Les Surnoms - jeu de mots entre petite et grande Histoire (Renaissance et Guerres de Religion) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Les surnoms

II. Renaissance et Guerres de Religion

En un siècle et demi, de la Renaissance au règne personnel de Louis XIV, la France se métamorphose avec une galerie de personnages toujours vivants dans la mémoire collective et bien typés par leurs surnoms.

Anne de France : Anne de Beaujeu, Madame la Grande

« C’est la moins folle femme du monde, car de sage il n’y en a guère. »413

LOUIS XI (1423-1483). Les Arts somptuaires : histoire du costume et de l’ameublement, volume II (1858), Charles Louandre

Tel est le jugement du roi mourant – et misogyne – sur sa fille aînée Anne de France, 22 ans, à qui il laisse la tutelle du royaume, le 30 août 1483. Charles VIII, fils de Louis XI, est tout juste majeur avec ses 13 ans et sans grande personnalité (il sera surnommé l’Affable).

Le jugement est sévère et le choix est bon. Anne de France (1461-1522), dame de Beaujeu – femme de Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu, confident de Louis XI – va en fait gouverner la France (avec son époux) jusqu’en 1492, et mériter son autre surnom de Madame la Grande : intelligence et force de caractère lui permettent de continuer l’œuvre paternelle et d’affermir le royaume en ces temps difficiles, ainsi résumés par Michelet : « Telle était cette France : jouir ou tuer. »

« Si nous voulons avoir continuellement auprès de nous notre très chère et très aimée sœur la dame de Beaujeu et si nous prenons toute entière confiance en elle, personne ne s’en doit merveiller [étonner], vu que plus proche ne nous pourrait être par lignage ni plus fidèle par amitié. »418

CHARLES VIII l’Affable (1470-1498), Lettre à Louis d’Orléans, 30 janvier 1485. Essai sur le gouvernement de la Dame de Beaujeu : 1483-1491 (1970), Paul Pélicier

Cette réponse à son cousin lui est dictée par Anne et Pierre de Beaujeu. Louis d’Orléans prend alors la tête d’une révolte des nobles contre Madame la Grande. La Guerre folle commence, elle va durer trois ans.

Charles VIII : l’Affable

« Je suis certain que soit de corps, soit d’esprit, [le roi Charles VIII] vaut peu. »423

Ambassadeur de Venise (1492). Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Jugement confirmé par l’ambassadeur de Florence à son gouvernement : « Je pense le voir, bien que par lui-même il ne soit nullement capable de traiter d’affaires sérieuses. Il s’y entend si peu, il y prend si peu d’intérêt que j’ai honte de le dire. »

Charles dit l’Affable (autrement dit, sans personnalité) connaît cependant le latin, aime les arts et les lettres, la chasse et la joute. Mais il souffre à coup sûr de la comparaison avec son père Louis XI et sa sœur Anne de Beaujeu. Et comme le dit Commynes en 1492, non sans indulgence pour ses 22 ans : « il ne faisait que saillir de son nid ».

Louis XII : le Père du peuple

« Il ne serait pas décent et à honneur à un roi de France de venger les querelles d’un duc d’Orléans. »429

LOUIS XII (1462-1515). Chronique (posthume), Humbert Vellay

Il succède à Charles VIII, son beau-frère et dernier des Valois directs, mort à 28 ans - accidentellement et sans descendance, le 7 avril 1498.

Louis d’Orléans, prince frondeur, fait sitôt place au roi de France et rassure en ces termes ses adversaires d’hier - en l’occurrence une députation de la ville d’Orléans qui n’a guère soutenu son duc, lors du conflit avec la Couronne.

Le nouveau roi va prendre à son service comme lieutenant général La Trémoille qui l’a pourtant combattu en Bretagne, le priant d’être loyal à son égard et le confirmant dans tous ses états, offices et pensions. Il fait déjà preuve d’un vrai sens de l’État. Louis XII, très populaire, sera justement nommé « le Père du peuple ».

François Ier : le Roi chevalier, le Roi guerrier, le Père et vrai Restaurateur des lettres, François au Grand nez

« Avant moi [François Ier], tout était grossier, pauvre, ignorant, gaulois. »387

FÉNELON (1651-1715), Dialogues des morts (1692-1696)

Cet auteur de la fin du XVIIe siècle met en scène et oppose Louis XII et François Ier. Baptisé par Brantôme « Père et vrai restaurateur des arts et des lettres », il incarne la Renaissance, avec ses trente-deux années de règne au cœur du beau XVIe qui succède au long Moyen Âge.

Ce ne sont plus seulement les couvents et les universités qui diffusent la culture, les cours donnent l’exemple, pratiquant le mécénat, lançant les modes et cultivant le raffinement. « François Ier, découragé des guerres lointaines, veuf de son rêve d’Italie, se fait une Italie française » (Michelet). Il invite Léonard de Vinci et sa Joconde (achetée 4 000 florins d’or, soit 15 kg), puis d’autres artistes prestigieux, Cellini, le Rosso, le Primatice. Favorable à l’esprit nouveau et bien que peu instruit (il ne sait pas le latin), il protège les savants et les écrivains, secondé par sa sœur Marguerite d’Angoulême (future reine au royaume de Navarre), l’une des femmes les plus cultivées du siècle.

C’est dire que Louis XII se trompait en parlant de son petit-cousin et successeur : « Ce gros garçon gâtera tout. »

« Je suis votre roi et votre prince. Je suis délibéré de vivre et mourir avec vous. Voici la fin de notre voyage, car tout sera gagné ou perdu. »438

FRANÇOIS Ier (1494-1547), à ses troupes, avant la bataille de Marignan, 13 septembre 1515. François Ier, le souverain politique (1937), Louis Madelin

Avec la fougue de ses 21 ans, le nouveau roi se lance dans la cinquième guerre d’Italie, allié à Venise pour la reconquête du Milanais pris, puis perdu par Louis XII. Son armée passe les Alpes, forte des meilleurs capitaines, avec 300 canons et 30 000 hommes : chiffres considérables à l’époque. Le voilà parvenu à Marignan, ville de Lombardie (au sud-est de Milan).

1515, date mémorable, dans l’histoire de France, victoire éblouissante (et chanceuse) du Roi chevalier.

Dix ans après, le Roi guerrier toujours à la tête de ses troupes, assiégeur devenu assiégé, donc piégé, est passé à l’assaut, courageux, mais brouillon et contre l’avis des vétérans qui l’entouraient. Piètre stratège, il a placé son artillerie, l’une des meilleures d’Europe, derrière sa cavalerie, lui ôtant toute efficacité. Il sera vaincu et prisonnier à Pavie, mais toujours avec panache.

