Histoire & Littérature : l’Histoire écrite par les historiens, du Siècle des Lumières à la Révolution | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Lecture recommandée en temps de vacances pour une bonne raison : l’Histoire de France reste la plus passionnante des histoires, avec ses personnages incroyables mais vrais et ses chroniques à rebondissements. C’est aussi un voyage dans le temps et le dépaysement assuré à moindre coût !

Après l’Histoire vue par les romans, la poésie, le théâtre et les lettres, voici l’Histoire écrite par les historiens. Grâce à eux, l’histoire est une « passion française » depuis deux siècles. 

Née au XIXe en tant que science (humaine), un nom s’impose, Michelet, le plus populaire des historiens - sauf auprès des confrères. Mais l’histoire existe en réalité depuis toujours.

César le premier se révèle à la fois acteur et auteur de la « Guerre des Gaules », nous révélant notre premier héros national qu’il a vaincu à Alésia : Vercingétorix.

Au Moyen Âge, on parle de chroniqueurs : Joinville (proche de saint Louis) et Commynes (Louis XI), Froissart pour la Guerre de Cent Ans. Baptisé « Père de l’Histoire de France », Grégoire de Tours s’exprime en chrétien comme nombre d’évêques et Bossuet cédera à cette tentation. Médiéviste contemporain, Georges Duby fera référence pour d’autres époques.

Au XVIIe, le Testament de Richelieu, bréviaire de l’homme d’État et les Mémoires pour l’instruction du Dauphin de Louis XIV ont valeur historique, mais aussi les Mémoires de Saint-Simon, témoin et juge sévère de son époque.

Au siècle des Lumières, Voltaire est l’historien toujours cité du très vivant « Siècle de Louis XIV ». Mais toutes les œuvres philosophiques qui font polémique sont à ranger dans la catégorie des Pamphlets (à suivre).

La Révolution fascine la plupart des historiens (Michelet et Tocqueville, Taine, Edgar Quinet pour Saint-Just) et certains lui consacrent leur vie (Claude Manceron, Albert Mathiez pour Robespierre). Même fascination pour Napoléon, adoré ou détesté, personnage hyper-médiatique sous le Consulat et l’Empire, mine de citations et sujet inépuisable. Jean Tulard a consacré un livre à ses historiens.

Au XIXe, nombre d’hommes politiques se font historiens (plus ou moins orientés). Guizot, Thiers, Jaurès, Louis Blanc, Edgar Quinet, sans oublier le cas de Lamartine. La Troisième République rend l’enseignement gratuit et obligatoire : les historiens professionnels abondent et cosignent souvent (à commencer par Ernest Lavisse, l’« instituteur national »). Désormais, les écoles, les clans, les « chapelles » s’opposent, récit contre roman national, bataille des méthodes et des sources. L’Histoire se théorise, se politise… et se démocratise.

Aidés par les médias audiovisuels au XXe siècle, les (bons) vulgarisateurs touchent le grand public, tels Decaux et Castelot (souvent associés). Les biographes se multiplient, inspirés par les héros nationaux ou les contemporains (de Gaulle et Mitterrand, pour Jean Lacouture). Des « amateurs » (ayant un autre métier, journaliste, avocat, éditeur) font aussi œuvre d’historien, animés de cette « passion française » qu’on aime partager.

L’Histoire en citations fait une large place aux historiens de toute opinion et de tout genre : celui qui écrit l’histoire de son temps comme témoin direct ou postérieurement aux événements, relatant les faits en donnant ou pas son propre jugement ; celui qui est acteur de l’histoire sinon personnage historique, ou figure seulement comme source de citations.

Deux historiens, Pierre Miquel et Jean Favier, ont préfacé les premières éditions de l’Histoire en citations (Le Rocher, 1990 et Eyrolles, 2011). Nous les en remercions, en attendant une réédition.

L’Histoire des historiens vous est présentée en trois éditos :

1. De la Gaule au Siècle de Louis XIV

2. Les Lumières et la Révolution.

3. De Napoléon à nos jours.

Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.

2. Les Lumières et la Révolution.

« Il fallait tenir le pot de chambre aux ministres tant qu’ils étaient en puissance, et le leur renverser sur la tête sitôt qu’on s’apercevait que le pied commençait à leur glisser. »953

Maréchal de VILLEROY (ou VILLEROI) (1644-1730). Mémoires de Saint-Simon (posthume, 1879)

« Grand routier de cour », ami d’enfance de Louis XIV, médiocre militaire sous son règne quoique maréchal de France, le voilà gouverneur fort critiqué de Louis XV enfant. Mais le maréchal sait lui aussi critiquer la nouvelle cour.

Les ministres se succèdent au rythme de réformes abandonnées presque aussitôt qu’entreprises et de disgrâces succédant aux faveurs royales.

« Impositions indirectes ; pauvres paysans. Pauvres paysans ; pauvre royaume. Pauvre royaume ; pauvre souverain. »965

Pierre Samuel DUPONT de NEMOURS (1739-1817), De l’origine et des progrès d’une science nouvelle (1768)

Parole d’économiste, jeune collaborateur de Quesnay et disciple des Physiocrates. Il trace en peu de mots le cercle vicieux de l’économie qui va mener à la Révolution.

La fiscalité frappe la masse des paysans pauvres, alors que les privilégiés aux grandes fortunes (fermiers généraux, financiers, courtisans) sont intouchables et que l’essentiel des revenus industriels et commerciaux y échappe. Le trop faible pouvoir d’achat de la paysannerie – 90 % de la population – ne permet pas la consommation accrue de produits manufacturés et ne peut donc stimuler le développement de l’industrie courante, comme en Angleterre. Enfin, le rendement d’impôts perçus sur des contribuables trop pauvres ne peut alimenter suffisamment les caisses de l’État. L’Ancien Régime mourra de cette crise financière sans solution, hormis une réforme fondamentale de l’État : il faudra une révolution pour y arriver.

« On taxe tout, hormis l’air que nous respirons. »967

Mme du DEFFAND (1697-1780). Histoire de France (1924), Jacques Bainville

Et l’historien ajoute : « Ce qui viendra d’ailleurs sous la Révolution, avec l’impôt des portes et fenêtres. » La marquise, amie des encyclopédistes, paie proportionnellement beaucoup moins que le peuple et peut pourtant se plaindre d’impôts nouveaux, tels les vingtièmes, censés frapper les nobles et les propriétaires. Mais les vices inhérents à la perception les rendent à la fois injustes et inefficaces.

« Laissez faire, laissez passer. »968

Maxime résumant la doctrine et la politique économique libérales, attribuée à François QUESNAY (1696-1774) et reprise par Adam SMITH (1723-1790)

François Quesnay, par ailleurs médecin de Louis XV, fonde la première école de pensée libérale – les physiocrates – et expose sa doctrine dans le Tableau économique (1758). Selon lui, seule l’agriculture est source de la richesse qui se répartit dans le corps social : il encourage donc son développement, tout en prônant le libre-échange et la libre circulation des grains à l’intérieur du royaume. Il développe également sa théorie dans deux articles de l’Encyclopédie : Fermier (1756), Grains (1757). La physiocratie aura son homme au pouvoir en la personne de l’intendant Turgot, ministre sous Louis XVI, mais trop peu de temps et trop tard pour mettre en œuvre d’indispensables réformes allant à l’encontre de vieux privilèges.

« On a tout avec de l’argent, hormis des mœurs et des citoyens. »985

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Discours sur les sciences et les arts (1750)

Réaction violente à mi-siècle contre la décadence des mœurs d’un pays grisé par sa propre civilisation. Rousseau juge en moraliste et philosophe, mais aussi en « pauvre » et « asocial », cette société où l’argent devient la mesure de tout, tandis que le plaisir, le luxe, la jouissance et parfois la débauche s’affichent. Même idée chez Restif de la Bretonne, surnommé le Rousseau du ruisseau : « La dépravation suit le progrès des Lumières. Chose très naturelle, que les hommes ne puissent s’éclairer sans se corrompre » (Le Pornographe, 1769).

« Il faut répondre à un livre par un livre, et non par des prisons et des supplices qui détruisent l’homme, sans détruire ses raisons. »992

Baron d’HOLBACH (1723-1789), La Politique naturelle ou Discours sur les vrais principes de gouvernement (1774)

Le siècle des Lumières voit la victoire des idées, mais c’est encore un temps de persécution contre la liberté de pensée : tous les philosophes souffrent de la censure, plusieurs sont embastillés, à commencer par Voltaire, et l’intolérance (surtout en matière religieuse) dresse des bûchers où les livres ne sont pas seuls à brûler.

« Les Français ne sont pas faits pour la liberté : ils en abuseraient. »1027

VOLTAIRE (1694-1778), Faits singuliers de l’histoire de France

Ce n’est pas seulement un trait d’humour. Malgré son amour de l’humanité, il se méfie de la « populace » : « Il me paraît nécessaire qu’il y ait des gueux ignorants […] Ce n’est pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois, c’est l’habitant des villes » (Lettre à M. Damilaville, 1er avril 1766). Et dans son Dictionnaire philosophique portatif, ou la raison par l’alphabet : « Distingue toujours les honnêtes gens qui pensent, de la populace qui n’est point faite pour penser. »

« Tous les vices combattaient en lui à qui en demeurerait le maître. Ils y faisaient un bruit et un combat continuels entre eux. »1075

Duc de SAINT-SIMON (1675-1755), à propos de l’abbé Dubois, Mémoires (posthume)

On reconnaît le style incisif du grand mémorialiste, aussi dur pour le temps de la Régence que pour la fin du règne de Louis XIV. Saint-Simon, pair de France, imbu de son titre et de son sang, incarne cette haute aristocratie désireuse de prendre sa revanche sur le précédent « règne de vile bourgeoisie », mais trahit les rancœurs de cette caste dont les espérances politiques sont vite déçues par le nouveau pouvoir. Il juge ici un rival plus heureux que lui en politique, l’abbé Guillaume Dubois, ancien précepteur de Philippe d’Orléans : « L’avarice, l’ambition, la débauche étaient ses dieux ; la perfidie, la flatterie, les servages [manières de valet], ses moyens ; l’impiété parfaite son repos. » Dubois fut certes un intrigant, mais aussi un habile diplomate.

