Les Surnoms - jeu de mots entre petite et grande Histoire (la Révolution) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Les surnoms

V. La Révolution

Sous la Révolution, les personnages se succèdent sans se ressembler, se rassemblant et se divisant à la vie, à la mort : la situation leur donne le talent du Verbe et de l’Action, d’où un feu d’artifice de citations et une série de surnoms étonnants.

Mirabeau : l’Orateur du peuple, la Torche de Provence, le Monstre

« On ne connaît pas la toute-puissance de ma laideur. Quand je secoue ma terrible hure, il n’y a personne qui osât m’interrompre. »1291

MIRABEAU (1749-1791). Mirabeau (1891), Edmond Rousse

Ce physique impressionne tous les contemporains. Il en joue, il trouve belle cette laideur, avec ses traits marqués, criblés de petite vérole. Il soigne sa toilette, porte une énorme chevelure artistement arrangée, qui grossit encore le volume de sa tête. Il se place volontiers face au miroir, se regarde parler, équarrit ses épaules. Il cultive son personnage. La puissance du verbe et la solidité de la pensée servent également le tribun. Mais pour Marie-Antoinette, c’est juste le Monstre.

« Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. »1320

MIRABEAU (1749-1791), au marquis de Dreux-Brézé, salle du Jeu de paume, 23 juin 1789. Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin

Réponse au grand maître des cérémonies, envoyé par Louis XVI pour faire évacuer la salle du Jeu de paume, suite au Serment du 20 juin.

Le comte de Mirabeau, renié par son ordre et élu par le tiers, se révèle dès les premières séances de l’Assemblée : « Mirabeau attirait tous les regards. Tout le monde pressentait en lui la grande voix de la France », écrira Michelet. C’est la Torche de Provence et l’Orateur du peuple – premier révolutionnaire porté en triomphe deux ans après au Panthéon, il sera dépanthéonisé quand sa trahison est révélée. Monarchiste constitutionnel, il aurait voulu sauver Louis XVI.

« ‘Allez dire à votre maître…’ Votre maître ! c ‘est le roi de France devenu étranger. C’est toute une frontière tracée entre le trône et le peuple. C’est la révolution qui laisse échapper son cri. Personne ne l’eut osé avant Mirabeau. Il n’appartient qu’aux grands hommes de prononcer les mots décisifs des grandes époques. »1321

Victor HUGO (1802-1885), Littérature et philosophie mêlées (1834)

L’auteur dramatique a le sens du mot et ne peut que saluer l’auteur de cette réplique : « Allez dire à votre maître… » La postérité l’a rendue immortelle. L’iconographie de l’époque (gravures et tableaux contemporains) témoigne de la portée symbolique de cette scène – ce qu’on appellerait aujourd’hui son « impact médiatique ».

André Boniface Louis Riqueti, vicomte de Mirabeau : Mirabeau-Tonneau, Mirabeau-Cravates

« Quand on a un frère comme le vôtre aux États Généraux et qu’on est vous, on laisse parler son frère et l’on garde le silence »

Victor-Riqueti, marquis de MIRABEAU (1715-1789), Mémoires biographiques, littéraires et politiques de Mirabeau, Volume 8, Honoré-Gabriel de Riqueti, comte de Mirabeau

Parole de père, déjà sévère contre le célèbre aîné, mais impitoyable contre le cadet !

Fils de grande famille, le vicomte entré en politique se retrouve naturellement député de la noblesse du Limousin aux états généraux. Monarchiste pur et dur, il s’opposera à la réunion des ordres et à l’abolition des privilèges (4 août 1789).

André Boniface était presque aussi débauché que son frère aîné. Obèse et caricaturé comme tel, son ivrognerie lui vaut le surnom de « Mirabeau-Tonneau ». Conscient de n’être que l’ombre de son frère, le malheureux prit acte de sa position avec humour…

« Dans une autre famille, je passerais pour un mauvais sujet et un homme d’esprit, dans la mienne je suis un sot et un honnête homme. »

André Boniface Louis Riqueti, vicomte de MIRABEAU (1754-1792). Les Orateurs de la révolution : l’Assemblée constituante, tome1, 1905, François-Alphonse Aulard

Le vicomte se fit pourtant remarquer à la Constituante, le jour où Louis XVI annonça qu’il adoptait les principes de la jeune constitution.

« Lorsque le roi brise son sceptre, ses serviteurs doivent briser leur épée ! »1361

André Boniface Louis Riqueti, vicomte de MIRABEAU (1754-1792), 4 février 1790 à l’Assemblée. Les Lundis révolutionnaires : histoire anecdotique de la Révolution française (1889), Jean-Bernard

Le vicomte est furieux. Louis XVI vient d’accepter que les députés prêtent serment de fidélité à la nation, à la loi et – seulement après – au roi. Joignant le geste à la parole, il brise son épée et quitte la séance. Tout est lourd de symboles, dans cette histoire.

Son parti étant minoritaire à l’Assemblée constituante, le député démissionne en juin et émigre en Allemagne. Il s’installe en Pays de Bade et lève la légion des Hussards de la Mort qui fera aux républicains une guerre d’escarmouches sanglantes et inutiles en 1792. Tout commence à Perpignan où réside le régiment de Touraine. Une partie des soldats, soutenus par les patriotes catalans, se révolte contre ses officiers. Le maire fait appel au colonel Mirabeau. Impuissant à régler le problème,  il repart en emportant les « cravates », insulte gravissime pour les soldats : les cravates-rubans qui agrémentent la hampe du drapeau ont une valeur symbolique pour le régiment. Il meurt bientôt, suite à une attaque d’apoplexie. Sa dépouille repose dans un ancien cimetière protestant de Fribourg.

Camille Desmoulins : l’Homme du 14 juillet, Monsieur Hon-Hon

« Citoyens ! Il n’y a pas un moment à perdre. Monsieur Necker est renvoyé. Ce renvoi est le tocsin d’une Saint-Barthélemy de patriotes. Ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ de Mars pour nous égorger. Il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître. »

Camille DESMOULINS (1760-1794), Une imposture de Camille Desmoulins, Claude Hau, mai 1868

Le renvoi de Necker est connu le 12 juillet au matin. Le peuple s’amasse au Palais-Royal. Camille Desmoulins, sortant du café de Foy établi sous les galeries, saute sur une chaise, brandit son épée d’une main, un pistolet dans l’autre, et crie : « Aux armes ! » Il improvise son premier discours. Des milliers de voix hurlent : « Aux armes ! » Les manifestations ne vont plus cesser dans les rues : la Révolution est en marche.

Le jeune homme incarne le journalisme sous la Révolution. Auteur plus qu’orateur, bien vu de ses confrères qui ne voient pas en lui un rival, mais un jeune frère talentueux, impétueux et tapageur. Il bégaie ses discours (il donnera plusieurs versions de celui-ci). Mais il sait être décisif aux moments cruciaux comme ce 12 juillet. Surnommé bientôt « l’homme du 14 juillet », il ne cessera de défendre la république en prônant très tôt la mort du roi.

Cela dit, son épouse Lucile le surnomme avec une gentille ironie : « Monsieur Hon-hon ». Toutes ses phrases commencent par ces « Hon-hon » qui font sourire ses proches. Il a la voix sourde, il bégaie, il n’a jamais su improviser. A la Convention, aux Jacobins, ses interventions se borneront à quelques mots qu’on entend mal. Mais ce 12 juillet, pour la première et la dernière fois de sa vie, il parle d’abondance, oublie de bégayer. Sa voix est assez forte pour couvrir le tumulte du Palais-Royal et subjuguer dix mille braillards.

La Fayette : Pompée, Gilles César, Général Morphée

« Voici une cocarde qui fera le tour du monde. »1336

LA FAYETTE (1757-1834), 17 juillet 1789. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Nommé le 15 juillet commandant de la garde nationale, La Fayette prend la cocarde bleue et rouge aux couleurs de Paris, y joint le blanc, couleur du roi, et présente cette cocarde tricolore à Louis XVI venu « faire amende honorable » à l’Hôtel de Ville de Paris. Le roi met la cocarde à son chapeau et, par ce geste, reconnaît symboliquement la Révolution.

Déjà surnommé le Héros des Deux-Mondes pour avoir participé à la guerre d’Indépendances des nouveaux États-Unis d’Amérique contre l’Angleterre colonisatrice, le jeune marquis connaît un nouveau jour de gloire, pour ce geste et ce mot  parfaitement « en situation » : le voilà nouveau Pompée le Grand, illustre général et consul romain. C’est déjà beaucoup, mais pour La Fayette, ce n’est jamais trop.

