L’exception culturelle à la française. Mythe ou réalité ? (1) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Notre pays possède un grand passé culturel et nous vivons sur cet héritage. Si la France est la première destination touristique au monde, son patrimoine culturel attire au même titre que la diversité des paysages (et la gastronomie régionale élevée au rang d’art vivant).

Notre politique culturelle hérite aussi d’un long passé de mécénat royal et républicain, avec un ministère de la Culture. Tous les secteurs sont concernés : monuments historiques, beaux-arts (architecture, peinture, sculpture et gravure), livre et lecture, musique, danse, cirque, arts de la rue, cinéma, théâtre, opéra, arts décoratifs, ainsi que les écoles correspondantes, dont les Conservatoires nationaux.

Le régime particulier des intermittents du spectacle (artistes et techniciens), le prix unique du livre protégeant les (petites) librairies, le financement public préférentiel des films français, autant de mesures spécifiques et favorables au secteur culturel.

Omniprésente et jamais suffisante, l’aide à la culture est considérée comme un dû. En cette année de crise exceptionnelle, elle est revendiquée au même titre que l’aide à l’hôpital, l’éducation nationale, les restaurants, le tourisme, l’industrie automobile… et tous les secteurs plus ou moins sinistrés.

Cela dit, la Culture a perdu le sens et l’importance qu’elle avait jusque dans les années Mitterrand. À travers 15 périodes historiques, rappelons quelques repères importants en deux éditos. Du Moyen Âge à la Troisième République, l’exception culturelle française s’impose comme une évidence en Europe.

Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.

 

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1. Le Moyen Âge vit une brève « Renaissance carolingienne » avec Charlemagne, avant le « beau Moyen Âge » au XIIe siècle.

« Passionné pour la science, il eut toujours en vénération et comblait de toutes sortes d’honneurs ceux qui l’enseignaient. »65

ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)

Charlemagne mène une véritable politique culturelle, au point que les historiens voient en son siècle une « Renaissance carolingienne ». Lui-même est fort savant, quoique autodidacte, ayant appris la rhétorique, la dialectique, le grec, le latin, l’astronomie ; il compose même une grammaire de la langue franque. Se fondant sur une remarque d’Éginhard, mal traduite (du latin) et mal comprise, certains vulgarisateurs ont prétendu qu’il savait à peine écrire. En réalité, cette remarque signifie que même à un âge avancé, l’empereur s’exerçait à la calligraphie, pour atteindre cette perfection propre aux scribes avec lesquels il ne put cependant rivaliser.

« J’aimais justement en vous ce que je vous voyais chercher en moi. »66

ALCUIN (vers 735-804), Derniers mots d’une lettre à Charlemagne. Alcuin et Charlemagne (1864), Francis Monnier

Moine anglais considéré par Éginhard comme l’« homme le plus savant de son temps ». Charles (qui n’est encore que roi des Francs) le place à la tête de l’école palatine d’Aix-la-Chapelle, en 782. Véritable maître à penser du monde franc, Alcuin promeut l’enseignement des arts libéraux et les ateliers de copies permettant la diffusion des textes sacrés et profanes, bien avant l’invention de l’imprimerie (1450). Il laisse de nombreux traités de pédagogie et de théologie, et une version de la Bible révisée.

Ami et conseiller de Charles, il lui écrit en ces termes : « Je savais le vif intérêt que vous portiez à la science et combien vous l’aimiez. Je savais que vous excitiez tout le monde à la connaître et que vous offriez des récompenses et des dignités à ceux qui l’aimaient comme vous, pour les engager à venir s’associer à votre généreuse entreprise. Vous avez bien voulu m’appeler, moi le moindre serviteur de cette science sainte, et me faire venir du fond de la [Grande-]Bretagne. Ah ! que n’ai-je apporté dans le service de Dieu autant d’empressement et de zèle que j’en ai mis à vous seconder ! C’est que j’aimais justement en vous… »

« Charles, savant, modeste, […] maître du monde, bien-aimé du peuple […], sommet de l’Europe […] est en train de tracer les murs de la Rome nouvelle. »70

ANGILBERT (vers 740-814) parlant de Charlemagne en 799. Encyclopædia Universalis, article « Europe »

Poète et historien, ministre, conseiller et ami de Charlemagne, il épousera en secret sa sœur Berthe (sa fille selon d’autres sources) et se retirera dans un monastère où elle le suivra. Il finira saint. C’est l’un des principaux acteurs de cette Renaissance culturelle vécue par les contemporains (privilégiés) et reconnue par les historiens.

À cette époque, la « Rome nouvelle » désigne l’Empire d’Occident reconstitué, soit en gros ce qui deviendra bien plus tard les six premiers pays du Marché commun, ancêtre de l’Union européenne.

Charlemagne, béni et sacré par le pape en 800, exerce sur ce vaste territoire une influence personnelle en tout domaine. Cependant, son empire ne restaure qu’en apparence l’Empire romain. Gouverné d’Aix-la-Chapelle, hétérogène, mais avant tout franc, c’est une entité politique appuyée sur le christianisme et sur l’équilibre des forces. La suite de l’histoire montrera sa fragilité.

« Oh ! Paris, tu prends les âmes à la glu ! »137

Pierre de (la) CELLE (1115-1183), 1164. La Revue de Paris, volume III (1896), Marc Le Goupils

Nouvelle embellie médiévale aux XIIe et XIIIe siècles. Les rois de France vont faire de Paris l’un des plus prestigieux centres intellectuels de l’Europe. Un peu plus tard, Philippe de Harvengt s’exclame : « Heureuse cité [Paris] où les étudiants sont en si grand nombre que leur multitude vient presque à dépasser celle des habitants ! » À la faculté des Arts, située entre la place Maubert et la rue du Fouarre, viendront étudier et enseigner les plus grands penseurs des XIIe et XIIIe siècles.

Pierre de la Celle a lui-même étudié sur la montagne Sainte-Geneviève, il devient moine au cloître de Cluny, puis renonce à une école de Paris trop mondaine. Le futur évêque de Chartres dénonce un lieu de tentations à fuir : « Oh ! Paris, comme tu es fait pour séduire les esprits et les décevoir. C’est chez toi que résident les réseaux du vice et les chausse-trappes du Malin ; c’est chez toi que la flèche de l’enfer traverse les cœurs des insensés… »

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2. François Ier inaugure la Renaissance française « à l’italienne », promeut le mécénat et soutient l’essor de notre langue nationale.

« Voyez, voyez tout à la ronde
Comment le monde rit au monde,
Ainsi est-il en sa jeunesse. »386

Clément MAROT (1496-1544), Colloque de la Vierge méprisant le mariage (publication posthume)

C’est la Renaissance, l’aube des temps nouveaux, appelée par les historiens le « beau XVIe siècle » : de 1480 à 1560. Salué par Marot, aimable poète et courtisan, et par nombre de contemporains : « Ô siècle ! les lettres fleurissent, les esprits se réveillent, c’est une joie de vivre ! » s’exclame l’humaniste Ulrich de Hutten. Seule règle morale de l’abbaye de Thélème chère à Rabelais : « Fais ce que voudras. »

« Avant moi [François Ier], tout était grossier, pauvre, ignorant, gaulois. »387

FÉNELON (1651-1715), Dialogues des morts (1692-1696)

Cet auteur de la fin du XVIIe siècle met en scène et oppose Louis XII et François Ier. Baptisé par Brantôme « Père et vrai restaurateur des arts et des lettres », François Ier incarne la Renaissance, avec ses trente-deux années de règne au cœur du beau XVIe qui succède au long Moyen Âge.

Ce ne sont plus seulement les couvents et les universités qui diffusent la culture ; les cours donnent l’exemple, pratiquant le mécénat, lançant les modes et cultivant le raffinement. « François Ier, découragé des guerres lointaines, veuf de son rêve d’Italie, se fait une Italie française » (Michelet). Il invite Léonard de Vinci et sa Joconde (achetée 4 000 florins d’or, soit 15 kg), puis d’autres artistes prestigieux, Cellini, le Rosso, le Primatice. Favorable à l’esprit nouveau et bien que peu instruit (il ne sait pas le latin), le Roi Chevalier protège les savants et les écrivains, secondé par sa sœur Marguerite d’Angoulême (future reine au royaume de Navarre), l’une des femmes les plus cultivées du siècle.

C’est dire que Louis XII se trompait, en parlant de son petit-cousin et successeur : « Ce gros garçon gâtera tout. »

« Le Grec vanteur la Grèce vantera
Et l’Espagnol l’Espagne chantera
L’Italien les Itales fertiles,
Mais moi, François, la France aux belles villes. »388

Pierre de RONSARD (1524-1585), Hymne de France (1555-1556)

Le jeune « écuyer d’écurie » entre dans la carrière des lettres. L’éloge de la France est un thème classique, l’expression d’un sentiment national profond, sensible en d’autres lieux, mais sans doute plus intense en cette terre bénie des dieux, faite d’équilibre et de charme, qui inspirera, le danger revenu avec les guerres étrangères et civiles, des chansons déjà patriotiques et les Discours enflammés d’une littérature engagée.

« Car je suis né et été nourri jeune au jardin de France : c’est Touraine. »389

François RABELAIS (vers 1494-1553), Pantagruel (1532)

Moine médecin, né près de Chinon et lancé en littérature par ce personnage de géant (fils de Gargantua) qu’il a créé.

Paris reste capitale de la France, mais les Valois au pouvoir fuient ses violences révolutionnaires et vont en Val de Loire construire leurs châteaux que nous admirons toujours : Amboise, Blois, Chambord, Chenonceau. Là se situe la vie culturelle, galante et bien souvent politique de la France : Léonard de Vinci le prestigieux invité finira sa vie près d’Amboise, les États généraux se tiennent à Blois, à Tours. Et ce qui deviendra au XVIe siècle la langue nationale est le français parlé en Touraine, réputé le plus pur.

« France, mère des arts, des armes et des lois ! »390

Joachim du BELLAY (1522-1560), Les Regrets (1558)

Encore un poète inspiré par l’amour du pays et qui renonce à la carrière militaire pour les vers. La trilogie « des arts, des armes et des lois » résume l’histoire de cette époque si riche et contrastée : « Le dialogue tour à tour sanglant et serein qu’on appela Renaissance » (Malraux, Les Voix du silence). « L’aimable mot de Renaissance ne rappelle aux amis du beau que l’avènement d’un art nouveau et le libre essor de la fantaisie ; pour l’érudit, c’est la rénovation des études de l’Antiquité ; pour les légistes, le jour qui commence à luire sur le discordant chaos de nos vieilles coutumes » (Michelet, Histoire de France).

« L’histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d’une nationalité. »391

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1840)

L’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François Ier en 1539, qui réorganise la justice, impose le français au lieu du latin pour les ordonnances et jugements des tribunaux. Mais il faudra encore lutter pour que le français devienne aussi la langue des savants et des artistes.