« Sire, tout ce peuple est à vous. »1085

Maréchal de VILLEROY (ou VILLEROI) (1644-1730), au petit roi âgé de 10 ans, 25 août 1720. Analyse raisonnée de l’histoire de France (1845), François René de Chateaubriand

Ami d’enfance de Louis XIV, moqué à la cour et chansonné dans la rue, devenu gouverneur de Louis XV enfant, il lui désigne, d’un balcon des Tuileries, la foule venue le voir et l’acclamer, le jour de la Saint Louis (anniversaire de la mort du roi Louis IX).

Le vieux courtisan se distingue surtout comme professeur de maintien, accablant l’enfant-roi de parades, audiences, revues, défilés, autant de corvées fastueuses qui vont donner au futur roi, et pour la vie, l’horreur de la foule, des ovations et des grands mouvements de peuple.

Autre conséquence de cette éducation soulignée par Chateaubriand et l’opposant à « Henri IV [qui] courait pieds nus et tête nue avec les petits paysans sur les montagnes du Béarn ». Ici, l’enfant du trône est complètement séparé des enfants de la patrie, ce qui le rend étranger à l’esprit du siècle et aux peuples sur lesquels il va régner. Et de conclure : « Cela explique les temps, les hommes et les destinées. »

« Nous l’avons vu mourir fort âgé et oublié comme il arrive à tous ceux qui n’ont eu que de grands événements sans avoir fait de grandes choses. »1091

VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)

Le duc de Lauzun, maréchal de France, meurt en 1723, à 90 ans. Courtisan plein d’ambition et dépourvu de scrupules, favori de Louis XIV qui, lassé de ses impertinences, l’a fait embastiller, il épousa la Grande Mademoiselle à l’immense fortune, passa en Angleterre où il assista à la révolution de 1688, fut chargé de conduire en France la reine et le prince de Galles. Marié en secondes noces à la belle-sœur de Saint-Simon, qui dit de lui : « On ne rêve pas comme il a vécu. »

« Nous parlons et on nous défend la parole, nous délibérons et on nous menace. Quelle paix après cela le Conseil du roi veut-il nous laisser entrevoir, sinon celle qu’on n’ose nommer ? »1100

René PUCELLE, dit l’« Abbé Pucelle » (1655-1745), conseiller au Parlement de Paris. Bibliothèque des mémoires relatifs à l’histoire de France pendant le XVIIIe siècle (1854), François Barrière

La guerre entre Parlement et pouvoir royal recommence. Raison, sinon prétexte : la bulle Unigenitus de Clément XI, condamnant 101 propositions jansénistes en 1713, est érigée en loi française par la Déclaration du 24 mars 1730, signée par le roi.

Le Parlement, en majeure partie janséniste, conteste la validité de la Déclaration. Louis XV en impose l’enregistrement par lit de justice. Le Parlement s’incline, puis revient sur sa décision. Les rapports s’enveniment avec le roi qui refuse de recevoir une délégation du Parlement, d’où l’indignation exprimée par Pucelle, toujours prêt à ferrailler sur les questions ecclésiastiques.

« Ils finiront par perdre l’État. C’est une assemblée de républicains ! »1134

LOUIS XV (1710-1774), à Mme de Pompadour et au duc de Gontaut (son frère), janvier 1753. Précis du siècle de Louis XV (1763), Voltaire

« Républicains », c’est un grand mot, presque un gros mot, en tout cas un mot qui fait peur au roi. Il parle ici du Parlement de Paris et de son opposition qui s’exerce à toute occasion, avec une violence qui ne cessera de grandir jusqu’à la Révolution.

Rétablis dans leur pouvoir sous la régence, les Parlements usent et abusent de leur droit de remontrance. Les hauts magistrats, soutenus par le mouvement des philosophes et de l’Encyclopédie, font figure de défenseurs des libertés face au despotisme. Ils défendent en fait les privilèges contre les réformes royales (notamment en matière fiscale).

Le roi, en raison de sa piété, a plus d’égard pour le clergé, qui agit exactement de la même manière. Machault d’Arnouville, qui succède à Orry aux Finances en 1745, ne pourra décidément pas obtenir cet impôt dit du vingtième, et frappant tous les biens, quand l’État a de nouveau tant besoin d’argent.

« Ne parlez point allemand, Monsieur ; à dater de ce jour, je n’entends plus d’autre langue que le français. »1186

MARIE-ANTOINETTE d’Autriche (1755-1793), à M. d’Antigny, chef de la Cité (Strasbourg), 7 mai 1770. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Avocat d’assises célèbre sous la Troisième République, ses publications historiques lui valent son fauteuil à l’Académie Française. Ses Grands Procès sont d’une lecture facile, mais la documentation n’en est pas moins sérieuse. Le procès de Marie-Antoinette est un moment historique incontournable.

Le chef de la Cité lui adressait la bienvenue en allemand. La jeune « princesse accomplie » va à la rencontre de son fiancé le dauphin Louis (futur Louis XVI) et de toute la cour qui l’attend à Compiègne. Elle a déjà dû, selon l’étiquette de la cour, se dépouiller de tout ce qui pouvait la rattacher à son ancienne patrie, pour s’habiller à la mode française.

On parle couramment le français dans toutes les cours d’Europe. C’est aussi la langue de la diplomatie. Marie-Antoinette, à 14 ans, est sans doute l’une des princesses les moins couramment francophones, vue son éducation imparfaite à la cour d’Autriche.

Le mariage fut négocié par le ministre Choiseul et la mère de la mariée, également soucieux de réconcilier les Bourbons et les Habsbourg. L’alliance autrichienne renforce la position de la France en Europe, en cas de guerre avec l’Angleterre ou la Prusse.

« Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes : que tous les hommes naissent égaux ; que leur créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la Vie, la Liberté et la recherche du Bonheur. »1223

Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique, rédigée par Thomas Jefferson (1743-1826) et adoptée par le Congrès, 4 juillet 1776 (Independence Day), rejetant l’autorité du roi d’Angleterre

Le texte s’inspire de la philosophie des Lumières, et notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 s’en inspirera à son tour. En fait, tous ces principes sont dans l’air du temps, et la contagion politique s’inscrit dans une heureuse logique. Elle passe aussi par la théorie des droits naturels, du philosophe anglais John Locke, qui précède d’un demi-siècle notre Rousseau et son Contrat social.

L’opinion publique en France est de plus en plus favorable aux Insurgents (ou Patriots), et les chansonniers accusent Vergennes (resté ministre des Affaires étrangères) de ne pas oser intervenir. Il va pourtant céder à Beaumarchais et fournir des armes.

« Pour tout homme, le premier pays est sa patrie et le second c’est la France. »1232

Thomas JEFFERSON (1743-1826). Le Peuple (1846), Jules Michelet

Troisième président des Etats-Unis (en 1801), après Georges Washington et John Adams. Auparavant, il fut ambassadeur des États-Unis à Paris (de 1785 à 1789). Francophile et francophone, philosophe imprégné des Lumières, humaniste, c’est aussi un savant. Il exprime ici l’opinion générale : la France est très populaire outre-Atlantique, depuis 1777 et l’arrivée des volontaires, La Fayette en tête.

En 1780, Vergennes (qui a longtemps hésité) va déclarer la guerre à l’Angleterre, entraîner l’Espagne à sa suite et envoyer un corps expéditionnaire, commandé par Rochambeau. La France arme également une flotte de guerre qui remporte quelques victoires mémorables. Enfin, c’est à Versailles qu’est signé le traité de paix ratifiant l’indépendance des États-Unis (1783).

Notre pays a deux raisons de participer à cette guerre : prendre la revanche tant attendue contre l’Angleterre et répondre à l’attente des colons anglais d’Amérique, dont l’idéologie s’inspire de Montesquieu et Rousseau. Mais comme prévu par Turgot qui s’y opposait en tant que ministre des Finances, les dépenses militaires creuseront un déficit abyssal, estimé à un milliard de livres tournois – trois à quatre fois le budget de l’État en 1783.

« Madame, si c’est possible, c’est fait ; impossible, cela se fera. »1233

CALONNE (1734-1802), ministre des Finances répondant à une demande de Marie-Antoinette, 1784. L’Ancien Régime et la Révolution (1856), Alexis de Tocqueville

Nouveau protégé de Vergennes, Calonne reste connu pour son laxisme.

Après son Compte rendu au roi sur les finances de la nation, qui fait connaître le détail des pensions versées aux courtisans, Necker a gagné une grande popularité dans l’opinion publique, mais perd son poste en mai 1781. La valse des ministres continue… (au total, 14 noms en quinze ans).

Après deux éphémères contrôleurs des Finances, Charles-Alexandre de Calonne, intendant de Flandre et d’Artois, arrive en novembre 1783 : intrigant et intelligent, séducteur et cynique, il cherche non pas à faire des économies pour diminuer la dette, mais à rétablir le crédit de l’État en inspirant confiance. On parlerait aujourd’hui d’une politique de relance quasi keynésienne, avec lancement de grands travaux publics. À coup d’emprunts et d’expédients divers, il semble réussir : on le surnomme l’Enchanteur.

Marie-Antoinette, parlant plus tard de l’époque Calonne, dit : « Comment aurais-je pu me douter que les finances étaient en si mauvais état ? Quand je demandais cinquante mille livres, on m’en apportait cent mille ! »

« Corse de caractère et de nation, ce jeune homme ira loin, s’il est favorisé par les circonstances. »1239

Avis du professeur d’histoire de Napoléon Bonaparte en 1785. Histoire de la vie politique, militaire et privée de Napoléon Bonaparte (1825), L.-E. Chennechot

L’élève officier de 16 ans n’est pourtant classé que 42e sur une promotion de 58, et affecté comme sous-lieutenant d’artillerie.

« Le mur murant Paris rend Paris murmurant. »1240

Alexandrin cité par BEAUMARCHAIS (1732-1799) évoquant l’impopularité du mur en 1785, au point d’en faire une des causes de la Révolution. Histoire des agrandissements de Paris (1860), Auguste Descauriet

C’est le mur des Fermiers généraux, enceinte de 24 km qui ménage une soixantaine de passages (ou barrières) flanqués de bureaux d’octroi – impôt indirect, perçu à l’entrée des marchandises.

Calonne, contrôleur général des Finances, a donné satisfaction aux fermiers généraux : pouvant mieux réprimer les fraudes, notamment la contrebande sur le sel au nez des gabelous (commis de la gabelle), ils verseront davantage au Trésor qui en a plus que jamais besoin.

Ce mur se veut imposant comme une fortification : les bureaux, conçus par l’architecte Nicolas Ledoux dans un style néoclassique avec des références à l’antique, prennent le nom de Propylées de Paris. Mais les Parisiens ont l’impression d’étouffer derrière cette petite ceinture à vocation fiscale.