« Gilles César » est un trait d’humour signé Mirabeau qui discrédite ce révolutionnaire situé comme lui dans la droite ligne des monarchistes constitutionnels. Il aura bientôt l’occasion de forcer le trait contre ce rival toujours dans son clan.

« La Reine a été trompée, elle promet qu’elle ne le sera plus […] elle promet d’être attachée au peuple comme Jésus-Christ à son Église. »1353

LA FAYETTE (1757-1834), à la foule, Versailles, 6 octobre 1789. Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris : sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre 1789 (1790), Assemblée nationale constituante

Il s’adresse à la foule qui a forcé les grilles, envahi le château de Versailles et massacré deux gardes du corps. La Fayette, commandant de la garde nationale, calme le jeu, apparaissant au balcon avec le roi, la reine (en larmes) et le dauphin dans ses bras : signe de réconciliation symbolique entre Louis XVI et son peuple. Auréolé de son aventure américaine, La Fayette se rêve le Washington d’une démocratie royale et sauve sans doute la vie à la famille du roi, ce matin du 6 octobre. Mais il faut (comme toujours) replacer la citation en situation !

La veille, 5 octobre, une foule de femmes et de chômeurs marche sur Versailles, armée de piques et de fourches. Une délégation est reçue le soir du 5 octobre par le roi. Il promet d’assurer le ravitaillement de Paris où le pain demeure le premier besoin alimentaire du peuple.

La manifestation, d’abord pacifique, va dégénérer après une nuit de liesse bien arrosée, alors que La Fayette, présent à Versailles avec ses gardes nationaux, n’a rien vu venir, et dort ! Mirabeau lui donnera le surnom de Général Morphée !

Abbé Sieyès : la taupe de le Révolution

« Ils veulent être libres, mais ils ne savent pas être justes. »1341

Abbé SIEYÈS (1748-1836), Constituante, 10 août 1789. Encyclopédie Larousse, article « Emmanuel Joseph Sieyès »

Il s’oppose à la suppression sans rachat des dîmes ecclésiastiques, considérant que c’est une spoliation. Cet abbé sans vocation religieuse, lecteur fervent des philosophes, rendu célèbre par son pamphlet Qu’est-ce que le tiers état ?, élu député du tiers, n’est qu’au début d’une longue carrière politique, en ces temps où la chose est rare.

Président de la Constituante, il votera la mort du roi comme la majorité des députés, se faisant ensuite bien discret jusqu’à Napoléon Bonaparte en qui il voit « le sabre »  indispensable pour remettre de l’ordre en France.

À qui lui demandait bien plus tard ce qu’il avait fait sous la Terreur :
« J’ai vécu. »1546

Abbé SIEYÈS (1748-1836). Encyclopédie Larousse, article « Emmanuel Joseph Sieyès »

La vie ne tenait qu’à un fil – hasard ou destin. Sieyès, âgé, s’en souvient encore sous la Monarchie de Juillet.

Homme de premier plan à la Constituante, rédacteur du serment du Jeu de paume et de la Constitution, initiateur du club des Jacobins, monarchiste constitutionnel qui vota cependant la mort du roi en janvier 1793, l’abbé se fait oublier quand la Convention devient montagnarde, effrayé du tour pris par les événements. Robespierre le déteste et l’appelle « la taupe de la Révolution ». Le surnom lui reste chez ses détracteurs. Pendant la Terreur, la taupe se terre dans son trou et survit. On retrouvera l’abbé Sieyès très actif sous le Directoire, le Consulat, l’Empire.

Antoine Barnave : le Tigre

« On veut nous attendrir, Messieurs, en faveur du sang qui a été versé hier à Paris : ce sang était-il donc si pur ? »1339

Antoine BARNAVE (1761-1793), Constituante, 23 juillet 1789. Les Martyrs de septembre (1919), Henri Welschinger

« Oh ! le tigre ! » s’exclame un député. Le surnom lui restera.

Avocat et député du tiers, emporté dans son élan, il a ce mot malheureux au lendemain du massacre de Foullon et Berthier,  dans des conditions de sauvagerie extrême. Foullon, vieillard de 75 ans, pendu trois fois à la lanterne (la corde cassait toujours), puis décapité dans l’hystérie générale.

Suite au supplice, sa tête au bout d’une pique sera exhibée devant Berthier (innocent) bientôt massacré, son cœur arraché de sa poitrine et porté devant Bailly, le maire de Paris qui s’en évanouit. La Fayette, écœuré, démissionne.

Mais le député exprime une idée courante à l’époque : les violences de la Révolution en marche sont justifiées par celles de l’Ancien Régime en déclin. Ajoutons pour la mémoire de Barnave que ce monarchiste constitutionnel, membre du club des Feuillants, est un libéral et un modéré qui va le payer de sa vie, sous la Terreur.

Abbé Grégoire : l’Ami des hommes de toutes les couleurs

« La liberté, l’égalité, l’humanité venaient de faire un grand abattis dans la forêt des abus. »1342

Abbé GRÉGOIRE (1750-1831). Le Clergé de quatre-vingt-neuf (1876), Jean Wallon

Membre du clergé comme Sieyès, il résume l’œuvre de la Constituante et notamment les décisions de la nuit du 4 août, sanctionnées par les décrets du 5 et du 11 août 1789. C’est l’abolition des privilèges (notamment fiscaux) et de tous les droits féodaux.

« Il faut tout refuser aux Juifs comme nation, il faut tout leur accorder comme individus. »1398

CLERMONT-TONNERRE (1757-1792), Constituante, 27 septembre 1791. La Prison juive (2003), Jean Daniel

Les Juifs (et les « nègres ») sont considérés comme des sous-hommes. Faut-il, au nom de l’égalité des droits, leur accorder la citoyenneté française ? Le cas des juifs est longuement débattu, fin décembre 1789.

L’abbé Grégoire -  l’« homme le plus honnête de France », dira de lui Stendhal - se fait à nouveau le champion courageux de leur cause avec Clermont-Tonnerre et quelques autres députés. Deux jours avant de se dissoudre, la Constituante abolit dans toute l’étendue du royaume les lois d’exception qui frappaient les juifs.

Il est entré au Panthéon lors du Bicentenaire de 1989. Mais l’archevêque de Paris était absent de la cérémonie. C’est que la figure de l’abbé Grégoire, prêtre et révolutionnaire, dérange encore. Que reprocher à l›« Ami des hommes de toutes les couleurs », surnom qu’il s’était lui-même choisi et qui fut repris à charge ! Il faut compter ici avec la « théâtrale gestuelle de l’arrachage des masques ». Il n’aurait été qu’un hypocrite convertisseur, voire un des pères de l’antisémitisme moderne ! Abolitionniste et militant de la cause des droits des « Noirs et sang-mêlés », il incarnerait le paternalisme, voire le refus de toute diversité culturelle. L’anachronisme et la réécriture de l’histoire est une histoire sans fin…

Toussaint de Bréda dit Toussaint-Louverture : Louverture (son surnom fait partie de son nom)

« Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute. »1395

TOUSSAINT LOUVERTURE (1743-1803). Toussaint Louverture (1850), Alphonse de Lamartine

Ainsi parle le héros de ce poème dramatique en cinq actes et en vers.

La nuit du 22 au 23 août 1791, François Toussaint prend la tête de la révolte des Noirs à Saint-Domingue, colonie des Antilles (île d’Haïti). Restés esclaves après le timide décret du 13 mai, ils veulent les mêmes droits que les citoyens blancs. À l’opposé, les colons s’effraient du droit de vote donné aux mulâtres. L’insurrection aboutit à des massacres entre Blancs et Noirs, sucreries et plantations de café sont dévastées.

Les planteurs vont demander secours à l’Espagne et l’Angleterre, mais Toussaint va se rallier à la Révolution en 1794, quand le gouvernement français abolit l’esclavage.

Son courage lui vaudra le surnom de Louverture, celui qui ouvre et enfonce les brèches dans les troupes adverses ! Il devient gouverneur de la colonie prospère, les anciens esclaves travaillant comme salariés dans les plantations. Il proclame l’autonomie de l’île en 1801. Bonaparte enverra 25 000 hommes contre Toussaint qui mourra (de froid) en captif, dans le Jura. L’indépendance d’Haïti, premier État noir indépendant en 1804, sera la victoire posthume de ce grand leader noir. Et le 23 août est devenu « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition ».

