Liberté, égalité, fraternité - la trilogie républicaine (Fin de la Révolution et et chronique napoléonienne) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

II. Liberté, égalité, fraternité - la trilogie républicaine
Fin de la Révolution (Convention) et chronique napoléonienne (Directoire, Consulat, Empire).

Nouvelle période étonnamment riche en citations, le Verbe se mêlant à l’Action en une course folle.

Troisième assemblée révolutionnaire, la Convention prend acte du fait majeur qui met fin à l’Ancien Régime.

« La royauté est abolie en France. »1439

Convention, Décret du 21 septembre 1792. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1900), Assemblée nationale

La fin de la monarchie millénaire est votée à l’unanimité des 749 députés.

Dans cette nouvelle assemblée, la disposition des députés a une signification qui n’est pas que formelle. Les Girondins prennent place à droite et les Montagnards à gauche – ils siégeaient sur les bancs les plus élevés (la Montagne) dans la précédente assemblée. La Convention est majoritairement girondine jusqu’au 2 juin 1793. Une extrême gauche minoritaire et une masse de centristes qui forment la Plaine (ou Marais) se rallieront à la Montagne.

La Convention va refléter l’emballement des faits et des idéologies jusqu’à la Terreur – où le droit au bonheur est paradoxalement invité.

Liberté, égalité, fraternité, ces trois valeurs républicaines continuent de faire la une dans une actualité de plus en plus violente. Mais elles sont instrumentalisées, souvent détournées à des fins politiques, au point de perdre leur valeur essentielle, mélange de rationalité et d’humanité.

« Napoléon, en arrivant sur la scène du monde, vit que son rôle était d’être l’exécuteur testamentaire de la Révolution. »1646

NAPOLÉON III (1808-1873), Idées napoléoniennes (1839)

Nombre d’historiens sont de cet avis. Son neveu (troisième fils de Louis Bonaparte, frère de l’empereur) aura lui aussi un (lourd) héritage historique dont il fera plus ou moins bon usage sous le Second Empire.

L’épopée napoléonienne, exceptionnelle à plus d’un titre, impose un recul des valeurs républicaines au nom de l’ordre impérial. L’opposition est pratiquement impossible, la liberté de pensée et d’expression quasiment nulles en raison de la censure, l’éducation dirigée à sens unique, l’égalité des sexes bafouée par le Code civil résolument misogyne (et par ailleurs remarquable).

1. Fin de la Révolution (Convention) : l’emballement des faits et des idéologies jusqu’à la Terreur.

« La royauté est anéantie, la noblesse et le clergé ont disparu, le règne de l’égalité commence. »1445

ROBESPIERRE (1758-1794), premier numéro des Lettres à ses commettants, à tous les Français, 30 septembre 1792. La Révolution française (1922), Albert Mathiez

Après la Liberté, l’Égalité va faire la une de l’activité révolutionnaire, en mots et en actes de plus en plus violents.

Avocat peu éloquent à ses débuts (surnommé la Chandelle d’Arras par opposition à Mirabeau, la Torche de Provence), député discret sous la Constituante, absent de la Législative, Maximilien (de) Robespierre se révèle à la Convention en nouveau meneur de la Révolution. Il n’improvise jamais, contrairement à Danton : il lit, ses discours sont parfois interminables, emphatiques et rhétoriques, même si l’on y trouve toujours matière à citation.

Robespierre et les Montagnards se déclarent partisans de mesures sociales que l’on pourrait qualifier de socialistes, voire communistes avant la lettre : si l’égalité l’emporte sur la liberté, on ne parle pas encore de fraternité.

« Quand tous les hommes seront libres, ils seront égaux ; quand ils seront égaux, ils seront justes. »1277

SAINT-JUST (1767-1794), L’Esprit de la Révolution et de la Constitution en France (1791)

Le mouvement révolutionnaire est décrit comme un cercle idéalement vertueux, entraînant une escalade de progrès. Les faits démentent ce genre d’optimisme – et pas seulement lors de notre Révolution française !

Cet ouvrage fait de Saint-Just, 24 ans, l’un des plus jeunes théoriciens de la Révolution et le frère de Robespierre dont il va partager le destin « à la vie à la mort ».

« Le Ciel qui me donna une âme passionnée pour la liberté m’appelle peut-être à tracer de mon sang la route qui doit conduire mon pays au bonheur. J’accepte avec transport cette douce et glorieuse destinée. »1309

ROBESPIERRE (1758-1794). Réponse de M. Robespierre aux discours de MM. Brissot et Guadet du 23 avril 1792, prononcée à la Société des Amis de la Constitution le 27 du même mois, et imprimée par ordre de la Société (27 avril 1792)

Il lui reste deux ans à vivre : deux ans pour éliminer les factions et les factieux et marquer la Révolution de son empreinte. Il met en avant la liberté et le bonheur déjà déclaré droit de l’homme en France et aux États-Unis. Mais chacun peut avoir de ces deux mots une conception personnelle et celle de Robespierre se révèlera pour le moins particulière. Nombre de contemporains en témoigneront, avant les historiens toujours divisés sur la Révolution où le pire et le meilleur se côtoient.

« Les maximes actuelles ne tendent qu’à détruire. Elles ont déjà ruiné les riches, sans enrichir les pauvres ; et au lieu de l’égalité des biens, nous n’avons encore que l’égalité des misères et des maux. »1446

RIVAROL (1753-1801), Journal politique national. Rivarol et la société française pendant la Révolution et l’émigration, études et portraits (1883), Mathurin de Lescure

C’est à présent un exilé qui s’exprime, au nom de nombreux émigrés.