« Il est jeune et à la fleur de l’âge, libéral, magnanime, expérimenté et habile à la guerre. Il a bonne paix avec tous ses voisins, en sorte qu’il pourra employer au service de Dieu et de la foi sa personne et tout son avoir, sans que nul le détourne et que rien l’empêche. »445

FRANÇOIS Ier (1494-1547), autoportrait et déclaration de candidature, en 1519. François Ier (1953), duc de Lévis-Mirepoix

Le roi briguait la couronne impériale, à la mort de Maximilien (12 janvier 1519). L’adversaire est de taille : Charles, prince bourguignon (arrière-petit-fils de Charles le Téméraire), devenu prince des Pays-Bas en 1516, puis roi d’Espagne sous le nom de Charles Ier, roi de Sicile sous le nom de Charles IV, héritant par sa mère des possessions espagnoles de l’Amérique latine (mines d’or et d’argent inépuisables) et par son père des terres héréditaires des Habsbourg !

Charles l’emporte naturellement dans cette compétition par ailleurs « truquée ». Une fois élu, il devient empereur du Saint Empire romain germanique, le 28 juin 1519 à la Diète de Francfort. Il sera Charles Quint pour l’histoire. Et l’histoire de France en est changée. Le nouvel ennemi héréditaire n’est plus l’Anglais, mais le Habsbourg, trop puissant, rêvant de dominer toute l’Italie et voulant récupérer la Bourgogne de ses ancêtres, « tyranniquement et indûment détenue et occupée par le roi de France ». Face à Charles Quint, nos guerres vont devenir plus défensives qu’offensives. Mais François Ier reste l’un de nos plus grands rois.

Quant au « Grand nez », il n’est qu’à regarder ses portraits : tous les Bourbons afficheront fièrement ce nez « bourbonien », particulièrement visible (surtout de profil !) chez Henri IV et Louis XIV.

Bayard : le Chevalier sans peur et sans reproche

« Il n’y a point de place faible, là où il y a des gens de cœur pour la défendre. »449

BAYARD (vers 1475-1524), à François Ier, 31 août 1521 à Mézières. Biographie universelle des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes (1836), François-Xavier Feller

Pierre du Terrail, seigneur de Bayard, « chevalier sans peur et sans reproche » pour l’Histoire, veut convaincre François Ier de défendre Mézières contre les troupes de Charles Quint, malgré le mauvais état des fortifications (le nom de la ville dérive du latin maceriae, murailles). La sixième guerre d’Italie – première guerre contre Charles Quint – commence, le projet d’alliance avec le roi d’Angleterre ayant échoué. François Ier a voulu éblouir Henri VIII, déployant tous les fastes de sa cour au camp du Drap d’Or (juin 1520). Il n’a réussi qu’à l’humilier.

Bayard, assiégé, va défendre victorieusement la ville contre les Impériaux. Une chanson patriotique salue son exploit : « Le comte de Nansault (Nassau) / Tu es bien abusé / De nous donner l’assault. »

« Monsieur, il n’y a point de pitié en moi, car je meurs en homme de bien. Mais j’ai pitié de vous, de vous voir servir contre votre prince, et votre patrie, et votre serment. »452

BAYARD (vers 1475-1524), à l’ex-connétable de Bourbon - son mot de la fin. Traité des Études ou De la manière d’enseigner et d’étudier les Belles-Lettres (1841), Charles Rollin

Mortellement blessé en couvrant la retraite de l’armée française au passage de la Sesia en Piémont, le 30 avril 1524, il reproche à Charles de Bourbon d’être à présent lieutenant de l’ennemi, Charles Quint.

La vie de Bayard sera d’abord écrite par son écuyer qui signe le Loyal Serviteur. À cette race de « chevalier sans peur et sans reproche » s’applique bien la phrase de Montaigne : « La plus volontaire mort, c’est la plus belle. » Dans la littérature de ce XVIe siècle qui renaît et rayonne, entre Moyen Âge et période classique, en ce siècle plein de bruits, de fureurs, de guerres, la mort revient comme un thème obsédant.

Calvin : le Pape de Genève

« Hérétiques séducteurs, imposteurs maudits, c’est ainsi que le monde et les méchants ont coutume d’appeler ceux qui, purement et sincèrement, s’efforcent d’insinuer l’Évangile dans l’âme des fidèles. »461

Nicolas COP (vers 1501-1540), Discours inaugural du recteur de l’Université de Paris, 1er novembre 1533. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Texte attribué à un jeune étudiant en hébreu, grec et théologie au Collège royal, Jean Cauvin, passé à la postérité sous le nom de Calvin (1509-1564). S’il n’est pas vraiment de sa plume, il l’a du moins influencé.

Le discours fait du bruit : on parle beaucoup de la Réforme dans l’Église. L’humanisme a conduit à l’évangélisme (diffusé par le « cercle de Meaux » à présent dispersé), mais ce retour aux sources de l’Évangile risque de mener plus loin : au schisme religieux. La très catholique Sorbonne, conservatrice par nature, voit venir le danger qui a pris visage et doctrine de Luther à Genève : on a déjà marqué au fer rouge, brûlé, exécuté quelques luthériens à Paris.

« Plût à Dieu que dans notre siècle malheureux, nous établissions la paix dans l’Église sur le fondement de la parole, plutôt que sur celui du glaive. »462

Nicolas COP (vers 1501-1540), Discours inaugural du recteur de l’Université de Paris, 1er novembre 1533. La Réforme en France jusqu’à l’Édit de Nantes (1960), Auguste Bailly

C’est toujours Calvin qui s’exprime, ou sa pensée. Il vient d’adhérer à la Réforme venue de Suisse et n’est que trop conscient du péril : la conclusion de ce beau texte résonne comme une prophétie du « Pape de Genève ». Le glaive va déchirer la France pendant les guerres de Religion (1562-1598), protestants contre catholiques.

Catherine de Médicis : la duchessina, l’Italienne, la Banquière, la Fille de marchands

« Divide ut regnes. »
« Divise, afin de régner. »498

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), maxime politique

Autre formulation et même signification : « Divide et Impera. » Maxime du Sénat romain, énoncée par Machiavel, adoptée par Louis XI et reprise en 1560  par la nouvelle régente.

