Le progrès, oui... mais (de la Gaule à l'Empire) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Rien n’arrête le progrès, depuis la Préhistoire et l’apparition de l’homme sur terre ! Il a inventé le feu, la charrue, l’imprimerie… Progrès incontestables, même pour les Amish.

Pour clore le débat d’actualité, la 4G sera logiquement remplacée par la 5G – cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile, en attendant la prochaine avancée technologique et l’accélération des débits.

Sur le thème du progrès, l’Histoire impose certaines évidences. Simplifions à l’extrême un sujet complexe et non traité (hormis des essais sur la notion de progrès).

1. Le progrès technique s’applique à tous les domaines économiques et scientifiques : agriculture, pêche, industrie, commerce, transports, urbanisme, armement, communication, astronautique, médecine, génétique, etc.

2. Ce type de progrès ne concerne pas les domaines civilisationnels d’ordre spirituel ou esthétique : philosophie, Beaux-Arts, littérature, culture en général. Au niveau mondial (et français), Socrate (ou Descartes), Rembrandt (ou Delacroix), Mozart (ou Bizet), Shakespeare (ou Molière), Goethe (ou Hugo)… ne sont pas comparables ni « dépassés » par des noms contemporains.

3. Le progrès s’inscrit dans un contexte et l’Histoire en citations concerne essentiellement la France : territoire agricole à 90 % jusqu’au milieu du XIXe siècle, bénéficiant d’une unité politique née sous l’Ancien Régime, d’une forte démographie et d’une civilisation remarquable en Europe. À l’inverse, les nombreuses guerres (civiles ou étrangères) qui ruinent le pays ont ralenti les progrès économiques et aggravé les inégalités sociales entre pauvres (le peuple) et riches (les privilégiés).

4. Une dernière constatation va donner tout son sens à cet édito.
Le progrès, pourtant incontestable, fut contesté, critiqué, dénoncé depuis le Moyen Âge : par les victimes (révoltes, émeutes périodiques), par les intellectuels nombreux depuis les Lumières et engagés depuis la Révolution. Au XIXe siècle, la révolution industrielle favorise le progrès (et vice versa), l’essor du capitalisme libéral allant de pair avec le socialisme, né utopique et de plus en plus combattant. La « société de consommation » née au XXe siècle après la Seconde guerre mondiale est périodiquement contestée (Mai 68) et la « théorie de la décroissance » apparue dans les années 1970 est un mythe très médiatisé de nos jours dans les pays riches.

Au XXIe siècle, la prise de conscience des risques et des coûts du progrès se situe désormais à tous les niveaux : humain, social (ou sociétal), politique, économique, écologique, sanitaire et plus globalement environnemental. « Le progrès, oui mais… » À quel prix !?

Entre repères et polémiques, confrontation des faits et des idées, éloges et critiques, nous relevons un défi : rendre compte de ces réalités concomitantes depuis deux mille ans, en dix périodes et deux éditos.

Voici le début de cette longue histoire qui mérite d’être rappelée.

Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.

1. Gaule et Moyen Âge, Renaissance et guerres de Religion.

Tous les paradoxes du progrès s’affichent déjà : dans un pays plein de ressources naturelles et humaines, la misère des travailleurs côtoie la prospérité dans l’économie et le commerce, cependant que la guerre coûte de plus en plus cher au pouvoir et au peuple.

« C’est une race [les Gaulois] d’une extrême ingéniosité, et ils ont de singulières aptitudes à imiter ce qu’ils voient faire. »9

Jules CÉSAR (101-44 av. J.-C.), Commentaires de la guerre des Gaules

Contrairement à la légende, au « roman national » et aux images de BD, les Gaulois ne sont pas un peuple de « barbares chevelus et mal dégrossis ». S’ils ne connaissent pas de civilisation urbaine et vivent en tribus, les Gaulois sont de remarquables éleveurs et agriculteurs qui savent « engraisser la terre par la terre » (assolement et alternances de céréales riches et pauvres), au grand étonnement des Romains ! Ils exportent jusqu’à Rome foies gras, jambons et autres charcuteries. Leurs tissages et leurs cuirs sont de qualité, comme leurs bijoux et leurs bronzes. Ils auraient même inventé le savon (fait de cendre végétale mélangée au suif).

Pour être conquérant, César n’en fut pas moins sensible au génie gaulois. Dans ses Commentarii de bello gallico, il se révèle remarquable historien et styliste. À partir du IXe siècle se multiplient les éditions et traductions de ce grand texte, également titré Guerre des Gaules.

« Ces gens-là [les Gaulois] changent facilement d’avis et sont presque toujours séduits par ce qui est nouveau. »10

Jules CÉSAR (101-44 av. J.-C.), Commentaires de la guerre des Gaules

Grand fond de vérité dans cette constatation. Richelieu, au XVIIe siècle, évoquera souvent cette « légèreté » propre aux Français. Mais ce sera pour s’en plaindre.

« Toujours draps de soie tisserons :
Jamais n’en serons mieux vêtues.
Toujours serons pauvres et nues
Et toujours faim et soif aurons. »184

CHRÉTIEN de Troyes (vers 1135-vers 1183), La Complainte des tisseuses de soie (vers 1170). Histoire de la littérature française (1920), Gustave Lanson

Poète champenois, protégé par Marie, fille du roi de France Louis VII et comtesse de Champagne, il décrit la détresse des ouvriers (et surtout des ouvrières) du drap et de la toile au XIIe siècle.

