Les procès historiques, de la Révolution à nos jours | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Si vous ne l’avez pas encore lu, découvrez notre édito sur les procès historiques sous l’Ancien Régime.

L’Histoire de France est riche en procès plus ou moins historiques et en affaires propres à déchaîner les passions. L’Histoire en citations s’en fait l’écho, chaque cas étant le reflet plus ou moins dramatique d’une époque.

Nous rappellerons en détail cinq procès historiques, avant de résumer en un mot (une citation) une dizaine d’autres affaires qui ont fait la une de l’actualité, sous la Quatrième et la Cinquième Républiques.

Au terme de ce panorama judiciaire, une conclusion heureuse s’impose : la Justice, si injuste soit-elle parfois, a fait d’incontestables progrès dans notre démocratie républicaine

II. Les grands procès de La Révolution à nos jours.

1. Le procès du roi.

Procès historique majeur par définition, il met fin à l’Ancien Régime et divise profondément la France. Procès exemplaire par les formes qu’on y met et où les plus grands noms de la Révolution jouent leur rôle, chacun dans son camp, l’issue est cependant connue d’avance, mais le roi déchu acquiert dans l’épreuve une grandeur humaine et un prestige paradoxal.

« Citoyens, si un monarque est parmi vous plus difficile à punir qu’un citoyen coupable ; si votre sévérité est en raison inverse de la grandeur du crime et de la faiblesse de celui qui l’a commis, vous êtes aussi loin de la liberté que jamais ; vous avez l’âme et les idées des esclaves. »1459

ROBESPIERRE (1758-1794), Sur le parti à prendre à l’égard de Louis XVI, Convention, 3 décembre 1792. Œuvres de Maximilien Robespierre (1840), Maximilien Robespierre, Albert Laponneraye, Armand Carrel

Il fallut d’interminables discussions juridiques pour que, malgré l’inviolabilité constitutionnelle et les réticences des Girondins, Louis soit déclaré jugeable, ce 3 décembre. Le procès commence une semaine plus tard. C’est une victoire des Montagnards, Robespierre en tête. Il va avoir l’occasion de développer sa rhétorique parfaitement construite, dans un mélange de passion et d’abstraction. Ce discours est l’un des plus célèbres.

« La loi atteint sans peine les coupables sans appuis, à peine dans la durée des siècles a-t-elle pu frapper un roi. Et cependant, ce sont les crimes des rois qui enfantent tous les autres crimes, avec les passions lâches, et la misère. »1460

ROBESPIERRE (1758-1794), Sur le parti à prendre à l’égard de Louis XVI, Convention, 3 décembre 1792. Œuvres de Maximilien Robespierre (1840), Maximilien Robespierre, Albert Laponneraye, Armand Carrel

Monarchiste constitutionnel au début de la Révolution, devenu républicain au lendemain du 20 juin 1792 (journée révolutionnaire provoquée par le veto royal à deux décrets de l’Assemblée), il fait allusion au cas, toujours cité sous la Révolution française, du roi Charles Ier d’Angleterre, jugé, condamné à mort pour trahison, meurtre et tyrannie, décapité le 30 janvier 1649.

En juillet dernier, Robespierre, légaliste, réclamait seulement la déchéance du roi. Mais l’escalade révolutionnaire de la jeune République est telle que même le roi ne peut plus croire en cette issue. Fait aggravant, le 20 novembre dernier, on a découvert aux Tuileries l’« armoire de fer » : coffre-fort dans un trou au mur du palais, contenant des documents qui prouvent la trahison du roi, entre autres des lettres échangées avec La Fayette, Talleyrand, Rivarol, et Mirabeau – sorti du Panthéon, pour la peine. Marat, l’« ami du peuple », prendra sa place, suite à son assassinat.

« L’Assemblée nationale renferme dans son sein les dévastateurs de ma monarchie, mes dénonciateurs, mes juges et probablement mes bourreaux ! On n’éclaire pas de pareils hommes, on ne les rend pas justes, on peut encore moins les attendrir. »1461

LOUIS XVI (1754-1793), Lettre à Malesherbes écrite à la prison du Temple, décembre 1792. Lettre LXXI, non datée. Collection des mémoires relatifs à la Révolution française (1822), Saint-Albin Berville, François Barrière

La Convention s’est érigée en tribunal : le procès du roi se tient donc dans la salle du Manège, toujours ouverte au public, ce qui dramatise encore l’événement.

Louis XVI, devenu Louis Capet (dynastie des Capétiens), choisit d’abord un avocat renommé, Target, qui se dérobe, pour ne pas être compromis. Un autre accepte, Tronchet, mais émet des réserves pour préserver sa responsabilité. Malesherbes (73 ans) propose ses services, par fidélité au maître qui l’honora de sa confiance, en tant que ministre – le roi est fort touché par ce geste. Et Desèze viendra assister ses deux confrères.

Le roi écrit, dans la même lettre à Malesherbes : « Il faudrait s’adresser non à la Convention, mais à la France entière, qui jugerait mes juges, et me rendrait, dans le cœur de mes peuples, une place que je n’ai jamais mérité de perdre. » L’idée de l’appel au peuple, défendue par les Girondins, sera proposée, mais rejetée par la majorité de l’Assemblée. Le procès se déroule du 10 décembre 1792 au 20 janvier 1793.

« On a attaché tant de fausses idées à ce mot de roi, que tant qu’il ne sera pas proscrit de toutes les langues, l’esprit humain n’aura jamais qu’une théorie imparfaite de l’art social. »1462

Bertrand BARÈRE de VIEUZAC (1755-1841). Histoire des journaux et des journalistes de la Révolution française, 1789-1796 (1845), Léonard Gallois

Ces mots sont imprimés en 1790 : message prémonitoire. Constitutionnel modéré sous la Constituante, réélu à la Convention, Barère s’est rallié aux Montagnards, avant de se distinguer au cours de la Terreur. En attendant, et en tant que président de la Convention, c’est lui qui dirige le procès du roi. Il y aura peu de doute sur son vote. Mais il y a 749 députés, et l’Assemblée reste encore très partagée sur le sort du roi.

« Foutre ! […] Il est bon que le peuple souverain s’accoutume à juger les rois. »1463

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, décembre 1792. Histoire politique et littéraire de la presse en France (1860), Eugène Hatin

Le journal de Jacques Hébert, dont le nom est peut-être inspiré par un marchand de fourneaux qui jurait et sacrait à chaque phrase, ne perd pas cette occasion de renchérir. Hébert s’exaspère de tant de lenteurs et craint que « le plus grand scélérat qui eût jamais existé reste impuni », entre jurons et injures contre les Conventionnels, les traîtres, l’« ivrogne Capet » et tous les « capons ».

« Louis, le peuple français vous accuse d’avoir commis une multitude de crimes pour établir la tyrannie en détruisant la liberté. »1464

Acte d’accusation de Louis XVI, Convention, 11 décembre 1792. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1899), Assemblée nationale

Chefs d’accusation les plus graves : haute trahison, double jeu politique avec les assemblées, complot avec l’ennemi autrichien, tentative de fuite à l’étranger (Varennes), responsabilité des morts aux journées d’octobre (1789) et à la fusillade du Champ de Mars (17 juillet 1791).

Le lendemain, 12 décembre, la Convention accorde trois défenseurs au roi. Mais il n’y aura aucun témoin, ni à charge ni à décharge.

« Je subirai le sort de Charles Ier, et mon sang coulera pour me punir de n’en avoir jamais versé. »1465

LOUIS XVI (1754-1793), Lettre à Malesherbes, écrite au Temple, décembre 1792. Mémoires du marquis de Ferrières (1822)

Précédent historique maintes fois rappelé : Charles Ier, roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, victime de la révolution anglaise, jugé par le Parlement, décapité en 1649.