Voltaire le saluait comme « le Français par excellence » et Burke (député irlandais et philosophe) en fait « le Tacite de la Révolution ». Rivarol collabore au Journal et ses articles, publiés sous forme de Mémoires, sont une chronique précieuse, très intelligente et moins partisane que celle d’autres opposants au nouveau régime – il critique d’ailleurs l’Ancien Régime, la cour, les nobles. Plus près de nous, Jean Cocteau reprendra la même idée dans son Discours de réception à l’Académie française (1955) : « La France a toujours cru que l’égalité consistait à trancher ce qui dépasse. »

Au sein même de la Convention, les Girondins représentant et surtout défendant les intérêts de la grande bourgeoisie d’affaires, s’opposent eux aussi aux projets de réforme économique et sociale des Montagnards. Mais tous les députés, Montagnards comme Girondins, ont la même origine bourgeoise, aisée – il y a un seul député ouvrier et 15 cultivateurs à la Convention.

« La Convention nationale déclare au nom de la nation française qu’elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté. »1451

Convention, Décret du 19 novembre 1792. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1899), Assemblée nationale

C’est dans la logique du grand discours de Danton, en date du 28 septembre : « Nous avons le droit de dire aux peuples : vous n’aurez plus de rois. »

Cette promesse solennelle va pousser la France à se lancer dans une suite de guerres que les historiens se demandent encore comment justifier : annexion au nom de la théorie des frontières naturelles, création d’un glacis de républiques sœurs ou véritable croisade pour la liberté ?
Il faut se replacer en cette fin d’année 1792 : les révolutionnaires vivent dans la peur de l’agression, ayant lancé un formidable défi à l’ordre ancien de l’Europe. Quant aux peuples désireux de recouvrer leur liberté, nos révolutionnaires français s’illusionnent : sociétés de paysans au degré d’alphabétisation très bas, elles ne sont pas touchées par des idéaux que les rois et les empereurs n’ont nul intérêt à diffuser. Reste la minorité de lettrés et la force des idées révolutionnaires.

Dès que la République « une et indivisible » est proclamée aux premiers jours de la Convention (21 et 25 septembre), la guerre de défense va se transformer en guerre d’idéologie et bientôt de conquête, ce qui provoquera la riposte des rois et empereurs voisins coalisés contre la France.
Avec le recul de l’histoire, on peut dire que cette Révolution, forte de ses bonnes intentions, va inventer la « guerre totale », visant la destruction complète de l’ennemi avec recours à la mobilisation en masse, entraînant le peuple dans une spirale infernale. Mais vu par Hugo, c’est lyrique et magnifique.

« La Révolution leur criait : « Volontaires,
Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères ! »
Contents, ils disaient oui.
« Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes ! »
Et l’on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes
Sur le monde ébloui. »1452

Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)

« Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères » : Liberté et fraternité se retrouvent ici associées. Le poète oppose l’armée nationale et sa gloire immortelle à l’armée de métier (réduite à de basses besognes politiques, notamment lors du coup d’État du 2 décembre 1851 qu’il a vécu comme un drame).

Michelet, plus précis, n’est pas moins lyrique dans son Histoire de la Révolution : « Six cent mille volontaires inscrits veulent marcher à la frontière […] Ils restent tous marqués d’un signe qui les met à part dans l’histoire ; ce signe, cette formule, ce mot n’est autre que leur simple nom : Volontaires de 92. »

Mal équipés, pas formés, ces jeunes viennent de toute la France pour répondre aux appels passionnés de la République. 400 000 pour l’été et l’automne 1792, 300 000 de plus en février 1793. Mais le volontariat ne sera pas éternellement suffisant.

« J’ai toujours eu pour principe qu’un peuple qui s’élance vers la liberté doit être inexorable envers les conspirateurs ; qu’en pareil cas, la faiblesse est cruelle, l’indulgence est barbare. »1276

ROBESPIERRE (1758-1794), Lettre, décembre 1792. Œuvres de Maximilien Robespierre (1840), Maximilien Robespierre, Albert Laponneraye, Armand Carrel

Devenu l’avocat du peuple, absolument sincère et le plus extrême de tous (en attendant d’être débordé sur sa gauche par Marat et Hébert), il parle ici au nom du salut public. Ainsi la Révolution aboutit-elle logiquement à la Terreur. Mais la lutte contre les factions et les factieux n’aura de fin qu’avec la mort de Robespierre et ses amis.

« Citoyens, si un monarque est parmi vous plus difficile à punir qu’un citoyen coupable ; si votre sévérité est en raison inverse de la grandeur du crime et de la faiblesse de celui qui l’a commis, vous êtes aussi loin de la liberté que jamais ; vous avez l’âme et les idées des esclaves. »1459

ROBESPIERRE (1758-1794), Sur le parti à prendre à l’égard de Louis XVI, Convention, 3 décembre 1792. Œuvres de Maximilien Robespierre (1840), Maximilien Robespierre, Albert Laponneraye, Armand Carrel

Devant la Convention érigée en tribunal de la nation, l’avocat parle ici au nom de la liberté fatalement bafouée par le roi, d’où sa fameuse sentence prononcée avant même le début du procès : « Louis doit mourir pour que la patrie vive.