« Notre langue étant pauvre et nécessiteuse au regard de la latine, ce serait errer en sens commun que d’abandonner l’ancienne pour favoriser cette moderne. »392

TURNÈBE (1512-1565). La Littérature latine de la Renaissance (1966), Paul Van Tieghem

Adrien Tournebous, dit Turnèbe, humaniste, professeur au Collège de France (on disait alors : lecteur au Collège royal) se bat pour le latin et le grec. Au XVIe siècle, quelque 700 poètes du royaume versifient en latin, la poésie néo-latine s’inspirant jusqu’au plagiat de Virgile, Horace, Catulle, Ovide, tandis que d’autres « pindarisent et pétrarquisent » à qui mieux mieux. Querelle des Anciens et des Modernes, identité nationale en jeu : Ronsard réunit une « Brigade » qui devient « Pléiade » et cette nouvelle école chargera du Bellay de rédiger la Défense et illustration de la langue française (1549).

« Je prouverai […] que notre langue vulgaire n’est pas si vile, si inepte, si indigente et à mépriser qu’ils l’estiment. »393

François RABELAIS (vers 1494-1553), Le Cinquième Livre, prologue (posthume)

Rabelais se bat de son côté avec sa langue, bien à lui et bien française. Il s’adresse ici aux « rapetasseurs de vieilles ferrailles latines, revendeurs de vieux mots latins, tous moisis et incertains ».

« Supplie très humblement ceux auxquels les Muses ont inspiré leurs faveurs de n’être plus latiniseurs ni grécaniseurs, comme ils sont plus par ostentation que par devoir, et prendre pitié, comme bons enfants, de leur pauvre mère naturelle. »394

Pierre de RONSARD (1524-1585), Préface de La Franciade (1572)

Jusqu’au cœur des guerres de Religion, le combat pour le français, langue en pleine évolution, continue. Il sera gagné à la fin du siècle, contribuant à faire l’unité de la France.

« Que dit-on à la cour, que fait-on à Paris ?
Quels seigneurs y voit-on, et quelles damoiselles ? »400

Olivier de MAGNY (vers 1529-vers1561), Les Soupirs (1557)

Poète de cour et secrétaire d’ambassadeur à Rome, il « soupire » après Paris, chanté de même par Robert Garnier dans Bradamante : « La douceur et l’amour / La richesse et l’honneur font à Paris séjour. » Jean Bertaut, autre poète de cour, dans son Cantique en forme de confession, parle de « cette ville sans pair, cet abrégé de France ».

La mode parisienne, déjà, fait prime dans le beau monde et le monde tout court, notamment chez les Anglais qui ne sont plus nos ennemis numéro un, depuis l’avènement de Charles Quint. La cour, véritable instrument de règne, est une ville de plus de 15 000 personnes, itinérante entre Val de Loire, Fontainebleau et Paris (Louvre) qui retrouve la faveur du souverain.

« Plaise au roi de me donner cent livres
Pour acheter livres et vivres.
De livres je me passerais
Mais de vivres je ne saurais. »402

Clément MAROT (1496-1544), Quatrain à François Ier

Poète de cour de Louis XII et de François Ier, également « valet de chambre » de la sœur du roi, Marguerite, future reine de Navarre, Marot vit de mécénat comme ses confrères et se bat à coups de vers pour sa place au soleil. Les temps ne sont pas faciles : il connaîtra plusieurs fois la prison royale et l’exil genevois, pour ses mœurs (légères), pour ses idées (protestantes).

« [Les actes judiciaires seront] prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. »472

Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

François Ier abolit ainsi l’emploi du latin dans les tribunaux et inaugure une politique linguistique. Selon F. Brunot et Ch. Bruneau (Précis de grammaire historique de la langue française), cette ordonnance est « l’acte le plus important du gouvernement dans toute l’histoire de la langue. Elle prescrit l’emploi exclusif du français dans toutes les pièces judiciaires du royaume. Cette mesure, prise pour faciliter le travail de l’administration, fait du français la langue de l’État. »

La bataille du français n’est pas encore gagnée : les lettrés de cette Renaissance fascinée par les Anciens (grecs et latins) et par l’Italie, « pétrarquisent, latinisent et pindarisent » toujours à l’excès.

« Ce n’est point chose vicieuse, mais grandement louable, emprunter d’une langue étrangère les sentences et les mots, et les approprier à la sienne. »481

Joachim du BELLAY (1522-1560), Défense et illustration de la langue française (1549)

Poète de la Pléiade, il est chargé de rédiger ce manifeste littéraire à la fois touffu et belliqueux. Le titre en est un bon résumé : « défense » de la langue française contre le latin qui reste, sauf exception, la langue des savants et des lettrés, mais en même temps « illustration », c’est-à-dire enrichissement de cette langue. « [Nos ancêtres] nous ont laissé notre langue si pauvre et nue qu’elle a besoin des ornements et, (s’il faut ainsi parler) des plumes d’autrui. » Le XVIe siècle verra peu à peu triompher un français en pleine évolution, que le siècle suivant fixera et rendra « classique ».

« Charles Quint, d’ailleurs ennemi mortel de la France, aimait si fort la langue française qu’il s’en servit pour haranguer les États des Pays-Bas le jour qu’il fit son abdication. »485

Antoine FURETIÈRE (1619-1688), Dictionnaire universel, Préface (posthume, 1690)

Le « vieux goutteux » décide d’abdiquer quand les armées impériales doivent lever le siège de Metz annexée par les Français et bien défendue par François de Guise. L’empereur qui abdique en 1556 (à 56 ans) partage son immense empire entre son frère Ferdinand et son fils Philippe II, mais le monarque chrétien le plus puissant du temps n’a pas résolu les deux problèmes majeurs de son règne : il n’a pu triompher de la Réforme, et la lutte avec la France n’est pas finie.

Rappelons ses origines de prince bourguignon : le français est sa langue maternelle et l’empereur d’Allemagne ne parla jamais couramment l’allemand. Il se sentait également étranger en son Espagne.

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3. Le Siècle de Louis XIV marque le triomphe du classicisme imposé par le mécénat royal et renforce le prestige de la France, dans une Europe encore baroque et fascinée par ce rayonnement culturel.

« Non seulement il s’est fait de grandes choses sous son règne, mais c’est lui qui les faisait. »816

VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)

Pour cette raison, le Grand Siècle est bien le « siècle de Louis XIV ». Voltaire, en historien très documenté, traite des événements militaires et diplomatiques, insiste sur le développement du commerce et le rayonnement des arts et des lettres, mettant cependant les affaires religieuses au passif du règne de ce « despote éclairé ». Les guerres se révèleront également déplorables, en fin de règne.

« Au défaut des actions éclatantes de la guerre, rien ne marque davantage la grandeur et l’esprit des princes que les bâtiments. »818

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Lettres, instructions et mémoires de Colbert (posthume, 1863)

Surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures (en 1664), Colbert exprime naturellement la pensée de Louis XIV.

Les seuls bâtiments royaux coûtent en moyenne 4 % du budget de l’État : on construit un peu partout, à Fontainebleau, Vincennes, Chambord, Saint-Germain, Marly, et surtout Versailles où les travaux commencent dès 1661, pour durer plus d’un demi-siècle. Une réunion de grands talents (la même équipe qui n’a que trop bien réussi Vaux-le-Vicomte, résidence du surintendant Fouquet perdu par tant de magnificence) fait naître la plus grande réussite artistique des temps modernes : Versailles servira de modèle à l’Europe pendant un siècle, imposant la supériorité de l’art français. Le « classique » vaut alors nouveauté.

« Les peuples se plaisent au spectacle. Par là, nous tenons leur esprit et leur cœur. »819

LOUIS XIV (1638-1715), Mémoires pour l’instruction du Dauphin (1662)

Plus qu’un monument et un site, Versailles est un style de vie. C’est le cadre magnifique où l’existence du roi se déroule comme une cérémonie implacablement minutée, admirablement mise en scène. C’est aussi le haut lieu du mécénat royal, où se donnent les fêtes éclatantes.

Les plus grands artistes du temps y concourent. Jean-Baptiste Lully, surintendant de la musique du roi de 1661 à 1687, régent de tous les théâtres, académies et écoles de musique, fait triompher le spectacle total, l’opéra, avec Cadmus et Hermione (livret de Quinault) le 27 avril 1673. Et tous les arts vont s’épanouir, en cette seconde moitié du siècle. Dans une Europe encore baroque, c’est le triomphe du classicisme français.

Fait unique dans notre histoire, c’est également la réussite d’un art officiel, dirigé, pensionné, administré, voulu par le roi. Ce paradoxe apparaît comme un miracle, au regard de toutes les périodes où la censure étouffe la création et les créateurs - comme sous Napoléon et tant d’autres dictateurs dans le monde.

« Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. »821

Nicolas BOILEAU (1636-1711), L’Art poétique (1674)

Grand codificateur des lettres, surnommé le Législateur du Parnasse, il donne, avec la « règle des trois unités », la définition de la tragédie classique, genre né et mort au XVIIe siècle, porté à la perfection par le jeune Racine, supplantant le vieux Corneille qui fit carrière sous Louis XIII, protégé par Richelieu très amateur de théâtre. Cette brève histoire de la tragédie est encore un petit miracle de l’époque, surtout comparé à son naufrage au siècle suivant - sans doute le seul genre où le génial Voltaire s’est fourvoyé, ses triomphes à la Comédie Française étant devenus très vite injouables.

« Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. »822

MOLIÈRE (1622-1673), La Critique de l’École des femmes (1663)

Génie du siècle, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, auteur, acteur, metteur en scène, chef de troupe, ne peut vivre et s’exprimer à peu près librement qu’avec la protection du roi : contre les dévots, les bourgeois, les parvenus, les pédants. Il reste à ce jour l’auteur dramatique français le plus aimé, le plus joué au monde.

Racine, si différent de lui, a la même éthique professionnelle : « La principale règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première » (Préface de Bérénice). Comédie oblige, Molière ajoute : « C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. »

« On l’entend [la langue française] et on la parle dans toutes les cours de l’Europe, et il n’est point rare d’y trouver des gens qui parlent français et qui écrivent en français aussi purement que les Français mêmes. »823

Antoine FURETIÈRE (1619-1688), Dictionnaire universel, Préface (posthume, 1690)

L’auteur du célèbre dictionnaire s’irrite des lenteurs de l’Académie française à sortir le sien et de ses lacunes en certains domaines scientifiques et artistiques. Il obtient du roi le privilège (terme juridique) de publier son propre Dictionnaire, commencé en 1650. Un extrait, publié en 1684, lui vaut d’être exclu de l’Académie. Mais « le Furetière » lui survit, sans cesse réédité, durant trois siècles, tout à l’honneur de la langue française.

Le prestige de la France, la profusion des œuvres, l’éclat de sa civilisation contribuent naturellement à cette vaste « francophonie » : déjà vivante au siècle précédent (où l’empereur Charles Quint, l’ennemi numéro un de François Ier, parlait le français et le préférait à l’allemand et à l’espagnol), universelle au siècle suivant (avec la philosophie des Lumières) et aujourd’hui si menacée, notamment par l’anglais.

« Après l’Agésilas,
Hélas !
Mais après l’Attila,
Holà ! »867

Nicolas BOILEAU (1636-1711), Épigramme (1667)

Fin du règne du grand Corneille, après l’échec de ces deux tragédies, créées à un an d’intervalle.