Théroigne de Méricourt : la Belle Liégeoise, la Furie de la Gironde

« Armons-nous, nous en avons le droit par la nature et même par la loi. Montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus ni en courage […] Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité. »1408

Théroigne de MÉRICOURT (1762-1817), Discours prononcé à la Société fraternelle des Minimes, 25 mars 1792

Discours imprimé par ordre de la Société Fraternelle de patriotes, de l’un & l’autre sexe, de tout âge & de tout état, séante aux Jacobins, rue Saint-Honoré (1792).

Belge, courtisane et cantatrice, surnommée la Belle Liégeoise, elle entre en révolution comme on entre en religion. Chose fort mal vue de la part d’une femme. Elle devient alors la « Furie de la Gironde ». La voyant fouettée, ridiculisée, son frère la fait enfermer dans un asile pour qu’elle échappe à la mort. Elle y rencontrera la folie.

Guillotin : créateur de la guillotine aux multiples surnoms

« Guillotin – Médecin – Politique, / Imagine un beau matin
Que pendre est inhumain / Et peu patriotique.
Aussitôt – Il lui faut – Un supplice / Qui, sans corde ni poteau,
Supprime du bourreau / L’office. »1413

La Guillotine, chanson. Les Actes des Apôtres (1789-1791), Un journal royaliste en 1789 (1873), Marcellin Pellet

Dansés sur un air de menuet, ces vers prouvent que tout fut bon à chansonner. Mais c’est contre l’avis de Guillotin qu’on baptisa guillotine ces « bois de justice ».

Premier condamné à mort guillotiné, un voleur de grand chemin, Nicolas Pelletier, exécuté en place de Grève à Paris (aujourd’hui place de l’Hôtel-de-Ville), le 25 avril 1792.

« Le supplice que j’ai inventé est si doux qu’il n’y a vraiment que l’idée de la mort qui puisse le rendre désagréable. Aussi, si l’on ne s’attendait pas à mourir, on croirait n’avoir senti sur le cou qu’une légère et agréable fraîcheur. »1510

Joseph Ignace GUILLOTIN (1738-1814). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Il parle en poète de la mécanique qu’en médecin et philanthrope il a fait adopter. Un décret du 13 juin 1793 installe dans chaque département un « appareil de justice ». Mais la guillotine est déjà active à Paris, depuis le début de cette année.

Elle sera désormais affublée de nombreux surnoms et l’humour noir a libre cours : la Mirabelle (dérivé de Mirabeau), la Monte-à-regret, le Rasoir national, le Moulin à silence, la Cravate à Capet (après son emploi sur Louis XVI), la Bascule à Charlot (du prénom de Charles-Henri Sanson, bourreau du roi), le Massicot, la Bécane, la Lucarne (au XIXe siècle), la Veuve…

« Alors tendant ses longs bras roux
Bichonnée, ayant fait peau neuve,
Elle attend son nouvel époux,
La Veuve. »2513

Jules JOUY (1855-1887), La Veuve (1887) - nom de la guillotine en argot, chanson. Les Chansons de l’année (1888), Jules Jouy

L’auteur finira dans un asile, en camisole de force, hanté par le spectacle (public) des exécutions capitales. Chanteuse populaire, Damia crée la chanson (mise en musique par Pierre Larrieu) en 1928 : « Voici venir son prétendu / Sous le porche de la Roquette / Appelant le mâle attendu / La Veuve, à lui, s’offre coquette. / Pendant que la foule autour d’eux / Regarde, frissonnante et pâle / Dans un accouplement hideux / L’homme crache son dernier râle. »

Un décret de 1871 a supprimé les exécuteurs de province. Il ne reste plus qu’un « national ». Après la dynastie des Sanson (six générations) vint celle des Deibler. Louis Deibler cesse d’exercer à 79 ans et meurt en 1904. Il exécuta plus de 1 000 condamnés en une trentaine d’années. L’exécution cesse d’être publique en 1939. La peine de mort sera abolie en 1981.

Officiers de métier : les « vaincre ou courir »

« La patrie est en danger. »1418

Législative, Proclamation par décret du 11 juillet 1792. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1920), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Depuis la déclaration de guerre à l’Autriche en avril, les défaites se succèdent aux frontières de l’Est.

L’armée de 80 000 hommes est insuffisante et mal dirigée par des officiers surnommés les « vaincre ou courir », face aux Prussiens commandés par Brunswick et aux émigrés français emmenés par Condé, cependant que la menace d’un complot aristocratique plane sur la France. Chacun se prépare à l’invasion étrangère et l’on soupçonne le roi d’être de connivence avec l’empereur d’Allemagne François II, neveu de Marie-Antoinette l’Autrichienne détestée.

Votée le 12 juillet, une loi appellera aux armes 50 000 soldats et 46 bataillons de volontaires, soit 33 600 hommes.

Danton : le Mirabeau de la populace

« Le tocsin qui sonne n’est point un signal d’alarme, c’est la charge contre les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. »1428

DANTON (1759-1794), Législative, 2 septembre 1792. Discours de Danton, édition critique (1910), André Fribourg

La fin du grand discours est célébrissime, propre à galvaniser le peuple et ses élus : « Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole », écrit Hugo (Quatre-vingt-treize). Mais c’est le Mirabeau de la populace et des sans-culotte.

Ce 2 septembre, la patrie est plus que jamais en danger. La Fayette, accusé de trahison, est passé à l’ennemi. Dumouriez, qui a démissionné de son poste de ministre, l’a remplacé à la tête de l’armée du Nord, mais le général ne parvient pas à établir la jonction avec Kellermann à Metz. Verdun vient de capituler, après seulement deux jours de siège : les Prussiens sont accueillis avec des fleurs par la population royaliste. C’est dire l’émotion chez les révolutionnaires à Paris !

La rumeur court d’un complot des prisonniers, prêts à massacrer les patriotes à l’arrivée imminente des Austro-Prussiens :  « Il faut purger les prisons et ne pas laisser de traîtres derrière nous en partant pour les frontières. » Mot d’ordre repris par L’Ami du peuple de Marat et Le Père Duchesne d’Hébert, dans les premiers jours de septembre 1792. On arrête 600 suspects, qui rejoignent 2 000 détenus en prison.

Les massacres du 2 au 6 septembre 1792 feront quelque 1 500 morts (sur 3 000 prisonniers). Des « droits commun » sont égorgés en même temps que les « politiques », nobles et prêtres.

Billaud-Varenne : le Rectiligne, le Tigre, le Tigre jaune

« Respectables citoyens, vous venez d’égorger des scélérats ; vous avez sauvé la patrie ; la France entière vous doit une reconnaissance éternelle. »1432

Jean-Nicolas BILLAUD-VARENNE (1756-1819) aux massacreurs, 3 septembre 1792. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Parole de Jacobin, membre de la Commune insurrectionnelle de Paris. Il encourage les égorgeurs à se servir sur le butin et la dépouille des cadavres, offre à chaque égorgeur 24 livres et les encourage : « Continuez votre ouvrage, et la patrie vous devra de nouveaux hommages. »

C’est déjà la logique de la Terreur avant l’heure. Le Rectiligne l’applique sans état d’âme. La sauvagerie fait penser au grand félin redouté : le Tigre. Et le Tigre jaune évoque la perruque jaunâtre de l’homme.

Ce mouvement n’a pas touché la province, sauf lorsque des tueurs parisiens y furent envoyés (à Versailles, Meaux, Reims, Orléans, Lyon). Certains quartiers de Paris sont restés calmes. La même remarque vaudra sous la Grande Terreur. Mais Billaud-Varenne, avocat au Parlement sous l’Ancien Régime, sera l’un des révolutionnaires les plus violents, redouté au Comité de salut public à Paris, mais aussi dans ses missions en province.

Dumouriez : le petit Tigre

« Cette journée à jamais mémorable couvre la nation française d’une gloire immortelle. Il n’est pas un bataillon, ni un escadron, il n’est pas un individu dans l’armée qui ne se soit battu et de très près. »1450

DUMOURIEZ (1739-1823), Lettre à Pache, ministre de la Guerre, 7 novembre 1792. Révolutions de Paris, dédiées à la Nation (1792), Prudhomme éd

Dumouriez avait renoncé au poste de ministre girondin (Affaires étrangères, puis Guerre) sous la Législative pour aller se battre, général victorieux à Valmy (20 septembre) et bientôt à Jemappes (6 novembre). Aux environs de Mons, après quelques heures de canonnades, les troupes se sont lancées contre les Autrichiens au chant de La Marseillaise. Les Français ont l’avantage du nombre et l’enthousiasme des patriotes. Les Impériaux ont fui et au prix de quelque 2 000 morts (au total), la route de la Belgique est ouverte.

