Les punchlines (Fin de la Troisième République et Seconde Guerre mondiale) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Parole, c’est historique !

Punchline : anglicisme désignant une phrase portant un message fort ou choc (Wikipédia).

En VO : “The final phrase or sentence of a joke or story, providing the humour or some other crucial element.” (Oxford Languages)

Absent du Larousse de la langue française, le mot figure dans le dictionnaire bilingue français/anglais : il est traduit sous le terme de « fin (d’une plaisanterie) ». Il s’applique à une réplique (en anglais : line) comique et percutante (en anglais : punchy), constituant la « chute » d’une histoire drôle ou d’un dialogue de comédie.

On peut finalement traduire par « mot choc ».

Quoiqu’il en soit, la chose existe bien avant le mot !

En exagérant à peine, disons que l’esprit gaulois a inventé la punchline. Elle s’est diversifiée au Moyen Âge, s’adaptant à maintes circonstances politiques, militaires, sociales, avant de devenir un moyen d’expression très français, sous la Renaissance. Chaque période en a usé, la Révolution est en cela exemplaire, qui rebondit de punchline en punchline héroïques. L’Empire continue sur cette lancée, mais toute l’histoire contemporaine se complaît dans ce genre de joute verbale dont les Républiques usent et abusent.

Au final, une bonne moitié de l’Histoire en (3500) citations se joue en punchline.

Cet édito en huit épisodes vous en donne un échantillon au 1/10eme.

Sur le podium des punchlineurs, on retrouve les trois auteurs-acteurs les plus cités : Napoléon, de Gaulle, Hugo. Clemenceau se présente en outsider surdoué sous la Troisième, avec Gambetta dans un autre style. Invités surprise, Louis XVIII et Napoléon III, pour leur humour en situation. Nos derniers présidents arrivent en bonne place, sous  la Cinquième : humour franchouillard et décomplexé de Chirac, franc-parler popu et brutalité viscérale de Sarkozy.

Enfin, « le peuple » se trouve au rendez-vous  de tous les mouvements de fronde, de révolte ou de contestation, en chansons et slogans le plus souvent anonymes, héros majeur sous la Révolution, acteur talentueux de Mai 68.

Peut-on définir les punchlines à la française, malgré leur extrême diversité ?

Ce sont souvent des mots brefs, empruntés à l’Histoire en (1000) tweets, dans le « Bonus » de notre site. Certains mots « jokers » sont réutilisables à volonté, d’autres étant devenus proverbes.

L’humour, l’ironie sont des atouts majeurs, y compris dans les moments dramatiques. Le ton souvent agressif, menaçant, tueur, cynique, se fait bienveillant, optimiste et philosophique au siècle des Lumières.

Les punchlines relèvent de toutes les formes historiques : discours, appel, proclamation, correspondance, mot de la fin, poème, loi, pamphlet, slogan, chant et chanson, devise, dicton, titre dans la presse à partir du XIXe siècle.

L’improvisation dans le feu de l’action alterne avec la réflexion. Les meilleurs mots sont « en situation » : révolte, révolution, guerre, ou discours à la tribune, chef militaire parlant à ses troupes.

En résumé, c’est l’Histoire plus vivante que jamais qui vous parle de la condition humaine.

Toutes ces punchlines sont tirées de l’Histoire en citations et apparaissent dans le même ordre chronologique, avec leurs commentaires plus ou moins détaillés.

V. Fin de la Troisième République et Seconde Guerre mondiale

1/ FIN DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE - ENTRE DEUX GUERRES (1918-1939)

« Foch commande à toutes les armées de l’univers. »2632

Maurice BARRÈS (1862-1923), 14 juillet 1919. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1971), Georges Duby

Les chefs des armées alliées et les représentants des troupes combattantes défilent sur les Champs-Élysées, le jour de la fête nationale. Pour les nationalistes qui, comme Barrès, ont ardemment parlé revanche, prêché le patriotisme et prôné l’Union sacrée, le jour de gloire est vraiment arrivé pour la France dont le prestige international est immense. C’est plus vrai encore pour cet écrivain et politicien, né lorrain quand la Lorraine était encore française.

« L’Allemagne paiera. »2635

Axiome lancé après la Grande Guerre. Histoire de l’Europe au XXe siècle : de 1918 à 1945 (1995), Jean Guiffan, Jean Ruhlmann

Le Bloc national a fondé sa campagne sur ce slogan pour les élections législatives du 16 novembre 1919. C’est aussi la réponse de Clemenceau, chef du gouvernement, interpellé sur les difficultés de la reconstruction. « L’Allemagne paiera. Et jusqu’au dernier penny ! » enchérit Lloyd George, le Premier ministre anglais poussé par son opinion publique.

L’Allemagne paiera, oui, mais mal : le paiement de la dette est un long et décevant feuilleton. En 1921, le montant des réparations est fixé à 85,8 milliards de francs (pour la France). L’Allemagne ne paiera que 5 milliards – étalés dans le temps. Le président Hoover impose un moratoire de la dette allemande en 1932 : le grand allié américain est soucieux de sauvegarder le pouvoir d’achat d’un bon client et de prévenir toute tentation communiste de sa part.

Mais l’axiome va justifier les prodigalités financières du Bloc national issu des élections. Comptant sur ces réparations, l’État multiplie les dépenses publiques et les finance par l’emprunt au lieu de l’impôt. L’accroissement considérable de la dette publique et de la monnaie en circulation engendre l’inflation : prix multipliés par 6,5 de 1914 à 1928 ! Le franc Poincaré sauvera heureusement les finances et l’économie française.

« Il est plus facile de faire la guerre que la paix. »2633

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours de Verdun, 14 juillet 1919. Discours de paix (posthume), Georges Clemenceau

Le Père la Victoire est toujours à la tête du gouvernement d’une France épuisée par l’épreuve des quatre ans de guerre, même si une minorité artiste et privilégiée fête la décennie des Années folles d’après-guerre.