Le jeune et ambitieux Racine va connaître dix ans de triomphe, jusqu’à la chute de sa Phèdre, victime d’une cabale en 1677, cependant que Molière est roi dans la comédie. Giovanni Battista Lulli, italien naturalisé français, devenu Jean-Baptiste Lully, le plus courtisan des hommes de théâtre et le plus détesté aussi, invente l’opéra à la française.

Décennie prodigieuse de la scène française, floraison de chefs-d’œuvre : la plus belle époque du mécénat artistique dans notre pays, et tous les arts en profitent. Dans une Europe encore baroque, c’est le triomphe du classicisme français. Et rappelons-le, la réussite (exceptionnelle) d’un art officiel, dirigé, pensionné, administré, voulu par le roi.

Boileau, historiographe du roi, auteur de satires et d’épîtres, est le théoricien de l’esthétique classique. Dans la grande Querelle des Anciens et des Modernes (1687), il défend les auteurs de l’Antiquité, qu’il juge insurpassables, contre Charles Perrault, partisan des modernes dans Le Siècle de Louis le Grand : « Et l’on peut comparer, sans crainte d’être injuste, / Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste. » Ces guerres entre critiques passionnent les beaux esprits.

« On nous dit que nos rois dépensaient sans compter,
Qu’ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils.
Mais quand ils construisaient de semblables merveilles,
Ne nous mettaient-ils pas notre argent de côté ? »890

Sacha GUITRY (1885-1957), Si Versailles m’était conté (film de 1953)

6 mai 1682 : Louis XIV s’installe à Versailles. La ville devient la vraie capitale de la France et le centre du monde civilisé (disons plus modestement l’Europe).

Louis XIII fit construire dès 1624 un pavillon de chasse, mais c’est Louis XIV en 1661 qui ordonne les travaux pour faire du château ce « plaisir superbe de la nature » (Saint-Simon). Le roi ne dépense pas sans compter, mais il dépense beaucoup pour les bâtiments en général (4 % du budget de l’État leur est consacré en moyenne) et tout particulièrement pour Versailles. L’équipe qui a si bien réussi Vaux-le-Vicomte pour Fouquet est à nouveau réunie pour réaliser ce chef-d’œuvre de l’art classique à la française : Le Vau (architecte), Le Brun (peintre), Le Nôtre (jardinier), Francine (ingénieur des eaux). Et Louis XIV fait plus que donner son avis : il l’impose souvent. Et se trompe rarement.

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4. Au XVIIIe, le Siècle des Lumières invente la « théâtromanie » et un art de vivre qui privilégie la culture sous toutes ses formes, artistiques et intellectuelles (philosophiques et encyclopédiques).

« Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1780 n’a pas connu le plaisir de vivre. »1231

TALLEYRAND (1754-1838), à Guizot. Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (1858-1867), François Guizot

Témoignage d’un privilégié, vieil homme nostalgique de sa « belle époque ». Mais sa vérité correspond à la réalité : en 1780, la civilisation française est au zénith. Ensuite, ce sera le trouble dans les esprits, des calamités agricoles, le pays à bout de souffle après sa participation à la guerre d’Indépendance américaine, enfin la course à l’abîme du régime, avant la Révolution et l’Empire - peu propices au « plaisir de vivre ».

« On apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent. »978

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

La Régence, le Procope, Gradot, Laurent : c’est la grande mode des cafés où le café fait fureur – on en compte 300 à Paris, en 1715. Les clubs, plus fermés, institution typiquement anglaise, séduisent la France anglophile jusqu’à l’anglomanie. Les salons se multiplient, à Paris et en province, à mesure que la cour de Versailles perd son hégémonie : d’abord littéraires et mondains, puis philosophiques, ils sont tenus par des femmes de talent et d’influence : Mme de Lambert, Mme de Tencin, Mme du Deffand, Mme Geoffrin, Mlle de Lespinasse. Dans ces lieux de rencontre et de conversation, les idées nouvelles circulent et les réputations se font et se défont - à l’ère du numérique, les réseaux sociaux ne feront pas mieux !

« La fureur de la plupart des Français, c’est d’avoir de l’esprit, et la fureur de ceux qui veulent avoir de l’esprit, c’est de faire des livres. »979

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Trait typique du « siècle des Lumières » et qui ne fera que se renforcer, lui donnant son unité par-delà d’extrêmes diversités et complexités, contrastes et contradictions.

« Paris est un monde. Tout y est grand : beaucoup de mal et beaucoup de bien. Aller aux spectacles, aux promenades, aux endroits de plaisir, tout est plein. Aller aux églises, il y a foule partout. »980

Carlo GOLDONI (1707-1793), Mémoires (1787)

Italien de Paris, auteur dramatique adopté par la capitale, il profite du goût des Parisiens pour les spectacles.

Les salles de théâtre se multiplient dans les « foires » fort bien fréquentées - Saint-Germain et Saint-Laurent - ainsi que les superbes hôtels particuliers voisinant des immeubles de rapport cossus. Le très français Montesquieu confirme : « Je hais Versailles parce que tout le monde y est petit ; j’aime Paris parce que tout le monde y est grand. »

« L’imprimerie est l’artillerie de la pensée. »991

RIVAROL (1753-1801), Maximes, Pensées et Paradoxes

Dans les années 1760, la diffusion des idées nouvelles prend une ampleur jamais vue ! Pour ne donner que deux exemples : les 17 gros volumes de l’Encyclopédie (plus les 11 tomes de planches) entrent dans toutes les bibliothèques dignes de ce nom ; et le Journal de Paris, premier quotidien français, commence à paraître en 1777. Le baron d’Holbach écrit dans son Essai sur les préjugés : « Un livre qui renferme des vérités utiles ne périt plus […] : la typographie rend indestructible les mouvements de l’esprit humain. »

« Depuis l’Évangile jusqu’au Contrat social, ce sont les livres qui ont fait les révolutions. »1000

Vicomte Louis de BONALD (1754-1840), Mélanges littéraires, politiques et philosophiques, « Sur les éloges historiques de MM. Séguier et de Malesherbes »

Les philosophes n’étaient pas révolutionnaires, mais leur pensée le devint, diffusée par leurs œuvres. En schématisant : à Voltaire le temps de la pré-Révolution ; Montesquieu triomphe sous la Constituante où Diderot aussi a son heure ; puis Législative et Convention s’inscrivent sous le signe de Rousseau qui inspire les discours jacobins de Robespierre.

« Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire. Si nous voulons que les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en sont les philosophes. »1066

DIDEROT (1713-1784), Pensées sur l’interprétation de la nature (1753)

Diderot initie un vaste public (sinon déjà le grand public) aux choses de l’art et notamment la peinture, par ses brillants comptes rendus (Salons). Mais c’est avant tout le maître d’œuvre infatigable de l’Encyclopédie.

Il signe plus de mille articles sur les sujets les plus divers : philosophie et littérature, morale et religion, politique et économie, arts appliqués. Le plus grand agitateur d’idées du XVIIIe siècle aura une influence considérable sur ses contemporains, sur le XIXe et jusqu’à nous.

« C’est le ton de la nation ; si les Français perdent une bataille, une épigramme les console ; si un nouvel impôt les charge, un vaudeville les dédommage. »1149

Carlo GOLDONI (1707-1793), Mémoires (1787)

L’Italien de Paris connaît bien notre pays et notre littérature. Surnommé le Molière italien, il veut réformer la comédie dans son pays, ôtant les masques aux personnages et supprimant l’improvisation pour écrire ses pièces de bout en bout, d’où son premier chef-d’œuvre, La Locandiera. Il est violemment attaqué par Carlo Gozzi, comte querelleur et batailleur, qui défend la tradition de la commedia dell’arte à coups de libelles et de cabales.

Fatigué de cette guerre des deux Carlo, le paisible Goldoni, invité personnellement par Louis XV, s’installe définitivement à Paris, en 1762. Il écrit en français pour la Comédie-Italienne (rivale de la Comédie-Française), devient professeur d’italien à la cour. Il sera pensionné sous Louis XVI. Il rédige ses Mémoires à la fin de sa vie, pauvre, malade, presque aveugle, mais exprimant toujours sa gratitude pour la France – même si la Révolution supprime sa pension à l’octogénaire.

« Tout citoyen est roi sous un roi citoyen. »1164

Charles Simon FAVART (1710-1792), Les Trois Sultanes ou Soliman second (1761)

Trois vers de Soliman résonnent haut et fort : « Point d’esclaves chez nous ; on ne respire en France / Que les plaisirs, la liberté, l’aisance / Tout citoyen est roi sous un roi citoyen. »

Auteur en vogue dans une société folle de spectacles (« théâtromanie »), marié à une comédienne et chanteuse de talent, créateur de la comédie musicale et du vaudeville dramatique, il fait du « théâtre aux armées », attaché au service du maréchal de Saxe. Ce célèbre séducteur s’éprend de Mme Favart qui s’enfuit pour lui échapper. La mésaventure tourne mal et le couple ne retrouvera sa liberté qu’à la mort du maréchal (1750).

Le nom de Favart restera attaché à l’Opéra-Comique qu’il dirige, fusionnant avec la Comédie-Italienne rivale : des œuvres de commande, un grand talent de poète et librettiste officiel. La mort de sa femme brise l’homme et sa carrière.

« Respectons éternellement le vice et ne frappons que la vertu. »1182

Marquis de SADE (1740-1814), L’Histoire de Juliette (1797)

En 1763, il passe deux semaines au donjon de Vincennes pour « débauche outrée ». En 1768, il est emprisonné sept mois, ayant enlevé et torturé une passante. Le divin marquis passera au total trente années de sa vie en prison. C’est un cas extrême dans une société réputée raffinée, civilisée, mais libertine et cultivant aussi tous les « plaisirs ».

« Depuis l’âge de quinze ans, ma tête ne s’est embrasée qu’à l’idée de périr victime des passions cruelles du libertinage. » Né de haute noblesse provençale, élève des jésuites, jeune combattant de la guerre de Sept Ans, marié en 1763, condamné à mort en 1772 pour violences sexuelles, incarcéré en Savoie, évadé, emprisonné de nouveau à Vincennes, puis à la Bastille, transféré à Charenton quelques jours avant le 14 juillet 1789, libéré le 2 avril 1790 par le décret sur les lettres de cachet, avant de nouvelles incarcérations. Sa famille veille à ce qu’il ne sorte plus de l’hospice de Charenton, où il meurt en 1814.

Son œuvre, interdite, circule sous le manteau tout au long du XIXe siècle. Elle est réhabilitée au XXe, avec les honneurs d’une édition dans la Pléiade. Premier auteur érotique de la littérature moderne, il donne au dictionnaire le mot sadisme : « perversion sexuelle par laquelle une personne ne peut atteindre l’orgasme qu’en faisant souffrir (physiquement ou moralement) l’objet de ses désirs » (Le Robert).

