Honneur aux perdant(e)s ! (Du règne d’Henri IV à la Révolution) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Voici 46 cas, autant de situations différentes et souvent dramatiques.

  • Perdre la vie, perdre une bataille ou une place enviée, perdre un combat idéologique, perdre la confiance du peuple ou d’un partenaire essentiel, perdre la face et l’honneur.
  • Perdre parce qu’on est faible ou qu’on se croit trop fort, perdre par malchance, par injustice ou par la force des choses et du sens de l’Histoire : Louis XVI sous la Révolution.
  • Perdre individuellement, mais aussi en groupe (les femmes, les Templiers, les Girondins sous la Révolution, les canuts de Lyon, la Commune de Paris).

Certains cas semblent anecdotiques ou paradoxaux – nous assumons, avec des arguments.

Malgré tout, ces perdantes et perdants sont honorés à des titres divers.

« Aux grands hommes, la patrie reconnaissante » : le Panthéon leur fait place.

Ils se retrouvent ici et là statufiés ou s’inscrivent dans la toponymie de nos rues, nos places, notre environnement quotidien. Ils figurent dans les livres d’histoire et les dictionnaires, renaissent dans des œuvres de fiction littéraire, théâtrale, lyrique.

La sanctification honore volontiers les femmes, Blandine, Geneviève, Jeanne (d’Arc).

Parfois, les perdants font école, créant un courant d’idées, une théorie, voire une religion qui change le monde – Jésus-Christ, l’exemple « incroyable mais vrai ».

Autant de « qui perd gagne » permettant une revanche posthume.

On peut en tirer une petite philosophie de l’Histoire et réfléchir au travail de mémoire dont on parle tant. C’est le but de nos éditos et la preuve que les citations bien choisies se révèlent toujours utiles. C’est aussi l’occasion de démentir deux personnages exceptionnellement réunis : « À la fin, il n’y a que la mort qui gagne. » 2980
Charles de GAULLE (1890-1970), citant volontiers ce mot de STALINE dans ses Mémoires de guerre.

(Toutes les citations numérotées sont comme toujours tirées de notre Histoire en citations)

Honneur aux perdants, retrouvez nos quatre éditos :

II. Du règne d’Henri IV à la Révolution

MARIE DE MÉDICIS

Florentine éternellement comploteuse et redoutable en tant que femme d’Henri IV et mère de Louis XIII, plusieurs fois ridicule dans ses entreprises, elle est définitivement confondue lors de la « Journée des dupes ». Honneur lui soit pourtant rendu sur un seul point : la France lui doit son plus grand ministre, Richelieu.

« Je ne trouve ni agréable compagnie, ni réjouissance, ni satisfaction chez ma femme […] faisant une mine si froide et si dédaigneuse lorsqu’arrivant du dehors, je viens pour la baiser, caresser et rire avec elle, que je suis contraint de dépit de la quitter là et de m’en aller chercher quelque récréation ailleurs. »653

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Sully. Lettres intimes de Henri IV (1876), Louis Dussieux

Marie de Médicis n’a certes pas le tempérament de Marguerite de Valois, dite « la reine Margot », sa première femme ! Mais sitôt épousée, elle lui fait le fils qui doit lui succéder : le dauphin Louis naît à Fontainebleau le 27 septembre 1601. Il n’héritera pas de la santé du père et ses relations avec sa mère seront détestables. En attendant, la joie du roi et du royaume est grande : on attendait un héritier depuis quarante ans ! Elle aura six enfants en dix ans de mariage.

Ce mariage florentin fut un sacrifice à la raison d’État - les rois ne se mariaient pas par amour, pour cela, ils avaient les maîtresses et Henri IV battra largement les deux autres grands amoureux de l’histoire, Louis XIV et Louis XV. On avance le nombre de 73. La progéniture du Vert Galant est à l’image de sa santé amoureuse, exceptionnelle, et il légitime souvent ses enfants nés hors mariage – c’est le premier roi de France qui ose cela.

La belle-famille est très riche et très catholique : deux raisons qui auraient dû faire de ce mariage une bonne affaire pour le roi de France. Il n’en est rien. Henriette d’Entragues, maîtresse en titre, se fâche contre Henri et traite Marie de « grosse banquière » – fine allusion à la dot de la reine, 600 000 écus d’or, la plus belle dot de l’Histoire. Mais elle va comploter contre le roi, déjà au lit d’autres femmes. Car la reine lui donne peu de plaisir.

« Vous ne traiteriez pas ainsi vos bâtards !
— Mes bâtards peuvent être à tout moment corrigés par le Dauphin, s’ils sont méchants, mais qui corrigera le Dauphin si je ne le fais moi-même ? »656

HENRI IV (1553-1610), répondant à Marie DE MÉDICIS (1573-1642). Les Rois qui ont fait la France, Henri IV (1981), Georges Bordonove

Les scènes sont fréquentes entre les deux époux. Marie est jalouse des maîtresses du roi fort généreux et galant avec toutes ces dames, alors qu’il a peu d’égard pour la reine. Elle lui reproche ici de frapper avec sa canne le petit Dauphin (futur Louis XIII). Le bon roi n’hésite pas à jouer les pères Fouettard, « sachant bien qu’il n’y a rien au monde qui lui fasse plus de profit ; car étant de son âge, j’ai été fort fouetté ». Bonne raison, au XVIe siècle.