Louis XVI, ce roi si faible, incapable de régner quand il avait le pouvoir et les hommes (quelques grands ministres), cet homme de 38 ans, prématurément vieilli, parfois comparé à un vieillard, va faire preuve de courage et de lucidité dans ces deux derniers mois. Toujours à son ami et avocat, Malesherbes, il écrit : « Je ne me fais pas d’illusion sur mon sort ; les ingrats qui m’ont détrôné ne s’arrêteront pas au milieu de leur carrière ; ils auraient trop à rougir de voir sans cesse sous leurs yeux leur victime. »

« Louis XVI hors de Versailles, hors du trône, seul et sans cour, dépouillé de tout l’appareil de la royauté, se croyait roi malgré tout, malgré le jugement de Dieu, malgré sa chute méritée, malgré ses fautes […] C’est là ce qu’on voulut tuer. C’est cette pensée impie. »1466

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

L’historien dit le paradoxe de cette tragédie à la fois personnelle et nationale. Louis XVI, profondément croyant, demeure en son âme et conscience « roi de droit divin », et non pas roi des Français dans une monarchie constitutionnelle. La France profonde, très catholique, partage cette « pensée impie », d’où le traumatisme causé par ce procès public, à l’issue passionnément attendue.

« Le véritable patriote ne connaît point les personnes, il ne connaît que les principes. »1467

Camille DESMOULINS (1760-1794), 15 décembre 1792 au procès du roi. Œuvres de Camille Desmoulins (posthume, 1874), Camille Desmoulins, Jules Claretie

Camille Desmoulins, Montagnard, membre des Cordeliers et ami de Danton, exprime la pensée devenue majoritaire dans le personnel politique. Et le roi qui n’est plus roi, mais seulement Louis Capet, est un justiciable comme les autres, dans ce procès.

« Louis sera-t-il donc le seul Français pour lequel on ne suive nulle loi, nulle forme ? Louis ne jouit ni du droit de citoyen, ni de la prérogative des rois : il ne jouira ni de son ancienne condition, ni de la nouvelle ! Quelle étrange exception. »1468

Romain DESÈZE (1748-1828), Plaidoirie pour Louis XVI, 26 décembre 1792. Histoire de France depuis la Révolution de 1789 (1803), François-Emmanuel Toulongeon

L’avocat (comte Desèze ou De Sèze) témoignera plus tard du grand œuvre de sa vie : « Trois jours et quatre nuits, j’ai lutté pied à pied avec les documents pour édifier avec Malesherbes et Tronchet, et surtout avec mon Roi, la défense de celui qui était déjà condamné par la Convention. J’ai voulu plaider avec la justice, le cœur, le talent que l’on me reconnaissait alors. Mon maître ne me laissa combattre que sur le terrain du droit : il se souciait de balayer les accusations dont il était l’objet, non d’apitoyer. Pendant plus d’une heure, je lui ai donné ma voix. En vain… »

« Il a bien travaillé. »1469

LOUIS XVI (1754-1793), après la plaidoirie de son avocat Romain Desèze, 26 décembre 1792. Histoire socialiste, 1789-1900, Volume 4, La Convention (1908), Jean Jaurès

Desèze s’est assis, épuisé après la plaidoirie. En sueur, il demande une chemise. « Donnez-la lui, car il a bien travaillé », dit le roi. « Avec une familiarité touchante et un peu vulgaire », commente l’historien socialiste.

Dans son discours de réception à l’Académie française sous la Restauration (en 1828), le baron de Barante rendra cet hommage à Desèze : « Son éternel honneur sera d’avoir été associé à l’événement le plus tristement religieux de notre Révolution ».

Ils étaient trois pour cette mission impossible et périlleuse. Desèze, arrêté peu après le procès, libéré à la chute de Robespierre, finira pair de France et premier président de la Cour de cassation sous la Restauration. François Denis Tronchet se cachera sous la Terreur et se retrouvera au Sénat sous le Consulat. Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes aura moins de chance : émigré au début de la Révolution, rentré en France pour défendre son roi, il sera exécuté sous la Terreur.

« La clémence qui compose avec la tyrannie est barbare. »1470

ROBESPIERRE (1758-1794), Discours du 28 décembre 1792 au procès de Louis XIV. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1899), Assemblée nationale

Quand le chef des Montagnards prend la parole, en commençant par « Citoyens… », c’est naturellement contre l’accusé, mais au nom de grands principes. L’Incorruptible est avocat de profession et il n’est pas homme à « composer ». Quant à la clémence, elle n’est plus de mise, non plus que la simple déchéance du roi jadis envisagée. Robespierre votera donc pour la mort du roi.

« On ne peut point régner innocemment : la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. »1471

SAINT-JUST (1767-1794), Question concernant le jugement de Louis XVI, 13 novembre 1792. Œuvres de Saint-Just, représentant du peuple à la Convention nationale (posthume, 1834), Saint-Just

Jeune théoricien de la Révolution, il s’est exprimé sur le procès du siècle, avant le procès, et dans le même esprit, fond et forme, que son ami Robespierre. Il avait déjà écrit en 1791, dans L’Esprit de la Révolution et de la Constitution en France : « Tous les crimes sont venus de la tyrannie qui fut le premier de tous. » Saint-Just votera bien évidemment pour la mort du roi. D’autres Montagnards, bien que juristes, auront des arguments moins juridiques.

Mais les Girondins vont se démarquer des Montagnards et tenter de sauver la vie du roi.

« Quand la justice a parlé, l’humanité doit avoir son tour. »1472

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), Discours du 17 janvier 1793. Les Grands Orateurs de la Révolution, Mirabeau, Vergniaud, Danton, Robespierre (1914), François-Alphonse Aulard

Girondin (du département de la Gironde), avocat au Parlement de Bordeaux, maintenant à la tête des Girondins de Paris, Vergniaud, président de séance, cherche à sauver Louis XVI. Les Girondins craignent d’en faire un martyr, d’autres redoutent que la Révolution se radicalise à l’extrême.
Première question posée le 15 janvier : Louis Capet est-il « coupable de conspiration contre la liberté de la nation et d’attentats contre la sûreté générale de l’État ? » Oui, pour 707 députés sur 718 présents – les chiffres varient un peu, selon les sources, bizarrerie statistique confirmée par le site de l’Assemblée nationale. C’est quand même la quasi-unanimité pour une culpabilité évidente. La « justice a parlé ».

Deuxième question, même jour : le jugement de la Convention sera-t-il soumis à la ratification populaire ? Les Girondins sont globalement pour cet appel au peuple, persuadés que la clémence l’emportera : l’« humanité » aurait son tour. Mais cela risque de diviser la France, de faire croire à une démission de la Convention. Les Montagnards sont massivement contre, et le Non l’emporte : 424 voix contre 283, une dizaine d’abstentions et une trentaine d’absents.

Troisième question, posée dans la séance du 16 au 17 janvier : la peine encourue.

« Je vote pour la mort du tyran dans les vingt-quatre heures. Il faut se hâter de purger le sol de la patrie de ce monstre odieux. »1473

Nicolas RAFFRON de TROUILLET (1723-1801). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Avocat et diplomate, il s’est rangé du côté de la Montagne, durant le procès du roi. Il fait aussi partie de ceux qui ont refusé l’appel au peuple.

« Pour préserver les âmes pusillanimes de l’amour de la tyrannie, je vote pour la mort dans les vingt-quatre heures ! »1474

Claude JAVOGUES (1759-1796). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Huissier en province à Montbrison avant la Révolution, totalement acquis aux « idées nouvelles », il se range du côté de la Montagne - et sans état d’âme. Il n’en aura pas davantage dans quelques mois, retournant dans sa ville coupable d’attitude contre-révolutionnaire et se vantant de ce que « le sang coulera comme l’eau dans les rues » à Montbrison, rebaptisée Montbrisé. Il continuera de se distinguer par une sauvagerie punitive qui étonne même les Jacobins les plus durs.

366 députés votent pour la mort sans condition, 72 pour la mort sous diverses conditions et 288 pour d’autres peines (prison, bannissement). Cela trahit un embarras certain des députés. D’où la décision de voter à nouveau pour un éventuel sursis à l’exécution, quatrième question, posée les 19 et 20 janvier : sursis rejeté par 380 députés contre 310. Contrairement à la légende, Louis XVI n’a pas été condamné à mort à une voix de majorité ! Mais son cousin Philippe Égalité s’est totalement déconsidéré en votant pour la mort.

Les votes se sont déroulés sur quatre jours, nuits comprises, avec appel nominal, chaque député montant à la tribune pour justifier chaque fois son vote sur la peine à appliquer. Le jugement, l’appel au peuple et le sursis une fois rejetés, la sentence est exécutoire dans les 24 heures.