Unique héritière de la considérable fortune des Médicis, elle prit le titre de duchesse d’Urbino qui lui valut son premier  surnom de duchessina (la petite duchesse) donné par les Florentins.

En France, c’est l’Italienne plus ou moins bien accueillie qui apporte le raffinement d’un pays dont la Renaissance a un siècle d’avance.  Pour les courtisans toujours jaloux, c’est la Banquière ou la Fille des marchands, riche d’une dot de 100 000 écus d’argent et 28 000 écus de bijoux. Le mariage avec le dauphin (futur Henri II)  fut « arrangé » entre François Ier et le pape, mais après sa mort, la dette ne sera jamais payée.

Malgré la « légende noire » qui écrit toujours l’histoire à sa façon, c’est une femme intelligente et cultivée qui devient reine de France à la mort de François Ier. Après presque trente années d’effacement derrière le roi Henri II, les favorites (Diane de Poitiers en tête) et les conseillers, Catherine de Médicis se retrouve veuve, suite à la mort accidentelle du roi (blessure à l’œil d’un coup de lance, donné par le comte de Montgoméry, capitaine des gardes et régicide involontaire). Elle va gouverner la France pendant près de trente autres années, marquées par les guerres de Religion.

« Dieu m’a laissée avec trois enfants petits et un royaume tout divisé, n’y ayant aucun à qui je puisse entièrement me fier. »499

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à sa fille Élisabeth, janvier 1561. Le Siècle de la Renaissance (1909), Louis Batiffol

(Élisabeth de France est reine d’Espagne, par son mariage avec Philippe II qui l’a fait venir en sa cour, la destinant d’abord à son fils Don Carlos. C’est tout le drame de l’opéra Don Carlo, de Verdi.)

Catherine de Médicis n’a plus qu’une ambition : assurer le règne de ses fils dont la santé, minée par la tuberculose, justifiera de sombres prédictions. Elle va manœuvrer entre les partis, intriguer avec les intrigants contre d’autres intrigants : «  Divide ut regnes. »

Elle commence par renvoyer les Guise (catholiques ultra). Antoine de Navarre (protestant, mais sans vraie conviction comme son fils, le futur Henri IV) devient lieutenant général du royaume et catholique opportuniste. Michel de L’Hospital, promu chancelier, sera son principal ministre. La vraie religion de ce grand juriste est la tolérance. Rêve impossible, comme le prouvera le massacre de la Saint-Barthélemy, ses prémisses et ses conséquences.            

Pierre de Ronsard : Prince des poètes et poète des princes

« Sire, ce n’est pas tout que d’être Roi de France,
Il faut que la vertu honore votre enfance :
Un Roi sans la vertu porte le sceptre en vain,
Qui ne lui sert sinon d’un fardeau dans la main. »505

Pierre de RONSARD (1524-1585), L’Institution pour l’adolescence du Roi Très Chrétien (1562)

Le principal poète de la Pléiade esquisse un plan d’éducation en alexandrins, puis passe à l’art de gouverner et aux devoirs d’un roi à peine âgé de 12 ans, dans une France déchirée par la guerre civile. Charles IX, tombé littéralement sous le charme de Ronsard, lui aménagera un appartement à l’intérieur de son palais.

Dans l’histoire, d’autres grands noms des lettres seront préposés à l’éducation des princes ou dauphins et prendront cette tâche fort à cœur, comme Bossuet et Fénelon au XVIIe siècle.

« Je puis donner la mort,
Toi l’immortalité. »517

CHARLES IX (1550-1574), à Ronsard : Ton esprit est, Ronsard…

Le poème royal commence ainsi : « Ton esprit est, Ronsard, plus gaillard que le mien ; / Mais mon corps est plus jeune et plus fort que le tien… »

Rendant hommage au poète engagé et enflammé des Discours, il continue : « L’art de faire des vers, dût-on s’en indigner, / Doit être à plus haut prix que celui de régner. / Tous deux également nous portons des couronnes ; / Mais roi, je la reçus ; poète, tu la donnes. » Le jeune roi se sait malade et mourra à 24 ans de la tuberculose. Ronsard lui survit et connaîtra une demi-disgrâce.

« Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. »546

Pierre de RONSARD (1524-1585), Sonnet à Hélène (1578)

Le poète s’est retiré de la cour après la mort de Charles IX, Henri III ayant ramené de Pologne où il régnait provisoirement  son poète favori, le jeune Desportes. Renonçant à l’engagement politique, Ronsard chante ici une fille d’honneur de Catherine de Médicis, Hélène de Surgères, aussi remarquable en beauté qu’en vertu et en intelligence, inconsolable d’avoir perdu son fiancé dans une guerre de Religion en 1570. La reine invite Ronsard à l’immortaliser.

Il écrit d’abord « par ordre », puis reprend goût à ce genre pétrarquiste, comme à l’amour qui lui inspire alors ses plus beaux poèmes à l’automne de sa vie : les Amours d’Hélène. Ce «  carpe diem » inspiré de l’Antiquité est symbolique du style de la Renaissance et de tout ce siècle si pressé de vivre, de « jouir ou tuer » (Jules Michelet), aussi obsédé par l’idée de la mort qu’enchanté par l’amour. Ronsard mourra le 27 décembre 1585 à Saint-Cosme.

Deux mois plus tard, à Paris, il a droit à des funérailles solennelles, premier poète français à être ainsi honoré. Il mérite bien son double surnom : Prince des poètes et poète des Princes.

Henri de Guise : le Balafré, le Roi de Paris

Quand ses partisans évoquaient les menaces sur sa vie venant du camp du roi :
« Il n’oserait. »565

Henri de GUISE (1550-1588), parlant du roi, fin 1588. Fière réplique, reprise par Alexandre Dumas, Henri III et sa cour (1829)

L’histoire récente donnait pourtant l’exemple de grands chefs de parti assassinés, protestants comme catholiques, à commencer par son père François de Guise (1563) - également surnommé « le Balafré », grièvement blessé au siège de Boulogne en 1544, avant son fils, Balafré à la bataille de Dormans en 1575. Ces cicatrices au visage portées à l’arme blanche étaient fréquentes à l’époque. Autres assassinats, le prince de Condé (1569), l’amiral de Coligny (1572). Avant que vienne le tour des rois, Henri III et Henri IV.

Mais l’orgueil aveugle Henri de Guise qui méprise Henri III, d’autant plus qu’il jouit d’une grande popularité dans la capitale, surnommé le Roi de Paris après la journée des Barricades, 15 mai 1588. Son rôle dans cette insurrection pousse le roi à le faire éliminer.