Le règne de Louis VII voit pourtant les progrès de l’économie et du commerce, avec la création des grandes foires de Champagne (Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube), rendez-vous des marchands français, flamands, anglais, allemands et italiens.

« Il faut faire suer les écus. »371

Maxime sous Louis XI. Citations, proverbes et dictons de chez nous (2004), Julie Bardin

Les marchands français ont soif de profit et les hommes du XVe siècle sont surtout sensibles à l’aspect monétaire de l’économie. Pour eux, le vrai signe de la richesse est la possession du numéraire.

Sous Louis XI, dernier grand roi du Moyen Âge, la relance de l’économie continue, sur sa lancée amorcée par Charles VII. Les foires se multiplient et prospèrent. Des industries se créent ou se développent. Jean Gobelin laissera son nom à l’art de la tapisserie.

Formidable progrès technique dû à Gutenberg et qui va révolutionner la diffusion des idées et des œuvres dès la Renaissance, l’imprimerie née en Allemagne est introduite à Lyon et à Paris - la Sorbonne en sera la première dotée (1470). Le roi nomme un « visiteur général des mines » et on prospecte en Roussillon. L’industrie de la soie est créée à Lyon, puis à Gours, ce qui permet d’économiser 500 000 écus d’or d’importation. Louis XI fera publier près de 70 règlements de métiers : le système corporatif est pour lui un moyen de domination et de contrôle par l’État.

« Quant au salaire du mercenaire, qu’il soit le plus petit possible. »403

Olivier de SERRES (1539-1619), Le Théâtre d’agriculture

Agronome huguenot, il fait de son domaine du Pradel une ferme modèle pour l’époque, pratiquant l’assolement, cultivant le riz, le maïs, la betterave, le houblon et la garance. Mais il paie ses ouvriers agricoles au minimum vital et les méprise sans vergogne : « Hommes pervers, brutaux, pernicieux, sots, négligents, sauvages, inconstants, déloyaux, bœufs sans valeur, esprit de plomb, corps de fer, lâches, sans « pensement », putains et larrons, comparables à l’ordure et au fumier. »

La paupérisation des pauvres fut mesurée : de 1480 à 1580, les salaires n’ayant pas augmenté malgré la hausse des prix, le pouvoir d’achat du manouvrier diminue des deux tiers. Denis Richet parle d’un « Waterloo du travailleur », dans ce siècle d’expansion ! Le phénomène s’aggrave avec les guerres de Religion, qui signifient dévastations et fiscalité alourdie. La pauvreté empire aussi pour le peuple des villes. Lyon, économiquement en pointe, connaît des émeutes et des grèves – surtout dans le secteur de l’imprimerie.

« Pour un marchand que l’on trouvait au temps dudit roi Louis onzième, riche et gros personnage à Paris, à Rouen, à Lyon et autres bonnes villes du royaume et généralement par toute la France, on en trouve en ce présent règne plus de cinquante. »407

Claude de SEYSSEL (vers 1450-1520), La Grande Monarchie de France (1519)

Le commerce par terre aussi bien que par mer, et intérieur autant qu’international, prospère sous la Renaissance et les témoignages de contemporains pallient le manque de statistiques. Une nouvelle classe s’enrichit et devient politiquement influente, achète des terres, des offices royaux, des bénéfices ecclésiastiques, met la main sur les institutions municipales : c’est (déjà) la bourgeoisie d’affaires.

« Guerre faite sans bonne provision d’argent n’a qu’un soupirail de vigueur. Les nerfs des batailles sont les pécunes. »465

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

Moine et médecin, Rabelais a créé le géant Pantagruel, et deux ans plus tard, Gargantua, son géant de père. Il aborde des questions sérieuses, comme la guerre. Il ridiculise le roi Picrochole, sa folie ambitieuse qui le pousse aux guerres de conquête (notre ennemi Charles Quint est visé), et l’oppose au bon roi Grandgousier, pacifique et prudent, conscient de ses devoirs vis-à-vis de ses sujets et animé d’une vraie fraternité chrétienne. Mais pour mener cette politique, il faut être fort, donc disposer d’une armée permanente – allusion à la politique militaire de François Ier.

Notons au passage l’origine de l’expression « nerf de la guerre ». La métaphore va faire fortune dans l’histoire : les guerres sans fin recommencées sont ruineuses. Le XVIe siècle bat néanmoins le record historique de quatre-vingt-cinq années de guerre en Europe, avec des effectifs croissants et des armes toujours perfectionnées. Ici, le progrès coûte cher.

« Je le soignay, Dieu le guérit. »484

Ambroise PARÉ (vers 1509-1590), phrase gravée sur le socle de sa statue à Laval, sa ville natale. Le Bistouri et la plume : les médecins écrivains (2002), Louis-Paul Fischer

Autodidacte, il apprend seul à lire et écrire et ne parlera ni grec ni latin. Apprenti chez un barbier, il monte à Paris pour apprendre la chirurgie, les deux pratiques allant de pair, à l’époque. Il obtient le titre de maître barbier-chirurgien et va rencontrer, lors de divers sièges guerriers, les plus grands princes de France, blessés. Son habileté fait qu’on l’appelle partout et il sera au service des rois de France, depuis Henri II et jusqu’à sa mort, en 1590.

La Faculté de médecine de Paris fait tout pour entraver ses recherches trop novatrices et la publication de ses œuvres. Ambroise Paré est cependant le fondateur de la science médicale : il invente divers instruments de chirurgie et la méthode de ligature des artères, remplaçant la cautérisation en cas d’amputation. Contrairement aux chirurgiens de son temps, il n’ampute qu’en cas d’absolue nécessité.

