Chronique de la colonisation française en 25 repères (2. Le second empire colonial français) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Pour comprendre ce thème conflictuel toujours à la une de l’actu, référons-nous à l’Histoire.

Nous vous conseillons d’abord de lire le premier épisode de cet édito sur la colonisation, consacré au premier empire colonial français.

Deuxième partie : le second empire colonial français.

9. Notre second empire colonial naît à la fin de la Restauration : prise d’Alger (1830) suivie par la conquête de l’Algérie sous la monarchie de Juillet, avec le général Bugeaud devenu gouverneur et maréchal.

« Vous êtes un méchant, un infidèle, un traître ! »2006

HUSSEIN DEY d’Alger (vers 1765-1838), 30 avril 1827. La Restauration et la Monarchie de Juillet (1929), Jean Lucas-Dubreton

Joignant le geste à la parole, il frappe trois fois de son chasse-mouches Pierre Deval le consul de France dont le gouvernement refuse de payer des fournitures de blés qui datent du Consulat et de l’Empire.

Le Dey refuse de présenter des excuses et ce qui pourrait n’être qu’un fait divers va déboucher sur la guerre. L’incident venant aggraver des relations déjà tendues avec l’Algérie sert en effet de prétexte à l’intervention de la France.

« Je vous ai déjà dit que je ne voulais pas traiter l’affaire diplomatiquement. Vous en trouverez la preuve dans les termes que je vais employer : la France se f… de l’Angleterre ! »2017

Baron Lemercier d’HAUSSEZ (1778-1854), ministre de la Marine, à Lord Stuart, 4 février 1830. Mémoires du Baron d’Haussez, dernier ministre de la marine sous la Restauration (posthume, 1897)

Pour résumer une affaire algérienne qui se complique et s’envenime, l’Angleterre a désapprouvé l’intention de la France de venger l’honneur du consul contre le Dey d’Alger. Charles X, en accord avec son ministre Polignac, ordonne un blocus naval, avant l’expédition militaire décisive avec l’amiral Duperré et de Bourmont, ministre de la Guerre : débarquement français en Algérie le 14 juin 1830.

« Vingt jours ont suffi pour la destruction d’un État dont l’existence fatiguait l’Europe depuis trois siècles. »2019

Comte de BOURMONT (1773-1846), ordre du jour du ministre de la Guerre, après la reddition du Dey d’Alger, 5 juillet 1830. L’Europe et la conquête d’Alger (1913), Edgard Le Marchand

Prise d’Alger et reddition sans condition du Dey Hussein, suite à l’expédition militaire de l’amiral Duperré et du ministre de Bourmont qui ont débarqué en Algérie, le 14 juin.

De Bourmont y gagne son bâton de maréchal de France et Chateaubriand dira, apprenant la prise d’Alger : « Cette nouvelle me ravit sans me rassurer. La Providence peut du même coup agrandir un royaume et renverser une dynastie. »

«  Le Dey. — Je conviens que Charles Dix
Des guerriers est le phénix,
Il combat les Algériens
En mêm’ temps qu’les Parisiens.
Charles X. — Pour rentrer dans mon Paris
Si nous n’étions pas enn’mis,
J’aurais réclamé d’tes soins
Une patrouill’ de Bédouins.
Refrain
Ça va mal, sort fatal,
Adieu le trône royal,
C’est égal,
Nous vivons, c’est l’principal. »2036

Auguste JOUHAUD (1806-1888), À ton tour Paillasse (1830), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La chanson, incluse dans une pièce en trois journées, en vers et en prose, réunit en un duo ironique les deux souverains qui perdent leur trône en même temps.

Le 3 août, Charles X fuit, épouvanté par le bruit que fait courir le maréchal Marmont (commandant l’armée royale, désormais acquis à Louis-Philippe) : 100 000 Parisiens armés seraient à ses trousses. En fait, partis 30 000, ils arrivent moins de 1 000 à Rambouillet, mais l’armée royale (près de 13 000 hommes) se replie.

Charles X reprend le chemin du dernier exil. Les Bourbons ont fini de régner en France.

« Soldats, ils sont six mille, vous êtes trois cents. La partie est donc égale. Regardez-les en face et tirez juste. »2092

Général CHANGARNIER (1798-1877), Première expédition de Constantine, 24 novembre 1836. Le Crapouillot (1958)

Le général commande l’arrière-garde, lors de la retraite. Au lendemain de la prise d’Alger en 1830, Louis-Philippe se contenta de l’occupation d’une frange côtière. Mais la résistance s’organise autour d’Abd el-Kader, devenu l’« émir des croyants », tandis que le bey de Constantine, Ahmad, contraint le maréchal Clausel, gouverneur de l’Algérie, à la retraite – et bientôt Bugeaud à la négociation avec Abd el-Kader (convention de la Tafna en mai 1837).

La trêve sera de courte durée.

« Ou la conquête, ou l’abandon. »2104

Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849), Chambre des députés, 15 février 1840. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

La politique algérienne de la France est trop hésitante aux yeux du futur maréchal. Le traité signé en 1837 entre Bugeaud et l’émir Abd el-Kader a été violé. La France y faisait pourtant d’importantes concessions, reconnaissant la souveraineté de l’« émir des croyants » sur près des deux tiers de l’Algérie et se contentant d’une occupation du littoral.

Abd el-Kader a profité de la trêve pour se constituer une armée, proclamant en 1839 la guerre sainte contre les Français qui occupent l’Algérie depuis 1830. Le militaire met donc les politiques face à leurs responsabilités.

Bugeaud considère pourtant l’Algérie comme « le plus funeste des présents que la Restauration ait fait à la Révolution de juillet », prônant l’occupation restreinte de quelques bases stratégiques pour empêcher les raids barbaresques. Victor Hugo, le 15 janvier 1840, balaie ses réticences, entraînant la France sur la voie de la colonisation par l’émigration civile massive : « Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit. Vous pensez autrement que moi, c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur. » En cela, il incarne l’esprit du siècle.