« L’arbre de la liberté ne saurait croître s’il n’était arrosé du sang des rois. »1475

Bertrand BARÈRE de VIEUZAC (1755-1841), à la tribune, 20 janvier 1793. Mémoires de M. de Bourrienne, ministre d’État : sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration (1829), Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne

Le président de la Convention, dans l’effervescence générale, justifie ainsi la condamnation à mort de Louis XVI, contre la partie la plus modérée de l’assemblée qui souhaitait atténuer la peine. Lui-même s’est prononcé pour la mort, sans appel au peuple, sans sursis à l’exécution. On retrouvera Barère en juillet 1793, membre du Comité de salut public et l’un des organisateurs les plus zélés de la Terreur, nommé l’Anacréon de la guillotine.

« Louis doit mourir pour que la patrie vive. »1476

ROBESPIERRE (1758-1794), « célèbre sentence ». Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf

Ces mots furent prononcés au début du procès, le 3 décembre. « Je n’ai pour Louis ni amour ni haine : je ne hais que ses forfaits… » En fait, le roi était jugé d’avance. La Révolution, c’est la souveraineté du peuple et elle ne peut composer avec la souveraineté du roi. L’homme Capet n’est pas en cause, aux yeux des théoriciens tels Robespierre et Saint-Just, c’est l’extravagante condition du monarque. On peut seulement s’étonner de l’hypocrite humanité de Robespierre, déclarant dans le même discours : « J’abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois. » La suite des événements et la Terreur apportent un démenti sanglant.

Les partisans d’un despotisme éclairé (Autriche, Prusse, Russie, Espagne) ou d’une monarchie constitutionnelle (à l’anglaise ou à la française sous la Restauration) auraient eu besoin d’une personnalité plus forte que celle de ce roi jouet et jamais acteur de l’histoire. Au terme de la procédure, l’exécution aura lieu le 21 janvier 1793.

« Ô mon peuple,
Que vous ai-je donc fait ?
J’aimais la vertu, la justice.
Votre bonheur fut mon unique objet,
Et vous me traînez au supplice ! »1477

Complainte de Louis XVI aux Français, quand le verdict fatal est connu à la fin du procès, chanson anonyme. Prières pour le roi, la France, etc. précédées du Testament de Louis XVI et de quelques notes historiques (1816)

« Glapie dans les guinguettes par des chanteurs à gages », sur l’air d’une romance célèbre composée par la marquise de Travanet et par Marie-Antoinette, cette complainte a tant de succès qu’elle éclipse un temps La Marseillaise.

« Fils de Saint Louis, montez au ciel. »1478

Abbé EDGEWORTH de FIRMONT (1745-1807), confesseur de Louis XVI, au roi montant à l’échafaud, 21 janvier 1793. Collection des mémoires relatifs à la Révolution française (1822), Saint-Albin Berville, François Barrière

Le mot est rapporté par les nombreux journaux du temps. La piété de Louis XVI est notoire et en cela, il est fils de Saint Louis. C’est aussi le dernier roi de France appartenant à la dynastie des Capétiens, d’où le nom de Louis Capet sous lequel il fut accusé et jugé.

« Peuple, je meurs innocent ! »1479

LOUIS XVI (1754-1793), à la foule, place de la Révolution à Paris (aujourd’hui place de la Concorde), 21 janvier 1793. Mémoires d’outre-tombe (posthume), François René de Chateaubriand

« Premier mot de la fin » du roi. L’importance de l’événement est telle que l’imagination populaire ou historienne se donne libre cours.

Le roulement de tambours de la garde nationale interrompt la suite de sa proclamation, entendue seulement par le bourreau Sanson et ses aides. La scène sera maintes fois reproduite en gravures et tableaux, avec le bourreau qui brandit la tête du roi, face au peuple amassé.

« Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que mon sang ne retombe pas sur la France. »1480

LOUIS XVI (1754-1793), au bourreau Sanson et à ses aides, 21 janvier 1793. « Second mot de la fin » du roi. Histoire de France depuis les temps les plus reculés (1867), Antonin Roche

Autre mot de la fin attribué au roi, toujours dans le même esprit : « Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français. » Et encore : « Dieu veuille que ce sang ne retombe pas sur la France. » Cela relève de la « belle mort », comme pour alimenter la légende.
Reste un fait avéré. Louis XVI, tout au long de sa vie, eut une obsession louable et rare chez un roi : ne pas faire couler le sang des Français.

« Louis ne sut qu’aimer, pardonner et mourir !
Il aurait su régner s’il avait su punir. »1481

Comte de TILLY (1764-1816). Biographie universelle, ancienne et moderne (1826), Joseph Michaud, Louis Gabriel Michaud

Dans ce célèbre distique (deux vers), le comte de Tilly, défenseur du roi au palais des Tuileries (le 10 août 1792) et auteur de Mémoires (surtout galants), témoigne de cette horreur de la violence, dans une époque où elle fait loi.

« J’ai, au Champ de Mars, déclaré la guerre à la royauté, je l’ai abattue le 10 août, je l’ai tuée au 21 janvier, et j’ai lancé aux rois une tête de roi en signe de défi. »1482

DANTON (1759-1794), La Mort de Danton (1835), drame historique de Goerg Büchner (1813-1837)

Cette réplique lui est prêtée par le poète allemand âgé de 21 ans (et mort du typhus à 23). Elle illustre le grand premier rôle révolutionnaire que se donne Danton, et qu’il joue effectivement jusqu’à sa chute, même s’il est souvent absent au cœur de l’action – une des ambiguïtés du personnage, notée par certains historiens.

« Le jour où la France coupa la tête de son roi, elle commit un suicide. »1483

Ernest RENAN (1823-1892), La Réforme intellectuelle et morale de la France (1871)

Historien chrétien, il fait référence au lien charnel entre le pays et le roi, allant jusqu’à l’identification à la fin du Moyen Âge, sous Louis XI : « Je suis France ». Plus contemporain, rappelons le mot de Mauriac à propos du général de Gaulle, en 1940 : « Un fou a dit, moi la France, et personne n’a ri parce que c’était vrai. »

Cette réflexion de Renan intervient au lendemain de la défaite face à l’Allemagne, quand la France amputée, désemparée, n’est pas encore acquise à la République. Peinant à faire son deuil d’un régime monarchique constitutionnel, il parle donc à ses contemporains - cela vaut pour la plupart des auteurs, historiens et philosophes. Il incrimine la Révolution, son culte de la « table rase » et de l’homme nouveau, et regrette cette irrémédiable rupture dans la continuité historique, dont la mort du roi fut le symbole.

« On a tué des rois bien avant le 21 janvier 1793. Mais Ravaillac, Damiens et leurs émules voulaient atteindre la personne du roi, non le principe […] Ils n’imaginaient pas que le trône pût rester toujours vide. »1484

Albert CAMUS (1913-1960), L’Homme révolté (1951)

L’histoire du monde est riche en régicides. Mais les assassins des rois qui tuent un homme ne font que renforcer le mythe de la royauté. Alors qu’un procès public, devant une Assemblée nationale devenue tribunal du peuple, devait mettre fin à la monarchie de droit divin.

La mort du roi, chacun en juge selon son camp, des royalistes aux révolutionnaires, en passant par toutes les nuances d’opinion, de la droite réactionnaire à la gauche extrême. Cela vaut de manière plus générale pour la Révolution, et aujourd’hui encore, on en discute.

Les émigrés royalistes proclament roi, sous le nom de Louis XVII, le jeune dauphin enfermé au Temple, et le comte de Provence (frère aîné de Louis XVI, futur Louis XVIII) est nommé régent du royaume.

« J’ons plus de roi dans la France […]
À présent tout ira bien
À Paris comme à la guerre.
Je n’craindrons plus le venin
Qui gâtait toute c’t’affaire,
J’aurons vraiment la liberté
En soutenant l’égalité ! »1485

Citoyenne Veuve Ferrand (fin du XVIIIe siècle), Joie du peuple républicain (début 1793), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Chaque événement historique est ponctué de paroles et musique. Cette Joie du peuple républicain est assurément une « chanson de circonstance » : tout ira bien après la mort du roi. Au-delà de cette joie, le choc est immense.