Le vieil homme est devenu le « Perd la Victoire » : piètre négociateur au traité de Versailles signé le 28 juin, il a laissé l’Anglais Lloyd George et l’Américain Wilson l’emporter sur presque tous les points. Et il ne sera jamais président de la République, l’Assemblée préférant voter en 1920 pour Deschanel qui ne lui portera pas ombrage.

Le discours de Clemenceau est prophétique d’une autre réalité qui marque les vingt ans à venir : « L’Allemagne, vaincue, humiliée, désarmée, amputée, condamnée à payer à la France pendant une génération au moins le tribut des réparations, semblait avoir tout perdu. Elle gardait l’essentiel, la puissance politique, génératrice de toutes les autres » (Pierre Gaxotte, Histoire des Français).

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »2618

Paul VALÉRY (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919)

Punchline philosophique – rappelons que cela existe depuis la Renaissance et naturellement le siècle des Lumières.

L’angoisse de l’intellectuel dépasse largement l’horizon d’un après-guerre et d’un pays. Valéry, l’un des esprits les plus lucides de l’époque, dès la paix revenue, lance ce cri d’alarme qui trouve un grand écho. « Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences […] Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire. Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues […] Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. »

« On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. »2641

Anatole FRANCE (1844-1924), L’Humanité, 18 juillet 1922. La Mêlée des pacifistes, 1914-1945 (2000), Jean-Pierre Biondi

À partir des années 1920, les liens entre la politique et l’économie, l’imbrication de la haute administration, du monde des affaires et du personnel politicien deviennent de plus en plus évidents. Et le problème de l’engagement se pose aux intellectuels.

Prix Nobel de littérature en 1921, Anatole France prête son appui au socialisme, puis au communisme naissant. Animé d’une « ardente charité du genre humain », souvent engagé dans des luttes politiques (jadis aux côtés de Zola dans l’Affaire Dreyfus), il se garde cependant de tout dogmatisme et se méfie de toutes les mystiques.

« Avec le prolétariat, toutes les fois qu’il respectera la vérité et l’humanité. Contre le prolétariat, toutes les fois qu’il violera la vérité et l’humanité. »2642

Romain ROLLAND (1866-1944), à Amédée Dunois, Réponse à l’Humanité (1922). Un beau visage à tous les sens (1967), Marie Romain Rolland

Encore un écrivain engagé dans l’action avec le cœur à gauche, une sincérité n’ayant d’égale que sa générosité, mais un refus de tout embrigadement, une volonté de conserver « l’indépendance de l’esprit, d’abord, et avant tout, et contre tout, coûte que coûte ». D’où son hostilité à toute dictature et raison d’État, maintes fois répétée à ses amis communistes, et sa certitude que « l’esprit vraiment révolutionnaire est armé aussi bien contre les préjugés nouveaux de la Révolution prolétarienne que contre les préjugés anciens de la monarchie bourgeoise » (À l’Académie de Moscou, 1925).

« Je suis communiste parce que cela me dispense de réfléchir. »2643

Frédéric JOLIOT-CURIE (1900-1958). La Politique en citations : de Babylone à Michel Serres (2006), Sylvère Christophe

Position radicale – et radicalement différente d’Anatole France et Romain Rolland. Ce grand scientifique (prix Nobel de chimie avec sa femme, en 1935) sera membre actif du Parti communiste, à partir de 1942.

D’autres intellectuels sont tout aussi formels, mais dans le sens contraire : « De toutes les « inventions » surréalistes, la tentation du communisme est bien sûr la plus démoniaque. » (Roger Vailland). L’entre-deux-guerres est l’une des périodes les plus engagées, l’imminence des périls « interpellant » les consciences politiques.

« Nous sommes les soldats du franc et nous nous ferons tuer dans la tranchée pour le franc. »2651

Stéphane Adolphe DERVILLÉ (1848-1925), président du Conseil de régence de la Banque de France, novembre 1925. Vingt ans de vie politique, 1918-1938 (1969), Georges Bonnet

Belle déclaration, après l’exposé du ministre du Budget Georges Bonnet, jeune radical féru de réforme et venu présenter son projet de politique financière. Le gouvernement Painlevé (qui est également ministre des Finances) a proposé un plan de redressement financier comportant, entre autres, la consolidation des bons du Trésor – ce qui évitera de les rembourser. Mais la gauche radicale redoute les aventures financières. Le gouvernement tombe – c’est une habitude. Le franc est en danger – c’est plus grave, en raison de l’inflation, ce mal français.

« Comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un État. »2662

Charles de GAULLE (1890-1970), à propos d’Albert Lebrun, Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

Albert Lebrun est élu président de la République en 1932, après l’assassinat du président Paul Doumer et au terme d’un parcours politique typique de cette Troisième République.

Personnage insignifiant face à la tragédie de la guerre qui commence en 1939 sous son second septennat, force est de reconnaître qu’il fut déjà dépassé par les événements du premier : retombées de la crise économique de 1929, montée du fascisme et du nazisme en Europe, nouveaux scandales financiers (dont l’affaire Stavisky), agitation politique et sociale à épisodes. Homme de centre-droit, il devra coexister avec un gouvernement d’union nationale après les événements sanglants du 6 février 1934, et surtout avec le Front populaire de Léon Blum, signant, « la mort dans l’âme » dit-il, les grands textes de cette majorité politique.

Témoin de son temps, Mauriac écrit en juillet 1933 : « Sans doute faut-il incriminer d’abord les institutions qui, d’avance, détruisent les chefs. Nul régime n’aura, autant que le nôtre, usé d’individus plus rapidement » (Mémoires politiques). Il fait le même constat que Montherlant et de Gaulle : valse des gouvernements, crédibilité du régime entamée dans l’opinion, procès du radicalisme et, de façon plus générale, de la politique (politicienne), sous cette Troisième République frappée d’impuissance.