« Priez Dieu, Madame, que je vive longtemps, car mon fils vous maltraitera quand je n’y serai plus. »657

HENRI IV (1553-1610), à Marie de Médicis. Les Rois qui ont fait la France, Henri IV (1981), Georges Bordonove

Sa femme n’est pas étrangère à certains complots tramés autour de lui – le sait-il ? Mais cette phrase est prémonitoire des relations entre la mère et le fils : une véritable guerre au terme de laquelle Marie de Médicis perdra son pouvoir, ses amis, sa liberté, pour finir en exil.

« Je voudrais n’être point roi et que mon frère le fût plutôt : car j’ai peur qu’on me tue, comme on a fait du roi mon père. »663

LOUIS XIII (1601-1643), le soir du 14 mai 1610. Journal pour le règne de Henri IV et le début du règne de Louis XIII (posthume, 1960), Pierre de L’Estoile

Henri IV meurt, victime d’un attentat – poignardé par Ravaillac. L’enfant qui n’a pas 9 ans restera traumatisé à jamais par ce drame où sa mère est sans doute compromise.

« Que vivre au siècle de Marie,
Sans mensonge et sans flatterie,
Sera vivre au siècle doré. »666

François de MALHERBE (1555-1628), Ode à la Reine mère du Roi sur les heureux succès de sa régence (1610)

Poète officiel, il s’empresse de saluer l’âge d’or et ses nouveaux maîtres. En fait, la régence de Marie de Médicis va se révéler catastrophique.

Le Parlement de Paris l’a déclarée régente « pour avoir l’administration des affaires du royaume pendant le bas âge dudit seigneur son fils ». Cette femme lymphatique prend goût au pouvoir, se mêle de tout et accumule les erreurs.

Elle renvoie Sully et tous les ministres d’Henri IV, s’entourant de conseillers qui discréditent son gouvernement, à commencer par Concini et sa femme Léonora Galigaï, deux intrigants originaires comme elle de Florence. Elle suit le « parti des dévots » (ultra-catholique) et se montre d’une faiblesse coupable avec les Condé, Guise, Nevers, Bouillon qu’elle comble de dons, pensions, festivités, espérant acheter leur docilité, alors que leurs ambitions redoublent ! « Le temps des rois est passé, celui des Grands et des Princes est revenu », clament-ils partout.

Le Conseil du roi redevient Conseil féodal et de famille, champ clos où s’affrontent Guise et Condé. La situation est si embrouillée, le Trésor public si vide qu’il faut convoquer les États généraux, le 27 octobre 1614. C’est la dernière fois avant ceux de 1789, prélude à la Révolution.

« En la voie de l’honneur et de la gloire, ne s’avancer et ne s’élever pas, c’est reculer et déchoir. »667

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Déclaration aux États généraux de 1614, 27 octobre. Mémoires du cardinal de Richelieu (posthume)

Armand Jean du Plessis, cardinal, duc de Richelieu, fait son entrée sur la scène de l’histoire et parle déjà ce langage de la grandeur qui sera le sien. Député du clergé poitevin à moins de 30 ans, il a quitté son évêché de Luçon (bien administré par ses soins) et présente le cahier général de son ordre.

Le cardinal a l’art de savoir se mettre en valeur quand, où et auprès de qui il faut. Il expose ici que les rois ont intérêt à appeler dans leur Conseil des ecclésiastiques, « à cause des vertus de capacité et de prudence auxquelles les obligeait leur profession, outre que le célibat les dépouillait plus que les autres d’intérêt particulier ». Le voilà bientôt nommé grand aumônier de la reine mère, très catholique et aussi puissante qu’incapable. C’est le début d’une irrésistible ascension qu’elle va favoriser, puis tenter de contrer par tous les moyens, quand le personnage lui échappe.

« Qu’on m’aille quérir les vieux serviteurs du feu roi mon père et anciens conseillers de mon Conseil d’État. C’est par le conseil de ceux-là que je veux gouverner. »671

LOUIS XIII (1601-1643), après l’assassinat de Concini au Louvre, 24 avril 1617. Histoire générale de la France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1843), Abel Hugo

Premier acte d’autorité, le roi fait le vide au Conseil, renvoyant Richelieu, lié au clan Concini qu’il vient de faire assassiner. Il rappelle Brulart de Sillery et les « barbons » du temps de son père Henri IV.

« Si on ne veut pas lui dire la nouvelle, qu’on la lui chante ! »672

MARIE DE MÉDICIS (1575-1642), 24 avril 1617. Richelieu (1968), Philippe Erlanger

La reine mère a ce mot terrible, quand on lui demande d’annoncer la mort de Concini à sa femme Léonora Galigaï - astrologue, confidente et sœur de lait de Marie de Médicis, donc une amie de quarante ans !