D’où l’épigramme : « Pour augmenter son numéraire / Et raccourcir notre horizon, / La Ferme a jugé nécessaire / De mettre Paris en prison. »

Le mur, achevé sous la Révolution, renforcé sous le Consulat et l’Empire, sera démoli en 1860 par le préfet Haussmann, Paris s’agrandissant de 11 à 20 arrondissements.

« Grande et heureuse affaire ! Que de fange sur la crosse et sur le sceptre ! Quel triomphe pour les idées de la liberté. »1243

Emmanuel Marie FRÉTEAU de SAINT-JUST (1745-1794), conseiller au Parlement. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Mirabeau dira plus tard : « Le procès du Collier a été le prélude de la Révolution. » La royauté déjà malade sort encore affaiblie de cette affaire. Et Marie-Antoinette le paiera cher, lors de son procès.

« Il est impossible d’imposer plus, ruineux d’emprunter toujours ; non suffisant de se borner aux réformes économiques. »1244

CALONNE (1734-1802), Plan d’amélioration des finances, Mémoire, 20 août 1786. La Révolution française (1922), Albert Mathiez

L’Enchanteur a commencé par rassurer les prêteurs. Il a multiplié les projets industriels, financé les fêtes à Versailles, les spectacles à l’Opéra de Paris, dopé le commerce en diminuant les taxes, supprimé le troisième vingtième. Mais l’emprunt coûte de plus en plus cher, les recettes n’augmentent pas comme espéré, l’inflation encourage la spéculation, les faillites se multiplient, l’état de grâce est fini. Calonne a compris : « Il est indispensable de reprendre en sous-œuvre l’édifice entier pour en prévenir la ruine. » Il a raison, mais il est bien tard.

« C’est légal parce que je le veux ! »1253

LOUIS XIV (1754-1793), au duc d’Orléans, Parlement, 19 novembre 1787. Histoire de France (1892), Victor Duruy

Professeur d’histoire et ministre de l’Instruction publique qu’il réforme sous le Second Empire, il consacre le reste de sa vie à rédiger des manuels de référence pour des générations d’élèves. Ce n’est pas un théoricien de la discipline, mais il est néanmoins très respecté par ses confrères.

Louis XVI vit l’un des derniers épisodes de la guerre entre le roi et ses magistrats. Il a fait enregistrer par lit de justice des édits refusés par le Parlement de Paris, avant de l’exiler à Troyes, quand il met Calonne en accusation pour fraudes. Ce coup de force royal déclenche des émeutes.

Le roi cède, et rappelle le Parlement qui apparaît comme l’âme de la résistance à un pouvoir arbitraire, faisant une rentrée triomphale dans la capitale, le 19 septembre 1787.

Le 19 novembre, Louis XVI se rend au Parlement pour imposer l’enregistrement d’un édit autorisant à émettre une série d’emprunts de 420 millions de livres. Le jeune duc d’Orléans (futur Philippe Égalité), chef de la branche cadette et premier prince de sang, l’un des plus constants opposants au roi son cousin, ose qualifier d’illégale la procédure. D’où la réplique du roi. Et pour son insolence, le duc est envoyé en exil, dans son château de Villers-Cotterêts.

« Les abus tolérés et l’oubli des règles amènent le mépris des lois, et le mépris des lois prépare la chute des empires. »1254

Parlement de Rennes, décembre 1787. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

On retrouve Lavisse, l’« instituteur national » respecté et honoré sous la Troisième République, faisant équipe avec La Blache, professeur, historien et « père de la géographe française ». Remarquons au passage le nombre de co-auteurs dans ces Histoires au long cours.

Le Parlement prend ainsi la défense du duc d’Orléans contre le roi : l’enregistrement de l’édit fiscal n’est qu’un prétexte, la belle maxime politique purement formelle, cependant que la fronde devient systématique. C’est l’attitude adoptée par l’ensemble des magistrats et des Parlements de France.

Louis XVI, en désespoir de cause, va tenter avec Brienne une politique à la Maupeou : supprimer les Parlements. La réaction ne peut être que violente.

« Parlement à vendre
Ministres à pendre
Couronne à louer. »1255

Mots gravés sur les murs du Palais de justice, mai 1788. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Des meneurs crient au coup d’État. Des soulèvements éclatent partout en France, orchestrés par une campagne de cabales et de pamphlets. En Languedoc à Toulouse, en Bretagne à Rennes, on manifeste. En Dauphiné à Grenoble le 7 juin 1788, on se soulèvera pendant la « journée des Tuiles ».

« Le débat public a changé de face. Il ne s’agit plus que très secondairement du roi, du despotisme et de la Constitution ; c’est une guerre entre le tiers état et les deux autres ordres. »1263

Jacques François MALLET du PAN (1749-1800), Mémoires et correspondance, pour servir à l’histoire de la Révolution française (posthume, 1851)

Publiciste suisse, admirateur de la Constitution anglaise et partisan d’un despotisme éclairé, il juge fort bien de la situation en France, à l’aube de l’année 1789. Quand la Révolution sortira de la voie légale, il deviendra l’un des théoriciens de la contre-révolution.   

« Il a été permis de craindre que la Révolution, comme Saturne, dévorât successivement tous ses enfants. »1269

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793). Histoire des Girondins (1847), Alphonse de Lamartine

Lamartine est un cas historique très particulier. Poète romantique célèbre depuis ses Méditations (1820) admirées par Hugo et le critique Sainte-Beuve, il se lance dans la politique en 1830, passe à l’opposition sous  la Monarchie de Juillet et joue le tout premier rôle au début de la Deuxième République. C’est aussi un historien reconnu, souvent cité pour ses huit volumes consacrés aux Girondins, sous la Révolution.

Le destin de Vergniaud illustre parfaitement ses paroles : avocat (comme nombre de révolutionnaires), député sous la Législative, prenant parti contre les émigrés, contre les prêtres réfractaires, Vergniaud est ensuite considéré comme trop modéré, face à Robespierre et aux Montagnards. Il fait partie des Girondins guillotinés, fin octobre 1793. D’autres charrettes d’« enfants » de la Révolution suivront : les Enragés (hébertistes) trop enragés, les Indulgents (dantonistes) trop indulgents, les robespierristes enfin, trop terroristes.

« De la première page à la dernière, elle [la Révolution] n’a qu’un héros : le peuple. »1273

Jules MICHELET (1798-1874), Le Peuple (1846)

Fils d’un imprimeur ruiné par le régime de la presse sous le Consulat et l’Empire, Michelet connaît la misère dans sa jeunesse et en garde un profond amour du peuple. Écrivain engagé dans les luttes de son temps riche en révolutions d’un autre style, manifestant contre la misère des ouvriers, il composera dans l’enthousiasme son Histoire de la Révolution française : dix ans et sept volumes pour une œuvre inspirée, remarquablement documentée. Les plus belles pages de son œuvre maintes fois rééditée, ici mentionnée sous le terme générique d’« Histoire de France ».

« S’il est bon de faire des lois avec maturité, on ne fait bien la guerre qu’avec enthousiasme. »1287

DANTON (1759-1794). Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Philippe Joseph Benjamin Buchez (1796-1865) est de la même génération que Jules Michelet. Il a lui aussi « le cœur à gauche », mais il essaie vainement de mettre en pratique son socialisme chrétien. Député sous la Deuxième République, il renonce bientôt à la politique. L’historien a plus de succès, sous la Monarchie de Juillet, avec cette Histoire parlementaire de la Révolution française en 40 volumes, compilation de débats d’assemblée, d’articles de journaux, de motions de clubs, le tout entrecoupé de commentaires à travers lesquels il expose ses idées. Son collaborateur Pierre-Célestin Roux-Lavergne, même génération, professeur d’histoire, aura plus de chance en politique, avant d’entrer dans les ordres.

Orateur des heures tragiques, préoccupé de la Défense nationale du pays, Georges Jacques Danton sera aussi ministre de la Justice. Il incarne cette époque qui doit parer au plus pressé, mais sait aussi légiférer pour les générations à venir. Même aptitude remarquable, chez Napoléon Bonaparte.

« C’est à l’horloge de la France que vont […] sonner les premiers coups des nouveaux temps. »1288

Claude MANCERON (1923-1999), Les Hommes de la liberté, Le sang de la Bastille (1987)

Intellectuel de gauche, fasciné par cette période comme la plupart des historiens qui « entrent en Révolution », Manceron y consacre trente ans de sa vie, sans pouvoir achever son œuvre.

Alexis de Tocqueville dira en d’autres mots : « Les Français ont fait en 1789 le plus grand effort auquel se soit jamais livré aucun peuple, afin de couper pour ainsi dire en deux leur destinée, et de séparer par un abîme ce qu’ils avaient été jusque-là de ce qu’ils voulaient être désormais » (Avant-propos de L’Ancien Régime et la Révolution, 1866).

« Avec un tempérament de boucher, il a un cœur d’homme […] Avec les emportements d’un clubiste, il a la lucidité d’un politique. »1296

Hippolyte TAINE (1828-1893), Les Origines de la France contemporaine, tome III, La Révolution : la conquête jacobine (1881)

L’historien précise le portrait de Danton : « Il n’est pas dupe des phrases ronflantes qu’il débite, il sait ce que valent les coquins qu’il emploie ; il n’a d’illusion ni sur les hommes, ni sur les choses, ni sur autrui, ni sur lui-même. »

« Si de Rousseau vint Robespierre, « de Diderot jaillit Danton ». »1300

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-huitième siècle, Louis XV, citant Auguste COMTE (1798-1857)

Il montre l’influence des philosophes du siècle des Lumières sur les révolutionnaires. Elle est évidente, mais chacun a le sien. La richesse, la diversité, la complexité de Diderot, homme de tous les paradoxes, devaient naturellement plaire à Danton – et repousser l’intransigeant Robespierre.

« Il aurait payé pour qu’on lui offrît de l’or, pour pouvoir dire qu’il l’avait refusé. »1308

Pierre Louis ROEDERER (1754-1835). Œuvres du comte P. L. Roederer : histoire contemporaine, 1789-1815 (1854), Pierre Louis Roederer

Ce député aux États généraux de 1789 n’apprécie pas vraiment l’Incorruptible avec ses mœurs au-dessus de tout soupçon et cette vertu érigée en système, qu’il voudra imposer à tous.

