Si Paris nous était conté... (du Moyen Âge au Siècle des Lumières) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Relevons le défi, en quelque 250 citations et deux éditos de la Gaule à nos jours, la Révolution servant souvent de césure à nos chroniques. Les élections municipales sont un bon prétexte pour évoquer l’histoire cette ville capitale et de son maire.

Destination la plus populaire au monde, Paris bat son record de fréquentation en 2017 : 23,6 millions d’ « arrivées hôtelières » (devant Londres, Rome et New York). Son passé historique, ses monuments et ses musées, son art de vivre expliquent cet attrait.

Paradoxe étonnant, cette ville symbole de l’ordre (royal ou républicain) dans une France très centralisée est la source permanente des émeutes, révoltes, révolutions et autres journées des Barricades : « Paris n’est Paris qu’arrachant ses pavés ».

Paris se retrouve au rendez-vous des périodes tragiques : Saint-Barthélemy (1572), Révolution, siège de 1870 et Commune de 1871, résistance et Libération, Mai 68. La Fronde (1648-1653) mérite aussi d’être contée.

La ville capitale est concurrencée par des rivales épisodiques, choisies (le Versailles de Louis XIV, mais aussi Soissons sous Clovis, Aix-la-Chapelle sous Charlemagne, les villes à château du Val de Loire sous la Renaissance) ou imposées par les guerres (Bourges avec la Guerre de Cent Ans, Bordeaux, Vichy, Versailles suite à la Commune, même phénomène au XXe s).

Reste la concurrence séculaire entre Paris et province, au fil des alternances de civilisation. Paroxysme révolutionnaire et tragique : la lutte entre Jacobins et Girondins. Mais les Républiques à venir seront aussi centralisatrices que la monarchie d’Ancien Régiume. D’où la « macrocéphalie » dont Paris souffre comme la province.

Capitale culturelle depuis le Moyen Âge et la Renaissance, capitale politique et administrative incontestée depuis Philippe Auguste (Capétiens), Ville Lumière depuis le XVIIe, mondaine et philosophique au siècle des Lumières, métamorphosée par l’urbanisme du préfet Haussmann au Second Empire, lieu des Expositions universelles vitrines de la France à la fin du XIXe, Paris bénéficie d’une politique de Grands Travaux sous Mitterrand.

Signalons enfin le cas particulier du maire de Paris : « prévôt des marchands » depuis le Moyen Âge (Étienne Marcel en révolte contre le pouvoir royal), premier maire sous la Révolution (désigné par acclamation ou nommé), réapparu en 1870-1871 (siège de Paris et Commune), il réapparaît sous la Cinquième, maire élu depuis 1977 avec les trois mandats successifs de Jacques Chirac.

Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.

 

Gaule et Moyen Âge

Après deux sièges éprouvants et une croissance de mille ans, Paris se distingue comme foyer culturel et ville privilégiée des rois, malgré la déplorable Affaire des Templiers, la première révolte parisienne contre le pouvoir royal menée par le prévôt des marchands Étienne Marcel et avant l’interminable Guerre de Cent Ans qui menace l’existence même de la France, le dauphin (futur Charles VII) devenant le dérisoire « roi de Bourges ».

« Déjà les habitants se préparaient à évacuer leurs murs ; ils en sont dissuadés par les assurances prophétiques d’une simple bergère de Nanterre, Geneviève, devenue, depuis, la patronne de la capitale. »43

Louis-Pierre ANQUETIL (1723-1806), Histoire de France (1851)

L’historien Jules Michelet, lyrique pour évoquer Jeanne d’Arc, ne consacre qu’une ligne à cette première grande résistante (gauloise et parisienne) de l’histoire : « Paris fut sauvé par les prières de Sainte Geneviève. » En réalité, Paris n’est encore que Lutèce, bourgade de 2 000 habitants, dédaignée par Attila (« le fléau de Dieu ») qui vient de piller Metz, Reims, Troyes, et fonce sur Orléans, en 451.

Mais Geneviève sauvera réellement le futur Paris de la famine, lorsque les Francs assiègent la ville en 465. Elle organise une expédition au moyen de bateaux qui, par la Seine, vont chercher le ravitaillement jusqu’en Champagne. Clovis (devenu roi et chrétien) et Clotilde (future sainte) lui voueront une grande vénération. Elle mourra à près de 90 ans. La sainte patronne de Paris est fêtée le 3 janvier.

« Apprends, Germain, à venir au secours de tes serviteurs. »110

Les défenseurs de Paris à saint Germain, février 886. Le Siège de Paris par les Normands (posthume), Abbon

Au Moyen Âge très chrétien, Germain fut évêque de Paris au VIe siècle et la cité se fait gloire de posséder le corps du saint.

L’anarchie règne déjà, quand survient une nouvelle calamité pour le royaume : les vaisseaux normands (ou vikings), venus de Scandinavie, remontent par les fleuves à l’intérieur des terres des Francs. Après la prise d’Amiens en 883, c’est le siège de Paris en 886. Les Parisiens invoquent leur saint protecteur pour sauver leur ville, déjà deux fois prise et incendiée, entre 856 et 861.

« Lève-toi, laisse là les craintes qui te font trembler, renonce à fuir, vois tous ces gens prêts à la bataille. »111

Saint germain (vers 496-vers 576), à un malade. Le Siège de Paris par les Normands (posthume), Abbon

Miracle relaté par Abbon, moine de Saint-Germain des Prés, dans son livre devenu un petit classique de l’histoire de France, régulièrement réédité.

L’homme interpellé est un noble dont la chair se gangrène et qui ne peut se lever pour combattre les Normands. Le saint lui apparaît, lui parle. Aussitôt les plaies se guérissent et il peut reprendre le combat.

« Tuez-moi. Voici ma tête ; ni pour or ni pour argent je ne marchanderai ma vie quand ceux-ci sont morts. Pourquoi me laisser vivre ? Votre cupidité en est pour ses frais. »112

Dernières paroles d’un défenseur de l’une des tours de Paris, 6 février 886. Le Siège de Paris par les Normands (posthume), Abbon

L’homme est entouré par les Normands (Vikings), maîtres de la tour qu’il a défendue avec ses compagnons, tous morts en combattant. Ce guerrier préfère la mort à la captivité qui aurait pu se terminer par le versement d’une rançon.

Les « mots de la fin » ponctuent l’histoire, ultimes actes d’héroïsme dans les circonstances les plus dramatiques.

« Partons, l’heure est venue où nous nous saurons gré d’être partis d’ici. »113

SIEGFRIED (seconde moitié du IXe siècle), chef des Normands qui ont remonté la Seine jusqu’à Paris, mars 886. Le Siège de Paris par les Normands (posthume), Abbon

Devant la farouche résistance des Parisiens et ayant déjà reçu une somme de 60 livres d’argent pur, Siegfried entraîne ses guerriers à lever le siège de la ville, craignant un revers du sort.

« Laissez passer la justice du roi ! »121

Inscription sur les sacs où l’on met les condamnés à mort préalablement étranglés, avant d’être jetés à l’eau. Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à la Révolution (1839), Louis-Pierre Anquetil

En pleine guerre de Cent Ans, la formule remonte au règne de Charles VI le Fol. Elle a (au moins) deux origines possibles.

En 1417, le roi apprend que son épouse Isabeau de Bavière, dont il eut 11 enfants, le trompe avec un certain chevalier Louis de Bourdon (ou Bois-Bourdon, ou Bosredon). Le chroniqueur Enguerrand de Monstrelet en fait état : « Le roi envoya après lui le prévôt de Paris. […] Il fut par le commandement du roi très fort questionné, et depuis noyé en Seine. » Pratique inédite pour un crime hors norme, car on exécutait jusqu’alors les condamnés par décapitation, bûcher ou pendaison. Avant la noyade, le corps aurait été mis dans un sac, avec la fameuse inscription.

Autre version, moins romanesque : en mars 1382, le peuple de Paris refuse de payer une taxe nouvelle sur les victuailles et se mutine. Des émeutiers pillent l’Hôtel de Ville, s’emparent de maillets et forcent les portes de la prison du Châtelet : c’est la « révolte des maillotins ». On punit les coupables, mais on renonce à des exécutions publiques trop nombreuses, qui risquent de provoquer le peuple. Les condamnés seront jetés à la Seine, de nuit, dans des sacs portant la mention : « Laissez passer la justice du roi ! »

« Oh ! Paris, tu prends les âmes à la glu ! »137

Pierre de (la) CELLE (1115-1183), 1164. La Revue de Paris, volume III (1896), Marc Le Goupils

Dès la fin du XIe siècle, les rois de France vont faire de Paris l’un des plus prestigieux centres intellectuels de l’Europe. Un peu plus tard, Philippe de Harvengt s’exclame : « Heureuse cité [Paris] où les étudiants sont en si grand nombre que leur multitude vient presque à dépasser celle des habitants ! » À la faculté des Arts, située entre la place Maubert et la rue du Fouarre, viendront étudier et enseigner les plus grands penseurs des XIIe et XIIIe siècles.

Pierre de la Celle a lui-même étudié sur la montagne Sainte-Geneviève. Il devient moine au cloître de Cluny, puis renonce à une école de Paris trop « mondaine ». Futur évêque de Chartres, il dénonce même un lieu de tentations à fuir : « Oh ! Paris, comme tu es fait pour séduire les esprits et les décevoir. C’est chez toi que résident les réseaux du vice et les chausse-trappes du Malin ; c’est chez toi que la flèche de l’enfer traverse les cœurs des insensés… » Le Moyen Âge est toujours très chrétien.

« L’entreprise de paver Paris doit être comptée parmi les actions les plus louables de Philippe Auguste. »142

Simonde de SISMONDI (1773-1842), Histoire des Français (1821-1844)

« Dans aucune autre entreprise peut-être il n’eut plus en vue l’utilité publique, la santé et l’aisance de tous les habitants », remarque l’historien. Paris lui doit aussi le Louvre et une nouvelle enceinte (avec la tour de Nesle).

De façon plus générale, l’historien voit en lui « le premier des rois […] qui semble avoir senti que sa dignité lui imposait quelques devoirs envers son peuple et que l’argent qu’il recueillait ne devait pas être uniquement employé à ses plaisirs ou à ses caprices ». L’urbanisme restera une préoccupation très présente à l’esprit des maîtres qui gouvernent la France, bien au-delà de l’Ancien Régime.