« Cent mille hommes et cent millions pendant sept ans ! »2106

Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849) à Louis-Philippe. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le général pose ses conditions pour accepter d’être gouverneur de l’Algérie. Le roi cède. Bugeaud est nommé gouverneur, le 29 décembre 1840. Partisan de la guerre acharnée, dix ans après la prise d’Alger, Bugeaud fait la conquête de l’Algérie et y gagne son bâton de maréchal en 1843.

« Ense et aratro.  »
« Par l’épée et par la charrue. »2107

Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849), devise du maréchal, gouverneur de l’Algérie. Ismayl Urbain : une autre conquête de l’Algérie (2001), Michel Levallois

Cela signifie que l’on sert son pays en temps de guerre par les armes, en temps de paix par les travaux de l’agriculture. Bugeaud est le premier des officiers coloniaux à mener de front les opérations de sécurité et les travaux de colonisation : défrichements, routes, concessions de terre pour attirer de nouveaux colons, etc.

« [La colonisation ne se fait pas] dans des pots de fleurs sur les terrasses d’Alger. »2111

Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849). Lettres inédites du Maréchal Bugeaud, duc d’Isly, 1808-1849 (posthume, 1922)

Avec son franc-parler militaire, il déplore le manque de moyens que lui donne la France.

Les députés sont bien loin de la réalité des opérations sur le terrain, en 1842. Le ministère Soult-Guizot a des problèmes plus hexagonaux – politiques, économiques et sociaux – et d’autres colonies sont à l’ordre du jour : occupation de l’archipel des Marquises, protectorat à Tahiti, fondations de comptoirs fortifiés en Côte d’Ivoire.

Faute de crédits suffisants, Bugeaud, devenu maréchal pour son action en Algérie, démissionnera de son poste de gouverneur en 1847.

10. La gouvernement provisoire de la Deuxième République signe (définitivement) l’abolition de l’esclavage dans nos colonies.

« Attentat contre la dignité humaine, violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité. »2160

Victor SCHŒLCHER (1804-1893), Le Moniteur, 2 mai 1848. Victor Schœlcher et l’abolition de l’esclavage (2004), Aimé Césaire

Sous-secrétaire d’État dans le gouvernement provisoire, il plaide contre l’esclavage et voit enfin l’aboutissement de sa longue lutte : « Par les décrets du 27 avril 1848, rendus sur l’initiative de Schœlcher, l’esclavage, aboli une première fois par la Convention, a été définitivement supprimé dans nos colonies primitives » (Alfred Rambaud, Histoire de la civilisation contemporaine).

L’application est relativement rapide en Guadeloupe, Martinique, Réunion, Guyane, mais plus difficile en Algérie et au Sénégal où les esclaves peuvent appartenir aux indigènes.

Le mouvement abolitionniste a commencé en Angleterre et au Danemark – premier pays interdisant la traite négrière en 1792. Les autres pays européens vont suivre dans la seconde moitié du XIXe siècle : Pays-Bas, Espagne et Portugal. Mais la pratique de l’esclavage perdure souvent dans les colonies, bien après l’abolition de la traite.

11. Napoléon III qui veut le rayonnement de la France dans le monde s’intéresse tout particulièrement à l’Algérie devenue « territoire français ».

« Votre religion, comme la nôtre, apprend à se soumettre aux décrets de la Providence. Or, si la France est maîtresse de l’Algérie, c’est que Dieu l’a voulu, et la nation ne renoncera jamais à cette conquête. »2230

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Allocution à Abd el-Kader, 16 octobre 1852. Conquête de l’Algérie (1867), Céline Fallet

L’émir, en lutte contre la France poursuivant la conquête de l’Algérie commencée le 5 juillet 1830, a dû se rendre le 23 décembre 1847. Fait prisonnier, il obtient de Louis-Napoléon sa libération, ce 16 octobre. Le guerrier va renoncer à se battre, se retirant au Proche-Orient (à Damas) pour consacrer la fin de sa vie à l’étude et à la méditation religieuse. Il meurt en 1883, resté fidèle à sa parole de ne pas reprendre les armes. Il sera promu Grand-croix de la Légion d’Honneur pour avoir sauvé la vie de 12 000 chrétiens en Syrie.

« Je suis aussi bien l’empereur des Arabes que l’empereur des Français. »2284

NAPOLÉON III (1808-1873), Lettre publique de l’empereur au maréchal Pélissier, gouverneur militaire de l’Algérie, 6 février 1863. La Politique impériale exposée par les discours et proclamations de l’empereur Napoléon III (1868), Napoléon III

Second Empire. La Constitution de 1852 a déclaré l’Algérie « territoire français » et l’a divisée en trois départements. La colonisation officielle se poursuit avec 200 000 Européens (dont 120 000 Français), mais l’empereur précise : « L’Algérie n’est pas une colonie proprement dite, mais un royaume arabe ; les indigènes ont comme les colons un « droit égal » à ma protection. »

Cette lettre définit la nouvelle politique impériale qui entend concilier les intérêts des musulmans et des Français. Elle rappelle que la Restauration, lors de la conquête en 1830, promit aux 3 millions d’Arabes de respecter leur religion et leurs propriétés : « La terre d’Afrique est assez vaste, les ressources à y développer sont assez nombreuses pour que chacun puisse y trouver sa place et donner libre essor à son activité, suivant sa nature, ses mœurs et ses besoins. » Il confirme bientôt.

« Le jour viendra où la race arabe, régénérée et confondue avec la race française, retrouvera une puissante individualité […] Je veux vous faire participer de plus en plus à l’administration de votre pays comme aux bienfaits de la civilisation. »2290

NAPOLÉON III (1808-1873), Proclamation de Napoléon III aux Arabes, mai 1865. Napoléon III en Algérie (1865), Octave Teissier

La bonne volonté n’est pas niable. Mais la contradiction des volontés impériales est tout aussi évidente : Napoléon III voit en l’Algérie « tout à la fois un royaume arabe, une colonie européenne, un camp français. »

Il rêva de donner au prince impérial qui devait lui succéder le titre de « roi d’Alger », souhaitant bâtir un grand royaume arabe s’étendant d’Alger à Bagdad.