« Il y a ceux qui voient en Robespierre un autre Lénine et ceux qui pensent à Jaurès en prononçant son nom ; et il y a ceux qui haïssent le monstre et ceux qui révèrent le martyr. »1312

Albert MATHIEZ (1874-1932). Études d’histoire révolutionnaire : Girondins et Montagnards (1930), Albert Mathiez

Cet historien français, par une étude objective, s’est attaché à la réhabilitation de Robespierre. Avant lui, Proudhon dénonçait déjà la propagande thermidorienne qui, après son élimination, l’a posé en dictateur sanguinaire : « D’infâmes scélérats l’ont couvert de leurs propres crimes, la calomnie en fait un monstre, un demi-siècle d’exécration pèse sur sa tombe. » Faut-il refaire le procès de Robespierre ? Aux historiens d’en juger, à chacun sa vérité. Laissons la parole aux faits, aux acteurs et aux témoins de cette Révolution.

« Voici deux cents ans, un millier d’hommes changeaient la face du monde. Ils n’en voulaient pas tant et c’est comme par défaut que les délégués de la France aux États généraux sont devenus, sans le vouloir, sans le savoir, les artisans du passage de la société d’Ancien Régime, celle de l’obéissance, à la société de la Liberté. »1313

Claude MANCERON (1923-1999), La Révolution française. Dictionnaire biographique (1989)

La dernière réunion des États généraux remontait au 27 octobre 1614, après la mort d’Henri IV et sous la régence de Marie de Médicis. Les rivalités entre clergé, noblesse et tiers condamnent les États à l’impuissance : ils se séparent le 23 février 1615, totalement discrédités. La monarchie de l’Ancien Régime se renforce ensuite avec Richelieu, devient absolue au siècle de Louis XIV. Le siècle des Lumières sape les fondements d’une royauté qui s’affaiblit avec Louis XV, et Louis XVI se voit contraint de réunir à nouveau les États généraux, ce qu’il redoute, sans prévoir à quel point la face du monde va en être changée.

« La convocation des États généraux de 1789 est l’ère véritable de la naissance du peuple. Elle appela le peuple entier à l’exercice de ses droits. »1314

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

Convoqués le 5 juillet 1788, les États généraux se réunissent pour la première fois le 5 mai 1789 : 1 139 représentants, dont 578 du tiers état, dans la salle des Menus-Plaisirs à Versailles.

« En politique, le nombre seul est respectable […] C’est pourquoi le tiers pose son droit comme incontestable et, à son tour, dit comme Louis XIV : « L’État, c’est moi ». »1318

Hippolyte TAINE (1828-1893), Les Origines de la France contemporaine, tome I, L’Ancien Régime (1875)

Le 17 juin, les députés du tiers état, constatant qu’ils représentent 97 % de la nation, décident de se proclamer « Assemblée nationale » – titre concis et précis, retenu après bien des débats, et qui passera à la postérité. L’idée de nation est toute neuve et belle, en ce printemps 1789.

Les députés de la noblesse et du clergé siégeaient séparément, dans deux autres salles. Mais quelques-uns, proches du peuple ou acquis aux idées nouvelles, ont choisi de se joindre aux députés du tiers, encouragés par cette attitude. Ils vont donc aller plus loin, se donnant rendez-vous dans la salle des Menus-Plaisirs, lieu officiel de réunion des États généraux. Mais l’entrée leur en est refusée.

« 14, rien. »1331

LOUIS XVI (1754-1793), note ces deux mots dans son carnet avant de se coucher, château de Versailles, le soir du 14 juillet 1789. Histoire des Français, volume XVII (1847), Simonde de Sismondi

L’histoire lui a reproché cette indifférence à l’événement. Il faut préciser à sa décharge que le fameux carnet consigne surtout ses tableaux de chasse.

Le roi a été prévenu de l’agitation à Paris, par une députation de l’Assemblée. Le 11 juillet, il a malencontreusement renvoyé Necker, ministre des Finances jugé trop libéral, l’homme le plus populaire du royaume, et il le rappellera le 16. En attendant, le mal est fait : manifestations le 12 juillet, municipalité insurrectionnelle à l’Hôtel de Ville, milice et foule armées le 13 (avec 28 000 fusils et 20 canons pris aux Invalides). À la Bastille, on est allé chercher la poudre et les munitions.

La forteresse est avant tout le symbole historique de l’absolutisme royal : la révolution parlementaire est devenue soudain populaire, et parisienne, en ce 14 juillet 1789.

Contrairement à ce que l’on croit trop souvent, ce jour n’est pas l’origine de notre fête nationale. Il faut attendre l’année suivante, la Fête de la Fédération.

« Mais c’est une révolte ?
— Non, Sire, c’est une révolution ! »1333

Réponse du duc de la ROCHEFOUCAULT-LIANCOURT (1747-1827), à Louis XVI (1754-1793), réveillé le soir du 14 juillet, à Versailles. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Le grand maître de la garde-robe s’est permis de se manifester dans la nuit, pour informer le roi que la Bastille est prise et le gouverneur assassiné. Mieux que son maître, il a compris l’importance symbolique du fait. Et ce bref dialogue résume bien la situation.

« Messieurs, qu’est-ce que nous avons fait ? »1340

Armand de GONTAUT, duc de Biron (1747-1793), 5 août 1789. Histoire et dictionnaire de la Révolution française, 1789-1799 (1998), Jean Tulard, Jean-François Fayard, Alfred Fierro

Cri du cœur d’un aristocrate apostrophant à l’aube ses pairs, après la fameuse nuit du 4 août à l’Assemblée – militaire égaré en politique, il sera emporté par la tourmente révolutionnaire, victime de son humour.

Jacques Bainville décrit la scène dans son Histoire de France : « Dans une sorte de vertige, ce fut à qui proposerait d’immoler un privilège. Après les droits seigneuriaux, la dîme, qui avait cependant pour contrepartie les charges de l’assistance publique. »

« L’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. »1343

Décret du 11 août 1789. La Révolution française et le régime féodal (1919), François-Alphonse Aulard

Le texte final du décret est d’Adrien Jean-François du Port, l’un des premiers députés de la noblesse à s’être rallié au tiers (le 25 juin).

Suite et fin du grand élan né la nuit du 4 août. Selon François Furet, « le trait le plus important des décisions votées dans cette fameuse semaine d’août 1789 est leur caractère durable. La Révolution française a créé beaucoup d’institutions provisoires et légiféré souvent pour le court terme ; mais les décrets du 4 et du 11 août sont parmi les textes fondateurs de la France moderne. Ils détruisent de fond en comble la société aristocratique, et sa structure de dépendances et de privilèges » (Dictionnaire critique de la Révolution française).

Moins spectaculaire, c’est plus essentiel et surtout plus révolutionnaire que la destruction de la Bastille.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »1344

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 1er

Petit chef d’œuvre historique et juridique, texte fondamental voté par la Constituante, première des trois Assemblées révolutionnaires. Cette Déclaration servira de Préambule à la première Constitution adoptée en 1791, mais restera une référence pour nos institutions et pour les Constitutions de 1852, 1946 et 1958.  

L’article énonce la liberté et l’égalité en termes généraux. Les définitions sont complétées par les articles 4 – « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » – et 6 – « La loi […] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. »

La Déclaration énonce d’abord les « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme : liberté, égalité devant la loi, propriété. Elle ajoute ceux de la nation : séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ; souveraineté nationale.

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. »1345

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 3

Formule lapidaire. La souveraineté sera par ailleurs qualifiée de « une, indivisible, inaliénable et imprescriptible » dans la Constitution de 1791, à laquelle la Déclaration sert de base.

« La Déclaration des droits de l’homme apprit au monde entier que la Révolution française était faite pour lui. »1347

Jules SIMON (1814-1896), La Liberté (1859)

Par son exigence de rationalité et d’universalité, la Déclaration française dépasse les précédentes déclarations anglaise et américaine, même si elle s’inspire de la Déclaration d’Indépendance de 1776. Elle porte surtout la marque d’une bourgeoisie libérale nourrie de la philosophie des Lumières. Deux autres Déclarations suivront, en 1793 et 1795.

Au XXIe siècle, le monde a perdu beaucoup de ses repères et de ses utopies, les Français sont souvent critiques et critiqués, mais la France reste dans la mémoire collective « la patrie des droits de l’homme ».

« Pour faire sentir toute l’absurdité de ce décret, il suffit de dire que Jean-Jacques Rousseau, Corneille et Gabriel de Mably [le philosophe] n’auraient pas été éligibles. »1350

Camille DESMOULINS (1760-1794). Histoire socialiste, 1789-1900, Volume 1, La Constituante (1908), Jean Jaurès

Le socialiste Jean Jaurès, grand homme politique de la Troisième République qui dirige cette Histoire en 13 volumes, va rédiger lui-même les quatre premiers, traitant de la Révolution française.

Le journaliste révolutionnaire Camille Desmoulins, qui n’a pas réussi à être élu député, s’élève contre le système censitaire instauré le 29 septembre 1789. Un tel mode d’élection aurait même exclu Jésus-Christ, selon lui !

Sont citoyens actifs (électeurs) ceux qui paient un impôt direct égal à trois journées de travail ; éligibles, dix journées de travail. Exclus d’office : les juifs, les valets, les banqueroutiers et les débiteurs insolvables.

« Nous ne manquerons plus de pain ! Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. »1356

Cri et chant de victoire des femmes du peuple ramenant le roi, la reine et le dauphin, sur le chemin de Versailles à Paris, 6 octobre 1789. Histoire de la Révolution française (1847), Louis Blanc

Chez Louis Blanc, l’homme politique l’emporte incontestablement sur l’historien et gauchit logiquement toute son œuvre. 

Épilogue des deux journées révolutionnaires, 5 et 6 octobre. Les 6 000 à 7 000 femmes venues la veille de Paris crient aujourd’hui victoire, puisque le roi a promis le pain aux Parisiens. Le roi, en tant que « Père du peuple », doit assurer la subsistance, et le pain tient une grande part dans le budget des petites gens, d’où l’expression : boulanger, boulangère, petit mitron.

« Tant que les femmes ne s’en mêlent pas, il n’y a pas de véritable révolution », écrit Choderlos de Laclos en 1783, dans L’Éducation des femmes. Cela dit, la très symbolique marche des femmes fut encadrée au départ par des meneurs qui ont participé à la prise de la Bastille, trois mois plus tôt. On a vu des hommes armés de piques et de fourches, et certains travestis en femmes, trahis par leur voix.

