La Terre dans tous ses états (Avant la Révolution) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

22 avril 2021. La Journée mondiale de la Terre fête son 50è anniversaire. Cela vaut bien un édito en deux semaines. Mais de quelle terre parle-t-on ?

Plutôt que de recourir aux définitions plus ou moins théoriques, un survol historique va nous donner les principaux repères, dans l’action et par l’exemple.

Terre des paysans, patrie des patriotes ou Planète des terriens ; terre abstraite des scientifiques, des philosophes ou des poètes ; terre à conquérir pour agrandir le bien nommé « territoire » et coloniser l’Outremer ou terre à défendre au fil des guerres périodiques ; terre nourricière pour tout le peuple ou Terre sainte chère aux chrétiens du Moyen Âge ; terre possédée en bien propre par le paysan, le seigneur, l’exploitant agricole ou terre-Monde plus ou moins fantasmée ; terre des vivants opposés aux morts ou terre opposée au ciel et à la mer…

La Terre est tout cela, réalité à géométrie variable, mais à vive sensibilité ! Dernier exemple en date, la terre malade de l’homme et de son exploitation déraisonnée est devenue préoccupation écologique mondiale au XXIe siècle.

Une centaine de citations vont illustrer à la fois l’importance de la terre, l’évolution du concept et la réalité des faits.

I. Avant la Révolution.

Antiquité

« Donnez-moi un point fixe et un levier et je soulèverai la Terre. »

ARCHIMÈDE de Syracuse (287-212 av. J.-C.).

Mot bien connu. Il en existe plusieurs traductions (du grec) et la Terre est aussi le Monde, mais l’idée reste la même, signée d’un des plus célèbres scientifiques, à la fois physicien, mathématicien et inventeur du levier. Autre citation encore plus connue et réduite à un seul mot : eurêka (j’ai trouvé). Cri de victoire du savant qui a trouvé son principe (dit d’Archimède) suivant lequel tout corps plongé dans un fluide subit une poussée verticale ascendante.

« C’est une race [les Gaulois] d’une extrême ingéniosité, et ils ont de singulières aptitudes à imiter ce qu’ils voient faire. »9

Jules CÉSAR (101-44 av. J.-C.), Commentaires de la guerre des Gaules

Pour être conquérant, César n’en fut pas moins sensible au génie gaulois.

S’ils ne connaissent pas de civilisation urbaine et vivent en tribus, les Gaulois sont de remarquables éleveurs et agriculteurs. Au grand étonnement des Romains. ils savent « engraisser la terre par la terre » (assolement et alternances de céréales riches et pauvres). Ils exportent jusqu’à Rome foies gras, jambons et autres charcuteries. Leurs tissages et leurs cuirs sont de qualité. Ils auraient même inventé le savon (cendre végétale mélangée au suif).

« Tellement grande était devenue la multitude de ceux qui recevaient en comparaison du nombre de ceux qui devaient payer, telle l’énormité des impôts, que les forces manquaient aux laboureurs, les champs devenaient déserts et les cultures se changeaient en forêts. »34

LACTANCE (vers 260-vers 325). Histoire de France, tome III (1837), Jules Michelet

Rhéteur latin converti au christianisme vers 300, précepteur du fils de l’empereur Constantin, il nous donne ce témoignage sur la crise de l’Empire romain au IIIe siècle et les répercussions en Gaule.

Famines et misère entraînent des révoltes : les Bagaudes, bandes de paysans grossies de chômeurs, esclaves et déserteurs, se soulèvent contre l’administration fiscale et les grands propriétaires. La « déploration fiscale » va devenir une constante dans l’histoire de France. Elle s’accompagnera des fameuses « Jacqueries » (les Jacques étant les paysans).

Moyen Âge

« Aucune terre ne pourra être dévolue par héritage à une femme ; toute la terre appartiendra aux héritiers de sexe viril. »53

Loi salique. Les Barbares (1997), Louis Halphen

C’est le plus célèbre des articles de cette loi dite aussi « loi des Francs saliens » dont la première rédaction remonte au règne de Clovis. Quelque peu oublié par la suite, on l’exhumera au XIVe siècle, pour exclure du trône un roi anglais : ce sera l’origine de la guerre de Cent Ans.
« Nulle terre sans seigneur. »

« Nul seigneur sans titre. »124

Maximes. Recueil alphabétique des questions de droit (1810), Philippe-Antoine Merlin

La première formule est la maxime des Francs du nord de la France, à laquelle répond la seconde, élaborée par les seigneurs du Midi. L’une et l’autre expriment le fondement de la société médiévale, basée sur la puissance territoriale des seigneurs.

« Dieu a mis au ciel deux grands luminaires : le soleil, et la lune qui emprunte sa lumière au soleil ; sur la terre, il y a le pape, et l’empereur qui est le reflet du pape. »133

GRÉGOIRE VII (vers 1020-1085). Histoire de France, tome II (1833), Jules Michelet

Les références astronomiques font naturellement image et donnent du poids à cette déclaration quasi astronomique.