« Un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. »1215

BEAUMARCHAIS (1732-1799), Le Barbier de Séville (1775)

Génie très représentatif de cette période de fermentation sociale qui précède la Révolution, sa vie fut un roman, celle d’un aventurier, libertin, parvenu, trafiquant d’armes. Fils d’un horloger, professeur de harpe des filles de Louis XV, puis juge des délits de braconnage sur les terres royales, Pierre Augustin Caron de Beaumarchais est introduit dans le monde de la finance. Un procès l’oppose à un Grand (le comte de La Blache) et lui vaut une notoriété subite, en lui offrant l’occasion de dénoncer publiquement la vénalité d’un de ses juges.

Cette version du Barbier remporte un succès immédiat : premier acte théâtral véritablement prérévolutionnaire, en attendant la suite, Le Mariage

En 1777, Beaumarchais invente la « grève de la plume », mobilise ses confrères et crée la première société d’auteurs au monde, pour la défense des intérêts d’une corporation jusqu’alors exploitée par les Comédiens-Français qui refusaient de « donner les comptes ». C’est dire comme ce personnage combattant agit et innove sur tous les terrains - et comme la France est en avance sur ce point capital.

« C’est détestable ! Cela ne sera jamais joué ! […] Il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de la pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse. »1234

LOUIS XVI (1754-1793), qui vient de lire Le Mariage de Figaro avant sa création sur scène. Encyclopædia Universalis, article « Le Mariage de Figaro »

Depuis quatre ans, Paris parle de cette pièce dont l’auteur, Beaumarchais, est déjà célèbre pour des raisons pas seulement littéraires – procès gagnés, aide à l’Amérique et à ses « Insurgents » (contre l’Angleterre, puissance colonisatrice). Soumise à six censeurs, l’œuvre est interdite de représentation à Versailles au dernier moment en 1783, puis jouée en théâtre privé, chez M. de Vaudreuil, le 23 septembre. Paris se presse pour la première publique à la Comédie-Française, le 27 avril 1784.

« Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. »1235

BEAUMARCHAIS (1732-1799), Le Mariage de Figaro ou La Folle Journée (1784)

La censure royale a remplacé la censure religieuse de la Sorbonne au XVIIe siècle : 79 censeurs ont charge d’autoriser ou d’interdire livres ou pièces, selon leur moralité. La censure inquiétera plus ou moins tous les philosophes qui iront se faire éditer en Suisse, Hollande, Angleterre. Abolie par la Révolution, rétablie en 1797, de nouveau abolie, rétablie, etc., ce sera une longue histoire dans l’histoire, jusqu’au début du XXe siècle.

Le théâtre, spectacle public, est exposé plus encore que le livre aux foudres ou aux tracasseries d’Anastasie aux grands ciseaux. Il est normal que Beaumarchais en traite, pour s’en moquer. En tout cas, l’auteur a écrit là son chef-d’œuvre.

« Il y a quelque chose de plus fou que ma pièce, c’est son succès ! »1236

BEAUMARCHAIS (1732-1799). Beaumarchais et son temps : études sur la société en France au XVIIIe siècle d’après des documents inédits (1836), Louis de Loménie

Auteur enchanté, après le triomphe de la création, à la Comédie-Française. Sous-titrée La Folle Journée, la pièce sera jouée plus de cent fois de suite - un record, à l’époque. Mais Beaumarchais en fait trop, se retrouve à la prison de Saint-Lazare (mars 1785) et sa popularité ne sera plus jamais ce qu’elle fut, au soir du Mariage qui prit valeur de symbole.

Selon Antoine Vitez, administrateur de la Comédie-Française qui monta la pièce pour le bicentenaire de la Révolution en 1989, « Le Mariage de Figaro est très légitimement considéré comme une pièce révolutionnaire ». Il est des œuvres de poètes géniaux qui prophétisent ce qui va se passer avec une acuité extrême. La Chinoise de Godard, c’était déjà Mai 68 avant Mai 68, et Les Bains de Maïakowski, en 1929, la description de ce que serait le stalinisme avant le stalinisme.

« Sûre, sociale, raisonnable, ce n’est plus la langue française, c’est la langue humaine. »1237

RIVAROL (1753-1801), Discours sur l’universalité de la langue française (1784)

L’Académie de Berlin a mis au concours en 1782 un sujet révélateur : « Qu’est-ce qui fait de la langue française la langue universelle de l’Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Peut-on présumer qu’elle la conserve ? » Et Rivarol obtint le premier prix avec son Discours.

Rayonnements de la langue et de la civilisation d’un pays sont inséparables. La France a perdu sous Louis XV sa suprématie militaire, mais elle sert toujours de modèle à l’Europe par sa littérature, ses Lumières, ses arts, ses modes, son élégance, son esprit. Frédéric II de Prusse, notre ennemi, parle français, correspond avec Voltaire, comme Catherine II de Russie avec Diderot. Des châteaux imités de Versailles naissent un peu partout, cependant que le style rocaille, dit rococo, typique de la Régence et du règne de Louis XV, répand ses contournements en Allemagne et en Italie. Le style Louis XVI revient à plus de classicisme.

mirabeau citation

5. La Révolution porte le discours au rang d’art oratoire avec Mirabeau et Danton, mais sidère toute forme de création véritable.

« Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. »1320

MIRABEAU (1749-1791), au marquis de Dreux-Brézé, salle du Jeu de paume, 23 juin 1789. Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin

Réponse au grand maître des cérémonies, envoyé par Louis XVI pour faire évacuer la salle du Jeu de paume, suite au Serment du 20 juin.

Le comte de Mirabeau, renié par son ordre et élu par le tiers, se révèle dès les premières séances de l’Assemblée : « Mirabeau attirait tous les regards. Tout le monde pressentait en lui la grande voix de la France », écrira Michelet.

« ‘Allez dire à votre maître…’ Votre maître ! c ‘est le roi de France devenu étranger. C’est toute une frontière tracée entre le trône et le peuple. C’est la révolution qui laisse échapper son cri. Personne ne l’eut osé avant Mirabeau. Il n’appartient qu’aux grands hommes de prononcer les mots décisifs des grandes époques. »1321

Victor HUGO (1802-1885), Littérature et philosophie mêlées (1834)

L’auteur dramatique a le sens du mot et ne peut que saluer l’auteur de cette réplique : « Allez dire à votre maître… » La postérité l’a rendue immortelle. L’iconographie de l’époque (gravures et tableaux contemporains) témoigne de la portée symbolique de cette scène – ce qu’on appellerait aujourd’hui son « impact médiatique ».

« L’histoire n’a trop souvent raconté les actions que de bêtes féroces parmi lesquelles on distingue de loin en loin des héros. Il nous est permis d’espérer que nous commençons l’histoire des hommes, celle de frères nés pour se rendre mutuellement heureux. »1324

MIRABEAU (1749-1791), Assemblée nationale, 27 juin 1789. Discours et opinions de Mirabeau, précédés d’une notice sur sa vie (1820)

L’Orateur du peuple fait de la fraternité l’invention majeure de la Révolution – priorité sera plus souvent donnée à la liberté et l’égalité. Avec la conscience de vivre un moment historique, et un formidable optimisme – le bonheur est à l’ordre du jour.

« Nul, quand la patrie est en danger, nul ne peut refuser son service sans être déclaré infâme et traître à la patrie. »1426

DANTON (1759-1794), Législative, 2 septembre 1792. Discours de Danton, édition critique (1910), André Fribourg

L’armée des Princes (germaniques), soutenue par les aristocrates émigrés (français), a pris Longwy. L’Assemblée a peur et veut se replier sur la Loire, mais Danton appelle à la levée en masse : « Une partie du peuple va se porter aux frontières ; une autre va creuser des retranchements, et la troisième, avec des piques, défendra l’intérieur de nos villes. » L’orateur se fait acclamer.

C’est le grand homme de cette période : substitut de la Commune de Paris érigée en assemblée souveraine et ministre de la Justice, il a en fait tous les pouvoirs. Et l’éloquence en plus. On l’appelle « le Mirabeau de la populace ». Comme Mirabeau, c’est une « gueule », un personnage théâtral. Mais contrairement à Mirabeau, « Danton, comme Robespierre et Marat, est une création de la Révolution. Il jaillit de l’immense événement sans aucun préavis » (Mona Ozouf).

Fait remarquable, il n’écrit pas ses discours : c’est le plus grand improvisateur de l’époque (tout le contraire de Robespierre).

« Le tocsin qui sonne n’est point un signal d’alarme, c’est la charge contre les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. »1428

DANTON (1759-1794), Législative, 2 septembre 1792. Discours de Danton, édition critique (1910), André Fribourg

La fin du discours, célébrissime, est propre à galvaniser le peuple et ses élus : « Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole », écrit Hugo (Quatre-vingt-treize).

Ce 2 septembre, la patrie est plus que jamais en danger. La Fayette, accusé de trahison, est passé à l’ennemi. Dumouriez, qui a démissionné de son poste de ministre, l’a remplacé à la tête de l’armée du Nord, mais le général ne parvient pas à établir la jonction avec Kellermann à Metz. Verdun vient de capituler, après seulement deux jours de siège : les Prussiens sont accueillis avec des fleurs par la population royaliste. C’est dire l’émotion chez les révolutionnaires à Paris !

La rumeur court d’un complot des prisonniers, prêts à massacrer les patriotes à l’arrivée des Austro-Prussiens, qui serait imminente. On arrête 600 suspects, qui rejoignent 2 000 détenus en prison. Danton ne fera rien pour arrêter le drame à venir : les massacres de septembre.

« Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple. »1515

DANTON (1759-1794), Discours sur l’Éducation, 13 août 1793. Discours civiques de Danton

Ces mots s’appliquent parfaitement à l’article 22 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, préface à la Constitution adoptée par la Convention, le 24 juin : « L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir le progrès de la raison publique et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens. » Ce sera l’œuvre de la Troisième République.

« Que parles-tu, Vallier, de faire des tragédies ? La Tragédie court les rues. »1596

Jean-François DUCIS (1733-1816), Correspondance, au plus fort de la Terreur. Essais de Mémoires, ou Lettres sur la vie, le caractère et les écrits de J.-F. Ducis (1824), François Nicolas Vincent Campenon

Poète tragique et traducteur (très libre) de Shakespeare, il répond à l’un de ses amis et témoigne, dans cette lettre : « Si je mets les pieds hors de chez moi, j’ai du sang jusqu’à la cheville. »

Les spectacles sont florissants (hors les jours et les quartiers tragiques), on donne beaucoup d’œuvres « de circonstance », mais la Révolution n’inspire aucune œuvre théâtrale jouable par la suite. Très vite, on se rabat sur les tragédies de Voltaire, qui ne sont pas non plus des chefs-d’œuvre.

Deux noms d’artistes resteront : Talma, tragédien de la Comédie-Française, et David, peintre politiquement inspiré. On les retrouvera au service de l’empereur Napoléon.

Dans le flot des chansons et chants révolutionnaires très inspirés, il reste naturellement la Marseillaise de Rouget de l’Isle et le Chant du départ de Chénier (Marie-Joseph) et Méhul.

« Hélas ! je n’ai rien fait pour la postérité ; et pourtant, j’avais quelque chose là. »1599

André CHÉNIER (1762-1794), se frappant le front avant de monter à l’échafaud, 25 juillet 1794. Mot de la fin d’un poète. Dictionnaire de français Larousse, au mot « postérité »

C’est l’une des dernières victimes de la Terreur (guillotiné deux jours avant l’arrestation de Robespierre). Avec autant de courage que de talent, de son « cœur gros de haine, affamé de justice », le poète crie jusqu’à la fin sa révolte contre les exactions.