Concini abattu dans la cour du Louvre, enterré à Saint-Germain-l’Auxerrois, est exhumé par la foule, dépecé, brûlé sur le pont Neuf. Léonora Galigaï est arrêtée, embastillée. Elle pratiquait l’envoûtement et l’exorcisme, on lui fera un procès pour « juiverie » et sorcellerie - ainsi, la reine ne risque pas d’être impliquée. L’accusée se défend bien, mais le jugement est fait d’avance : la mort pour la sorcière. Elle sera digne devant les injures de la foule et courageuse sur l’échafaud.

Quant à Marie de Médicis, elle se retrouve en exil et en prison à Blois, mais s’en évadera en 1619, pour prendre la tête d’une révolte des Grands contre son royal fils.

« Mon Dieu, que vous êtes grandi ! »678

MARIE DE MÉDICIS (1575-1642), à Louis XIII, rappelée d’exil, 5 septembre 1619. L’Ancienne France : Henri IV et Louis XIII (1886), Paul Lacroix (dit Sébastien Jacob)

Fin provisoire de la « guerre de la mère et du fils » : la reine mère reconnaît ainsi que le roi est bien Roi.

Le 22 février, elle s’est échappée de sa prison au château de Blois d’une manière rocambolesque, pour prendre la tête d’un soulèvement contre son fils. Le traité d’Angoulême, négocié par Richelieu, apaise le conflit. Mais quelques mois plus tard, la mère repartira en guerre contre le fils, en ralliant à sa cause les Grands du royaume.

Le roi n’aime pas sa mère et il a quelques raisons, mais il est assez intelligent pour comprendre que, tenue de force éloignée de la cour, elle serait plus dangereuse car plus libre de comploter encore et toujours contre lui.

Cette réconciliation et quelques autres sont négociées par Richelieu qui se rapproche ainsi du pouvoir. Après la mort de Luynes (favori du roi et hostile à tout nouvel ambitieux), la reine mère le fera nommer cardinal, puis entrer au Conseil du roi en 1624, espérant avoir un allié en la place. Mais Richelieu qui la connaît s’en méfie, surtout soucieux de conserver la confiance du roi dont dépend sa carrière et sa fortune. Or le personnage reste imprévisible et jaloux de son autorité.

« C’est le plus grand serviteur que jamais la France ait eu. »706

LOUIS XIII (1601-1643), défendant le cardinal contre sa mère au lendemain de la journée des Dupes, le 11 novembre 1630. Richelieu et le roi Louis XIII (1934), Louis Batiffol

Marie de Médicis a tenté de perdre Richelieu. Elle l’avait introduit auprès du roi, espérant son soutien au parti dévot et à l’Espagne catholique. Et voilà qu’il s’allie aux protestants allemands, pour contrer la puissante maison des Habsbourg qui règne en Autriche et en Espagne.

Avec la reine Anne d’Autriche, elle a profité d’une grave maladie du roi (tuberculeux et de santé fragile) pour l’éloigner de son Principal ministre et obtenir sa future disgrâce, en septembre 1630, à Lyon.

Le 10 novembre, en son palais du Luxembourg, elle presse son fils de tenir parole. Richelieu, craignant le pire, entre par une porte dérobée. Elle l’accable de sa colère et ses injures. Le roi, bouleversé, se retire sans un mot, sans un regard pour son ministre. La cour croit à une arrestation imminente, les courtisans s’empressent autour de la reine mère. « C’est la journée des Dupes » : le mot de Bautru, conseiller d’État et protégé du cardinal, fait le tour de Paris.

Le lendemain, le roi est à Versailles. Richelieu, convoqué, se croit perdu et se jette à ses genoux. Louis XIII le relève, le prie de rester, exile Marie de Médicis à Compiègne. C’est la déroute du parti dévot. Richelieu a gagné.

« Comme les femmes n’ont pas de voix en l’Église, je suis de l’opinion des anciens et modernes qui croient qu’elles n’en doivent point avoir en l’État. »707

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Vie de Louis XIII (1936), Louis Vaunois

Propos misogyne, mais avis fondé, si l’on songe au rôle de Marie de Médicis et d’Anne d’Autriche, adversaires du cardinal et le plus souvent nuisibles à la France, du temps de leur règne comme de leur régence.

« Je m’aperçois assez que l’on s’en prend au cardinal et qu’on ne s’ose plaindre de ma personne. Plus je verrai qu’on l’attaquera, cela sera cause que je l’aimerai davantage et porterai son parti. »709

LOUIS XIII (1601-1643), au sieur de La Barre Le Sec, 25 juillet 1631. Vie de Louis XIII (1936), Louis Vaunois

De La Barre était venu lui parler de la reine mère, Marie de Médicis. Prisonnière, évadée, la voilà désormais exilée hors de France. Elle le restera jusqu’à sa mort à Cologne, en 1642.

Le « parti des bons Français », celui des partisans de Richelieu, refusant l’immixtion de la religion dans les affaires de l’État et considérant la maison de Habsbourg comme le principal danger, a définitivement gagné contre le parti dévot. Le couple formé par Louis XIII et Richelieu est uni et ce « ministériat » fait la force du règne.