Ce pape reste célèbre pour avoir humilié l’empereur d’Allemagne Henri IV à Canossa, en 1077. De façon plus générale, c’est le promoteur de la réforme dite « grégorienne », visant à purifier les mœurs ecclésiastiques (interdiction du mariage des prêtres) et à émanciper l’Église du pouvoir temporel.

« Si quelqu’un entre de force dans une église et en enlève quelque chose, qu’il soit anathème ! Si quelqu’un vole le bien des paysans ou des autres pauvres, sa brebis, son bœuf, son âne, etc., qu’il soit anathème ! Si quelqu’un frappe un diacre ou un clerc, qu’il soit anathème ! »135

Concile de Charroux (989). Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Des guerres privées causent maints dommages en Aquitaine où l’ordre ancien s’est effondré, laissant place à l’homme de guerre qui construit des châteaux et gouverne par la force. La violence prime le droit, pour le plus grand malheur des plus faibles. Dans ce contexte, l’Église intervient pour « discipliner » plutôt que supprimer la guerre. Le concile provincial réuni en l’abbaye de Charroux est la première intervention collective et fera date. Tous les évêques de la province ecclésiastique de Bordeaux sont présents, avec un évêque de la province de Bourges et nombre de religieux, clercs et fidèles.

« Assemblés au nom de Dieu », ils prononcent l’anathème (damnation éternelle) contre trois catégories de malfaiteurs. Il s’agit de protéger les premières victimes de l’anarchie de l’époque : les clercs – leurs personnes et leurs biens –, les paysans – leurs personnes et leur bétail – et les « autres pauvres ». Ils instaurent ce que les historiens nommeront « la paix de Dieu », l’une des institutions les plus bénéfiques du Moyen Âge qui interdit de faire la guerre aux non-combattants.

« La millième année après la Passion du Seigneur […] les pluies, les nuées s’apaisèrent, obéissant à la bonté et la miséricorde divines […] Toute la surface de la terre se couvrit d’une aimable verdeur et d’une abondance de fruits. »141

RAOÛL le Glabre (985-avant 1050), Histoires

Ce moine historien décrit la fin des terreurs du tournant millénariste. Rien ne s’est passé, comme il en a toujours été pour ce genre de superstition. Lui qui a craint le pire et contribué à la Grande Peur, il témoigne, en termes poétiques, d’un renouveau de civilisation et de prospérité sur « toute la surface de la terre », du moins celle qu’il voit ou dont il a connaissance. Georges Duby, grand médiéviste du XXe siècle, appelle cela « le printemps du monde ».

« Par les splendeurs de Dieu ! Cette terre, voilà que je l’ai saisie dans mes mains. Elle ne nous échappera plus ! »162

GUILLAUME le Conquérant (vers 1027-1087), débarquant en Angleterre, 29 septembre 1066. Histoire de Guillaume le Conquérant (biographie inachevée), Guillaume de Poitiers, historien contemporain

Trébuchant sur le rivage anglais entre Eastbourne et Hastings, tombé sur le sable, il veut ainsi conjurer le mauvais sort. Ce contact sensuel avec la terre natale (à défendre) ou étrangère (à conquérir) se retrouve au fil de l’histoire.

Guillaume de Normandie, dit le Bâtard, deviendra Guillaume le Conquérant à la victoire de Hastings (14 octobre 1066) et Guillaume Ier roi d’Angleterre, sacré dans l’abbaye de Westminster, la même année à Noël – 25 décembre 1066.

« Godefroy de Bouillon n’eut pas plus tôt la Terre sainte qu’il s’assit découragé sur cette terre, et languit de reposer dans son sein. »178

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome II (1833)

Terre sainte (terra sancta), terme mythique et connotation mystique, mais c’est aussi une réalité : pour les chrétiens, c’est la Palestine et sa capitale Jérusalem, région où Jésus est né, où il a vécu, où il est mort et ressuscité. Lieu de pèlerinage traditionnel, c’est aussi l’enjeu des croisades, deux siècles de guerres entre l’Orient et l’Occident (1095-1291), sept expéditions militaires organisées par les chrétiens pour libérer le tombeau du Christ sous domination des musulmans.

La couronne de roi de Jérusalem est proposée à Godefroy de Bouillon, après la prise de la ville (15 juillet 1099), mais il la refuse, ne pouvant porter une couronne d’or, là où Jésus Christ dut porter une couronne d’épines. Chef de la première croisade, il se déclare modestement « avoué du Saint-Sépulcre » et se contente du titre de baron. Ce choix signifie qu’il considère la Terre sainte comme la propriété du Christ et par extension, du Saint-Siège. Il se pose ainsi en serviteur et en défenseur de l’Église.

« Seigneurs, sachez : qui or ne s’en ira
En cette terre où Dieu fut mort et vif,
Et qui la croix d’outre-mer ne prendra
Grand-peine aura à gagner paradis. »212

THIBAUD IV (1201-1253), comte de Champagne, chant de croisade. Troubadours et trouvères (1960), France Igly

Trouvère le plus réputé de son temps, surnommé Thibaud le Chansonnier et salué par Dante dans sa Divine Comédie, il compose cette chanson pour la septième croisade (1248-1254), menée par le très pieux Louis IX (qui mourra au départ de la huitième et dernière croisade en 1270). Très pieux lui-même, Thibaud de Champagne participa auparavant à la croisade des barons (1239) qui récupéra une partie du royaume de Jérusalem au cours de la sixième croisade.