« À cause des grandes injures et grandes rapines qui étaient faites en la prévôté de Paris, le menu peuple n’osait plus demeurer en la terre du roi, mais allait demeurer en autres prévôtés et seigneuries. »221

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume)

Tableau de Paris avant que Louis IX ne remédie à telle anarchie, en réorganisant l’administration de la ville : « Ainsi fut nommé Étienne Boileau, lequel maintint et garda la prévôté tellement que nul larron ni malfaiteur n’osa demeurer à Paris, car sitôt était-il pendu ou détruit […] Ni parenté, ni lignage, ni or, ni argent ne le pouvait garantir. Et la terre du roi commença à s’amender et le peuple y vint pour le bon droit qu’on y faisait. » Étienne Boileau exerça son ministère de 1261 à 1270.

« Fluctuat nec mergitur. »
« Il est battu par les flots mais ne sombre pas. »222

Devise des marchands d’eau (1268). Encyclopédie Larousse, article « Devise »

Un siècle plus tard, cette devise deviendra celle de notre capitale, Paris sur Seine.

« L’an 1307 le 22 septembre, le roi étant au monastère de Maubuisson, les sceaux furent confiés au seigneur Guillaume de Nogaret ; on traita ce jour-là de l’arrestation des Templiers. »250

Registre du Trésor des Chartres. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Secret de l’opération contre les Templiers fort bien gardé jusqu’au 13 octobre 1307. Les Templiers sont arrêtés dans l’enceinte du Temple, quartier qui a gardé son nom au cœur de la capitale, et pareillement saisis dans leurs châteaux en province. Ils n’opposent aucune résistance : l’effet de surprise est total, et la Règle des moines soldats leur interdit de lever l’épée contre un chrétien. Une douzaine a pu fuir ; les autres, environ 2 000, seront livrés à l’Inquisition.

« J’avouerais que j’ai tué Dieu, si on me le demandait ! »256

Frère AYMERI de villiers-le-duc (fin XIIIe-début XIVe siècle), 13 mai 1310. Histoire vivante de Paris (1969), Louis Saurel

Les Templiers qui ont avoué en 1307 vont se rétracter, au risque du bûcher. « J’ai reconnu quelques-unes de ces erreurs, je l’avoue, mais c’était sous l’effet des tourments. J’ai trop peur de la mort », ajoute Aymeri.

« Les corps sont au roi de France, mais les âmes sont à Dieu ! »258

Cris des Templiers brûlés vifs dans l’îlot aux Juifs, 19 mars 1314. Les Templiers (2004), Stéphane Ingrand

Cet îlot, à la pointe de l’île de la Cité, doit son nom aux nombreux juifs qui ont subi le supplice du bûcher. Le peuple est friand de ce genre de spectacle et les Templiers attirent la foule des grands jours. Cette citation entre dans une catégorie peu fournie : « mot de la fin collectif ».

Ils sont une trentaine de Templiers à rejoindre dans le supplice Jacques de Molay, le grand maître de l’Ordre. Après sept ans d’« affaire des Templiers », le roi qui veut en finir a ordonné l’exécution groupée des plus « suspects », le soir même de l’ultime sentence.

« Clément, juge inique et cruel bourreau, je t’ajourne à comparaître dans quarante jours devant le tribunal du souverain juge. »259

Jacques de molay (vers 1244-1314), sur le bûcher dans l’îlot aux Juifs, île de la Cité à Paris, 19 mars 1314. Histoire de l’Église de France : composée sur les documents originaux et authentiques, tome VI (1856), abbé Guettée

Ce « mot de la fin » est l’un des plus célèbres de l’histoire, pour diverses raisons. Quarante jours plus tard, le 20 avril, Clément V meurt d’étouffement, seul dans sa chambre à Avignon, comme aucun pape avant lui, ni après.

Autre version de la malédiction, tirée de la saga des Rois maudits de Maurice Druon et du feuilleton de télévision de Claude Barma qui popularisa l’affaire des Templiers au XXe siècle : « Pape Clément ! Chevalier Guillaume ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » Nogaret est déjà mort, il y a un an, et il peut s’agir d’un autre Guillaume. Mais le pape va mourir dans le délai imparti, comme Philippe le Bel, suite à une chute de cheval à la chasse (blessure infectée, ou accident cérébral).

Plus troublant, le nombre de drames qui frapperont la descendance royale en quinze ans, au point d’ébranler la dynastie capétienne : assassinats, scandales, procès, morts subites, désastres militaires. Quant à la treizième génération… cela tombe sur Louis XVI, le roi de France guillotiné sous la Révolution.

« Étienne Marcel [est] le premier bourgeois de Paris qui ait osé proclamer le principe de la souveraineté du peuple au milieu du XIVe siècle […] Aussi les Parisiens font-ils remonter jusqu’à lui la longue histoire de leurs révolutions. »299

Francis LACOMBE (1817-1867), Histoire de la bourgeoisie de Paris depuis son origine jusqu’à nos jours (1851)

Étienne Marcel est à l’origine de la première « Charte » arrachée par la bourgeoisie à l’arbitraire monarchique, sous forme de Grande Ordonnance limitant le pouvoir royal.

Prévôt des marchands de Paris (magistrat équivalent du maire), il joue un rôle considérable aux États généraux de 1355 et 1357, manifestant une vive opposition au roi Jean II le Bon, puis au dauphin Charles. Mais cette « révolution légale » échoue. Étienne Marcel va tenter une révolution urbaine.

« Ceux que nous avons tués étaient faux, mauvais et traîtres. »300

Étienne marcel (vers 1316-1358), 22 février 1358. Histoire de la bourgeoisie de Paris depuis son origine jusqu’à nos jours (1851), Francis Lacombe

Il vient de faire assassiner devant le dauphin ses deux conseillers, les maréchaux de Champagne et de Normandie. Paris acclame son prévôt : c’est la première journée révolutionnaire parisienne de l’histoire.

Maître de Paris, Étienne Marcel se rêve peut-être roi de France. Il veut gagner la province à sa cause, avec la complicité de Charles de Navarre, dit Charles le Mauvais. Petit-fils de Louis X, prétendant le plus direct à la couronne par les femmes, très frustré de ne pouvoir faire valoir ses droits, ce prince ne cessera de comploter et de trahir.

Le dauphin, pour affermir son autorité alors que son père est toujours prisonnier des Anglais, a pris le titre de régent du royaume. Il fuit la capitale, réunit une armée, bloque Paris. Étienne Marcel s’apprête à livrer la ville aux troupes de Charles le Mauvais qui a fait alliance avec les Anglais, quand il meurt, assassiné par Jean Maillard, partisan du dauphin, le 31 juillet 1358. Dès le lendemain, le dauphin rentre à Paris où ont été massacrés tous les partisans du prévôt.

Étienne Marcel est l’exemple type d’un personnage historique dont l’action et la personne sont jugées de façons totalement opposées : la gauche encensera cet ancêtre des révolutionnaires « plein de patriotisme », dévoué pour son pays, jusqu’à lui faire sacrifice de « sa fortune et de sa vie », alors que la droite en fait « un émeutier, un assassin et un traître ».

« Chose lamentable et vraiment honteuse ! Le roi lui-même, au retour de sa captivité, a trouvé des empêchements pour rentrer dans sa capitale ainsi que son fils ; il a été forcé de traiter avec ces brigands pour voyager plus sûrement à travers ses possessions. »304

PÉTRARQUE (1304-1374). Histoire de Bertrand Du Guesclin et de son époque (1882), Simon Luce

Le grand poète florentin s’indigne, dans une lettre parlant du roi Jean II le Bon.

Guerre de Cent Ans. En vertu du traité de Brétigny (8 mai 1360) signé entre les rois de France et d’Angleterre, Édouard III renonce à ses visées sur la Couronne, mais conserve une grande partie de ses conquêtes en France : Guyenne, Gascogne, Poitou, Aunis, Limousin, Agenais, Rouergue. Jean le Bon est libéré contre une rançon de trois millions d’écus. Et pour arriver jusqu’à la capitale, le roi lui-même doit traiter avec les bandits des Grandes Compagnies !

Le dauphin Charles, futur Charles V en 1364, enverra contre elles son meilleur chef de guerre, Du Guesclin. Ce grand capitaine ne peut être partout où elles sévissent. Alors, très habilement, il les rassemble et pse met à leur tête en 1365, pour les conduire en Espagne sous prétexte de combattre les Maures. Quand elles en reviennent pour ravager à nouveau la France, villes et bourgades se sont fortifiées et peuvent enfin leur résister.

« Les clercs qui ont sagesse, on ne peut trop honorer, et tant que sagesse sera honorée en ce royaume, il continuera à prospérité, mais quand déboutée y sera, il décherra. »307

CHARLES V le Sage (1338-1380). Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles le Quint, Christine de Pisan

Le nouveau roi est porté sur les choses de l’esprit, différent en cela de son père Jean II le Bon et de la plupart des chevaliers de l’époque. Passionné de philosophie et de science, d’astrologie, médecine et mathématique, il protège l’Université de Paris et crée la grande « librairie », ancêtre de notre Bibliothèque Nationale, d’où son surnom de Sage (qui signifie savant).

« À coup sûr, on n’avait pas plus de pitié à tuer ces gens-là que des chiens. On disait : c’est un Armagnac ! » 321

Journal d’un bourgeois de Paris (chronique anonyme des années 1405 à 1449)

Année 1410. Dans Paris, les Bourguignons ont le pouvoir et Jean sans Peur tient le roi, inspire ses décisions et peuple le Conseil de ses créatures – depuis 1407 et jusqu’en 1413.

Cependant que le jeune duc, Charles d’Orléans, rallie à sa cause les ducs de Berry, Bourbon, Bretagne, contre Jean sans Peur : ainsi grandit le parti des Armagnacs. Et chaque parti se prétend au service du roi et du bien public.

« La misérable face du royaume a perdu son honneur et sa majesté. »322

Jean de COURTECUISSE (1350-1422), s’adressant au roi dans son sermon sur la Nativité, 23 mai 1413. Histoire du Moyen Âge (1937), Joseph Calmette, Eugène Déprez

Le chancelier de l’Université de Paris, surnommé « Docteur Sublime » pour son art oratoire, dit la grande misère du royaume de France, divisé entre Armagnacs et Bourguignons : « Voyez le plat pays, il est pillé et rongé par les gens d’armes qui ont charge de le défendre et par les gens de justice. Et comment vos finances sont-elles gérées ? C’est à qui a pu en piller le plus. De tant d’impôts, de tant d’emprunts, tailles, aides, dixièmes, que vous est-il demeuré ? Rien. »

En avril-mai 1413, des émeutes conduites par Jean Caboche, boucher à Paris, et favorisées par Jean sans Peur pour mieux éliminer les Armagnacs, excèdent à tel point la population qu’elle accueille avec joie les nouveaux maîtres, le 1er septembre. Aux Armagnacs de gouverner jusqu’au 28 mai 1418, jour où les Bourguignons reprennent le pouvoir. La situation devient d’autant plus grave que chaque clan appelle tour à tour au secours l’ennemi anglais, trop heureux de se mêler des affaires de la France !