2. Le procès de Marie-Antoinette.

Il passionne la foule, dans un genre plus « people » que le roi, le personnage romanesque déchaînant toujours les passions. Jeune Autrichienne idolâtrée à son arrivée en France et mariée au futur Louis XVI en 1770, la Dauphine avait dû retarder plus de trois ans son Entrée solennelle à Paris ! Elle était ensuite devenue la cible des « basses Lumières » : quelque 3 000 pamphlets la visant à la veille de la Révolution relèvent, selon la plupart des historiens, de l’assassinat politique.

« Ils peuvent être mes bourreaux, mais ils ne seront jamais mes juges. »1539

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), apprenant qu’elle va être jugée par le Tribunal révolutionnaire, début octobre 1793. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Elle est à présent sans illusion, prisonnière à la Conciergerie, dite l’antichambre de la mort.

Deux chefs d’accusation sont retenus contre elle : manœuvres en faveur des ennemis extérieurs de la République et complot pour allumer la guerre civile. Mais le dossier est vide et le tribunal veut respecter au moins les apparences. D’où l’idée d’interroger son fils, 8 ans, pour lui faire reconnaître des relations incestueuses avec sa mère. Pache (maire de Paris), Chaumette (procureur) et Hébert (substitut de la Commune) s’en chargent.

Le mot de Marie-Antoinette prendra tout son sens, quand elle subira une vraie torture morale, durant les deux jours de son procès public (14 et 15 octobre).

« Immorale sous tous les rapports et nouvelle Agrippine, elle est si perverse et si familière avec tous les crimes qu’oubliant sa qualité de mère, la veuve Capet n’a pas craint de se livrer à des indécences dont l’idée et le nom seul font frémir d’horreur. »1541

FOUQUIER-TINVILLE (1746-1795), Acte d’accusation de Marie-Antoinette, Tribunal révolutionnaire, 14 octobre 1793. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris (1862), Émile Campardon

« Marie-Antoinette de Lorraine d’Autriche, âgée de 37 ans, veuve du roi de France », ayant ainsi décliné son identité, a répondu le 12 octobre à un interrogatoire (secret) portant sur des questions politiques, et sur le rôle qu’elle a joué auprès du roi, au cours de divers événements, avant et après 1789. Elle nie pratiquement toute responsabilité.

Au procès, cette fois devant la foule, elle répond à nouveau et sa dignité impressionne. L’émotion est à son comble, quand Fouquier-Tinville aborde ce sujet intime des relations avec son fils. L’accusateur public ne fait d’ailleurs que reprendre les rumeurs qui ont moralement et politiquement assassiné la reine en quelque 3 000 pamphlets, à la fin de l’Ancien Régime. L’inceste (avec un enfant âgé alors de moins de 4 ans) fut l’une des plus monstrueuses.

« Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature se refuse à répondre à pareille inculpation faite à une mère : j’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici. »1542

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), réplique à un juré s’étonnant de son silence au sujet de l’accusation d’inceste, Tribunal révolutionnaire, 14 octobre 1793. La Femme française dans les temps modernes (1883), Clarisse Bader

La reine déchue n’est plus qu’une femme et une mère humiliée, à qui l’on a enlevé son enfant devenu témoin à charge, évidemment manipulé. L’accusée retourne le peuple en sa faveur. Le président menace de faire évacuer la salle. La suite du procès est un simulacre de justice et l’issue ne fait aucun doute.

Au pied de la guillotine, les dernières paroles de Marie-Antoinette sont pour le bourreau Sanson qu’elle a heurté, dans un geste de recul : « Excusez-moi, Monsieur, je ne l’ai pas fait exprès. » Un mot de la fin sans doute authentique, mais trop anodin pour devenir citation.

« La plus grande joie du Père Duchesne après avoir vu de ses propres yeux la tête du Veto femelle séparée de son col de grue et sa grande colère contre les deux avocats du diable qui ont osé plaider la cause de cette guenon. »1543

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, n° 299, titre du journal au lendemain du 16 octobre 1793. Les Derniers Jours de Marie-Antoinette (1933), Frantz Funck-Brentano

Voici donc l’oraison funèbre consacrée par le pamphlétaire jacobin à la reine sacrifiée. Le titre est un peu long. Et la chronique qui suit, ce n’est pas du Bossuet, mais la littérature révolutionnaire déploie volontiers cette démagogie populaire : « J’aurais désiré, f…! que tous les brigands couronnés eussent vu à travers la chatière l’interrogatoire et le jugement de la tigresse d’Autriche. Quelle leçon pour eux, f…! Comme ils auraient frémi en contemplant deux ou trois cent mille sans-culottes environnant le Palais et attendant en silence le moment où l’arrêt fatal allait être prononcé ! Comme ils auraient été petits ces prétendus souverains devant la majesté du peuple ! Non, f…! jamais on ne vit un spectacle pareil. Tendres mères, dont les enfants sont morts pour la République ; vous, épouses chéries des braves bougres qui combattent en ce moment sur les frontières, vous avez un moment étouffé vos soupirs et suspendu vos larmes, quand vous avez vu paraître devant ses juges la garce infâme qui a causé tous vos chagrins ; et vous, vieillards, qui avez langui sous le despotisme, vous avez rajeuni de vingt ans, en assistant à cette terrible scène : « Nous avons assez vécu, vous disiez-vous, puisque nous avons vu le dernier jour de nos tyrans. » »

3. L’affaire du duc d’Enghien.

Pas de vrai procès, on parle même d’un assassinat – disons une exécution. On peut y voir une affaire d’État réglée au nom de la raison d’État. En tout cas, elle fait grand bruit, en France comme en Europe.

Il faut la resituer : climat d’insécurité avec une série d’attentats visant le nouveau maître de la France, Napoléon Bonaparte. La cause est politique, la justice est militaire, le droit bafoué. La personnalité du « bourreau » et de la victime expliquent en partie l’importance de cette affaire.

« L’air est plein de poignards. »1741

Joseph FOUCHÉ (1759-1820), mi-janvier 1804. Fouché (1903), Louis Madelin

Bien que n’étant plus au ministère de la Police (supprimé entre 1802 et 1804), il apprend la présence de Pichegru à Paris, général traître, déporté par le Directoire, évadé du bagne. Cadoudal est complice, chef chouan charismatique, déjà impliqué dans l’attentat de la rue Saint-Nicaise, fin 1800, et que Bonaparte a essayé de se rallier. Le général Moreau s’est plus ou moins joint au complot, s’estimant mal payé des services rendus au pouvoir, mais refusant de servir les royalistes. Ces hommes ont le projet d’enlever le Premier Consul. Bonaparte informé, la capitale est mise aussitôt en état de siège.

« Je vis dans une défiance continuelle. Chaque jour, on voit éclore de nouveaux complots contre ma vie. Les Bourbons me prennent pour leur unique point de mire ! »1742

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à son frère Joseph. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Ce n’est pas une paranoïa de dictateur. De son propre aveu, le comte d’Artois (frère du comte de Provence et futur Charles X) entretenait 60 assassins dans Paris. Et c’est lui qui a nommé Cadoudal, réfugié à Londres, lieutenant général des armées du roi, en 1800.

« Les Bourbons croient qu’on peut verser mon sang comme celui des plus vils animaux. Mon sang cependant vaut bien le leur. Je vais leur rendre la terreur qu’ils veulent m’inspirer […] Je ferai impitoyablement fusiller le premier de ces princes qui me tombera sous la main. »1743

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), 9 mars 1804. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

Cadoudal vient d’être arrêté, au terme d’une course-poursuite meurtrière, au Quartier latin. Il a parlé sans le nommer d’un prince français complice, et de l’avis de tous, c’est le duc d’Enghien, émigré, qui vit près de la frontière, en Allemagne.

Le lendemain, le Premier Consul, en proie à une fureur extrême, donne l’ordre de l’enlever, ce qui sera fait dans la nuit du 15 au 16 mars, par une troupe d’un millier de gendarmes, au mépris du droit des gens (droit international).

« Le gouvernement arrête que le ci-devant duc d’Enghien, prévenu […] de faire partie des complots tramés […] contre la sûreté intérieure et extérieure de la République, sera traduit devant une commission militaire. »1744

Procès-verbal du 20 mars 1804. Mémoires historiques sur la catastrophe du duc d’Enghien (1824), Louis-Antoine Henri de Bourbon

Le prince, qui préparait son mariage dans sa propriété d’Ettenheim à quelques kilomètres de la frontière en Allemagne, est enlevé au mépris de la loi et se retrouve enfermé au château de Vincennes. Le soir même, il est « jugé » par une commission militaire, condamné à mort sans appel.