D’autres interventions de l’empereur marquent une politique extérieure souvent habile, parfois trop ambitieuse.

12. La politique extérieure du Second Empire défend à juste titre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le principe des nationalités, mais pour renforcer sa présence en Amérique la France s’engage dans la désastreuse aventure mexicaine.

« Cette fois, sur mer et sur terre,
Les Cosaques, nous les tenons !
La France est avec l’Angleterre,
Le Droit est avec nos canons. »2261

Pierre DUPONT (1821-1870), La Nouvelle Alliance, chanson. Muse populaire : chants et poésies (1875), Pierre Dupont

Le propos plaît aux républicains : il est dirigé contre le tsar qui opprime la Pologne. Il plaît aussi aux catholiques : la France va protéger les Lieux saints. En fait, Napoléon III saute sur l’occasion de défaire la coalition européenne défensive née à son arrivée au pouvoir, choisissant l’alliance avec l’Angleterre, pays où il a vécu et qu’il admire. Pacte conclu le 12 mars 1854. Guerre déclarée à la Russie le 27 mai et débarquement en Crimée – le tsar orthodoxe Nicolas Ier voulant établir son protectorat sur les chrétiens de Turquie.

« Il est impossible d’être plus beau sous le feu. »2263

PÉLISSIER (1794-1864), admirant Mac-Mahon, Fort de Malakoff, 8 septembre 1855. Campagne de Piémont et de Lombardie en 1859, volume XXX (1860), Amédée Barthélemy Gayet de Cesena

Aimable Pelissier, militaire qui participa à la conquête de l’Algérie, se retrouve en Russie, commandant en chef à la tête de l’armée de Crimée. Il suit à la lorgnette les péripéties du combat de Mac-Mahon, à l’assaut du fort de Malakoff qui défend l’entrée de la ville de Sébastopol. Apprenant que la position est minée, il a ordonné à Mac-Mahon de renoncer, à cinq reprises. Mais le général s’obstine !

« J’y suis, j’y reste. »2264

MAC-MAHON (1808-1893), au fort de Malakoff, surplombant la citadelle de Sébastopol, 8 septembre 1855. Le Maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta (1960), Jacques Silvestre de Sacy

Mot attribué au général qui a fini par prendre le fort de Malakoff et ne veut pas le rendre, alors même que les Russes annoncent qu’ils vont le faire sauter. Le siège de Sébastopol durait depuis 350 jours, quand Mac-Mahon prend la tête des colonnes d’assaut et part à l’attaque, entouré de ses zouaves.

Le commandant de l’armée de Crimée, Pélissier, va y gagner son bâton de maréchal, le titre de duc de Malakoff, sa place au Sénat, une pension annuelle de 100 000 francs et d’autres honneurs. Mac-Mahon, pour ce mot et ce fait de guerre, entre dans l’histoire – il aura d’autres occasions de se manifester, comme premier président de la République sous le prochain régime.

« Napoléon III n’est qu’un aventurier heureux. »2265

Adolphe THIERS (1797-1877), quand les soldats reviennent de Crimée le 28 septembre 1855, vainqueurs après la chute de Sébastopol. Napoléon III (1969), Georges Roux

La guerre de Crimée avait mal commencé pour les Anglais et les Français, alliés aux Turcs contre la Russie. Des combats sanglants et inutiles, comme la fameuse Charge de la brigade légère (héroïque et désastreuse, le 25 octobre 1854), l’hiver russe fatal aux hommes, le froid, le typhus et le choléra faisant plus de victimes que les armes – ce qui rappelait tragiquement le sort de la Grande Armée de Napoléon, en 1814. Jusqu’au siège de Sébastopol où l’armée s’enlise. L’opinion publique s’impatiente et dans un café parisien, un consommateur a lancé : « Ici, c’est comme à Sébastopol, on ne peut rien prendre ! » Avant d’être interpellé par la police qui veille.

Thiers le républicain ne croit pas au génie militaire de Napoléon III et l’armée française n’est pas si forte, ayant désappris depuis Napoléon Ier l’art et la science de la guerre. Mais les Russes sont encore moins forts et Napoléon III a gagné ce nouveau pari, en « aventurier heureux ».

« La France, sans froisser les droits de personne, a repris dans le monde la place qui lui convenait. »2268

Comte WALEWSKI (1810-1868), ministre des Affaires étrangères, présidant le Congrès de la paix qui s’ouvre à Paris, le 25 février 1856. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1972), Georges Duby

Il parle au nom de l’empereur, dans le décor rouge et or d’un quai d’Orsay flambant neuf. Quarante ans après le Congrès de Vienne et au terme de la guerre de Crimée, c’est la revanche de la France et la défaite d’une Russie expansionniste : neutralité de la mer Noire, intégrité territoriale garantie à la Turquie, prépondérance reconnue à la France en Europe. En prime, les provinces serbes et roumaines gagnent leur autonomie, face à la Turquie : victoire personnelle pour Napoléon III qui se pose et s’impose en défenseur du principe des nationalités, contre les puissances à visée colonialiste.

« L’empereur Napoléon s’est cru obligé de conquérir les nationalités pour les affranchir ; si jamais son successeur avait à les défendre, ce serait pour les affranchir sans les conquérir. »2276

Arthur de LA GUÉRONNIÈRE (1816-1875), L’Empereur Napoléon III et l’Italie (1859)

Ce texte fait allusion à la politique de conquête du premier empereur, alors que Napoléon III a su comprendre l’évolution du principe des nationalités, une des bases de sa politique étrangère.