« Mon Dieu qu’il est grand ! Il paraît encore plus grand mort que vivant. »566

HENRI III (1551-1589), face au corps du duc de Guise, château de Blois, 23 décembre 1588. Journal de Henri III (posthume), Pierre de l’Estoile

Il a osé : ordre donné aux Quarante-Cinq (garde personnelle du roi, immortalisée par le roman de Dumas) d’assassiner Henri le Balafré, ainsi que son frère Louis, cardinal de Lorraine – arrêté, exécuté le lendemain dans sa prison.

Henri III : Roi de la basoche

« Les autres ne sont rien où nous ne parlons point. »541

HENRI III (1551-1589). Lettres de Henri III de France, recueillies par Pierre Champion. Revue d’histoire de l’Église de France, année 1960, n° 143

Affirmation de puissance de la Majesté royale. On croirait presque entendre Louis XIV, mais le temps de la monarchie absolue n’est pas encore venu et Henri III n’a pas la force de caractère de Louis le Grand.

Le personnage est diversement jugé, par les contemporains comme par les historiens. Brave, intelligent, travailleur, cultivé, il veut faire l’unité de la France autour de lui. On lui doit d’importantes réformes judiciaires et institutionnelles qui lui valent le surnom de Roi de la basoche. La grande ordonnance de Blois (mai 1579) reprend et clarifie toutes les lois antérieures sur l’organisation de l’Église, la justice, l’enseignement, la fiscalité, le commerce, le gouvernement des provinces, etc. Le « code Henri III » (1587) se veut recueil « des ordonnances françaises réduites en sommaires à la forme et modèle du droit romain ».

Mais le roi est trop souvent indécis et son homosexualité (supposée) lui fait accorder un crédit excessif à ses Mignons, Épernon et Joyeuse. Les désordres du temps ne favorisent pas non plus l’autorité royale. Il va devoir affronter les quatre dernières guerres de Religion, chaque paix signée relançant la suivante ! Heureusement, le parti des « Politiques » vient à son secours : un de leur manifeste fait apparaître l’expression de « lois fondamentales du royaume » en 1575.

« Je me suis proposé pour unique fin le bien, salut et repos de mes sujets. En cette intention, j’ai finalement pris la voie de douceur et réconciliation, de laquelle l’on a déjà recueilli ce fruit qu’elle a éteint le feu de la guerre dont tout ce royaume était enflammé. »544

HENRI III (1551-1589), Discours aux États généraux de Blois, 6 décembre 1576. Henri III, les débuts de la Ligue, 1574-1578 (1887), Berthold Zellar

La volonté royale ne fait pas de doute, mais son pouvoir est insuffisant et le temps n’est pas encore venu de la modération et des Politiques. Les princes protestants ont battu l’armée royale. Par la paix de Monsieur – ou paix de Beaulieu, en mai 1576 –, ils gagnent la liberté de culte (hors Paris) et de nombreuses places fortes dans le Midi. Les victimes de la Saint-Barthélemy sont réhabilitées, leurs biens restitués aux familles. D’autres mesures financières vident le Trésor, Catherine de Médicis met ses bijoux en gage, mais ça ne suffit pas ! D’où la convocation des États généraux.

Cette paix mécontente les ultra-catholiques. Des ligues de défense de la religion se créent en Picardie, puis un peu partout, bientôt unies en Ligue (Sainte Ligue ou Sainte Union), derrière le duc de Guise, avec l’appui du pape et du roi Philippe II d’Espagne. La sixième guerre de Religion commence.

Anne de Joyeuse, Épernon et autres compagnons du roi : les Mignons

« Ce sont eux [les mignons] qui à la guerre ont été les premiers aux assauts, aux batailles et aux escarmouches, et s’il y avait deux coups à recevoir ou à donner, ils en voulaient avoir un pour eux, et mettaient la poussière ou la fange à ces vieux capitaines qui causaient [raillaient] tant. »559

BRANTÔME (1540-1614). Lexique des œuvres de Brantôme (1880), Ludovic Lalanne

Homme de cour autant que de guerre, il défend ici, en témoin direct, la réputation des mignons du roi.

Henri III les couvrit de biens et d’honneurs, ils furent en retour fidèles au roi et vaillants au combat. Quand ils mouraient l’arme à la main, le roi était affecté plus que de raison – avec des témoignages d’une passion tournant parfois au mysticisme, exposant leur corps sur un lit de parade et conservant leur chevelure en relique. Ses adversaires nombreux dénoncent ses manières efféminées comme ses mœurs frivoles – entre homo, hétéro, bisexuel dirait-on aujourd’hui.

Michelet confirme pourtant le témoignage de Brantôme dans son Histoire de France : « Puisque ce mot de mignon est arrivé sous ma plume, je dois dire pourtant que je ne crois ni certain ni vraisemblable le sens que tous les partis, acharnés contre Henri III, s’acharnèrent à lui donner […]

Plusieurs des prétendus mignons furent les premières épées de France. » Ainsi, le duc Anne de Joyeuse qui meurt à 26 ans, à la tête des ligueurs : la bataille de Coutras (20 octobre 1587) est une victoire pour Henri de Navarre. Mais la Ligue bat un peu plus tard les protestants alliés à des mercenaires allemands et suisses – à Vimory et Auneau. La violence répond toujours à la violence, jusqu’à l’édit de pacification signé à Nantes par  Henri IV (1598).

Notons que sous la monarchie à venir, les « mignons » deviendront les « favoris » - et l’ambiguïté sexuelle se posera chez Louis XIII. L’histoire (petite ou grande) est un éternel recommencement.

Naissance de la monarchie absolue

Henri IV : le Grand, le Vert Galant

« Vive Henri IV
Vive ce roi vaillant !
Ce diable à quatre
A le triple talent
De boire et de se battre
Et d’être un Vert Galant ! »605

Vive Henri IV, chanson anonyme. Chansons populaires du pays de France (1903), Jean-Baptiste Weckerlin

Ce premier couplet est contemporain du roi. Au fil des années et des siècles, d’autres s’ajoutent, à mesure qu’Henri IV devient l’un des mythes de l’histoire de France. Le culte du bon roi Henri atteint son apogée au XVIIIe siècle. La Partie de chasse d’Henri IV (1774), pièce de Charles Collé qui reprend la chanson fait un triomphe, après les foudres de la censure – la comparaison se fait fatalement au désavantage de Louis XV qui n’est plus le Bien-Aimé en fin de règne.