« Le patronat de droit divin est mort. »2787

Léon BLUM (1872-1950), résumant l’une des idées force du Front populaire de 1936. Le Procès de Riom (1945), James de Coquet, Robert Jacomet

Au Procès de Riom (15 février-11 avril 1942), accusé d’être responsable de la défaite de 1940, Blum parle en socialiste et comparaît en chef de gouvernement du Front populaire : « L’autorité patronale analogue au commandement hiérarchique, au commandement totalitaire, c’est fini, c’est mort. On ne donnera plus à des masses ouvrières le sentiment qu’elles sont asservies au travail par le lien d’une hiérarchie qu’elles n’ont pas eu le droit de discuter et auquel elles n’ont pas consenti. »

Tournant au réquisitoire contre la politique hitlérienne, le procès de Riom est suspendu. Au lieu d’un jugement, il y aura une série d’internements administratifs relevant du pouvoir du maréchal Pétain, chef de l’État. En prison, Léon Blum écrit en 1941 À l’échelle humaine. Il exhorte son parti à la Résistance. Après le procès, livré aux Allemands et déporté à Buchenwald, il est de ceux qui en reviendront.

« Les banques, je les ferme, les banquiers, je les enferme. »2677

Vincent AURIOL (1884-1966), ministre des Finances, Front Populaire, 1936. Histoire vivante du Front populaire, 1934-1939 (1966), Jean Grandmougin

Avocat et expert financier de la SFIO - avant de devenir caution bourgeoise sous la prochaine république, président qui tentera de maintenir le cap à l’écart des extrêmes. Mais en 1936, Vincent Auriol apparaît à nombre de Français comme un parangon de la révolution – et un punchliner qui a le sens de la formule choc.

Au lendemain de la victoire des gauches unies se déclenche, par génération spontanée plus que par mouvement organisé, une vague nationale de grèves qui se propage, de la métallurgie (11 mai, usine Bréguet du Havre) aux industries chimiques, textiles, au bâtiment, aux grands magasins. Grèves sur le tas, occupations d’usines toujours pacifiques, mais qui terrifient le patronat, conflits d’un nouveau style qui frappent tous les contemporains. Sans consignes syndicales, le but est d’obtenir sans délai les avantages sociaux promis par le Front populaire.

« Il s’agit, après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence, d’oser enfin se redresser (…) Cette grève est en elle-même une joie. »2678

Simone WEIL (1909-1943), La Révolution prolétarienne, 10 juin 1936. Histoire de la Troisième République, volume VI (1963), Jacques Chastenet

Les « grèves de la joie » sont associées au Front populaire. Agrégée de philosophie, ouvrière chez Renault un an avant, pour être au contact du réel, Simone Weil écrit son article sous le pseudonyme de Simone Galois.

Passionnée de justice, mystique d’inspiration chrétienne quoique née juive, toujours contre la force et du côté des faibles, des vaincus et des opprimés, la jeune femme vibre à cette aventure et comme elle le fera jusqu’à sa mort, à 34 ans, participe pleinement : « Il s’agit, après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence, d’oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes pendant quelques jours. Cette grève est en elle-même une joie. Joie de vivre parmi ces machines muettes, au rythme de la vie humaine. Bien sûr, cette vie si dure recommencera dans quelques jours. Mais on n’y pense pas, on est comme des soldats en permission pendant la guerre. Joie de pénétrer dans l’usine avec l’autorisation souriante d’un ouvrier. Joie de trouver tant de sourires, tant de paroles d’accueil fraternel. Joie de parcourir ces ateliers où on était rivé sur sa machine. »

 « Il faut savoir terminer une grève. »2680

Maurice THOREZ (1900-1964), secrétaire général du PCF, Déclaration du 11 juin 1936. Le Front populaire en France (1996), Serge Wolikow

Le lendemain débute la semaine des accords Matignon (signés le 18 juin) entre représentants du patronat français et de la CGT. S’ajouteront diverses mesures imposées par le gouvernement Blum au Parlement. En résumé, reconnaissance du droit syndical, institution de contrats collectifs de travail, de délégués du personnel ; et semaine de 40 heures (au lieu de 48), congés payés de deux semaines, augmentation de salaires de 7 à 15 %.

Les grèves cesseront peu à peu en juillet, août : les dirigeants de gauche n’ont nulle envie de mener les troupes à une révolution – sauf une minorité à la SFIO qui ne veut cependant pas compromettre l’unité du parti, et quelques trotskystes qui se trouvent très isolés.

Thorez, en dirigeant responsable, a mis en garde contre l’illusion que « tout est possible ». Son mot sera souvent repris par les chefs syndicalistes. Dans Fils du peuple (1937), il revient sur cette idée : « S’il est important de bien conduire un mouvement revendicatif, il faut aussi savoir le terminer. » Dont acte.

« Il n’est pas une idée née d’un esprit humain qui n’ait fait couler du sang sur la terre. »2627

Charles MAURRAS (1868-1952), La Dentelle du rempart (1937)

C’est une des leçons de l’histoire, de France, d’ailleurs et de toujours, mais qui prend une vérité plus dramatique au cœur du XXe siècle, quand la guerre des idéologies l’emporte sur la guerre des patries. Les statistiques ne comptent plus par milliers, mais par millions les victimes des « ismes » : hitlérisme, fascisme, stalinisme, communisme.