« Jamais depuis ne fut personne qui osa faire la guerre au roi Philippe, mais il vécut depuis en grande paix et toute la terre fut en grande paix un grand moment. »201

Un chroniqueur anonyme. Le Dimanche de Bouvines, 27 juillet 1214 (1973), Georges Duby

Philippe Auguste (1165-1223) reste dans l’histoire comme un « grand rassembleur de terres » : sous son règne de quarante-trois ans et celui, éphémère, de son fils Louis, ont été opérées des réunions durables et importantes au Domaine royal, soit par mariage et héritage (Amiénois, Vermandois, Artois, Boulenois), soit par conquête (Normandie, Maine, Anjou, Poitou – l’essentiel des fiefs anglais en France). Rappelons qu’à cette époque, le métier de roi consiste d’abord à agrandir le royaume de France.

La paix revenue avec les étrangers, la guerre civile continue : croisade (intérieure) contre les Albigeois presque ininterrompue de 1209 à 1244.

« Sire, il nous semble que vous perdez la terre que vous donnez au roi d’Angleterre, car il n’y a pas droit : son père la perdit par jugement.
— Nos femmes sont sœurs et nos enfants sont cousins germains ; c’est pourquoi il convient tout à fait que la paix soit entre nous. D’ailleurs, il y a grand honneur pour moi dans la paix que je fais avec le roi d’Angleterre, car il est désormais mon homme lige. »219

LOUIS IX (1214-1270), répondant à JOINVILLE (vers 1224-1317), en 1259. Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville

Ce dialogue illustre la politique extérieure pacifique du roi – une exception pour l’époque. Louis IX signe le traité de Paris avec Henri III d’Angleterre : la France rend Limousin, Périgord, Agenois, Quercy et une part de la Saintonge ; l’Angleterre renonce à Normandie, Touraine, Anjou, Maine, Poitou et son roi se reconnaît vassal de Louis IX pour la Guyenne (Aquitaine).

L’année précédente, Louis IX a signé le traité de Corbeil avec Jacques Ier d’Aragon : la France renonçait à Roussillon et Catalogne, l’Aragon à Languedoc (sauf Montpellier) et Provence. Le roi soulignait par ailleurs que la puissance d’un souverain se mesure autant au nombre et au rang de ses vassaux qu’à l’étendue de ses domaines.

Ce règlement pacifique des grands conflits territoriaux confère au roi de France un immense prestige en Europe.

« C’est une bonne chose que la paix ; car en terre de paix ceux qui vont à quatre pieds mangent l’herbe paisiblement ; et ceux qui vont à deux, labourent la terre [dont les biens viennent] paisiblement. »220

KUBILAI KHAN (1215-1294), roi des Tartares (le Grand Khan des Mongols), Lettre à Louis IX (vers 1260). Œuvre de Jean, sire de Joinville (1867), Natalis de Wailly

Les deux rois s’entendent pour manifester le même amour de la paix : chose rare, à l’époque ! Et l’on retrouve cette référence à la terre, bien à la fois le plus précieux et le plus communément répandu au Moyen Âge où la population est essentiellement paysanne.

« À cause des grandes injures et grandes rapines qui étaient faites en la prévôté de Paris, le menu peuple n’osait plus demeurer en la terre du roi, mais allait demeurer en autres prévôtés et seigneuries. »221

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume)

Tableau de Paris avant que Louis IX ne remédie à telle anarchie, en réorganisant l’administration de la ville : « Ainsi fut nommé Étienne Boileau, lequel maintint et garda la prévôté tellement que nul larron ni malfaiteur n’osa demeurer à Paris, car sitôt était-il pendu ou détruit […] Ni parenté, ni lignage, ni or, ni argent ne le pouvait garantir. Et la terre du roi commença à s’amender et le peuple y vint pour le bon droit qu’on y faisait. » Étienne Boileau exerça son ministère de 1261 à 1270.

« Je deviens votre homme, des terres que je tiens de vous, deçà la mer, selon la forme de la paix qui fut faite entre nos ancêtres. »228

ÉDOUARD Ier (1239-1307), venu rendre hommage à Philippe IV le Bel, 5 juin 1286. Histoire de la France depuis la fondation de la monarchie, tome II (1840), Édouard Mennechet

C’est le principe même de la féodalité, institution médiévale par excellence. Le roi d’Angleterre fait donc allégeance, pour ses possessions aquitaines, au nouveau roi de France (petit-fils de Louis IX) âgé de 18 ans, en lui rappelant l’accord passé entre Louis IX et Henri III.

« [Interdiction] à quiconque […] d’oser faire sortir par terre ou par mer, personnellement ou par député, hors du royaume, l’or et l’argent sous quelque forme que ce soit, les armes, les chevaux ou toutes choses servant à la guerre. »232

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Ordonnance, 17 août 1296. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Ce texte est l’ancêtre de tous les décrets sur le commerce extérieur et le contrôle des changes. C’est dire s’il fera école.

