Honneur aux perdant(e)s ! (de la Gaule aux guerres de Religion) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

(Saintes et guerrières, féministes et révolutionnaires, reines, favorites et mécènes ou impératrice, les femmes jouent à égalité avec les hommes jusqu’à l’Empire).

Voici 46 cas, autant de situations différentes et souvent dramatiques.

  • Perdre la vie, perdre une bataille ou une place enviée, perdre un combat idéologique, perdre la confiance du peuple ou d’un partenaire essentiel, perdre la face et l’honneur.
  • Perdre parce qu’on est faible ou qu’on se croit trop fort, perdre par malchance, par injustice ou par la force des choses et du sens de l’Histoire : Louis XVI sous la Révolution.
  • Perdre individuellement, mais aussi en groupe (les femmes, les Templiers, les Girondins sous la Révolution, les canuts de Lyon, la Commune de Paris).

Certains cas semblent anecdotiques ou paradoxaux – nous assumons, avec des arguments.

Malgré tout, ces perdantes et perdants sont honorés à des titres divers.

« Aux grands hommes, la patrie reconnaissante » : le Panthéon leur fait place.

Ils se retrouvent ici et là statufiés ou s’inscrivent dans la toponymie de nos rues, nos places, notre environnement quotidien. Ils figurent dans les livres d’histoire et les dictionnaires, renaissent dans des œuvres de fiction littéraire, théâtrale, lyrique.

La sanctification honore volontiers les femmes, Blandine, Geneviève, Jeanne (d’Arc).

Parfois, les perdants font école, créant un courant d’idées, une théorie, voire une religion qui change le monde – Jésus-Christ, l’exemple « incroyable mais vrai ».

Autant de « qui perd gagne » permettant une revanche posthume.

On peut en tirer une petite philosophie de l’Histoire et réfléchir au travail de mémoire dont on parle tant. C’est le but de nos éditos et la preuve que les citations bien choisies se révèlent toujours utiles. C’est aussi l’occasion de démentir deux personnages exceptionnellement réunis : « À la fin, il n’y a que la mort qui gagne. » 2980
Charles de GAULLE (1890-1970), citant volontiers ce mot de STALINE dans ses Mémoires de guerre.

(Toutes les citations numérotées sont comme toujours tirées de notre Histoire en citations)

Honneur aux perdants, retrouvez nos quatre éditos :

I. De la Gaule aux guerres de Religion.

VERCINGÉTORIX

Le jeune guerrier gaulois perd très vite le combat décisif contre César au siège d’Alésia. Mais il sera promu premier héros national par la Troisième République.

« Quand nous ne formerons en Gaule qu’une seule volonté, le monde entier ne pourra nous résister. »22

VERCINGÉTORIX (vers 72-46 av. J.-C.), à ses troupes, mai 52 av. J.-C., à Gergovie. La Gaule (1947), Ferdinand Lot

Les tribus gauloises viennent d’élire ce jeune noble, chef suprême d’une coalition contre les Romains qui se veulent maîtres de l’Europe. Quand César marche vers la Loire, Vercingétorix ordonne de brûler tous les villages pour affamer l’ennemi. Mais on ne peut se résoudre à incendier Avaricum (Bourges), seule grande et belle ville de Gaule, puissamment fortifiée. Après deux mois de résistance, elle tombera le 20 avril.

Le mois suivant, le Gaulois remporte la plus grande victoire de sa courte carrière : Gergovie (près de Clermont-Ferrand). César doit lever le siège, minorant ses pertes à 700 légionnaires. Les statistiques truquées nourrissent la légende ou la propagande et l’histoire de Vercingétorix nous est surtout connue par le récit de son adversaire, César.

« Prends-les ! Je suis brave, mais tu es plus brave encore, et tu m’as vaincu. »23

VERCINGÉTORIX (vers 72-46 av. J.-C.), jetant ses armes aux pieds de César, fin septembre 52 av. J.-C., à Alésia. Commentaires de la guerre des Gaules, Jules César

Ces mots du vaincu rapportés par le vainqueur servent d’épilogue à la brève épopée du guerrier gaulois, face au plus illustre des généraux romains.

Grand stratège, César est parvenu à enfermer Vercingétorix et son armée à Alésia (en Bourgogne). L’armée de secours, mal préparée, est mise en pièces par César qui exagère les chiffres : 246 000 morts chez les Gaulois, dont 8 000 cavaliers. Vercingétorix juge la résistance inutile et se rend pour épargner la vie de ses hommes – quelque 50 000, mourant de faim après quarante jours de siège.

La chute d’Alésia marque la fin de la guerre des Gaules et l’achèvement de la conquête romaine. Mais le mythe demeure bien vivant, en France : Vercingétorix, redécouvert par les historiens au XIXe siècle et popularisé jusque dans la bande dessinée, est notre premier héros national.

« Sa courte vie de combattant eut cette élégante beauté qui charmait les Anciens et qui était une faveur des Dieux. »24

Camille JULLIAN (1859-1933), Vercingétorix (1902)

L’auteur de la première biographie savante de Vercingétorix juge ainsi sa carrière de chef de guerre. L’épopée n’a duré que dix mois. Emmené captif à Rome, le vaincu est jeté dans un cachot où il attendra six ans, pour être finalement exhibé comme trophée, lors du triomphe de César, puis décapité en 46 av. J.-C. : « Vae Victis ! » La bisexualité avérée des deux guerriers est une explication possible à l’admiration mutuelle qu’ils se portèrent.

JÉSUS-CHRIST

Jésus n’est qu’un agitateur politique pour les Romains et meurt à 33 ans, crucifié entre deux larrons. Incroyable revanche, son message diffusé par ses disciples est à l’origine de la religion chrétienne qui va changer le monde, marquer l’Histoire et les esprits – pour le meilleur et parfois le pire.

« Et le Christ ?
— C’est un anarchiste qui a réussi. C’est le seul. »11

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Sous le règne de Tibère vit en Galilée un homme dont les enseignements vont bouleverser l’histoire du monde. De sa mort sur la croix va naître une religion qui lentement s’étendra sur l’Empire.

Pour les Romains, les premiers chrétiens ne sont qu’une secte juive dont le fondateur passe pour un agitateur politique. Pour les chrétiens, il est Dieu, fils de Dieu, ce Dieu étant un dieu unique, comme celui qu’adorent les juifs.

La réussite de l’« anarchiste » qui termina sa vie comme un criminel mis en croix entre deux « larrons » est due à ses disciples et plus particulièrement à Paul de Tarse : il fera du message de Jésus une religion à vocation universelle. La Gaule sera tardivement acquise : l’évangélisation des villes, puis des campagnes, ne se fera qu’au IVe siècle, le christianisme devenant religion d’État en 391.