Âge de cinquante ans passés, un pamphlet flamand l’appellera un kleyn manneke, un bout d’homme, et les émigrés le surnommeront le petit Tigre. « Des traits nettement marqués, le teint brun, le front large, le nez aquilin, la bouche grande mais douce, souriante, parfois dédaigneuse, les yeux noirs et pleins de flamme tel est son signalement. Sa figure respire finesse et résolution à la fois. Il s’habille avec élégance, se poudre à blanc. De ses mains qu’il a petites et ridées il gesticule vivement. Il a des manières aisées et courtoises, par instants un peu de brusquerie qui ne messied pas à̀ sa tournure militaire et à son air martial. Il voit dans la Révolution une carrière nouvelle qui s’offre à son activité́. » (Les Guerres de la Révolution, Arthur Chuquet, 1908). Mais Dumouriez tranche avec les autres personnages de révolutionnaires.

Manon Roland : Madame Coco, la reine Coco

« Le brigand qui persécute, l’homme exalté qui injurie, le peuple trompé qui assassine suivent leur instinct et font leur métier. Mais l’homme en place qui les tolère, sous quelque prétexte que ce soit, est à jamais déshonoré ! »1513

Mme ROLAND (1754-1793), Lettre au ministre de l’Intérieur, 20 juin 1793, prison de l’Abbaye. Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793 (1902), publiées par Claude Perroud

« L’homme en place », le ministre s’appelle Garat, il a remplacé Roland, son mari. Elle le connaît et le juge ainsi : « aimable homme de société, homme de lettres médiocre et détestable administrateur ». Il l’a laissé arrêter et emprisonner à l’Abbaye.

Jean-Marie Roland a réussi à fuir avec quelques Girondins. Les Montagnards n’ont cessé de multiplier leurs attaques en particulier contre Roland surnommé dans le Père Duchesne « Coco Roland ». Manon Roland devient « Madame Coco » ou « la reine Coco ». Inutile de dire qu’elle déteste ce genre de surnom qui lui vient par ricochet, alors qu’elle a beaucoup plus de tempérament (naturel et révolutionnaire) que son mari ! Femme très active dans son salon révolutionnaire qui diffuse les idées nouvelles (en l’occurrence girondines) comme au siècle des Lumières les idées philosophiques, elle donnera la preuve de son caractère jusqu’à la fin.

« Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »1554

Mme ROLAND (1754-1793), montant à l’échafaud et s’inclinant devant la statue de la Liberté (sur la place de la Révolution), 8 novembre 1793. Mot de la fin. Le Nouveau Tableau de Paris (1799), Louis Sébastien Mercier

Son mari, poursuivi comme Girondin et réfugié à Rouen, apprenant la mort de sa femme, se tuera deux jours après.

Manon Roland fit preuve d’une belle énergie et d’une plume infatigable, dans sa prison (l’Abbaye, puis la Conciergerie). Elle écrit pour se défendre devant le Tribunal révolutionnaire, même sans espoir. Elle écrit ses Mémoires, destinées à sa fille Eudora. Elle écrit des lettres, notamment à son ami Buzot qui, contrairement à elle, a fui comme son mari, pour échapper au sort des Girondins. Il se suicidera lui aussi, apprenant quelques mois plus tard la mort de Manon Roland.

Louis XVI : Monsieur Veto, Louis Capet, le citoyen Capet 

« Je fais assez ce que tout le monde désire pour qu’on fasse une fois ce que je veux ! »1406

LOUIS XVI (1754-1793), 19 décembre 1791. Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Élisabeth : lettres et documents inédits (1866), publiés par Félix Feuillet de Conches

Soudain, une manifestation de caractère ! Le roi use de son veto suspensif et refuse de sanctionner le décret contre les prêtres réfractaires : dans les huit jours et sous peine de prison, ils doivent prêter serment à la Constitution civile du clergé (votée le 12 juillet 1790). La moitié des curés et tous les évêques (sauf quatre, dont Talleyrand) ont rejeté cette réforme de l’Église. Les autres, dits jureurs, assermentés ou constitutionnels, sont devenus des fonctionnaires ecclésiastiques.

Louis XVI est profondément croyant et la Révolution le choque par ses atteintes à l’autorité de l’Église, plus encore que par les limitations au pouvoir royal. L’assemblée s’incline devant son refus, car le roi est dans son droit. Mais le peuple dénonce « Monsieur Veto ».

« L’Assemblée nationale renferme dans son sein les dévastateurs de ma monarchie, mes dénonciateurs, mes juges et probablement mes bourreaux ! On n’éclaire pas de pareils hommes, on ne les rend pas justes, on peut encore moins les attendrir. »1461

LOUIS XVI (1754-1793), Lettre à Malesherbes écrite à la prison du Temple, décembre 1792. Lettre LXXI, non datée. Collection des mémoires relatifs à la Révolution française (1822), Saint-Albin Berville, François Barrière

La Convention s’est érigée en tribunal : le procès du roi se tient donc dans la salle du Manège aux Tuileries, toujours ouverte au public, ce qui dramatise encore l’événement.

Louis XVI, devenu Louis Capet (dynastie des Capétiens) ou simple citoyen Capet, choisit d’abord un avocat renommé, Target qui se dérobe pour ne pas être compromis. Malesherbes (73 ans) propose ses services, par fidélité au maître qui l’honora de sa confiance en tant que ministre – le roi est fort touché par ce geste. Le procès se déroule du 10 décembre 1792 au 20 janvier 1793.

« Le véritable patriote ne connaît point les personnes, il ne connaît que les principes. »1467

Camille DESMOULINS (1760-1794), 15 décembre 1792 au procès du roi. Œuvres de Camille Desmoulins (posthume, 1874), Camille Desmoulins, Jules Claretie

Montagnard, membre des Cordeliers et ami de Danton, il exprime la pensée devenue majoritaire dans le personnel politique. Le roi qui n’est plus roi, mais seulement Louis Capet, est un justiciable comme les autres dans ce procès.

« Quand la justice a parlé, l’humanité doit avoir son tour. »1472

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), Discours du 17 janvier 1793. Les Grands Orateurs de la Révolution, Mirabeau, Vergniaud, Danton, Robespierre (1914), François-Alphonse Aulard

Girondin (du département de la Gironde), avocat au Parlement de Bordeaux, maintenant à la tête des Girondins de Paris, Vergniaud, président de séance, cherche à sauver Louis XVI. Les Girondins craignent d’en faire un martyr, d’autres redoutent que la Révolution se radicalise à l’extrême.
Première question posée le 15 janvier : Louis Capet est-il « coupable de conspiration contre la liberté de la nation et d’attentats contre la sûreté générale de l’État ? » Oui, pour 707 députés sur 718 présents – les chiffres varient un peu, selon les sources, bizarrerie statistique confirmée par le site de l’Assemblée nationale. C’est quand même la quasi-unanimité pour une culpabilité évidente. La « justice a parlé ».

Marie-Antoinette : Madame Véto, la Veuve Capet, la Panthère autrichienne

« Madam’ Veto avait promis / De faire égorger tout Paris.
Mais son coup a manqué / Grâce à nos canonniers.
Refrain :  Dansons la carmagnole / Vive le son vive le son
Dansons la carmagnole / Vive le son du canon ! »1425

La Carmagnole (fin août 1792), chanson. Chansons populaires de France (1865), Librairie du Petit Journal éd

De parolier inconnu, cette Carmagnole est chantée sous les fenêtres du Temple où la famille royale est prisonnière. Adoptée par tous les patriotes, la Carmagnole aura de nombreuses parodies comme tous les chants populaires.

Monsieur Veto est violemment apostrophé comme sa femme Madame Veto, qui hérite naturellement du surnom. Même logique pour la Veuve Capet.

« Une femme, la honte de l’humanité et de son sexe, la veuve Capet, doit enfin expier ses forfaits sur l’échafaud. »1538

Jean-Nicolas BILLAUD-VARENNE (1756-1819), Convention, 3 octobre 1793. L’Agonie de Marie-Antoinette (1907), Gustave Gautherot

Un parmi d’autres conventionnels à réclamer la mise en jugement de l’Autrichienne devenue la « Panthère autrichienne ». En prison depuis près d’un an, Marie-Antoinette attendait son sort au Temple, avant son transfert à la Conciergerie.

Le 3 octobre, quand la Convention vient de décréter que les Girondins seront traduits devant le Tribunal révolutionnaire, Billaud-Varenne parle en ces termes : « Il reste encore un décret à rendre : une femme, la honte de l’humanité et de son sexe, la veuve Capet, doit enfin expier ses forfaits sur l’échafaud. Je demande que le Tribunal révolutionnaire prononce cette semaine sur son sort. » La Convention adopte cette proposition.