À la fin du XIIIe siècle, la mesure prise répond à une nécessité impérieuse : le roi a grand besoin d’argent. Il fait la guerre à l’Angleterre, à la suite d’une querelle sur les zones de pêche, et à la Flandre son alliée. Or la guerre coûte cher.

« À ceux qui travaillaient la terre,
La terre doit appartenir,
Récompense à la vie austère
D’un illustre peuple martyr :
Et de baraques en baraques
Se levèrent les paysans,
Les va-nu-pieds, les artisans,
Les rudes gars qu’on nommait Jacques. »301

Jacques VACHER (1842-1897), chanson évoquant la Jacquerie de 1358. Voix d’en bas : la poésie ouvrière du XIXe siècle (1979), Edmond Thomas

Ardent républicain sous le Second Empire, l’auteur créera le premier Caveau stéphanois en 1869, lieu de poésie, de chansons et d’expression libre, avant de s’enrôler en 1870 comme franc-tireur républicain. Une rue de Saint-Étienne porte son nom.

Fils de paysan et lui-même artisan menuisier, Vacher évoque le mécontentement du « petit peuple » dans les campagnes au Moyen Âge. Les paysans ont déjà dû payer l’équipement de leurs seigneurs qui se firent battre à Crécy, puis à Poitiers. Il faut à présent donner pour leur rançon, indispensable à leur libération.

Décimés il y a dix ans par la peste noire et la famine, voilà maintenant les paysans pillés par les bandes anglo-navarraises comme par les soldats du dauphin Charles.

« Plusieurs menues gens de Beauvaisis […] s’assemblèrent par mouvements mauvais […] et chaque jour croissaient en nombre et tuaient tous gentilshommes et gentilles femmes qu’ils trouvaient et plusieurs enfants. Et abattaient ou ardaient toutes maisons de gentilshommes qu’ils trouvaient, tant forteresses qu’autres maisons. »302

Grandes Chroniques de France évoquant la grande Jacquerie

La Grande Jacquerie éclate le 28 mai 1358 à Saint-Leu d’Esserent (actuel département de l’Oise). Révolte spontanée : c’est la colère du petit peuple (paysans, artisans, bas clergé) qui supporte presque tout le poids des misères de la guerre. Soutenue au début par Étienne Marcel (premier maire de Paris), elle sera écrasée par une armée de Charles le Mauvais (roi de Navarre).

« Mieux vaut pays pillé que terre perdue. »313

Bertrand du GUESCLIN (1320-1380), à Charles V le Sage. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Le roi écoute les conseils de son connétable, à tel point que ce précepte lui est parfois attribué. Ayant peu de goût pour les armes, contrairement à son père et aux chevaliers du temps, il a d’autant plus besoin d’un guerrier de valeur à ses côtés.

Du Guesclin sait que les Anglais sont supérieurs en nombre et il évite les grandes batailles toujours coûteuses en hommes. Il préfère harceler l’ennemi. Et il laissera plusieurs fois les Anglais incendier récoltes et villages, pour tenir simplement villes et châteaux en Normandie, Bretagne et Poitou. L’ennemi, dans une marche épuisante et vaine, peut perdre en quelques mois près de la moitié de ses hommes et de ses chevaux.

« Vainqueur de gens et conquéreur de terre, le plus vaillant qui onques fut en vie,
Chacun pour vous doit noir vêtir et querre [chercher].
Pleurez, pleurez, fleur de la chevalerie. »315

Eustache DESCHAMPS (vers 1346-vers 1406), Ballade sur le trépas de Bertrand Du Guesclin

Capitaine puis connétable, ce guerrier incarna le sentiment patriotique naissant. D’une laideur remarquable et d’une brutalité qui fit la honte de sa famille, il gagna le respect de la noblesse par son courage, sa force et sa ruse, pour devenir le type du parfait chevalier, héros populaire dont poèmes et chansons célèbrent les hauts faits. Cette ballade est l’œuvre la plus connue du poète médiéval né Eustache Morel et qui choisit ce pseudonyme de Deschamps.

« J’ai vu le roi d’Angleterre
Amener son grand ost [armée]
Pour la française terre
Conquérir bref et tost [vite].
Le roi, voyant l’affaire,
Si bon vin leur donna
Que l’autre, sans rien faire,
Content, s’en retourna. »381

Chanson qui met en scène Édouard IV et Louis XI, été 1475. Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

La joie des Français éclate et la chanson dit vrai : Louis XI le rusé régala « son cousin » Édouard IV de bonne chère à Picquigny, après avoir saoulé de bonnes barriques et gavé de bonnes viandes qui donnent envie de boire l’armée anglaise, en attente de ravitaillement. Cela fait aussi partie de la diplomatie. Il n’en fallait pas plus, et pas moins, pour sceller la nouvelle entente des deux rois, des deux pays. Édouard IV, qui a renoncé à son alliance avec le Téméraire, rembarque avec son armée. L’Angleterre est rendue à sa vocation insulaire – elle garde seulement Calais et défendra cette citadelle anglaise jusqu’en 1558.