Le même phénomène parisien se reproduira durant les guerres de Religion et sous la Fronde.

« Le royaume de France est une nef qui menace de sombrer. »324

Jean de COURTECUISSE (1350-1422), prêche à Notre-Dame, 22 janvier 1416. Le Redressement de la France au XVe siècle (1941), René Bouvier

Évêque de Paris, il résume le drame du pays. La chevalerie française est à nouveau défaite, suite à la bataille d’Azincourt (1415). Le royaume est frappé « au chef », ayant à sa tête Charles VI le Fou – dit aussi le Bien-Aimé, le peuple ayant pitié de lui – et une reine détestée, ambitieuse et débauchée, Isabeau de Bavière.

Le roi d’Angleterre, qui vise la couronne de France, occupe un quart du territoire et anglicise des villes conquises – habitants tués ou expulsés, remplacés par des Anglais : premier exemple de transfert de population.

La guerre civile continue de plus belle. Le 29 mai 1418, les Bourguignons reprennent Paris : massacre de 522 Armagnacs, dans la nuit. Fuyant la ville jonchée de cadavres « en tas comme porcs au milieu de la boue », le prévôt des marchands Tanguy du Châtel (chef des Armagnacs) emporte le dauphin endormi dans ses bras – il n’y reviendra, roi Charles VII, que vingt ans après. Le 12 juin, le connétable Bernard d’Armagnac, vrai maître du gouvernement, est massacré. Le dauphin Charles devient chef des Armagnacs et se proclame régent, résidant le plus souvent à Bourges où il a établi sa Chambre des comptes, tandis que son Parlement et sa Cour des aides siègent à Poitiers. Plusieurs régions se rallient à lui. Cependant que les Bourguignons tiennent toujours Paris (80 000 morts de juin à septembre, une épidémie de choléra s’en mêlant) et gardent prisonnier le roi Charles VI le Fou. Il y a deux gouvernements en France.

« En ces temps, étaient les loups si affamés qu’ils entraient de nuit dans les bonnes villes et passaient souvent la rivière de Seine et aux cimetières qui étaient aux champs, aussitôt qu’on avait enterré les corps, ils venaient la nuit et les déterraient et mangeaient. »330

Journal d’un bourgeois de Paris (chronique anonyme des années 1405 à 1449)

Hiver 1421-1422. La misère n’est pas égale dans tout le royaume. La « France anglaise » demeure la plus pauvre, avec la Normandie occupée par les garnisons, écrasée par les impôts, et les campagnes bordelaises qui se remettent lentement des récentes dévastations.

« Paris, siège ancien de la royale majesté française, est devenu un nouveau Londres. »331

Georges CHASTELLAIN (vers 1405-1475), Chronique des ducs de Bourgogne (posthume, 1827)

Écuyer flamand au service du duc de Bourgogne, il rappelle qu’en vertu du traité de Troyes (1420), Henri V de Lancastre s’était installé au Louvre et Charles VI à l’hôtel Saint-Paul, mais qu’à sa mort, le roi d’Angleterre deviendrait roi de France. Ce 21 octobre 1422, Charles VI vient de mourir. Paris reste aux Anglais et le parti anglais manifeste sa joie, comme si c’était Noël.

Le royaume se trouve ainsi partagé en trois. La France anglaise avec Paris, l’État bourguignon tenu à l’écart des guerres et brigandages et le « royaume de Bourges », la France du dauphin Charles, qui vit au gré d’une politique fluctuante, entre les rentrées fiscales intermittentes et les intrigues de cour incessantes.

Renaissance et Guerres de Religion

La vie de cour s’épanouit dans les châteaux du Val de Loire et profite aux villes de Touraine, mais Paris garde son attrait de ville capitale. C’est le « beau XVIe siècle », suivi de « huit guerres de Religion », véritable guerre civile qui déchire la France et culmine dans la nuit parisienne de la Saint-Barthélemy (24 août 1572), massacre d’illustre mémoire, avant la première « journée des Barricades » (1588) de l’histoire, organisée par la Ligue catholique qui tient Paris.

« Car je suis né et été nourri jeune au jardin de France : c’est Touraine. »389

François RABELAIS (vers 1494-1553), Pantagruel (1532)

Moine médecin, né près de Chinon et lancé en littérature par ce personnage de géant (fils de Gargantua) qu’il a créé.

Paris reste capitale de la France, mais les Valois au pouvoir fuient ses violences révolutionnaires et vont en Val de Loire construire leurs châteaux : Amboise, Blois, Chambord, Chenonceau. Là se situe la vie culturelle, galante et bien souvent politique de la France : Léonard de Vinci le prestigieux invité finira sa vie près d’Amboise, les États généraux se tiennent à Blois, à Tours. Et ce qui deviendra au XVIe siècle la langue nationale est le français parlé en Touraine, réputé le plus pur.

« Que dit-on à la cour, que fait-on à Paris ?
Quels seigneurs y voit-on, et quelles damoiselles ? »400

Olivier de MAGNY (vers 1529-vers1561), Les Soupirs (1557)

Poète de cour et secrétaire d’ambassadeur à Rome, il « soupire » après Paris, chanté de même par Robert Garnier dans Bradamante : « La douceur et l’amour / La richesse et l’honneur font à Paris séjour. » Jean Bertaut, autre poète de cour, dans son Cantique en forme de confession, parle de « cette ville sans pair, cet abrégé de France ».

La mode parisienne, déjà, fait prime dans le beau monde et le monde tout court, notamment chez les Anglais qui ne sont plus nos ennemis numéro un, depuis l’avènement de Charles Quint. La cour, véritable instrument de règne, est une ville de plus de 15 000 personnes, itinérante entre Val de Loire, Fontainebleau et Paris (Louvre) qui retrouve enfin la faveur du souverain.

« On commence par brûler les livres, on finit par les personnes. »409

ÉRASME (1469-1536), en 1521. Les Origines de la Réforme (1914), Pierre Imbart de La Tour

À Paris, la très catholique Sorbonne (collège pour étudiants en théologie) dénonce au Parlement les progrès de la doctrine de Martin Luther (protestant, réformateur de l’Église) et obtient un arrêt en vertu de quoi les livres la répandant seront brûlés.

Érasme, théologien et grand humaniste hollandais, ne se trompe pas : dès 1523, Jean Vallière, moine augustin de Falaise (Normandie), est brûlé vif à Paris comme luthérien. En 1529, c’est le tour de Berquim, gentilhomme ami d’Érasme. Les persécutions contre les protestants vont alterner pendant plus de trente ans avec des périodes de tolérance, jusqu’aux massacres à répétition qui auront pour nom guerres de Religion (1562-1598).

Reprenant un proverbe grec ancien, Érasme écrit aussi : « Le feu n’éteint pas le feu. » (« Ignis non extinguitur igni. ») Au XIXe siècle, dans un contexte différent, Heinrich Heine reprendra le mot d’Érasme : « Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes. »

« Cujus regio, ejus religio. »
« Tel prince, telle religion. »410

Adage du temps. Introduction à l’histoire du droit et des institutions (2004), Guillaume Bernard

Ou encore : « Dis-moi qui te régit, je te dirai quelle est ta religion. »

La religion du prince décide de la foi professée dans l’État. D’où le problème des « dissidents » : « papistes » en pays protestants, « huguenots » en pays catholiques, qui sont selon les périodes pourchassés ou tolérés – jusqu’à la Révolution. Les sujets, par la force ou la persuasion, doivent donc changer de religion quand leur prince en change. Les conversions abondent, dans les provinces périphériques – la Navarre en est le plus illustre exemple.

Paris, son Parlement (dont le ressort et donc l’influence s’étendent sur près de la moitié de la France) et la royauté demeurent profondément catholiques.

« Qu’il vous plaise venir en votre ville de Paris, en votre franc et libéral arbitre, en vous ôtant hors du pouvoir d’autrui, ce de quoi vous supplie si très humblement que je puis. »417

Louis d’ORLÉANS (1462-1515), Lettre au roi Charles VIII, 14 janvier 1485. Essai sur le gouvernement de la Dame de Beaujeu : 1483-1491 (1970), Paul Pélicier

C’est le futur Louis XII qui s’adresse au jeune roi de 15 ans. Les Valois gouvernent en Val de Loire, loin des agitations de Paris. Louis d’Orléans voudrait surtout que le roi échappe à l’influence de ses deux conseillers, les Beaujeu – les correspondances du temps associent toujours « Monsieur et Madame ». Ils sont coupables, entre autres, de lever plus d’impôts que la somme octroyée par les États généraux de l’année précédente, mais la raison est simple : il leur faut entretenir une importante armée royale pour rétablir l’ordre dans les villes et les campagnes et lutter contre les princes féodaux.

« Je ne souffrirai pas qu’il y ait plus qu’un roi de France. »443

FRANÇOIS Ier (1494-1547), 14 janvier 1518. François Ier, le souverain politique (1937), Louis Madelin

Façon de signifier qu’il veut être seul roi en son royaume, autrement dit avoir le pouvoir absolu.  Il s’adresse ici à une députation du puissant Parlement de Paris, venue à Amboise, et poursuit : « Non, non, il n’y aura pas ici un Sénat comme à Venise, qui dicte ses lois au prince. Le Parlement a pour mission de rendre la justice et non de s’occuper des autres choses […] Il ne lui appartient pas de régler et d’ordonner les affaires publiques. » Jamais roi de France ne s’était à ce point emporté contre son Parlement. Objet du litige ? L’enregistrement d’un concordat. Devant la résistance du Parlement à ce sujet, le roi menace. Le jeune Louis XIV sera encore plus absolu : « L’État, c’est moi ! »

« Si la Cour y fait faute, je l’en ferai repentir. »444

FRANÇOIS Ier (1494-1547). François Ier, le souverain politique (1937), Louis Madelin

Le roi est furieux contre le Parlement qui repousse l’enregistrement du concordat dont la bulle a été signée par le pape, le 18 août 1516. Le Parlement finit par céder en mars 1518, mais enregistre avec la mention : « de l’ordre exprès et réitéré du roi ».

Les parlementaires de Paris et de province, qui se veulent un seul corps, se poseront à plusieurs reprises en « conservateurs du royaume et de la chose publique » et même en représentants de la nation (l’idée précédant le mot), entre deux réunions des États généraux sous les règnes suivants. Au XVIIIe siècle, le Parlement de Paris jouera un rôle prérévolutionnaire contre l’autorité royale de plus en plus chancelante, avant la réunion des États généraux du 5 mai 1789, à Versailles.