« Tu as vaincu, Galiléen. »37

JULIEN l’Apostat (331-363), mourant en 363. Histoire de France, tome XVIII (1878), Jules Michelet

Mot de la fin du plus redoutable ennemi du christianisme naissant. Julien a échappé au massacre de sa famille, ordonné par son cousin Constance II, fils et successeur de Constantin Ier. Éloigné de la cour, le jeune prince se passionne pour la philosophie néoplatonicienne, alors qu’une éducation chrétienne trop sévère lui fait prendre cette religion en horreur. Excellent guerrier, il écrase les Alamans (hordes germaniques) à Strasbourg (357) et ses soldats le proclament empereur. La mort de son cousin fait de lui le seul maître de l’Empire, en 361. Il se rallie les hérétiques et s’efforce de rétablir les anciens cultes païens, d’où son surnom d’Apostat.

En guerre contre les Parthes (maîtres de l’ancien Empire perse) et en pleine débâcle de l’ennemi, Julien est atteint par un javelot. Il se croit frappé par une main invisible : le Galiléen Jésus le châtie pour avoir renié le christianisme. Hormis ce règne bref, l’évangélisation des villes, puis des campagnes, se poursuit.

« Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même et qu’il prenne sa croix et me suive. »169

JÉSUS (vers 4 av. J.-C.-vers 28). Bible, Nouveau Testament, Évangile de Matthieu

Ces paroles bibliques valent symbole de ralliement pour les croisés. Elles sont citées par un chevalier croisé, chroniqueur anonyme de la Gesta Francorum.

« Tu feras aux Infidèles une guerre sans trêve et sans merci. »129

Sixième commandement du parfait chevalier. La Chevalerie (1960), Léon Gautier

Le Moyen Âge, époque de foi et temps des cathédrales, va vivre sous le signe des croisades, appelées aussi guerres saintes : huit au total, de 1095 à 1270.

« Sache que cette guerre n’est pas charnelle, mais spirituelle. Sois donc le très courageux athlète de Christ ! »175

BOHÉMOND Ier (1057-1111), au connétable Robert, février 1098. Gesta Francorum, Histoire de la première croisade, anonyme

Première croisade. Les croisés sont parvenus en vue d’Antioche, mais une armée turque de secours est annoncée. Bohémond, seigneur franc et l’un des chefs de la croisade, vient attendre l’ennemi près du lac d’Antioche (à une trentaine de kilomètres de la ville).

Attaqués par des forces supérieures, les croisés commencent à reculer, quand Bohémond adresse ces mots à son connétable : « Va aussi vite que tu peux comme un vaillant homme. Secours avec énergie la cause de Dieu et du Saint-Sépulcre et sache que cette guerre n’est pas charnelle… » Et les Turcs, chargés par les croisés, sont mis en déroute.

« La folie des croisades est ce qui a le plus honoré la raison humaine. »170

Léon BLOY (1846-1917), La Femme pauvre (1897)

Catholique ardent, visionnaire et mystique, il encense les croisades. Tandis que Nietzsche les qualifie d’« entreprises de haute piraterie ». À chacun sa vérité et sa « religion ».

« Le citoyen Jésus-Christ a été le premier sans-culotte du monde. »1635

François CHABOT (1756-1794), Discours, 7 septembre 1793. Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière

Sous la Révolution (si peu chrétienne), Jésus redevient paradoxalement très présent. Capucin défroqué, Chabot a écrit le Catéchisme des Sans-culotte. La métaphore christique sera reprise en d’autres circonstances.

« J’ai l’âge du sans-culotte Jésus ; c’est-à-dire trente-trois ans, âge fatal aux révolutionnaires ! »1583

Camille desmoulins (1760-1794), au Tribunal révolutionnaire lui demandant son nom, son âge, 2 avril 1794. Œuvres de Camille Desmoulins (posthume, 1874), Camille Desmoulins, Jules Claretie

En réalité, il vient d’avoir 34 ans. Montagnard à la Convention, Desmoulins a combattu les Girondins, mais leur mise à mort l’a bouleversé. Il fonde alors un journal, Le Vieux Cordelier, pour défendre la politique de Danton contre celle du Comité de salut public (où Robespierre fait la loi avec Couthon et Saint-Just). À peine a-t-il le temps de s’émouvoir de la nouvelle épuration – celle des Enragés – qu’il est arrêté le 30 mars, guillotiné le 5 avril. Lucile, sa femme adorée (fille naturelle de l’abbé Terray, ministre de Louis XV), montera à l’échafaud le 13 avril.

« Non seulement Jésus-Christ était fils de Dieu, mais encore il était d’excellente famille du côté de sa mère. »2000

Mgr Hyacinthe-Louis de QUÉLEN (1778-1839), 125e archevêque de Paris (de 1821 à sa mort). Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière

Sous la Restauration, il est naturel que l’archevêque de Paris mette Jésus dans son camp, mais il y a quand même des limites…

Très en cour auprès de Louis XVIII, puis de Charles X, élu à l’Académie française contre le célèbre auteur dramatique Casimir Delavigne en 1824, il attribua cet honneur à la religion et non à ses titres académiques, dans son discours de réception. Membre de la Chambre des Pairs, incarnation de l’Ancien Régime, il lâcha en plein sermon cette formule, propre à scandaliser libéraux et républicains. Moins bien vu sous la Monarchie de Juillet qui le considère comme (trop) légitimiste, il demeure archevêque, Dieu merci !

SAINTE BLANDINE

Une sainte fêtée le 2 juin, particulièrement émouvante de par son jeune âge, sa foi sereine et son interminable supplice, livrée aux bêtes qui la refusent et finalement achevée.  

« [Les chrétiens] furent insultés, battus, traînés, pillés, lapidés, enfermés ensemble ; ils endurèrent tout ce qu’une multitude déchaînée a coutume de faire subir à des adversaires et des ennemis. »30

EUSÈBE de CÉSARÉE (vers 265-340), Histoire Ecclésiastique (premier document sur les débuts de l’Église, diverses éditions et traductions)

Au IIe siècle, le christianisme pénètre en Gaule. À Lyon, au mois d’août, des foires attirent le peuple de toutes les parties de l’Empire. En 177, sous le règne Marc Aurèle et lors d’un grand rassemblement, une persécution fait 48 martyrs destinés « à l’arène ». Deux noms restent vivants : Pothin, premier évêque de Lyon, âgé de 90 ans, frappé et mort deux jours après en prison. Et Blandine.