« Il y a des guerres justes. Il n’y a pas d’armée juste. »2690

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Malraux, après un voyage à Berlin, dénonce le nazisme en 1935, ses atteintes à la dignité humaine et ses prisons dans Le Temps du mépris, puis le fascisme espagnol dans ce nouveau roman. Il y témoigne aussi de son engagement dans le camp des Républicains, organisant et commandant l’aviation étrangère avec une aptitude à l’action remarquable chez un intellectuel.

Bien des années après, l’ancien combattant de la guerre civile d’Espagne dit qu’elle a été la dernière « guerre juste » de notre temps, une des raisons de l’« espoir » étant cet afflux de volontaires de tous pays (estimés à 40 000 hommes), unis pour une juste cause, dans la fraternité confiante des brigades internationales. Comme le dit un anarchiste de L’Espoir, « le courage aussi est une patrie ».

« Les communistes disent toujours de leurs ennemis qu’ils sont des fascistes. »2692

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Très indépendant d’esprit, il ne sera jamais au nombre des inconditionnels du communisme, comme tant d’intellectuels de son temps. Il est surtout du côté de l’homme aux prises avec l’Histoire. Il se détournera bientôt de l’idéologie révolutionnaire, plus soucieux de construire un humanisme moderne, exaltant le génie de l’homme et assurant la victoire des forces de l’espoir sur celles du mépris.

« Le temps du monde fini commence. »2693

Paul VALÉRY (1871-1945). Regards sur le monde actuel (1931), Paul Valéry

Nommé en 1937 professeur au Collège de France – un honneur entre tant d’autres – ce « poète d’État » est chargé la même année des inscriptions qui ornent le nouveau Palais de Chaillot, ouvert pour l’Exposition internationale « Arts et Techniques dans la vie moderne » et renfermant, outre un théâtre, trois musées (des Monuments français, de la Marine et de l’Homme).

Cette réflexion sur le destin de notre civilisation et le devenir de la science pourrait figurer en bonne place sur le fronton. C’est l’une des « punchlines philosophiques » les plus citées de Valéry : mise en abyme intellectuelle, éternellement d’actualité. Mais est-elle exagérément pessimiste ou extralucide ?

« Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »2630

Paul VALÉRY (1871-1945), Regards sur le monde actuel, « Fluctuations sur la liberté » (1938)

Observateur toujours lucide des problèmes qui se font drames de ce temps, Valéry se refuse à tout engagement politique, mais tire (dans cet ensemble de textes rédigés à partir de 1930) une des leçons de l’histoire. Le dilemme est d’autant plus terrible que la faiblesse des démocraties fait la force des dictatures.

« Spirituellement, nous sommes des Sémites. »2689

PIE XI (1857-1939), 6 septembre 1938. Dialoguer pour ne pas mourir (1998), Jean-Marie Roger Tillard

Mot fameux du 259e pape de l’histoire qui dit aussi que « L’antisémitisme est inadmissible. » Il mit le journal (notoirement antisémite) de l’Action Française à l’Index (dès 1926). Plus généralement, il condamne tous les excès de cet entre-deux-guerres : ceux du fascisme (dès 1931) et du bolchevisme comme du nazisme (en 1937).

L’encyclique Mit brennender Sorge (« Avec une vive inquiétude ») s’adresse directement aux Allemands et en allemand, pour attaquer le racisme, le mythe du sang et celui de la terre. En 2007, les archives vaticanes dévoilent le discours contre le fascisme et le nazisme que Pie XI aurait dû prononcer en présence de Mussolini.

L’action de son principal collaborateur et successeur Pie XII (à partir de 1939), qui condamnera lui aussi le fascisme et le nazisme, suscite davantage de polémiques. Le nouveau pape est attaché, depuis 1917, au principe de la neutralité politique du Vatican. En tant que chef de l’Église universelle, le Padre comune de tous les fidèles catholiques a les mains liées, au moins publiquement. La question de l’antisémitisme des catholiques, récurrente, s’est posée de manière dramatique, en diverses époques.

« Le Français se fait rare. »2629

Jean GIRAUDOUX (1882-1944), 1939. Le Siècle des intellectuels (1997), Michel Winock

La dénatalité le hante à partir de 1935 : après les coupes sombres de la guerre de 1914-1918 (1,4 million de morts ou disparus), la population française diminue, fait sans précédent dans les annales d’un pays industrialisé. Conséquence des retombées de la grande crise économique de 1929 qui augmente le chômage, défaut de politique du logement et de la famille, émancipation féminine, toutes ces causes possibles se greffent sur un trend malthusien et le renforcent. On peut parler de catastrophe nationale, si l’on compare les populations de la France et de l’Allemagne en 1939 : 41 millions face à 70 millions ! La démographie risque de faire la loi à la démocratie.

Nous ferons la paix […] avec le diable s’il le faut.2695

Slogan des pacifistes. Notre Front populaire (1977), Claude Jamet

On trouve des pacifistes dans les partis de gauche comme de droite, et les responsabilités sont aussi bien dans l’état-major qu’au gouvernement, avant, pendant et après le Front populaire.

Un tel slogan est le reflet d’un pacifisme viscéral qui est avant tout celui du pays et de l’opinion publique. Sentiment né de la dernière guerre, des hécatombes qui ont touché la plupart des familles. C’est l’une des raisons de l’effondrement de la diplomatie française dans l’entre-deux-guerres : « Jusqu’en 1939, la politique extérieure de la France ne fut plus qu’une suite d’abandons : évacuation de la Ruhr, suppression du contrôle militaire, abandon des réparations, évacuation anticipée de la Rhénanie […] L’Allemagne libérée devint menaçante » (Pierre Gaxotte, Histoire des Français).

« Ayez l’armée de votre politique ou la politique de votre armée. »2707

Paul REYNAUD (1878-1966). La Vie en plus (1981), Alfred Sauvy

Ministre des Finances du gouvernement Daladier en novembre 1938, il s’adresse en ces termes aux députés à la Chambre. Dès 1935, devant la montée des périls, Reynaud voulait renforcer notre armée, adoptant les idées du lieutenant-colonel de Gaulle sur les blindés – qui feront la force de l’Allemagne. Mais il était très isolé, et de Gaulle inconnu.