« Le plus grand et le plus extrême acte de la Grâce divine par lequel se propage l’influence de l’Évangile. »447

Martin LUTHER (1483-1546). « Sur certaines formes de la propagande religieuse au xvie siècle », Pierre Deyon, revue Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, volume XXXVI (1981)

Grand réformateur religieux et l’un des premiers écrivains de langue allemande, Luther rend ainsi hommage à l’imprimerie, découverte dans son pays en 1434 par Gutenberg.

Avec la presse à imprimer, le livre est devenu une véritable industrie à Paris et à Lyon, sous Louis XII. Luther est – avec la Bible – le « best-seller » du temps : plus de 300 000 exemplaires de ses Quatre-vingt-quinze thèses vendus entre 1517 et 1520. Jusque vers 1550, Luther est l’auteur le plus lu et marque la mentalité européenne de son empreinte.

« Hérétiques séducteurs, imposteurs maudits, c’est ainsi que le monde et les méchants ont coutume d’appeler ceux qui, purement et sincèrement, s’efforcent d’insinuer l’Évangile dans l’âme des fidèles. »461

Nicolas COP (vers 1501-1540), Discours inaugural du recteur de l’Université de Paris, 1er novembre 1533. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Texte parfois attribué à un jeune étudiant en hébreu, grec et théologie au Collège royal, Jean Cauvin, passé à la postérité sous le nom de Calvin. S’il n’est pas vraiment de sa plume, il l’a du moins influencé.

Le discours fait du bruit : on parle beaucoup de la Réforme dans l’Église. L’humanisme a conduit à l’évangélisme (diffusé par le « cercle de Meaux » à présent dispersé), mais ce retour aux sources de l’Évangile risque de mener plus loin : au schisme religieux. La très catholique Sorbonne de Paris, conservatrice par nature, voit venir le danger qui a pris visage et doctrine de Luther : on a déjà marqué au fer rouge, brûlé, exécuté quelques luthériens à Paris.

« Plût à Dieu que dans notre siècle malheureux, nous établissions la paix dans l’Église sur le fondement de la parole, plutôt que sur celui du glaive. »462

Nicolas COP (vers 1501-1540), Discours inaugural du recteur de l’Université de Paris, 1er novembre 1533. La Réforme en France jusqu’à l’Édit de Nantes (1960), Auguste Bailly

C’est toujours Calvin qui s’exprime, ou sa pensée. Il vient d’adhérer à la Réforme et n’est que trop conscient du péril et la conclusion de ce beau texte résonne comme une prophétie.

« Nous sommes très marris et déplaisants de ce que en notre bonne ville de Paris, chef et capitale de notre royaume et où il y a Université principale de chrétienté, cette maudite secte hérétique pullule, où plusieurs pourront prendre exemple. »463

FRANÇOIS Ier (1494-1547), Lettre de novembre 1533 au Parlement de Paris. La Réforme en France jusqu’à l’Édit de Nantes (1960), Auguste Bailly

Le roi s’est montré tolérant envers les réformateurs. Par tempérament et par goût pour les idées nouvelles ; par diplomatie, ménageant les princes protestants allemands avec qui il fait alliance ; par affection pour sa sœur Marguerite de Navarre, favorable aux thèses d’Érasme et recueillant dans sa cour de Nérac le rescapé du « cercle de Meaux », Lefèvre d’Étaples. Mais le discours du recteur Cop (écrit ou inspiré par Calvin) est mal reçu par les milieux influents qui sont (et resteront) catholiques à Paris.

Il s’ensuit une vague de répression contre la « maudite secte hérétique » : enquêtes, arrestations, procès. Et puis, tout semble s’apaiser en 1534.

« Sus donc Paris regarde quel doit être
Ton heur futur, en adorant ton maître,
Ton nouveau Dieu, dont la divinité
T’enrichira d’une immortalité. »480

Pierre de RONSARD (1524-1585), Entrée du Roi Très-Chrétien Henry II à Paris, l’an 1549

Le « prince des poètes » écrit ces vers pour l’Entrée du nouveau roi dans sa capitale.

Henri II est plus austère que son père François Ier, sa cour sera moins brillante, mais le prestige du monarque est exalté d’une autre manière. Les Entrées solennelles dans les villes sont l’occasion de fêtes à l’italienne, avec arcs de triomphe, statues à l’antique, pyramides et obélisques, tout un paysage urbain s’inspirant des anciens triomphes de Rome. Et les meilleurs poètes rivalisent pour honorer le roi qui fait figure d’Hercule gaulois.

« Jésus ! qu’a donc cette jeunesse pour vouloir ainsi se faire brûler pour rien ? »486

Président du tribunal chargé de juger des calvinistes. Histoire de France au seizième siècle, Guerres de religion, tome IX, Jules Michelet

Surpris dans leur pratique interdite à Paris, en septembre 1557, les disciples de Calvin semblent chercher le martyre. La législation antiprotestante date du règne d’Henri II. La Chambre ardente, créée en 1547 au Parlement de Paris, rend plus de 500 arrêts contre l’hérésie en trois ans. L’édit de Châteaubriant sur la répression de l’hérésie établit la censure en 1551. L’édit de Compiègne de 1577 réservera aux tribunaux laïques le jugement des réformés en cas de scandale public, et dans ce cas, la seule condamnation pour les hérétiques est la mort !

Malgré cet arsenal répressif, la nouvelle Église réformée recrute de plus en plus de nobles, surtout depuis 1555, date de sa fondation clandestine à Paris.

« Quand Paris boira le Rhin, toute la Gaule aura sa fin. »508

Jean LE BON (XVIe siècle), Le Rhin au Roy (1568). « La Monarchie d’Ancien Régime et les frontières naturelles », Gaston Zeller, Revue d’histoire moderne (1933)

Ce pamphlet est signé d’un Lorrain, connu aussi comme médecin de Charles IX et des Guise (branche cadette de la maison de Lorraine, politiquement très active, et catholique).

Le Rhin au Roy rappelle les limites de l’ancienne Gaule et manifeste sa préférence pour une politique rhénane plutôt qu’italienne. Autrement dit, le Rhin est plus nécessaire que le Pô. On peut y voir une des premières expressions de la théorie des frontières naturelles de la France : Rhin, Alpes et Pyrénées forment ses limites continentales, mer du Nord et Manche (Channel), Atlantique et Méditerranée complétant l’hexagone.

Les rois de l’Ancien Régime ont plus ou moins consciemment raisonné ainsi pour constituer le pays tel qu’il existe aujourd’hui, mais au XVIe siècle, le mirage italien leur a longtemps tourné la tête. Et Catherine de Médicis, l’actuelle régente, fille de Laurent II de Médicis, est née à Florence.

« Le corps d’un ennemi mort sent toujours bon. »525

CHARLES IX (1550-1574), le 24 août, jour de la Saint-Barthélemy (du nom du saint, fêté sur le calendrier). Cité au XVIIIe siècle par Voltaire (Œuvres complètes, volume X), au XIXe siècle par Alexandre Dumas (La Reine Margot), entre autres sources

Guerres de Religion, l’une des pages d’Histoire les plus riches en mots, culmine à la Saint-Barthélemy de Paris où les protestants sont venus en masse, pour les noces du roi de Navarre (futur Henri IV) et de la reine Margot.

Ce mot (de l’empereur romain Vitellius) est attribué à Charles IX, devant le corps de Coligny. Cette nuit, cet assassinat et ses suites – les milliers de morts et le sacrifice de son conseiller – hanteront les nuits du jeune roi, jusqu’à sa mort prochaine.

Faible de caractère, manipulé par sa mère et ses proches (les Guise et son frère Henri, le duc d’Anjou), il semble qu’il ait donné son accord pour tuer tous les chefs… Oui, mais pas tous les protestants de Paris, de Navarre et de France !

Selon certaines sources (dont Agrippa d’Aubigné), le roi tirait à l’arquebuse sur les fuyards. Selon d’autres historiens, il a tenté d’arrêter la tuerie qui commence dans les rues, les ruelles. De toute manière, il est trop tard ! On a fermé les portes de Paris et la capitale est profondément anti-huguenote. La haine se déchaîne et chaque protestant passe pour un Coligny en puissance : « Tuez-les tous ! » L’ordre royal du 23 août est répété à tous les échos, tous les carrefours.

« Hélas qu’ai-je donc fait ?
– Si tu n’as rien fait, cela doit te consoler : tu mourras innocent ! »526

Réplique d’un capitaine suisse au jeune Saint-Martin, nuit du 23 au 24 août 1572. Charles IX (1986), Emmanuel Bourassin

L’« innocent » Saint-Martin, dit Brichanteau, est arquebusier du roi. Le Suisse transperce le cœur du « parpaillot », la nuit de la Saint-Barthélemy. « Tuez-les tous ! »

Ce mot terrible a déjà résonné, lors du massacre des cathares au sac de Béziers, le 22 juillet 1209. On retrouvera ce climat de guerre civile sous la Terreur révolutionnaire et la Commune de Paris.

« Saignez, saignez, la saignée est aussi bonne au mois d’août qu’au mois de mai ! »527

Maréchal de TAVANNES (1509-1573), 24 août 1572. Œuvres complètes, volume X (1823), Voltaire

Ancien page de François Ier, gouverneur de Bourgogne où il se distingua par son fanatisme contre les réformés, il excite ses soldats au massacre de la Saint-Barthélemy, appelé la boucherie de Paris.

Selon le journal d’un bourgeois de Strasbourg, présent le 24 août : « Il n’y avait point de ruelle dans Paris, quelque petite qu’elle fût, où l’on n’en ait assassiné quelques-uns… Le sang coulait dans les rues comme s’il avait beaucoup plu. » Et Michelet évoque cette féroce jouissance à tuer.

Le livre de comptes de l’Hôtel de Ville de Paris inscrit 1 100 sépultures, l’historien contemporain Jacques Auguste de Thou écrit : 30 000 morts. Entre les deux, 4 000 morts est un bilan vraisemblable.

« Les Parisiens se mettent au pillage avec une extraordinaire avidité : bien des gens ne s’étaient jamais imaginé qu’ils pourraient posséder un jour les chevaux et l’argenterie qu’ils ont ce soir dans les mains. »528

Antonio Maria SALVIATI (1537-1602), nonce apostolique, lettre au pape Grégoire XIII. Correspondance du nonce en France, Antonio Maria Salviati : 1572-1578 (1975)

Salviati est Florentin, et cousin de Catherine de Médicis. Il a bien intrigué pour se faire envoyer à la cour de France. Arriver en cette année 1572 fait de lui un témoin privilégié d’une page d’histoire qui concerne par ailleurs le pape, même si le Saint-Siège n’est pour rien dans le massacre ! La correspondance de Salviati est un modèle d’ordre et de régularité. Une source précieuse pour les historiens, avec une partialité somme toute logique en faveur des catholiques.