Le caractère public des amours royales dépasse la médiatisation qu’en fera la presse people. Que ce soit pour applaudir ou médire, pour dire la vérité ou répandre la rumeur, chansons et pamphlets (souvent anonymes) sont les premiers médias populaires. Mais la vie privée du roi justifie sa réputation de Vert Galant. Sa progéniture est à l’image de sa santé amoureuse, exceptionnelle, et il légitime souvent ses enfants nés hors mariage – premier roi de France qui ose cela. Quant au nombre de favorites, sur un temps de vie et de règne plus court, il bat largement les deux autres grands amoureux, Louis XIV et Louis XV. On avance le nombre de 73.

L’amour des femmes est aussi le point faible du roi. Il mettra en danger la paix du royaume pour littéralement courir après sa dernière maîtresse, Charlotte Marguerite de Montmorency : elle a 15 ans et lui 56.

Mais le Vert Galant, si plaisant qu’il soit et si présent dans la « petite histoire », ne doit pas faire oublier l’essentiel. Henri IV mérite son autre surnom : le Grand.

« Le personnage du Béarnais grandit en Majesté débonnaire et naturelle au fur et à mesure que s’étend le rôle qui lui est dévolu par l’Histoire. »604

Emmanuel LE ROY LADURIE (né en 1929), L’État royal : de Louis XI à Henri IV, 1460-1610 (1987)

La personnalité d’Henri IV est forgée par les circonstances, notamment la situation très particulière et difficile dans laquelle ce « roi de droit et fort peu de fait » prendra possession du royaume. Il lui faut tout simplement le conquérir, ce qui lui demandera dix ans !

Indulgent et politique, généreux et sachant pardonner, mêlant l’humour à la bonhomie, mais autoritaire, versatile et capable des pires coups de tête, il a – dirait-on aujourd’hui – un évident charisme. Aisance personnelle déconcertante, panache militaire éclatant, prise directe sur les hommes, telles seront les clés de la réussite du nouveau roi.

Passionnément discuté de son vivant, adulé des Béarnais de Paris qu’il couvre de ses faveurs, il devient l’objet d’un culte national, après sa mort. L’assassinat par Ravaillac y contribue. Si la popularité se mesure au ton et au nombre des chansons, Henri IV est le premier de nos rois. Il a aussi le sens du Verbe autant que de l’Action, indispensable aux grands personnages.

« Je suis votre chef, mon royaume est mon corps, vous avez cet honneur d’être les membres, d’obéir et d’y apporter la chair, le sang, les os et tout ce qui en dépend. »579

HENRI IV (1553-1610), au Parlement de Bordeaux. Lettres et négociation de Paul Choart… et de François d’Aerssen…, 1598-1599 (1846), Paul Choart de Buzanval, baron François van Aerssen

Après des rois faibles et à travers la tourmente d’une dernière guerre de Religion qui occupera la moitié de son règne, il incarne ce pouvoir royal qu’il doit réaffirmer face à bien des formes d’opposition : les Grands qui agissent encore en féodaux, les assemblées de notables indisciplinés, les Parlements rebelles. Selon les circonstances, il use habilement de la menace ou de la bonhomie, de l’autoritarisme ou de l’ironie, pour neutraliser ces corps intermédiaires.

« Voici le preux Henry, le monarque françois,
À qui Mars a cédé tout l’honneur de la guerre,
Rien n’importe qu’ici tu n’entendes sa voix
Quand le bruit de ses faits remplit toute la terre. »609

Quatrain sous une gravure d’Henri IV (1599). « The Politics of Promiscuity : Masculinity and Heroic Representation at the Court of Henry IV », Katherine B. Crawford, French Historical Studies (printemps 2003)

Un signe qui ne trompe pas : le roi est souvent représenté comme un chevalier de la Renaissance, galopant, épée pointée sur l’ennemi. On le voit aussi en imperator romain couronné de lauriers, quand ce n’est pas en Hercule gaulois ou en Atlas portant la Terre. En attendant le Roi Soleil et Louis XIV le Grand à qui nul ne conteste ce surnom, Henri IV mérite d’être le Grand dans l’Histoire de France.

Gabrielle d’Estrées : la Duchesse d’Ordures, la Presque reine

« Je me passerais mieux de dix maîtresses comme vous, que d’un serviteur comme lui. »647

HENRI IV (1553-1610), à Gabrielle d’Estrées, 1599. Dictionnaire historique, critique et bibliographique (1822), Louis Maïeul Chaudon

Sa belle maîtresse vient de se plaindre de Sully qu’elle appelle un « valet ».

Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de Sully (et bientôt premier au Conseil et pair de France), un de ses plus vieux compagnons de route, est déjà grand voyer de France (contrôlant toutes les voies de communication), superintendant des Fortifications et Bâtiments, grand maître de l’artillerie, chargé de l’agriculture, surintendant des Finances. Il s’acquitte de ses tâches avec autant de loyauté que d’efficacité.

Mais Gabrielle d’Estrées est la plus aimée des femmes présentes. Bien que détestée du peuple, d’où son surnom littéralement ordurier, Henri IV projetait de l’épouser, après annulation en cour de Rome de son mariage avec Marguerite de Valois : c’est donc aussi la Presque reine.

« La racine de mon cœur est morte et ne rejettera [repoussera] plus ! »648

HENRI IV (1553-1610), inconsolable à la mort de Gabrielle d’Estrées, 1599. Lettres inédites d’Henri IV et de plusieurs personnages célèbres (1802), préface de A.Sérieys

Favorite d’Henri IV, de ses 20 ans jusqu’à son décès, Gabrielle d’Estrées (1573-1599) souhaite très tôt devenir reine de France en lieu et place de Marguerite de Valois. Elle donne de nombreux enfants à Henri IV, dont plusieurs sont légitimés princes du royaume, tel César, duc de Vendôme.

Le pape ayant annulé le mariage d’Henri IV et de la « reine Margot », les noces avec la « presque reine », « blonde, dorée, d’une taille admirable, d’un teint d’une blancheur éclatante » (Mlle de Guise) sont prévues pour le 10 avril 1599. Elle est alors enceinte de six mois. Dans la nuit du 9 au 10 avril, après avoir bu une citronnade, prise de convulsions, elle meurt quelques heures plus tard. On soupçonne un empoisonnement, l’apoplexie foudroyante restant l’hypothèse la plus probable.