La phrase qu’il aime à prononcer rappelle la formule des rois de France touchant les écrouelles : « Le Roi te touche, Dieu te guérit. » Avec tant de science, il reste un homme de la Renaissance par sa foi en Dieu, ainsi qu’en des forces surnaturelles.

« L’abondance d’or et d’argent a fait enchérir toutes choses dix fois plus qu’elles n’étaient il y a cent ans. »507

Jean BODIN (1530-1596), La Réponse de Maître Jean Bodin au paradoxe de M. de Malestroit, touchant l’enchérissement de toutes choses, et le moyen d’y remédier (1568)

L’inflation inquiète les contemporains et l’économie devient déjà une science, sujet à polémiques. Malestroit, conseiller du roi et maître des comptes, accuse la dépréciation de la monnaie. Bodin donne une autre raison, l’afflux de l’or et de l’argent, phénomène heureux pour l’économie du pays. C’est la « théorie quantitative de la monnaie » (fondement du mercantilisme), énoncée pour la première fois. Économiste et philosophe, également juriste, historien et humaniste, passionné d’astrologie et de démonologie, Jean Bodin incarne le type même du grand savant de la Renaissance, dont la pensée rayonne en Europe.

La hausse des prix s’accompagne d’une paupérisation des pauvres – l’immense majorité de la population. Ce qui était vrai sous la Renaissance va s’aggraver, durant les guerres de Religion.

« L’argent est le nerf de la guerre. »512

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à l’ambassadeur d’Espagne, août 1570. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Au XVIe siècle, tous les souverains d’Europe ont d’énormes besoins financiers pour leurs guerres qu’il faut sans cesse faire, ou préparer. Elles coûtent de plus en plus cher, avec le développement des armes à feu, l’entretien d’armées permanentes, des effectifs croissants – le temps n’est plus des « grandes batailles » du Moyen Âge qui se livraient entre quelques milliers d’hommes (Crécy, Azincourt). Mais l’on n’atteint pas encore les 400 000 soldats de Louis XIV, ni les 4 millions de mobilisés de 1914 (pour un pays seulement deux fois plus peuplé).

Il faut que la France soit déjà un pays très riche et plein de ressources pour s’être si longtemps battue et retrouver en dix ans une prospérité certaine - au début du XVIIe siècle.

« Qui aurait dormi quarante ans penserait voir non la France, mais un cadavre de la France. »586

Étienne PASQUIER (1529-1615), Les Recherches de la France (1633)

Au terme de trente-huit années de guerres de Religion, en 1598, on voit les terres en friches, la baisse de la production céréalière (si indispensable pour nourrir une France très peuplée), une chute de moitié dans la fabrication des draps et des toiles. Les épidémies menacent les villes comme les campagnes (et la pire de toute, la peste bubonique). Brigands et pillards font la loi sur les routes et gênent le commerce, cependant que les « croquants » contestent l’impôt royal.

2. Règnes d’Henri IV et de Louis XIV.

Progrès économiques et optimisme sont affichés (presque) sans complexe et théorisés de même. Le volontarisme règne au sommet de l’État qui tend vers la monarchie absolue et le peuple est politiquement soumis, mais les « croquants », les Jacques et autres Va-Nu-Pieds se manifestent dans les campagnes et parfois les villes, tandis que des voix s’élèvent pour dénoncer la misère.

« Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée et les vrais mines et trésors du Pérou. »649

Duc de SULLY (1560-1641), Économie royale (1594-1597)

Au début du XVIIe siècle, Sully, compagnon, conseiller et grand ministre d’Henri IV, peut enfin entreprendre de réorganiser l’agriculture française, établir un programme de routes, ponts et canaux. Le roi l’a nommé surintendant des Finances : il récompense sa fidélité, sa sagesse politique, et reconnaît ses talents de gestionnaire et d’administrateur grâce auxquels le duc de Sully fait honnêtement fortune – l’homme est pourtant peu sympathique et le ministre impopulaire, à l’opposé du roi.

Deux autres protestants sont d’une grande aide pour Henri IV dans le domaine économique : premier agronome français, Olivier de Serres répand la culture du mûrier et l’élevage du ver à soie, et Barthélemy de Laffemas, contrôleur général du commerce, favorise l’établissement de nombreuses manufactures. Ainsi, la France fabrique de précieuses soieries, au lieu de les importer. Pour la première fois dans son histoire, notre pays a une politique économique cohérente et globale. Richelieu, puis Colbert, suivront cet exemple.

« Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot. »650

HENRI IV (1553-1610). Histoire du Roy Henry le Grand (1681), Hardouin de Péréfixe

Vœu pieux, et sûrement sincère, de la part d’un souverain resté proche de son peuple. Mais malgré les efforts de l’équipe au pouvoir, les petits paysans français, écrasés d’impôts, ruinés par d’interminables guerres, exploités par des usuriers, sont souvent dépossédés de leurs parcelles de terre. Quel que soit le redressement économique du pays, et en dépit de mesures de circonstance prises en cas de misère criante par Sully, leur condition ne s’améliore pas vraiment. Le temps fait défaut à Henri IV, plus encore que la volonté et les moyens.