Par ordre du gouvernement, la tuerie va s’étendre à tout le royaume.

« Il valait mieux que cela tombât sur eux que sur nous. »529

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à l’ambassadeur de Toscane à propos du massacre de la Saint-Barthélemy. Lettres de Catherine de Médicis (1891), Collection de documents inédits sur l’histoire de France, Imprimerie nationale

La reine mère est sans doute responsable des massacres, malgré la prochaine déclaration de Charles IX au Parlement de Paris (26 août). Mais au point de haine où catholiques et protestants sont arrivés, le choc semblait inévitable et la balance pouvait pencher de l’un ou l’autre côté. On peut penser aussi que cette forte femme fut dépassée par la force des événements !

Effet non prévu, la Saint-Barthélemy va renforcer le parti protestant, qui s’organise pendant cette quatrième guerre de Religion.

« La messe ou la mort. »530

CHARLES IX (1550-1574), à Condé, le 24 août 1572. Précis de l’histoire de France jusqu’à la Révolution française (1833), Jules Michelet

Henri Ier de Bourbon-Condé (fils de Louis, assassiné à Jarnac) a fait alliance avec son cousin Henri de Navarre, devenant l’un des chefs protestants les plus actifs. Il est mené devant le roi qui jure « par la mort Dieu » : il n’hésitera pas à faire tomber sa tête, s’il ne se convertit pas. « Je te donne trois jours pour changer d’avis […] Trois jours, après quoi il faudra choisir : la messe ou la mort. »

Henri Ier va abjurer, comme le futur Henri IV, et pour la même raison. La vie vaut bien une messe. Mais ce genre de conversion sous la contrainte vaut peu et ne dure pas.

« La messe ou la mort » va devenir un mot d’ordre, la formule d’un exorcisme collectif, dans Paris où chaque Parisien se croit dépositaire de la justice divine, devant chaque huguenot fatalement coupable d’hérésie et traître au roi.

« Tout ce qui est advenu dans Paris a été fait non seulement par mon propre consentement, mais par mon commandement et de mon propre mouvement. »532

CHARLES IX (1550-1574), Déclaration au Parlement de Paris convoqué le 26 août. La Reine libertine : la reine Margot (2009), Michel de Decker

Au lendemain de la Saint-Barthélemy, le roi s’exprime publiquement. Mais nul n’ignore l’influence de Catherine de Médicis sur son fils.

« L’État s’est crevassé et ébranlé depuis la journée de la Saint-Barthélemy, depuis que la foi du prince envers le sujet et du sujet envers le prince, qui est le seul ciment qui entretient les États en union, s’est si outrageusement démentie. »534

Philippe DUPLESSIS-MORNAY (1549-1623), Mémoires et correspondance de Duplessis-Mornay pour servir à l’histoire de la réformation et des guerres civiles et religieuses en France, sous les règnes de Charles IX, de Henri III, de Henri IV et de Louis XIII, depuis l’an 1571 jusqu’en 1623

Parole de chef calviniste, mais très juste analyse de la situation. Le massacre de Paris, étendu à toute la France, creuse un fossé entre le pouvoir royal et les protestants, et provoque une crise de la foi monarchique : à la mort de Charles IX, le nouveau roi héritera d’une situation délicate et Catherine de Médicis est impuissante à dédramatiser le règne de ses fils.

Duplessis-Mornay rejoint Henri de Navarre et le théologien entre en politique, devenant son ambassadeur et principal conseiller, l’un des hommes les plus importants du parti protestant, à la fin du XVIe siècle. Le parti s’organise, devient quasiment un État dans l’État : il nomme un « gouverneur général et protecteur des Églises réformées » (qui sera bientôt Henri de Navarre), lève des impôts sur les territoires qu’il contrôle, entretient des armées, s’offre même deux capitales (Nîmes et Montauban) et un grand port (La Rochelle).

« Périsse le souvenir de ce jour ! »535

Michel de L’HOSPITAL (vers 1504-1573), évoquant la Saint-Barthélemy. Œuvres complètes de Michel de L’Hospital, chancelier de France (1824)

Cité dans ses Œuvres complètes, comme un « cri de honte et de douleur que tous les vrais Français répétèrent ».

Le souvenir de la Saint-Barthélemy vivra à jamais dans l’histoire de France, mais ce drame eut au moins un effet positif : un tiers parti va naître, celui des Malcontents, des Politiques, esprits modérés, catholiques aussi bien que protestants, soucieux avant tout de sauver le pays, préparant à terme l’avènement d’Henri IV et la paix.

Michel de L’Hospital sera naturellement de ces hommes, avec l’humaniste Jean Bodin, le capitaine protestant François de La Noue, Duplessis-Mornay, théologien réformé qui échappe de peu au massacre, le philosophe Montaigne, ami du roi de Navarre et maire de Bordeaux, qui tente activement de rapprocher les deux camps, et même le très catholique Ronsard, qui se désolidarise des crimes commis au nom de la religion.

« Vous savez, quand le peuple se déborde, quelle bête c’est ! »554

HENRI III (1551-1589), Lettre à M. de Villeroy, secrétaire d’État, septembre 1584. Henri III : roi shakespearien (1985), Pierre Chevallier

Le roi s’inquiète des troubles orchestrés par les ligueurs à Paris et la suite des événements lui donnera raison. « La Ligue, qui eut à Paris son foyer le plus ardent, était une minorité, mais une minorité active et violente. La petite bourgeoisie, les boutiquiers irrités par la crise économique en furent l’élément principal » (Jacques Bainville, Histoire de France).

But avoué de la Ligue : défendre la foi catholique. Mais ses chefs veulent aussi détrôner Henri III. Le traité secret de Joinville, signé le 31 décembre 1584 entre Philippe II d’Espagne et les Guise, prévoit de remplacer Henri III le Valois par le cardinal de Bourbon (oncle d’Henri IV), prenant le nom de Charles X. Vu son âge (61 ans) et son état ecclésiastique, Henri de Guise, dit le Balafré, a toutes chances de lui succéder… Le royaume va courir au chaos.

Henri III prend la tête de la Ligue, pour la neutraliser (traité, édit ou alliance de Nemours, juillet 1585). En fait, il cède à ses exigences. Il se rapproche des Guise, interdit le culte protestant, s’engage à « bouter les hérétiques hors du royaume » et déclare le Béarnais déchu de ses droits à la couronne.

« Comment sont nées les barricades ? Pour lutter contre les cavaleries royales, le peuple n’ayant jamais de cavalerie. »562

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Le nom de « journée des Barricades » sera donné à plusieurs insurrections parisiennes de l’histoire de France. La première date du 12 mai 1588.

Henri de Guise brave la défense du roi et se rend à Paris, appelé par les Seize (comité formé par les ligueurs dans la capitale, composé de 16 membres représentant les 16 quartiers de la ville). Très populaire, on le surnomme le Roi de Paris.

Henri III veut riposter avec ses troupes, mais la population se soulève, barrant les rues avec des barriques de terre. Le roi doit s’enfuir et se réfugie à Chartres. Paris reste au duc de Guise et aux ligueurs.

« C’est grand’pitié quand le valet chasse le maître. »563

Achille de HARLAY (1536-1619), premier président du Parlement de Paris, mai 1588. Discours sur la vie et la mort du président de Harlay (1816), Jacques de la Vallée

Saluons le courage de ce magistrat qui s’adresse à Henri de Guise, après qu’il a contraint Henri III à s’enfuir de Paris. Ajoutant : « Au reste, mon âme est à Dieu, mon cœur est à mon roi et mon corps est entre les mains des méchants ; qu’on en fasse ce qu’on voudra. »

Inébranlablement fidèle au roi et membre influent du parti des Politiques (les modérés), Harlay sera jeté en prison par les Seize, qui font régner la terreur dans la capitale. La situation est grave et le roi convoque les États généraux à Blois. Mais il sera assassiné l’année suivante. C’est son successeur, Henri IV, qui aura la force et le temps de remettre de l’ordre dans le pays et dans la capitale, avant de le payer aussi de sa vie.

Naissance de la monarchie absolue

Henri IV, protestant, doit littéralement reconquérir la capitale d’une France catholique, mais « Paris vaut bien une messe » et sa conversion résout (presque) tout. Il sera quand même assassiné par Ravaillac. Richelieu, ministre de Louis XIII, mate tous les opposants de France (les Grands et les protestants), mais se méfie toujours de « cette grosse bête » de Paris, avec son peuple frondeur et son Parlement rebelle.

« Ô Paris qui n’est plus Paris, mais une spélonque [antre] de bêtes farouches, une citadelle d’Espagnols, Wallons et Napolitains, un asile et sûre retraite de voleurs, meurtriers et assassinateurs, ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité et te souvenir qui tu as été, au prix de ce que tu es ! »613

Pierre PITHOU (1539-1596), Harangue de M. d’Aubray. La Satire Ménippée (1594)

Passage le plus célèbre de ce pamphlet écrit pour soutenir Henri IV contre les extrémistes catholiques. Le roi hérite d’une capitale aux mains des ligueurs qui font régner la terreur, et des Habsbourg qui ont des ambitions dynastiques sur la France.

« Qui vous croira roi de France quand on verra vos ordonnances datées de Limoges ? »614

Sieur de GUITRY (seconde moitié du XVIe siècle) au roi Henri IV, 6 août 1589. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Dès le 4 août, Henri IV a promis de « maintenir et conserver la religion catholique, apostolique et romaine » dans le royaume : c’est la déclaration de Saint-Cloud. Cela doit rassurer une France majoritairement catholique, et lui vaut l’adhésion hésitante d’une partie de la noblesse et des princes de sang. Mais Paris (avec d’autres grandes villes) est pour la Ligue et pour son chef, Charles de Mayenne, duc de Lorraine (maison des Guise).

L’enjeu est purement et simplement le trône de France. Le roi va donc partir à la conquête de son royaume – fait unique dans notre histoire ! Il a une petite armée de 20 000 hommes, quelques fidèles compagnons, une grande énergie, une formidable santé, et l’habitude des champs de bataille.

« Vous avez fait, Sire, la plus brave folie qui se fit jamais. Vous avez joué le royaume sur un coup de dés. »617

Philippe DUPLESSIS-MORNAY (1549-1623). Duplessis Mornay ou études historiques et politiques sur la situation de la France de 1549 à 1623 (1970), Joachim Ambert

Fidèle compagnon, mais aussi principal conseiller et ambassadeur du roi, ainsi lui rend-il hommage, après la bataille d’Ivry, très brillante victoire sur les troupes de la Ligue. Une victoire qui tient du miracle !