Certains affirment qu’elle fut étranglée par le diable, tant son agonie est atroce et son apparence physique épouvantable. Les témoins racontent que son visage révulsé noircit au point de la rendre totalement méconnaissable. On arrête le roi à Villejuif, alors qu’il accourt pour la voir de Fontainebleau où il séjourne, afin de lui éviter un spectacle si horrible.

Au lendemain de sa mort, Henri IV écrit : « Mon affliction est aussi incomparable que l’était le sujet qui me la donne. Les regrets et les plaintes m’accompagneront jusqu’au tombeau. La racine de mon cœur est morte et ne rejettera plus… » Elle a droit à des funérailles royales.
D’autres femmes consoleront le roi. Mais pas sa seconde femme. Le mariage (par procuration, le 5 octobre 1600) avec Marie de Médicis sera un second échec conjugal - sans être pour autant une réussite politique.

Marie de Médicis : la Grosse banquière

« Vous faites tout ce que je veux ; c’est le vrai moyen de me gouverner : aussi ne veux-je jamais être gouverné que de vous. »652

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Marie de Médicis, 27 janvier 1601. Henri IV écrivain (1855), Eugène Yung

Marie de Médicis (1575-1642), sitôt épousée, lui fait le fils qui devait lui succéder : le dauphin Louis naît à Fontainebleau le 27 septembre 1601. Louis XIII n’héritera pas de la santé du père. Mais la joie du roi et du royaume est grande : on attendait un héritier depuis quarante ans !

Henriette d’Entragues se fâche et traite Marie de « grosse banquière » – fine allusion à la dot de la reine, 600 000 écus d’or, la plus grosse dot de l’Histoire. Elle va comploter contre le roi, déjà au lit d’autres femmes. Car la reine lui donne peu de plaisir.

« Je ne trouve ni agréable compagnie, ni réjouissance, ni satisfaction chez ma femme […] faisant une mine si froide et si dédaigneuse lorsqu’arrivant du dehors, je viens pour la baiser, caresser et rire avec elle, que je suis contraint de dépit de la quitter là et de m’en aller chercher quelque récréation ailleurs. »653

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Sully. Lettres intimes de Henri IV (1876), Louis Dussieux

Marie de Médicis n’a pas le tempérament de la reine Margot, sa première femme ! Ce mariage florentin fut un sacrifice à la raison d’État – les rois ne se marient pas par amour, pour cela, ils ont les maîtresses. La belle-famille est très riche et très catholique : deux raisons qui auraient dû faire de ce mariage une bonne affaire pour le roi de France. Il n’en fut rien.

Marie de Médicis laisse un mauvais souvenir, dans l’Histoire. À l’inverse de Catherine de Médicis dont elle n’est qu’une très lointaine cousine, ce fut une épouse, une reine, une mère, une régente détestable et détestée, perpétuelle intrigante au siècle de tous les complots. L’ex-reine parcourt l’Europe et finit dans le ridicule… et dans le dénuement. Exilée, réfugiée dans une maison prêtée par son ami Rubens à Cologne, la Grosse banquière meurt ruinée (mais toujours grosse d’après son dernier portrait) quelques mois avant son fils et Richelieu qui peinèrent à se débarrasser d’elle.

À son crédit pourtant, une politique de mécénat artistique héritée des Médicis – d’où l’amitié de Rubens, peintre fécond et diplomate actif en Europe.

François de la Noue : Bras de Fer, Bayard protestant

« C’était un grand homme de guerre et encore plus un grand homme de bien. On ne peut assez regretter qu’un petit château ait fait périr un capitaine qui valait mieux que toute une province. »619

HENRI IV (1553-1610), août 1591. Musée des protestants célèbres (1824), Guillaume Tell Doin

Le roi vient d’apprendre la mort de François de La Noue (1531-1591), capitaine huguenot, frappé d’une balle au front, alors qu’il levait la visière de son heaume, au siège de Lamballe (Côte du-Nord), le 4 août 1591.

Son courage lui a valu le double surnom de Bayard protestant (souvenir du « chevalier sans peur et sans reproche ») et de Bras de fer (blessé en pleine guerre de Religion, amputé, appareillé, il continua de se battre jusqu’à ses 60 ans). Mais sa tolérance, son sens de l’honneur étaient tout aussi dignes d’estime, aux yeux du bon roi.

Louis XIII : le Juste

« Je dois la justice à mes sujets, et en cet endroit je dois préférer la justice à la miséricorde. »694

LOUIS XIII (1601-1643), à la femme du baron de Guémadeuc, cité dans Le Mercure français. Histoire du règne de Louis XIII, roi de France, et des principaux évènemens arrivez pendant ce règne dans tous les païs du monde (1716), Jacques Le Cointe

Défiant l’édit royal, Guémadeuc a tué en duel le baron de Nevet. Louis XIII le fait comparaître devant un tribunal qui le condamne à mort. Il refuse la grâce à sa femme. Il est décapité en 1627.

Le 22 juin de la même année, Montmorency-Boutteville et Des Chapelles bravent à leur tour l’édit en plein Paris, leur sort est identique. Richelieu ne veut pas que le courage de la noblesse se perde en des jeux féodaux, futiles et meurtriers : le service de l’État et du roi les requiert pour d’autres devoirs. Et Louis XIII adopte la politique de son Principal ministre.

« Appauvri d’âme et de sang, le fils [d’Henri IV] traîna, bâilla sa vie ; et le plus grand service qu’il ait rendu à la France est d’avoir maintenu Richelieu au pouvoir. »679

BLAZE de BURY (1813-1888), Revue des deux mondes (15 août 1876)

Comprenant les vertus politiques de Richelieu, le roi le soutiendra envers et contre tout et tous, y compris Marie de Médicis devenue sa plus tenace ennemie. L’ardente amitié du jeune roi devient confiance totale, estime immense.

À deux, un roi absolu et un ministre fidèle qui agit en son nom et en accord avec lui, ils inventent une forme de gouvernement : le ministériat. Ce qui implique que Louis XIII le Juste n’est pas le roi fantoche parfois dépeint. Mais il fait partie de la longue liste de « ces malades qui nous gouvernent ». La tuberculose dont il mourra l’épuise presque tout au long de sa vie.