« Qu’il est affreux de mourir ainsi de la main des Français ! »1745

Duc d’ENGHIEN (1772-1804), quelques instants avant son exécution, 21 mars 1804. Son mot de la fin. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Bonaparte a maintenant la preuve que le prince de 32 ans, dernier rejeton de la prestigieuse lignée des Condé, n’est pour rien dans le complot Cadoudal, même s’il est le chef d’un réseau antirépublicain qui a fait le projet de l’assassiner. De tous les condamnés à mort réellement impliqués, il ne regrettera que Cadoudal, 33 ans. Pichegru s’est suicidé dans sa cellule. Moreau, jugé, condamné à deux ans de prison, sera finalement exilé.

Mais l’histoire retient surtout le drame du duc d’Enghien. Bonaparte l’a laissé condamner après un simulacre de jugement, puis fusiller la nuit même dans les fossés de Vincennes. Sans regret ni remords.

« La saignée entre dans les combinaisons de la médecine politique. »1746

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Le Bonapartisme (1980), Frédéric Bluche

Empereur, il écrira ces mots, en repensant à l’exécution du duc d’Enghien. Dans son testament à Sainte-Hélène, il revendique la responsabilité de cet acte que la postérité jugera comme un crime.

« C’est pire qu’un crime, c’est une faute. »1747

Antoine Claude Joseph BOULAY de la MEURTHE (1761-1840), apprenant l’exécution du duc d’Enghien, le 21 mars 1804. Mot parfois attribué, mais à tort, à FOUCHÉ (1759-1820) ou à TALLEYRAND (1754-1838). Les Citations françaises (1931), Othon Guerlac

Conseiller d’État et pourtant fidèle à Bonaparte du début (coup d’État de brumaire) à la fin (Cent-Jours compris), il a ce jugement sévère. Le mot est parfois attribué à Fouché (par Chateaubriand) ou à Talleyrand (par J.-P. Sartre). Mais les deux hommes ont eux-mêmes poussé Bonaparte au crime et il n’est pas dans leur caractère de s’en repentir.

Cette exécution sommaire indigne l’Europe. Et toutes les têtes couronnées se ligueront contre l’empereur – là est « la faute ». Le drame émeut la France : détails sordides de l’exécution et douleur de la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort, qui portera toute sa vie le deuil de cet amour. Mais les royalistes se rallieront majoritairement à Napoléon – et en cela, il a politiquement bien joué.

« Je suis prince sanguin, mon cousin,
On en a preuve sûre,
Prince du sang d’Enghien, mon cousin ;
Oh ! la bonne aventure […]
On n’est pas à la fin, mon cousin,
De sang, je vous l’assure,
J’en prétends prendre un bain, mon cousin. »1748

Je suis prince sanguin, chanson. L’Écho des salons de Paris depuis la restauration : ou, recueil d’anecdotes sur l’ex-empereur Buonaparte, sa cour et ses agents (1815), Jacques Thomas Verneur

Postérieure à l’exécution du duc d’Enghien, la chanson résonne lugubrement, jouant sur le sang dont le criminel se vante d’être doublement imprégné. Allusion y est faite à une lettre adressée par Napoléon aux évêques de France qu’il appelle individuellement « mon cousin » comme il était de tradition pour le roi, et où il leur demande de faire chanter un Te Deum pour son sacre.

4. Série de procès contre les anarchistes.

Climat littéralement explosif de terreur à Paris, comme partout en Europe et même outre-Atlantique. Le XIXe siècle est la belle époque de l’anarchie, nouvelle idéologie sociale née en marge du socialisme, la Commune de Paris (1871) ayant marqué son heure de gloire politique.

La vague d’attentats meurtriers qui se déchaîne à la fin du siècle est plus complexe

« La société est pourrie. Dans les ateliers, les mines et les champs, il y a des êtres humains qui travaillent et souffrent sans pouvoir espérer d’acquérir la millième partie du fruit de leur travail. »2503

RAVACHOL (1859-1892), à son procès, 26 avril 1892. Histoire de la Troisième République, volume II (1963), Jacques Chastenet

Ravachol est un criminel en série (tuant pour l’argent), devenu un mythe par la vertu de la dynamite et des relations nouées avec les militants anarchistes. Les 11, 18 et 29 mars, il a fait sauter des appartements de magistrats et une caserne. La veille du procès, ses complices ont fait exploser une bombe dans le restaurant Véry. Condamné à mort (pour des crimes antérieurs), il est exécuté le 11 juillet.

Les attentats anarchistes, nombreux de 1892 à 1894, ont des origines diverses : souvenir de la Commune qui est commémorée vingt ans après, de bien des manières (y compris des tableaux, des chansons) ; hostilité envers les partis organisés de gauche qui veulent un État socialiste ; haine pour les bourgeois dont les affaires prospèrent.

« Il y a les magistrats vendus,
Il y a les financiers ventrus,
Il y a les argousins,
Mais pour tous ces coquins,
Il y a d’la dynamite,
Vive le son, vive le son,
Il y a d’la dynamite !
Dansons la ravachole !
Vive le son d’l’explosion. »2504

Sébastien FAURE (1858-1942), La Ravachole, version anarchiste de La Carmagnole (1892), chanson. Ravachol et les anarchistes (1992), Jean Maitron

Sébastien Faure a un long parcours militant : ex-séminariste, ex-marxiste, il devient anarchiste à la fin des années 1880, libertaire avec Louise Michel, dreyfusard au moment de l’Affaire, avant de s’afficher pacifiste et antimilitariste, au siècle suivant.

L’anarchie va occuper la vie publique un quart de siècle : avec ses chansons, sa presse, ses héros et ses criminels, ses attentats, ses victimes – jusqu’au président de la République en personne. Le régime est plus gravement ébranlé par la série des affaires, autrement dit scandales, qui multiplient les crises politiques.

« Désormais, ces messieurs sauront qu’ils ont toujours une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête, ils voteront peut-être des lois plus justes. »2510

Auguste VAILLANT (1861-1894), Déclaration à la police qui l’interroge, après l’attentat perpétré, le 9 décembre 1893. L’Épopée de la révolte (1963), André Mahé

Au procès, il affirme avoir lancé cette bombe pour venger son idole Ravachol, et non pour tuer. Vaillant, 33 ans, est exécuté le 5 février 1894. Mais une semaine plus tard, une autre bombe explose.

La flambée anarchiste qui frappe la France, inspirée de Proudhon et Bakounine en rupture de socialisme, va parcourir l’Europe, tuer l’impératrice Élisabeth d’Autriche (célèbre Sissi), le roi d’Italie Humbert Ier, et franchir l’Atlantique, pour atteindre le 25e président des États-Unis d’Amérique, William McKinley. Le terrorisme est une force de frappe récurrente, et le monde occidental devra affronter le terrorisme rouge dans les années 1970, le terrorisme islamique au début du XXIe siècle.

Vaillant, ni penseur ni même militant, est un marginal qui a survécu en multipliant les petits métiers, se lançant dans la lutte politique pour faire entendre « le cri de toute une classe qui revendique ses droits ». L’inexistence d’un vrai programme social demeure l’une des faiblesses de la Troisième République – jusqu’en 1936 et l’avènement du Front populaire.

« Vos mains sont couvertes de sang.
— Comme l’est votre robe rouge ! »2511

Émile HENRY (1872-1894), répondant au président du tribunal, 27 avril 1894. Historia (octobre 1968), « L’Ère anarchiste », Maurice Duplay

Fils de bourgeois, il épouse la cause anarchiste par idéal révolutionnaire et veut frapper partout, parce que la bourgeoisie est partout. Il a 19 ans quand sa bombe portée pour examen au commissariat de police des Bons-Enfants explose : 5 morts, le 8 novembre 1892. Nouvelle bombe au café Terminus de la gare Saint-Lazare : un mort, 20 blessés, le 12 février 1894.