Mais les succès militaires effacent mal l’échec des deux sièges de Paris : Henri IV est toujours un roi sans capitale.

« Bons chiens reviennent toujours à leur maître ! »618

HENRI IV (1553-1610), 19 mars 1590. La Chronique de Mantes (1883), Alphonse Durand, Victor Eugène Grave

Quand la ville de Mantes se rallie à lui, le roi se réjouit en ces termes toujours imagés : « Messieurs de Mantes, je n’avais aucune inquiétude de vous, car bons chiens… »

Dans les Parlements de province et même à Paris, des magistrats de plus en plus nombreux se déclarent pour le roi. Mantes (devenue très vite Mantes-la-Jolie pour éviter la confusion avec Nantes) est un site stratégique : sur la Seine, à moins de 50 km de la capitale. Le roi y installe son quartier général.

En mai, il recommence à faire le siège de Paris. Le comité des Seize, émanation de la Ligue, y devient impopulaire par la terreur qu’il fait régner. Au mois de juin, la famine aggrave la situation. Mais Philippe II d’Espagne envoie le duc de Parme (Alexandre Farnèse) pour aider la ville à tenir. D’où un nouvel équilibre des forces. Il semble que la solution ne puisse plus être militaire. Pourtant la guerre continue, à la fois civile et étrangère.

« Nous voulons un Roi qui donnera ordre à tout, et retiendra tous ces tyranneaux en crainte et en devoir ; qui châtiera les violents, punira les réfractaires, exterminera les voleurs et pillards, retranchera les ailes aux ambitieux, fera rendre gorge à ces éponges et larrons des deniers publics, fera contenir un chacun aux limites de sa charge, et conservera tout le monde en repos et tranquillité. Enfin, nous voulons un Roi pour avoir la paix. »621

Pierre PITHOU (1539-1596), Harangue de M. d’Aubray. La Satire Ménippée (1594)

Les excès de la Ligue, surtout à Paris, effraient le monde parlementaire et la haute bourgeoisie. Cependant que la voix du bon sens, la voix du parti des Politiques et la voix du peuple s’expriment dans ce passage qui désigne nommément le roi désiré : « Nous reconnaissons pour notre vrai Roi légitime, naturel, et souverain seigneur, Henri de Bourbon, ci-devant Roi de Navarre. C’est lui seul […] qui peut nous relever de notre chute, qui peut remettre la Couronne en sa première splendeur et nous donner la paix. »

Rappelons que l’idée de ce pamphlet naît avant la réunion des États généraux, convoqués à la fin de l’année 1592, sur l’initiative du duc de Mayenne. Ligueur catholique, il veut se faire élire roi à la place d’Henri IV. D’autres prétendants au trône existent, face au roi hérétique, à commencer par l’infante d’Espagne, présentée par son père, le roi Philippe II.

Les « États de la Ligue » s’ouvrent le 26 janvier 1593 à Paris. Entre autres revendications : un roi catholique pour la France.

« Ce sera dimanche que je ferai le saut périlleux. »625

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Gabrielle d’Estrées, juillet 1593. Mémoires de Gabrielle d’Estrées (1829), Paul Lacroix

Le Vert Galant lui écrit souvent, pour lui parler le plus souvent d’amour, très galamment et gaillardement. Il l’entretient ici de sa proche conversion.

25 juillet 1593 : les Parisiens se pressent à la basilique de Saint-Denis, pour assister à la cérémonie publique de l’abjuration royale. Le sacre se fera à Chartres, le 27 février 1594. Henri IV devient Roi Très Chrétien.

« Recommandez-moi à votre maître, mais n’y revenez plus ! »627

HENRI IV (1553-1610), aux Espagnols quittant Paris, 22 mars 1594. Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789 (1837), Henri Martin

Les 4 000 soldats de Philippe II défilent, étendards levés, sortant de Paris par la porte Saint-Denis. Pour la plus grande joie des Parisiens et du roi.

Paris, en la personne du prévôt des marchands et du gouverneur Brissac, lui ouvre ses portes. Le Parlement s’est rallié au souverain. Les troupes royales prennent possession de la ville sans combattre, après avoir vainement essayé pendant cinq années !

« J’ai bien vu le roi, mais je n’ai pas vu Sa Majesté ! »628

Mme de SIMIER (XVIe siècle), à l’entrée d’Henri IV dans Paris, 22 mars 1594. Historiettes : mémoires pour servir à l’histoire du XVIIe siècle (posthume, 1834), Tallemant des Réaux

L’Entrée royale est un événement majeur, dans la vie d’une ville : une fête, un spectacle, dont on imagine mal aujourd’hui le symbole et la magnificence. Mais quand c’est Paris qui se rend à son roi après cinq années de combat, c’est un fait historique, à l’égal d’une victoire. Henri IV en est heureux et fier : il a gagné la guerre de Paris sans morts et sans pillage comme il est d’usage, mais après moult négociations secrètes et versements d’argent.

Seule déception, celle des Grands restés sur le souvenir d’Henri III et des fastes de la cour, et choqués à la vue du successeur, plus Béarnais que nature, négligent, débraillé, puant l’ail et s’en vantant : « Je tiens de mon père, moi, je sens le gousset. » Encore a-t-il revêtu son armure, pour la cérémonie.

« À peine [Henri IV] fût-il rentré dans Paris qu’on ne vit plus que maçons en besogne. »629

Le Mercure français (1611). Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

C’est une ville dévastée qu’Henri IV a trouvée en 1594. La capitale va dans les quarante années qui suivent connaître un essor extraordinaire et doubler sa population. Les Valois préféraient le Val de Loire, les premiers Bourbons seront plus parisiens. En tout cas, Henri IV a eu assez de mal à entrer dans Paris, il est bien décidé à y résider et à s’occuper personnellement des travaux qui s’imposent. Il ouvre aussitôt des chantiers pour réduire le chômage, embellir la ville et servir sa gloire. La place Dauphine, la place Royale et le pont Neuf datent de ce règne qui fut trop court pour que se réalisent bien d’autres projets architecturaux.

« Il y a moins de risques à voyager dans une forêt vierge qu’à se trouver dans les rues de Paris, surtout quand les lanternes sont éteintes. »630

Thomas PLATTER le Jeune (1574-1628). Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Suisse (né à Bâle), il est en France pour ses études de médecine (à Montpellier). Il tient un journal de voyage (qui le mène en divers pays d’Europe). De passage à Paris, il témoigne de cet aspect de la capitale, à la fin du XVIe siècle. Montaigne, quelques années plus tôt, quoique maire de Bordeaux et très attaché à son Sud-Ouest natal, parlait dans les Essais en amoureux de la capitale : « Je l’aime tendrement jusqu’à ses verrues et à ses taches ; je ne suis Français que par cette grande cité, grande en peuples, grande en félicité de son assiette [sa situation géographique] ; mais surtout grande et incomparable en variété et diversité de commodités, la gloire de la France et l’un des plus nobles ornements du monde. »

« Un peuple, c’est une bête qui se laisse mener par le nez, principalement les Parisiens. »631

HENRI IV (1553-1610), septembre 1594. Histoire du roi Henri le Grand (1664), Hardouin de Péréfixe

Archevêque de Paris sous Louis XIV, Péréfixe fut longtemps considéré comme le meilleur historien d’Henri IV. Quand Richelieu le charge en 1644 de faire l’éducation du jeune prince (âgé de 7 ans), il prendra ce roi pour modèle (les deux livres qu’il lui consacre seront rédigés plus tard).

Henri IV fut de fait un grand roi pour la France et le plus populaire de tous, après sa mort. C’était aussi un meneur d’hommes. Il n’empêche que la « bête » ne sera jamais complétement domestiquée par son maître. Au siècle de Louis XIV, la Fronde parisienne est une autre guerre contre l’État et, par la suite, Paris ne cesse de s’opposer, d’étonner le monde et d’effrayer le pouvoir, entre révolte et révolution, manifestation et résistance : « Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés… » (Louis Aragon).

« La couronne vaut bien une messe. »623

Duc de SULLY (1560-1641), en 1593. Les Grandes Figures de l’histoire : Henri IV et l’Église (1875), Pierre Féret

Autre version : Paris vaut bien une messe. Le mot est apocryphe : sans doute jamais dit par Henri IV, malgré ce qui est parfois écrit, mais attribué à Sully, dans le recueil satirique des Caquets de l’accouchée (1623). Qu’importe, il résume parfaitement la situation de fait et l’état d’esprit du roi. Sully, quant à lui, restera protestant. La religion d’un ministre des Finances n’a pas la même importance que celle du roi de France !

Henri IV fait donc annoncer sa prochaine conversion-abjuration par l’archevêque de Bourges, le 17 mai 1593.

« Sire, vous n’avez encore renoncé Dieu que des lèvres, et il s’est contenté de les percer ; mais quand vous le renoncerez, alors il percera le cœur. »633

Agrippa d’AUBIGNÉ (1552-1630), à Henri IV, au lendemain de l’attentat de Châtel. Étude historique et littéraire sur Agrippa d’Aubigné (1883), Eugène Réaume

Le très fervent protestant regrette qu’Henri IV ait fait l’échange de Paris contre une messe – pour ne pas dire son âme. L’abjuration l’a indigné, l’édit de Nantes ne le satisfera pas, ne faisant que tolérer sa religion.

Bien que resté fidèle au roi, il se retire dans ses terres de Vendée, comme gouverneur, reprenant du service sous Louis XIII, puis contraint de se réfugier à Genève où il meurt, à près de 80 ans.

Ironie de l’histoire, sa petite-fille, Françoise d’Aubigné, devenue marquise de Maintenon et femme de Louis XIV, contribuera pour une large part à la révocation de l’édit de Nantes et aux nouvelles persécutions contre les protestants.

« Je mourrai un de ces jours et, quand vous m’aurez perdu, vous connaîtrez lors ce que je valais et la différence qu’il y a de moi aux autres hommes. »661

HENRI IV (1553-1610), à ses compagnons, au matin du 14 mai 1610. Mémoires (posthume, 1822), Maximilien de Béthune Sully

Il se sait menacé, après douze tentatives en dix ans – dix-huit, selon d’autres calculs, et vingt-cinq durant son règne ! Mais ce jour-là, de très bonne heure, le roi est assailli de pressentiments.

Il va être poignardé par Ravaillac : l’homme a sauté dans le carrosse bloqué par un encombrement de Paris, rue de la Ferronnerie, alors que le roi se rendait à l’Arsenal, chez Sully son ministre et ami, souffrant. Le blessé a tressailli sous le coup et dit deux fois « Ce n’est rien », avant de mourir.