Il fallut d’interminables discussions juridiques pour que, malgré l’inviolabilité constitutionnelle du roi et les réticences des Girondins, Louis XVI soit déclaré jugeable, ce 3 décembre. Le procès commence une semaine plus tard. C’est une victoire des Montagnards, Robespierre en tête. Il va avoir l’occasion de développer sa rhétorique, dans un mélange de passion et d’abstraction. Ce discours reste l’un des plus célèbres, forme et fond.

« Louis, le peuple français vous accuse d’avoir commis une multitude de crimes pour établir la tyrannie en détruisant la liberté. »1464

Acte d’accusation de Louis XVI, Convention, 11 décembre 1792. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1899), Assemblée nationale

Chefs d’accusation les plus graves : haute trahison, double jeu politique avec les assemblées, complot avec l’ennemi autrichien, tentative de fuite à l’étranger (Varennes), responsabilité des morts aux journées d’octobre (1789) et à la fusillade du Champ de Mars (17 juillet 1791).

Le lendemain, la Convention accorde trois défenseurs au roi. Mais il n’y aura aucun témoin, ni à charge ni à décharge.

« L’arbre de la liberté ne saurait croître s’il n’était arrosé du sang des rois. »1475

Bertrand BARÈRE de VIEUZAC (1755-1841), à la tribune, 20 janvier 1793. Mémoires de M. de Bourrienne, ministre d’État : sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration (1829), Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne

Toujours la même idée contre l’Ancien Régime qui prévaut en France depuis le XVIe siècle.

Le président de la Convention, dans l’effervescence générale, justifie ainsi la condamnation à mort de Louis XVI contre la partie la plus modérée de l’assemblée qui souhaitait atténuer la peine. Lui-même s’est prononcé pour la mort, sans appel au peuple, sans sursis à l’exécution. On retrouvera Barère en juillet 1793, membre du Comité de salut public et l’un des organisateurs les plus zélés de la Terreur, surnommé l’Anacréon de la guillotine.

« J’ons plus de roi dans la France […]
À présent tout ira bien
À Paris comme à la guerre.
Je n’craindrons plus le venin
Qui gâtait toute c’t’affaire,
J’aurons vraiment la liberté
En soutenant l’égalité ! »1485

Citoyenne Veuve FERRAND (fin du XVIIIe siècle), Joie du peuple républicain (début 1793), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Chaque événement historique est ponctué de paroles et musique. Cette Joie du peuple républicain est assurément une « chanson de circonstance » qui fête la liberté et l’égalité : tout ira bien après la mort du roi. Au-delà de cette joie, le choc est immense pour la France majoritairement royaliste.

« Que la France soit libre et que mon nom soit flétri ! »1491

DANTON (1759-1794), Convention, 10 mars 1793. Histoire de la Révolution française (1847-1853), Jules Michelet

Le conventionnel à la tribune est excédé par les contradicteurs et les soupçons. À l’inverse de Robespierre, la vertu n’est pas plus dans ses mœurs que dans ses mots et dès la fin de 1792, Danton est soupçonné pour diverses raisons.

Les Girondins l’accusent de concussion. L’homme est trop riche pour être honnête et incapable de montrer les comptes des fonds secrets, alors qu’il est ministre de la Justice et que Roland, ministre de l’Intérieur, les lui réclame avec insistance. Certains députés montagnards, notamment

Robespierre, lui reprochent de couvrir les manœuvres de Dumouriez en Belgique. Envoyé en mission, Danton ne le dénonça que lorsque la trahison fut connue et manifeste – le général avait livré aux Autrichiens les commissaires envoyés par la Convention pour enquêter sur sa conduite.
Danton a aussi des problèmes familiaux, une certaine lassitude de la politique, peut-être une envie d’être heureux ailleurs et autrement, ce que ne peuvent concevoir les révolutionnaires totalement engagés dans l’action.

« On a cherché à consommer la Révolution par la terreur ; j’aurais voulu la consommer par l’amour. »1493

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), Convention, 10 avril 1793. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1902), Assemblée nationale

L’amour est synonyme de fraternité dans la bouche de cet avocat girondin, grand orateur après Mirabeau et Danton.

La Terreur n’est pas encore mise par décret à l’ordre du jour, mais les Girondins la voient venir : le Tribunal révolutionnaire, juridiction d’exception, a été constitué le 28 mars pour juger les traîtres et les gens supposés tels et le Comité de salut public créé le 6 avril pour surveiller l’exécutif. Voici les deux outils forgés pour la dictature jacobine.

Dénonçant « cette inquisition mille fois plus redoutable que celle de Venise », Vergniaud lui oppose son rêve de fraternité.

« C’est par la violence que doit s’établir la liberté, et le moment est venu d’organiser momentanément le despotisme de la liberté pour écraser le despotisme des rois. »1495

MARAT (1743-1793), L’Ami du peuple, 13 avril 1793. La Révolution française (1989), Claude Manceron, Anne Manceron

Le mot de liberté n’a décidément plus le même sens libérateur qu’au début de la Révolution ! Il renvoie à la Terreur pas encore décrétée, mais déjà en vigueur.