« Je suis chrétienne et chez nous, il n’y a rien de mal. »32

BLANDINE (??-177), à ses juges, Lyon, 177. Histoire ecclésiastique, Eusèbe de Césarée

Évêque, écrivain et grand érudit, Eusèbe cite la lettre d’un témoin des martyrs de Lyon, qui se complaît dans la description des monstrueux supplices subis par les 48 chrétiens. Parmi eux Blandine, jeune et frêle esclave, montre une constance incroyable : attachée à un poteau dans l’arène et livrée aux bêtes qui n’en veulent pas, flagellée puis exposée au gril brûlant, offerte dans un filet à un taureau sauvage qui la lance en l’air avec ses cornes, elle est finalement achevée par le glaive. Blandine deviendra sainte patronne de Lyon.

SAINTE GENEVIÈVE

Première grande résistante de l’Histoire, les détails de sa vie relèvent du « roman national » - une seule source contemporaine, anonyme, hagiographique et placée sous le signe de la foi médiévale. Elle sauve Paris au moins une fois, durant le siège de 465. Elle en devient la sainte patronne (fêtée le 3 janvier), entre autres reconnaissances.

« Déjà les habitants se préparaient à évacuer leurs murs ; ils en sont dissuadés par les assurances prophétiques d’une simple bergère de Nanterre, Geneviève, devenue, depuis, la patronne de la capitale. »43

Louis-Pierre ANQUETIL (1723-1806), Histoire de France (1851)

L’historien Jules Michelet, lyrique pour évoquer Jeanne d’Arc, ne consacre qu’une ligne à cette remarquable résistante : « Paris fut sauvé par les prières de Sainte Geneviève. » En réalité, Paris n’est encore que Lutèce, bourgade de 2 000 habitants, dédaignée par Attila qui vient de piller Metz, Reims et Troyes, et fonce sur Orléans en 451.

« Que les hommes fuient, s’ils veulent, s’ils ne sont plus capables de se battre. Nous les femmes, nous prierons Dieu tant et tant qu’Il entendra nos supplications. »

SAINTE-GENEVIÈVE (vers 420 – vers 520), Vita sanctae Genovefae

Vingt ans après sa mort, un clerc écrit (en latin) cette Vie de Geneviève, rare texte littéraire du VIe siècle en Gaule, qui rassemble tous les témoignages des témoins encore vivants qui l’ont connue. Les historiens ont ensuite débattu à l’infini du personnage. Pour l’essentiel, née dans une riche famille gallo-romaine d’un Franc romanisé, elle hérite comme fille unique de sa charge de conseiller municipale (curia) exercée à Nanterre, puis à Paris. Certains virent en elle le premier « maire de Paris », mais c’est très exagéré. Baptisée, elle se voue à Dieu, menant une vie ascétique, dès seize ans. Orpheline à vingt ans, elle quitte Nanterre et va vivre chez sa marraine au cœur de Paris, dans l’île de la Cité.

Elle n’a que 28 ans et déjà un fort caractère quand elle persuade les habitants de ne pas abandonner leur cité aux Huns avec à leur tête Attila, « fléau de Dieu » à la réputation terrifiante. De fait, Attila évite Paris. Mais les deux personnages ne se sont pas rencontrés. Il est possible que la rumeur d’une épidémie de choléra ébruitée par Geneviève ait dissuadé le guerrier. Autre hypothèse, par ses relations avec les Francs intégrés à l’administration romaine, elle pouvait savoir qu’Attila voulait d’abord attaquer les Wisigoths en Aquitaine.

En tout cas, Geneviève sauvera réellement Paris de la famine, quand les Francs vont l’assiéger en 465.  Elle s’oppose à Childéric Ier qui entreprend le siège, parvenant à ravitailler plusieurs fois la ville avec du blé de la Brie et de Champagne, en forçant alors le blocus.

Elle fera bâtir une chapelle sur l’emplacement du tombeau de saint Denis, premier évêque de Lutèce, et elle persuade le roi Clovis d’ériger une église dédiée aux saints Pierre et Paul, sur le lieu nommé aujourd’hui la « montagne Sainte-Geneviève » au cœur du Quartier latin. Selon la Vita, elle meurt à 89 ans dans l’ermitage de Paris, enterrée aux côtés de Clovis et rejointe par la reine Clotilde qui la vénérèrent.

Sainte patronne de Paris (fêtée le 3 janvier), elle est aussi patronne du diocèse de Nanterre… et des gendarmes. Vie bien remplie, postérité réussie, un « sans faute » jusqu’en 2020 ! C’était l’Année Sainte-Geneviève, nombre de célébrations étant prévues. Jubilaire de 1600 ans et diverses manifestations annulées pour cause de Covid-19. C’est quand même « un détail » dans la belle histoire de Geneviève !

ROLAND

Personnage de l’épopée française, c’est à l’origine un guerrier vaincu dans la défense de son territoire. La légende en fait le neveu de l’empereur Charlemagne et la chanson de geste qui immortalise son nom vaut acte de naissance de la langue française.

« Les derniers corps de l’armée royale furent massacrés dans ce passage des Pyrénées. Je n’ai pas à rapporter le nom des morts, ils sont assez connus. »93

L’Astronome du Limousin, biographe anonyme de Louis le Débonnaire. Charlemagne (1877), Alphonse-Anatole Vétault, Léon Gautier

Destruction de l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne, attaquée dans le défilé de Roncevaux par les montagnards vascons (basques), alors que le souverain rentrait d’une campagne contre les Maures en Espagne, le 15 août 778.

Éginhard, biographe de Charlemagne, donne plus de détails, avec quelques noms de chefs francs : « Là périrent, entre autres, Eggihard, sénéchal du roi, Anselme, comte du palais, et Rothland [Roland], gouverneur de la marche de Bretagne. » Selon les sources, les Francs se battent ici contre une milice basque et/ou contre les Sarrasins.

« Ce revers ne put être vengé sur-le-champ, parce que les ennemis, le coup fait, se dispersèrent si bien que nul ne put savoir en quel coin du monde il eut fallu les chercher. »94

ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)

Allusion au massacre de Roncevaux : défaite transformée en haut fait d’armes, par un de ces miracles dont l’histoire littéraire ne nous livre pas le secret.