Venger la honte des traités de 1815 et de la France qui a tout perdu à la fin du Congrès de Vienne, c’est envisager une révision des frontières européennes et l’évocation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes fournit une justification morale à son action. Les peuples souscrivent ensuite, par plébiscites.

« Nos cœurs ont suivi le cours de nos rivières. »2280

Parole des Savoyards, devenu proverbe, printemps 1860. Napoléon III et le Second Empire : le zénith impérial, 1853-1860 (1976), André Castelot

Selon les sources, la forme peut varier : « Nos cœurs vont là où vont nos rivières », « Notre cœur va du côté où coulent nos rivières », etc. Pour dire que les Savoyards votent leur rattachement à la France, par plébiscite des 22 et 23 avril 1860, en vertu du traité de Turin du 24 mars 1860 (épilogue de la campagne d’Italie de 1859). Avec 250 000 oui, contre seulement 230 non !

Le plébiscite de 1860 peut être présenté comme l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais les Savoyards ont en fait ratifié une cession de territoire, décidée en 1858 par accord secret, lors de l’entrevue de Plombières du 20 juillet – Cavour, au nom du roi Victor-Emmanuel II, se rend dans cette petite station thermale des Vosges où Napoléon III est en cure. Ils conviennent d’un troc, dans le cadre des négociations diplomatiques relatives à l’unification de l’Italie : en échange de l’aide diplomatique et militaire pour libérer la péninsule de l’occupation autrichienne, le comté de Nice et le duché de Savoie reviennent à la France.

Les Niçois feront le même choix, le 15 avril 1860. Ces conquêtes pacifiques sont à porter au crédit du Second Empire.

« Encore une fois notre drapeau français
Vient de remporter la victoire,
Je sommes vainqueurs et ce nouveau succès
Fait que je nageons dans la gloire.
Fallait entendr’ notre brutal,
Aux Mexicains, jouer un p’tit air de bal.
Refrain
J’avons Puebla, mais foi d’Pico
Dans peu, nous aurons Mexico. »2286

Alexis DALÈS (1813-1893), paroles, et Charles COLMANCE (1805-1870), musique, J’aurons Mexico (1863), chanson. Des chansons populaires chez les anciens et chez les Français (1867), Charles Nisard

« Nous aurons Mexico », prophétie de mai 1863. Mais l’aventure mexicaine sera le premier grave échec en politique extérieure. L’empereur, avec les libéraux, croit au début à cette expédition du Mexique et au rôle jouable par la France dans le Nouveau Monde.

Décidé à renforcer la présence française en Amérique, Napoléon III entreprend à partir de 1862 d’instaurer au Mexique une monarchie conservatrice et catholique, favorable aux intérêts français. La gauche fait des réserves, mais rêve aussi. Et la France a des alliés…

Avec l’appui des conservateurs mexicains, les troupes françaises renversent la République du président Benito Juárez et imposent le prince Maximilien de Habsbourg comme empereur du Mexique, en 1864. Mais la résistance des républicains mexicains provoque en 1867 l’effondrement du nouveau régime. Les pays alliés du début nous lâchent, les États-Unis se fâchent, Napoléon III retire ses troupes et abandonne Maximilien d’Autriche, marié à la princesse Charlotte, fille du roi des Belges : lui finira fusillé en 1867, elle en deviendra folle. « Plus de six mille morts, trois cent trente-six millions de dépenses. Rien n’a davantage contribué à l’impopularité du Second Empire », écrira l’historien Georges Pradalié (Le Second Empire).

13. Troisième République : Jules Ferry encourage l’expansion coloniale pour des raisons idéologiques (mission civilisatrice des races supérieures), économiques et commerciales, mais « Ferry-Tonkin » tombe en 1885 sur une « affaire » exploitée par l’opposition de gauche comme de droite.

« Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, vivre de cette sorte pour une grande nation […] c’est abdiquer, […] c’est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième. »« Cette paix n’est ni heureuse, ni bonne, mais il fallait la faire. Nous avons conservé encore un bel empire. »2399

Jules FERRY (1832-1893). Discours et opinions de Jules Ferry (1897), Jules Ferry, Paul Robiquet

Deux fois président du Conseil, entre septembre 1880 et mars 1885, il donne un essor considérable à la politique coloniale de la France : à la place des conquêtes continentales devenues impossibles, il prône l’aventure au-delà des mers. Pour lui, « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures […] le devoir de [les] civiliser. » Cette politique coloniale est très attaquée par la droite – elle coûte cher en crédits et en hommes – et par la gauche nationaliste – elle détourne de la politique de revanche. Un échec provoquera la chute de « Ferry-Tonkin » et l’arrêt de cette première expansion coloniale qui recommence vers 1890. Un ministère des Colonies sera créé en 1894.

« La politique coloniale est fille de la politique industrielle. »2400

Jules FERRY (1832-1893). Discours et opinions de Jules Ferry (1897), Jules Ferry, Paul Robiquet

Il donnera plus tard une théorie de sa politique coloniale, menée au coup par coup quand il est au pouvoir. L’expansion est nécessaire à un grand pays comme la France, pour satisfaire des besoins à la fois militaires (bases dans le monde entier), commerciaux (marchés et débouchés pour son expansion économique), culturels (prestige national oblige, pour « sa langue, ses mœurs, son drapeau, son armée et son génie »).

La Troisième République édifie peu à peu le second empire colonial du monde (après l’Empire britannique), aussi vrai qu’« un mouvement irrésistible emporte les grandes nations européennes à la conquête de terres nouvelles » (Jules Ferry).