« Ils peuvent être mes bourreaux, mais ils ne seront jamais mes juges. »1539

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), apprenant qu’elle va être jugée par le Tribunal révolutionnaire, début octobre 1793. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Elle est à présent sans illusion, prisonnière à la Conciergerie, dite l’antichambre de la mort. Deux chefs d’accusation sont retenus contre elle : manœuvres en faveur des ennemis extérieurs de la République et complot pour allumer la guerre civile. Mais le dossier est vide et le tribunal veut respecter au moins les apparences. D’où l’idée d’interroger son fils, 8 ans, pour lui faire reconnaître des relations incestueuses avec sa mère. Pache (maire de Paris), Chaumette (procureur) et Hébert (substitut de la Commune) s’en chargent. Le mot de Marie-Antoinette prendra tout son sens, quand elle subira une vraie torture morale, durant les deux jours de son procès public (14 et 15 octobre).

« La plus grande joie du Père Duchesne après avoir vu de ses propres yeux la tête du Veto femelle séparée de son col de grue et sa grande colère contre les deux avocats du diable qui ont osé plaider la cause de cette guenon. »1543

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, n° 299, titre du journal au lendemain du 16 octobre 1793. Les Derniers Jours de Marie-Antoinette (1933), Frantz Funck-Brentano

Voici l’oraison funèbre consacrée par le pamphlétaire jacobin à la reine sacrifiée. Le titre est long. La chronique qui suit, ce n’est pas du Bossuet, mais la littérature révolutionnaire déploie volontiers cette démagogie populaire : « J’aurais désiré, f…! que tous les brigands couronnés eussent vu à travers la chatière l’interrogatoire et le jugement de la tigresse d’Autriche. Quelle leçon pour eux, f…! »

Louis XVII le Dauphin : Chou d’amour, l’Enfant du Temple

« Maman, est-ce qu’hier n’est pas fini ? »1388

Le dauphin LOUIS, futur « LOUIS XVII » (1785-1795), à Marie-Antoinette, fin juin 1791. Bibliographie moderne ou Galerie historique, civile, militaire, politique, littéraire et judiciaire (1816), Étienne Psaume

Après l’épisode de la fuite à Varennes, un joli mot de l’enfant qui mourra quatre ans plus tard, à la prison du Temple.

La maternité a fait de la reine une autre femme. Elle avoue à la duchesse de Polignac : « En vérité, si je pouvais être heureuse, je le serais par ces deux petits êtres. » ! Après la mort de son premier fils (tuberculeux), elle reporte toute son affection sur son second fils, plus câlin, plus aimant, plus expansif que sa fille Madame Royale.

La baronne d’Oberkirch s’émerveille du caractère facile du garçon : « Il était d’une charmante figure, plein d’esprit ; il avait des mots charmants et une soumission aveugle aux ordres de la reine. Je n’ai pas connu d’enfant d’une humeur plus sereine et plus égale. » La reine apprécie de voir son cher fils lui témoigner tant d’amour en retour. Elle écrit à la duchesse de Polignac, le 29 décembre 1789 : « Le Chou d’amour est charmant, et je l’aime à la folie. Il m’aime beaucoup aussi, à sa manière, ne se gênant pas. »

« Lors même qu’il [Louis XVII] aura cessé d’exister, on le retrouvera partout et cette chimère servira longtemps à nourrir les coupables espérances. »1615

CAMBACÉRÈS (1753-1824), Discours tenu au nom des Comités de salut public, de sûreté générale et de législation, Convention, 22 janvier 1795

Phrase prémonitoire, prononcée à l’occasion du deuxième anniversaire de la mort de Louis XVI. À la tribune, l’orateur conclut contre la mise en liberté de son fils.

Le dauphin Louis XVII, devenu l’Enfant du Temple, mourra officiellement au Temple le 8 juin de cette année – mais est-ce bien lui ou un autre enfant qui aurait pris sa place ? Ce sera l’énigme du Temple, l’un des mystères de l’histoire de France, conforté par cette phrase étrange de Cambacérès, grand juriste qui pèse toujours ses mots. Ne dirait-on pas que l’enfant a déjà disparu en janvier ? Totalement isolé, il était très malade.

Marie-Thérèse Charlotte de France : Madame Royale, l’Orpheline du Temple, Mousseline la Sérieuse

« Si l’on avait fait davantage confiance à Monsieur de La Fayette, mes parents seraient encore en vie. »1354

Marie-Thérèse de France, devenue duchesse d’ANGOULÊME (1778-1851). Phrase non « sourcée », peut-être apocryphe

Fille aînée de Louis XVI et de Marie-Antoinette, c’est la seule survivante des enfants royaux, libérée en 1795 à 17 ans.  Surnommée très officiellement « Madame Royale », elle reconnaîtra le rôle joué par le héros très populaire de la Révolution en ses débuts, très discuté ensuite par les contemporains comme par les historiens. La reine finira par le prendre en haine (après l’échec de la fuite à Varennes en juin 1791) : « Je sais bien que M. de Lafayette nous protège, mais qui nous protégera de M. de La Fayette ? »

« Ses souffrances sont montées si haut, qu’elles sont devenues une des grandeurs de la révolution. »

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Confirmant ce grand témoin de l’histoire, la duchesse de Dino affirme en 1833 : « C’est, incontestablement, la personne la plus poursuivie par le sort que l’histoire puisse offrir. » Scrutée par ses admirateurs comme par ses détracteurs qui rendent compte de ses faits et gestes quotidiens, « Madame Royale » devient l’héroïne de chansons, de poèmes, de récits au goût du jour, voire d’insultes. Car elle reste le dernier enfant survivant de Louis XVI et Marie-Antoinette.

Nommée « Madame » (ou « Madame Royale » pour la distinguer de l’autre Madame, la comtesse de Provence, belle-sœur du roi), premier enfant du couple royal, née après plus de huit ans de mariage, sa mère l’appelle « Mousseline la Sérieuse », beaucoup plus réfléchie que « Coco d’amour », le Dauphin. Les tableaux en témoignent.

À15 ans, elle tracera sur les murs de sa prison, entre autres graffitis : « Marie-Thérèse-Charlotte est la plus malheureuse personne du monde. » « L’Orpheline du Temple » est célèbre. Ses admirateurs vont jusqu’à louer un appartement en face du Temple : on la scrute pour rendre compte de ses faits et gestes quotidiens. Elle devient l’héroïne de chansons, poèmes et récits au goût du jour. C’est en même temps le meilleur agent de propagande des royalistes, instrument politique, également révérée et adorée de ses partisans. Ce passé tragique va la poursuivre sa vie durant.

Barère de Vieuzac : l’Anacréon de la guillotine

« On a attaché tant de fausses idées à ce mot de roi, que tant qu’il ne sera pas proscrit de toutes les langues, l’esprit humain n’aura jamais qu’une théorie imparfaite de l’art social. »1462

Bertrand BARÈRE de VIEUZAC (1755-1841). Histoire des journaux et des journalistes de la Révolution française, 1789-1796 (1845), Léonard Gallois

Ces mots imprimés en 1790 sont un message prémonitoire. Constitutionnel modéré sous la Constituante, réélu à la Convention, Barère s’est rallié aux Montagnards, avant de se distinguer au cours de la Terreur. En attendant, et en tant que président de la Convention, ii dirige le procès du roi. Peu de doute sur son vote, mais il y a 749 députés et l’Assemblée reste encore très partagée sur le sort du roi.

« L’arbre de la liberté ne saurait croître s’il n’était arrosé du sang des rois. »1475

Bertrand BARÈRE de VIEUZAC (1755-1841), à la tribune, 20 janvier 1793. Mémoires de M. de Bourrienne, ministre d’État : sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration (1829), Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne

Le président de la Convention justifie ainsi la condamnation à mort de Louis XVI, contre la partie la plus modérée de l’assemblée qui souhaitait atténuer la peine. Il s’est prononcé pour la mort, sans appel au peuple, sans sursis à l’exécution. On retrouvera Barère en juillet 1793, membre du Comité de salut public (où il détient le record de longévité : dix-sept mois) et l’un des organisateurs les plus zélés de la Terreur.

Ses discours lui valent un succès prodigieux : il est l’aède des soldats de l’an II avec ses carmagnoles et donne un visage aimable aux mesures terroristes du gouvernement révolutionnaire, d’où son surnom d’« Anacréon de la guillotine » que lui donna son collègue à la Convention Charles-Jean-Marie Alquier - référence au poète lyrique de l’Antiquité grecque.