Il n’a que 32 ans, même pas l’âge du Christ qui sert parfois de référence aux condamnés. Il s’est engagé avec enthousiasme dans la Révolution, avant de s’opposer aux Girondins. Plutôt que d’émigrer, il a tenté de sauver Louis XVI. C’était un suspect idéal et son frère cadet, Marie-Joseph Chénier, lui-même suspect, n’a rien pu faire pour le sauver - il est l’auteur d’une tragédie censurée, puis jouée avec succès à la Comédie-Française (par Talma), Charles IX, ou la Saint-Barthélemy (retitrée Charles IX, ou l’école des rois) : plaidoyer contre le fanatisme et pour la liberté, sujet maintes fois traité.

Si le nom de Chénier est passé à la postérité, c’est surtout par les vers d’André. La Jeune Captive, ode écrite en prison, est dédiée à Aimée de Coigny, prisonnière à Saint-Lazare : « Je ne veux pas mourir encore ! » Elle sera sauvée par la chute de Robespierre.

« Y a-t-il guillotine aujourd’hui ?
— Oui, lui répliqua un franc patriote, car il y a toujours trahison. »1572

Reflet de l’état d’esprit du sans-culotte et du terrorisme légal. Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf

La guillotine est un spectacle prisé. Les tricoteuses s’installent au pied des bois de justice, les patriotes voient les ennemis du peuple bel et bien punis et Robespierre multiplie les discours à la Convention, justifiant inlassablement la Terreur.

sacre napoléon citation

6. L’Empire censure la culture et toute expression artistique, à l’exception de David, peintre génial au service de la propagande impériale.

« Une nation n’a de caractère que lorsqu’elle est libre. »1697

Mme de STAËL (1766-1817), De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800)

Fille du banquier suisse Necker (ministre de Louis XVI), c’est l’une des rares voix qui s’élève pour oser dénoncer, dès le Consulat, le pouvoir de plus en plus absolu du futur empereur. Épouse de l’ambassadeur de Suède en France (Erik Magnus de Staël-Holstein), Mme de Staël, fervente lectrice de Rousseau, fut d’abord favorable à la Révolution. Mais elle ne lui pardonne pas la mort du roi, moins encore celle de la reine, et surtout la Terreur.

Après trois ans d’exil, elle revient à Paris pleine d’espoir et impressionnée par le nouveau héros, ce général Bonaparte qui va redonner vie à l’idéal révolutionnaire de 1789. Le coup d’État du 18 Brumaire et la Constitution de l’an VIII lui ôtent toutes ses illusions ! Elle le dit, elle l’écrit, elle se fait détester par le grand homme, par ailleurs misogyne, supportant mal l’intelligence et la libre expression d’une femme. D’où son nouvel exil – doré, en Suisse, à Coppet sur les bords du lac Léman, dans le château de famille, auprès de son père. Retiré de la politique depuis 1790, le septuagénaire est moins sévère, dans ses Dernières vues de politique et de finances (1802) : « Une suite d’événements sans pareils ont fait de la France un monde nouveau. »

« Ce qui paraît est misérable ! cela dégoûte. »1758

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Journal : notes intimes et politiques d’un familier des Tuileries (posthume, 1909), Pierre-Louis Roederer

L’empereur a souvent ce mot, comme déjà le Premier Consul, déçu par la production littéraire de son temps. Sans doute veut-il trop diriger la pensée des créateurs et des intellectuels. La plupart d’entre eux sont dociles et les « best-sellers » d’une époque où les amateurs de romans et de poèmes abondent sont aujourd’hui illisibles. Seuls grands talents, des opposants au régime : Chateaubriand hostile à Napoléon après l’exécution du duc d’Enghien (1804) et Mme de Staël, coupable d’être la femme la plus intelligente, la plus libre de son temps. Paradoxalement, le personnage de Napoléon inspirera des chefs-d’œuvre de la littérature française et mondiale.

Même pauvreté dans le domaine théâtral. Le genre qui fait fureur sur les boulevards, c’est le mélodrame. Napoléon méprise le « mélo », il n’aime que le genre noble, la tragédie (à la Comédie-Française), mais aucun auteur ne peut rivaliser, même de très loin, avec les dramaturges du siècle de Louis XIV. Il a quand même trouvé son grand acteur, Talma, qui donnera des leçons de « com » à cet élève surdoué.

Napoléon a plus de chance avec les beaux-arts : David, peintre officiel, issu de la Révolution, reste magnifiquement inspiré dans le parcours imposé par le nouveau maître de la France : voir Le Sacre, chef-d’œuvre de l’école néoclassique. Déjà sous le Consulat, le général Bonaparte, à la tête d’une armée de réserve de 50 000 soldats, renouvelle l’exploit d’Hannibal, franchissant les Alpes au col du Saint-Bernard encore sous la neige, avec des pièces d’artillerie traînées à bras d’homme dans des troncs creux. Scène immortalisée, et surtout sublimée, par David : Le Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard, tableau peint en 1800.

Conseillé par Bonaparte lui-même, l’artiste dépasse la simple représentation de l’événement, pour en faire le prototype de la propagande napoléonienne. Le Premier Consul a souhaité être peint « calme sur un cheval fougueux » et l’artiste cabre l’animal, pour donner un dynamisme à sa composition, renforcé par le geste grandiloquent de Bonaparte drapé dans un ample manteau de couleur vive. Le général victorieux, au visage idéalisé, regarde le spectateur et lui montre la direction à suivre, censée être cette troisième voie politique qu’il cherche à imposer entre les royalistes et les républicains.

Dans la réalité, Bonaparte a franchi le col à dos de mule, revêtu d’une redingote grise. C’est quand même un exploit qui contredit les prédictions des habitants du lieu. Ce passage réussi permet de prendre à revers les troupes autrichiennes, dans cette deuxième campagne d’Italie.

« La liberté de la pensée est la première conquête du siècle. L’Empereur veut qu’elle soit conservée. »1811

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Le Moniteur, 22 janvier 1806

Précisons que c’est un journal très officiel… et il n’en reste pratiquement plus d’autres. Après les 1 500 périodiques nés au début de la Révolution, plus de 70 périodiques paraissaient encore à Paris sous le Directoire. Ils ne seront plus que quatre en 1811. En 1810, un seul journal par département – reproduisant les pages politiques du Moniteur, sous contrôle du préfet.

La liberté de pensée est réduite comme celle de la presse. Même les tragédies classiques, répertoire préféré de l’empereur, sont épurées : les habitués du Théâtre-Français, brochure en main, s’amusent à traquer les nouvelles coupes imposées par la censure impériale à Racine et Corneille. Les contemporains sont dociles. Sauf exception.

Malgré son admiration pour le personnage historique, Chateaubriand reste un opposant au régime (depuis l’exécution du duc d’Enghien). Dans son discours de réception à l’Académie française, il veut faire l’éloge de la liberté. Napoléon le lui interdit. Mme de Staël est plus gravement persécutée : l’exil punit sa liberté d’expression.

« L’Empereur, si puissant, si victorieux, n’est inquiet que d’une chose au monde : les gens qui parlent et, à leur défaut, les gens qui pensent. »1861

Comte de NARBONNE (1755-1813), à Vuillemain, lors d’une visite à l’École normale en 1812. Revue des deux mondes, volume II (1874)

Napoléon, au faîte de sa gloire, voudrait que son règne soit « signalé par de grands travaux, de grands ouvrages littéraires ». Mais jamais la liberté de parole et de pensée ne fut plus surveillée, la presse davantage censurée : plus que quatre journaux à Paris depuis 1811 - et leurs actions ont été confisquées et réparties entre la police et les courtisans les plus dévoués. Encore Napoléon s’indigne-t-il parfois de ce qu’il lit, du « mauvais esprit » et de la « maladresse » des journalistes.

chateaubriand citation

7. Sous la Restauration et la Monarchie de juillet, les auteurs politiquement engagés luttent pour la liberté de la presse « grand public » et inventent le roman sous toutes ses formes, romantique, populaire, social.

« Parler est bien, écrire est mieux ; imprimer est une excellente chose. »1898

Paul-Louis COURIER (1772-1825), Pamphlet des pamphlets (1824)

Quelle que soit la censure qui touche d’ailleurs la presse plus que la littérature, la Restauration est une période de grande activité intellectuelle : des sciences exactes aux courants politiques, en passant par la poésie, la littérature, le théâtre. En 1825, l’édition française publie de 13 à 14 millions de volumes – pour 30 millions de Français, dont les trois quarts sont illettrés. On a recensé 2 278 titres de journaux et périodiques, durables ou éphémères.

« Une opinion ne devient pas criminelle en devenant publique. »1971

Comte de SERRE (1776-1824), préambule des trois lois favorables à la liberté de la presse, 22 mars 1819. Guizot pendant la Restauration (1923), Charles Hippolyte Pouthas

Les constitutionnels (au centre de l’échiquier politique) sont plus nombreux que les ultraroyalistes. Depuis 1816 et pendant quatre ans, ils ont le pouvoir. Decazes, ministre de la Police, puis de l’Intérieur, dirige en fait le gouvernement, avec la confiance de Louis XVIII qui l’appelle « mon fils ». Il place ses hommes et le choix est bon, avec le baron Louis aux Finances, le comte de Serre à la Justice. Ses trois lois créent les conditions de la presse d’opinion.

« La liberté de la presse, c’est l’expansion et l’impulsion de la vapeur dans l’ordre intellectuel, force terrible mais vivifiante, qui porte et répand en un clin d’œil les faits et les idées sur toute la face de la terre. »1972

François GUIZOT (1787-1874), Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (1858-1867)

Il entre sur la scène politique sous la Restauration, tout en faisant œuvre d’historien (de la France et de l’Angleterre). Il a des responsabilités dans le ministère Decazes et la même étiquette de modéré que le comte de Serre, très représentatif avec son ami Royer-Collard d’une classe de bourgeois instruits et riches, juristes, universitaires, hauts fonctionnaires. Il ajoute : « J’ai toujours souhaité la presse libre ; je la crois à tout prendre plus utile que nuisible à la moralité publique. »

Mais cette liberté d’expression et d’opinion, qui profite surtout à leurs adversaires (de gauche), ulcère les ultras de droite qui vont pratiquer la politique du pire - « politique politicienne » tant reprochée à la démocratie et aux Républiques à venir.

« C’est la leçon d’un père qui laisse toujours percer sa sollicitude à travers sa sévérité ou pour mieux dire sa prévoyance. »2007

Le Moniteur, 24 juin 1827. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Sous Charles X, le journal officiel parle en ces termes du rétablissement de la censure, par ordonnance !