Le soir, à 20 heures, le maire de Paris accueille le carrosse royal sous les vivats et les bravos du peuple. Quand Louis XVI peut enfin s’installer aux Tuileries, il n’imagine pas qu’il est désormais prisonnier du peuple parisien. Mais d’autres sont plus lucides.

« Du temps de la Fronde, Paris n’est encore que la plus grande ville de France. En 1789, il est déjà la France même. »1358

Alexis de TCOQUEVILLE (1805-1859), L’Ancien Régime et la Révolution (1856)

La prise de la Bastille avait replacé d’un seul coup la capitale à la tête de la France et redonné au peuple parisien un grand premier rôle dans le psychodrame révolutionnaire. L’Assemblée constituante, qui a quitté Versailles et suivi la famille royale, siège à partir du 19 octobre à la salle du Manège, près du palais des Tuileries. Le peuple de Paris remplit les tribunes de l’Assemblée, perturbe les séances, intervient dans les débats, allant même jusqu’à empêcher le vote de telle ou telle motion.

« Je ne serai jamais la dénonciatrice de mes sujets : j’ai tout vu, tout su, tout oublié ! »1359

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793). Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Telle est l’attitude, très digne, de la reine, alors qu’on tente de faire la lumière sur les désordres, au cours des deux journées d’octobre. Une procédure est instruite contre les fauteurs de l’insurrection par le Châtelet (tribunal de justice et également prison). Elle inculpe le duc d’Orléans (cousin du roi, premier prince du sang aux ambitions royales, futur Philippe Égalité) et son secrétaire Choderlos de Laclos (qui a envoyé sa maîtresse dans le cortège des femmes marchant sur Versailles). Les deux hommes s’enfuient à Londres et ne reviendront en France que lors de la Fédération, en juillet 1790. Mirabeau, très lié avec la « faction Orléans », a certainement joué un rôle dans ces événements.

« Repassez quand je serai ministre ! »1360

MIRABEAU (1749-1791), à ses créanciers. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1920), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

On retrouve Lavisse, « l’instituteur national » vénéré par la Troisième République, faisant équipe avec Sagnac, professeur d’histoire contemporaine et spécialiste de la Révolution - la période qui fascine le plus les professionnels comme les amateurs d’histoire.

Cet homme toujours couvert de femmes et de dettes, aussi intelligent qu’ambitieux, intrigue pour supplanter Necker et se voit déjà chef modérateur d’une Révolution qu’il faut savoir finir – grand dessein d’un certain nombre de révolutionnaires successifs.

La première note secrète de Mirabeau à Louis XVI est datée du 15 octobre 1789. Il ne sera véritablement « acheté » qu’en mai 1790.

« Il ne se fait payer que dans le sens de ses convictions. »1363

LA FAYETTE (1757-1834) parlant de Mirabeau qui offre ses services au roi et à la reine, en mars 1790. Encyclopédie Larousse, article « Mirabeau (Honoré Gabriel Riqueti, comte de) »

« Mirabeau est vendu », disent ses adversaires. La Fayette est plus fair-play : la vénalité de Mirabeau ne se discute même pas, mais il s’en tient toujours à ses idées.

Mirabeau tente de faire prendre à la Révolution un tournant à droite, et manœuvre en secret pour sauver la monarchie. Il va donc offrir ses services au roi et à la reine – ou plus exactement, les vendre très cher, l’homme étant toujours couvert de dettes. Ses intrigues contrarient le jeu et les ambitions personnelles de La Fayette, qui l’a eu un temps comme allié.

« Ici commence le pays de la Liberté ! »1366

Inscription sur un drapeau français, planté sur le pont de Kehl à Strasbourg, 13 juin 1790. La France de l’Est (1917), Paul Vidal de La Blache

Le 13 juin 1790, des représentants d’Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté, réunis (presque) spontanément en Fédération à Strasbourg, plantent sur le pont de Kehl un drapeau français, tricolore et symbolique, avec ces mots. Ils manifestent ainsi l’adhésion de l’Alsace à la communauté nationale française. Par là même, ils soutiennent les acquis de 1789, les lois votées par la Constituante, et les frontières nationales. Les conséquences vont être immenses – une suite de guerres étalées sur vingt-trois ans.

L’Alsace est et sera toujours un cas très particulier dans l’histoire. Sa réunion à la France date de 1648 (traité de Westphalie mettant fin à la guerre de Trente Ans). La France respecte les franchises incluses dans le traité, la langue alsacienne et la liberté religieuse. Mais certains princes allemands ont conservé des fiefs enclavés, où s’applique toujours le droit du Saint Empire romain germanique. La République voudra bientôt établir l’unité du territoire national, contre les « princes possessionnés », mais déjà le peuple alsacien opte pour le « pays de la Liberté ». L’Alsace fournira de grands officiers à la France révolutionnaire (Kléber, Kellermann), et son hymne national, La Marseillaise, chantée pour la première fois par Rouget de l’Isle à l’Hôtel de Ville de Strasbourg.

« Moi, roi des Français, je jure […] de maintenir la Constitution. »1369

LOUIS XVI (1754-1793), Fête de la Fédération sur le Champ de Mars, 14 juillet 1790. Histoire de France depuis 1789 jusqu’à nos jours (1878), Henri Martin

Historien plus besogneux que talentueux, politicien modeste et Académicien à l’usure, Henri Martin cède à la vogue historienne qui caractérise tout le XIXe siècle. Cet ambitieux projet l’emporte sur le reste de sa bibliographie.

Le jour anniversaire de la prise de la Bastille, toutes les provinces sont représentées à Paris par les délégations des gardes nationales, venues de la France entière : c’est la Fête de la Fédération. Une messe est célébrée par l’évêque d’Autun, Talleyrand, qui a répété la scène, d’autant plus qu’il ne célèbre pas souvent. Heure solennelle, devant 300 000 personnes, alors qu’il murmure à l’abbé Louis (ou à La Fayette, selon les sources) : « Pitié, ne me faites pas rire ! » Mot apocryphe, selon Chateaubriand.

Quoi qu’il en soit de ces coulisses et des intentions réelles du roi, le pays peut encore rêver à une monarchie constitutionnelle. Sitôt qu’il paraît et qu’il parle, il semble que le pacte millénaire entre les Français et le Capétien se renoue. Tous ces provinciaux qui voient Louis XVI pour la première fois oublient ce qu’on a pu dire du « tyran ». Le peuple est le plus sincère de tous les participants à ce grand spectacle, criant spontanément : « Vive le roi, vive la reine, vive le dauphin ! »

« C’est une conjuration pour l’unité de la France. Ces fédérations de province regardent toutes vers le centre, toutes invoquent l’Assemblée nationale, se rattachent à elle, c’est-à-dire à l’unité. Toutes remercient Paris de son appel fraternel. »1370

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

L’historien de la Révolution voit en cette fête du 14 juillet 1790 le point culminant de l’époque, son génie même. C’est le jour de tous les espoirs. Et le peuple chante la plus gaie des carmagnoles.

« J’ai juré de mourir libre, la liberté est perdue, je meurs. »1393

PROVANT (??-1791), après le massacre du Champ de Mars, 17 juillet 1791. Histoire de la Révolution française (1847-1853), Jules Michelet

Garde national du bataillon de Saint-Nicolas, il écrit ces mots et se brûle la cervelle, juste après le drame.

Paris est en ébullition, entre les pétitions à signer pour décider du sort du roi, et l’anniversaire de la Fête de la Fédération à célébrer. Le drapeau rouge de la loi martiale est déployé sur ordre du général La Fayette, commandant de la garde nationale. La confusion devient totale. Un coup de feu part d’on ne sait où, et La Fayette fait tirer sur la foule.

En fait, il y aura 15 morts (50, selon d’autres sources). Ce n’est pas considérable. Et pour éviter le pire, voyant des officiers prêts à employer l’artillerie, La Fayette a poussé son cheval face à la gueule des canons, un geste qu’il faut porter à son crédit.

Malgré tout, le choc est immense : pour la première fois, la milice bourgeoise a fait feu contre le peuple. Du jour au lendemain, La Fayette le héros est détesté. Le drapeau rouge fait son entrée dans l’histoire de France – mais il aura une signification opposée, quand il sera déployé par les révolutionnaires contre l’ordre établi. Et le fossé se creuse entre les députés constitutionnels modérés et les autres, de plus en plus présents.

« Le Royaume est un et indivisible. »1396

Constitution de septembre 1791, article 1er

La Constitution, votée le 3 septembre, crée une monarchie constitutionnelle. Dans un an presque jour pour jour, la formule sera reprise pour la République : une et indivisible.

Le 14 septembre, Louis XVI doit prêter serment d’être fidèle à la nation et de maintenir la Constitution : roi de France de droit divin, il est devenu roi héréditaire des Français. Il joue le rôle de chef de l’exécutif, il gouvernera avec six ministres, responsables devant l’assemblée dite Législative, élue pour deux ans au suffrage censitaire (par une minorité de bourgeois et de propriétaires terriens).

« Le terme de la Révolution est arrivé », dit le roi. Une phrase souvent prononcée, un vœu qui n’est pas près d’être exaucé !

« Les Jacobins ne sont pas la Révolution, mais l’œil de la Révolution, l’œil pour surveiller, la voix pour accuser, le bras pour frapper. »1401

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

Les Jacobins deviennent l’aile gauche de la nouvelle assemblée. Rappelons l’importance du club des Jacobins, société révolutionnaire créée en octobre 1789 (sous le nom de Société des amis de la Constitution). De tendance d’abord modérée (avec Barnave, du Port, La Fayette, de Lameth, Mirabeau, Sieyès, Talleyrand, Brissot, et Robespierre « première manière »), le club se scinde après la fuite du roi à Varennes et l’affaire du Champ de Mars. Il prend le nom de Société des amis de la Liberté et de l’Égalité, les républicains y restent, et les modérés partent créer le club des Feuillants.

Les clubs sont le siège d’une vie politique intense – d’autant plus qu’aucun député de la Constituante ne pouvait être élu à la nouvelle assemblée. Tous les grands orateurs et tous les meneurs se retrouvent aux Jacobins, aux Feuillants, aux Cordeliers, alors que la Législative réunit des hommes nouveaux et sans expérience.

« Tout condamné à mort aura la tête tranchée. »1402

Loi du 6 octobre 1791. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1862), Assemblée nationale

Source précieuse, pour tout historien consciencieux. Texte clair et net, tranchant comme une lame. C’est l’une des premières mesures votées par les 745 députés.