« La Chanson de Roland […] est le plus ancien monument de notre nationalité […] Ce n’est pas seulement la poésie française qu’on voit naître avec ce poème. C’est la France elle-même. »95

Louis PETIT de julleville (1841-1900), l’un des traducteurs de la Chanson de Roland (anonyme)

L’escarmouche entre les Vascons (Basques) et l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne va donner naissance, trois siècles et demi plus tard, à la première chanson de geste en (vieux) français, poème épique de quelque 4000 vers, maintes fois traduite et célèbre bien au-delà de la France.
Passage héroïque, celui où le preux Roland refuse de sonner du cor, ce que lui conseille le sage Olivier. Il préfère se battre et risquer la mort, plutôt que d’alerter Charlemagne et de trouver le déshonneur. « Olivier dit : « Les païens viennent en force, / Et nos Français, il me semble qu’ils sont bien peu. / Roland, mon compagnon, sonnez donc votre cor : / Charles l’entendra et l’armée reviendra. » / Roland répond : « Ce serait une folie ! / En douce France j’en perdrais ma gloire. / Aussitôt, de Durendal, je frapperai de grands coups ; / Sa lame en saignera jusqu’à la garde d’or. / Les païens félons ont eu tort de venir aux cols : / Je vous le jure, tous sont condamnés à mort. » »

Mais Roland va périr avec son compagnon et toute l’arrière-garde des Francs. Charlemagne le vengera en battant les païens (Sarrasins) avec l’aide de Dieu. Le traître Gamelon, beau-frère de Charlemagne et beau-père de Roland qui a organisé le guet-apens par jalousie, sera jugé, condamné à mort et supplicié.

LES TEMPLIERS

Chevaliers de l’Ordre le plus coté du Moyen Âge, accusés soudain de tous les vices par Philippe le Bel voulant récupérer leur mystérieux trésor. Victimes collectives d’une erreur judiciaire et condamnés au bûcher, ils passent à la postérité par leur malédiction des « rois maudits ».

« Les œuvres de piété et de miséricorde, la libéralité magnifique qu’exerce dans le monde entier et en tout temps le saint ordre du Temple, divinement institué depuis de longues années, son courage […] nous déterminent justement […] à donner des marques d’une faveur spéciale à l’ordre et aux chevaliers pour lesquels nous avons une sincère prédilection. »247

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Lettre datée de 1304. Histoire des sociétés secrètes, politiques et religieuses (1847), Pierre Zaccone

Les Templiers, premier ordre militaire d’Occident, créé en 1119 pour la défense des pèlerins, reviennent de Terre sainte d’où les derniers descendants des croisés ont été chassés. Ils se replient sur leurs possessions européennes, disposant par ailleurs d’une force armée considérable pour l’époque (15 000 lances).

Le roi leur octroie de nouveaux privilèges et songe même à entrer dans l’ordre, mais sa candidature est refusée – selon d’autres sources, le refus concerne le fils du roi.

« Boire comme un Templier. »
« Jurer comme un Templier. »249

Expressions populaires, au début du XIVe siècle. Le Livre des proverbes français, tome I (1842), Antoine-Jean-Victor Le Roux de Lincy

Dictons toujours cours, même si on en oublie l’origine. Ils donnent une faible idée des vices, crimes et péchés que la rumeur publique prêtait aux chevaliers. « Le Temple avait pour les imaginations un attrait de mystère et de vague terreur. Les réceptions avaient lieu, dans les églises de l’ordre, la nuit et portes fermées. On disait que si le roi de France lui-même y eût pénétré, il n’en serait pas sorti » (Jules Michelet, Histoire de France).

La rumeur est entretenue par le chancelier Nogaret. Le roi a décidé d’éliminer cet « État dans l’État », car les Templiers ne dépendent que de l’autorité du pape. Il veut aussi récupérer une part de leur fortune – le fameux « trésor ». L’opération secrète sera vite et bien menée. Le 13 octobre 1307, les Templiers sont arrêtés dans l’enceinte du Temple à Paris et pareillement saisis dans leurs châteaux en province. Ils n’opposent aucune résistance : la Règle des moines soldats leur interdit de lever l’épée contre un chrétien. Une douzaine a pu fuir ; les autres, environ 2 000, seront livrés à l’Inquisition.

« Cette engeance […] comparable aux bêtes privées de raison, que dis-je ? dépassant la brutalité des bêtes elles-mêmes […] commet les crimes les plus abominables. Elle a abandonné son Créateur, sacrifié aux démons. »251

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), parlant des Templiers. Les Templiers (1963), Georges Bordonove

On voit jusqu’où peut aller la duplicité de Philippe le Bel pour justifier une action injustifiable sur le plan de la pure équité. L’affaire des Templiers va durer sept ans…

« Les corps sont au roi de France, mais les âmes sont à Dieu ! »258

Cris des Templiers brûlés vifs dans l’îlot aux Juifs, 19 mars 1314. Les Templiers (2004), Stéphane Ingrand

Cet îlot, à la pointe de l’île de la Cité, doit son nom aux nombreux juifs qui ont subi le supplice du bûcher. Le peuple est friand de ce genre de spectacle et les Templiers attirent la foule des grands jours.

Après un premier procès, quatre ans de prison et de silence, ils ont proclamé leur innocence et dénoncé la calomnie, à la lecture publique de l’ultime sentence du 19 mars, sur le parvis de Notre-Dame, face à la foule amassée. Après sept ans d’« affaire des Templiers », le roi veut en finir. Il a ordonné l’exécution groupée des plus « suspects », le soir même.

« Clément, juge inique et cruel bourreau, je t’ajourne à comparaître dans quarante jours devant le tribunal du souverain juge. »259

Jacques de MOLAY (vers 1244-1314), sur le bûcher dans l’îlot aux Juifs, île de la Cité à Paris, 19 mars 1314. Histoire de l’Église de France : composée sur les documents originaux et authentiques, tome VI (1856), abbé Guettée

Dernières paroles attribuées au grand maître des Templiers. Ce « mot de la fin » est l’un des plus célèbres de l’histoire, pour diverses raisons. Quarante jours plus tard, le 20 avril, Clément V meurt d’étouffement, seul dans sa chambre à Avignon, comme aucun pape avant lui, ni après.

Autre version de la malédiction, tirée de la saga des Rois maudits de Maurice Druon et du feuilleton de télévision qui popularisa l’affaire des Templiers au XXe siècle : « Pape Clément ! Chevalier Guillaume ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » Nogaret est déjà mort, il y a un an, et il peut s’agir d’un autre Guillaume. Mais le pape va mourir dans le délai imparti, comme Philippe le Bel, suite à une chute de cheval à la chasse (blessure infectée, ou accident cérébral).