Dans son journal presque quotidien et très populaire, l’Ami du peuple, Marat justifie le Tribunal révolutionnaire qu’il a contribué à rendre plus expéditif pour s’opposer à la contre-révolution qu’il dénonce au sein même de la Convention nationale : « Levons-nous, oui, levons-nous tous ! Mettons en état d’arrestation tous les ennemis de notre Révolution et toutes les personnes suspectes. Exterminons sans pitié tous les conspirateurs, si nous ne voulons pas être exterminés nous-mêmes. »

Plus encore que la rhétorique et la rigueur d’un Robespierre, ce genre de phrase et le personnage de Marat révoltent les modérés. On parlerait aujourd’hui et sans exagération de « paranoïa ». Hugo écrit, dans son roman Quatre-vingt-treize : « Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat. » Trop, c’est trop ! Et l’accusateur se retrouve bientôt accusé devant le Tribunal révolutionnaire, arguant de la liberté pour se défendre.

« Citoyens, ce n’est pas un coupable qui paraît devant vous : c’est l’apôtre et le martyr de la liberté ! Ce n’est qu’un groupe de factieux et d’intrigants qui a porté un décret d’accusation contre moi. »1498

MARAT (1743-1793) au Tribunal révolutionnaire, 24 avril 1793. Histoire de la Terreur, 1792-1794, d’après des documents authentiques et inédits (1868), Mortimer Ternaux

Réapparu le 23 avril quand les sections parisiennes manifestaient pour l’Ami du peuple, Marat a préparé sa défense. Il se pose en victime devant ses juges. Au terme d’une parodie de justice, devant un jury acquis d’avance, il retourne la situation – « factieux » est l’injure parlementaire la plus redoutable, à l’époque. Marat est acquitté par un ex-procureur au Châtelet, devenu accusateur public et bientôt célèbre, Fouquier-Tinville.

Couronné de lauriers, porté en triomphe, le député est ramené à son banc de la Convention aux cris de « Vive la liberté, vive Marat ! » Le peuple des sans-culottes en a fait un homme intouchable. La Gironde accuse le coup. Marat, au club des Jacobins, se vante de leur avoir « mis la corde au cou ». Vergniaud va bientôt appeler au secours ses amis de Bordeaux, au nom de la fraternité.

« Le peuple français vote la liberté du monde. »1284

SAINT-JUST (1767-1794), Convention, 24 avril 1793. Œuvres de Saint-Just, représentant du peuple à la Convention nationale (posthume, 1834)

Superbe principe, inscrit au chapitre « Des relations extérieures » dans la Constitution de 1793. Que de guerres s’ensuivront, dont la pureté idéologique est parfois discutable !

« Frères et Amis […] Hommes de la Gironde, levez-vous ! […] Si vous développez une grande énergie, vous forcerez à la paix des hommes qui provoquent la guerre civile. »1501

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), appel au secours du 4 mai 1793. Histoire de Bordeaux (1839), Pierre Bernadau

Vergniaud pressent le pire et demande soutien à son département au nom de la fraternité politique, écrivant au club des Amis de la Constitution de Bordeaux et usant de l’anaphore (répétition) : « Paris, le 4 mai 1793, sous le couteau. Frères et Amis, vous avez été instruits de l’horrible persécution exercée contre nous et vous nous avez abandonnés ! Hommes de la Gironde, levez-vous ! La Convention n’a été faible que parce qu’elle a été abandonnée, soutenez-la contre tous les furieux qui la menacent […] Hommes de la Gironde, il n’y a pas un moment à perdre ! Si vous développez une grande énergie, vous forcerez à la paix des hommes qui provoquent à la guerre civile […] La proscription et l’assassinat circulent autour de nous et l’on s’apprête pour aller à la barre nationale demander nos têtes. Quel est donc notre crime, citoyens ? C’est d’avoir fait entendre la voix de l’humanité au milieu des horreurs […] c’est d’avoir voulu vous garantir de la tyrannie de Marat […] Nous ne craignons pas la mort, mais il est cruel, alors qu’on se sacrifie, de ne pas emporter au tombeau la certitude qu’on laisse au moins quelques regrets à ceux pour lesquels on s’immole. »

Ses Frères et Amis de Bordeaux vont envoyer des pétitionnaires à Paris pour faire comprendre à l’Assemblée que la région ne supportera pas longtemps que ses députés soient persécutés, que si la Convention ne condamne pas les démagogues, elle lèvera une armée pour la combattre. Ces menaces vagues ne servent à rien : le temps de voir arriver ces secours, les députés Girondins seront déjà à la merci des émeutiers parisiens.

« La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui ; elle a pour principe la nature, pour règle la justice, pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. »

Constitution du 24 juin 1793, article 6.

Avec cette définition de la liberté, la nouvelle Constitution reprend la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. »

Cette « Constitution de l’an I » n’a jamais été appliquée du fait de la « Terreur décrétée à l’ordre du jour » le 5 septembre,  qui instaure un régime révolutionnaire. Constitution mémorable à divers titres : approuvée par référendum au suffrage universel, très démocratique et décentralisatrice, proclamant de nouveaux droits économiques et sociaux (dont l’instruction), consacrant la souveraineté populaire, le recours au référendum… et le droit à l’insurrection, considéré comme un devoir.

Cet article était inapplicable : « Le droit à l’insurrection, incontestable en théorie, est en fait dépourvu d’efficacité. La loi constitutionnelle d’un pays ne peut le reconnaître sans jeter dans ce pays un ferment d’anarchie. C’est ce qui faisait dire à Boissy d’Anglas que la Constitution de 1793 avait organisé l’anarchie » (Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel).

« Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort. »1516

Devise sur les flammes des drapeaux. Cahier noir (1944), François Mauriac

Cette devise apparaît fin juin 1793, quand les armées de la République font face à la coalition des armées impériales et royales de l’Europe. Un peu plus tard, elle sera gravée sur les bagues des drapeaux et remplacera la trilogie passée de mode : « La Nation, le Roi, la Loi ».

Elle apparaît aussi sur les murs de la capitale : le maire de la commune de Paris, Jean-Nicolas Pache, fait peindre cette devise et en province, d’autres villes suivent la capitale, mais l’injonction sera abandonnée progressivement avec la fin de la Révolution : elle évoquait plus la Terreur que la République.

« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément ; l’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche exerce le droit de vie et de mort sur ses semblables. »1517

Jacques ROUX (1752-1794), Manifeste des Enragés, Convention, 25 juin 1793. 1789, l’An un de la liberté : études historiques, textes originaux (1973), Albert Soboul

Vicaire ultra-révolutionnaire aux premières heures de 1789, le chef des Enragés n’a été ni élu à la Convention ni nommé au Tribunal révolutionnaire. Surnommé le Curé rouge, il mène son combat en marge du parlementarisme, cherchant à dresser le pays réel contre le pays légal. « Les riches seuls ont profité depuis quatre ans des avantages de la Révolution. » Il dénonce « l’aristocratie marchande plus terrible que l’aristocratie nobiliaire et sacerdotale ». Favorable à un vrai terrorisme économique, il demande la peine de mort contre les accapareurs.

Son manifeste – dont le constat est en partie exact – soulève contre lui tous les députés, même son ami Marat qui le traite de « patriote de circonstance » ! De plus en plus isolé, arrêté en septembre, il se poignarde plutôt que d’être jugé par le Tribunal révolutionnaire.

« Abolissons l’or et l’argent, traînons dans la boue ces dieux de la monarchie, si nous voulons faire adorer les dieux de la République, et établir le culte des vertus austères de la liberté. »1548

Joseph FOUCHÉ (1759-1820). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Selon d’autres sources : « Avilissons l’or et l’argent… » En tout cas, il a bien retenu la leçon des nouveaux maîtres de la France, Robespierre et Saint-Just.

Toujours très actif contre le culte établi, Fouché vient de rafler d’autorité les métaux de la Nièvre arrachés aux églises. Il écrit ces mots à la Convention, affectant un superbe dédain pour la richesse. La Convention recevra ces trésors le 7 novembre 1793. Le zèle des patriotes locaux impose un peu partout l’échange des métaux contre les assignats. Un emprunt forcé du 3 septembre (sur les « riches égoïstes ») n’a pas suffi à assainir les finances d’une Révolution à qui la guerre coûte très cher.

La sincérité de la profession de foi de Fouché est plus que douteuse. Selon la rumeur, une partie des trésors ainsi réquisitionnés fut détournée, servant de début à son immense fortune. L’homme, dénué de tout scrupule, se révèle aussi d’une intelligence et d’une habileté hors pair, d’où sa carrière politique sous l’Empire à venir.

« Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »1554

Mme ROLAND (1754-1793), montant à l’échafaud et s’inclinant devant la statue de la Liberté (sur la place de la Révolution), 8 novembre 1793. Mot de la fin. Le Nouveau Tableau de Paris (1799), Louis Sébastien Mercier

L’une des plus belles et simples citations, parfaitement mise en situation par une authentique héroïne de l’époque. Son mari, poursuivi comme Girondin et réfugié à Rouen, apprenant la mort de sa femme, se tuera deux jours après.

Manon Roland fit preuve d’une rare énergie et d’une plume infatigable dans sa prison (l’Abbaye, puis la Conciergerie). Elle écrit pour se défendre devant le Tribunal révolutionnaire, même sans espoir. Elle écrit ses Mémoires, destinées à sa fille Eudora. Elle écrit des lettres, notamment à son ami Buzot qui, contrairement à elle, a fui comme son mari pour échapper au sort des Girondins. Il se suicidera lui aussi, apprenant quelques mois plus tard la mort de Manon Roland.

« La révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis, la constitution est le régime de la liberté victorieuse et paisible. »1564

ROBESPIERRE (1758-1794), Rapport sur les principes du gouvernement révolutionnaire, fait au nom du Comité de salut public, Convention, 25 décembre 1793. Histoire de la Révolution française : depuis 1789 jusqu’en 1814 (1838), Albert Laponneraye

L’idée est de nouveau affirmée, la Constitution de 1793 étant toujours suspendue en attendant des temps meilleurs. Ce discours de Robespierre sur les principes du gouvernement révolutionnaire est destiné aux modérés d’une Assemblée divisée à propos de la Terreur.

Celui qui va devenir la tête et l’âme de la « dictature jacobine » peut être satisfait : la Terreur a été mise à l’ordre du jour le 5 septembre, le Tribunal révolutionnaire de mars 1793 est réorganisé selon ses vœux en septembre, le Comité de salut public lui a ouvert ses portes le 27 juillet. La redoutable machine est prête et les hommes sont en place.