« On tient les paysans en France dans une telle sujétion qu’on n’ose pas leur donner des armes […] On leur laisse à peine de quoi se nourrir. »588

Sir George CAREW (??-1613), ambassadeur anglais (1609). Encyclopædia Universalis, article « Henri IV, roi de France et de Navarre »

Ce témoignage semble plus conforme à la réalité que la « poule au pot » du dimanche. Sully privilégie l’agriculture (politique économique classique dans une France agricole à plus de 90 %) et prend des mesures, pour pallier les injustices et les misères les plus criantes, chez les petits paysans ruinés par l’usure et les ravages des soldats, contraints de céder leurs parcelles à vil prix. Ainsi, il réduit la taille. Mais il faut augmenter les gabelles et avec l’ordre revenu, les dîmes sont plus rigoureusement perçues. La fiscalité écrase à ce point la masse paysanne qu’elle est à l’origine de révoltes continuelles, depuis celle des « croquants » du Limousin, du Périgord et de Guyenne (1594). Les disettes céréalières, à partir de 1617, se répètent tous les quatre ou cinq ans, jusqu’en 1643.

« Le pauvre peuple des champs meurt de faim et se damne. »589

VINCENT de PAUL (1576-1660). La Littérature religieuse de François de Sales à Fénelon (1956), Jean Calvet

Les missions intérieures des capucins, lazaristes, oratoriens et jésuites luttent surtout contre le protestantisme à travers prêches, sermons et catéchismes. Mais au contact du peuple et devant tant de misères, l’Église, parfois, s’émeut.

Pour Vincent de Paul et ses amis, l’assistance passe avant la conversion et le salut. Il groupe les dames de la bonne société en charités paroissiales et elles collectent des fonds pour les « pauvres honteux », mais la tâche est trop dure ! Alors Vincent fait appel à des femmes du peuple, réunies en une congrégation des Filles de la Charité (1633). Elles vivent dans la plus stricte pauvreté, sans couvent ni clôture, sans habits qui les distinguent des gens du village. Elles se consacrent aux malades pauvres et aux enfants trouvés. D’autres institutions charitables suivront.

« Si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les contenir dans les règles de leur devoir. »590

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Testament politique

Louis XIII s’inquiétait, dit-on, plus que son ministre des efforts demandés au peuple. De 1624 à 1643, chaque année connaît de graves soulèvements populaires, urbains aussi bien que paysans, et aucune province n’est épargnée. C’est comme une interminable répétition générale de la Fronde à venir : intendants malmenés, maisons des fermiers d’impôts pillées, attaques des agents du fisc, milices d’insurgés, révoltes des Va-Nu-Pieds, colères de tous les croquants et autres Jacques de France et de Navarre. À partir de 1635, la guerre avec l’Espagne alourdit encore la fiscalité, aggrave donc la misère et l’impopularité du cardinal. Qu’importe : la grandeur de la France avant tout ! Les sujets ? « Il faut les comparer aux mulets qui, étant accoutumés à la charge, se gâtent par un long repos plus que par le travail. » Homme de devoir, Richelieu meurt lui-même d’épuisement à la tâche.

« La France, le plus beau royaume après celui du Ciel. »691

GROTIUS (1583-1645), Épître dédicatrice. De jure belli ac pacis (1625). Le XVIIe siècle : diversité et cohérence (1992), Jacques Truchet

La France a de bons atouts dans son jeu. Avant tout sa démographie : elle est plus peuplée que l’Espagne, l’Italie et l’Angleterre réunies. Dans les campagnes, les effets des guerres civiles ne sont plus qu’un mauvais souvenir : production rétablie, friches récupérées, revenus croissants des propriétaires du sol. L’industrie textile prospère dans les manufactures (laines, toiles, soieries) et celle du bâtiment profite de la croissance des villes où s’épanouit le « style français » : à Paris, la place Royale et les hôtels du Marais en offrent le plus bel exemple.

« Qui presse trop la mamelle pour en tirer du lait, en l’échauffant et en la tourmentant, tire du beurre ; qui se mouche trop fortement fait venir le sang ; qui presse trop les hommes excite des révoltes et des séditions. C’est la règle que donne Salomon. »832

BOSSUET (1627-1704), Politique tirée de l’Écriture sainte (posthume)

Le prélat dénonce ici les méfaits d’une trop forte pression fiscale. Colbert tente en vain d’équilibrer le budget de l’État, mais la guerre et l’industrialisation du pays sont trop coûteuses et il n’ose pas s’attaquer au vrai problème : des impôts mal répartis et peu productifs. Il commence par poursuivre les financiers concussionnaires, traquer les faux nobles (s’exemptant de la taille). Cela ne suffit pas, il doit accroître les impôts indirects (gabelles sur le sel, traites, c’est-à-dire douanes intérieures, aides sur les boissons) et en créer de nouveaux : enregistrement, estampille des métaux précieux, marque des cartes à jouer, papier timbré. Cette politique cause des révoltes : contre la gabelle en Béarn (1663) et en Roussillon (1668), contre les aides en Berry (1663), contre le papier timbré en Bretagne et Guyenne, avec des jacqueries paysannes (1675). En 1680, année de la création de la Ferme générale (et de l’unification des fermes, des gabelles, traites, aides, etc.), les révoltes fiscales se multiplieront.