À son procès, il proclame que l’anarchie « est née au sein d’une société pourrie qui se disloque. Elle est partout, c’est ce qui la rend indomptable, et elle finira par vous vaincre et vous tuer. » Émile Henry sera guillotiné le 21 mai 1894, criant « Courage, camarades ! Vive l’anarchie ! »

« Avec un geste cynique
Il prépare son poignard,
Puis il frappe sans retard
Le chef de la République. »2512

Léo LELIÈVRE (1872-1956), Le Crime de Lyon, chanson. Cent ans de chanson française, 1880-1980 (1996), Chantal Brunschwig, Louis-Jean Calvet, Jean-Claude Klein

Chanson écrite et interprétée par le chansonnier qui relate l’assassinat de Sadi Carnot. Le 24 juin, visitant l’Exposition de Lyon, le président est poignardé par Caserio, un illuminé, jeune anarchiste italien. Sadi Carnot est le premier Président français à mourir assassiné. Il sera suivi par Paul Doumer en 1932, tué par Paul Gorgulov.

Casimir-Perier remplace Carnot à la présidence. Il va faire adopter la troisième loi scélérate, votée le 28 juillet, interdisant tout type de propagande anarchiste. La répression et même la prévention vont être impitoyables, et l’action directe remplacée par l’action syndicale. Les anarchistes dominaient les premiers syndicats, autorisés depuis 1884 et d’autant plus violents que leurs effectifs sont modestes – les rares grands syndicats (cheminots, ouvriers du livre) sont plus modérés.

Les derniers anarchistes célèbres en France seront ceux de la bande à Bonnot : 20 accusés, 4 condamnés à mort, exécutés en 1912. La peine de mort sera abolie en 1981.

5. L’Affaire Dreyfus.

C’est l’Affaire (majuscule) de la Troisième République, tristement connue pour le nombre des crises et des scandales qui ont ébranlé le régime et affaibli l‘État.

Cette nouvelle affaire va déchirer la France bien au-delà des partis, des divisions traditionnelles et des considérations  politiques. Il faut la resituer dans un contexte très particulier…

« Pensons-y toujours, n’en parlons jamais. » Gambetta, grand républicain, pense  comme tous les Français aux deux provinces sœurs et devenues étrangères, l’Alsace et la Lorraine. Maurras traduira à sa façon l’unanimité nationale autour du culte de l’Alsace-Lorraine en parlant de « la Revanche reine de France ». Paul Déroulède, créant la Ligue des patriotes en 1882, incarnera un patriotisme nationaliste et revanchard qui fait beaucoup de bruit et déchaîne pas mal de fureurs, jusqu’à la prochaine guerre.

Dans ces conditions, l’armée est sacrée. Cela explique tout, mais n’excuse rien ! Et l’épilogue de l’Affaire Dreyfus sauve l’honneur de la justice et du droit.

« La vérité est en marche ; rien ne peut plus l’arrêter. »2515

Émile ZOLA (1840-1902), Le Figaro, 25 novembre 1897

Zola commente la demande en révision du procès du capitaine Dreyfus.

L’histoire, complexe et longue, commence fin septembre 1894, quand une femme de ménage française de l’ambassade allemande, travaillant pour le Service de renseignements, découvre un bordereau prouvant la trahison d’un officier de l’état-major français. Le 10 octobre, le général Mercier, ministre de la Guerre, met en cause Alfred Dreyfus. On lui fait faire une dictée, il y a similitude entre son écriture et celle du bordereau en cause. Dreyfus est condamné à la déportation en Guyane par le Conseil de guerre de Paris, le 22 décembre 1894. Ni lui ni son avocat n’ont eu accès à des pièces d’un « dossier secret ». Diverses irrégularités sont ensuite mises en évidence. Sa qualité de juif joue contre lui, à une époque où l’antisémitisme a ses hérauts, ses journaux, ses réseaux.

« Il n’y a pas d’affaire Dreyfus. »2516

Jules MÉLINE (1838-1925), président du Conseil, au vice-président du Sénat venu lui demander la révision du procès, séance du 4 décembre 1897. Affaire Dreyfus (1898), Edmond de Haime

Mot malheureux, quand éclate au grand jour l’affaire Dreyfus, qui deviendra l’« Affaire » de la Troisième République, et la plus grave crise pour le régime. Méline refuse la demande en révision du procès. Les dreyfusards (minoritaires) vont mobiliser l’opinion publique par une campagne de presse.

« J’accuse. »2517

Émile ZOLA (1840-1902), titre de son article en page un de L’Aurore, 13 janvier 1898

L’Aurore est le journal de Clemenceau et le titre est de lui. Mais l’article en forme de lettre ouverte au président de la République Félix Faure est bien l’œuvre de Zola : il accuse deux ministres de la Guerre, les principaux officiers de l’état-major et les experts en écriture d’avoir « mené dans la presse une campagne abominable pour égarer l’opinion », et le Conseil de guerre qui a condamné Dreyfus, d’« avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète ». Le ministre de la Guerre, général Billot, intente alors au célèbre écrivain un procès en diffamation.

« Un jour la France me remerciera d’avoir aidé à sauver son honneur. »2518

Émile ZOLA (1840-1902), La Vérité en marche, déclaration au jury. L’Aurore, 22 février 1898

Le procès Zola en cour d’assises (7-21 février 1898) fit connaître l’affaire Dreyfus au monde entier. Formidable tribune pour l’intellectuel converti aux doctrines socialistes et aux grandes idées humanitaires ! « Tout semble être contre moi, les deux Chambres, le pouvoir civil, le pouvoir militaire, les journaux à grand tirage, l’opinion publique qu’ils ont empoisonnée. Et je n’ai pour moi que l’idée, un idéal de vérité et de justice. Et je suis bien tranquille, je vaincrai. »

En attendant, Zola est condamné à un an de prison et 3 000 francs d’amende.

« L’intervention d’un romancier, même fameux, dans une question de justice militaire m’a paru aussi déplacée que le serait, dans la question des origines du romantisme, l’intervention d’un colonel de gendarmerie. »2519

Ferdinand BRUNETIÈRE (1848-1906), Après le procès (1898)

Intellectuel type, historien de la littérature et critique français, professeur à l’École normale supérieure et à la Sorbonne, directeur de la Revue des Deux Mondes, Brunetière est antidreyfusard par respect des institutions, comme il est conservateur en littérature, par fidélité aux classiques. Rejetant l’engagement dreyfusard de Zola, et refusant lui-même de se prononcer sur la culpabilité du capitaine Dreyfus, il déclare seulement que « porter atteinte à l’armée, c’est fragiliser la démocratie. » Beaucoup d’antidreyfusards vont aller plus loin.

« La révision du procès de Dreyfus serait la fin de la France. »2520

Henri ROCHEFORT (1831-1913), 1er mai 1898. Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière

Polémiste à l’humour cinglant, il change de registre. Son journal, l’Intransigeant, dénonce le syndicat des dreyfusards et soutient le camp des antidreyfusards, très majoritaires, mais plus ou moins militants.

Parmi les intellectuels, Charles Maurras se distingue. Il met en avant l’honneur de l’armée, mais rejoint en 1900 l’Action française (mouvement créé en juillet 1899), pour défendre le pays contre les juifs, les francs-maçons, les protestants et les « métèques ». Théoricien du « nationalisme intégral », il écrit en décembre 1898 à Barrès : « Le parti de Dreyfus mériterait qu’on le fusillât tout entier comme insurgé. » L’Action française sera très présente dans l’entre-deux-guerres, avec son journal éponyme dont les lecteurs apprécient la qualité, sinon les idées politiques.

La Ligue de la Patrie française, plus modérée, réunit nombre d’écrivains et académiciens, joints à des artistes et des mondains : Maurice Barrès, François Coppée, Jules Lemaître et Paul Bourget, les peintres Degas et Renoir, les dessinateurs Forain et Caran d’Ache, le compositeur Vincent d’Indy.

La Ligue des patriotes, créée par Paul Déroulède en 1882 (pour la revanche, contre l’Allemagne), rassemble la majorité des nationalistes antidreyfusards. Déroulède croit Dreyfus innocent et rejette les slogans antisémites, mais l’honneur de la patrie et de l’armée passe avant tout. La justice militaire qui doit faire autorité ne peut donc être remise en cause. La Ligue atteindra 300 000 membres, pour disparaître en 1905.

Beaucoup d’officiers sont antidreyfusards, ne serait-ce que par esprit de corps. Trois hommes politiques célèbres se déclarent contre la révision du procès : Cavaignac, ministre de la Guerre, qui s’opposera à la seconde révision réclamée par Jaurès ; Félix Faure, président de la République durant la période où la révision est refusée ; enfin, Jules Méline, le président du Conseil qui s’y oppose également.