« Nous travaillons pour les générations futures, lançons la liberté dans les colonies ! »1568

DANTON (1759-1794), Convention, 4 février 1794. Mémoires de Levasseur de la Sarthe (1830), René Levasseur, Roche

Danton va faire l’unanimité – fait rarissime, surtout dans cette Assemblée nationale à l’image de la France, divisée, bouleversée. Il a l’habileté d’associer la liberté des esclaves avec la volonté de ruiner l’Angleterre. Il salue aussi l’entrée, la veille, de deux nouveaux députés de couleur (venus de Saint-Domingue) et place l’abolition sous le signe philosophique du « flambeau de la raison » et du « compas des principes ».

Les précédents décrets pour la liberté et l’égalité des Nègres avaient déçu leurs espoirs et la situation devenait dramatique dans les colonies : Toussaint Louverture s’est rendu maître de Saint-Domingue, les esclaves noirs massacrent les colons blancs, incendient récoltes et plantations. « La Convention, sur la proposition de Grégoire, avait, en 1793, aboli la prime pour la traite des Nègres. Le 4 février 1794, elle décréta, par acclamation, l’abolition de l’esclavage dans les colonies », écrit Alfred Rambaud dans son Histoire de la civilisation contemporaine en France (1888).

L’esclavage, rétabli en 1802, sera définitivement aboli après la Révolution de février 1848, sous la Deuxième République.

« Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. »1569

ROBESPIERRE (1758-1794), Discours « Sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention », Convention, 5 février 1794. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux.

Et le quasi-dictateur définit la démocratie : « La démocratie est un État où le Peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu’il ne peut pas faire lui-même. »

Pour le fond, c’est Montesquieu et Rousseau. Pour la forme, c’est un exposé doctrinal, lu comme un prêche plus que parlé comme un discours. Et pourtant, quelle efficacité dans ce magistère de la parole ! Louvet de Couvray, conventionnel girondin échappé à la charrette de 1793, témoigne : « Ce n’étaient plus des applaudissements, c’étaient des trépignements convulsifs, c’était un enthousiasme religieux, c’était une sainte fureur. » Cela explique la dictature qui va relancer la Terreur.

« Les Français sont le premier Peuple du monde qui ait établi la véritable démocratie, en appelant tous les hommes à l’égalité et à la plénitude des droits du citoyen ; et c’est là, à mon avis, la véritable raison pour laquelle tous les tyrans ligués contre la République seront vaincus. »1574

ROBESPIERRE (1758-1794), Discours « Sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention », Convention, 7 février 1794

On retrouve la leçon démocratique du premier philosophe des Lumières, Montesquieu. Quant à la forme, c’est tout le contraire des grands tribuns révolutionnaires : rabâchage éternel dénoncé par ses adversaires, le rythme incantatoire allant de pair avec la rigueur du raisonnement.

« Peuple, souviens-toi que si dans la République la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l’amour de l’égalité et de la patrie, la liberté n’est qu’un vain nom ! »1600

ROBESPIERRE (1758-1794), Convention, Discours du 26 juillet 1794. Grands moments d’éloquences parlementaire [en ligne], Assemblée nationale

C’est le 8 thermidor an II, veille de sa chute. Robespierre s’est fait discret depuis quelques jours et on l’attend. Cette longue péroraison est son « discours testament ». Il termine en menaçant : « Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Le temps n’est point arrivé où les hommes de bien peuvent servir impunément la patrie : les défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits, tant que la horde des fripons dominera. »

La Révolution ne finira jamais, si un théoricien d’une telle rigueur garde le pouvoir absolu de mettre ses principes en pratique. Rien non plus ne peut désarmer son ami Saint-Just qui proclamait comme un défi, le 15 avril, juste avant la Grande Terreur déjà programmée : « Il n’est rien de plus doux pour l’oreille de la liberté que le tumulte et les cris d’une assemblée du peuple. » Le tumulte sera terrible, le 9 thermidor, et fatal aux deux hommes. C’est le coup d’État qui met fin à la Terreur.

« Dans ce qu’on a coutume d’appeler la Révolution française, il y a eu, en réalité, deux révolutions parfaitement distinctes, quoique dirigées toutes les deux contre l’ancien principe d’autorité. L’une s’est opérée au profit de l’individualisme ; elle porte la date de 89. L’autre n’a été qu’essayée tumultueusement au nom de la fraternité ; elle est tombée le 9 Thermidor. »1638

Louis BLANC (1811-1882), Histoire de la Révolution française (1878)

Une façon parmi tant d’autres de nuancer son jugement sur l’événement, mais c’est surtout l’analyse d’un historien de gauche (politiquement très engagé), reprise par nombre d’historiographes. Il faudra attendre le socialisme naissant au XIXe siècle pour que la fraternité revienne dans les discours et se concrétise plus tardivement dans les lois sociales.

2. Chronique napoléonienne (Directoire, Consulat, Empire) : recul des valeurs républicaines au nom de l’ordre impérial.

« Notre Montagne enfante un Directoire
Applaudissons à son dernier succès !
Car sous ce nom inconnu dans l’histoire
Cinq rois nouveaux gouvernent les Français […]
En adoptant un luxe ridicule
Ils font gémir la sainte Égalité ;
À leur aspect la Liberté recule
Et dans leur cœur plus de Fraternité ! »1641

Le Directoire (1795), chanson. Poésies révolutionnaires et contre-révolutionnaires (1821), À la Librairie historique éd

La France vit une transition entre la Révolution et l’Empire. Phénomène récurrent : après le Moyen Âge vint la Renaissance où « le monde rit au monde » (Marot) ; après Louis XIV et une fin de règne très sombre, le temps de l’aimable Régence rimait avec licence ; après les horreurs de la Première Guerre mondiale, les Années folles se déchaîneront. Et en 1795, au lendemain de la Terreur, la jouissance est à l’ordre du jour, pour la bonne société.