Plus troublant, le nombre de drames qui frapperont la descendance royale en quinze ans, au point d’ébranler la dynastie capétienne : assassinats, scandales, procès, morts subites, désastres militaires. Quant à la treizième génération… cela tombe sur Louis XVI, le roi de France guillotiné sous la Révolution.

JEANNE D’ARC

Bergère ou princesse, mais forte de sa foi en Dieu, Jeanne remporte en quelques mois une série de victoires contre les Anglais, redonnant confiance au jeune roi Charles VII et au pays. Tombée aux mains de l’ennemi, condamnée au bûcher et brûlée vive, elle entre dans la légende, première héroïne nationale et source d’inspiration artistique.

« Une enfant de douze ans, une toute jeune fille, confondant la voix du cœur et la voix du ciel, conçoit l’idée étrange, improbable, absurde si l’on veut, d’exécuter la chose que les hommes ne peuvent plus faire, de sauver son pays. »334

Jules MICHELET (1798-1874), Jeanne d’Arc (1853)

Le personnage inspire ses plus belles pages à l’historien du XIXe siècle : « Née sous les murs mêmes de l’église, bercée du son des cloches et nourrie de légendes, elle fut une légende elle-même, rapide et pure, de la naissance à la mort. »

D’autres historiens font de Jeanne une bâtarde de sang royal, peut-être la fille d’Isabeau de Bavière et de son beau-frère Louis d’Orléans, ce qui ferait d’elle la demi-sœur de Charles VII. Mais princesse ou bergère, c’est un personnage providentiel qui va galvaniser les énergies et rendre l’espoir à tout un peuple – à commencer par son roi.

« En nom Dieu, je ne crains pas les gens d’armes, car ma voie est ouverte ! Et s’il y en a sur ma route, Dieu Messire me fraiera la voix jusqu’au gentil Dauphin. Car c’est pour cela que je suis née. »335

JEANNE d’ARC (1412-1431), quittant Vaucouleurs, fin février 1429. Études religieuses, historiques et littéraires (1866), Par des Pères de la Compagnie de Jésus

Elle répond à ceux qui s’effraient en pensant qu’elle va devoir traverser la France infestée d’Anglais et de Bourguignons. À peine âgée de 17 ans, elle parvient à persuader le sire de Baudricourt, capitaine royal de Vaucouleurs, de lui donner une escorte. Et elle se met en route pour Chinon où se trouve le dauphin - Charles VII, bien que son père fût mort il y a sept ans, n’a pas encore été sacré roi comme le veut la coutume et garde donc le titre de dauphin.

« Gentil Dauphin, j’ai nom Jeanne la Pucelle […] Mettez-moi en besogne et le pays sera bientôt soulagé. Vous recouvrerez votre royaume avec l’aide de Dieu et par mon labeur. »337

JEANNE d’ARC (1412-1431), château de Chinon, 8 mars 1429. Jeanne d’Arc, la Pucelle (1988), marquis de la Franquerie

Leur entretien dure une heure et restera secret, hormis la dernière phrase dont elle fera état plus tard à son confesseur : « Je vous dis, de la part de Messire, que vous êtes vrai héritier de France et fils du roi. »

Jeanne a rendu doublement confiance à Charles : il est bien le roi légitime de France et le fils également légitime de son père, lui qu’on traite toujours de bâtard.

« Vous, hommes d’Angleterre, qui n’avez aucun droit en ce royaume, le roi des Cieux vous mande et ordonne par moi, Jehanne la Pucelle, que vous quittiez vos bastilles et retourniez en votre pays, ou sinon, je ferai de vous un tel hahu [dommage] qu’il y en aura éternelle mémoire. »341

JEANNE d’ARC (1412-1431), Lettre du 5 mai 1429. Présence de Jeanne d’Arc (1956), Renée Grisell

Le 4 mai, à la tête de l’armée de secours envoyée par le roi et commandée par le Bâtard d’Orléans (jeune capitaine séduit par sa vaillance et fils naturel de Louis d’Orléans, assassiné), Jeanne attaque la bastille Saint-Loup et l’emporte. Le 5 mai, fête de l’Ascension, on ne se bat pas, mais elle envoie par flèche cette nouvelle lettre.

Le 7 mai, elle attaque la bastille des Tournelles. Après une rude journée de combat, Orléans est libérée. Le lendemain, les Anglais lèvent le siège. Et toute l’armée française, à genoux, assiste à une messe d’action de grâce. Nouvelle victoire, à Patay : défaite des fameux archers anglais et revanche de la cavalerie française. Ensuite, Auxerre, Troyes, Chalons ouvrent la route de Reims aux Français qui ont repris confiance en leurs armes et se réapproprient leur terre de France.

« Gentil roi, or est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que vous vinssiez à Reims recevoir votre saint sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume de France doit appartenir. »343

JEANNE d’ARC (1412-1431). Jeanne d’Arc (1860), Henri Wallon

Jeanne a tenu parole, Charles est sacré à Reims le 17 juillet 1429. Alors seulement, Charles VII peut porter son titre de roi. Plusieurs villes font allégeance : c’est « la moisson du sacre ». Les victoires ont permis de reconquérir une part de la « France anglaise », mais Jeanne, blessée, échoue devant Paris en septembre. Après la trêve hivernale, elle décide de « bouter définitivement les Anglais hors de France », contre l’avis du roi qui a signé une trêve avec les Bourguignons.

Le 23 mai 1430, capturée devant Compiègne, elle est vendue aux Anglais pour 10 000 livres, et emprisonnée à Rouen le 14 décembre. Les Anglais veulent sa mort. Les juges français veulent y mettre les formes.

« Jeanne, croyez-vous être en état de grâce ?
— Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; si j’y suis, Dieu veuille m’y tenir. »344

JEANNE d’ARC (1412-1431), Rouen, procès de Jeanne d’Arc, 24 février 1431. Jeanne d’Arc (1888), Jules Michelet, Émile Bourgeois

Jeanne va subir une suite d’interrogatoires minutieux et répétitifs, en deux procès. Son premier procès d’« inquisition en matière de foi » commence le 9 janvier 1431, sous la présidence de Pierre Cauchon, évêque de Beauvais (diocèse où elle a été faite prisonnière). Ce n’est pas sa personne que l’Église veut détruire, c’est le symbole, déjà très populaire.

L’Église lui reproche le port de vêtements d’homme, sacrilège à l’époque, une tentative de suicide dans sa prison et ses visions - imposture ou signe de sorcellerie. Jeanne est seule, face à ses juges. Charles VII, qui lui doit tant, et d’abord son sacre, l’a abandonnée. Il ne lui reste plus que sa foi, son Dieu. Elle va résister, jusqu’au 24 mai.

« Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte. »348

Secrétaire du roi d’Angleterre, après l’exécution de Jeanne, Rouen, 30 mai 1431 (attribué aussi à P. Cauchon, évêque de Beauvais) Histoire de France, tome V (1841), Jules Michelet

Le 24 mai, dans un moment de faiblesse, Jeanne abjure publiquement ses erreurs et accepte de faire pénitence : elle est condamnée au cachot. Mais elle se ressaisit et, en signe de fidélité envers ses voix et son Dieu, reprend ses habits d’homme, le 27 mai. D’où le second procès, vite expédié : condamnée au bûcher comme hérétique et relapse (retombée dans l’hérésie), brûlée vive sur la place du Vieux-Marché à Rouen, ses cendres sont jetées dans la Seine. Il fallait éviter tout culte posthume de la Pucelle, autour des reliques.

Jeanne ne sera béatifiée qu’en 1909 et canonisée en 1920. Mais Charles VII ayant repris Rouen ordonnera le procès du procès, qui casse en 1456 le premier jugement et réhabilite la mémoire de Jeanne.

« Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie, chez nous, est née du cœur d’une femme, de sa tendresse, de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous. »349

Jules MICHELET (1798-1874), Jeanne d’Arc (1853)

Princesse (bâtarde de sang royal) ou simple bergère de Domrémy, petit village de la Lorraine, le mystère nourrit la légende et la fulgurance de cette épopée rend le sujet toujours fascinant, six siècles plus tard. La récupération politique est une forme d’exploitation du personnage, plus ou moins fidèle au modèle.

Jeanne inspire d’innombrables œuvres littéraires, cinématographiques et artistiques, signées Bernard Shaw, Anatole France, Charles Péguy, Karl Dreyer, Otto Preminger, Roberto Rossellini, Robert Bresson, Luc Besson, Jacques Rivette, Jacques Audiberti, Arthur Honegger, etc. Et L’Alouette d’Anouilh : « Quand une fille dit deux mots de bon sens et qu’on l’écoute, c’est que Dieu est là. […] Dieu ne demande rien d’extraordinaire aux hommes. Seulement d’avoir confiance en cette petite part d’eux-mêmes qui est Lui. Seulement de prendre un peu de hauteur. Après Il se charge du reste. »

CHRISTINE DE PISAN ET LA CAUSE DES FEMMES.

Pionnière du féminisme, philosophe, poétesse et femme de lettres parvenant à vivre de sa plume, tolérée au Moyen Âge, mal considérée au XIXe, le plus misogyne de tous les siècles, elle est relayée par Simone de Beauvoir dans son féminisme actif sous la Quatrième République, avant les conquêtes sociétales des femmes sous la Cinquième.

« L’existence de la plupart des femmes est plus dure que celles d’esclaves entre les Sarrasins. »269

Christine de PISAN (vers 1364 - vers 1430)

C’est l’une des premières femmes de lettres françaises (née en Italie). Mariée à 15 ans, mère de trois enfants et veuve à 22 ans, elle refuse de se remarier comme le veut la coutume et parvient non sans mal à vivre indépendante et faire vivre sa famille – y compris sa mère et une nièce à charge. Elle étudie la philosophie, l’histoire et les sciences, pour écrire et vivre de ses livres. Une œuvre considérable, en prose et en vers, très estimée par de riches mécènes et plusieurs fois traduite.

C’est aussi l’une des premières féministes de notre histoire. En cette sombre période du Moyen Âge, le culte de l’amour courtois est en déclin, alors qu’il a permis aux femmes de la noblesse de s’élever au-dessus de la condition que leur faisait la loi, durant deux siècles. La condition des femmes du peuple s’aggrave encore. Le XIXe siècle atteint des sommets de misogynie et Christine de Pisan en fait les frais.

« Bonne fille, bonne épouse, bonne mère, au reste un des plus authentiques bas-bleus qu’il y ait eu dans notre littérature, la première de cette insupportable lignée de femmes auteurs »

Gustave LANSON (1857-1934), Histoire de la littérature française (1894)

Méconnaissance de la valeur de ses écrits, anachronisme quant à son interprétation, contresens dans la manière de juger la vie de cette femme douée, indépendante, très estimée en son temps des vrais connaisseurs, mais décriée des universitaires et des clercs à qui elle faisait concurrence. Son œuvre sera redécouverte dans la seconde moitié du XXe siècle et son féminisme trouve écho avec l’évolution de la société.

« Le présent enveloppe le passé et dans le passé toute l’Histoire a été faite par des mâles. »2854

Simone de BEAUVOIR (1908-1986), Le Deuxième Sexe (1949)

Livre événement dans l’histoire du féminisme, mouvement qui ne s’est pas arrêté au vote attribué aux femmes après la Libération. Mais c’est la Cinquième République qui, dans les années 1970, verra aboutir l’essentiel des luttes au féminin, d’où une égalité de droit, sinon de fait.

« À moitié victimes, à moitié complices, comme tout le monde. »2876

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), cité en exergue par Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe (1949)

Romancière existentialiste dont toutes les œuvres se veulent « signifiantes », « Notre-Dame de Sartre » fait scandale avec ce livre. Elle démontre que la femme est à l’homme ce que le Nègre est au Blanc, un Autre infériorisé, irresponsable. Mais les femmes, à l’inverse des autres exploités de la terre, colonisés ou prolétaires, sont restées soumises, complices des structures qui les oppriment, tombant dans les pièges du mariage et de la maternité.

Message prémonitoire : la génération suivante remettra en question le mariage traditionnel, cependant que par la contraception et l’IVG, la femme aura pour la première fois le droit d’avoir des enfants comme et quand elle le veut.

DIANE DE POITIERS

Favorite d’Henri II plus de vingt ans, femme de caractère et de goût, d’intrigue et d’influence, elle s’oppose à la reine Catherine de Médicis et perd tout pouvoir à la mort accidentelle du roi. Personnage romanesque, elle reste pour sa beauté peinte par l’école de Fontainebleau… et le secret de son éternelle jeunesse n’est plus un mystère.

« Je lis les histoires de ce royaume, et j’y trouve que de tous les temps, les putains ont dirigé les affaires des rois ! »479

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589) à Diane de Poitiers. Le Royaume de Catherine de Médicis (1922), Lucien Romier

Les putains en question, ce sont les favorites des rois, vu par les reines leurs épouses. Première en date, Agnès Sorel vers 1444 avec Charles VII, inaugure une très longue liste de favorites officielles des rois de France.