MARQUIS DE CINQ-MARS

Protégé de Richelieu et dernier favori de Louis XIII, il trahit l’un et l’autre, devenant l’âme d’un ultime complot qui implique l’Espagne ennemie et met la France en péril. Sa jeunesse (22 ans) et sa mort en font un héros littéraire, sinon légendaire.

« Tant plus on témoigne l’aimer et le flatter, tant plus il se hausse et s’emporte. »729

LOUIS XIII (1601-1643). Cinq-Mars ou la passion et la fatalité (1962), Philippe Erlanger

Il parle à Richelieu de son favori, Henri Coiffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars. L’ambitieux va conspirer contre Richelieu, avec son ami et complice le magistrat de Thou, le duc de Bouillon et l’inévitable frère du roi, Gaston d’Orléans qui a cherché alliance auprès des Espagnols. L’affaire Cinq-Mars, dernier grand complot du règne, attriste les derniers mois du cardinal, épuisé à la tâche, rongé par un ulcère.

« Je me rends, parce que je veux mourir, mais je ne suis pas vaincu. »730

Marquis de CINQ-MARS (1620-1642). Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri Robert

Ainsi parle le héros revu, corrigé, idéalisé, immortalisé par Alfred de Vigny dans son roman historique, Cinq-Mars, ou une conjuration sous Louis XIII (1826), inspiré de Walter Scott.

Le comte de Vigny, jeune officier et poète romantique, en fait le symbole de la noblesse humiliée par la monarchie absolue : grand écuyer, favori de la Reine, passionnément attaché aux prérogatives de sa caste, bravant les édits de Richelieu (comme témoin à un duel interdit), il s’apprête, avec la complicité des Espagnols et l’appui de la reine Anne d’Autriche, à écarter le trop puissant cardinal qui a tout pouvoir sur un roi trop faible – cet argument a déjà joué, dans la « journée des Dupes » dont l’âme était la reine-mère, Marie de Médicis.

La conjuration est dénoncée. Le cardinal triomphe. « Cinq-Mars sourit avec tristesse et sans amertume, parce qu’il n’appartenait déjà plus à la terre. Ensuite, regardant Richelieu avec mépris », il se rend. La réalité est quelque peu différente du roman, mais pas moins dramatique, comme le contexte historique de la célèbre « affaire Cinq-Mars ».

« Je voudrais bien voir la grimace que Monsieur le Grand doit faire à cette heure. »731

LOUIS XIII (1601-1643), à Paris, apprenant l’exécution de son favori à Lyon. Historiettes : mémoires pour servir à l’histoire du XVIIe siècle (posthume, 1834), Tallemant des Réaux

Monsieur le Grand, c’est donc Cinq-Mars. Il a 22 ans. Condamné à mort, il est décapité à Lyon, le 12 septembre 1642.

Le marquis de Cinq-Mars était devenu le favori du roi. Richelieu organisa la rencontre trois ans plus tôt, pour distraire un souverain fatigué, malade. Le jeune homme est comblé d’honneurs, mais ce n’est jamais assez. Il cède alors à la tentation du complot - véritable manie du règne dont l’autoritarisme est contesté par les Grands et qui annonce la monarchie absolue sous Louis XIV. Ce dernier complot est soutenu par Philippe IV d’Espagne en guerre contre la France. En échange, les conjurés lui promettent la restitution de toutes les villes conquises et la victoire ! C’est dire si l’affaire est grave. On projette aussi de s’emparer du cardinal et de le tuer.

Cinq-Mars recule au dernier moment (Richelieu étant avec son capitaine des gardes), mais une copie du traité félon l’accuse. Richelieu en fait part à Louis XIII et le roi ne peut pardonner une si grave traîtrise à son favori. Dont acte.

NICOLAS FOUQUET

Surintendant des Finances dont la réussite insolente porte ombrage au Roi-Soleil, mécène remarquable et ami de ses célèbres artistes, sa chute est la première affaire marquante du siècle de Louis XIV et le symbole de l’absolutisme monarchique, sa mort restant un mystère. Fouquet reste dans l’Histoire pour toutes ses raisons.

« Je résolus sur toutes choses de ne point prendre de Premier ministre […] rien n’étant plus indigne que de voir d’un côté toute la fonction et de l’autre le seul titre de Roi. »855

LOUIS XIV (1638-1715), Mémoires pour l’instruction du Dauphin (1662)

Le roi entreprend la rédaction de ce précieux document la première année du règne personnel, songeant déjà à l’éducation politique de son successeur et l’initiant, par l’exemple, au difficile métier de roi. Le Grand Dauphin, né cette même année 1661, meurt trop tôt pour régner, de même le Second Dauphin. C’est son arrière-petit-fils (Louis XV) qui en fera usage. L’autorité de Louis XIV est désormais sans partage. « Sans la donner entière à pas un », il donne sa confiance à quelques ministres bien choisis, « appliquant ces diverses personnes à diverses choses, selon leurs divers talents, [ce] qui est peut-être le premier et le plus grand talent des princes ».