« Il n’y a rien de plus nécessaire dans un État que le commerce […] Le commerce est une guerre d’argent. »835

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Mémoire sur le commerce (1664)

Infatigable homme-orchestre du gouvernement, il dresse un vaste programme qui résume la politique industrielle, commerciale, fiscale, maritime de la France : « Il faut rétablir ou créer toutes les industries, même de luxe ; établir le système protecteur dans les douanes ; organiser les producteurs et les commerçants en corporations ; alléger les entraves fiscales nuisibles à la population ; restituer à la France le transport maritime de ses produits ; développer les colonies et les attacher commercialement à la France […] ; développer la marine militaire pour protéger la marine marchande. » Dans une France restée agricole à 90 %, Colbert fait porter ses efforts sur l’industrie et le commerce. Sa plus grande réussite est le relèvement et le développement de la marine française. Ce mercantilisme – doctrine exaltant la mentalité et l’activité marchandes – poursuit un but moins économique que politique : plus que le bien-être des Français, Colbert veut la puissance de l’État.

« Sollicitez fortement le particulier qui veut entreprendre un établissement de le réussir et, s’il a besoin de la protection du roi, vous pouvez lui assurer qu’elle ne lui manquera pas. »866

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Conseil donné à l’un de ses mandataires à Lille, vers 1665. Encyclopædia Universalis, article « Colbertisme »

Illustration d’une politique industrielle nationaliste, appelée « colbertisme », qui implique un certain nombre de postulats favorables : dynamisme économique et goût du travail (première qualité de Colbert), volonté d’expansion extérieure à partir de solides bases nationales, aspiration à la croissance. Une telle politique débouche sur l’intervention de l’État : les manufactures « royales » se multiplient, entreprises privées, bénéficiant de subventions, d’exemptions fiscales ou d’un monopole de fabrication ou de vente (à ne pas confondre avec les manufactures « du Roi », ateliers d’État).

Ce mercantilisme à la française réussit au début du règne, mais les règles étatiques trop rigides finissent par devenir un frein, cependant que la conjoncture nationale et internationale se dégrade, en raison des guerres.

« Les enfants ne se soutiennent que par des herbes et des racines qu’ils font bouillir, et les enfants de quatre à cinq ans, auxquels les mères ne peuvent donner de pain, se nourrissent dans les prairies comme des moutons. »840

Procureur général du Parlement de Bourgogne. La Vie quotidienne sous Louis XIV (1964), Georges Mongrédien

Ce témoignage date de 1709. Le Grand Hiver hantera les mémoires : la Seine gèle, de Paris à son embouchure ! Les transports par eau sont paralysés, les récoltes perdues – même les oliviers dans le Midi – et le prix du blé décuple dans certaines provinces. Hors ces circonstances exceptionnelles qui aggravent une économie de guerre déjà insupportable pour le peuple, les témoignages sont unanimes : la France profonde a beaucoup souffert de la misère et des famines, sous le règne de Louis XIV. Le roi lui-même en a douloureusement conscience, à la fin de sa vie. Notons que les paysans des autres pays moins riches étaient sans doute plus malheureux.

3. Siècle des Lumières.

L’économie politique devient une science, tout est sujet à théoriser, critiquer, dénoncer avec lucidité, expérimenter avec optimisme : papier-monnaie du Système de Law, libéralisme cher aux physiocrates. Mais les réformes indispensables arrivent trop tard et la fascination pour cette civilisation florissante ne résistera pas aux poussées déjà révolutionnaires des pauvres. 

« Impositions indirectes ; pauvres paysans. Pauvres paysans ; pauvre royaume. Pauvre royaume ; pauvre souverain. »965

Pierre Samuel DUPONT de NEMOURS (1739-1817), De l’origine et des progrès d’une science nouvelle (1768)

Parole d’économiste, et voici tracé le cercle vicieux de l’économie. La fiscalité frappe la masse des paysans pauvres, alors que les privilégiés aux grandes fortunes (fermiers généraux, financiers, courtisans) sont intouchables et que l’essentiel des revenus industriels et commerciaux y échappe. Le trop faible pouvoir d’achat de la paysannerie – 90 % de la population – ne permet pas la consommation accrue de produits manufacturés et ne peut donc stimuler le développement de l’industrie, comme en Angleterre. Enfin, le rendement d’impôts perçus sur des contribuables trop pauvres ne peut alimenter suffisamment les caisses de l’État. L’Ancien Régime mourra de cette crise financière sans solution, hormis une réforme fondamentale de l’État : il faudra une révolution pour y arriver.

« Laissez faire, laissez passer. »968

Maxime résumant la doctrine et la politique économique libérales, attribuée à François QUESNAY (1696-1774) et reprise par Adam SMITH (1723-1790)

François Quesnay, médecin de Louis XV, fonde la première école de pensée libérale – les physiocrates – et expose sa doctrine dans le Tableau économique (1758). Selon lui, seule l’agriculture est source de la richesse qui se répartit dans le corps social : il encourage donc son développement, tout en prônant le libre-échange et la libre circulation des grains à l’intérieur du royaume. Il développe sa théorie dans deux articles de l’Encyclopédie : Fermier (1756), Grains (1757).

La physiocratie aura son homme au pouvoir en la personne de l’intendant Turgot, ministre sous Louis XVI, mais trop peu de temps et trop tard pour mettre en œuvre d’indispensables réformes allant à l’encontre de vieux privilèges.

« Toutes ces maîtrises et toutes ces jurandes n’ont été inventées que pour tirer de l’argent des pauvres ouvriers, pour enrichir les traitants et pour écraser la nation. »969

VOLTAIRE (1694-1778) stigmatisant les corporations en 1776, Correspondance (posthume). Encyclopædia Universalis, article « Corporations »

Turgot, partisan de la liberté du travail dans l’industrie aussi bien que dans le commerce et l’agriculture, abolit les corporations, maîtrises et jurandes en janvier 1776. Elles sont rétablies aussitôt après son départ, en mai 1776. Toute l’économie se trouve ainsi prisonnière de réglementations jadis utiles et à présent paralysantes.