Catherine, fille de Laurent II de Médicis, épousa le futur Henri II en 1533 et faillit être répudiée pour cause de stérilité pendant onze ans, avant de lui donner 10 enfants. Depuis 1538 et durant les douze années de règne d’Henri II, elle est éclipsée par Diane de Poitiers.

Âgée de 48 ans en 1547 et de vingt ans l’aînée du roi, Diane fit son éducation à la cour, quand l’enfant de 11 ans rentra, après quatre années passées comme otage en Espagne (prenant la place de son père François Ier). Influente et intrigante, elle reste sa favorite jusqu’à la fin, même si certains historiens doutent de la nature exacte de leur liaison. Le roi veut éviter tout scandale, mais elle reste malgré tout son amie et sa première confidente.

Le personnage reste mal connu et intrigue d’autant plus. Une chose est sûre, la beauté de Diane : « Lorsque, maîtresse en titre et reine, elle était moquée par les jeunes qui ne l’appelaient que la vieille, elle fit cette réponse cynique de leur montrer ce qu’on cache en se faisant peindre nue » (Jules Michelet, Histoire de France). Les peintres de la première école de Fontainebleau rendirent ainsi un juste hommage à leur adorable mécène.

« J’ai vu Madame la Duchesse de Valentinois en l’âge de soixante-dix ans aussi belle de face, aussi fraîche et aussi aimable comme en l’âge de trente ans ; aussi fut-elle fort aimée et servie d’un des grands Rois du monde ».

BRANTÔME (1540-1614), Vie des Dames galantes, extraites des Mémoires de Brantôme

Homme de cour et de guerre, seigneur et abbé devenu mémorialiste (suite à une mauvaise chute de cheval), il évoque Diane de Poitiers, née le 9 janvier 1500 et décédée le 26 avril 1566. Il se trompe donc sur son âge, mais il rapporte ce qui a frappé tous les contemporains. D’abord, sa beauté conforme à l’idéal féminin de l’époque : blonde aux yeux bleus et au teint naturellement pâle, elle ne met jamais de poudre. Silhouette toujours fine et harmonieusement musclée, elle entretient son corps par le sport : elle monte à cheval, elle chasse, elle nage. Et elle dort, couchée à 20 heures, levée à six, elle commence la journée par un bain d’eau glacée. Ambroise Paré, fameux médecin des rois, lui prodigue ses bons conseils, en un temps où l’hygiène de vie est le dernier des soucis, même à la cour !

Reste le secret de cette éternelle beauté : elle boit chaque matin un bouillon de poudre d’or. Cette médication a des vertus supposées de régénération depuis l’Antiquité, le corps humain contenant environ 0,2 mg du précieux métal, mais cet élixir de jouvence peut devenir poison. En 2008, on découvrit la sépulture de Diane : des analyses de tissus et de cheveux montrent une concentration anormale d’or. Certains signes de fragilité apparaissaient d’ailleurs, faisant penser à un empoisonnement : pâleur, cheveux fins et cassants, os particulièrement fragiles - et elle était quasiment édentée. D’où l’utilisation de l’éventail.

« Madame, contentez-vous d’avoir infecté la France de votre infamie et de votre ordure, sans toucher aux choses de Dieu. »482

Un domestique du tailleur d’Henri II, s’adressant à Diane de Poitiers (1550). Histoire de France au seizième siècle, Guerres de religion (1856), Jules Michelet

Le ton dit assez la violence des haines qui couvent. L’homme est interrogé sur son éventuelle conversion au calvinisme, par Diane de Poitiers, maîtresse royale et catholique convaincue qui encourage la répression du protestantisme. L’insolent paiera de sa vie cette phrase, sitôt condamné à être brûlé vif devant Henri II, spectateur du supplice. Envers et contre tout, l’Église réformée de France va se constituer sous ce règne.

« Que mon peuple persiste et demeure ferme en la foi en laquelle je meurs. »492

HENRI II (1519-1559), mot de la fin, le 10 juillet 1559. Henri II, roi gentilhomme (1987), Georges Bordonove

Le roi très chrétien meurt des suites d’un accident de tournoi – blessure à l’œil d’un coup de lance, donné par le capitaine des gardes, régicide involontaire. Trois fils d’Henri II qui n’auront jamais son autorité vont lui succéder, et d’abord l’aîné François II, 15 ans. Il confie le gouvernement à sa mère Catherine de Médicis : elle renvoie l’influent connétable de Montmorency et exile Diane de Poitiers la favorite haïe qu’elle a supportée dans le rôle de dame de compagnie. C’est de bonne guerre, entre ces deux fortes femmes.

Diane de Poitiers apparaît dans le roman historique de Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (publié d’abord anonymement en 1678).

MARIE TUDOR

Première reine d’Angleterre (avant Élisabeth Ire), dite Marie la Catholique et Marie la Sanglante pour ses persécutions contre les protestants, cette dame de fer meurt du chagrin d’avoir perdu Calais reprise par les Français, mais aussi son mari Philippe II d’Espagne de retour dans son pays. Elle ressuscite en héroïne d’Hugo.

« Si l’on ouvrait mon cœur, on y trouverait gravé le nom de Calais. »488

Marie TUDOR (1516-1558), son mot de la fin. Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, tome IX (1844), Henri Martin

Ainsi s’exprime la première reine d’Angleterre (connue aussi sous ne nom de Marie Ire), mourante dit-on du chagrin que lui a causé la perte de cette ville, seule place restée anglaise en France, à la fin de la guerre de Cent Ans. Sauvée du massacre il y a deux siècles par les bourgeois de Calais, la ville fut quelque peu oubliée par les rois de France, davantage intéressés par la riche et fascinante Italie.

C’est d’ailleurs parce que la France commence la onzième – et dernière – guerre d’Italie que le roi d’Espagne Philippe II (fils de Charles Quint et mari de la reine d’Angleterre) attaque en Picardie, par les Pays-Bas. Henri II, redoutant plus que tout une invasion espagnole, rappelle François de Guise en route vers l’Italie et le nomme lieutenant général du royaume. Il reprend Calais aux Anglais le 13 janvier 1558, après un siège très bref et malgré les renforts envoyés par Marie Tudor.

La perte de cette ville rendra encore plus impopulaire Marie la Catholique, dite aussi Marie la Sanglante (Bloody Mary) pour avoir persécuté les protestants anglais – près de 300 réformateurs dissidents, brûlés vifs lors des « persécutions mariales ». Du temps de son père Henri VIII, les victimes se comptaient par milliers. Le retour au catholicisme sera annulé par la reine Élisabeth, sa demi-sœur cadette qui va lui succéder.