Le roi garde les trois ministres de Mazarin, la « triade » expérimentée : Fouquet (Finances), Lionne (Affaires étrangères), Le Tellier (Guerre). Colbert, chaudement recommandé par Mazarin mourant, a charge d’enquêter sur la fortune du surintendant Fouquet.

« Quo non ascendet ? »
« Jusqu’où ne montera-t-il pas ? »858

Nicolas FOUQUET (1615-1680), devise figurant dans ses armes, sous un écureuil

Il monta si haut… que le roi ne put le tolérer.

Fils d’un conseiller au Parlement, vicomte de Vaux, enrichi par le commerce avec le Canada, Fouquet achète la charge de procureur général au Parlement de Paris, devient ami de Mazarin, surintendant des Finances, s’enrichit encore, se paie le marquisat de Belle-Isle, y établit une force militaire personnelle et même des fortifications. Au château de Vaux qu’il fait construire, il sera le mécène des plus prestigieux artistes du temps : La Fontaine, Molière, Poussin, Le Vau, Le Brun.

Colbert qui brigue sa place apporte la preuve qu’une telle fortune fut acquise au prix de graves malversations. Invité à une fête somptueuse à Vaux, 5 septembre 1661, Louis XIV fait arrêter son surintendant. Véritable coup de théâtre.

« La chute de ce ministre [Fouquet] à qui on avait bien moins de reproches à faire qu’au cardinal Mazarin, fit voir qu’il n’appartient pas à tout le monde de faire les mêmes fautes. »859

VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)

Richelieu avant Mazarin et Colbert après Fouquet ont aussi profité de leur place dans l’État pour s’enrichir. Mais Fouquet voulut éblouir le roi qui voulait seul éblouir le monde.

Son arrestation est le premier acte politique du règne : Louis XIV prenant ainsi le pouvoir surprend tout son entourage. Le surintendant déchu (et ex-grand mécène) sera soutenu par ses amis, La Fontaine, Mme de Sévigné, Mlle de Scudéry. Leur fidélité dans l’épreuve plaide en leur faveur comme en la sienne.

« Fouquet a sauvé sa vie profonde, laissant Colbert condamné à ramer sur la galère mondaine, avec des gants parfumés. Les dieux n’aiment pas l’homme heureux. »861

Paul MORAND (1888-1976), Fouquet ou le soleil offusqué (1961)

Au terme d’un procès de trois ans, plein d’irrégularités, Nicolas Fouquet est condamné pour abus, malversations et lèse-majesté à la confiscation de ses biens et au bannissement, peine que Louis XIV transforme en prison perpétuelle. Il est enfermé à la forteresse de Pignerol. La date et les circonstances de sa mort restent un mystère – il est l’un des possibles « masques de fer ».

Jean-Baptiste Colbert lui succède en 1661 comme intendant des Finances – le poste de surintendant étant supprimé.

CALAS

Protestant victime de l’intolérance religieuse qui sévit toujours au siècle des Lumières, il est bien connu pour « l’affaire Calas » et réhabilité trois ans après sa mort grâce à Voltaire – qui lui doit sa panthéonisation, autre titre de gloire pour le perdant de cette histoire.

« L’abus de la religion la plus sainte a produit un grand crime… ».

VOLTAIRE (1694-1778), Traité sur la tolérance (1763)

« … Ces cas sont rares, mais ils arrivent, et ils sont l’effet de cette sombre superstition qui porte les âmes faibles à imputer des crimes à quiconque ne pense pas comme elles ».

Tels sont les derniers mots de ce texte où Voltaire évoque le drame de Jean Calas, père de famille protestant, accusé par la foule d’avoir assassiné deux ans plus tôt son fils Marc-Antoine, retrouvé mort (étranglé) le 13 octobre 1761 au soir dans la boutique de son père à Toulouse. Le père croit à un suicide et le camoufle en meurtre, pour lui éviter le traitement infligé aux suicidés. Mais la rumeur publique et la justice l’accusent du crime : il aurait tué son fils pour l’empêcher de se convertir à la religion catholique.

9 mars 1762, le parlement de Toulouse condamne Calas « à être rompu vif, à être exposé deux heures sur une roue, après quoi il sera étranglé et jeté sur un bûcher pour y être brûlé ». Il subit au préalable la question ordinaire et extraordinaire « pour tirer de lui l’aveu de son crime, complices et circonstances », une longue séance de torture, mais Calas n’avoue rien et clame son innocence. Le 10 mars, roué vif place Saint-Georges, il est étranglé, puis brûlé deux heures plus tard.

Le philosophe a d’abord cru à la culpabilité de Jean Calas, rédigeant une lettre incendiaire sur Calas. Mais il est bientôt convaincu par un autre fils, Pierre, de son innocence. Il forme un groupe de pression avec ses amis et va se battre jusqu’à ce que justice soit faite ! Le Traité sur la tolérance est une pièce au dossier, dans le procès de l’intolérance et du fanatisme religieux. Une cause qui lui est chère depuis toujours.

« Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. »1023

VOLTAIRE (1694-1778), Zadig ou la destinée (1747)

Ainsi parle Zadig, « celui qui dit la vérité », alias Voltaire. Quand la Révolution va mettre au Panthéon le grand homme (seul à partager cet honneur avec son meilleur ennemi, Rousseau), on lira sur son sarcophage qui traverse Paris le 11 juillet 1791 : « Il défendit Calas, Sirven, La Barre, Montbailli. » Plus que le philosophe réformateur ou le théoricien spéculateur, la Révolution honore l’« homme aux Calas », l’infatigable combattant pour que justice soit faite.

Dans son Dictionnaire philosophique et en divers essais, il se bat pour une réforme de la justice, dénonce les juges qui achètent leurs charges et n’offrent pas les garanties d’intelligence, de compétence et d’impartialité, se contentant de présomptions et de convictions personnelles. Il réclame que tout jugement soit accompagné de motifs et que toute peine soit proportionnelle au délit.

« Tout ce que je vois jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement et dont je n’aurai pas le plaisir d’être témoin. Les Français arrivent tard à tout, mais enfin, ils arrivent […] Les jeunes gens sont bienheureux ; ils verront de belles choses. »1172

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre au marquis de Chauvelin, 2 avril 1764, Correspondance (posthume)

Sexagénaire, riche et célèbre, le patriarche de Ferney reçoit tout ce que le siècle des Lumières compte d’écrivains, de princes, d’admirateurs. L’« aubergiste de l’Europe » ne se contente pas d’écrire, de « cultiver son jardin » et d’observer le monde comme il va. Il se bat pour plus de justice, faisant appel à ses amis influents, dont le ministre Choiseul et le duc de Richelieu, afin d’obtenir la révision du procès Calas, tandis que la famille obtient un entretien à Versailles auprès de Louis XV.

Le 9 mars 1765, à l’unanimité des quarante juges, le Grand Conseil s’est prononcé en faveur du négociant protestant, victime d’une des plus graves erreurs judiciaires du siècle. Au terme de trois ans de lutte, la réhabilitation de Calas est une victoire personnelle du philosophe et le triomphe de la justice sur des institutions judiciaires souvent incompétentes et d’autant plus partiales que l’accusé n’était pas de religion catholique ! La mise en cause des mécanismes judiciaires, une des plaies de l’Ancien Régime, est en soi un acte révolutionnaire à l’époque. L’attitude courageuse de Voltaire fait de lui le premier de nos « intellectuels engagés ».

« Je sème un grain qui pourra produire un jour une moisson. »1176

VOLTAIRE (1694-1778), Traité sur la tolérance (1763)

Il a écrit ce traité pour Calas et ajoute : « Attendons tout du temps, de la bonté du roi, de la sagesse de ses ministres, et de l’esprit de raison qui commence à répandre partout sa lumière. »

Deux ans après, c’était la réhabilitation de Calas ! Les mêmes mots se retrouvent alors dans ses Lettres, avec cette conclusion : « Il y a donc de la justice et de l’humanité chez les hommes. »

L’auteur va continuer de s’engager dans les grandes affaires de son temps. À 60 ans passés, Voltaire sait abandonner une œuvre en cours, pour sauver un innocent ou du moins sa mémoire. Alors que Rousseau, auteur de l’Émile, traité sur l’éducation, abandonne à l’Assistance publique les cinq enfants qu’il fait à une servante illettrée.

MADAME DU BARRY

Dernière favorite de Louis XV vieillissant, jeune roturière née Jeanne Bécu, cible de pamphlets injurieux et de médisances à la cour, suspecte sous la Révolution, elle finit guillotinée. Elle clôt le temps des favorites royales – après Charles VII et Agnès Sorel, une centaines tinrent cet emploi ingrat, mais envié, passeport pour une postérité médiatique.

« Eh ! la France, ton café fout le camp. »1185

Comtesse DU BARRY (1743-1793), s’adressant à Louis XV. Anecdotes sur la comtesse du Barry (1775), Pidansat de Mairobert

Nouvelle favorite depuis 1768, elle a trente-trois ans de moins que le roi vieillissant, toujours séducteur et encore séduisant, aussitôt charmé par sa joie de vivre et ses 25 ans.

Jeanne Bécu a beaucoup « vécu », avant de se retrouver au centre des intrigues de la cour. Son éducation chez les sœurs ne l’a pas débarrassée d’un parlé peu protocolaire et les courtisans collectionnent les perles pour se moquer de cette fausse noble. Ainsi, elle traitait le roi comme un valet de comédie, l’appelant « la France » et le tutoyant. Occupée à se poser des mouches devant sa psyché quand l’infusion en bouillant tomba sur le feu, elle aurait crié la fameuse phrase, souvent citée.

Assurément dite, elle fut peut-être adressée à un valet de pied au service de la favorite de 1770 à 1772, et qui s’appelait justement La France.