Renaissance et guerres de religion

« Quant au salaire du mercenaire, qu’il soit le plus petit possible. »403

Olivier de SERRES (1539-1619), Le Théâtre d’agriculture

Agronome huguenot, il fait de son domaine du Pradel une ferme modèle pour l’époque, pratiquant l’assolement, cultivant le riz, le maïs, la betterave, le houblon et la garance. Mais il paie ses ouvriers agricoles au minimum vital et les méprise sans vergogne : « Hommes pervers, brutaux, pernicieux, sots, négligents, sauvages, inconstants, déloyaux, bœufs sans valeur, esprit de plomb, corps de fer, lâches, sans « pensement », putains et larrons, comparables à l’ordure et au fumier. »

La paupérisation des pauvres fut mesurée : de 1480 à 1580, les salaires n’ayant pas augmenté malgré la hausse des prix, le pouvoir d’achat du manouvrier diminue des deux tiers. Denis Richet parle d’un « Waterloo du travailleur » dans ce siècle d’expansion. Le phénomène s’aggrave avec les guerres de Religion qui signifient dévastations et fiscalité alourdie. La pauvreté empire aussi pour le peuple (minoritaire) des villes.

« C’est débaucher les paysans de leur labeur duquel ils vivent et font vivre les autres. »464

BRANTÔME (1540-1614), Œuvres du seigneur de Brantôme (posthume)

Homme de cour et homme de guerre sous les trois successeurs de François Ier, c’est ainsi qu’il juge un essai de service militaire obligatoire, dans le cadre d’une réforme de l’armée voulue par François Ier en juillet 1534.

Pour ne pas dépendre des bandes de mercenaires, pillardes et indisciplinées, le roi crée sept légions provinciales, recrutées chacune dans une province du royaume. C’est la paix en France, mais François Ier prépare la prochaine guerre contre son grand ennemi Charles Quint, s’alliant avec les princes protestants allemands et le sultan Soliman II – au grand scandale de l’Europe chrétienne, tant protestante que catholique.

« Quelle chose sera-ce qui nous pourra détourner et aliéner de ce saint Évangile ? Seront-ce injures, malédictions, opprobres, privation des honneurs mondains ? Seront-ce bannissements, proscriptions, privations des biens et richesses ? Mais nous savons bien que, quand nous serions bannis d’un pays, la terre est au Seigneur et, quand nous serions jetés hors de la terre, nous ne serons pas toutefois hors de son règne. »469

Jean CALVIN (1509-1564), Institution de la religion chrétienne (1536)

Ouvrage théologique rigoureux, ce livre est le point de départ et le credo de la Réforme française qui sera calviniste et non pas luthérienne – les deux doctrines s’opposent entre autres sur les sacrements, baptême et eucharistie demeurant dans le luthéranisme.

Pour Calvin, la foi réside en la connaissance de Dieu et de Christ, non pas en la révérence de l’Église. La Bible est source unique de foi. L’homme est corrompu et la prédestination le voue soit à la vie éternelle, soit à l’éternelle damnation. Cette éthique pure et dure compte aujourd’hui encore 50 à 60 millions de fidèles dans le monde, soit un dixième de tous les protestants.

« Le beau prince d’Orange
Est mort et enterré,
J’l’ai vu porter en terre
Par quatre cordeliers. »476

Le Prince d’Orange, chanson anonyme. Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

La maison de Nassau (duché d’Allemagne) acquit en 1530 la principauté d’Orange en France (actuel département du Vaucluse). René de Nassau, prince d’Orange et capitaine de Charles Quint, meurt devant Saint-Dizier qui résiste aux Impériaux, en 1544. Cet épisode de la cinquième guerre entre François Ier et Charles Quint est l’occasion de couplets célébrant la mort d’un ennemi.

Au XVIIIe siècle, sur le même timbre et le même thème, il en naîtra l’un des plus populaires refrains dans l’histoire de la chanson : Malbrough s’en-va-t-en guerre.

Naissance de la monarchie absolue

« On tient les paysans en France dans une telle sujétion qu’on n’ose pas leur donner des armes […] On leur laisse à peine de quoi se nourrir. »588

Sir George CAREW (??-1613), ambassadeur anglais (1609). Encyclopædia Universalis, article « Henri IV, roi de France et de Navarre »

Témoignage plus conforme à la réalité que la « poule au pot » du dimanche, qualifiée de légende par les historiens.

Sully privilégie l’agriculture (politique économique classique dans une France agricole à plus de 90 %) et prend des mesures pour pallier les injustices et les misères les plus criantes, chez les petits paysans ruinés par l’usure et les ravages des soldats, et contraints de céder leurs parcelles à vil prix. Ainsi, il réduit la taille. Mais il faut augmenter les gabelles et avec l’ordre revenu, les dîmes sont plus rigoureusement perçues. La fiscalité écrase à ce point la masse paysanne qu’elle est à l’origine de révoltes continuelles, depuis celle des « croquants » du Limousin, du Périgord et de Guyenne (1594). Les disettes céréalières, à partir de 1617, se répètent tous les quatre ou cinq ans, jusqu’en 1643.