« Au nom d’un chauvinisme exalté, devrons-nous acculer la politique française dans une impasse et, les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges, laisser tout faire, tout s’engager, tout se résoudre sans nous, autour de nous, contre nous ? »2473

Jules FERRY (1832-1893), Chambre des députés, 7 avril 1881. L’Essor industriel et l’impérialisme colonial, 1878-1904 (1965), Maurice Baumont

Devenu président du Conseil, il défend l’intervention en Tunisie décidée par les députés et qu’il a personnellement soutenue. La Tunisie devient protectorat français, le 12 mai 1881. L’expression « ligne bleue des Vosges » va revenir dans son testament et passer à la postérité. Cependant, conservateurs et radicaux s’entendent contre la politique coloniale de Ferry, également attaqué pour sa politique scolaire.

« Avant d’aller planter le drapeau français là où il n’est jamais allé, il fallait le replanter d’abord là où il flottait jadis, là où nous l’avons tous vu de nos propres yeux. »2476

Paul DÉROULÈDE (1846-1914), Discours du Trocadéro, octobre 1884. Pour en finir avec la colonisation (2006), Bernard Logan

C’est l’expression du patriotisme continental, opposé à l’aventure coloniale incarnée par Ferry. Ce qui explique l’anticolonialisme de Déroulède.

« Faire passer avant toute chose la grandeur du pays et l’honneur du drapeau. »2477

Jules FERRY (1832-1893), Chambre des députés, 30 mars 1885. Discours et opinions de Jules Ferry (1897), Jules Ferry, Paul Robiquet

La conquête de l’Indochine a commencé sous Napoléon III et Jules Ferry poursuit cette colonisation française en Extrême-Orient. Par le traité de Hué (25 août 1883), l’empereur du Vietnam a été contraint de céder au nord le Tonkin devenu un protectorat français, mais la Chine voisine qui conteste ce traité envahit le Tonkin : ses troupes, les « Pavillons noirs », se heurtent aux troupes françaises. Sièges et batailles navales se succèdent durant près de deux ans.

Le 29 mars, les journaux ont appris l’attaque des Chinois à Lang-Son, ville du Vietnam sur la frontière chinoise (le 3 février) et le recul, ou plus exactement la retraite du corps expéditionnaire français commandé par le lieutenant-colonel Herbinger, avec quelque 200 tués ou blessés. L’incident est démesurément grossi : on parle du « désastre de Lang-son » comme d’un second Waterloo et d’un nouveau Sedan ! Les radicaux, groupés autour de Clemenceau, dénoncent la politique coloniale de Jules Ferry, surnommé pour l’occasion « Ferry-Tonkin » et même accusé de haute trahison pour avoir engagé des troupes, sans bien en informer les députés.

Ferry, président du Conseil, garde son calme et le 30 mars, invoquant la grandeur du pays et l’honneur du drapeau, demande une augmentation des crédits pour envoyer des renforts au Tonkin. Il déchaîne des clameurs, à la gauche comme à la droite de l’Assemblée.

« Mon patriotisme est en France ! »2478

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Chambre des députés, 30 mars 1885. Affirmation nationale et village planétaire (1998), Jean Daniel

Le « Tigre » fait bloc avec les adversaires de Jules Ferry (détesté aussi de la droite) et réplique au chef du gouvernement : « Nous ne vous connaissons plus, nous ne voulons plus vous connaître […] Ce ne sont plus des ministres que j’ai devant moi […] Ce sont des accusés de haute trahison sur lesquels, s’il subsiste en France un principe de responsabilité et de justice, la main de la loi ne tardera pas à s’abattre. »

Pour Clemenceau, la politique coloniale est « trahison », parce qu’elle détourne la France de la ligne bleue des Vosges et rend impossible la revanche. Le pays n’est pas assez riche en hommes et en crédits pour se battre sur deux fronts à la fois : l’Alsace-Lorraine et des terres lointaines.
Le ministère Ferry est renversé. Foule immense autour du palais Bourbon : Ferry sort par une porte dérobée. C’est la fin de sa carrière politique – même s’il est bientôt élu sénateur. Il reste surtout comme un grand ministre de l’Instruction publique, promoteur de l’école laïque.

« Je désire reposer […] en face de cette ligne bleue des Vosges d’où monte jusqu’à mon cœur fidèle la plainte des vaincus. »2508

Jules FERRY (1832-1893), Testament. Jules Ferry (1903), Alfred Rambaud

Mort le 17 mars 1893, il reste dans l’histoire pour sa politique scolaire, mais aussi coloniale. Ses derniers mots prouvent qu’il n’oubliait pas l’Alsace et la Lorraine perdues, alors même qu’il lançait la France à la conquête de la Tunisie et du Tonkin (Indochine, nord du Vietnam). Mal compris, Ferry a pu voir relancée, à la fin de sa vie, une nouvelle colonisation prise en main par des politiques, des militaires, des hommes d’affaires : Indochine, Madagascar, Afrique noire, Maroc.

14. L’affaire de Fachoda (1899). La France et l’Angleterre (première puissance économique et coloniale) s’affrontent au Sahara : le « coq gaulois » est humilié, mais la guerre n’aura pas lieu.

« Laissons au coq gaulois ces sables à gratter. »2526

Marquis de SALISBURY (1830-1903), Premier ministre anglais, 21 mars 1899. Les Forces politiques au Cameroun réunifié (1989), Joseph-Marie Zang-Atangana

Il parle du Sahara, à la fin des négociations franco-anglaises sur la situation respective des deux grandes puissances en Afrique. C’est la suite de l’« incident de Fachoda », en juillet 1898. En réalité, une véritable affaire diplomatique, géopolitique et militaire.

La France a envoyé la mission Marchand sur le haut Nil - quelques gradés et 250 travailleurs sénégalais - pour devancer au Soudan l’Angleterre qui mobilise une armée anglo-égyptienne de 20 000 hommes. Marchand, arrivé le premier, a levé le drapeau tricolore à Fachoda, mais suite à un ultimatum de Londres, Delcassé, ministre des Affaires étrangères, décide d’évacuer les lieux.

Une vague d’anglophobie rappelle la guerre de Cent Ans ! Mais la France a quand même d’autres problèmes – à commencer par l’Affaire (Dreyfus).