« L’intérêt est le plus grand monarque de la terre. Cette ardeur pour le travail, cette passion de s’enrichir, passe de condition en condition, depuis les artisans jusques aux grands. »983

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Ambivalence de cette civilisation d’un côté raffinée, charmante, luxueuse et philosophante, et de cette société affairiste où la course à l’argent devient la préoccupation permanente d’une noblesse descendue dans l’arène, aussi bien que de la bourgeoisie toujours soucieuse d’ascension sociale : « Vous voyez à Paris un homme qui a de quoi vivre jusqu’au jour du jugement, qui travaille sans cesse et court le risque d’accourcir ses jours, pour amasser, dit-il, de quoi vivre. »

« L’imprimerie est l’artillerie de la pensée. »991

RIVAROL (1753-1801), Maximes, Pensées et Paradoxes

Dans les années 1760, la diffusion des idées nouvelles prend une ampleur jamais vue. Exemple, les 17 gros volumes de l’Encyclopédie (plus les 11 tomes de planches) entrent dans toutes les bibliothèques dignes de ce nom ; et le Journal de Paris, premier quotidien français, commence à paraître en 1777. Le baron d’Holbach écrit dans son Essai sur les préjugés : « Un livre qui renferme des vérités utiles ne périt plus […] : la typographie rend indestructible les mouvements de l’esprit humain. »

« Votre Altesse Royale sera en état de relever le royaume de la triste situation à laquelle il est réduit et de le rendre plus puissant qu’il n’a encore été, de rétablir l’ordre des finances, de remettre, entretenir et augmenter l’agriculture, les manufactures et le commerce, d’augmenter le nombre des peuples […] d’augmenter les revenus du Roi en soulageant les peuples et de diminuer la dette de l’État sans faire tort aux créanciers. »1078

John LAW (1671-1729), Première Lettre au duc d’Orléans. Recherches historiques sur le système de Law (1854), Émile Levasseur

Le Régent se laisse convaincre : c’est la chance d’une France dramatiquement appauvrie. Dès mai 1716, le banquier écossais fonde sa Banque générale (privée), société par actions, autorisée en 1717 à émettre des billets ayant cours public, promue Banque royale le 4 décembre 1718. Et en 1719, le succès du Système est foudroyant.

Le principe est simple : on remplace les pièces d’or et d’argent par du papier-monnaie à la circulation plus rapide. Des crédits sont ouverts, garantis par les bénéfices des entreprises de Law qui vont s’étendre à toute l’économie (coloniales, commerciales, fiscales, financières). Ses sociétés filles et petites-filles de la Banque royale drainent les capitaux, promettant des plus-values de 40 % sur les dividendes. Il n’y a théoriquement aucun risque : l’exploitation des colonies françaises rapportera autant d’argent que nécessaire pour rembourser les déposants. La Louisiane est un pays de cocagne, les Indes orientales font rêver.

« Dieu ne tire pas plus rapidement les hommes du néant. »1082

MONTESQUIEU (1689-1755), parlant du système de Law en 1719, Lettres Persanes (1721)

Le Système fait des miracles et permet de tout espérer : « Que de valets servis par leurs camarades, et peut-être demain par leurs maîtres ! »

Des fortunes colossales naissent en quelques heures et l’on cite des cas incroyables, mais vrais : des laquais devenus millionnaires paradent en carrosse, un abbé gagne 18 millions de livres, un garçon de cabaret 30, un ramoneur 40, un mendiant 70 et une mercière 100. Ces nouveaux riches achètent des châteaux, donnent des fêtes, épousent des filles nobles… avant que leur fortune s’écroule.

Trop de spéculateurs l’ignorent encore, mais c’est une loi de la Bourse que la baisse suit la hausse. Chaque siècle va l’apprendre à ses dépens, preuve que l’on ne tire pas suffisamment profit des leçons de l’histoire. La Régence a vécu une « première » historique, presque un cas d’école.

« Lundi, je pris des actions,
Mardi, je gagnai des millions,
Mercredi, je pris équipage,
Jeudi, j’agrandis mon ménage,
Vendredi, je m’en fus au bal,
Et samedi, à l’hôpital. »1083

Lundi je pris des actions (1720), chanson de rue. Histoire du vaudeville (1899), M.E. Prioleau

L’édifice fragile du Système s’effondre en 1720, au terme d’un emballement affolé : chute des dividendes, perte de confiance des porteurs, spéculation à la baisse de banquiers rivaux (les frères Pâris), trop forte émission de billets que la banque ne peut rembourser à vue, panique boursière. Et les compagnies créées dans les colonies n’ont pas eu le temps de rapporter les richesses espérées.

La bourse de la rue Quincampoix est fermée en mars, la débâcle financière générale provoque des émeutes en juillet. Le 21, une semi-banqueroute est prononcée, un arrêt du 10 octobre retire tout usage monétaire aux billets de banque de Law (il y en avait pour plus de 10 milliards de livres). John Law, devenu contrôleur général des Finances, prend la fuite et mourra ruiné aux Pays-Bas.