Le Directoire, nouveau régime né de la Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795) présente deux inventions, une mauvaise et une bonne. Les « cinq rois » qui gouvernent, appelés Directeurs, ne vont cesser de se disputer, ce qui fragilise ou paralyse le pouvoir exécutif. À l’inverse, le bicamérisme cher à Montesquieu, pouvoir législatif confié à deux Chambres sur le modèle anglais, instaure une formule toujours reprise (hors la brève Deuxième République) : la Chambre basse (élue au suffrage direct par le peuple) est tempérée par la Chambre haute (élue au suffrage indirect, représentant les régions et les départements). En 1795, on a le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens – sous la Cinquième République, la Chambre des députés et le Sénat.

« Nous prétendons désormais vivre et mourir égaux comme nous sommes nés ; nous voulons l’égalité réelle ou la mort : voilà ce qu’il nous faut. »1664

Sylvain MARÉCHAL (1750-1803), Manifeste des Égaux (1801). Gracchus Babeuf et la Conjuration des Égaux (1869), Philippe Buonarroti, Arthur Ranc

La police cueille les conspirateurs, le 11 mai 1796. Pour l’opinion, c’est la chute d’une nouvelle faction terroriste, dernier sursaut du jacobinisme dont il faut débarrasser le pays. Le gouvernement du Directoire montre sa force, mais l’opposition royaliste se trouve renforcée, reprenant espoir dans un rétablissement de la monarchie.

Au procès de Vendôme, l’année suivante, la plupart des 65 inculpés seront acquittés. Babeuf et Darthé sont condamnés à mort et exécutés ; 7 autres sont déportés, dont Buonarroti. Libéré par Napoléon, il écrira trente ans après La Conspiration pour l’égalité, dite de Babeuf qui influencera le socialiste Auguste Blanqui. Babeuf a d’autres héritiers au XIXe siècle : Karl Marx et Friedrich Engels reconnaissent en lui le précurseur du communisme et le premier militant de la cause. Rosa Luxembourg le saluera comme l’initiateur des soulèvements révolutionnaires du prolétariat.

« Nous vous avons donné la liberté ; sachez la conserver. »1666

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation au peuple cisalpin, Quartier général de Milan, 11 novembre 1797. Œuvres de Napoléon Bonaparte (posthume, 1822), Napoléon Empereur

La (première) campagne d’Italie est achevée. En un an, le jeune général a détruit quatre armées autrichiennes, donné à la France une partie du Piémont, fondé deux républiques en Lombardie et conquis l’Italie.

La République cisalpine est formée en juin 1797 avec Milan pour capitale et reconnue par l’Autriche au traité de Campoformio (17 octobre) : c’est la fin de l’Ancien Régime dans l’ensemble de la Péninsule qui reçoit des institutions sur le modèle français, c’est aussi la victoire des libéraux italiens : « Vous êtes le premier exemple, dans l’histoire, d’un peuple qui devient libre, sans factions, sans révolutions et sans déchirements […] Vous êtes, après la France, la République la plus riche, la plus populeuse. »

« Une fois encore s’allait justifier le mot de Saint-Évremond : « le Français est surtout jaloux de la liberté de se choisir son maître ». »1682

Louis MADELIN (1871-1956), Histoire du Consulat et de l’Empire, Le Consulat, 18 brumaire an VIII (1937-1954)

Un siècle plus tard, il tire la leçon du coup d’État du 18 Brumaire et de ses suites. L’historien cite le moraliste du siècle de Louis XIV, préfigurateur de la philosophie des Lumières, type même de l’« honnête homme » ironique et sceptique. Spécialiste de la Révolution et de l’Empire, Madelin va d’abord approuver le choix du nouveau maître de la France, tel qu’il se révèle sous le prochain régime du Consulat.

« Une nation n’a de caractère que lorsqu’elle est libre. »1697

Mme de STAËL (1766-1817), De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800)

Fille du banquier suisse Necker (ministre de Louis XVI), c’est l’une des rares voix qui s’élève en 1800 pour oser dénoncer le pouvoir de plus en plus absolu du futur empereur. Épouse de l’ambassadeur de Suède en France (Erik Magnus de Staël-Holstein), Mme de Staël, fervente lectrice de Rousseau, fut d’abord favorable à la Révolution. Mais elle ne lui pardonne pas la mort du roi, moins encore celle de la reine, et la Terreur. Après trois ans d’exil, elle revient à Paris pleine d’espoir, impressionnée par le nouveau héros, ce général Bonaparte qui va redonner vie à l’idéal révolutionnaire de 1789. Le coup d’État du 18 Brumaire et la Constitution de l’an VIII lui ôtent toutes ses illusions.