« Aujourd’hui, la vérité ayant vaincu, la justice régnant enfin, je renais, je rentre et reprends ma place sur la terre française. »2524

Émile ZOLA (1840-1902), L’Aurore, 5 juin 1899

Le 3 juin, la Cour de cassation, « toutes Chambres réunies », s’est prononcée pour « l’annulation du jugement de condamnation rendu le 22 décembre 1894 contre Alfred Dreyfus ». Dreyfus a été sauvé par les « dreyfusards » ou « révisionnistes » : gracié par le président de la République, il sera réintégré dans l’armée en 1906. Mais l’Affaire a durablement déchiré en deux la France, tous les partis, les milieux, les familles.

« Au moral, la haine de l’esprit militaire, au matériel, un désarmement qui attire la guerre comme l’aimant le fer. »2525

Charles MAURRAS (1868-1952), Au signe de Flore : souvenirs de vie politique, l’affaire Dreyfus, la fondation de l’Action française, 1898-1900 (1931)

Le théoricien du nationalisme intégral sera hanté à vie par le souvenir de l’affaire Dreyfus. Elle a de graves conséquences.

Militaires d’abord. L’armée en sort divisée (on se bat en duel dans les garnisons, dreyfusards contre « anti »), affaiblie, discréditée, épurée, et le Service de renseignements est remplacé par la police civile qui ne sera pas de taille face au SR allemand.

Conséquences psychologiques ensuite. La France va vivre en guerre de religion, deux camps se lançant leurs invectives : haine raciale, violation des droits de l’homme, contre antipatriotisme, antimilitarisme.

Politiquement enfin, les républicains, modérés, gravement divisés sur l’Affaire, vont s’appuyer sur la gauche et finalement perdre le pouvoir au profit des radicaux. Le centrisme n’est plus possible, il faut être à gauche ou à droite, et le gouvernement en fait vite l’expérience.

6. Série de procès sous la Quatrième et la Cinquième Républiques.

Autres temps, autres mœurs, autres procès. L’Histoire en citations s’en fait l’écho : chaque fois une situation particulière, un mot mémorable, une citation à retenir.

« Le patronat de droit divin est mort. »2787

Léon BLUM (1872-1950), résumant l’une des idées force du Front populaire de 1936. Le Procès de Riom (1945), James de Coquet, Robert Jacomet

Au Procès de Riom (15 février-11 avril 1942), accusé d’être responsable de la défaite de 1940, Blum parle en socialiste et comparaît en chef de gouvernement du Front populaire : « L’autorité patronale analogue au commandement hiérarchique, au commandement totalitaire, c’est fini, c’est mort. On ne donnera plus à des masses ouvrières le sentiment qu’elles sont asservies au travail par le lien d’une hiérarchie qu’elles n’ont pas eu le droit de discuter et auquel elles n’ont pas consenti. »

Tournant au réquisitoire contre la politique hitlérienne, le procès est suspendu. Au lieu d’un jugement, il y aura une série d’internements administratifs, relevant du pouvoir du maréchal Pétain, chef de l’État. En prison, Léon Blum écrit en 1941 À l’échelle humaine. Il exhorte son parti à la Résistance. Après le procès, livré aux Allemands et déporté à Buchenwald, il est de ceux qui en reviendront.

« Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »2821

Charles de GAULLE (1890-1970), refusant la grâce de Robert Brasillach. Mémoires de Guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959), Charles de Gaulle

Sur 2 071 recours présentés, de Gaulle en acceptera 1 303.

Condamné à mort pour intelligence avec les Allemands, Brasillach est fusillé le 6 février 1945. Ses convictions hitlériennes ne font aucun doute et son journal (Je suis partout) en témoigne abondamment. Le procès est bâclé, de nombreux confrères tentent de le sauver. Mais le PC voulait la tête de l’homme responsable de la mort de nombreux camarades, et de Gaulle ne lui pardonnait pas celle de Georges Mandel, résistant exécuté par la Milice, après les appels au meurtre signés, entre autres, par Brasillach.

« C’est la revanche de Dreyfus. »2825

Charles MAURRAS (1868-1952), à l’énoncé du verdict, dernier jour de son procès à Lyon, 27 janvier 1945. Alfred Dreyfus : l’honneur d’un patriote (2006), Vincent Duclert

L’inspirateur de L’Action Française, antidreyfusard et antisémite affiché, qui soutint Mussolini, Franco et Pétain, est condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir mené une campagne contre la France, et radié de l’Académie française. Il sera gracié peu de temps avant sa mort (1952).
Drieu La Rochelle, longtemps hésitant entre communisme et fascisme, s’engagea à corps perdu dans la collaboration et se suicida, devançant une condamnation qu’il savait certaine.

De nombreux écrivains seront mis à l’index : Marcel Aymé, René Barjavel, Pierre Benoit, Henry Bordeaux, Alexis Carrel, Céline, André Demaison, Maurice Donnay, Paul Fort, Jean Giono, Sacha Guitry, Marcel Jouhandeau, Henry de Montherlant, Paul Morand, Jean de La Varende… Seul crime de la plupart d’entre eux : ils ont continué d’écrire sous l’occupation ; certains se sont rendus en Allemagne ; aucun ne fut antipétainiste. Paulhan et Camus protestent contre ces « listes noires » et les peines trop sévères.

« La gauche est impuissante et elle le restera si elle n’accepte pas d’unir ses efforts à la seule force qui lutte aujourd’hui réellement contre l’ennemi commun des libertés algériennes et des libertés françaises. Et cette force est le FLN. »2995

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), Lettre au procès Jeanson (5 septembre-1er octobre 1960). La Guerre d’Algérie : des complots du 13 mai à l’indépendance (1981), Henri Alleg

Certains Français ne se contentent plus de prendre position en faveur de la paix en Algérie et de négociations avec le FLN. Ils apportent une aide directe à ses membres, dirigeants de la rébellion, participant même à des faits de guerre ou de terrorisme.

Le réseau Jeanson regroupe 6 Algériens et 17 Français de métropole accusés, entre autre, de transporter des fonds, des faux papiers, du matériel de propagande – d’où le nom de « porteurs de valises » donné par Sartre. Il est personnellement lié à Francis Jeanson (en fuite, et donc absent au procès). Ne pouvant se présenter lui-même au tribunal (retenu au Brésil pour une tournée de conférence), l’écrivain exprime sa solidarité par une longue lettre, se référant au Manifeste des 121 qu’il a naturellement signé.

26 avocats (dont Roland Dumas) défendent les inculpés, faisant durer le procès et ridiculisant le tribunal, stratégie payante face à l’opinion publique. Jeanson sera reconnu coupable de haute trahison, et condamné à dix ans de réclusion – amnistié en 1966. La majorité des autres membres du réseau sont condamnés plus ou moins sévèrement, et neuf acquittés. Le Monde, en septembre 2000, rend justice à « ces traîtres qui sauvèrent l’honneur de la France » (Dominique Vidal).

« La vraie justice serait d’exiger que paient ceux qui cassent les hommes. »3124

Père CARDONNEL (1921-2009), Déclaration au procès de Le Dantec et Le Bris, fin mai 1970. Génération, tome II, Les Années de poudre (1988), Hervé Hamon, Patrick Rotman

Ce dominicain témoigne en faveur des deux jeunes gens arrêtés en tant que directeurs successifs de La Cause du peuple, journal dont un des derniers numéros écrit, à la rubrique sociale : « Les patrons, ça se séquestre ».

Le procès s’est ouvert le 27 mai 1970. Motifs d’inculpation : appel au meurtre, au vol, à l’incendie. Le Dantec est condamné à un an de prison, Le Bris à huit mois, et le Conseil des ministres dissout la Gauche prolétarienne (GP). Sartre riposte dans Le Monde : « Mai 68 n’a pas été une flambée sans lendemain ; ce fut une insurrection trahie, mais non vaincue. »

« Je suis responsable, mais pas coupable. »3296

Georgina DUFOIX (née en 1943), résumant sa position de ministre des Affaires sociales dans l’affaire du sang contaminé, TF1, 4 novembre 1991

Plus de 6 000 hémophiles ont été contaminés par le virus du sida, entre 1982 et 1985. Le scandale éclate en avril 1991 : un article dans L’Événement du jeudi incrimine le CNTS (Centre national de transfusion sanguine) qui savait le danger, dès 1984. Le dernier procès des trois anciens ministres impliqués date de 1999. Affaire complexe et tragique. L’opinion publique, sensible aux problèmes de santé, est choquée par ce long feuilleton.