« S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche. »1217

Mot attribué (sans doute à tort) à MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), et incontestablement emprunté à Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778). La Grande Peur de 1789 (1932), Georges Lefebvre

Le mot reflète une réalité sociologique : l’ignorance (ou l’insouciance) des privilégiés face à la misère du peuple. Le temps n’est plus aux famines, mais les disettes sont périodiques en cas de mauvaise récolte, surtout aux périodes de soudure. En mai 1775 à Paris, la hausse du prix du pain, denrée vitale, entraîne une vague d’émeutes. C’est la « guerre des Farines », prémices de la Révolution. C’est aussi une révolte contre la libéralisation du commerce des grains, par édit de Turgot (13 septembre 1774). La concurrence devait faire baisser les prix, en vertu du « Laissez faire, laissez passer » cher aux physiocrates. C’est compter sans la spéculation.

« Plus on exportera, plus nos blés auront de prix ; plus ils auront de prix ; plus il y aura de bénéfice pour le cultivateur ; plus il y aura de bénéfice pour le cultivateur, plus il cultivera, et plus il cultivera, plus l’agriculture sera florissante : il faut donc encourager l’exportation. »1222

CONDILLAC (1715-1780), Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre (1776)

Traité d’économie politique où ce philosophe formule une théorie de l’intérêt et de la valeur. Il décrit ici le « cercle vertueux » à la base de l’expansion économique, dans une France encore agricole à près de 90 %. En termes modernes, ce serait la « relance » plutôt que la « rigueur ».

4. Révolution et Empire.

Brève parenthèse où la Politique impose sa loi. Mais le progrès se situe parfois là où on ne l’attend pas.

« La machine immortelle […] : la mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l’homme n’est plus. »1403

Joseph Ignace GUILLOTIN (1738-1814). Le Cabinet secret de l’histoire (1908), Augustin Cabanès

Médecin philanthrope, professeur d’anatomie et député sous la Constituante, il décrit la machine qu’il prétend avoir inventée pour toutes les exécutions capitales. La loi passe au début de la Convention : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. »

C’est évidemment un progrès de la justice. Sous l’Ancien Régime, le noble était décapité, le voleur de grand chemin roué de coups en place publique, le régicide et le criminel d’État écartelés, le faux-monnayeur bouilli vif dans un chaudron, l’hérétique brûlé sur un bûcher, le domestique voleur de son maître pendu. La Révolution créée l’unification des peines, qui est une forme d’égalité devant la mort.

« Guillotin – Médecin – Politique,
Imagine un beau matin
Que pendre est inhumain
Et peu patriotique.
Aussitôt – Il lui faut – Un supplice
Qui, sans corde ni poteau,
Supprime du bourreau
L’office. »1413

La Guillotine, chanson. Les Actes des Apôtres (1789-1791), Un journal royaliste en 1789 (1873), Marcellin Pellet

Dansés sur un air de menuet, ces vers prouvent que tout fut bon à chansonner. Mais c’est contre l’avis de Guillotin qu’on baptisa guillotine ces « bois de justice ».

Premier condamné à mort guillotiné, un voleur de grand chemin, Nicolas Pelletier, exécuté en place de Grève à Paris (aujourd’hui place de l’Hôtel-de-Ville), le 25 avril 1792.

« Le supplice que j’ai inventé est si doux qu’il n’y a vraiment que l’idée de la mort qui puisse le rendre désagréable. Aussi, si l’on ne s’attendait pas à mourir, on croirait n’avoir senti sur le cou qu’une légère et agréable fraîcheur. »1510

Joseph Ignace GUILLOTIN (1738-1814). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Il parlait toujours en poète, de la mécanique qu’en médecin et philanthrope il a fait adopter. Un décret du 13 juin 1793 installe dans chaque département un « appareil de justice ». Mais la guillotine est déjà très active à Paris, depuis le début de cette année. La Terreur mise à l’ordre du jour par décret (5 septembre 1793) sera sa belle époque.

« La République n’a pas besoin de savants. »1587

Jean-Baptiste COFFINHAL-DUBAIL (1754-1794), vice-président du Tribunal révolutionnaire, à Lavoisier, 8 mai 1794.  Mot parfois attribué à René François Dumas (1753-1794), président du Tribunal, et même à fouquier-tinville (1746-1795), accusateur public. Lavoisier, 1743-1794 (1899), Édouard Grimaux

Le condamné demandait qu’on diffère l’exécution de quelques jours, le temps de terminer une expérience. Un de ses collègues, le médecin J.N. Hallé, était venu présenter au tribunal un rapport énumérant les services rendus à la patrie par l’illustre chimiste : « Il faut que la justice suive son cours », tranche l’homme du Tribunal.

Antoine-Laurent de Lavoisier est donc condamné et guillotiné le jour même, avec 27 collègues de la Ferme générale. Car tel est son crime : avoir été fermier général sous l’Ancien Régime. Mort à 51 ans, ce grand savant, élu à 25 ans à l’Académie des sciences, laisse en héritage les bases de la chimie moderne et une loi qui porte son nom, sur la conservation de la masse et des éléments chimiques. En résumé : « Rien ne se perd, rien ne se crée. »

« Soldats ! Vous allez entreprendre une conquête dont les effets sur la civilisation et le commerce du monde sont incalculables. Vous porterez à l’Angleterre le coup le plus sûr et le plus sensible en attendant que vous puissiez lui donner le coup de mort. »1670

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation à ses troupes le 22 juin 1798, en mer, avant le débarquement du 28 juin en Égypte. Monuments d’éloquence militaire ou Collection raisonnée des proclamations de Napoléon Bonaparte (1821), Constant Taillard

Le Directoire ayant décrété le blocus de l’Angleterre, la (seconde) campagne d’Égypte est une expédition aventureuse, destinée à combattre l’ennemi en Méditerranée pour lui barrer la route des Indes. C’est aussi une manœuvre du Directoire pour éloigner le trop populaire Bonaparte, tout en utilisant son génie militaire.