Dès le 1er octobre 1789, le député Guillotin demandait l’abolition des peines infamantes et proposait, le 20 janvier 1790, que la peine capitale soit la décapitation égalitaire pour tous, par le moyen d’un mécanisme simple qu’on met à l’étude. Motion ajournée, puis reprise.

La loi de 1791 marque un progrès de la justice. Sous l’Ancien Régime, le noble était décapité, le voleur de grand chemin roué de coups en place publique, le régicide et le criminel d’État écartelés, le faux-monnayeur bouilli vif dans un chaudron, l’hérétique brûlé sur un bûcher, le domestique voleur de son maître pendu. La Révolution créée l’unification des peines, qui est une forme d’égalité. La guillotine pourra bientôt fonctionner.

« 100 000 Français chassés à la fin du XVIIe siècle, 120 000 Français chassés à la fin du XVIIIe siècle, voilà comment la démocratie intolérante achève l’œuvre de la monarchie intolérante. »1409

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

Il compare les deux émigrations qui ont marqué l’histoire de la France moderne : lors de la révocation de l’édit de Nantes de Louis XIV contre les protestants, et après les mesures révolutionnaires contre les émigrés. Ses chiffres sont même inférieurs à la réalité.

La première grande loi est votée par la Législative, le 8 avril 1792 : confiscation (en attendant la vente) des biens de tous ceux qui étaient absents de France depuis le 1er juillet 1789 et qui ne seraient pas de retour sous un mois. Premier émigré célèbre, le comte d’Artois, le 17 juillet 1789.

L’émigration va s’amplifier à la fin de l’année 1792 et changer de nature : plus seulement les aristocrates, mais toutes les classes de la société.

La liste des émigrés (close par Bonaparte en 1800) comportera 145 000 noms. Celle, plus fiable, de Ronald Greer (étude de Harvard, en 1951) donne 150-160 000 noms. Le tiers état représente 51 %, les privilégiés 42 % (reste 7 % de non identifiés).

« La patrie est en danger. »1418

Législative, Proclamation par décret du 11 juillet 1792. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1920), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Depuis la déclaration de guerre à l’Autriche en avril, les défaites se succèdent aux frontières de l’Est.

L’armée de 80 000 hommes est insuffisante, et mal dirigée par des officiers surnommés les « vaincre ou courir », face aux Prussiens commandés par Brunswick et aux émigrés français emmenés par Condé, cependant que la menace d’un complot aristocratique plane sur la France. Chacun se prépare à l’invasion étrangère et l’on soupçonne le roi d’être de connivence avec l’empereur d’Allemagne François II, neveu de Marie-Antoinette.

Votée le 12 juillet, une loi appelle aux armes 50 000 soldats et 46 bataillons de volontaires, soit 33 600 hommes.

« La royauté est abolie en France. »1439

Convention, Décret du 21 septembre 1792. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1900), Assemblée nationale

Fin de la monarchie millénaire, votée à l’unanimité des 749 députés.

Dans la nouvelle assemblée, la disposition des députés a une signification qui n’est pas que formelle. Les Girondins prennent place à droite, alors qu’ils étaient à gauche à la Législative, et les Montagnards à gauche – ils siégeaient sur les bancs les plus élevés (la Montagne) dans la précédente assemblée. Il existe une extrême gauche minoritaire, et une masse de centristes qui forment la Plaine (ou Marais) et se rallieront à la Montagne. Mais la Convention est majoritairement girondine – jusqu’au 2 juin 1793.

« Nous ne pouvons plus compter les années où les rois nous opprimaient comme un temps où nous avons vécu. »1440

FABRE d’ÉGLANTINE (1750-1794), défendant l’idée du calendrier révolutionnaire. Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf

1 122 pages, 24 auteurs, 99 articles en forme de courts essais, ce Dictionnaire critique est une vaste entreprise collective dirigée par deux historiens très contemporains. François Furet, ex marxiste qui n’est plus d’aucune école, « relit » la Révolution en toute liberté, comme un épisode révolu du roman national. L’attitude fait polémique, surtout à gauche où ce repère fait toujours référence ! Mais le public (sans préjugé) adhère au nouveau parti pris. Ce sera un best-seller quand on fêtera le Bicentenaire de la Révolution et nous citerons souvent cette source, dans l’Histoire en citations.

Le 22 septembre 1792 devient le premier jour de l’an I de la République. C’est l’équinoxe d’automne, heureux présage : « L’égalité des jours et des nuits était marquée dans le ciel [le même jour où] l’égalité civile et morale était proclamée par les représentants du peuple », note Gilbert Romme, député montagnard.

Fait curieux, rien n’est daté de l’an I, tout commence en l’an II, le 5 octobre 1793 (14 vendémiaire an II), quand le calendrier révolutionnaire est adopté par la Convention. Il tombe en désuétude après la Révolution et Napoléon Ier y met fin, le 9 septembre 1805.

« La nature elle-même, dans la langue charmante de ses fruits, de ses fleurs, dans les bienfaisantes révélations de ses dons maternels, nomme les phases de l’année. »1441

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

Le calendrier agricole de Fabre d’Églantine, député montagnard (et auteur de la romance «  Il pleut, il pleut bergère ») l’emporte sur d’autres propositions. Première victoire d’une écologie qui ne dit pas encore son nom et qui inspire le lyrisme bucolique de notre historien le plus romantique.
Fabre d’Églantine est d’ailleurs l’auteur d’une Étude de la nature (1783) dédiée à Buffon, savant naturaliste, biologiste, et créateur du Jardin des Plantes à Paris.

Vendémiaire, brumaire, frimaire renvoient aux vendanges, aux brumes, aux frimas de l’automne. Nivôse, pluviôse et ventôse évoquent neiges, pluies et vents d’hiver. Les mois du printemps leur succèdent, germinal, floréal, prairial, associés à germination, floraison et prairies. Enfin, l’été de messidor, thermidor et fructidor, qui rappellent moissons, chaleur et fruits.

« La République française est une et indivisible. »1442

Convention, Déclaration du 25 septembre 1792. Constitution de la République française (1799), Imprimerie nationale

À l’instigation des Montagnards, la nouvelle formule remplace celle du « royaume un et indivisible » qui aura vécu un an, le temps de la brève Législative. Cette Première République ne vivra que cinq ans, mais l’idée-force s’inscrit dans toutes les Constitutions à venir.

« La Convention nationale déclare au nom de la nation française qu’elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté. »1451

Convention, Décret du 19 novembre 1792. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1899), Assemblée nationale

Les archives parlementaires, tout comme l’Imprimerie nationales ou (plus récemment) le site de l’Assemblée nationale, valent naturellement sources pour les historiens.

Quant à ce décret, il s’inscrit dans la logique du discours de Danton, en date du 28 septembre.

Cette promesse solennelle va pousser la France à se lancer dans une suite de guerres que les historiens se demandent encore comment justifier : annexion au nom de la théorie des frontières naturelles, création d’un glacis de républiques sœurs, ou véritable croisade pour la liberté ?

Il faut se replacer en cette fin d’année 1792 : les révolutionnaires vivent dans la peur de l’agression, car ils ont lancé un formidable défi à l’ordre ancien de l’Europe. Quant aux peuples désireux de recouvrer leur liberté, nos révolutionnaires français s’illusionnent : sociétés de paysans au degré d’alphabétisation très bas, elles ne sont pas touchées par des idéaux que les rois et les empereurs n’ont nul intérêt à diffuser. Reste la minorité de lettrés, et la force des idées révolutionnaires.

« Louis XVI hors de Versailles, hors du trône, seul et sans cour, dépouillé de tout l’appareil de la royauté, se croyait roi malgré tout, malgré le jugement de Dieu, malgré sa chute méritée, malgré ses fautes […] C’est là ce qu’on voulut tuer. C’est cette pensée impie. »1466

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

L’historien dit clairement le paradoxe de cette tragédie à la fois personnelle et nationale.

Louis XVI, profondément croyant, reste en son âme et conscience « roi de droit divin » et non pas roi des Français dans une monarchie constitutionnelle. La France profonde, paysanne et provinciale, très catholique, partage cette « pensée impie », d’où le traumatisme causé par ce procès public à l’issue passionnément attendue.

« Fils de Saint Louis, montez au ciel. »1478

Abbé EDGEWORTH de FIRMONT (1745-1807), confesseur de Louis XVI, au roi montant à l’échafaud, 21 janvier 1793. Collection des mémoires relatifs à la Révolution française (1822), Saint-Albin Berville, François Barrière

Le mot est rapporté par les nombreux journaux du temps. La piété de Louis XVI est notoire et en cela, il est fils de Saint Louis. C’est aussi le dernier roi de France appartenant à la dynastie des Capétiens, d’où le nom de Louis Capet sous lequel il fut accusé et jugé.

« Le jour où la France coupa la tête de son roi, elle commit un suicide. »1483

Ernest RENAN (1823-1892), La Réforme intellectuelle et morale de la France (1871)

Historien chrétien, il fait référence au lien charnel qui existe entre le pays et le roi, allant jusqu’à l’identification à la fin du Moyen Âge, sous Louis XI qui affirme : « Je suis France ». Plus contemporain, on pense aussi au mot de Mauriac à propos du général de Gaulle, en 1940 : « Un fou a dit, moi la France, et personne n’a ri parce que c’était vrai. »

Cette réflexion de Renan intervient au lendemain de la défaite face à l’Allemagne, quand la France amputée, désemparée, n’est pas encore acquise à la République. Peinant à faire son deuil d’un régime monarchique constitutionnel, il parle donc à ses contemporains - cela vaut pour la plupart des auteurs, historiens et philosophes. Il incrimine la Révolution, son culte de la « table rase » et de l’homme nouveau, et regrette cette irrémédiable rupture dans la continuité historique, dont la mort du roi fut le symbole.

« Le supplice que j’ai inventé est si doux qu’il n’y a vraiment que l’idée de la mort qui puisse le rendre désagréable. Aussi, si l’on ne s’attendait pas à mourir, on croirait n’avoir senti sur le cou qu’une légère et agréable fraîcheur. »1510

Joseph Ignace GUILLOTIN (1738-1814). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Il parlait en poète, de la mécanique qu’en médecin et philanthrope il a fait adopter. Un décret du 13 juin 1793 installe dans chaque département un « appareil de justice ». Mais la guillotine est déjà très active à Paris, depuis le début de cette année.