Autre argument, la France a conclu un pacte d’alliance avec la Pologne et la Tchécoslovaquie. Pour tenir ses engagements, il lui faut une armée offensive, sinon, elle doit avoir la loyauté de renoncer au pacte.

Grâce à sa politique financière et à une conjoncture économique internationale favorable, la France est sortie de la crise de 1929, la bourgeoisie est un peu rassurée. Et Paul Reynaud fait adopter une augmentation des impôts, pour accroître les dépenses militaires.

L’Allemagne envahit la Pologne, le 1er septembre 1939. Le 2, la Chambre et le Sénat vont voter à mains levées et à l’unanimité (selon le Journal officiel) un crédit extraordinaire de 69 milliards pour « faire face aux obligations résultant de la Défense nationale » : cela signifie que la guerre va être déclarée.

2 / SECONDE GUERRE MONDIALE (1939-1945)

« Toujours le chef est seul en face du mauvais destin. »2730

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

C’est la solitude subie, imposée - et le sens du destin comme chez Napoléon. Le 17 juin 1940, à la veille du fameux Appel, de Gaulle est l’homme seul de l’Histoire, et l’exprime dans ses Mémoires. Le personnage se dessine dans un autoportrait littéraire et lucide, avec le sens inné de la formule associée à l’action. 

« Délibérer est le fait de plusieurs. Agir est le fait d’un seul. »2731

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956)

Solitude voulue par l’homme qui a conscience d’être le chef et veut en assumer les responsabilités. C’est une constante, au fil de l’action. Pendant la guerre, de Gaulle veut décider au nom de la France libre, diriger seul et coordonner l’action des diverses résistances intérieures, être le seul chef du Comité français de libération nationale (et il écarte le général Giraud préféré par les Américains), s’imposer comme chef politique incontesté après la libération de Paris, à la tête du gouvernement provisoire de la République française.

Même attitude quand il reviendra au pouvoir en 1958 pour résoudre le drame algérien.

« Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples. »2732

Charles de GAULLE (1890-1970). Les Chênes qu’on abat (1979), André Malraux

Grand « communicateur » qui saura utiliser la radio et plus tard la télévision, de Gaulle respecte cette règle de fond et de forme trop souvent oubliée, qui fait de lui une véritable « mine de citations »… et de punchlines. Rien, sans doute, n’est plus difficile que de faire simple.

« Je n’ai rien à offrir que du sang, de la sueur et des larmes. »2739

Winston CHURCHILL (1874-1965), Chambre des Communes, 13 mai 1940. Du sang, de la sueur et des larmes (posthume), Discours de Winston Churchill

Premier discours du nouveau Premier ministre anglais : le 10 mai, il a pris la tête d’un gouvernement de coalition (conservateurs, libéraux et travaillistes) et témoigne d’une volonté de fer qui, heureusement pour la France et la suite de l’histoire, ne faiblira jamais.

De Gaulle juge vite et bien l’homme qui sera son allié numéro un : « Winston Churchill m’apparut, d’un bout à l’autre du drame, comme le grand champion d’une grande entreprise et le grand artiste d’une grande Histoire » (Mémoires de guerre, L’Appel).

« Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. »2750

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Allocution à la radio, 17 juin 1940. De la chute à la libération de Paris (1965), Emmanuel d’Astier

Nommé président du Conseil des ministres par le président de la République Albert Lebrun, le vieil homme rallie à sa personne – et au symbole qu’elle incarne – l’immense majorité du pays. Celui qui a sauvé la France à Verdun en 1916 n’est-il pas le seul recours pouvant lui éviter à présent le pire ?

La logique de la résistance incarnée par de Gaulle est exactement inverse.

« La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu’elle continue. »2751

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Idée fixe, idée folle, idée simple : la France ne peut pas être la vaincue de l’Histoire. Le caractère, « vertu des temps difficiles », et la rencontre de ces temps particulièrement difficiles vont permettre à cet homme de 50 ans, inconnu du pays, de se révéler en quelques jours, d’avoir raison seul contre tout et tous, et d’associer pendant quatre ans de lutte son destin à celui du pays.

« C’est sous le triple signe du Travail, de la Famille et de la Patrie que nous devons aller vers l’ordre nouveau. »2763

Pierre LAVAL (1883-1945), « Réunion d’information » des députés, 8 juillet 1940. Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident (1956), Jacques Benoist-Méchin

Laval, après un long parcours politique, vient d’entrer dans le gouvernement Pétain installé à Vichy depuis le 3 juillet. Il a provisoirement le portefeuille de la Justice et va manœuvrer habilement pour que Pétain obtienne les pleins pouvoirs.

On travaille à réviser la Constitution : le slogan trinitaire hérité de la Révolution de 1789 – Liberté, Égalité, Fraternité – est trop républicain et remplacé par cette autre trilogie : Travail, Famille, Patrie. Tout l’esprit de révolution nationale du régime de Vichy est dans ces mots et la loi constitutionnelle du 10 juillet en prend acte : « Cette Constitution doit garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. »

« La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre ! »2767

Charles de GAULLE (1890-1970), Affiche placardée sur les murs de Londres le 3 août 1940. La France n’a pas perdu la guerre : discours et messages (1944), Charles de Gaulle

Cette phrase célèbre ne figure pas, comme on le dit souvent, dans l’Appel du 18 juin. Elle est l’attaque d’une proclamation rédigée sans doute le même jour, mais affichée le mois suivant dans la capitale du seul pays qui continue la lutte. Signé par le général de Gaulle depuis son quartier général situé 4 Carlton Garden à Londres, ce nouvel appel s’adresse « À tous les Français », militaires et civils, quelles que soient leur profession, leur origine sociale, et où qu’ils se trouvent.