Méprisée ouvertement du vivant du roi, chassée de la cour à sa mort, exilée dans sa propriété de Louveciennes, elle sera rattrapée par l’histoire sous la Révolution, jugée comme conspiratrice contre la République et guillotinée pendant la Terreur. Ce joli mot de la fin lui est prêté : « Encore un moment, monsieur le bourreau ! »

Elle clôt la longue liste des favorites, maîtresses officielles de nos rois. La première, Agnès Sorel, remonte à la fin du Moyen Âge (sous le règne de Charles VII). Nous avons évoqué Diane de Poitiers (sous Henri II). Henri IV le Vert Galant a battu tous les records amoureux, avec l’habitude de légitimer ses bâtards. Louis XIV et Louis XV firent ensuite honneur à la tradition des Bourbons au long nez.

LOUIS XVI

Jeune roi incapable d’assumer son rôle (d’ailleurs impossible) à la veille de la Révolution, il se rachète dans l’épreuve finale, de son procès devant la Convention à son exécution capitale face au peuple. La France royaliste se réveille et part en guerre (Vendée, Chouans), l’Histoire commémorant le souvenir du roi martyr, le 21 janvier.

« Mon Dieu, guidez-nous, protégez-nous, nous régnons trop jeunes ! »1205

LOUIS XVI (1754-1793) et MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), Versailles, 10 mai 1774. Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre ; suivis de souvenirs et anecdotes historiques sur les règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI (1823), Jeanne-Louis-Henriette Genet Campan

Louis XV est mort, les courtisans se ruent vers le nouveau roi. Le petit-fils du défunt roi, âgé de 20 ans, est tout de suite effrayé par le poids des responsabilités, plus qu’enivré par son nouveau pouvoir. Marie-Antoinette, d’un an sa cadette, est également effrayée par l’ampleur de la tâche qui l’attend, pour d’autres raisons.

Premier acte politique : le roi, non sans regret (déjà !), va renvoyer le triumvirat de combat (Maupeou-Terray-d’Aiguillon) qui tentait les indispensables réformes, ce qui l’a rendu terriblement impopulaire à la fin du règne de Louis XV. Il accumulera ensuite les maladresses et les revirements. Mais il va se révéler plus grand que lui-même, à la veille de l’échafaud auquel il ne peut échapper.

« Je subirai le sort de Charles Ier, et mon sang coulera pour me punir de n’en avoir jamais versé. »1465

LOUIS XVI (1754-1793), Lettre à Malesherbes, écrite au Temple, décembre 1792. Mémoires du marquis de Ferrières (1822)

Précédent historique maintes fois rappelé : Charles Ier, roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, victime de la révolution anglaise, jugé par le Parlement, décapité en 1649.

Louis XVI, ce roi si faible, incapable de régner quand il avait le pouvoir et les hommes (quelques grands ministres), cet homme de 38 ans, prématurément vieilli, parfois comparé à un vieillard, va faire preuve de courage et de lucidité dans ces deux derniers mois. Toujours à son ami et avocat, Malesherbes, il écrit : « Je ne me fais pas d’illusion sur mon sort ; les ingrats qui m’ont détrôné ne s’arrêteront pas au milieu de leur carrière ; ils auraient trop à rougir de voir sans cesse sous leurs yeux leur victime. »

« Louis sera-t-il donc le seul Français pour lequel on ne suive nulle loi, nulle forme ? Louis ne jouit ni du droit de citoyen, ni de la prérogative des rois : il ne jouira ni de son ancienne condition, ni de la nouvelle ! Quelle étrange exception. »1468

Romain DESÈZE (1748-1828), Plaidoirie pour Louis XVI, 26 décembre 1792. Histoire de France depuis la Révolution de 1789 (1803), François-Emmanuel Toulongeon

L’avocat (comte Desèze ou De Sèze) témoignera plus tard du grand œuvre de sa vie : « Trois jours et quatre nuits, j’ai lutté pied à pied avec les documents pour édifier avec Malesherbes et Tronchet, et surtout avec mon Roi, la défense de celui qui était déjà condamné par la Convention. J’ai voulu plaider avec la justice, le cœur, le talent que l’on me reconnaissait alors. Mon maître ne me laissa combattre que sur le terrain du droit : il se souciait de balayer les accusations dont il était l’objet, non d’apitoyer. Pendant plus d’une heure, je lui ai donné ma voix. En vain… »

« Il a bien travaillé. »1469

LOUIS XVI (1754-1793), après la plaidoirie de son avocat Romain Desèze, 26 décembre 1792. Histoire socialiste, 1789-1900, Volume 4, La Convention (1908), Jean Jaurès

Desèze s’est assis, épuisé après la plaidoirie. En sueur, il demande une chemise. « Donnez-la-lui, car il a bien travaillé », dit le roi. « Avec une familiarité touchante et un peu vulgaire », commente l’historien socialiste.

Dans son discours de réception à l’Académie française sous la Restauration (en 1828), le baron de Barante rendra cet hommage à Desèze : « Son éternel honneur sera d’avoir été associé à l’événement le plus tristement religieux de notre Révolution ».