La convention franco-anglaise signée le 21 mars 1899 consacre le renoncement de la France sur le Nil, l’Angleterre lui laissant cependant le Maroc et une portion de désert, assortis d’un échantillon d’humour anglais. L’orgueil national est froissé, mais la raison l’emporte et l’Entente cordiale – conclue en 1843 entre la reine Victoria et le roi Louis-Philippe - sera précieuse dans les temps à venir, contre l’Allemagne qui est l’adversaire commun des deux pays.

15. Première Guerre mondiale. Les « Tirailleurs sénégalais » et autres indigènes viennent se battre et mourir en héros pour la mère-patrie. Hommage national leur est rendu… avec « Y’a bon Banania », slogan gagnant.

« Le tirailleur sénégalais est un merveilleux mercenaire, puisqu’il a la vraie qualité du soldat, celle qui prime tout : l’aptitude à se faire tuer. »2401

L’Écho d’Oran, 25 décembre 1910. Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière

On peut débattre à l’infini du colonialisme et les historiens ne s’en privent pas. Au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui s’impose après la Seconde Guerre mondiale, on intente un procès aux peuples et aux responsables politiques jadis coupables de ce « crime ». C’est pécher par anachronisme et ignorer les réalités de temps heureusement révolus. Cela dit, la lecture du grand quotidien algérien (rédigé en français) montre plus clairement que de longs discours l’inhumanité du colonialisme et le racisme inhérent.

Le corps des Tirailleurs sénégalais est créé en 1857 par Louis Faidherbe, gouverneur général de l’AOF (Afrique de l’Ouest Française). Ces unités de combat indigènes doivent pallier l’insuffisance des effectifs venant de métropole. Les régiments sont constitués d’esclaves affranchis (rachetés par les Français à leurs maitres africains), mais aussi de prisonniers de guerre et de volontaires. Les Tirailleurs dits sénégalais viennent de toutes les colonies françaises d’Afrique. Après 1905, ils deviennent indispensables : forces de police sur l’immense territoire africain sous administration française et intervention lors des révoltes sporadiques (en Mauritanie, au Maroc), ils serviront dans la Première Guerre Mondiale à renforcer les troupes sur le front lorrain. Beaucoup de généraux français entreront dans la carrière comme officiers dans les Tirailleurs - Joffre, Gallieni, Marchand, Gouraud, ou encore le général Mangin. Il écrit La Force Noire, faisant l’apologie de ces troupes africaines avec des arguments racistes : les Africains, dotés d’un système nerveux moins développé, sont moins sensibles à la douleur.

Sur les 212 000 Africains français engagés, on comptera 163 000 combattants en France et 30 000 morts - ni plus ni moins aptes à se faire tuer que les Français.

« Disciplinés au feu comme à la manœuvre, ardents dans l’attaque, tenaces dans la défense de leurs positions jusqu’au sacrifice, supportant au-delà de toute prévision les rigueurs du climat du Nord, ils donnent la preuve indiscutable de leur valeur guerrière. De telles qualités les placent définitivement sur le même rang que nos meilleures troupes d’Afrique. »

Alexandre MILLERAND (1859-1943) ministre de la Guerre en 1914-1915

Juste hommage de la nation.

Reconnus pour leurs faits d’armes, les membres de l’armée d’Afrique ne sont pas traités différemment des autres poilus. Contrairement à certaines idées reçues, ils reçoivent le même respect de leurs officiers : « Ils étaient rassemblés entre eux, mais c’était plus pour des raisons de commodités. Ils recevaient de la nourriture halal et quand ils mourraient, ils étaient enterrés selon le rite musulman. La France respectait leur identité. Beaucoup d’entre eux ont raconté après coup que l’armée était plus égalitaire que la société coloniale car sur le front, ils étaient tous égaux et notamment devant la mort. »

« Y’a bon, Banania ! »

Slogan associé à l’image populaire du Tirailleur sénégalais

Image d’Épinal du bon noir tout sourire, tenant dans sa main une cuillère de Banania, boisson énergisante qui doit son succès à la Grande Guerre.

En 1914, le créateur de la marque, Pierre-François Lardet, a l’idée d’associer patriotisme martial et exotisme colonial. Il va s’appuyer sur la popularité des Tirailleurs sénégalais. Ces « grands enfants » qui parlent « petit nègre » sont des héros sympathiques au peuple français. L’un d’eux, blessé et rapatrié du front, se retrouve embauché à l’usine de Courbevoie où il se serait exclamé « Y’a bon Banania ! » après avoir goûté la boisson chocolatée. Histoire vraie ou bonne blague, peu importe. Le slogan est génial. « Cela correspond à l’esprit colonialiste français de l’époque, déclare l’actuel directeur du musée du chocolat de Paris, Fabrice Stijnen. On peut lui faire dire ce que l’on veut… »

Avec le temps, ce slogan prendra pourtant une connotation raciste et cette image du tirailleur dérange, au point de devenir « hautement polémique » : « Je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France. » Poème préliminaire d’Hosties noires, signé Léopold Sédar Senghor, ministre français, premier Président de la République du Sénégal (1960-1980) et premier africain à siéger à l’Académie française, clamant son hommage aux victimes du sacrifice volontaire devenu holocauste.

En 1977, « Y’a bon, Banania », slogan controversé, sera finalement abandonné. La marque plaît toujours, avec une image un peu rectifiée pour être plus honnête. Aujourd’hui, Banania s’affiche comme « le partenaire du petit déjeuner équilibré », conforme au manger-correct et à la civilisation écolo.

16. Entre-deux-guerres : apogée de l’empire colonial français et de la fierté populaire, sous le signe de l’Exposition coloniale (1931) présidée par le maréchal Lyautey. Star des Années folles, Joséphine Baker, la Vénus noire est lancée par la Revue nègre, avant de devenir Résistante et militante.