Tirée à 1 000 exemplaires, l’affiche est placardée sur les murs de Londres et des grandes villes anglaises. Le slogan, surmonté de deux petits drapeaux croisés, devient célèbre. Saint-Exupéry, dans ses Écrits de guerre, se permet de rectifier : « Dites la vérité, Général, la France a perdu la guerre. Mais ses alliés la gagneront. »

« Ici Londres ! Les Français parlent aux Français. »2770

Premiers mots des bulletins d’informations à la BBC, précédés des quatre premières notes de la Ve symphonie de Beethoven. Ici Londres, 1940-1944 : les voix de la liberté, volume V (1976), Jean-Louis Crémieux Brilhac

Rendez-vous biquotidiens depuis août 1940, à 12 h 25 et 20 h 25. Écouter la radio anglaise, interdite en zone occupée, se moquer de la censure, déjouer les brouillages, c’est déjà faire acte de résistance.

Les ondes anglaises apportent enfin quelques bonnes nouvelles à ceux qui les espèrent : le Tchad se rallie à de Gaulle (26 août 1940), puis le Cameroun, le Congo, l’Oubangui, Tahiti. En septembre, Établissements français d’Océanie, Inde et Nouvelle-Calédonie vont suivre. Mais pas l’AOF (Afrique occidentale française), où de Gaulle rate son débarquement à Dakar (fin septembre). Pour la première fois, des Français (ralliés à de Gaulle, lui-même présent) se battent contre des Français (fidèles au gouvernement de Vichy). Les Britanniques, mal informés sur la présence de croiseurs ennemis, sont à leur tour repoussés.

Cet échec personnel, grave aux points de vue stratégique et diplomatique, est très mal vécu par le général de Gaulle qui poursuit malgré tout son action, toujours soutenu par l’allié anglais.

« C’est une erreur de croire que les hommes moyens ne sont capables que de sacrifices moyens. »2717

Georges BERNANOS (1888-1948). Après Dachau : recueil des allocutions de Pierre Murat (1992), Pierre Murat

À côté des héros, une armée des ombres va se lever, anonyme, donnant le gros des bataillons de la Résistance – d’où 30 000 fusillés, 110 000 déportés dans les camps.

« Je ne savais pas que c’était si simple de faire son devoir quand on est en danger. »2748

Jean MOULIN (1899-1943), Lettre à sa mère et à sa sœur, 15 juin 1940. Vies et morts de Jean Moulin (1998), Pierre Péan

Sous-préfet à 27 ans, chargé en 1936 d’acheminer vers l’Espagne républicaine le matériel de guerre soviétique, il est préfet d’Eure-et-Loir et refusera, le 17 juin, de signer une déclaration accusant de crimes de guerre les troupes coloniales engagées dans le secteur de Chartres. Révoqué comme franc-maçon par le gouvernement de Vichy en juillet, il rejoindra de Gaulle à Londres en automne.

« C’est bon pour les hommes de croire aux idées et de mourir pour elles. »2721

Jean ANOUILH (1910-1987), Antigone (1943)

La guerre n’est pas un enfer pour tous, partout et tout le temps. Dans le Paris de l’Occupation, les salles de spectacle sont pleines, les théâtres surtout font recette et certaines œuvres, malgré la censure allemande, parlent aux Français le langage qu’ils veulent entendre. Ainsi, cette Antigone à la fois mythique et contemporaine, qui résiste à Créon, à son ordre, à ses lois. Cependant que le chœur dit : « C’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir. »

« Mon empire vivra mille ans ! »2769

Adolf HITLER (1889-1945), dont l’empire vivra douze ans (1933-1945). Les 100 personnages du XXe siècle (1999), Frank Jamet

Prophétie du « Reich de mille ans » : au-delà de la propagande nazie, le Führer est le nouveau messie pour un peuple humilié, avide de revanche depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

Première visée, la France, l’ennemie mortelle et vaincue : elle subit la domination allemande des deux tiers de son territoire dans la zone occupée, avec une zone libre qui le sera de moins en moins, tandis que les trois départements d’Alsace-Lorraine sont annexés, les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais étant réunis à la Belgique – elle-même envahie par les chars d’assaut lors de la Blitzkrieg (guerre éclair) et passée sous administration allemande, le 15 septembre 1940.

D’autres pays font les frais de cet impérialisme qui redessine la carte de l’Europe. En vertu du pacte tripartite signé le 27 septembre 1940, donnant à l’Allemagne, à l’Italie et au Japon le droit à l’« espace vital » dont chacun a besoin et par le jeu des empires coloniaux, c’est le monde que les trois dictateurs, Hitler, Mussolini et Hiro-Hito, veulent se partager. Cette guerre, fatalement, devait devenir mondiale. En un quart de siècle, incluant l’instauration de régimes communistes et leur cortège de persécutions, « soixante-dix millions d’Européens, hommes, femmes et enfants, ont été déracinés, déportés et tués », écrira Albert Camus.

« Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. »2775

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours du 1er mars 1941 à la Réunion des Français de Grande-Bretagne. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954), Charles de Gaulle

La grande salle du Kingsway Hall à Londres accueille cette importante manifestation où le général parle à 3 000 Français : « Le vieux peuple que nous sommes a assez vécu pour savoir qu’il est un champion dont les hommes libres ne se passent pas. » Orateur né, mais travaillant ses discours, doué d’un sens du verbe et du jeu qui feront merveille quelle que soit la tribune, à la radio comme plus tard à la télévision, ou s’adressant en direct aux foules, de Gaulle possède assurément l’art de faire passer ses messages : « Je parle. Il le faut bien. L’action met les ardeurs en œuvre. Mais c’est la parole qui les suscite » (Mémoires de guerre, L’Appel).