Le régicide sera écartelé, après avoir été torturé : il affirma avoir agi seul. Sully, dans ses Mémoires, n’y croit pas. Le mystère demeure, sur la mort d’Henri IV le Grand. C’est l’une des grandes énigmes de l’histoire de France.

« N’éveillez pas cette grosse bête. »711

Cardinal de richelieu (1585-1642). Mazarin (1972), Paul Guth

Il s’agit de Paris (ou de son Parlement, selon une autre source).

Le cardinal sait la ville frondeuse par nature, et par accès. Son successeur le cardinal de Mazarin, moins habile ou moins chanceux, subira le réveil de la « grosse bête », dramatique durant la Fronde.

Le Siècle de Louis XIV

Ça commence mal avec la Fronde, une guerre civile de cinq ans aussi dangereuse que ridicule, où Paris tient le premier rôle dans une France au bord de la révolution. Mazarin en vient à bout, non sans mal ! Louis XIV au pouvoir n’oublie pas la leçon. Il s’impose à 16 ans face au Parlement de Paris (« L’État, c’est moi ! ») et va faire de Versailles où il s’installe en 1682 la capitale de tous les arts, pour le plus grand prestige de la France en Europe.

« Ils font comme leurs enfants, ils jouent « à la fronde ». »745

Louis MADELIN (1871-1956), La Fronde

L’historien cite le mot à la mode : « Lorsqu’en 1649 on verra la population de Paris tenir en échec le gouvernement royal et le mettre en fuite sans d’ailleurs penser à le mettre bas, on dira : Ils font comme leurs enfants, ils jouent « à la fronde ». » Et le mot est adopté. Le « jeu » sera quand même assez sérieux pour faire fuir hors de Paris, à plusieurs reprises, non seulement le gouvernement mais aussi la famille royale, la Fronde parlementaire étant relayée par celle des princes, à partir de 1650, et les émeutes populaires éclatant un peu partout en province.

« Nos guerres civiles, sous Charles VI, avaient été cruelles, celles de la Ligue furent abominables, celle de la Fronde fut ridicule. »747

VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques (1734)

Les attendus de ce jugement datés du siècle suivant sont très circonstanciés : « Pour la dernière guerre de Paris, elle ne mérite que des sifflets ; le cardinal de Retz, avec beaucoup d’esprit et de courage mal employés, rebelle sans aucun sujet, factieux sans dessein, chef de parti sans armée, cabalait pour cabaler et semblait faire la guerre civile pour son plaisir. Le Parlement ne savait ni ce qu’il voulait, ni ce qu’il ne voulait pas ; il levait des troupes par arrêt, il les cassait ; il menaçait, il demandait pardon ; il mettait à prix la tête du cardinal Mazarin et ensuite venait le complimenter en cérémonie. »

« Le cardinal de Retz se vante d’avoir seul armé tout Paris dans cette journée, qui fut nommée des Barricades et qui était la seconde de cette espèce. »774

VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)

Rappelons que la première fois (12 mai 1588), c’était le duc de Guise et la Ligue des ultra-catholiques contre Henri III. Cette « seconde » journée des Barricades sera suivie de bien d’autres, après le siècle de Voltaire et des Lumières.

« Non, Madame, il ne s’agit pas de moi, mais de Paris soumis et désarmé, qui se vient jeter aux pieds de Votre Majesté. »775

Cardinal de RETZ (1613-1679), à la reine Anne d’Autriche, après la journée des Barricades du 27 août 1648. Mémoires du cardinal de Retz (posthume, 1717)

Paul de Gondi de Retz n’est pas encore cardinal, mais coadjuteur de l’évêque de Paris, son oncle. Et il s’est rangé aux côtés de Broussel, dans le parti du Parlement, contre Mazarin son ami de jadis.

Il se donne ici le (beau) rôle d’intercesseur entre le peuple de Paris et le pouvoir royal. C’est très excessif : quand Mathieu Molé, premier président du Parlement, risquait sa vie en s’interposant entre les insurgés et les troupes royales, l’ambitieux de Retz a seulement tenté de s’assurer une popularité sans péril.

Voltaire dira de lui : « Cet homme singulier est le premier évêque en France qui ait fait une guerre civile sans avoir la religion pour prétexte. »

« Le Roi sera le maître partout, hors dans cette ville-là. »779

MAZARIN (1602-1661), furieux contre l’attitude de Paris et de son Parlement frondeur, fin 1648. La Fronde (1954), Ernst Heinrich Kossmann

Après la journée des Barricades au printemps, Mazarin a passé l’été et l’automne à ruser, la famille royale est revenue à Paris en novembre 1648, mais le Parlement fait encore la loi, prétend contrôler le gouvernement, et la reine en octobre a dû confirmer la suppression des intendants.

Mazarin décide alors d’assiéger Paris et de le réduire par la famine (et la propagande). Il se réfugie au château de Saint-Germain avec la famille royale et ses fidèles, partant subrepticement dans la nuit du 5 au 6 janvier 1549. Condé, à la tête des troupes royales, dispose de 10 000 hommes pour se rendre maître de Paris : opération répressive mal calculée, mal menée, et plus de quatre années de trouble vont s’enchaîner.

« Point de paix, point de Mazarin ! Il faut aller à Saint-Germain quérir notre bon Roi ; il faut jeter dans la rivière tous les mazarins. »781

Cris du peuple de Paris assiégé, début mars 1649. Mémoires du Cardinal de Retz (posthume, 1717)

Des pourparlers de paix s’engagent entre la cour (à Saint-Germain) et le Parlement de Paris.

Mais il y a des opposants irréductibles, une part du peuple se soulève, neutralise les échevins et les magistrats fidèles au roi (les « mazarins »). Cependant que les Grands deviennent le « piètre état-major d’une révolution incertaine » (Georges Duby). On retrouve le duc de Beaufort (le roi des Halles refaisant le coup de la Cabale des Importants), l’inévitable de Retz (porté par son ambition politique et bientôt perdu par ses propres subtilités), le prince de Conti – « un zéro qui ne multipliait que parce qu’il était prince du sang », selon de Retz – et la belle duchesse de Longueville (frère et sœur du Grand Condé qui se bat dans le camp du roi). Et tout ce beau monde se querelle ou s’aime, intrigue, hésite, fanfaronne, enchaîne les volte-face et s’étonne de tant d’audace.

Les nouvelles des révolutionnaires de Cromwell vont terrifier les plus rebelles : ils ont osé exécuter le roi Charles Ier d’Angleterre !

Le président du Parlement de Paris, Molé, signe alors la paix de Rueil, le 11 mars 1649 : au prix de concessions mutuelles, c’est la fin (provisoire) de la Fronde parlementaire.

« Or, sus, bourgeois, ne soyez plus en peine,
Cessez vos pleurs, vos cris,
Le Roi, Monsieur, et la Reine Régente
Reviennent à Paris,
Ha ! qu’ils ont fait une belle bévue !
Elle est revenue, Dame Anne, elle est revenue. »782

L’Enlèvement du Roi (1649), chanson. Recueil de plusieurs pièces curieuses contre le cardinal de Mazarin (1649)

Rien moins que 28 couplets pour fêter le retour triomphal à Paris du petit Louis XIV (11 ans), mais aussi de son frère Philippe et de leur mère Anne d’Autriche, le 18 août 1649.

« Tel qui disait : « Faut qu’on l’assomme ! »
Dit à présent : « Qu’il est bon homme ! »
Tel qui disait : « Le Mascarin !
Le Mazarin ! Le Nazarin ! »
Avec un ton de révérence
Dit désormais : « Son Éminence ! » »795

Pamphlet pour Mazarin (1652). Histoire de la Bibliothèque Mazarine depuis sa fondation jusqu’à nos jours (1860), Alfred Franklin

Juste retour des choses. La France est à bout de souffle et Paris se lasse de tant d’excès, après la journée des Pailles et le massacre qui s’ensuit. Les bourgeois deviennent hostiles à Condé, qui fuit à son tour aux Pays-Bas espagnols – la Belgique actuelle.

Les marchands de Paris et les officiers de la garde bourgeoise rappellent le jeune roi qui rentre – définitivement cette fois, et triomphalement ! Le 21 octobre 1652, Louis XIV s’installe au Louvre.

Mazarin, rappelé par le roi et la reine mère, rentre à son tour. L’opinion s’est complètement retournée.

« L’État, c’est moi. »807

LOUIS XIV (1638-1715), au Parlement de Paris. L’État baroque : regards sur la pensée politique de la France du premier XVIIe siècle (1985), H. Méchoulan, E. Le Roy Ladurie, A. Robinet

Mot réputé apocryphe, souvent cité, qui reflète la réalité, fut prononcé avant même le début du règne personnel, selon l’historien Louis Madelin (La Fronde).

Louis XIV vient d’être sacré roi à Reims (1654), mais Mazarin exerce toujours le pouvoir. À sa demande, le roi signe divers édits financiers, pour renflouer le Trésor et poursuivre la guerre contre l’Espagne. Certains magistrats du Parlement de Paris en discutent la légalité. Or, il faut à tout prix éviter une nouvelle fronde parlementaire.

Louis XIV, en costume de chasse, se rend devant le Parlement réuni en lit de justice : « Chacun sait combien ces assemblées ont excité de troubles dans mon État et combien de dangereux effets elles y ont produits. J’ai appris que vous prétendiez encore les continuer sous prétexte de délibérer sur les édits qui ont été lus et publiés en ma présence. » Le président invoque l’intérêt de l’État dans cette affaire, et le roi le fait taire, en affirmant : « L’État, c’est moi » (13 avril 1655). Il a 16 ans.

« On nous dit que nos rois dépensaient sans compter,
Qu’ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils.
Mais quand ils construisaient de semblables merveilles,
Ne nous mettaient-ils pas notre argent de côté ? »890

Sacha GUITRY (1885-1957), Si Versailles m’était conté (film de 1953)

6 mai 1682 : Louis XIV s’installe à Versailles qui va devenir le centre du monde civilisé.

Louis XIII fit construire dès 1624 un pavillon de chasse, mais c’est Louis XIV en 1661 qui ordonne les travaux pour faire du château ce « plaisir superbe de la nature » (Saint-Simon). Le roi ne dépense pas sans compter, mais il dépense beaucoup pour les bâtiments en général (4 % du budget de l’État leur est consacré en moyenne) et tout particulièrement pour Versailles. L’équipe qui a si bien réussi Vaux-le-Vicomte pour Fouquet est à nouveau réunie pour réaliser ce chef-d’œuvre de l’art classique à la française : Le Vau (architecte), Le Brun (peintre), Le Nôtre (jardinier), Francine (ingénieur des eaux). Et Louis XIV fait plus que donner son avis : il l’impose souvent. Et se trompe rarement.