Richelieu : le Sphinx à robe rouge, le Cul pourri

« Quand une fois j’ai pris ma résolution, je vais droit à mon but, je renverse tout, je fauche tout, et ensuite je couvre tout de ma robe rouge. »684

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Histoire du ministère du cardinal de Richelieu, tome II (1816), Antoine Jay

Michelet fait un saisissant portrait du « Sphinx à robe rouge » dans un style digne de Saint-Simon un siècle plus tard : « Que de contrastes en lui ! Si dur, si souple, si entier, si brisé ! Par combien de tortures doit-il avoir été pétri, formé et déformé, disons mieux, désarticulé, pour être devenu cette chose éminemment artificielle qui marche sans marcher, qui avance sans qu’il y paraisse et sans faire de bruit, comme glissant sur un tapis sourd, puis, arrivé, renverse tout. Il vous regarde du fond de son mystère. »

Mystère en vertu de quoi l’« homme rouge » est très diversement jugé par les contemporains comme par les historiens. Son Testament politique nous donne quelques pistes, même s’il n’est pas entièrement écrit de sa main.

« Quelle tragédie plus sombre que sa personne même ! Auprès Macbeth est gai […] Le plus souvent il ravalait le fiel et la fureur, couvrait tout de respect, de décence ecclésiastique. »688

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)

Le sens et le goût du secret reviennent souvent dans les lettres signées Richelieu. Il adore le théâtre et se pique d’écrire.  Dans une tragédie qui lui est attribuée – Mirame – se trouve cet alexandrin : « Savoir dissimuler est le savoir des rois. »

« Richelieu avait foudroyé plutôt que gouverné les humains. »690

Cardinal de RETZ (1613-1679), Mémoires (1671-1675)

Talentueux mémorialiste, mais piètre politicien, Paul de Gondi, cardinal de Retz, s’opposera surtout à Mazarin. Il se vante pourtant d’avoir voulu assassiner Richelieu.

L’originalité du personnage n’est pas dans l’adhésion au principe de la monarchie absolue – tous les légistes du temps sont d’accord sur cette question. Mais pour rendre aussi absolue que possible dans les faits cette monarchie dont il est le ministre (étymologiquement, le serviteur), Richelieu s’est battu comme nul autre, il a obligé tout un peuple « léger », frondeur, rebelle à obéir au roi, il a écrasé les résistances, éliminé les adversaires, bravé l’impopularité.

Louis XIII lui doit son règne et il prépare la France de Louis XIV : « Il acheva ce que Louis XI avait commencé. Il rendit le pouvoir absolu », selon l’historien Buchez. De Gaulle l’admira sans réserve, mais son impopularité fut presque aussi grande que celle de son successeur, Mazarin.

« Ces animaux sont étranges. On croit quelquefois qu’ils ne sont pas capables d’un grand mal, parce qu’ils ne le sont d’aucun bien. »717

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Richelieu tel qu’en lui-même (1997), Georges Bordonove

Le cardinal, onctueusement misogyne, fait allusion aux trahisons d’Anne d’Autriche et de la duchesse de Chevreuse.

La femme de Louis XIII, alliée à Marie de Médicis, chercha à obtenir du roi la disgrâce du principal ministre jusqu’à la fameuse journée des Dupes (10 novembre 1630). Elle est aussi accusée de correspondance secrète avec son frère, Philippe IV d’Espagne en guerre « couverte » et bientôt « ouverte » avec la France, dans le cadre de la guerre de Trente Ans.

Marie de Rohan-Montbazon, ancienne épouse de Luynes (premier favori de Louis XIII), puis du duc de Chevreuse, fut  surintendante de la maison de la Reine. Sa vie est un roman où les intrigues politiques se mêlent sans fin aux aventures galantes.

Ces deux femmes qui détestent Richelieu le surnomment Cul pourri – Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (1756) signé Voltaire, historien bien informé. Il fut sûrement insulté des pires manières par toutes celles et ceux qui désiraient sa mort, au fil des complots.

« Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. »737

Pierre CORNEILLE (1606-1684), Poésies diverses (posthume)

Auteur le plus célèbre de son temps, après le triomphe de ses trois récentes tragédies (Horace, Cinna, Polyeucte), il compose ce quatrain à l’occasion de la mort du cardinal de Richelieu (1642). Il se rappelle la protection dont il bénéficia, alors qu’il était totalement inconnu et que le cardinal fit ouvrir un second théâtre à Paris (Le Marais, rival de l’Hôtel de Bourgogne) pour jouer ses premières pièces. Mais il ne peut oublier la méchante cabale montée contre lui par le cardinal et la « querelle du Cid  » qui s’ensuivit, en 1637.

Le mécénat artistique, devenu véritable politique culturelle avant le siècle de Louis XIV, va encourager les créateurs dans tous les domaines : lettres, théâtre, musique, peinture, architecture. L’art classique nait à cette époque, contribuant au rayonnement de la France en Europe.

Henri Coëffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars : Cinq Mars, Monsieur le Grand

« Tant plus on témoigne l’aimer et le flatter, tant plus il se hausse et s’emporte. »729

LOUIS XIII (1601-1643). Cinq-Mars ou la passion et la fatalité (1962), Philippe Erlanger

Le roi parle à Richelieu de son favori. Cinq-Mars va conspirer contre Richelieu, avec son ami et complice le magistrat de Thou, le duc de Bouillon et l’inévitable frère du roi, Gaston d’Orléans qui a cherché alliance auprès des Espagnols. L’affaire Cinq-Mars, dernier complot du règne, attriste les derniers mois du cardinal, littéralement épuisé à la tâche et  rongé par un ulcère.

« Je me rends, parce que je veux mourir, mais je ne suis pas vaincu. »730

Marquis de CINQ-MARS (1620-1642). Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri Robert

Ainsi parle le héros revu, corrigé, idéalisé, immortalisé par Alfred de Vigny dans son roman historique, Cinq-Mars, ou une conjuration sous Louis XIII (1826), inspiré de Walter Scott.

Le comte de Vigny, jeune officier et poète romantique, en fait le symbole de la noblesse humiliée par la monarchie absolue : grand écuyer, favori de la Reine, passionnément attaché aux prérogatives de sa caste, bravant les édits de Richelieu (comme témoin à un duel interdit), il s’apprête, avec la complicité des Espagnols et l’appui de la reine Anne d’Autriche, à écarter le trop puissant cardinal qui a tout pouvoir sur un roi trop faible – cet argument a déjà joué, dans la journée des Dupes.

La conjuration est dénoncée. Le cardinal triomphe. « Cinq-Mars sourit avec tristesse et sans amertume, parce qu’il n’appartenait déjà plus à la terre. Ensuite, regardant Richelieu avec mépris », il a cette phrase. La réalité est quelque peu différente du roman, mais pas moins dramatique.