« La grandeur est un chemin vers quelque chose qu’on ne connaît pas. »2728

Charles de GAULLE (1890-1970). Les Chênes qu’on abat (1979), André Malraux

Propos recueillis par le plus fidèle de ses historiographes, dans cet essai au titre superbement gaullien. On retrouve souvent, plus ou moins explicites, l’idée de destin et celle de grandeur chez de Gaulle comme chez Malraux. Leur dialogue « au sommet », que seule la mort interrompra, est l’une des rencontres du siècle saluée par François Mauriac : « Ce qu’ils ont en commun, c’est ce qu’il faut de folie à l’accomplissement d’un grand destin, et ce qu’il y faut en même temps de soumission au réel. » Autre évidence : « On ne fait rien de sérieux si on se soumet aux chimères, mais que faire de grand sans elles ? »

« Nous ne nous arrêterons que quand le drapeau français flottera aussi sur Metz et Strasbourg. »2776

Colonel LECLERC (1902-1947), Serment de Koufra, 2 mars 1941. Leclerc et le serment de Koufra (1965), Raymond Dronne

Philippe Marie de Hautecloque, dit Leclerc, sera élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume, en 1952. Deux fois prisonnier, deux fois évadé en mai-juin 1940 (pendant la guerre éclair), il a rejoint de Gaulle à Londres. Il obtient le ralliement du Cameroun à la France libre, dès la fin août 1940, et en devient le gouverneur.

Devenu commandant militaire de l’Afrique équatoriale française (AEF), parti de Fort-Lamy (Tchad) avec une pauvre colonne des Forces françaises libres, il franchit 1 600 km de désert et prend le fort de Koufra (Libye), tenu par une garnison italienne.

Libérateur de Paris avec sa fameuse 2e DB (division blindée) le 25 août 1944, il sera aussi le libérateur de Strasbourg, le 23 novembre : le serment de Koufra sera tenu.

« L’Angleterre, comme Carthage, sera détruite. »2780

Jean HÉROLD-PAQUIS (1912-1945), animateur vedette et titulaire de la chronique militaire du Radio-Journal de Paris, à partir de janvier 1942. L’Épuration des intellectuels (1996), Pierre Assouline

Il termine ainsi ses éditoriaux à Radio Paris. Désinformation et propagande font partie du jeu de la guerre. Pas dupes, les Français scandent : « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand. »

Hérold-Paquis, avant la guerre, a glissé de la droite catholique vers l’extrême droite. Engagé aux côtés des franquistes contre les républicains durant la guerre d’Espagne, puis sympathisant nazi, il s’illustre dans la collaboration. Deux ans durant, après le journal du soir, il applaudit aux victoires de l’Axe (Berlin-Rome-Tokyo) et ridiculise l’action des Alliés. Son leitmotiv final rappelle une célèbre citation de Caton l’Ancien, sénateur romain terminant tous ses discours par : « Carthago delenda est  » (« Carthage doit être détruite »).

Il fuit Paris en 1944 et se réfugie en Allemagne, poursuivant ses chroniques sur Radio Patrie. Arrêté en 1945 quand il tente de fuir en Suisse, il sera condamné à mort et fusillé en octobre 1945. Comme Laval, comme Brasillach.

« Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom […]
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître,
Pour te nommer
Liberté. »2788

Paul ÉLUARD (1895-1952), « Liberté », Poésie et Vérité (1942)

Cet hymne à la liberté, chef-d’œuvre de la poésie née de la Résistance, est répandu sur la France par les avions de la Royal Air Force. Éluard, comme Aragon, a choisi la voie de l’engagement politique et les rangs du Parti communiste dans les années 1930.

Depuis la rupture du pacte germano-soviétique, l’entrée dans la Résistance ne pose plus problème aux intellectuels et militants du PCF. Comme l’écrira Philip Williams en 1971 : « Dès lors que l’URSS est en danger, les « mercenaires de la Cité de Londres » deviennent du jour au lendemain « nos vaillants alliés britanniques », tandis que les gaullistes, de « traîtres », se transforment en « camarades ». »

« J’appartiens à ce peuple qu’on a souvent appelé élu… Élu ? Enfin, disons : en ballottage. »2791

Tristan BERNARD (1866-1947), Propos, conférence à Nice (1942)

Il faut un courage certain pour faire preuve publiquement d’humour juif, quand la « solution du problème juif », selon Hitler, se voit appliquer le terme sans équivoque de solution définitive !

Le statut discriminatoire des juifs, promulgué en septembre 1940 en zone occupée, est vite étendu à la zone sud, dite (momentanément) libre et aggravé en juin 1941. Le port de l’étoile jaune est imposé en juin 1942, les rafles se font systématiques dans les villes, les juifs sont parqués dans des camps et déportés dans d’autres camps dont bien peu reviendront. Durant la grande rafle du Vel’ d’Hiv’ à Paris (nuit du 16 au 17 juillet 1942), 13 000 juifs, hommes, femmes, enfants, sont arrêtés par la police française. Sur 8,3 millions de Juifs présents en 1939 dans les pays occupés par les nazis, 6 millions sont tués entre 1940 et 1945.

« Il est un autre droit que nous revendiquons, c’est d’indiquer ceux qui trahissent. »2794

Robert BRASILLACH (1909-1945). La Force de l’âge (1960), Simone de Beauvoir

La délation est la forme la plus infâme, parce que la plus lâche de la collaboration. À côté des trafiquants trop contents de faire des affaires sur le marché noir, d’autres ont des raisons politiques. Faiblesse devant le vainqueur admiré, calcul pour être du « bon » côté au jour de la victoire escomptée, mais aussi et plus rarement, conviction idéologique mêlant souvent anticommunisme, antisémitisme, anglophobie. Brasillach, auteur doué, est de ce camp.