« Tous ces prétendus hommes politiques sont les pions, les cavaliers, les tours ou les fous d’une partie d’échecs qui se jouera tant qu’un hasard ne renversera pas le damier. »2038

Honoré de BALZAC (1799-1850), Monographie de la presse parisienne (1842)

Comme presque tous les génies de son temps, Balzac est tenté par la politique (hésitant entre libéralisme et monarchisme catholique). Mais c’est plus que tout un prodigieux observateur des mœurs, doublé d’un « visionnaire passionné » (selon Baudelaire). Les quelque 90 romans de sa Comédie humaine ont d’abord pour titre Études sociales : les jeux politiques de la nouvelle monarchie installée dans l’histoire entre deux révolutions y sont croqués sans indulgence et le personnage de Rastignac entre dans la galerie des grands classiques. Adolphe Thiers sert de modèle à ce bourgeois avide d’argent et de pouvoir.

« La presse est un élément jadis ignoré, une force autrefois inconnue, introduite maintenant dans le monde ; c’est la parole à l’état de foudre : c’est l’électricité sociale […] Plus vous prétendrez la comprimer, plus l’explosion sera violente. »2043

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

La liberté de la presse réduite sur ordonnance de Charles X a mis le feu aux poudres de sa monarchie et des journaux comme Le National ont joué un rôle direct dans la Révolution de juillet. Plus libre sous Louis-Philippe, la presse se diversifie (des magazines illustrés aux revues savantes) et se démocratise : La Presse, quotidien gouvernemental de Girardin et Le Siècle, quotidien d’opposition de Dutacq, sont lancés à 40 francs l’abonnement annuel en 1836, La Liberté d’Alexandre Dumas sera vendue un sou et tirée en 1840 à plus de 100 000 exemplaires. Avec l’introduction du roman-feuilleton et de la publicité, la création de l’Agence Havas et de la rotative, la presse moderne est née.

« On parlera de sa gloire,
Sous le chaume bien longtemps […]
Bien, dit-on, qu’il nous ait nui,
Le peuple encore le révère, oui, le révère,
Parlez-nous de lui, Grand-mère,
Parlez-nous de lui. »1984

BÉRANGER (1780-1857), Les Souvenirs du peuple (1828), chanson. L’Empereur (1853), Victor Auger

L’une des plus belles et simples chansons de ce parolier populaire : « Le peuple, c’est ma Muse ! » dit-il. Salué par Chateaubriand comme « l’un des plus grands poètes que la France ait jamais produits » et par le critique Sainte-Beuve comme un « poète de pure race, magnifique et inespéré ».

Pierre Jean de Béranger contribue à nourrir la légende napoléonienne avec « la chanson libérale et patriotique qui fut et restera sa grande innovation » (Sainte-Beuve). Le souvenir de l’empereur sera bientôt lié à l’opposition au roi - la dynastie au pouvoir n’est pas si solide.

« De tout temps, les pamphlets ont changé la face du monde. »1993

Paul-Louis COURIER (1772-1825), Pamphlet des pamphlets (1824)

Polémiste brillant, il incarne, face à la monarchie restaurée, une tradition à la fois libérale et anticléricale qui s’exprime, malgré la censure. Sous la Restauration, la vie politique est active, mais limitée, l’économie ne connaît qu’une faible progression, mais le mouvement des idées est tel que la France et ses intellectuels retrouvent la primauté perdue sous l’Empire.

« Autant proposer une loi en un seul article, qui dirait : L’imprimerie est supprimée en France au profit de la Belgique. »2002

Casimir PÉRIER (1777-1832), à propos du projet de loi sur la police de la presse, Chambre des députés, 29 décembre 1826. Mot également attribué, selon quelques sources, à Royer-Collard (1763-1845), autre député libéral. Mes Mémoires (1852-1856), Alexandre Dumas

Le député raille amèrement le projet du ministère Villèle et quitte son banc.

Peyronnet, garde des Sceaux, l’a présenté le 29 décembre comme une « loi de justice et d’amour » (selon Le Moniteur). Chateaubriand dénonce cette « loi vandale ». Ainsi, les journaux doivent être déposés cinq à dix jours avant leur diffusion.

L’édition n’est guère mieux traitée, l’Académie française proteste, les libéraux se déchaînent à la discussion du projet. Mais la loi est votée le 12 mars 1827 à la Chambre des députés (233 voix contre 134). Reste la Chambre des pairs où Chateaubriand a pris la tête de l’opposition libérale.

« J’ai aidé à conquérir celle de nos libertés qui les vaut toutes, la liberté de la presse. »2003

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Monarchiste modéré, il mène campagne pour les libertés publiques dans Le Journal des débats et à la Chambre, contre le ministère Villèle qui multiplie les lois réactionnaires. Les pairs modifient tant et si bien la loi sur la presse que Villèle retire son projet, le 17 avril 1827. Et Paris illumine.

« La plupart des hommes qui étaient là avaient servi, au moins, quatre gouvernements ; et ils auraient vendu la France ou le genre humain, pour garantir leur fortune, s’épargner un malaise, un embarras, ou même par simple bassesse, adoration instinctive de la force. »2040

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

À l’instar de Chateaubriand le grand romantique, mais dans un tout autre style, le « maître du réalisme » se présente comme un grand auteur à la barre des témoins de son temps, peintre minutieux de la bourgeoisie des années 1840-1850 et des illusions perdues de Frédéric Moreau, son antihéros.

« Qu’importe que ce soit un sabre ou un goupillon, ou un parapluie qui nous gouverne ! C’est toujours un bâton. »2041

Théophile GAUTIER (1811-1872), Mademoiselle de Maupin (1835)

C’est l’exception à la règle de l’engagement politique, social et moral des Hugo, Lamartine et George Sand, Michelet et Tocqueville. Contre les « Jeunes-France » romantiques, ce « parfait magicien des lettres françaises » (selon Baudelaire) affirme la doctrine de « l’art pour l’art » dans la préface de Mademoiselle de Maupin.

« Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux.
D’un siècle sans espoir naît un siècle sans crainte. »2054

Alfred de MUSSET (1810-1857), Poésies nouvelles, Rolla (1833)

L’enfant terrible du romantisme triomphant incarne le mal de vivre de tous les enfants du siècle. Mais le désarroi de cette jeunesse dorée est plus moral que social.

« Il y a des hommes qui, après avoir prêté serment à la République une et indivisible, au Directoire en cinq personnes, au Consulat en trois, à l’Empire en une seule, à la première Restauration, à l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire, à la seconde Restauration, ont encore quelque chose à prêter à Louis-Philippe ; je ne suis pas si riche. »2059

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), De la Restauration et de la Monarchie élective (1830)

Et Chateaubriand joint le geste aux mots de cette brochure écrite au lendemain de la Révolution de juillet. Il renonce à son titre et à sa pension de pair de France, attitude d’autant plus digne que toute la fin de sa vie sera empoisonnée par des problèmes d’argent.

« Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »2076

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Mot d’un populaire gamin de Paris, ainsi mis en situation : « Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre. »

Hugo, l’auteur qui va le mieux incarner son siècle, immortalise dans ce roman la première grande insurrection républicaine sous la Monarchie de juillet (5 et 6 juin 1832). Une manifestation aux funérailles du général Lamarque (député de l’opposition) se termine en émeute, quand la garde nationale massacre les insurgés, retranchés rue du Cloître-Saint-Merri : barricades et pavés font à nouveau l’Histoire et la une des journaux de l’époque.

« La grande passion de ces temps-ci, c’est […] la passion de l’avenir, c’est la passion du perfectionnement social […] Eh bien : l’instrument de cette passion actuelle du monde moral, c’est la presse, c’est l’outil de la civilisation. »2088

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Chambre des députés, 21 août 1835. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1898), Assemblée nationale

Le poète entre en politique. Avec Hugo, voici l’un des meilleurs orateurs, en un temps où les hommes politiques ont le don d’éloquence. Ce discours en faveur de la liberté de la presse reste célèbre.

« Les journaux qui devraient être les éducateurs du public, n’en sont que les courtisans, quand ils n’en sont pas les courtisanes. »2089

BARBEY d’AUREVILLY (1808-1889). L’Esprit de J. Barbey d’Aurevilly (1908), Jules Barbey d’Aurevilly, Léon Bordellet

Polémiste et critique, adversaire proclamé de son siècle, il accable ses contemporains de son mépris indigné, dénonce les progrès de la médiocrité dans les mœurs, les sentiments, les œuvres. Face aux bourgeois, il s’affiche dandy. Mais si la démocratisation de la presse va de pair avec vulgarisation, voire vulgarité, il y a sous la Monarchie de juillet un incontestable progrès dans la communication des idées. 1836 est une date importante, avec la création de La Presse, quotidien à bon marché et gros tirages d’Émile de Girardin qui se battra pour la liberté des journaux qu’il crée, gère et modernise en homme d’affaires. Ce marché déjà capitaliste fait vivre les nombreux auteurs de feuilleton « grand public ».

« Le bourgeois de Paris est un roi qui a, chaque matin à son lever, un complaisant, un flatteur qui lui conte vingt histoires. Il n’est point obligé de lui offrir à déjeuner, il le fait taire quand il veut et lui rend la parole à son gré ; cet ami docile lui plaît d’autant plus qu’il est le miroir de son âme et lui dit tous les jours son opinion en termes un peu meilleurs qu’il ne l’eût exprimée lui-même ; ôtez-lui cet ami, il lui semblera que le monde s’arrête ; cet ami, ce miroir, cet oracle, ce parasite peu dispendieux, c’est son journal. »2097

Alfred de VIGNY (1797-1863), Journal d’un poète (1839)

Encore un déçu de la politique et de ses contemporains. Le désenchantement semble inhérent au romantisme et celui de Vigny est sincère. Il date de la Restauration - la vie de garnison lassa vite le jeune militaire élevé dans le culte des armes et de l’honneur - et s’aggrave lors de la révolution de 1830, qui amène au pouvoir un bourgeois si peu roi, aux yeux de la vieille aristocratie dont Vigny est le délicat et sensible rejeton.

« Ma patrie est partout où rayonne la France,
Où son génie éclate aux regards éblouis !
Chacun est du climat de son intelligence :
Je suis concitoyen de toute âme qui pense,
La vérité c’est mon pays ! »2109

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), La Marseillaise de la Paix, « Revue des Deux-Mondes », 1er juin 1841

Réponse au « Rhin allemand » du poète Becker, mais le poète français dépasse l’opposition de pays à pays dans un hymne pacifique qui n’implique nul renoncement au patriotisme. Le lyrisme et la générosité de Lamartine s’expriment dans cette invitation lancée à toutes les nations, à s’unir pour le progrès social.

« Partout on travaille activement aux barricades déjà formidables. C’est plus qu’une émeute, cette fois, c’est une insurrection. »2131

Victor HUGO (1802-1885), Choses vues, 24 février 1848 (posthume)

Lamartine, Dumas, Flaubert, Baudelaire, George Sand et beaucoup d’autres écrivains sont témoins, parfois acteurs et enthousiastes. Hugo vit et vibre à ces nouvelles journées des Barricades, toujours aux premières loges – après les Trois Glorieuses de 1830 et l’insurrection républicaine de 1832, célébrée dans les Misérables.