« Pour pacifier un pays, il semble qu’il faille recourir aux moyens pacifiques. Cette énonciation paraît naïve ; cependant, il n’y a pas longtemps qu’elle est acceptée des Gouvernements. Ils ont eu longtemps, et peut-être gardent-ils encore, une secrète tendresse pour les moyens répressifs. »2530

Maréchal LYAUTEY (1854-1934), Paroles d’action, 1900-1926 (1927)

Au-delà des luttes internes, la Troisième République édifie un vaste empire colonial. Ferry en fut l’initiateur politique (1880-1885). École coloniale, armée coloniale, ministère des Colonies sont les instruments créés ensuite, en 1893 et 1894.

Lyautey incarne depuis longtemps l’action sur le terrain : conquête et pacification. Il commença dans le Sud algérien (en 1879), fut envoyé en Indochine (1894) et à Madagascar (1895) avec Gallieni, avant de partir en Afrique du Nord où la guerre le trouve, en 1914.

« Partout où notre drapeau se dresse, les populations accourent, se mettent à son abri, sachant qu’il les libère de l’anarchie et leur apporte la paix, la protection, le bien-être. Oui, cette guerre coloniale, tant décriée et si méconnue, est par excellence une guerre constructrice, une œuvre de paix et de civilisation, et il fallait que cela fût dit. »2559

Maréchal LYAUTEY (1854-1934), Paroles d’action, 1900-1926 (1927)

Après le traité de Fez (30 mars 1912) par lequel le sultan du Maroc accepte le protectorat français, Lyautey nommé résident général de la République française s’efforce de pacifier la région – mais la guerre mondiale interrompt son action. Le Maroc est une raison de tension majeure entre la France, forte de son Entente cordiale avec l’Angleterre, et l’Allemagne privée d’empire colonial et cherchant à combattre l’influence française.

« Cet état ne peut être basé que sur le travail indigène équitablement rémunéré. Le travail à peu près gratuit, si voisin du travail servile, ne peut être qu’une solution transitoire. »2639

Maréchal LYAUTEY (1854-1934), Paroles d’action, 1900-1926 (posthume, 1927)

Lyautey, éphémère ministre de la Guerre en 1916, retourne au Maroc et poursuit sa politique coloniale, mal comprise de son temps : plutôt que l’assimilation, il préfère promouvoir un développement culturel proprement marocain. Malgré cela, la domination européenne se trouve contestée par des révoltes de paysans et divers mouvements politiques et sociaux suivis de répressions. La guerre du Rif (1925) écartera Lyautey.

La Troisième République qui fait de la France la deuxième puissance coloniale du monde (après la Grande-Bretagne) voit le triomphe de l’idée coloniale culminer lors de l’Exposition de 1931 – le temps de la mauvaise conscience européenne viendra plus tard.

« L’exposition doit constituer la vivante apothéose de l’expansion extérieure de la France sous la Troisième République et de l’effort colonial des nations civilisées, éprises d’un même idéal de progrès et d’humanité. ».

Albert SARRAUT (1872-1962) saluant avec emphase l’Exposition coloniale à l’est de Paris, 6 mai 1931. De l’Algérie « française » à l’Algérie algérienne, Charles-Robert Ageron (2005)

Fervent « coloniste » et adepte de la mission civilisatrice d’une République digne de ce nom, Sarraut fut longtemps ministre des Colonies. Paul Reynaud, ministre en titre, inaugure l’Exposition en compagnie du président de la République Gaston Doumergue et du commissaire général, l’illustre maréchal Lyautey - seul militaire trouvant grâce auprès de Clemenceau qui l’honorait de son humour vachard et viril : « Il a des couilles au cul, mais ce ne sont pas toujours les siennes. »

Du 6 mai au 15 novembre 1931, aux abords de la Porte Dorée et du bois de Vincennes à Paris, l’événement attire huit millions de visiteurs, dont la moitié de Parisiens et 15% d’étrangers. Au total, 33 millions de tickets vendus, les visiteurs revenant plusieurs fois. C’est la plus grande affluence qu’ait connue une manifestation parisienne depuis l’Exposition universelle de 1900 (50 millions de tickets vendus).

Une affiche promet « le tour du monde en un jour » : une ville de 110 hectares donne à voir des pagodes et des temples indochinois, des cases africaines, des minarets arabes et des murailles sahéliennes. Les puissances coloniales (sauf la Grande-Bretagne) présentent, exposent et rivalisent d’exotisme ludique et de scénographie didactique.

L’inauguration s’est déroulée avec des milliers de danseuses annamites, familles d’artisans africains dans un village reconstitué, cavaliers arabes… Chaque jour, un grand spectacle différent éduque et enchante les enfants de 7 à 77 ans et au-delà. Des figurants piroguent sur le lac Daumesnil, servent dans des cafés maures et dansent pour des publics émoustillés. De cette Exposition, il nous reste le parc zoologique, le musée des Arts africains et océaniens de la Porte dorée, converti en 2003 en musée national de l’histoire de l’immigration, et une pagode bouddhiste au bois de Vincennes.

En Angleterre, la même année, on débat sur l’opportunité de conférer un statut de dominion (quasi-indépendant) aux Indes, la plus grande colonie qui soit ! La France ne pense qu’à affirmer et partager ses valeurs universelles et ne se pose pas encore de questions culpabilisantes.
Seule opposition, celle du Parti communiste très minoritaire, systématiquement opposé à la gauche socialiste et à la SFIO. Il organise une contre-exposition coloniale dans le parc des Buttes-Chaumont avec le soutien des intellectuels surréalistes : cinq mille visiteurs, échec évident.