Venu de L’Action française, on le retrouve dans l’équipe d’un journal de sinistre mémoire, Je suis partout. La chasse aux résistants de plus en plus nombreux et organisés se radicalise, en janvier 1943, avec la Milice, police supplétive de volontaires chargés de les traquer. Cependant que le Service du travail obligatoire (STO) institué en février va augmenter considérablement le nombre de « ceux qui trahissent » (dénoncés frénétiquement par Brasillach) pour ne pas aller travailler en Allemagne. La résistance est alors une activité clandestine à haut risque.

« Je sais mal ce qu’est la liberté, mais je sais bien ce qu’est la libération. »2810

André MALRAUX (1901-1976), Antimémoires (1967)

La libération de la France (métropolitaine) a commencé par la Normandie. Le général de Gaulle est arrivé le 14 juin à Bayeux, première ville libérée par les Alliés (le 8), pour affirmer sa qualité de chef du gouvernement.

Le mur de l’Atlantique étant percé, les forces alliées, après le raid de Patton en Bretagne, progressent vers la Seine. La division Leclerc débarque le 1er août. La libération de Paris apparaît comme l’urgence numéro un aux yeux des Français. Paris occupé s’impatiente, avant de se rebeller.

« Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés. »2811

Louis ARAGON (1897-1982), Les Yeux d’Elsa, « Plus belle que les larmes » (1942)

Les journées des barricades se succèdent sans se ressembler, dans l’histoire. Presque une tradition à Paris, du 12 mai 1588 à Mai 1968.

Paris se soulève, le 18 août 1944 : fusillade au pont des Arts. Le 19, la police parisienne (censée obéir au gouvernement de Vichy qui n’existe plus depuis le 18) se met en grève, barricadée à la préfecture de police. Le Comité parisien de libération, où les communistes dominent avec un sens de l’organisation qui leur est propre, veut prouver au monde, aux Alliés et aux Allemands, que le peuple de Paris peut se libérer lui-même. Mais les FFI (Forces françaises de l’intérieur, regroupant tous les mouvements de la Résistance armée en France) manquent de moyens et le commandement allemand, lui, a encore les moyens de détruire la ville, et d’écraser ses défenseurs. Une trêve est signée, rompue par la Résistance (colonel Rol-Tanguy, chef des FTP, Francs-tireurs et partisans), et les combats de rue reprennent.

« Je n’ai pas à proclamer la République. Elle n’a jamais cessé d’exister. »2814

Charles de GAULLE (1890-1970), à Georges Bidault, Hôtel de Ville de Paris, 26 août 1944. Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956), Charles de Gaulle

Bidault est président du CNR (Conseil national de la Résistance) depuis la mort de Jean Moulin et de Gaulle est venu à Paris pour y installer le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française).

La foule en délire l’a acclamé, la veille : « Devant moi, les Champs-Élysées. Ah ! c’est la mer ! », écrira-t-il dans ses Mémoires, évoquant ce qui est sans doute le plus beau jour de sa vie. L’homme public et toujours pudique dit son émotion, devant Paris. Phrase-culte, inoubliable : « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! »

Pourtant, le droit ne perd jamais ses droits dans l’esprit du général. Le 26 août, il refuse donc de « proclamer la République » : elle ne vient pas de ressusciter, il en a assuré la survie hors métropole, la continuité à Londres, puis à Alger. Une ordonnance du 9 août vient d’affirmer cette permanence de la République, frappant de nullité tous les actes du gouvernement de Vichy. Mais il y a un abîme entre le droit et les faits. D’où les problèmes du GPRF et de son chef, dans les mois à venir.

« Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »2821

Charles de GAULLE (1890-1970), refusant la grâce de Robert Brasillach. Mémoires de Guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959), Charles de Gaulle

Sur 2 071 recours présentés, de Gaulle en acceptera 1 303. Mais Brasillach n’en fait pas partie. Condamné à mort pour intelligence avec les Allemands, il est fusillé le 6 février 1945.

Ses convictions hitlériennes ne font aucun doute et son journal (Je suis partout) en témoigne abondamment. Le procès est bâclé, de nombreux confrères tentent de le sauver. Mais le PC voulait la tête de l’homme responsable de la mort de nombreux camarades et de Gaulle ne lui pardonnait pas celle de Georges Mandel, résistant exécuté par la Milice, après les appels au meurtre signés, entre autres, par Brasillach.

« L’histoire est écrite par les vainqueurs. »2826

Robert BRASILLACH (1909-1945), Les Frères ennemis (dialogue écrit à Fresnes fin 1944, posthume)

… Écrite par les vivants plus que par les vainqueurs, et Brasillach ne sera pas fusillé pour cause de défaite, mais de trahison.

L’histoire de la Seconde Guerre mondiale, cette page d’histoire de France encore si sensible et même brûlante, fut d’ailleurs réécrite tant de fois que les vaincus ont eu, légitimement, le droit de témoigner aux côtés des vainqueurs.

Lire la suite : les punchlines (Quatrième République)

Vous avez aimé ces citations commentées ?

Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

Partager cet article

L'Histoire en citations - Gaule et Moyen Âge

L'Histoire en citations - Renaissance et guerres de Religion, Naissance de la monarchie absolue

L'Histoire en citations - Siècle de Louis XIV

L'Histoire en citations - Siècle des Lumières

L'Histoire en citations - Révolution

L'Histoire en citations - Directoire, Consulat et Empire

L'Histoire en citations - Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

L'Histoire en citations - Second Empire et Troisième République

L'Histoire en citations - Seconde Guerre mondiale et Quatrième République

L'Histoire en citations - Cinquième République

L'Histoire en citations - Dictionnaire