Robespierre : la Chandelle d’Arras, l’Incorruptible

« Cet homme ira loin car il croit tout ce qu’il dit. »1306

MIRABEAU (1749-1791), Mémoires biographiques, littéraires et politiques de Mirabeau (posthume)

Mirabeau, dit « la torche de Provence », parle ainsi en 1789 de Robespierre, surnommé à ses débuts « la chandelle d’Arras » : bien qu’avocat (de province), ce député du tiers état manque d’éloquence à la Constituante. Mais pour la conviction, il ne craint déjà personne et sera un jour craint de tous ses adversaires, peu à peu éliminés. Rousseau est son philosophe de chevet : il emprunte au Contrat social ce qui sera, selon Jaurès, sa seule idée, celle de la nation souveraine.

« Il aurait payé pour qu’on lui offrît de l’or, pour pouvoir dire qu’il l’avait refusé. »1308

Pierre Louis ROEDERER (1754-1835). Œuvres du comte P. L. Roederer : histoire contemporaine, 1789-1815 (1854), Pierre Louis Roederer

Ce député aux États généraux de 1789 n’apprécie pas vraiment l’Incorruptible avec ses mœurs au-dessus de tout soupçon et cette vertu érigée en système qu’il voudra imposer à tous.

« Celui qui a des culottes dorées est l’ennemi de tous les sans-culottes. Il n’existe que deux partis, celui des hommes corrompus et celui des hommes vertueux. »1502

ROBESPIERRE (1758-1794), au club des Jacobins, 8 mai 1793. Œuvres de Maximilien Robespierre (posthume, de 1912 à 1967)

Sans les nommer, l’Incorruptible dénonce les Girondins. Rappelons qu’ils sont issus de la même classe bourgeoise que les amis de Robespierre, lui-même toujours très élégamment vêtu. Ce manichéisme est donc simpliste, mais efficace. Il oppose les riches aux pauvres.

Saint-Just : l’Archange de la Révolution, l’Archange de la Terreur

« Osez ! Ce mot renferme toute la politique de votre révolution. »1271

SAINT-JUST (1767-1794), Rapport sur les suspects incarcérés, 26 février 1794. Collection des mémoires relatifs à la Révolution française (1828), Saint-Albin Berville, François Barrière

Le plus jeune théoricien de la Révolution, passé à l’action, représente le courant pur et dur de cette époque. Il se fait remarquer par la violence de ses mots et de ses idées, partageant jusqu’à la fin le sort de son ami Robespierre.

« Ce qui constitue une République, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé. »1576

SAINT-JUST (1767-1794), Convention, Rapport du 26 février 1794 (premier décret de ventôse). Histoire socialiste, 1789-1900, volume 4, La Convention (1908), Jean Jaurès

Toujours le froid langage de la Terreur. Edgar Quinet, l’un des (rares) historiens fascinés par le personnage qui va prendre une importance croissante durant les derniers mois de la Révolution écrit dans La Révolution : « Et Saint-Just, que n’était-il pas ? Accusateur, inquisiteur, écrivain, administrateur, financier, utopiste, tête froide, tête de feu, orateur, général, soldat ! […] Cela ne s’était pas vu depuis les Romains. »

« Le bonheur est une idée neuve en Europe. »1578

SAINT-JUST (1767-1794), Convention, Rapport du 3 mars 1794 (second décret de ventôse, le 13). Saint-Just et la force des choses (1954), Albert Ollivier

Devenu très jeune président de la Convention en février, il tente de donner au pouvoir révolutionnaire une base économique et sociale par deux décrets de ventôse : sur la confiscation des biens des émigrés (26 février) et sur leur redistribution aux patriotes indigents (3 mars). « Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie sur la terre ; qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur ! »

La citation, devenue célèbre, a une portée plus générale. Le « bonheur de tous » est inscrit comme un but dans la Déclaration des droits de 1789. La Déclaration d’Indépendance des États-Unis de 1776, encore plus explicite, fait de la recherche du bonheur un droit inaliénable des hommes, au même titre que la vie et la liberté.

Il y a pourtant un double paradoxe dans cette phrase : datée de cette période tragique de la Terreur, elle associe la notion de bonheur au personnage de Saint-Just qui n’en est pas le vivant symbole. Mais son doux visage d’ange justifie ces deux étranges surnoms associés au fond de sa pensée : l’Archange de la Révolution, l’Archange de la Terreur.

Marat : l’Ami du Peuple

« Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat. »1301

Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)

Dans la galerie de portraits révolutionnaires, Marat est le méchant. Pas un ami de son vivant. Pas un historien pour en faire un héros. Pas un théoricien pour se dire « maratiste », comme on peut être dantoniste ou robespierriste. Marat fut pourtant l’« ami du peuple », jouissant d’une incroyable popularité auprès des sans-culottes.

« La classe des infortunés, que la richesse insolente désigne sous le nom de canaille, est la partie la plus saine de la société. »1377

MARAT (1743-1793), L’Ami du peuple, 7 octobre 1790

Il a fondé ce journal très révolutionnaire en septembre 1789 et tient à en être le seul rédacteur, donc le seul responsable. La violence de ses propos l’expose à des poursuites et à la prison – dès le lendemain des deux journées d’octobre 1789.

Réfugié à Londres au début de l’année 1790, il réapparaît en mai pour attaquer Necker et La Fayette, et entre au club des Cordeliers (créé en mai 1790 par Danton). Son extrémisme n’est encore que verbal, en attendant la Terreur.

« Ce fanatique énergumène nous inspirait à nous-mêmes une sorte de répugnance et de stupeur […] Ses vêtements en désordre, sa figure livide, ses yeux hagards avaient je ne sais quoi de rebutant et d’épouvantable qui contristait l’âme. »1302

LEVASSEUR de la Sarthe (1747-1834). Mémoires de R. Levasseur de la Sarthe, ex-conventionnel (1829), René Levasseur, Francis Levasseur

Témoignage d’un montagnard robespierriste qui ajoute : « Lorsqu’on me le montra pour la première fois, s’agitant avec violence au sommet de la Montagne, je le considérai avec cette curiosité inquiète qu’on éprouve en contemplant certains insectes hideux. » Marat, à l’inverse de Mirabeau ou de Danton, est affligé d’une laideur irrémédiablement repoussante, en raison d’une dermatose chronique qui l’oblige à passer des heures dans son bain - c’est là qu’il sera surpris et assassiné par Charlotte Corday.

« Il y a une année que cinq ou six cents têtes abattues vous auraient rendus libres et heureux. Aujourd’hui, il en faudrait abattre dix mille. Sous quelques mois peut-être en abattrez-vous cent mille, et vous ferez à merveille : car il n’y aura point de paix pour vous, si vous n’avez exterminé, jusqu’au dernier rejeton, les implacables ennemis de la patrie. »1380

MARAT (1743-1793), L’Ami du peuple, décembre 1790. Histoire politique et littéraire de la presse en France (1860), Eugène Hatin

Déjà populaire auprès du petit peuple parisien, mais détesté de toute la classe politique, Marat joue au « prophète de malheur » dans le journal quotidien qu’il publie et qui est sa première tribune. Ici, c’est un véritable appel au meurtre, alors que la guillotine n’est pas encore entrée en scène et que la Terreur est une notion inconnue.

Charlotte Corday : l’Ange de l’assassinat

« Marat pervertissait la France. J’ai tué un homme pour en sauver cent mille, un scélérat pour sauver des innocents, une bête féroce pour donner le repos à mon pays. J’étais républicaine bien avant la Révolution. »1522

Charlotte CORDAY (1768-1793), à son procès devant le Tribunal révolutionnaire, 17 juillet 1793. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

En un jour, la jeune fille de 25 ans devient une héroïne cornélienne - descendante de Corneille, elle a aussi beaucoup lu Plutarque, Tacite, et Rousseau. Elle compte parmi les figures de la Révolution. Le poète André Chénier la salue par ces mots : « Seule, tu fus un homme », ce qui contribuera à le perdre. Le député de Mayence, Adam Lux, qui la vit dans la charrette l’emmenant à l’échafaud, s’écria : « Plus grande que Brutus », et ce mot lui coûta la vie.

Lamartine la baptise l’Ange de l’assassinat et Michelet retrouve les accents qu’il eut pour Jeanne d’Arc : « Dans le fil d’une vie, elle crut couper celui de nos mauvaises destinées, nettement, simplement, comme elle coupait, fille laborieuse, celui de son fuseau. » Mais rien ni personne ne pouvait plus freiner cette marche programmée vers la Terreur. D’autant que les Girondins, « légion de penseurs », ne sont plus là pour contrer les Montagnards, ce « groupe d’athlètes » Deux beaux surnoms, signés Hugo dans Quatre-vingt-treize, grande fresque historique.