« Un jour j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris. »,

Joséphine BAKER (1906-1975),  Alliages culturels : la société française en transformation, Heather Willis Allen, Sébastien Dubreil, éd. Boston MA, 2014

Dans le Paris des Années folles, l’esthétique nègre est à la mode et la première exposition d’art nègre va influencer les artistes Fauves et les Cubistes. Le peintre Fernand Léger conseille à André Daven, administrateur du Théâtre des Champs-Élysées, de monter un spectacle entièrement exécuté par des Noirs : le Revue nègre, vingt-cinq artistes dont douze musiciens parmi lesquels Sidney Bechet et une danseuse vedette, Joséphine Baker. Paul Colin crée l’affiche de la revue. Joséphine Baker y apparaît dans une robe blanche ajustée, poings sur les hanches, cheveux courts et gominés, entre deux hommes noirs, l’un portant un chapeau incliné sur l’œil et un nœud papillon à carreaux, l’autre arborant un large sourire. Cette œuvre folklorique est l’une des plus grandes réussites de l’Art déco : les déformations cubistes rendent admirablement le rythme du jazz, nouveau en France à cette époque.

La « Vénus noire » est lancée en 1925 par la Revue nègre - à 19 ans, le diable au corps et juste vêtue d’une ceinture de plumes blanches, elle danse le charleston avec son partenaire Joe Alex. Scandale et succès immédiat. La salle affiche complet. Forte de sa renommée, Joséphine devient la meneuse des Folies Bergère en 1926 : les plumes laissent place à la célèbre ceinture de bananes.

Comme Joséphine Baker et Sidney Bechet, d’autres artistes afro-américains ont séjourné en Europe : peintres, sculpteurs, poètes, romanciers trouvent à Paris le lieu où prolonger la « renaissance nègre » de Harlem et y apprécient une société libérale qui ignore la ségrégation.

Joséphine Baker n’a pas seulement un corps exceptionnel. Sa tête et son cœur vont lui créer un destin étonnant. Résistante au service de la France libre et de la Croix-Rouge, multi-médaillée, croix de Guerre, Légion d’honneur, elle se fera ensuite militante contre le racisme, pour les droits civiques et l’émancipation des Noirs, et pour les douze enfants adoptés de sa « tribu arc-en-ciel ».

17. Les territoires ultramarins de la France vont de nouveau jouer un rôle historique dans la Seconde Guerre mondial : répondant à l’Appel du général de Gaulle et aux attentes des Alliés, la quasi-totalité se retrouve dans le camp de la résistance.

« Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. »2754

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954), Charles de Gaulle

L’Appel du 18 juin et ses arguments simple et forts seront repris. Ils marquent l’acte de naissance de la France libre (et bientôt combattante) qui, à côté de l’autre France envahie et vaincue, incarnée par le Maréchal, va renaître, et d’abord dans les terres lointaines de son empire colonial, en Afrique équatoriale.

« Elle [la France] n’est pas seule […] Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte […] Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »2713

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940, Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Atout majeur de la France dans cette histoire, la Grande-Bretagne qui a aussi trouvé son grand homme : Churchill, partenaire essentiel pour de Gaulle. Au lendemain de la défaite française de juin 1940, la « bataille d’Angleterre » commence avec la marine qui empêche tout débarquement allemand, l’aviation qui met en échec la Luftwaffe, enfin l’Empire britannique qui permet de tenir tête à Mussolini et même à Hitler, dans la guerre méditerranéenne.

« Nous lutterons en avant de Paris, nous lutterons en arrière de Paris, nous nous enfermerons dans une de nos provinces et, si nous en sommes chassés, nous irons en Afrique du Nord et, au besoin, dans nos possessions d’Amérique. »2747

Paul REYNAUD (1878-1966), Message à F.D. Roosevelt, 10 juin 1940. Franklin Roosevelt et la France, 1939-1945 (1988), André Béziat

Le jour où le gouvernement quitte la capitale pour se replier sur Tours, puis Bordeaux, bientôt Vichy. Paris, déclarée ville ouverte par Weygand, tombe aux mains des Allemands le 14 juin.

Le gouvernement tombera aussi, le 16 juin : cette résistance voulue par Paul Reynaud (et que seul de Gaulle pourra imposer), la majorité du cabinet la refuse, à l’image du pays matraqué par la catastrophe. Pétain et Weygand, l’un maréchal et l’autre général, souhaitent également la capitulation.

« Nous ne nous arrêterons que quand le drapeau français flottera aussi sur Metz et Strasbourg. »2776

Colonel LECLERC (1902-1947), Serment de Koufra, 2 mars 1941. Leclerc et le serment de Koufra (1965), Raymond Dronne

Philippe Marie de Hautecloque, dit Leclerc, sera élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume, en 1952. Deux fois prisonnier, deux fois évadé en mai-juin 1940 (pendant la guerre éclair), il a rejoint de Gaulle à Londres. Dès la fin août, il obtient le ralliement du Cameroun à la France libre et en devient le gouverneur.

Devenu commandant militaire de l’Afrique équatoriale française (AEF), parti de Fort-Lamy (Tchad) avec une pauvre colonne des Forces françaises libres, il franchit 1 600 km de désert et prend le fort de Koufra (Libye), tenu par une garnison italienne. Libérateur de Paris avec sa fameuse 2e DB (division blindée) le 25 août 1944, il sera aussi le libérateur de Strasbourg, le 23 novembre : le serment de Koufra sera tenu.

Découvrez la suite de notre Chronique de la colonisation française

Vous avez aimé ces citations commentées ?

Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

Partager cet article

L'Histoire en citations - Gaule et Moyen Âge

L'Histoire en citations - Renaissance et guerres de Religion, Naissance de la monarchie absolue

L'Histoire en citations - Siècle de Louis XIV

L'Histoire en citations - Siècle des Lumières

L'Histoire en citations - Révolution

L'Histoire en citations - Directoire, Consulat et Empire

L'Histoire en citations - Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

L'Histoire en citations - Second Empire et Troisième République

L'Histoire en citations - Seconde Guerre mondiale et Quatrième République

L'Histoire en citations - Cinquième République

L'Histoire en citations - Dictionnaire