« Je voudrais bien voir la grimace que Monsieur le Grand doit faire à cette heure. »731

LOUIS XIII (1601-1643), à Paris, apprenant l’exécution de son favori à Lyon. Historiettes : mémoires pour servir à l’histoire du XVIIe siècle (posthume, 1834), Tallemant des Réaux

Monsieur le Grand, c’est donc Cinq-Mars. Il a 22 ans. Condamné à mort, il a été décapité à Lyon, le 12 septembre 1642.

C’est Richelieu qui organisa la rencontre trois ans plus tôt, pour distraire un souverain fatigué, malade. Le jeune homme est comblé d’honneurs, mais ce n’est jamais assez. Il cède alors à la tentation du complot, avec le soutien de Philippe IV d’Espagne, toujours en guerre contre la France. En échange, les conjurés lui promettent la restitution de toutes les villes conquises, et la victoire ! On projette aussi de s’emparer du cardinal et même de le tuer.

Cinq-Mars recule au dernier moment - Richelieu étant avec son capitaine des gardes. Mais une copie du traité félon l’accuse. Richelieu en fait part à Louis XIII le Juste et le roi ne peut pardonner une si grave traîtrise à son favori.

Mazarin : Rinzama, Nunzinicardo, le Bougeron, le Mascarin

« En tout cas, pour ma consolation, il me reste de savoir qu’au galant homme tout pays est patrie. »724

MAZARIN (1602-1661), Lettre à de Montagu, septembre 1637, Londres. Mazarin et ses amis (1968), Georges Dethan

Diplomate au service du pape Urbain VIII, il rencontre au cours d’une mission en France Richelieu qui remarque Rinzama (anagramme de Mazarin) en1630. Nonce à Paris en 1635-1636, il est de nouveau apprécié de Richelieu qui l’appelle Nunzinicardo (cher petit nonce) et le fait nommer cardinal, alors qu’il n’a jamais été ordonné prêtre.

Devenu son principal collaborateur, il prend la place du père Joseph à sa mort, en 1638. Et celle de Richelieu quand il mourra en 1642, entrant au Conseil du roi, le 5 décembre. Louis XIV l’appréciera bientôt à sa juste valeur.

Mazarin sera pourtant l’un des personnages les plus détestés de l’histoire et les plus brocardés par le peuple qui ne manque pas d’esprit. Les mazarinades, comme toutes les chansons, donnent le pouls de l’opinion publique à l’époque où la presse est purement officielle et la censure vigilante.

« Mazarin, ce bougeron
Dit qu’il n’aime pas les cons
C’est un scélérat
C’est un bougre ingrat… »761

Mazarin, ce bougeron, mazarinade. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

L’attaque directe contre la vie privée est une constante à l’époque : la règle de cet art pamphlétaire et chansonnier est de ne rien respecter et les reines pas plus que les rois n’ont de « vie privée », au sens moderne du mot. L’attaque vise aussi la reine régente, Anne d’Autriche (mère du petit Louis XV) soupçonnée de relations avec Mazarin (lui-même soupçonné d’homosexualité) : « Je voudrais bien étrangler / Notre pute de Reine ! / Ô gué, notre pute de Reine. »

« Un vent de Fronde
S’est levé ce matin
Je crois qu’il gronde
Contre le Mazarin. »744

Paul SCARRON (1610-1660), mazarinade. Poésies diverses : la mazarinade, Virgile travesti, roman comique

La Fronde est une guerre civile qui va durer cinq ans. Tout-puissant ministre, le Mazarin devient l’homme d’État le plus durement chansonné de l’histoire de France, Paul Scarron étant l’un des rares auteurs osant signer ses mazarinades. Celle-ci, selon d’autres sources, est parfois attribuée à Barillon l’aîné.

Le coup de force du Parlement de Paris, exploitant la crise financière et le mécontentement général, a mis le feu aux poudres. Les causes du mouvement sont profondes, à la fois politiques, économiques, sociales. Sous la régence d’Anne d’Autriche et sur fond de guerre étrangère avec l’Espagne, la France fragilisée, Paris en tête, se déchaîne dans un tourbillon révolutionnaire où les parlements, le peuple et les Grands se relaient.

La cible numéro un est pourtant le cardinal au pouvoir, l’amant (supposé) de la Reine, l’Italien né Mazarini (naturalisé), le parvenu (enrichi), l’homme à abattre : Mazarin.

« Qu’ils chantent, pourvu qu’ils paient. »759

MAZARIN (1602-1661). Dictionnaire de français Larousse, au mot « payer »

Un impôt de plus, des relations supposées avec la reine, une impopularité grandissante, tout est occasion de mazarinade (pamphlet), mais Mazarin se moque de ces chansons et de ceux qui les chantent. Avec un certain courage et une habileté  remarquable, le ministre bravera toutes les formes d’opposition, gardant et renforçant son pouvoir jusqu’à sa mort.

« Sire, je vous dois tout, mais je m’acquitte envers Votre Majesté en lui donnant Colbert. »805

MAZARIN (1602-1661) à Louis XIV, le 9 mars 1661. C’est son « mot de la fin » politique. Le Plutarque français, vie des hommes et femmes illustres de la France (1837), Édouard Mennechet

Premier ministre d’Anne d’Autriche, gardé par Louis XIV à sa majorité, se donnant tout entier à son métier de « principal ministre », il a eu la totalité du pouvoir. Il a parallèlement collectionné les charges et acquis une immense fortune – impossible à estimer, car il est difficile de donner la valeur des tableaux de maître signés Vinci, Titien, Raphaël, Caravage, des sculptures, bijoux et médailles disséminés dans un grand nombre de palais, et des livres rares de la bibliothèque Mazarine. Sans doute la plus grande fortune privée de tout l’Ancien Régime. Disons au passage que Mazarin fut aussi un grand mécène et qu’au moment de mourir, il pense aux chefs-d’œuvre qu’il ne verra plus : « Il faut quitter tout cela », dit-il. L’essentiel est légué au roi qui refuse élégamment, de sorte que Mazarin peut encore en disposer, selon ses dernières volontés.

Il recommande au roi le financier Jean-Baptiste Colbert qui gérait avec succès sa fortune, depuis dix ans. Louis XIV le gardera à son service jusqu’à sa mort, durant plus de vingt ans. Il fera de même avec la plupart des collaborateurs tout dévoués dont l’habile Mazarin a su s’entourer.

Lire la suite : Les Surnoms - jeu de mots entre petite et grande Histoire (le Siècle de Louis XIV)

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