En 1682, le roi quitte le palais du Louvre à Paris pour s’installer au château de Versailles. La ville devient symboliquement la capitale de la France - la force du symbole étant ici particulièrement éblouissante.

« Le bout de Monsieur d’Argenson
Se raccourcit avec la lune.
Il deviendra colimaçon,
Le bout de Monsieur d’Argenson ! »918

Le Bout de Monsieur d’Argenson (1698), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La France sort ruinée de la guerre de la Ligue d’Augsbourg ou guerre de Neuf Ans (1688-1697) qui opposa la France à une puissante coalition européenne.

À Paris, surnommée la Ville Lumière pour son éclairage au XVIIe siècle, le nouveau lieutenant général de police décide de faire des économies : les nuits de pleine lune, on ne mettra dans les lanternes publiques que de petits « bouts de chandelles ». D’où les plaisanteries sur le bout de M. d’Argenson : « Mais il est plus gros et plus long / Quand il voit paraître la brune. » Cet humour parisien annonce le prochain siècle des Lumières.

Le Siècle des Lumières

Suivant une alternance logique, il s’oppose en tout au XVIIe. Paris redevient la capitale des plaisirs, des spectacles et des affaires, des salons et des nouveaux cafés à la mode. L’art de vivre et le rayonnement culturel de la France sont à l’apogée. Malgré la censure, la pensée des philosophes forme l’opinion publique justement « éclairée », tandis que les Parisiens et les « poissardes » expriment ouvertement un mécontentement de plus en plus révolutionnaire.

« En France est marquis qui veut ; et quiconque arrive à Paris du fond d’une province avec de l’argent à dépenser, et un nom en ac ou en ille, peut dire : « Un homme comme moi, un homme de ma qualité », et mépriser souverainement un négociant. »961

VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques, Sur le commerce (1734)

La noblesse reste ce cercle magique où l’on tente d’accéder, et qui fascine encore la bourgeoisie. Voltaire le déplore : « Le négociant entend lui-même parler si souvent avec mépris de sa profession, qu’il est assez sot pour en rougir », alors que ce « tiers état » est bien plus utile à l’État.

« Celui qui est à la cour, à Paris, dans les provinces, qui voit agir des ministres, des magistrats, des prélats, s’il ne connaît les femmes qui les gouvernent, est comme un homme qui voit bien une machine qui joue, mais qui n’en connaît point les ressorts. »977

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Au-delà des apparences futiles et brillantes, les femmes jouent leur rôle dans l’histoire. Et d’abord dans celle des idées. Elles ont soutenu les Modernes contre les Anciens dans les querelles du siècle dernier, on les voit maintenant aux côtés des philosophes. Influentes aussi dans l’économie où des femmes de la bourgeoisie et du peuple se retrouvent chefs d’entreprise ; et dans la politique où les favorites royales jouent un rôle même pas occulte avec Louis XV. Quant à Louis XVI, Mirabeau ne dira-t-il pas de lui : « Le roi n’a qu’un homme, c’est sa femme » ?

« On apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent. »978

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

La Régence, le Procope, Gradot, Laurent : c’est la grande mode des cafés où le café fait fureur – on en compte 300 à Paris, en 1715. Les clubs, plus fermés, institution typiquement anglaise, séduisent la France anglophile jusqu’à l’anglomanie. Les salons se multiplient, à Paris et en province, à mesure que la cour de Versailles perd son hégémonie : d’abord littéraires et mondains, puis philosophiques, tous tenus par des femmes (Mme de Lambert, Mme de Tencin, Mme du Deffand, Mme Geoffrin, Mlle de Lespinasse), lieux de rencontre et de conversation où les idées nouvelles circulent et les réputations se font et se défont.

« Paris est un monde. Tout y est grand : beaucoup de mal et beaucoup de bien. Aller aux spectacles, aux promenades, aux endroits de plaisir, tout est plein. Aller aux églises, il y a foule partout. »980

Carlo GOLDONI (1707-1793), Mémoires (1787)

Italien de Paris, auteur dramatique adopté par la capitale, il profite du goût des Parisiens pour les spectacles. Les salles de théâtre se multiplient, ainsi que les superbes hôtels particuliers voisinant des immeubles de rapport cossus. Le très français Montesquieu confirme : « Je hais Versailles parce que tout le monde y est petit ; j’aime Paris parce que tout le monde y est grand. »

« Les grandes fortunes se commencent souvent en province ; mais ce n’est qu’à Paris qu’elles s’achèvent et qu’on en jouit […] Paris est le centre de la dissipation. »981

Charles Pinot DUCLOS (1704-1772), Considérations sur les mœurs de ce siècle (1751)

Développement du négoce et de la banque et spéculation immobilière sont portés à leur comble dès la Régence, avec le système de Law qui donne la fièvre à Paris. Malgré l’échec retentissant, une nouvelle société est née, à la mentalité affairiste, éprise de luxe et de plaisirs, aux mœurs délibérément scandaleuses, et qui ne va plus cesser de s’étourdir jusqu’à la Révolution.

« Paris est peut-être la ville du monde la plus sensuelle et où l’on raffine le plus sur les plaisirs ; mais c’est peut-être celle où l’on mène une vie plus dure. Pour qu’un homme vive délicieusement, il faut que cent autres travaillent sans relâche. »982

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Contraste plus que jamais affiché, donc choquant pour l’un des premiers philosophes du siècle, entre la minorité de privilégiés et les autres. Rousseau, le moins parisien et le plus plébéien des philosophes, écrira : « Une vie dure est plus facile à supporter en province que la fortune à poursuivre à Paris. »

« D’autres cyniques étonnèrent la vertu, Voltaire étonne le vice […] Paris le couronna, Sodome l’eût banni. »1018

Joseph de MAISTRE (1753-1821), Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821)

Philosophe, élève des jésuites, adversaire résolu de la Révolution, aussi fervent monarchiste que catholique, il s’oppose aux « idéologues » et au premier d’entre eux, Voltaire : « Il se plonge dans la fange, il s’y roule, il s’en abreuve ; il livre son imagination à l’enthousiasme de l’enfer qui lui prête toutes ses forces pour le traîner jusqu’aux limites du mal. Il invente des prodiges, des monstres qui font pâlir. » C’est peut-être un peu excessif, mais… Voltaire en aurait souri.

« Le roi ne songe pas assez à la sûreté de Paris, qui est souvent de grande conséquence pour son autorité. On a vu des barricades, c’est une invention qui a fait fortune depuis le duc de Guise, dont on s’est servi depuis, et que les Parisiens se rappellent à présent. Ils s’en serviront à la première occasion. »1102

Marquis d’argenson (1694-1757), lieutenant général de police, texte écrit vers 1731. Journal et Mémoires du marquis d’Argenson (posthume, 1859)

L’agitation parlementaire est relayée par l’agitation populaire. Ce pourrait n’être qu’un fait divers.

De prétendus miracles se produisent depuis 1730, sur la tombe du diacre Pâris, saint homme ayant vécu pour les pauvres, mort en 1727 et enterré dans le cimetière Saint-Médard, au bas de la rue Mouffetard. Tumultes et manifestations d’hystérie collective alternent. Les convulsionnaires attirent les badauds.

C’est aussi une question religieuse. Le diacre était janséniste pur et dur, farouche opposant aux jésuites, au pape et à la bulle Unigenitus. Le Parlement de Paris a une minorité janséniste remuante et le mouvement n’en finit pas de rebondir. Le désordre est tel que la police ferme le cimetière, le 29 janvier 1732.

C’est une nouvelle épreuve de force entre les magistrats parisiens et le pouvoir royal.

« Puisqu’il a repris sa catin, il ne trouvera plus un Pater sur le pavé de Paris. »1120

Les poissardes parlant de Louis XV, novembre 1744. Dictionnaire contenant les anecdotes historiques de l’amour, depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour (1811), Mouchet

Bien-Aimé, certes, mais déjà contesté. Elles ont tant prié pour la guérison du roi malade. Mais il vient de reprendre sa maîtresse Mme de Châteauroux, troisième des sœurs de Nesle, présentées au roi par le duc de Richelieu, petit-neveu du cardinal (embastillé à 15 ans pour débauche et remarié pour la troisième fois à 84 ans). La nouvelle fait grand scandale. La cour se tait, mais la rue a son franc-parler.

« Les Parisiens sont aujourd’hui des sybarites, et crient qu’ils sont couchés sur des noyaux de pêche, parce que leur lit de roses n’est pas assez bien fait. »1183

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme de Florian, 1er mars 1769, Correspondance (posthume)

L’épicurien libertin qui chantait jadis « le superflu, chose très nécessaire » juge à présent ses contemporains avec la sagesse d’un vieux philosophe. Le Dauphin (futur Louis XVI) exprimera bientôt la même idée.

Le règne de Louis XV fut un temps de longue prospérité, aux conséquences multiples : raffinement des mœurs, luxe de la bonne société grisée par sa propre civilisation, éclat sans pareil du Paris des salons, des cafés, des clubs et des spectacles, rayonnement culturel de la France en Europe.

Pour la masse des quelque 20 millions de paysans, cela s’est traduit par un réel mieux-être : malgré les charges fiscales, le seuil de subsistance est dépassé.

« Le mur murant Paris rend Paris murmurant. »1240

Alexandrin cité par BEAUMARCHAIS (1732-1799) évoquant l’impopularité du mur en 1785, au point d’en faire une des causes de la Révolution. Histoire des agrandissements de Paris (1860), Auguste Descauriet

C’est le mur des Fermiers généraux, enceinte de 24 km qui ménage une soixantaine de passages (ou barrières) flanqués de bureaux d’octroi – impôt indirect, perçu à l’entrée des marchandises.

Calonne, contrôleur général des Finances, a donné satisfaction aux fermiers généraux : pouvant mieux réprimer les fraudes, notamment la contrebande sur le sel au nez des gabelous (commis de la gabelle), ils verseront davantage au Trésor qui en a plus que jamais besoin.

Ce mur se veut imposant comme une fortification : les bureaux, conçus par l’architecte Nicolas Ledoux dans un style néoclassique avec des références à l’antique, prennent le nom de Propylées de Paris. Mais les Parisiens ont l’impression d’étouffer derrière cette petite ceinture à vocation fiscale.

D’où l’épigramme : « Pour augmenter son numéraire / Et raccourcir notre horizon, / La Ferme a jugé nécessaire / De mettre Paris en prison. »

Le mur, achevé sous la Révolution, renforcé sous le Consulat et l’Empire, sera démoli en 1860 par le préfet Haussmann, Paris s’agrandissant de 11 à 20 arrondissements.

Lire la suite : si Paris nous était conté, de la Révolution à nos jours

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