Hébert : le Père Duchesne

« Foutre ! […] Il est bon que le peuple souverain s’accoutume à juger les rois. »1463

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, décembre 1792. Histoire politique et littéraire de la presse en France (1860), Eugène Hatin

Son journal dont le nom serait inspiré par un marchand de fourneaux qui jurait et sacrait à chaque phrase, ne perd pas cette occasion - le procès du roi - pour surenchérir. Hébert s’exaspère de tant de lenteurs et craint que « le plus grand scélérat qui eût jamais existé reste impuni », entre jurons et injures contre les Conventionnels, les traîtres, l’« ivrogne Capet » et tous les « capons ». Il incarne son journal dont le nom lui sert de surnom – comme pour Marat.

« Mettre à la gueule du canon tous les accapareurs, les financiers, les avocats, les calotins, et tous les bougres qui n’ont vécu jusqu’à présent que pour le malheur public. »1523

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, fin juillet 1793. Anthologie de la subversion carabinée (2008), Noël Godin

Hébert a pris le relais de Marat, en plus extrême. Dans son journal, il élargit la notion de suspect, multiplie les appels aux meurtres et adopte le programme des Enragés. Le Père Duchesne, seul grand journal populaire après la disparition de Marat et de L’Ami du peuple, aura jusqu’à 200 000 lecteurs. C’est dire l’influence de tels propos.

Le 17 septembre, la loi des Suspects permet d’arrêter « tous ceux qui doivent être considérés comme défavorables au régime nouveau ». La Terreur sera alors légalisée.

Jacques Roux : le Petit Marat, le Curé rouge, le Prêtre des sans-culottes

« Désarmez les citoyens tièdes et suspects, mettez à prix la tête des émigrés conspirateurs […] Prenez en otage les femmes, les enfants des traîtres à la patrie. »1411

Jacques ROUX (1752-1794), 17 mai 1792. Jacques Roux et le Manifeste des Enragés (1948), Maurice Dommanget

Discours prononcé à Notre-Dame, imprimé, vendu au profit des pauvres. Le chef des Enragés conclut : « Rappelez-vous surtout que l’Angleterre ne se sauva qu’en rougissant les échafauds du sang des rois traîtres et parjures. » L’escalade de la pensée terroriste est claire. C’est le langage de la terreur, avant la Terreur.

Au club des Cordeliers (celui des extrémistes), on appelle Jacques Roux le Petit Marat. C’est aussi le Curé rouge et le Prêtre des sans-culottes – vicaire, il fut l’un des premiers « jureurs » à la Constitution civile du clergé. Prêtre bien noté par sa hiérarchie à la veille de 1789, idolâtré de ses fidèles pour sa générosité, il est en quelque sorte révélé à la politique par la prise de la Bastille et converti à la Révolution. Il prononce alors son premier « prêche civique ».

Précurseur d’une forme de socialisme et précurseur de l’anarchisme, applaudi par les paroissiens et les gardes nationaux, mais aussitôt suspect à l’Église, il est bientôt révoqué, frappé d’interdit par l’évêque.

« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément ; l’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche exerce le droit de vie et de mort sur ses semblables. »1517

Jacques ROUX (1752-1794), Manifeste des Enragés, Convention, 25 juin 1793. 1789, l’An un de la liberté : études historiques, textes originaux (1973), Albert Soboul

Vicaire ultra-révolutionnaire aux premières heures de 1789, le chef des Enragés n’a été ni élu à la Convention ni nommé au Tribunal révolutionnaire. Le Curé rouge mène donc son combat révolutionnaire en marge du parlementarisme, cherchant à dresser le pays réel contre le pays légal. « Les riches seuls ont profité depuis quatre ans des avantages de la Révolution. » Il dénonce « l’aristocratie marchande plus terrible que l’aristocratie nobiliaire et sacerdotale ». Favorable à un vrai terrorisme économique, il demande la peine de mort contre les accapareurs.

Son manifeste – dont le constat est en partie exact – soulève contre lui tous les députés, même son ami Marat qui le traite de « patriote de circonstance » ! De plus en plus isolé, arrêté en septembre, il se poignarde, plutôt que d’être jugé par le Tribunal révolutionnaire.

Révolutionnaires extrêmes du peuple de Paris : les sans-culottes

« Guerre aux tyrans ! Guerre aux aristocrates ! Guerre aux accapareurs ! »1531

Mots d’ordre des sections populaires des sans-culottes, 5 septembre 1793. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Un long cortège d’émeutiers, précédé de Pache (élu maire de Paris), encadré par les Hébertistes et les Enragés, s’ébranle de l’Hôtel de Ville à la Convention. Les sans-culottes n’ont pas besoin de violence pour faire plier l’Assemblée comme au 2 juin (insurrection populaire ayant abouti à l’arrestation des députés girondins). Elle cédera à la plupart de leurs revendications économiques, mais pas à la destitution des nobles.

« La Terreur est à l’ordre du jour. »1532

Convention, Décret du 5 septembre 1793. Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire en l’An II, 1793-1794 (1973), Albert Soboul

La pression populaire est impressionnante. Une députation du club des Jacobins soutient les sans-culottes à l’Assemblée. Pour éviter d’être débordée, la Convention cède en se plaçant sur le plan du droit. Une Première Terreur (six semaines) avait succédé au 10 août 1792. Cette fois, elle va prendre une autre ampleur et mériter bientôt le nom de Grande Terreur.

« Il faut raccourcir les géants
Et rendre les petits plus grands,
Tout à la même hauteur
Voilà le vrai bonheur. »1597

Portrait du sans-culotte, chanson anonyme. Les Sans-culottes parisiens en l’an II (1968), Albert Soboul

C’est l’homme nouveau vu par la sans-culotterie. C’est le règne de l’égalité prise au pied de la lettre ! C’est aussi la négation du grand homme, du héros en tant qu’individu, au bénéfice du héros collectif, le peuple, incarné par le sans-culotte. « De la première page à la dernière, elle [la Révolution] n’a qu’un héros : le peuple. » Jules Michelet, Le Peuple.

Carrier : le Missionnaire de la Terreur, le Tigre de l’Ouest

« Les monstres ! Ils voudraient briser les échafauds ; mais, citoyens, ne l’oublions jamais, ceux-là ne veulent point de guillotine qui sentent qu’ils sont dignes de la guillotine. »1565

Jean-Baptiste CARRIER (1756-1794), fin 1793. La Justice révolutionnaire (1870), Charles Berriat-Saint-Prix

Député à la Convention, membre actif aux Cordeliers et aux Jacobins, il parle sans les nommer des modérés : Danton et Camille Desmoulins souhaitent que cesse le régime de la Terreur et que vienne le temps de l’indulgence.

C’est le moment où Carrier va mériter son surnom de « missionnaire de la Terreur » (Jules Michelet) et de Tigre de l’Ouest. Envoyé dans l’ouest de la France pour mater l’insurrection des Chouans et autres contre-révolutionnaires de la guerre de Vendée, il arrive en un seul jour au chiffre de 800 morts à Nantes (la veille de Noël 1793). Un record, pour l’époque. Au total et en fin de mission, quand viendra pour lui le temps du jugement et du châtiment, on lui reprochera 10 000 morts : fusillés, guillotinés, noyés, victimes du typhus.

« Nantes, dans une paix profonde / Jouissait de la liberté
Lorsque Carrier, cette âme immonde, / Trouble cette heureuse cité.
Depuis que tu parus à Nantes, / Le fleuve autrefois si vanté,
N’a roulé que des eaux sanglantes / À l’océan épouvanté. »1566

Tout est lugubre dans l’histoire, début de l’année 1794, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Sous-titré : « Complainte sur les horreurs de la guerre commises à Nantes par Carrier ». Ce sont les fameuses noyades.

Carrier, en zélé missionnaire de la Terreur, parle de « déportation verticale » et la Loire, sous sa plume, mérite le nom de « fleuve républicain » et « baignoire nationale ». Les prêtres réfractaires sont les premiers visés par ces noyades collectives. Autre pratique, les « mariages républicains » : un homme est accouplé avec une femme, ou un curé avec une sœur, ligotés dans des postures obscènes et plongés dans le fleuve. Les enfants ne sont pas épargnés, ni les nourrissons à la mamelle ni les vieillards. La vue de ces atrocités égara, dit-on, la raison de Carrier, déjà compromise par l’alcoolisme.

Le massacreur a des exécutants efficaces et dévoués. Fusillades, mitraillades, canonnades, incendies pallient les lenteurs de la guillotine - qui reste l’instrument de supplice le plus quotidien et symbolique de la Révolution devenue Terreur.