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »1514

Constitution du 24 juin 1793, article 35

C’est la Constitution de l’an I, jamais appliquée du fait de la Terreur bientôt décrétée, qui instaure un régime révolutionnaire. Constitution mémorable à divers titres, approuvée par référendum au suffrage universel, très démocratique et décentralisatrice, proclamant de nouveaux droits économiques et sociaux (dont l’instruction), consacrant la souveraineté populaire, le recours au référendum… et le droit à l’insurrection, considéré comme un devoir.

Cet article est en tout cas inapplicable : « Le droit à l’insurrection, incontestable en théorie, est en fait dépourvu d’efficacité. La loi constitutionnelle d’un pays ne peut le reconnaître sans jeter dans ce pays un ferment d’anarchie. C’est ce qui faisait dire à Boissy d’Anglas que la Constitution de 1793 avait organisé l’anarchie » (Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel).

« Le nouveau système de poids et mesures, fondé sur la mesure du méridien de la Terre et la division décimale, servira uniformément dans toute la République. »1525

Décret du 1er août 1793 à la Convention. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1906), Assemblée nationale

Après le décret génocidaire, même jour, même lieu, les mêmes hommes votent ce texte qui établit l’uniformité et le système général des poids et mesures.

Malgré les guerres civiles et extérieures qui mettent véritablement la patrie en danger, malgré la crise des subsistances, les émeutes et les insurrections répétées, malgré la révolte fédéraliste des départements contre les Montagnards proscripteurs des Girondins (en prison), envers et contre tout, les députés font du bon travail à l’Assemblée.

Le mètre devient l’unité de longueur, le système métrique est utilisé pour mesurer les superficies (are), les capacités (décimètre cube ou litre), les poids (gramme) et même la monnaie (le franc pèse 5 grammes). Le système va s’étendre à l’Europe.

« Après avoir longtemps marché sur des ruines, il faut élever le grand édifice de la législation civile. »1526

CAMBACÉRÈS (1753-1824), rapport fait à la Convention nationale sur le premier projet de Code civil, 21 août 1793. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1906), Assemblée nationale

Juriste sous l’Ancien Régime, nourri de la philosophie des Lumières, Jean-Jacques Régis de Cambacérès parle au nom du Comité de législation – une vingtaine de comités et sous-comités se répartissent le travail par secteurs (finances, instruction publique, marine, guerre, etc.) et préparent les textes pour l’Assemblée. C’est l’équivalent de nos commissions sous la Cinquième République.

Cambacérès présente son rapport le 9 août, puis décrit cet « édifice simple dans sa structure, majestueux dans ses proportions, grand par sa simplicité même, et d’autant plus solide que n’étant point bâti sur le sable mouvant des systèmes, il s’élèvera sur la terre ferme des lois de la nature, et sur le sol vierge de la République ».

Mis en chantier trois ans plus tôt par la Constituante, le projet sera trois fois rejeté : trop long et pas assez révolutionnaire, puis trop court, victime des courants politiques contraires… C’est quand même une étape importante dans l’histoire du droit.

« Rien au monde ne fait plus d’honneur aux Français que d’avoir été capables de se donner froidement, impassiblement leur Code civil au milieu du délire de 1793. »1527

Edgar QUINET (1803-1875), La Révolution (1865)

Onze ans plus tard, c’est le Code Napoléon, et Cambacérès est toujours là, président du Sénat et du Conseil d’État, bientôt archichancelier de l’Empire. « La France [qui] a été gouvernée par des coutumes, souvent par des caprices, et jamais par des lois » (selon Mme de Staël) réalise en quelques années le vieux rêve d’unification juridique de la monarchie.

« Dès ce moment jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, tous les Français sont en état de réquisition permanente pour le service des armées. »1528

Décret sur la levée en masse, Convention, 23 août 1793. Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, de 1788 à 1830 (1834), Jean-Baptiste Duvergier

Suite au rapport de Barère de Vieuzac et au nom du salut public, l’Assemblée vote le décret de levée en masse et de guerre totale. Au volontariat de 1792 succède le service obligatoire, rendu inévitable par les guerres de la première coalition, et le recul de nos armées.

Le texte du décret est aussi éloquent qu’un discours : « Les jeunes gens iront au combat ; les hommes mariés forgeront les armes et transporteront les subsistances ; les femmes feront des tentes, des habits, et serviront dans les hôpitaux ; les enfants mettront le vieux linge en charpie ; les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l’unité de la République. »

Les soldats de l’an II atteindront presque le million.

« Guerre aux tyrans ! Guerre aux aristocrates ! Guerre aux accapareurs ! »1531

Mots d’ordre des sections populaires des sans-culottes, 5 septembre 1793. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Un long cortège d’émeutiers, précédé de Pache et de Chaumette, encadré par les Hébertistes et les Enragés, s’ébranle de l’Hôtel de Ville à la Convention. Les sans-culottes n’ont pas besoin, comme au 2 juin, de violence pour faire plier l’Assemblée qui cédera à la plupart de leurs revendications économiques, mais pas à la destitution des nobles.

« La Terreur est à l’ordre du jour. »1532

Convention, Décret du 5 septembre 1793. Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire en l’An II, 1793-1794 (1973), Albert Soboul

La pression populaire est impressionnante. Une députation du club des Jacobins soutient les sans-culottes à l’Assemblée. Pour éviter d’être débordée, la Convention cède en se plaçant sur le plan du droit. Une Première Terreur (six semaines) avait succédé au 10 août 1792. Cette fois, elle va prendre une autre ampleur, et mériter bientôt le nom de Grande Terreur.

« Nous aurons le temps d’être humains lorsque nous serons vainqueurs. »1537

Marie Jean HÉRAULT de SÉCHELLES (1759-1794), Circulaire du Comité de salut public. « À Carrier », 29 septembre 1793. Histoire de la Révolution française (1853), Jules Michelet

Jean-Baptiste Carrier, envoyé en mission en Normandie et en Bretagne, y fait régner la terreur de façon exemplaire. C’est l’un des plus sinistres personnages de l’histoire de France. Et dans cette circulaire, c’est la ville de Nantes qui est visée, avec ses habitants.

Jeune avocat sous l’Ancien Régime et très apprécié de Marie-Antoinette, député Montagnard, rédacteur de la nouvelle Constitution et de la nouvelle Déclaration des droits de l’homme (datées de 1793), président de la Convention le jour où elle abandonna les Girondins à la proscription (2 juin),

Robespierre ne lui laissera pas le temps de redevenir humain. Il comparaîtra devant le Tribunal révolutionnaire avec Danton et ses amis, et sera guillotiné comme eux, en avril 1794.

« Ils peuvent être mes bourreaux, mais ils ne seront jamais mes juges. »1539

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), apprenant qu’elle va être jugée par le Tribunal révolutionnaire, début octobre 1793. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

La reine déchue est à présent sans illusion, prisonnière à la Conciergerie, dite l’antichambre de la mort.

Deux chefs d’accusation sont retenus contre elle : manœuvres en faveur des ennemis extérieurs de la République et complot pour allumer la guerre civile. Mais le dossier est vide et le tribunal veut respecter au moins les apparences. D’où l’idée d’interroger son fils, 8 ans, pour lui faire reconnaître des relations incestueuses avec sa mère. Pache (maire de Paris), Chaumette (procureur) et Hébert (substitut de la Commune) s’en chargent.

Le mot de Marie-Antoinette prendra tout son sens, quand elle subira une vraie torture morale, durant les deux jours de son procès public (14 et 15 octobre).

« Tout homme portant un nom emprunté aux tyrans et à la féodalité, tel que Roi, Lempereur, Lecomte, Baron, Chevalier, ou même un nom modéré, tel que Bon, Ledoux, Gentil, doit le quitter immédiatement, s’il ne veut pas passer pour suspect. »1545

Arrêté municipal (1793). Histoire des Français des divers états (1844), cité par Alexis Monteil

Après deux siècles dont la France peut être fière, le siècle de la raison (le XVIIe avec Descartes) et celui des Lumières (les philosophes du XVIIIe), il est difficile d’imaginer qu’un texte administratif de cette nature ait pu être pensé, écrit, appliqué. Et pourtant…

À qui lui demandait bien plus tard ce qu’il avait fait sous la Terreur :
« J’ai vécu. »1546

Abbé SIEYÈS (1748-1836). Encyclopédie Larousse, article « Emmanuel Joseph Sieyès »

La vie ne tenait qu’à un fil – hasard ou destin. Sieyès, âgé, s’en souvient encore, sous la Monarchie de Juillet. Homme de premier plan à la Constituante, rédacteur du serment du Jeu de paume et de la Constitution, monarchiste constitutionnel qui vota cependant la mort du roi en janvier 1793, l’abbé Sieyès se fait oublier, quand la Convention devient montagnarde, effrayé du tour pris par les événements. Robespierre le déteste et l’appelle « la taupe de la révolution ». Pendant la Terreur, la taupe se terre dans son trou, et survit. On retrouvera l’abbé Sieyès très actif, sous le Directoire, le Consulat, l’Empire.

« Abolissons l’or et l’argent, traînons dans la boue ces dieux de la monarchie, si nous voulons faire adorer les dieux de la République, et établir le culte des vertus austères de la liberté. »1548

Joseph FOUCHÉ (1759-1820). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Selon d’autres sources : « Avilissons l’or et l’argent… » En tout cas, il a bien retenu la leçon des nouveaux maîtres de la France, Robespierre et Saint-Just.

Toujours très actif contre le culte établi, Fouché vient de rafler d’autorité les métaux de la Nièvre arrachés aux églises. Il écrit ces mots à la Convention, affectant un superbe dédain pour la richesse. La Convention recevra ces trésors le 7 novembre 1793. Le zèle des patriotes locaux impose un peu partout l’échange des métaux contre les assignats. Un emprunt forcé du 3 septembre (sur les « riches égoïstes ») n’a pas suffi à assainir les finances d’une Révolution à qui la guerre coûte très cher.

La sincérité de la profession de foi de Fouché est plus que douteuse. Selon la rumeur, une partie des trésors ainsi réquisitionnés fut détournée, servant de début à son immense fortune. L’homme, dénué de tout scrupule, se révèle aussi d’une intelligence et d’une habileté hors pair, d’où sa carrière politique.