Marie meurt au terme d’une longue agonie, le cœur brisé d’avoir perdu Calais, mais dit-on aussi Philippe, qui s’est éloigné d’elle pour retourner en Espagne, après un an de mariage.

Les malheurs de Marie ont inspiré les auteurs. Hugo lui consacre un drame romantique (Marie Tudor, 1833). Le rôle-titre attire les grandes comédiennes, de la créatrice Mlle Georges à Maria Casarès. Pièce adaptée au cinéma (muet) en 1917 et à la télévision par Abel Gance en 1966. Cette réalisation en noir et blanc s’éloigne de la vérité historique et vaut par le mélange des genres, tragique élisabéthain, tragédie classique, drame romantique et théâtre de l’absurde. Les personnages se débattent avec les contradictions de l’existence, Marie Tudor le première, reine au cœur déchiré par l’amour.

MICHEL DE l’HOSPITAL

Ministre influent de Catherine de Médicis, prônant la tolérance aux pires heures des guerres de Religion, le Chancelier échoue dans sa politique, perd tout pouvoir et tout espoir après la St-Barthélemy. Fidèle à son idéal, il reste un symbole respecté et statufié. L’édit de Nantes signé par Henri IV est sa victoire posthume.

« Qu’y a-t-il besoin de tant de bûchers et de tortures ? C’est avec les armes de la charité qu’il faut aller à tel combat. Le couteau vaut peu contre l’esprit. »500

Michel de L’HOSPITAL (vers 1504-1573), Assemblée de Fontainebleau, 21 août 1560. Nouvelle Histoire de France (1922), Albert Malet

Le chancelier de France parle ce langage aussi longtemps qu’il est au pouvoir. Catherine de Médicis va le maintenir sept ans à ses côtés : l’histoire est donc injuste, ne retenant que sa responsabilité dans le massacre de la Saint-Barthélemy.

« Il nous faut dorénavant […] les assaillir [les protestants] avec les armes de la charité, prières, persuasions, paroles de Dieu, qui sont propres à de tels combats […] Ôtons ces mots diaboliques : luthériens, huguenots, papistes ; ne changeons le nom de chrétiens. »501

Michel de L’HOSPITAL (vers 1504-1573), Harangue à l’ouverture des États généraux, 13 décembre 1560. Michel de L’Hospital (1950), Albert Buisson

La vraie religion de ce grand juriste est la tolérance – au point que les catholiques plus ou moins ultras le soupçonnent d’être un huguenot masqué.

Principal ministre et chancelier, il exprime à maintes reprises la politique de conciliation menée avec la régente, Catherine de Médicis. Pour l’heure, rien ne s’arrange : les États généraux refusent tout subside au roi, le tiers et la noblesse voulant que le clergé participe aux dépenses royales, alors qu’il refuse. Mais le pouvoir persévère dans sa politique de détente.

« Il faut rétablir l’ordre et l’unité par la douceur ; pour le royaume, la paix est plus importante que le dogme. »502

Michel de L’HOSPITAL (vers 1504-1573), colloque de Poissy, septembre 1561. Le Colloque de Poissy, Mélanges d’histoire du XVIe siècle offerts à Henri Meylan (1970), Alain Dufour

Le colloque permet aux protestants d’exposer pendant un mois leur doctrine, devant l’assemblée générale du clergé de France. Côté catholique siègent 40 prélats, parmi lesquels le cardinal de Lorraine et le cardinal de Tournon. La délégation protestante, conduite par Théodore de Bèze, comprend 12 participants. Le chancelier expose la volonté du roi (et de sa mère).  Ce message de tolérance n’est pas compris par les théologiens qui restent sur leur position dogmatique

Nouvelle tentative avec l’Édit de janvier 1562 : Catherine de Médicis reconnaît officiellement aux protestants le droit de s’assembler pour leur culte, de jour et « hors les villes closes », autrement dit dans les faubourgs et à la campagne. Le culte réformé est pour la première fois permis en France et les pasteurs sont reconnus, mais doivent prêter serment aux autorités. Le Parlement de Paris refuse d’enregistrer cet édit. Huit guerres de Religion vont s’enchaîner : trente-six années de guerre civile presque sans répit, jusqu’à l’édit de Nantes (1598).

« La haine et le fanatisme ne trouveront pas d’obstacle auprès de moi. Dieu seul est ma défense ! »531

Michel de L’HOSPITAL (vers 1504-1573). Œuvres complètes de Michel de L’Hospital, chancelier de France (1824)

Après l’échec de sa politique de conciliation, il vit retiré dans ses terres à Vignay (en Île-de-France). Suite aux massacres de la Saint-Barthélemy (nuit du 24 au 25 août 1572), la « boucherie de Paris » qui fit environ 4 000 morts, la tuerie continue en province jusqu’en octobre : quelque 10 000 réformés en sont victimes (en plus des 3 000 protestants à Paris). Les deux camps se déchirent dans cette quatrième guerre de Religion (1572-1573). Les règlements de compte personnels doublent les affrontements religieux.

L’ex-chancelier a ouvert les portes de son château à une foule survoltée. Assiégé par des catholiques fanatiques, il refuse de se défendre par la force et manque d’être une des victimes collatérales de la Saint-Barthélemy.

« Périsse le souvenir de ce jour ! »535

Michel de L’HOSPITAL (vers 1504-1573). Œuvres complètes de Michel de L’Hospital, chancelier de France (1824)

Le souvenir de la Saint-Barthélemy vivra à jamais dans l’histoire de France, mais ce drame eut un effet positif : un tiers parti va naître, celui des Malcontents, des Politiques, esprits modérés, catholiques aussi bien que protestants, soucieux avant tout de sauver le pays, préparant à terme l’avènement d’Henri IV et la paix. Michel de L’Hospital sera de ces hommes, avec l’humaniste Jean Bodin, le capitaine protestant François de La Noue, Duplessis-Mornay, théologien réformé qui échappe de peu au massacre, le philosophe Montaigne, ami du roi de Navarre et maire de Bordeaux qui tente activement de rapprocher les deux camps, et même le très catholique Ronsard qui se désolidarise des crimes commis au nom de la religion.

Le nom de Michel de l’Hospital reste indissociablement attaché au principe de tolérance qui aboutit à l’édit de Nantes (1598), victoire posthume du chancelier. Signé par Henri IV (né protestant et converti au catholicisme), il met fin à la guerre civile entre catholiques et protestants.

Lire la suite : Honneur aux perdant(e)s ! (Du règne d’Henri IV à la Révolution)

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