition parlementaire. C’est avant tout l’intrusion des masses dans la vie politique et l’éclosion chez elle d’une immense espérance […] Il y a une exaltation de 1936 faite de foi dans l’homme, de croyance au progrès, de retour à la nature, de fraternité et qu’on retrouve aussi bien dans les films de Renoir que dans ce roman de Malraux qui relate son aventure espagnole et justement s’appelle L’Espoir. »

« Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts. »2733

Paul REYNAUD (1878-1966), Allocution à la radio, 10 septembre 1939. Mythologie de notre temps (1965), Alfred Sauvy

Le 3 septembre, la France et la Grande-Bretagne ont déclaré la guerre à l’Allemagne qui a envahi la Pologne. Le 2, un crédit extraordinaire (69 milliards de francs) pour la Défense nationale a été voté sur proposition de Paul Reynaud, ministre des Finances. Il annonce à la radio les mesures fatalement impopulaires, et termine par ces mots : « Nous vaincrons… »

Le gouvernement Daladier, accusé de mollesse dans la conduite de la guerre, est tombé. Paul Reynaud (inclassable politiquement et lié à de Gaulle) devient président du Conseil et ministre des Affaires étrangères – et prend Daladier à la Défense nationale, dans la plus pure tradition d’une Troisième République dont Lebrun est le président tout aussi traditionnellement inexistant. Dernier gouvernement du régime, il va tenir trois mois.

Paul Reynaud semble soudain l’homme de la situation analysée comme une suite de la Première Guerre mondiale, avec des accents gaulliens : « La France est engagée dans la guerre totale. Par le fait même, l’enjeu de cette guerre totale est un enjeu total. Vaincre, c’est tout sauver, succomber, c’est perdre tout. » Et il part à Londres, pour signer avec notre allié anglais le pacte du 28 mars 1940 : ni traité, ni armistice séparé.

Mais les blindés allemands de Guderian foncent sur Paris, Amiens est pris le 20 mai. C’est la bataille de France, guerre éclair qui sème la panique dans la population civile. Et c’est le début de l’exode.

« Si l’on venait me dire un jour que seul un miracle peut sauver la France, ce jour-là je dirais : je crois au miracle, parce que je crois en la France. »2742

Paul REYNAUD (1878-1966), Sénat, 21 mai 1940. 1940, l’année terrible (1990), Jean-Pierre Azéma

Paul Reynaud a donné sa démission, le président Lebrun l’a refusé. Le 18 mai, il remanie son gouvernement dans le sens de l’Union nationale, les royalistes y côtoient les socialistes – les communistes restent exclus (conséquence du pacte germano-soviétique).

Pétain (84 ans), vainqueur historique de Verdun, devient vice-président du Conseil, de Gaulle est nommé sous-secrétaire d’État à la Défense, le 5 juin. Mais il n’y a pas de miracle : du 4 au 8 juin, le front établi sur la Somme et sur l’Aisne est enfoncé. La bataille de France est finie, l’armée française pratiquement anéantie : plus de 100 000 militaires morts en un mois, 2 millions de prisonniers. L’exode des populations affolées se poursuit, vers le sud.

« Le gouvernement aura toujours avantage pour négocier librement [l’armistice] à se trouver hors de portée des troupes ennemies . »

Albert LEBRUN (1871-1950). L’Invasion 1940, ouvrage collectif (1978), éditions Tallandier

Le président souhaite s’embarquer sur le Massilia en partance vers l’Afrique du nord avec un certain nombre de parlementaires, Pétain refuse. Le 21 juin, il prépare ses bagages, Pierre Laval lui demande de rester et de ne pas trahir le gouvernement. Le 23 juin, il signe le décret annulant la promotion de De Gaulle au grade de général et le mettant à la retraite. Il quitte l’Élysée, part pour Vichy le 1er juillet, s’installe au pavillon Sévigné qui accueille un premier Conseil des ministres, dès le lendemain.

Le 4 juillet, Pierre Laval présente le projet de loi qui met fin à la Troisième République en confiant les pleins pouvoirs constituants au maréchal Pétain. Le président de la République est contraint de réunir en Assemblée nationale, au théâtre du Grand Casino de Vichy, la Chambre des députés et le Sénat qui votent la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940. Il  signe ce texte qui « donne tout pouvoir au gouvernement de la République […] de promulguer […] une nouvelle constitution de l’État français [qui] devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. ». C’est officiellement la fin de la Troisième République et le début du régime de Vichy.

Le 14 juillet, Lebrun se rend à l’hôtel du Parc pour rencontrer le maréchal et obtenir la possibilité d’adresser un message au pays, mais sa demande est refusée. Il ne signe pas sa démission, mais il se retire. Les assemblées vont le contourner en votant les pleins pouvoirs à Pétain. Albert Lebrun se retire ensuite en province, est brièvement captif en Allemagne en 1943 et rencontre de Gaulle, président du GPRF (Gouvernement provisoire de la République française) et pratiquement chef de l’État,  le 11 octobre 1944.

« Formellement, je n’ai jamais donné ma démission. À qui d’ailleurs l’aurais-je remise, puisqu’il n’existait plus d’Assemblée nationale qualifiée pour me remplacer ? »

Albert LEBRUN (1871-1950) à de Gaulle, 11 octobre 1944. L’Élysée fantôme – les Années noires (2011), François d’Orcival

Les détails de cette rencontre font l’objet de diverses versions. Les historiens peuvent toujours en débattre, le récit historique de la Troisième est écrit, mais chaque période est l’objet de controverses, de révisions et de « relectures ». Restent les faits, les personnages et le naufrage de la République.

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