Elle le dit, elle l’écrit, elle se fait détester par le grand homme, par ailleurs misogyne, supportant mal l’intelligence et la libre expression d’une femme. D’où son nouvel exil – doré, en Suisse, à Coppet sur les bords du lac Léman, dans le château de famille, auprès de son père retiré de la politique depuis 1790. Le septuagénaire se montre moins sévère, dans ses Dernières vues de politique et de finances (1802) : « Une suite d’événements sans pareils ont fait de la France un monde nouveau. »

« Bonaparte, très en colère de l’impassibilité de Paris, a dit à ses courtisans réunis : « Que leur faut-il donc ? » Et personne ne s’est levé pour lui dire : « La liberté, citoyen consul, la liberté ! » »1723

Mme de STAËL (1766-1817). Lettres inédites de Mme de Staël à Henri Meister (posthume, 1903)

C’est évidemment le genre de vérité que le « citoyen consul » et futur empereur ne saurait entendre, surtout de la bouche d’une femme de lettres et de tête !

« Je jure de maintenir l’intégrité du territoire de la République […] de respecter et de faire respecter l’égalité des droits, la liberté politique et civile […] de gouverner dans la seule vue de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. »1797

NAPOLÉON Ier (1769-1821), cathédrale Notre-Dame de Paris, le jour de son sacre par Pie VII, 2 décembre 1804. Le Moniteur, phrase du journal officiel de l’époque, reprise dans toutes les bonnes biographies de l’empereur

Liberté, égalité, bonheur… Napoléon manie parfaitement l’art oratoire. La cérémonie dure cinq heures, entre la marche guerrière et le Te Deum, un premier serment religieux de Napoléon, la messe, l’Alléluia, les oraisons, les cris de « Vive l’empereur » et ce nouveau serment sur les Évangiles. C’est l’instant le plus heureux des relations entre le pape et l’empereur. L’histoire a voulu que se croisent ces deux hommes qui ont la même volonté de fer.

Napoléon a déjà imposé sa volonté durant le sacre, il a pris la couronne présentée, l’a posée lui-même sur sa tête, avant de couronner son épouse Joséphine. C’est à cet instant qu’il s’est adressé à son frère aîné, pour la seule « improvisation » (authentique) de cette spectaculaire cérémonie : « Joseph, si notre père nous voyait ! »

« République française, Napoléon Empereur. »1793

En-tête sur les actes officiels, à dater du 18 mai 1804. L’Europe et la Révolution française (1907), Albert Sorel

Étrange inscription, oxymore institutionnel. Rouget de l’Isle, officier et auteur de la Marseillaise, ose prédire et écrire à l’empereur : « Bonaparte, vous vous perdez, et ce qu’il y a de pire, vous perdez la France avec vous ! » Mais l’on entend surtout et partout les cris de « Vive l’empereur ! »

Sous l’Empire, aucun des trois idéaux républicains déjà malmenés à la fin de la Révolution ne sera respecté par Napoléon qui n’a par ailleurs aucune estime pour les philosophes des Lumières. Il faut parfois faire semblant. Bonaparte disait : « De Clovis jusqu’au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout. » De tout, mais pas de ça : Liberté, égalité, fraternité. « Napoléon, en arrivant sur la scène du monde, vit que son rôle était d’être l’exécuteur testamentaire de la Révolution » écrira son neveu, le futur Napoléon III en 1839 (Idées napoléoniennes). Nombre d’historiens sont de cet avis, mais il choisira d’autres pièces de l’héritage, à commencer par la politique extérieure « libératrice » ou conquérante, et le Code civil avec toutes les notions révolutionnaires qui en font partie, rompant définitivement avec l’Ancien Régime.

« La liberté de la pensée est la première conquête du siècle. L’Empereur veut qu’elle soit conservée. »1811

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Le Moniteur, 22 janvier 1806

Flagrant délit de mensonge ! Précisons que le Moniteur est un journal très officiel… et il n’en reste plus d’autres. Après les quelque 1 500 périodiques nés au début de la Révolution, plus de 70 paraissaient encore à Paris sous le Directoire. Ils ne seront plus que 4 en 1811. En 1810, un seul journal par département – reproduisant les pages politiques du Moniteur, sous contrôle du préfet.

La liberté de pensée est réduite comme celle de la presse. Même les tragédies classiques, répertoire préféré de l’empereur, sont épurées : les habitués du Théâtre-Français, brochure en main, s’amusent à traquer les nouvelles coupes imposées par la censure impériale à Racine et Corneille. Les contemporains sont dociles, d’où la faiblesse de la production littéraire et théâtrale. Sauf exception. Chateaubriand est hostile au régime (depuis l’exécution du duc d’Enghien). Dans son discours de réception à l’Académie française, il veut faire l’éloge de la liberté. Napoléon le lui interdit. Mme de Staël est plus gravement persécutée : l’exil punit sa liberté d’expression.

« Nous autres peuples d’Occident, nous avons tout gâté en traitant les femmes trop bien […] Elles ne doivent pas être regardées comme les égales des hommes, et ne sont, en réalité, que des machines à faire des enfants […] Il vaut mieux qu’elles travaillent de l’aiguille que de la langue. »1823

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

La création de la maison d’éducation des jeunes filles de la Légion d’honneur d’Écouen, le 15 mai 1807, est une occasion parmi d’autres de manifester sa misogynie, en réaction contre un XVIIIe siècle relativement émancipateur et une idéologie révolutionnaire démocratique. Bref, selon une note de l’empereur : « Élevez-nous des croyantes et non pas des raisonneuses. » Le XIXe siècle se montrera très majoritairement sexiste et misogyne, y compris les socialistes fervents défenseurs de l’égalité et la fraternité.

Lire la suite : Liberté, égalité, fraternité - la trilogie républicaine (de la Restauration à nos jours)

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