« Le pauvre peuple des champs meurt de faim et se damne. »589

VINCENT de PAUL (1576-1660). La Littérature religieuse de François de Sales à Fénélon (1956), Jean Calvet

Une très longue vie de saint au service de la misère humaine de son temps. Les missions intérieures des capucins, lazaristes, oratoriens et jésuites ont pour but de défier les pasteurs de la « religion prétendument réformée » et de porter la bonne parole (catholique) à travers prêches, sermons et catéchismes. Mais au contact du peuple et devant tant de misères, l’Église s’émeut parfois.

Pour Vincent de Paul et ses amis, l’assistance passe avant la conversion et le salut. Il groupe les dames de la bonne société en charités paroissiales et elles collectent des fonds pour les « pauvres honteux », mais la tâche est trop dure ! Alors Vincent fait appel à des femmes du peuple, réunies en une congrégation des Filles de la Charité (1633). Elles vivent dans la plus stricte pauvreté, sans couvent ni clôture, sans habits qui les distinguent des gens du village. Elles se consacrent aux malades pauvres et aux enfants trouvés. D’autres institutions charitables suivront.

« Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée et les vrais mines et trésors du Pérou. »649

Duc de SULLY (1560-1641), Économie royale (1594-1597)

Cette phrase souvent citée est bien de Sully et se trouve dans le troisième tome de ses Mémoires ainsi nommés, publiés de 1638 à 1662. Rappelons que jusqu’au XIXe siècle, la France est un pays agricole à 90 %.

Au tournant du siècle, Sully peut enfin entreprendre de réorganiser l’agriculture française, établir un programme de routes, ponts et canaux. Henri IV l’a nommé surintendant des Finances : il récompense sa fidélité de toujours, sa sagesse politique, et reconnaît ses talents de gestionnaire et d’administrateur grâce auxquels il fait honnêtement fortune – l’homme est pourtant peu sympathique et le ministre impopulaire, à l’opposé du roi.

Deux autres protestants sont d’une grande aide pour Henri IV : premier agronome français, Olivier de Serres répand la culture du mûrier et l’élevage du ver à soie, et Barthélemy de Laffemas, contrôleur général du commerce, favorise l’établissement de nombreuses manufactures. Ainsi, la France fabrique de précieuses soieries, au lieu de les importer.

Pour la première fois dans son histoire, notre pays a une politique économique cohérente et globale. Deux grands ministres suivront cet exemple : Richelieu et Colbert.

« Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot. »650

HENRI IV (1553-1610). Histoire du Roy Henry le Grand (1681), Hardouin de Péréfixe

Cet historien (et homme d’Église) lui attribue le mot et la poule au pot fait partie de la légende du roi, au même titre que son panache blanc.

Vœu pieux et sûrement sincère d’un souverain resté proche de son peuple ! Mais malgré les efforts de l’équipe au pouvoir, les petits paysans français, écrasés d’impôts, ruinés par d’interminables guerres, exploités par des usuriers, sont souvent dépossédés de leurs parcelles de terre. Quel que soit le redressement économique du pays et en dépit de mesures de circonstance prises en cas de misère criante par Sully, leur condition ne s’améliore pas vraiment. Le temps fait défaut à Henri IV, plus encore que la volonté et les moyens.

« La terreur de son nom [le roi] rendra nos villes fortes :
On n’en gardera plus ni les murs ni les portes,
Les veilles cesseront au sommet de nos tours ;
Le fer mieux employé cultivera la terre,
Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre,
Si ce n’est pour danser, n’orra plus de tambours. »655

François de MALHERBE (1555-1628), Prière pour le roi Henri le Grand allant en Limousin (1605)

Ces stances saluent Henri IV partant en Limousin pour y présider les Grands Jours (session d’un tribunal extraordinaire). L’agitation nobiliaire continue et il va remettre au pas les vassaux du duc de Bouillon qui arment en secret.

Cet hymne à la paix est un poème de commande : Henri IV, charmé, prend et gardera Malherbe comme poète officiel. Quant à Bouillon, prince souverain de la ville de Sedan, il se verra imposer une garnison royale (avril 1606).

« Et pourtant, elle tourne. »
« E pur si muove ! ».

Galileo GALILEI (1564-1642), pointant du doigt le pape qui le condamne à la prison perpétuelle en 1633

Paradoxe de cette citation sur la Terre, peut-être la plus connue au monde. Le mot clé n’y figure pas ! Et c’est peut-être une légende qui a la vie dure. Pourtant, sur un tableau d’Esteban Murillo (ou de l’école de Madrid) daté de 1643-1635, Galilée est en prison et la fameuse phrase est clairement inscrite sur un mur.

Né d’une famille bourgeoise de Toscane, Galilée a développé un talent précoce pour les sciences. Professeur à l’université de Padoue en 1592, il y enseigne la géométrie d’Euclide et l’astronomie aristotélicienne. Il affirme donc, contre la Bible et contre les apparences, que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse. « L’affaire Galilée » brise sa vie et illustre l’intolérance qui fait encore loi au XVIIe, siècle de Descartes auteur d’une autre formule célèbre : « Je pense, donc je suis. »

Siècle de Louis XIV

« Ces malheureux [les paysans] ne possèdent d’autres propriétés que leurs âmes parce qu’elles n’ont pu être vendues à l’encan ! »750

Omer TALON (1595-1652) s’adressant à Anne d’Autriche, en plein lit de justice tenu en 1649. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Avocat général au Parlement de Paris, il en appelle avec courage et dignité à la régente. Bien des voix autorisées feront le même constat au XVIIe siècle. Le peuple – et d’abord les paysans, dans une France agricole à 90 % – est toujours la première victime de l’histoire. C’est lui qui paie le prix des guerres civiles comme étrangères et le siècle de Louis XIV est particulièrement belliqueux.