Il note encore, en date du 24 : « Je fais une reconnaissance autour de la place Royale. Partout l’agitation, l’anxiété, une attente fiévreuse. » Thiers a un plan, celui-là même qu’il appliquera contre les communards en 1871 : évacuer Paris, puis l’encercler, le reconquérir comme une place forte ennemie, avec une troupe de métier. Il dispose de 60 000 hommes pour écraser la révolution. Le petit homme entrerait dans l’histoire, mais cela ferait des milliers de morts (comme sous la Commune)… Louis-Philippe ne peut s’y résoudre, tandis que l’émeute gronde autour du palais des Tuileries.

Victor Hugo citation

8. La Deuxième République retrouve l’art (révolutionnaire) du discours politique avec Lamartine au début, Hugo (élu député) à la fin et l’engagement plus passionné que jamais des auteurs.

« L’enthousiasme fanatique et double de la République que je fonde et de l’ordre que je sauve. »2145

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, 24 février 1848. XIXe siècle : les grands auteurs français du programme (1968), André Lagarde et Laurent Michard

Entré en politique avec la révolution de 1830, l’auteur continue d’écrire pour des raisons financières – une œuvre d’historien le mobilise (sa belle Histoire des Girondins). Mais la République va le mobiliser à plein temps et plein cœur, pendant deux ans.

« Périssent nos mémoires, pourvu que nos idées triomphent ! Ce cri sera le mot d’ordre de ma vie politique. » Depuis ce discours du 27 janvier 1843 qui le mit à la tête de l’opposition de gauche à la Monarchie de juillet, Lamartine jouit d’une immense popularité. Il a conduit le peuple à la révolution rendue inévitable par l’aveuglement des conservateurs et le voilà porté au pouvoir en février 1848, par une sorte d’unanimité dont la fragilité et surtout l’ambiguïté vont éclater, dans les semaines à venir.

« Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! »2146

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, derniers mots de son discours du 25 février 1848. Les Orateurs politiques de la France, de 1830 à nos jours (1898), Maurice Pellisson

Son lyrisme fait merveille, aux grandes heures du siècle romantique. La veille, 24 février, il a accepté la proclamation de la République comme un fait accompli. Mais ce jour, il refuse l’adoption officielle du drapeau rouge et, seul des onze membres du gouvernement provisoire, il a le courage d’aller vers la foule en armes qui cerne l’Hôtel de Ville ! Lui seul aussi est capable d’apaiser les insurgés du jour et de rallier le lendemain les modérés à la République.

« On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge, « qui n’avait fait que le tour du Champ de Mars tandis que le drapeau tricolore », etc. ; et tous se rangèrent sous son ombre, chaque parti ne voyant des trois couleurs que la sienne – et se promettant bien, dès qu’il serait le plus fort, d’arracher les deux autres. »2147

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

Le romancier voit juste, aidé par le recul du temps : la confusion et l’enthousiasme des premiers jours masquent toutes les incompatibilités d’opinion.

« Vive la République ! Quel rêve ! […] On est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange et de se réveiller dans les cieux. »2150

George SAND (1804-1876), Lettre au poète ouvrier Charles Poncy, 9 mars 1848, Correspondance (posthume)

La Dame de Nohant, très populaire par ses nouveaux romans humanitaires et rustiques (La Mare au diable, François le Champi, La Petite Fadette), se précipite à Paris et s’enthousiasme comme ses confrères pour la République. Elle fonde La Cause du Peuple (hebdomadaire dont Sartre fera revivre le nom et qui deviendra Libération), elle ne pense plus qu’à la politique, le proclame et s’affiche aux côtés de Barbès (émeutier révolutionnaire libéré de prison grâce à la récente révolution), Louis Blanc et Ledru-Rollin (membres du gouvernement provisoire).

« Les quatre mois qui suivirent février furent un moment étrange et terrible. La France stupéfaite, déconcertée, en apparence joyeuse et terrifiée en secret, […] en était à ne pas distinguer le faux du vrai, le bien du mal, le juste de l’injuste, le sexe du sexe, le jour de la nuit, entre cette femme qui s’appelait Lamartine et cet homme qui s’appelait George Sand. »2154

Victor HUGO (1802-1885), Choses vues (posthume). L’Écrivain engagé et ses ambivalences : de Chateaubriand à Malraux (2003), Herbert R. Lottman

Le plus grand témoin à la barre de l’histoire de son temps note toutes ses impressions, dans son Journal. Son œuvre est une mine de citations et les plus belles appartiennent aux grandes époques de trouble. En prime, l’humour est présent et l’antithèse hugolienne fort juste.

« Le monde a la démarche d’un sot, il s’avance en se balançant mollement entre deux absurdités : le droit divin et la souveraineté du peuple. »2159

Alfred de VIGNY (1797-1863), Journal d’un poète (posthume)

Élevé dans une famille de vieille noblesse avec le culte de la monarchie de droit divin, écorché vif par tous les bouleversements de la société depuis sa naissance, Vigny s’est pris d’enthousiasme pour la Révolution de 1848 et s’est présenté à la députation en Charente. Il obtient si peu de voix que cet échec politique le rend de nouveau bien amer.

Ses confrères ont plus de chance : Lamartine triomphe (dans dix départements, avec 1 600 000 voix) et Hugo est bien élu. Chateaubriand, octogénaire à demi paralysé, retiré de la vie politique, mourra en juillet. Musset, précocement épuisé par les excès, ne va pas bien et ne se présente pas non plus. Tocqueville l’historien est élu. Michelet vibre naturellement pour la révolution, mais milite par ses cours d’histoire et son œuvre engagée. Belle époque politique.

« Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle Assemblée nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent. »2164

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Les Confessions d’un révolutionnaire (1849)

Nul mieux que cet homme du peuple ne mérite ce titre de « représentant du peuple ». Pourtant, le plus célèbre socialiste de France, très critique contre ses confrères (à commencer par les socialistes) est lui-même très critiqué, sur le fond et plus encore sur la forme de ses premiers discours, lus à la tribune, difficiles à comprendre. Le portrait qu’en fait Hugo, dans Choses vues, est assez cruel. Ce sera pire avec le futur Napoléon III. Paradoxalement, Louis-Napoléon Bonaparte va éprouver les mêmes difficultés que Proudhon, en entrant dans cette arène politique. Mais il s’en sortira bien différemment ! Quant à Hugo, c’est à l’évidence le plus éloquent des orateurs.

Ces trois hommes, élus députés aux élections complémentaires du 4 juin 1848, entrent ainsi le même jour à l’Assemblée constituante.

« Le bonnet de coton ne se montra pas moins hideux que le bonnet rouge. »2173

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

Les représailles ont suivi les combats. Bilan humain des journées de juin : plus de 4 000 morts chez les insurgés, 1 600 parmi les forces de l’ordre (armée et garde nationale). Et 3 000 prisonniers ou déportés en Algérie.

Bilan politique : la rupture est consommée entre la gauche populaire, prolétaire et socialiste (à Paris surtout, mais très minoritaire dans le pays) et la droite conservatrice à laquelle vont peu à peu se joindre les républicains modérés, pour former le parti de l’Ordre. Flaubert rejette ici dos à dos le bourgeois et le peuple.

« J’ai honte aujourd’hui d’être Française, moi qui naguère en étais si heureuse […] Je ne crois plus à l’existence d’une république qui commence par tuer ses prolétaires. »2174

George SAND (1804-1876), Lettre à Charlotte Marliani, juillet 1848. Les Écrivains devant la Révolution de 1848 (1948), Jean Pommier

Elle écrit ces mots à sa confidente et amie, montrant à quel point son cœur est du côté des émeutiers. La « bonne dame de Nohant » n’aura pas la même inconditionnalité pour la Commune de Paris, en 1871.

« C’est parce que je veux la souveraineté nationale dans toute sa vérité que je veux la presse dans toute sa liberté. »2206

Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, 9 juillet 1850. Les Médias (2004), Francis Balle

Le défenseur des libertés, élu député, s’oppose ici à la loi sur la presse qui va rétablir le timbre et le cautionnement, le 16 juillet. Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République qui s’impose en maître de la France déplaît chaque jour davantage à Hugo qui l’a soutenu les premiers mois, mettant même à son service le journal qu’il a fondé.

« La Révolution et la République sont indivisibles. L’une est la mère, l’autre est la fille. L’une est le mouvement humain qui se manifeste, l’autre est le mouvement humain qui se fixe. La République, c’est la Révolution fondée […] On ne sépare pas l’aube du soleil. »2214

Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, Discours du 17 juillet 1851. Actes et Paroles. Avant l’exil (1875), Victor Hugo

Discours violent et célèbre, prononcé devant une assemblée houleuse. Hugo est contre la révision de la Constitution en débat. Le 19 juillet, elle ne réunit que 446 voix contre 270. Il fallait la majorité des trois quarts (543 voix). L’article 45 interdisant la rééligibilité est donc maintenu. Les députés n’ont pas été dupes, la manœuvre a échoué.

Louis-Napoléon Bonaparte n’a plus le choix. Il prépare son coup d’État, avec ses hommes bien placés dans l’armée, la police. Il prépare aussi l’opinion, entretient la peur, dénonce l’imminence du complot : Le Spectre rouge de 1852, brochure signée Romieu, en dit assez par son titre.

opera garnier citation

9. Le Second Empire impose l’exil à Hugo (irréductible opposant) et une censure (quasi napoléonienne), mais la chanson s’en moque et ce régime nous laisse en héritage le Paris haussmannien et l’Opéra Garnier.

« Louis Bonaparte […] ne connaissait qu’une chose, son but […] Toute sa politique était là. Écraser les républicains, dédaigner les royalistes. »2222

Victor HUGO (1802-1885), Histoire d’un crime (1877)

Ainsi résume-t-il la politique du nouvel homme fort, entre le coup d’État du 2 décembre 1851 et le rétablissement de l’Empire à son profit en novembre 1852.

« La censure quelle qu’elle soit me paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide ; l’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain. »2225

Gustave FLAUBERT (1821-1880), Lettre à Louise Colet (1852), Correspondance (posthume)

La répression a touché d’abord la presse républicaine. La plupart de ses journaux ont disparu après le coup d’État. Suivent quatre décrets (février et mars 1852) qui enlèvent toute liberté à la presse, placée sous contrôle du ministère de la Police.

« La République à votre vote expire
Devant Machin, votre unanime élu.
Soyez heureux : vous possédez l’Empire,
Soyez-en fiers, car vous l’avez voulu.
De ce succès dont votre âme s’enivre
Peut-être un jour vous vous mordrez les doigts :
Votre empereur, dit-on, aime bien vivre !
Et vous paierez la carte, bons bourgeois ! »2233

Charles GILLE (1820-1856), La Carte à payer, chanson. La République clandestine (1840-1856) : les chansons de Charles Gille (posthume, 2002)

La presse d’opposition n’existe pratiquement plus, depuis le coup d’État du 2 décembre 1851, mais la chanson reste un moyen d’expression et l’humour se fait cinglant. Charles Gille, poète et ouvrier persécuté, écrase de son mépris cette bourgeoisie qui, de nouveau, a trahi la République.

« Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »2234

Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)

Le prestigieux proscrit témoigne de son opposition irréductible à l’empereur, à présent haï de lui. À la date où cette œuvre est diffusée sous le manteau, l’opposition républicaine est réduite à néant : chefs en prison ou en exil, journaux censurés. Ces mots ont d’autant plus de portée, Hugo devenant le chef spirituel des républicains refusant le dictateur : « Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même / Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ; / S’il en demeure dix, je serai le dixième ; / Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

« M. Louis Bonaparte a réussi. Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte. »2253

Victor HUGO (1802-1885), Napoléon le Petit (1852)

Les ralliements sont nombreux - ni plus ni moins choquants que les précédents, dans cette France qui ne cesse de changer de régime depuis le début du siècle. Hugo fut ulcéré par le coup d’État du 2 décembre 1851, combattu sans succès comme député à la Chambre et comme manifestant appelant le peuple aux barricades ; ulcéré aussi par l’irrésistible ascension au pouvoir impérial qui a suivi, en 1852. Et d’accuser Napoléon III dans son pamphlet : « Il a fait de M. Changarnier une dupe, de M. Thiers une bouchée, de M. de Montalembert un complice, du pouvoir une caverne, du budget sa métairie. »

Le plus grand auteur français de son temps, le plus populaire aussi, va rester dix-huit ans en exil – jusqu’à la chute du régime et de « Napoléon le Petit ».

Le « héros Crapulinsky » est aussi tourné en dérision par Marx, dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte : les plaies d’argent et la vie scandaleuse du personnage sont sans doute exagérées. Quant à l’analyse des deux prises de pouvoir bonapartistes, elle est par définition marxiste.

« L’histoire a pour égout des temps comme les nôtres. »2257

Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)

Paroles d’exil. Il faut être hors de France pour avoir cette liberté d’expression. Il faut être Hugo pour avoir ces mots. Le prestigieux proscrit de Jersey, bientôt de Guernesey, se veut l’« écho sonore » et la conscience de son siècle et refusera de rentrer après le décret d’amnistie.

Son œuvre est désormais diffusée sous le manteau. Après le pamphlet politique contre « Napoléon le Petit », Les Châtiments sont une œuvre poétique ambitieuse. Suite au crime du 2 décembre et à la répression, Dieu inflige le châtiment et l’expiation. Le Poète, seul face à l’océan et parlant au nom du Peuple, se veut messager de l’espoir avec la venue de temps meilleurs.

Hugo n’est pas marxiste, mais comme Marx, il dénonce le double crime bonapartiste et rapproche les deux coups d’État, 2 décembre 1851 et 18 brumaire an VIII - où Bonaparte prit le pouvoir par la violence. Les deux faits sont comparables et l’un est la conséquence de l’autre, mais Napoléon est un héros, et l’autre un nain qui s’est servi du nom et de la légende.

« Osman, préfet de Bajazet,
Fut pris d’un étrange délire :
Il démolissait pour construire,
Et pour démolir, construisait.
Est-ce démence ? Je le nie.
On n’est pas fou pour être musulman ;
Tel fut Osman,
Père de l’osmanomanie. »2258

Gustave NADAUD (1820-1893), L’Osmanomanie, chanson. Chansons de Gustave Nadaud (1870)

Texte en forme de conte, signé d’un poète chansonnier qui fait la satire du Second Empire, souvent interdite par le régime. Ces formes de contestation échappent à l’anonymat, preuve que les auteurs courent moins de risques que jadis…

Nommé préfet de la Seine le 1er juillet 1853, le baron Haussmann voit grand et beau pour la ville impériale. Il faut en finir avec le Paris de Balzac aux rues pittoresques, mais sales et mal éclairées, créer une capitale aussi moderne que Londres qui a séduit l’empereur, creuser des égouts, approvisionner en eau les Parisiens, aménager des espaces verts, loger une immigration rurale massive, percer de larges avenues pour faciliter l’action de la police et de l’artillerie contre d’éventuelles barricades. « Ce qu’auraient tenté sans profit / Les rats, les castors, les termites / Le feu, le fer et les jésuites / Il le voulut faire et le fit. / Puis quand son œuvre fut finie / Il s’endormit comme un bon musulman / Tel fut Osman / Père de l’Osmanomanie. »

La rumeur accuse le baron de sacrifier des joyaux anciens, d’avoir un goût immodéré pour la ligne droite et bientôt de jongler avec les opérations de crédit. L’« osmanomanie » va rimer avec mégalomanie.

« Je ne lis jamais les journaux français, ils n’impriment que ce que je veux. »2259

NAPOLÉON III (1808-1873). Le Guide de la presse (1990), Office universitaire de presse

L’empereur ne manque pas d’humour, à l’occasion. Et il parle vrai. Depuis le 23 février 1852, un système de pénalités graduées va de l’avertissement à la suppression, en passant par la suspension. Mais l’autocensure suffit souvent, surtout que la presse d’opposition n’existe plus – des quelque 200 journaux à Paris en 1848, il en reste 11 après le coup d’État du 2 décembre 1851.

« Les journaux sont les chemins de fer du mensonge. »2260

BARBEY d’AUREVILLY (1808-1889). L’Esprit de J. Barbey d’Aurevilly (1908), Jules Barbey d’Aurevilly, Léon Bordellet

Romancier, journaliste et polémiste au parcours politique complexe, Barbey d’Aurevilly, surnommé le Connétable des Lettres, dénonce les effets de la censure.

C’est vrai jusqu’en 1860, tournant politique à la suite duquel le gouvernement favorisera la multiplication des journaux, faute de pouvoir contrôler leur création : il pense ainsi baisser l’audience des opposants en les noyant dans la masse. Jusqu’à ce que la liberté soit redonnée à la presse en 1868, sous un Empire plus libéral.

« Il y a aussi plusieurs sortes de Liberté. Il y a la Liberté pour le Génie, et il y a une liberté très restreinte pour les polissons. »2272

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Notes et Documents pour mon avocat (1857)

25 juin 1857, Les Fleurs du mal sont publiées. Elles font scandale : immorales, triviales, géniales. Baudelaire paraît devant le tribunal correctionnel. Il écrit aussi pour sa défense : « Il était impossible de faire autrement un livre destiné à représenter l’agitation de l’esprit dans le mal. » Il est condamné à trois mois de prison pour outrage aux mœurs. Il se soumet : dans la seconde édition de 1861, les six poèmes incriminés auront disparu.

La même année 1857, l’immoralité de Madame Bovary mène Flaubert en justice. Mais son avocat obtient l’acquittement. Il plaide qu’une telle lecture est morale : elle doit entraîner l’horreur du vice et l’expiation de l’épouse coupable est si terrible qu’elle pousse à la vertu.

À la même époque, le génie d’Offenbach s’exprime au théâtre – l’humour et la musique aident à faire passer son apologie de l’adultère et ses bacchanales orgiaques. Dans l’Angleterre puritaine, l’art n’a pas cette relative liberté.

À l’impératrice qui lui demande de quel style peut bien être ce projet d’Opéra pour Paris :
« C’est du Napoléon III, Madame. »2283

Charles GARNIER (1825-1898), 1861. Napoléon III et le Second Empire : l’aube des temps (1975), André Castelot

Un concours public est lancé pour l’édification d’un opéra digne du nouveau Paris haussmannien : 171 concurrents déposent un millier de dessins. Viollet-le-Duc, ami du couple impérial, est favori. Un inconnu l’emporte, à l’unanimité du jury ! Et l’empereur s’incline, séduit par la maquette.

Les plus grands artistes, peintres, décorateurs, sculpteurs œuvrent pour le monument. Mais le chef-d’œuvre est bien signé Garnier, illustrant l’éclectisme en architecture : au lieu de se référer à un style unique, on dresse un répertoire des modèles les plus achevés, pour combiner les éléments issus des différentes époques et civilisations, en les adaptant à la réalité contemporaine. Ainsi, Garnier utilise les nouveaux matériaux pour leur aspect fonctionnel, mais à l’inverse des modernistes (tels Eiffel, Baltard), il dissimule le fer de la charpente sous le stuc et la pierre de taille.

« Cathédrale mondaine de la civilisation » selon Théophile Gautier, l’Opéra de Paris va fasciner le monde (comme le château de Versailles au Siècle de Louis XIV). Il sera « copié » une centaine de fois.

« Quand Julien fait des boulettes,
C’est un grand pâtissier,
Quand Haussmann double nos dettes,
C’est un bien grand financier ! […]
Refrain
Ce préfet – Est parfait
Il fait bien tout ce qu’il fait. »2299

Paul AVENEL (1823-1902), Les Comptes fantastiques d’Haussmann, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La chanson est d’Avenel, mais le mot qui fait titre est de Jules Ferry (avocat et député républicain) et va faire mal au préfet visé, déjà malmené par le Corps législatif et l’opinion publique. Les « Comptes fantastiques d’Haussmann » font allusion aux Contes fantastiques d’Hoffmann, classique de la littérature romantique allemande, déjà porté au théâtre par Carré et Barbier (avant d’être mis en musique par Offenbach, en 1881).

Les grands travaux d’« Osman » se révèlent ruineux, l’« osmanomanie » rime plus que jamais avec mégalomanie, les combinaisons de crédit sont douteuses. Le préfet Haussmann sera limogé en 1869, mais le Paris impérial de ses rêves et de ses plans est presque achevé. Il restera le nôtre, jusque sous la Quatrième République.

« J’ai dans ma main le ministère
Et dans ma manche le Sénat,
Je fais la paix, je fais la guerre,
Enfin c’est moi qui suis l’État !
Mon peuple est un mouton docile
Dont je sais tondre la toison.
Refrain
Majesté, répondit Émile,
Majesté, vous avez raison ! »2303

Paul AVENEL (1823-1902), Le Plébiscite (1870), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La chanson brocarde Émile Ollivier, hier républicain, aujourd’hui ministre, croyant œuvrer pour un empire plus libéral.

La suite est cruelle pour l’empereur : « Les effluves républicaines / Font à la France un sang nouveau / Et le mien, vieilli dans mes veines / Ne monte plus à mon cerveau / Mais malgré mon état sénile / Je reste au Louvre en garnison / Majesté, répondit Émile / Majesté, vous avez raison ! »

Napoléon III est à ranger dans la liste de « ces malades qui nous gouvernent ». Après l’« abcès » de François Ier (sans doute la vérole), la tuberculose des fils de Catherine de Médicis, la fistule de Louis XIV, et avant la maladie de Waldenström de Pompidou, c’est la très douloureuse maladie de la pierre (calculs de la vessie) qui ôte toute énergie à l’homme.

« V’là le Sire de Fish-ton-Kan,
Qui s’en va-t-en guerre,
En deux temps et trois mouv’ments
Sens devant derrière […]
Badinguet, fich ton camp. »2319

Paul BURANI (1845-1901), paroles, et Antonin LOUIS (1845-1915) musique, Le Sire de Fich-ton-kan (1870), chanson

La capitulation de Sedan est accueillie par les applaudissements de la gauche, le 3 septembre à la Chambre : l’opposition sait que le régime ne survivra pas à la défaite de l’armée impériale. De fait, l’opinion se retourne aussitôt : plébiscité en mai, l’empereur qui tombe est insulté. La rue chante…

Lire la suite : l’exception culturelle à la française de la Troisième République à nos jours

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