« Eh ! qui suis-je pour me plaindre, quand des milliers de Français meurent aux frontières pour la défense de la patrie ? On tuera mon corps, on ne tuera pas ma mémoire. »1549

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), guillotiné le 31 octobre 1793. Son mot de la fin. Histoire socialiste, 1789-1900, volume IV, La Convention (1908), Jean Jaurès

L’homme si élégant, séducteur au physique romantique, avocat brillant sous l’Ancien Régime, devenu l’un des orateurs les plus doués de la Législative et de la Convention, a perdu toute flamme, usé par cinq mois de prison, résigné au pire. Il aurait sans doute pu fuir comme quelques autres, mais il renonce : « Fuir, c’est s’avouer coupable. » Il fait donc partie du groupe des 21 Girondins exécutés.

« La mort des Girondins, demandée tant de fois, fut le calmant qu’on crut devoir donner à la fureur des violents. »1551

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

C’est le tragique épilogue du conflit entre Montagnards et Girondins. Mais leur mort n’arrête pas le cours d’une Révolution emballée.

« Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort. »1552

Olympe de GOUGES (1755-1793), guillotinée le 3 novembre 1793. Son mot de la fin. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, avec le Journal de ses actes (1880), Henri Alexandre Wallon

Féministe coupable d’avoir écrit en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, d’avoir défendu le roi, puis courageusement attaqué Robespierre en « brissotine » (synonyme de girondine), elle a été arrêtée en juillet 1793.

Femme de lettres, et femme libre jusqu’à la provocation, elle est comparable à George Sand au siècle suivant, mais ce genre de provocation est encore plus mal vu, en 1793 ! Et la reconnaissance espérée par la condamnée sera tardive.

« Oui ! Je tremble, mais c’est de froid. »1555

Jean-Sylvain BAILLY (1736-1793), mot de la fin, avant son exécution dont les préparatifs s’éternisent, 12 novembre 1793. Histoire de la Révolution française, volume II (1869), Louis Blanc

Il attend au pied de l’échafaud, dans le froid et sous la pluie. Il paie de sa vie son refus de témoigner à charge au procès de Marie-Antoinette, ainsi que la fusillade du Champ de Mars (17 juillet 1791), considérée comme un crime contre le peuple. Son exécution était prévue au centre de l’esplanade, où trône l’autel de la Patrie. Mais le sang sacré des martyrs du peuple ne peut être mêlé au sang impie, en vertu de quoi l’on décide de transporter la guillotine et de la remonter dans un coin obscur de l’esplanade. Cela prend du temps et le condamné ne peut réprimer les tremblements de tout son corps. Un assistant du bourreau le remarque et se moque du vieil homme qu’il interpelle : « Tu trembles, Bailly ! » D’où la réponse.

Ex-président de la Constituante et maire de Paris au lendemain de la prise de la Bastille, c’est surtout un grand scientifique, astronome et mathématicien, membre de l’Académie des Sciences (1763), puis de l’Académie française (1783). La Révolution ne va pas épargner les savants.

« Pour la première fois depuis l’Antiquité, une armée vraiment nationale marche au combat, pour la première fois aussi une nation parvient à armer et à nourrir pareil nombre de soldats, tels sont les caractères originaux de l’armée de l’an II. »1560

Georges LEFEBVRE (1874-1959), La Révolution française (1951)

Encore un historien spécialiste de cette époque. Lié à Jean Jaurès et à Marc Bloch (École des Annales), c’est un socialiste engagé au point que son travail en souffre parfois. Mais son professionnalisme et son honnêteté intellectuelle l’emportent.

La patrie est en danger, la France est en guerre. Une Lettre du Comité de salut public (8 octobre) dicte la politique militaire : « Il est temps de frapper des coups décisifs et pour cela, il faut agir en masse. » Or, l’adoption de la tactique de masse va de pair avec la levée en masse. Les soldats de l’an II sont à présent 750 000.

« Ce qui constitue une République, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé. »1576

SAINT-JUST (1767-1794), Convention, Rapport du 26 février 1794 (premier décret de ventôse). Histoire socialiste, 1789-1900, volume 4, La Convention (1908), Jean Jaurès

Encore et toujours le froid langage de la Terreur. Edgar Quinet, l’un des (rares) historiens fascinés par le personnage qui va prendre une importance croissante durant ces derniers mois de la Révolution aux côtés de son ami Robespierre, écrit dans La Révolution : « Et Saint-Just, que n’était-il pas ? Accusateur, inquisiteur, écrivain, administrateur, financier, utopiste, tête froide, tête de feu, orateur, général, soldat ! […] Cela ne s’était pas vu depuis les Romains. »

« Est-ce qu’on emporte la patrie à la semelle de ses souliers ? »1579

DANTON (1759-1794), à son ami Legendre qui le prévient du danger et l’exhorte à s’enfuir à l’étranger, mars 1794. Histoire de la Révolution française, 1789-1799 (1883), Alfred Rambaud

Cette fois, Danton ne se dérobe pas, ne s’absente pas : « Mieux vaut être guillotiné que guillotineur », dit-il. Suspect d’indulgence, il va braver Robespierre jusqu’à la fin.

Tout oppose l’Incorruptible et le bourgeois bon vivant : « Qui hait les vices hait les hommes », affirme Danton, notoirement débauché, par ailleurs compromis dans certaines affaires financières.

Tous deux avocats, comme beaucoup de députés, ils ont lu les mêmes philosophes des Lumières. Mais Michelet montre bien la différence entre la rigueur de l’un et la complexité de l’autre, source de tant de paradoxes et d’ambiguïtés : « Si de Rousseau vint Robespierre, de Diderot jaillit Danton. » Les deux révolutionnaires eurent les mêmes convictions au départ, mais Danton dénonce la dérive montagnarde : pitoyable procès de Marie-Antoinette, déchristianisation forcée d’une France profondément catholique.

Aux yeux de Robespierre, Danton, son grand rival, a le tort d’être lié avec de douteux personnages, en particulier Fabre d’Églantine, fripon notoire compromis dans l’affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes. L’Incorruptible est trop heureux, à travers Fabre, d’attaquer l’« idole pourrie ». Autour de lui, d’autres réclament la tête du tribun : « Nous viderons ce gros turbot farci », s’écrie le Montagnard Vadier. Danton, averti du terrible rapport que Saint-Just prépare contre lui, refuse de fuir. Par cette phrase, il condamne aussi l’attitude des émigrés.

Le 30 mars 1794, il est arrêté comme ennemi de la République. Seul Legendre essaie timidement, mais en vain, de le défendre à la Convention.

« Il faut raccourcir les géants
Et rendre les petits plus grands,
Tout à la même hauteur
Voilà le vrai bonheur. »1597

Portrait du sans-culotte, chanson anonyme. Les Sans-culottes parisiens en l’an II (1968), Albert Soboul

C’est l’homme nouveau, vu par la sans-culotterie. C’est le règne de l’égalité prise au pied de la lettre ! C’est aussi la négation du grand homme, du héros en tant qu’individu, au bénéfice du héros collectif, le peuple, incarné par le sans-culotte. Et c’est toujours l’histoire de France, contée par les chansons.

« Par devant l’Europe, la France, sachez-le, n’aura jamais qu’un seul nom, inexpiable, qui est son vrai nom éternel : la Révolution. »1632

Jules MICHELET (1798-1874), Le Peuple (1846)

Jugement à nuancer : pour cet historien de gauche, la Révolution de 1789 devrait finir en 1790, sur le Champ de Mars, en son point culminant, le jour de la Fête de la Fédération.

« Les Français ont fait, en 1789, le plus grand effort auquel se soit jamais livré aucun peuple afin de couper, pour ainsi dire, en deux, leur destinée et de séparer par un abîme ce qu’ils avaient été jusque-là de ce qu’ils voulaient être désormais. »1633

Alexis de TOCQUEVILLE (1805-1859), L’Ancien Régime et la Révolution (1856)

Avis d’historien, par ailleurs magistrat (sous la Restauration), député et ministre (sous la Deuxième République République), inclassable (comparé en cela à Montesquieu) et donc équilibré dans ses jugements. Encore faut-il nuancer sa pensée qui évolue.

Dans cette dernière œuvre, Tocqueville démontre que si la Révolution de 1789 a pu dérouter bien des esprits et faire perdre leur sang-froid aux hommes au pouvoir, elle doit être historiquement analysée comme l’aboutissement logique de l’Ancien Régime, et non comme une rupture d’ordre politique, social et administratif.

« La Révolution française a préparé indirectement l’avènement du prolétariat. Elle a réalisé les deux conditions essentielles du socialisme, la démocratie et le capitalisme. Mais elle a été, en son fond, l’avènement politique de la classe bourgeoise. »1634

Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste, 1789-1900, volume 1, La Constituante (1908)

Avec le même profil de carrière (homme politique et historien), mais socialiste militant et un demi-siècle plus tard, Jaurès rejoint Tocqueville. La Révolution française est la conséquence d’un processus séculaire, la prise de pouvoir politique d’une classe qui avait déjà le pouvoir économique. « Une nouvelle distribution de la richesse entraîne une nouvelle distribution du pouvoir », voilà une des leçons de l’histoire qui vaut bien au-delà de la Révolution, et même de la France.

« Dans ce qu’on a coutume d’appeler la Révolution française, il y a eu, en réalité, deux révolutions parfaitement distinctes, quoique dirigées toutes les deux contre l’ancien principe d’autorité. L’une s’est opérée au profit de l’individualisme ; elle porte la date de 89. L’autre n’a été qu’essayée tumultueusement au nom de la fraternité ; elle est tombée le 9 Thermidor. »1638

Louis BLANC (1811-1882), Histoire de la Révolution française (1878)

Une façon parmi tant d’autres de nuancer son jugement sur l’événement, mais c’est surtout l’analyse d’un historien de gauche (politiquement très engagé), reprise par nombre d’historiographes.

« Il y a deux moyens sûrs pour ne rien comprendre à la Révolution française, c’est de la maudire ou de la célébrer. »1639

François FURET (1927-1997), La Révolution française (1965), écrit avec Denis Richet

L’un de nos historiens contemporains qui réussit le mieux à éclairer dans toute sa richesse, sa diversité, sa complexité, cette Révolution française qui divise toujours les esprits et les cœurs : « Ceux qui la maudissent sont condamnés à rester insensibles à la naissance tumultueuse de la démocratie. Ils seraient pourtant bien en peine de proposer à nos sociétés d’autres principes fondateurs que la liberté et l’égalité. Ceux qui la célèbrent sont incapables d’expliquer ni même d’apercevoir ses tragédies, sauf à les couvrir de l’excuse débile des « circonstances ». Ils restent aveugles à l’ambiguïté constitutive de l’événement, qui comporte à la fois des droits de l’homme et la Terreur, la liberté et le despotisme. »

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