« Il importe à la gloire de Votre Majesté que nous soyons des hommes libres et non pas des esclaves. Il y a, Sire, des ans que la campagne est ruinée, les paysans réduits à coucher sur la paille. »769

Omer TALON (1595-1652) à Louis XIV, 15 janvier 1648. Un magistrat de l’Ancien régime : Omer Talon (1902), Hubert Mailfait

L’avocat général au Parlement de Paris s’adresse au roi qui n’a pas encore 10 ans, à l’occasion d’un lit de justice qui va enregistrer de force de nouveaux édits - pour les annuler le lendemain.

C’est l’un des épisodes de la lutte qui oppose Mazarin au Parlement, amendant ou rejetant systématiquement chaque année les édits financiers aggravant la fiscalité, frappant les paysans aussi bien que les bourgeois, les rentiers et les « robins » (hommes de robe). Le pouvoir fait ainsi l’unanimité contre lui.

« Bon mariage, mon fils […] Il faut bien que vous preniez du fumier pour engraisser vos terres ! »837

Duchesse de CHAULNES (??-1699) à son fils, le duc de Picquigny. Mémoires (posthume), Saint-Simon

On dirait une réplique de théâtre, mais le mémorialiste du Grand siècle a l’art de la citation qui fait mouche, ainsi que du portrait : « La duchesse de Chaulnes avait beaucoup de dignité, une politesse choisie, un sens et un désir d’obliger qui tenaient lieu d’esprit. » Son fils vient d’épouser la fille du riche financier Bonnier, septième fortune du royaume. C’est ce qui s’appelle un « bon mariage », à l’époque.

« Les enfants ne se soutiennent que par des herbes et des racines qu’ils font bouillir, et les enfants de quatre à cinq ans, auxquels les mères ne peuvent donner de pain, se nourrissent dans les prairies comme des moutons. »840

Procureur général du Parlement de Bourgogne. La Vie quotidienne sous Louis XIV (1964), Georges Mongrédien

On imagine mal de nos jours la grande misère de nos campagnes, plaie récurrente de l’Histoire. Ce témoignage date de 1709. Le Grand Hiver hantera les mémoires : la Seine gèle, de Paris à son embouchure ! Les transports par eau sont paralysés, les récoltes perdues – même les oliviers dans le Midi – et le prix du blé décuple dans certaines provinces. Hors ces circonstances exceptionnelles qui aggravent une économie de guerre déjà insupportable pour le peuple, les témoignages sont unanimes : la France profonde a beaucoup souffert de la misère et des famines, sous le règne de Louis XIV. Le roi lui-même en a douloureusement conscience, à la fin de sa vie.

Notons que les paysans des autres pays moins riches étaient sans doute plus malheureux.

SIècle des Lumières

« Les bourgeois, par une vanité ridicule, font de leur fille un fumier pour les terres des gens de qualité. »962

CHAMFORT (1740-1794), Pensées, maximes et anecdotes (posthume, 1803)

Alliances d’intérêts ou mésalliances contre nature, selon le point de vue, cette pratique est courante depuis la fin du siècle de Louis XIV : la bourgeoisie est avide de gentilhommerie et la noblesse à court d’argent.

« Impositions indirectes ; pauvres paysans. Pauvres paysans ; pauvre royaume. Pauvre royaume ; pauvre souverain. »965

Pierre Samuel DUPONT de NEMOURS (1739-1817), De l’origine et des progrès d’une science nouvelle (1768)

Parole d’économiste, et voici tracé le cercle vicieux de l’économie. La fiscalité frappe la masse des paysans pauvres, alors que les privilégiés aux grandes fortunes (fermiers généraux, financiers, courtisans) sont intouchables et que l’essentiel des revenus industriels et commerciaux y échappe. Le trop faible pouvoir d’achat de la paysannerie – 90 % de la population – ne permet pas la consommation accrue de produits manufacturés et ne peut donc stimuler le développement de l’industrie courante, comme en Angleterre. Enfin, le rendement d’impôts perçus sur des contribuables trop pauvres ne peut alimenter suffisamment les caisses de l’État.

L’Ancien Régime mourra de cette crise financière sans solution, hormis une réforme fondamentale de l’État : il faudra une révolution pour y arriver.

« Le peuple est taillable et corvéable à merci. »966

Jean-François JOLY de FLEURY (1718-1802). Dictionnaire de français Littré, au mot « taillable »

C’est une réalité qui date du Moyen Âge, mais le mot est prononcé quand Turgot (contrôleur général des Finances ou ministre de l’Économie) tente l’abolition de la corvée, en 1775-1776.