Cette fois, on lui donne les moyens de ses ambitions : 36 000 soldats, 2 200 officiers d’élite, une flotte de 300 bâtiments, quelques dizaines de savants, ingénieurs, artistes de renom ou jeunes talents. Au total, 54 000 hommes (et quelques femmes). La flotte française, partie de Toulon en mai, a pris Malte au passage, le 10 juin.

« Nous sommes trente millions d’hommes réunis par les Lumières, la propriété et le commerce. »1726

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Conseil d’État, 4 mai 1802. Mémoires sur le Consulat (1827), comte Antoine-Claire Thibaudeau

Voilà une définition de la nation qu’aurait pu signer le banquier Necker (ministre de Louis XVI), l’abbé Sieyès ou l’écrivain Benjamin Constant. Grâce à la paix extérieure et intérieure momentanément retrouvée, agriculture, industrie et commerce se développent, la France se réforme (administration, monnaie, fiscalité, éducation). Le futur empereur veille déjà à tout.

« Pour faire prospérer les manufactures nationales, il faut les protéger par des lois prohibitives : beaucoup de lois, encore plus de règlements, voilà les moyens de gouverner. »1756

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Napoléon, vues politiques (1939), présentées par Adrien Dansette

Homme d’ordre et de centralisation, il veut limiter les applications du libéralisme et instaure une politique douanière rigoureuse. Pour lui, le développement industriel est surtout une façon de s’opposer à la prépondérance britannique. Le blocus, même imparfaitement respecté, favorise certaines productions nationales : sucre de betterave, soierie lyonnaise, forges et aciéries, filatures de coton, chimie. Ainsi le progrès avance, par des retombées de la Politique et de la guerre. Mais à la fin de l’Empire, elles se révèleront catastrophiques.

« Voilà le commencement de la fin. »1869

TALLEYRAND (1754-1838), à l’annonce du désastre de la retraite de Russie, décembre 1812. Monsieur de Talleyrand (1870), Charles-Augustin Sainte-Beuve

Il l’a prédit avant tout le monde. La retraite de Russie a commencé en octobre. Deux mois terribles. Les soldats sont victimes du « Général Hiver », comme prévu par le tsar Alexandre et le maréchal Koutousov. Le froid rend fous les chevaux et colle l’acier des armes aux doigts des soldats. Le passage de la Bérézina (25 au 29 novembre) est un épisode devenu légendaire : par –20 °C le jour, –30 °C la nuit, ce qui reste de la Grande Armée réussit à franchir la rivière, grâce aux pontonniers du général Éblé et aux troupes qui couvrent le passage (Ney et Victor). 8 000 traînards n’ont pas le temps de passer, ils seront tués par les Cosaques. C’est la débâcle. Bilan total de cette campagne : 530 000 morts, avec les victimes du typhus, du froid et de la faim.

Héros de cette tragédie, Dominique-Jean Larrey, baron de l’Empire, médecin et chirurgien militaire, père de la médecine d’urgence. L’homme a gagné la confiance de Napoléon – qui se méfiait non sans raison de la médecine de son temps ! Chirurgien en chef de la Grande Armée, Larrey suivit l’empereur dans toutes ses campagnes. Précurseur en matière de secours aux blessés sur les champs de bataille, il pratique les soins sur le terrain le plus tôt possible, grâce à des « ambulances volantes » (mobiles). Habile chirurgien, il peut amputer 200 blessés en un jour ! À défaut d’antibiotiques découverts bien plus tard (en 1928 par Alexander Fleming, application de la pénicilline en 1942), Larrey pratique l’asticothérapie (connue dès l’Antiquité, application sur la plaie de vers qui se nourrissent des chairs infectées). Grâce à ses talents reconnus par ses pairs, il fera carrière sous la Monarchie de juillet.

Les guerres à venir, technologiquement de plus en plus redoutables, seront souvent l’occasion de progrès dans la médecine et la chirurgie, à divers niveaux. Ainsi, la Croix-Rouge née à l’initiative d’Henry Dunant, citoyen suisse, témoin de la bataille de Solferino sous le Second Empire.

« La conscription est devenue pour toute la France un odieux fléau, parce que cette mesure a toujours été outrée dans son exécution. Depuis deux ans, on moissonne les hommes trois fois l’année. »1878

Vicomte LAINÉ (1767-1835), Corps législatif, 29 décembre 1813. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Ce député se distingua toujours par une remarquable indépendance d’esprit. En cette année 1813, il prend position en faveur de la paix et de la liberté – sitôt accusé par l’empereur d’être au service de l’Angleterre. Lainé poursuit devant l’Assemblée : « Une guerre barbare et sans but engloutit périodiquement une jeunesse arrachée à l’éducation, à l’agriculture, au commerce et aux arts. » Le décret du 21 septembre 1813 avait appelé 300 000 jeunes gens sous les drapeaux. La « légende noire » de l’Ogre de Corse qui circule dans les pamphlets (anonymes) répond à la légende dorée de la propagande impériale.

Lire la suite : le progrès, oui… mais, de la Restauration à nos jours

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