La « petite phrase » résumant le système de défense de la ministre a suscité beaucoup de réactions : incompréhension, indignation, injures et diffamation. Pourtant, en droit, il peut y avoir responsabilité sans culpabilité, droit civil et droit pénal ne devant pas être confondus.

« Tout le monde a menti dans ce procès, mais moi j’ai menti de bonne foi. »3314

Bernard TAPIE (né en 1943), lors du procès OM-Valenciennes, mars 1995. Le Spectacle du monde, nos 394 à 397 (1995)

Diversion dans la campagne présidentielle, épilogue du feuilleton médiatico-juridico-sportif qui passionne le public, avec deux stars à l’affiche : le foot et « Nanard », empêtré dans une sale affaire, au Tribunal de Valenciennes.

Le mot, qui vaut aveu, définit ce personnage atypique, cynique, talentueux dans son genre, popu et bling-bling à la fois, ogre hyperactif, qui touche à tous les métiers, est présent dans tous les milieux : chanson, télévision, sport, économie et politique. De 1988 à 1992, protégé de Mitterrand, le voilà député des Bouches-du-Rhône, député européen, ministre de la Ville, conseiller régional. Parallèlement, il a dirigé avec brio l’Olympique de Marseille jusqu’en 1993, date où commencent les ennuis judiciaires.

Accusé d’abus de biens sociaux et de fraude fiscale, le présent procès l’implique dans une tentative de corruption, lors du match OM-VA (Olympique de Marseille contre Valenciennes). Voulant protéger ses joueurs qui vont affronter le Milan AC dans la Coupe des clubs champions, le patron de l’OM a payé des joueurs de Valenciennes pour qu’ils « lèvent le pied ». L’OM a gagné sur les deux tableaux en 1993 (Coupe d’Europe et Coupe de France), mais des joueurs ont parlé. Tapie a démenti, avant de céder : « J’ai menti, mais… » Condamné à deux ans de prison, dont un an ferme, pour corruption active et subornation de témoin, il fait appel. Condamnation définitive en 1996. Et résurrection médiatique et financière, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Le mot de Tapie en rappelle un autre, attribué au coureur cycliste Richard Virenque, convaincu de dopage à l’EPO sur le Tour 1998 et qui doit en convenir, mais c’était « à l’insu de mon plein gré ».

Que les pollueurs soient les payeurs.3355

Slogan écologiste devenu principe juridique, lors des marées noires

12 décembre 1999, en pleine tempête sur le Finistère, l’Erika, pétrolier battant pavillon maltais, coule. 31 000 tonnes de fuel dérivent et vont polluer 400 kilomètres de côtes, tuant plus de 150 000 oiseaux… Dominique Voynet, ministre de l’Environnement et militante écologiste, minimise la tragédie : « Ce n’est pas la catastrophe écologique du siècle […] Au Venezuela, il y a au moins 25 000 morts. » Certes, à l’autre bout du monde, les inondations furent meurtrières, mais les marées noires n’en sont pas moins des scandales écologiques et l’homme en est responsable.

Après sept ans d’enquête, le procès de l’Erika commence, le 12 février 2007 : quatre mois d’audience, quinze inculpés, quarante-neuf témoins et experts, une cinquantaine d’avocats ! Le tribunal correctionnel de Paris rend son jugement le 16 janvier 2008 : 300 pages retracent l’historique et les fautes commises, le groupe Total étant reconnu coupable de pollution maritime et condamné à verser 192 millions d’euros. L’armateur, le gestionnaire et l’organisme de certification du navire sont déclarés coupables de faute caractérisée. Le principe du pollueur payeur est clairement validé et, pour la première fois, le droit reconnaît le préjudice écologique en tant que tel. Le 25 septembre 2012, la Cour de cassation confirme toutes les condamnations déjà prononcées depuis treize ans, et ajoute à la responsabilité pénale une responsabilité civile pour le groupe Total. Pour Corinne Lepage, avocate de dix communes du littoral, « c’est un très grand jour pour tous les défenseurs de l’environnement. »

« Quand on paye 15 euros des expertises au tarif d’une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage. »3381

Jean-Luc VIAUX (né en 1949), procès d’Outreau, mai-juillet 2004. Outreau et après ? : La justice bousculée par la Commission d’enquête (2006), Florence Samson

Parole d’expert, au sortir d’une audience où il a été mis en cause pour ses expertises. Cette phrase, détachée de son contexte, exploitée par la presse, poursuivra Jean-Luc Viaux qui défendra ensuite son travail. La cour d’appel de Rouen jugera que ni cette phrase, ni son travail lors de ce procès, n’étaient critiquables.

Dans cette longue mésaventure judiciaire, faut-il invoquer la grande misère de la justice en France, maintes fois dénoncée par les magistrats, ou reconnaître l’erreur toujours possible, dans les rapports des experts en psychiatrie, toxicologie, graphologie, balistique ? La pédophilie reste un sujet extrêmement sensible et l’affaire d’Outreau (commune du Pas-de-Calais, lieu des faits présumés) défraya la chronique durant six ans.

Tout commence en février 2001, avec l’arrestation et l’incarcération de 17 personnes accusées d’abus sexuel sur mineurs, dont certains parents. L’instruction, confiée au juge Fabrice Burgaud, dure deux ans. Deux procès en cour d’assises, première instance en 2004 à Saint-Omer, puis appel en 2005 à Paris, aboutissent à l’acquittement de 13 prévenus : ce sont les « acquittés d’Outreau ». En janvier 2006, une commission d’enquête les auditionne : vies brisées, familles éclatées, dysfonctionnements à tous les niveaux. On parle de « Tchernobyl judiciaire » ! La plus grave bavure judiciaire depuis un demi-siècle débouche sur une réforme de la justice, d’ailleurs jugée insuffisante.

« Un jour, je finirai par retrouver le salopard qui a monté cette affaire et il finira sur un croc de boucher. »3398

Nicolas SARKOZY (né en 1955), ministre de l’Intérieur, citation authentifiée après coup par « le salopard » visé, Dominique de Villepin. La Tragédie du Président (2006), Franz-Olivier Giesbert

Dans la série « duels fratricides », voici la séquence Villepin-Sarkozy et l’affaire Clearstream, obscure histoire de corbeaux et de manipulations, feuilleton financier, politique et judiciaire très médiatisé, qui commence en 2004 et trouve son épilogue juridique en 2010.

Un petit groupe de politiciens et d’industriels tente de manipuler la justice pour évincer des concurrents, en les impliquant dans le scandale des frégates de Taïwan. Ils auraient touché des commissions sur la vente de ces navires de guerre et l’argent se trouverait sur des comptes occultes. Parmi les dizaines de noms cités, Sarkozy, alors ministre de l’Économie, mais aussi Chevènement, Strauss-Kahn, Madelin.

La presse dévoile l’existence d’un rapport de la DST sur l’affaire et ces listings falsifiés. Une fausse rumeur peut toujours nuire et Sarkozy accuse Villepin de dissimuler à la justice les conclusions de l’enquête qui l’innocenterait. Il se constitue partie civile. Villepin est mis en examen le 27 juillet 2007, pour « complicité de dénonciation calomnieuse, recel de vol et d’abus de confiance, complicité d’usage de faux ».

23 septembre 2009, le président Sarkozy qualifie de « coupables » les prévenus au procès Clearstream. Un mois plus tard, le procureur requiert dix-huit mois de prison avec sursis contre l’ex-Premier ministre, rendu « complice » de dénonciation calomnieuse : « Nicolas Sarkozy avait promis de me pendre à un croc de boucher, je vois que la promesse a été tenue. » Mais le 28 janvier 2010, le tribunal correctionnel de Paris rend son jugement : Dominique de Villepin est relaxé. Jean-Louis Gergorin, considéré comme le « cerveau » de l’affaire, est condamné à quinze mois de prison ferme et Imad Lahoud, auteur des lettres anonymes, à dix-huit mois.

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