La taille est pratiquement le seul impôt direct de l’Ancien Régime : représentant (en principe) le rachat du service militaire, il n’est payé ni par les nobles qui se battent en personne, ni par le clergé qui ne se bat pas. C’est donc un impôt roturier. Très injustement réparti, il retombe lourdement sur les plus pauvres, ceux qui n’ont pas les moyens (argent, relations) pour s’en faire exempter. Même injustice pour la corvée royale – impôt en nature sous forme de journées de travail.

« Cultivons notre jardin. »1021

VOLTAIRE (1694-1778), Candide (1759)

Conclusion du conte,  c’est presque un credo écologique avant la lettre, non sans rapport avec les soucis du jardinier qui vient d’acheter le château de Ferney.

Mais la formule est surtout symbolique et souvent mal comprise. C’est tout sauf de l’égoïsme ! « Notre jardin », c’est la Terre ou le monde. Et si la Providence se désintéresse des hommes, il leur appartient d’agir et de rendre meilleur leur « jardin », de faire prospérer leur terre, d’y travailler pour le progrès. Voltaire a (presque) toujours raison.

« Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ! »1037

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)

Propos brûlants, mise en cause du principe de la propriété sur lequel reposent les sociétés modernes : c’est la voie ouverte au socialisme. Rousseau se montre ici le plus hardi des philosophes, n’en déplaise à Voltaire, son meilleur ennemi.

Constat numéro un, l’inégalité naît de la propriété : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargné au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : « Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus… » »

« Si l’on n’eût écouté que ce que Dieu a dit au cœur de l’homme, il n’y aurait jamais eu qu’une seule religion sur terre. »1049

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Profession de foi du Vicaire savoyard (1762)

Apôtre de la religion naturelle, le philosophe dresse contre les religions révélées un réquisitoire applaudi (pour une fois) par Voltaire. Le Contrat social prévoit l’institution d’un culte civil, lien mystique entre les citoyens. D’où l’éloge appuyé de Robespierre dans son discours du 18 floréal an II (mai 1794) sur le culte de l’Être suprême.

« Le fanatisme est une peste qui reproduit de temps en temps des germes capables d’infester la terre. »1057

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Christianisme »

L’Encyclopédie est aussi hardie sur le plan religieux que prudente en politique, sauf quand ce philosophe prend la plume. Frère de Voltaire par la pensée, Diderot écrit dans l’article Intolérance : « L’intolérant est un méchant homme, un mauvais chrétien, un sujet dangereux, un mauvais politique et un mauvais citoyen. »

« J’aime mieux leur [aux paysans] demander des bras qu’ils ont que de l’argent qu’ils n’ont pas. »1104

Philibert ORRY (1689-1747), contrôleur général des Finances de 1730 à 1745. Histoire politique de l’Europe, XVIe-XVIIIe siècles (1996), Bernard et Monique Cottret

Remarquable financier, Orry bénéficie à ce poste d’un record de longévité battu seulement par Colbert. Ils ont d’autres qualités en commun.

Il défend ici, de manière pragmatique, le principe de la corvée royale, impôt en nature sous forme de travail obligatoire (six jours à un mois par an) qu’il destine à un grand chantier devenu indispensable au pays et relevant de l’École des ponts et chaussées, créée par Orry. Mais ce nouvel impôt est considéré comme « féodal » par les économistes libéraux – généralisé en 1738, il sera aboli à la Révolution.

Résultat : 44 000 km d’anciens chemins de terre ou de chaussées défoncées deviennent des routes élargies, empierrées, bordées d’arbres, bornées de lieue en lieue. Digues, bassins, canaux, ponts, assèchements et détournements de rivières changent le paysage de la France. Le commerce en profite. Il profite aussi d’une stabilité financière exceptionnelle, de 1730 à 1745.

« Pour nous autres Français, nous sommes écrasés sur terre, anéantis sur mer, sans vaisselle, sans espérance ; mais nous dansons fort joliment. »1157

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à M. Bettinelli, 24 mars 1760, Correspondance (posthume)

La guerre ne se joue pas sur le sol de France et ne menace pas tragiquement ses frontières comme au siècle dernier ou au siècle suivant. Mais elle coûte de plus en plus cher au pays et la fiscalité s’alourdit : la capitation est augmentée, on instaure un troisième vingtième jusqu’à la paix. Le problème n’est pourtant pas que financier. L’armée n’a pas de chefs militaires dignes de ce nom, et les hommes de gouvernement se révèlent incapables de gérer la situation.

« Plus on exportera, plus nos blés auront de prix ; plus ils auront de prix ; plus il y aura de bénéfice pour le cultivateur ; plus il y aura de bénéfice pour le cultivateur, plus il cultivera, et plus il cultivera, plus l’agriculture sera florissante : il faut donc encourager l’exportation. »1122

CONDILLAC (1715-1780), Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre (1776)

Traité d’économie politique où ce philosophe formule une théorie de l’intérêt et de la valeur. Il décrit ici le « cercle vertueux » à la base de l’expansion économique, dans une France encore agricole à près de 90 %. En termes modernes, ce serait la « relance » plutôt que la « rigueur ».

Lire la suite : La Terre dans tous ses états (de la Révolution à nos jours)

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