« Tout est coupable ici, jusqu’à la sonnette du président. »1613

JEAN-BAPTISTE CARRIER (1756-1794), au Tribunal révolutionnaire qui l’accuse d’excès, 27 novembre 1794. Fouquier-Tinville, accusateur public (1961), Pierre Labracherie

Au procès, cet authentique criminel de guerre se montre à la fois indigne et maladroit, niant toute culpabilité, chargeant ses exécutants et menaçant l’Assemblée d’une « proscription inévitable », s’il était condamné. Envoyé en mission en Normandie, puis en Bretagne, il fit fusiller ou noyer tous les suspects des prisons.

91 autres bourreaux sont jugés après le coup d’État de Thermidor contre la dictature de Robespierre. Trois seulement seront exécutés, Pinard, Grandmaison et Carrier.

Fouquier-Tinville : le Pourvoyeur de la guillotine

« Les têtes tombaient comme des ardoises. »1595

FOUQUIER-TINVILLE (1746-1795), après la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794). Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin.

Parole d’accusateur public, chargé de tous les grands procès sous la Terreur à Paris.

Deux jours après la fête de l’Être suprême cher à Robespierre, la loi de Prairial énumère tous les ennemis du peuple promis à l’échafaud et justiciables du Tribunal révolutionnaire. Ce n’est plus qu’une parodie de justice : l’instruction est supprimée (article 12), l’accusé privé du secours d’un avocat (article 16), l’audition des témoins n’est plus nécessaire, s’il y a une preuve matérielle ou simplement « morale » (article 13).

Fouquier-Tinville se réjouit du nombre de têtes et ajoute : « Il faut que ça aille mieux encore la décade prochaine, il m’en faut quatre cent cinquante au moins. » Pour cela, on passe commande aux « moutons », chargés d’espionner les suspects dans les prisons.

C’est la Grande Terreur : plus de 1 300 exécutions à Paris, du 10 juin au 27 juillet (9 thermidor). Selon une étude de Donald Greer qui fait référence, 16 600 victimes sont exécutées en France après condamnation par une cour de justice révolutionnaire – avec près de 500 000 arrestations, de mars à juillet 1794.

Fouché : le Mitrailleur de Lyon

« La mort est un sommeil éternel. »1547

Joseph FOUCHÉ (1759-1820), octobre 1793. Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Édifiante inscription qu’il impose sur les portes des cimetières où il fait disparaître tout symbole chrétien, dans les provinces placées sous son contrôle. Missionné par Marat, en août dans la Nièvre où il agit de concert avec Chaumette, il supprime également toutes les « enseignes religieuses » qui se trouvent sur les routes, sur les places et autres lieux publics, dans le cadre d’une politique de déchristianisation systématique, au nom du culte de la Raison.

Ancien élève des Oratoriens qui deviendra ministre de la police sous le Directoire et le restera sous l’Empire, il s’est rallié aux idées révolutionnaires en 1789. Élu à la Convention, il va réprimer l’insurrection fédéraliste et royaliste en novembre 1793 à Lyon (avec Collot d’Herbois). Son ardeur lui vaudra le surnom de Mitrailleur de Lyon, le canon remplaçant la guillotine trop lente pour exécuter les condamnés par centaines.

« Abolissons l’or et l’argent, traînons dans la boue ces dieux de la monarchie, si nous voulons faire adorer les dieux de la République, et établir le culte des vertus austères de la liberté. »1548

Joseph FOUCHÉ (1759-1820). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Selon d’autres sources : « Avilissons l’or et l’argent… » En tout cas, il a bien retenu la leçon des nouveaux maîtres de la France, Robespierre et Saint-Just.

Toujours très actif contre le culte établi, Fouché vient de rafler d’autorité les métaux de la Nièvre arrachés aux églises. Il écrit ces mots à la Convention, affectant un superbe dédain pour la richesse. La Convention recevra ces trésors le 7 novembre 1793. Le zèle des patriotes locaux impose un peu partout l’échange des métaux contre les assignats. Un emprunt forcé du 3 septembre (sur les « riches égoïstes ») n’a pas suffi à assainir les finances d’une Révolution à qui la guerre extérieure coûte très cher.

La sincérité de la profession de foi de Fouché est plus que douteuse. Selon la rumeur, une partie des trésors ainsi réquisitionnés fut détournée, servant de début à son immense fortune. L’homme, dénué de tout scrupule, se révèle aussi d’une intelligence et d’une habileté hors pair, d’où sa carrière politique.

Madame Tallien : Notre Dame de Bon Secours, Notre Dame de Thermidor

« Quel roman que ma vie ! »

Thérésa CABARRUS, dite Madame TALLIEN (1773-1835), Michel Peyramaure, La Reine de Paris (2008)

Beaucoup de personnages historiques ont pu le penser. Napoléon l’a écrit. Le jeune Napoléon Bonaparte a d’ailleurs rencontrée Madame Tallien, séduit par cette femme aussi belle que spirituelle, certes un peu trop libre à son goût (la « putain de Paris » est alors la maitresse de Barras), mais il a finalement épousé l’une de ses amies tout aussi frivole, Joséphine de Beauharnais qui fréquentait les mêmes salons très mondains.

L’originalité véritablement historique de Madame Tallien est ailleurs, résumée par ces deux surnoms qui disent sa générosité, une qualité rare (surtout à l’époque). Grâce à quoi la petite histoire va changer le cours de l’Histoire.

« Monsieur, si vous m’aidez, je vous serais éternellement reconnaissante. »

Thérésa CABARRUS, dite Madame TALLIEN (1773-1835), lettre à Tallien

Jeune aristocrate espagnole séduite par les idéaux des Lumières, elle a cru que la Révolution était un jeu, un passionnant sujet de conversation en société. Elle a tenu salon dans son hôtel du Marais à Paris. Entraînée par ses amis, elle s’est inscrite au Club de 1789 où se façonnaient toutes les idées progressistes. Elle recevait les élites révolutionnaires, Mirabeau, La Fayette, Rivarol, Lepeltier de Saint-Fargeau son amant de l’époque. Elle s’amusait du tutoiement citoyen et se coiffait de la cocarde tricolore. Grande, élancée, brune, elle se flattait à vingt ans d’être l’une des attractions de cette époque exaltée.

Au printemps 1793, la proscription des Girondins par la Montagne marque la fin de l’insouciance. Elle émigre avec sa fille vers Bordeaux, pour retrouver ses deux frères. Déjà généreuse et détestant l’injustice, elle intervient auprès de révolutionnaires pour faire libérer sa famille et les premières victimes de la Terreur. Elle tombe sous le coup de la loi des suspects, votée par la Convention.

Arrêtée, à la veille d’être guillotinée, elle en appelle à Tallien dont tout dépend : c’est l’homme chargé de faire appliquer les décrets du Comité de salut public. Il vient la voir dans sa geôle du château du Hâ, près de Bordeaux : pour lui, c’est un coup de foudre qui va changer sa vie… et sauver la sienne. Il la fait libérer, il va l’installer chez lui. Il lui offre une vie fastueuse, il lui fait un enfant et lui permet de protéger nombre de suspects, avec une telle générosité qu’on la surnomme Notre-Dame de Bon-Secours.

Fouché à Lyon et Carrier à Nantes ont des résultats beaucoup plus « satisfaisants », alors que trop de suspects sont acquittés à Bordeaux. Tallien est convoqué à Paris par le Comité de salut public.

« Je meurs d’appartenir à un lâche. »

Thérésa CABARRUS, dite Madame TALLIEN (1773-1835), lettre à Tallien

Accusée d’avoir une trop grande influence sur lui, Thérésa se retrouve  emprisonnée à La Force et risque de nouveau la guillotine. Furieuse que son amant n’intervienne pas pour la sauver et n’ose tenir tête à Robespierre, elle lui écrit ces mots.  Piqué au vif, Tallien réagit. Il entre dans la conjuration contre Robespierre et s’illustre à la Convention, le 27 juillet (9 Thermidor an II), empêchant Saint-Just de prendre la parole pour défendre la ligne dure de la Révolution.

Libérée, Thérésa est désormais surnommée « Notre-Dame de Thermidor », car la révolution thermidorienne sauve de nombreuses vies. William Pitt, le plus jeune Premier ministre d’Angleterre (premier pays de monarchie constitutionnelle), apprenant l’attitude de la jeune femme qui poussa Tallien à agir aura ce mot superbe : « Cette femme serait capable de fermer les portes de l’enfer. »

Lire la suite : Les Surnoms - jeu de mots entre petite et grande Histoire (L’épopée napoléonienne)

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