« L’arbre de la liberté ne saurait croître s’il n’était arrosé du sang des rois. »1475

Bertrand BARÈRE de VIEUZAC (1755-1841), à la tribune, 20 janvier 1793. Mémoires de M. de Bourrienne, ministre d’État : sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration (1829), Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne

Le président de la Convention, dans l’effervescence générale, justifie ainsi la condamnation à mort de Louis XVI, contre la partie la plus modérée de l’assemblée qui souhaitait atténuer la peine. Lui-même s’est prononcé pour la mort, sans appel au peuple, sans sursis à l’exécution. On retrouvera Barère en juillet 1793, membre du Comité de salut public et l’un des organisateurs les plus zélés de la Terreur, nommé l’Anacréon de la guillotine.

« Louis doit mourir pour que la patrie vive. »1476

ROBESPIERRE (1758-1794), « célèbre sentence ». Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf

Mots prononcés au début du procès, le 3 décembre. « Je n’ai pour Louis ni amour ni haine : je ne hais que ses forfaits… » En fait, le roi était jugé d’avance. La Révolution, c’est la souveraineté du peuple et elle ne peut composer avec la souveraineté du roi. Ce n’est pas l’homme Capet qui est en cause, aux yeux des théoriciens tels que Robespierre et Saint-Just, c’est l’extravagante condition du monarque.

« Ô mon peuple, Que vous ai-je donc fait ?
J’aimais la vertu, la justice.
Votre bonheur fut mon unique objet,
Et vous me traînez au supplice ! »1477

Complainte de Louis XVI aux Français, quand le verdict fatal est connu à la fin du procès, chanson anonyme. Prières pour le roi, la France, etc. précédées du Testament de Louis XVI et de quelques notes historiques (1816)

« Glapie dans les guinguettes par des chanteurs à gages », sur l’air d’une romance célèbre composée par la marquise de Travanet et par Marie-Antoinette, cette complainte a tant de succès qu’elle éclipse un temps La Marseillaise.

« Peuple, je meurs innocent ! »1479

LOUIS XVI (1754-1793), à la foule, place de la Révolution à Paris (aujourd’hui place de la Concorde), 21 janvier 1793. Mémoires d’outre-tombe (posthume), François René de Chateaubriand

« Premier mot de la fin » du roi. L’importance de l’événement est telle que l’imagination populaire ou historienne se donne libre cours.

Le roulement de tambours de la garde nationale interrompt la suite de sa proclamation, entendue seulement par le bourreau Sanson et ses aides. La scène sera maintes fois reproduite en gravures et tableaux, avec le bourreau qui brandit la tête du roi, face au peuple amassé.

« Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que mon sang ne retombe pas sur la France. »1480

LOUIS XVI (1754-1793), au bourreau Sanson et à ses aides, 21 janvier 1793. « Second mot de la fin » du roi. Histoire de France depuis les temps les plus reculés (1867), Antonin Roche

Autre mot de la fin attribué au roi, toujours dans le même esprit : « Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français. » Et encore : « Dieu veuille que ce sang ne retombe pas sur la France. » Cela relève de la « belle mort », comme pour alimenter la légende. Reste un fait avéré. Louis XVI, tout au long de sa vie, eut une obsession louable et rare chez un roi : ne pas faire couler le sang des Français.

« Louis ne sut qu’aimer, pardonner et mourir !
Il aurait su régner s’il avait su punir. »1481

Comte de TILLY (1764-1816). Biographie universelle, ancienne et moderne (1826), Joseph Michaud, Louis Gabriel Michaud

Dans ce célèbre distique (deux vers), le comte de Tilly, défenseur du roi au palais des Tuileries (le 10 août 1792) et auteur de Mémoires (surtout galants), témoigne de cette horreur de la violence, dans une époque où elle fait loi.

« On a tué des rois bien avant le 21 janvier 1793. Mais Ravaillac, Damiens et leurs émules voulaient atteindre la personne du roi, non le principe […] Ils n’imaginaient pas que le trône pût rester toujours vide. »1484

Albert CAMUS (1913-1960), L’Homme révolté (1951)

Il est vrai que l’histoire du monde est riche en régicides. Mais les assassins des rois qui tuent un homme ne font que renforcer le mythe de la royauté. Alors qu’un procès public, devant une Assemblée nationale devenue tribunal du peuple, devait mettre fin à la monarchie de droit divin.
La mort du roi, chacun en juge selon son camp, des royalistes aux révolutionnaires, en passant par toutes les nuances d’opinion, de la droite réactionnaire à la gauche extrême. Cela vaut de manière plus générale pour la Révolution, et aujourd’hui encore, on en discute.

Les émigrés royalistes proclament roi, sous le nom de Louis XVII, le jeune dauphin enfermé au Temple et le comte de Provence (frère aîné de Louis XVI, futur Louis XVIII) est nommé régent du royaume.

MARIE-ANTOINETTE

Dauphine adorée, reine détestée, elle devient digne et responsable dans la tourmente révolutionnaire et mère bouleversante dans le procès public où le peuple prend parti pour la victime calomniée, accusée d’inceste sur son très jeune fils.

« Une femme, la honte de l’humanité et de son sexe, la veuve Capet, doit enfin expier ses forfaits sur l’échafaud. »1538

Jean-Nicolas BILLAUD-VARENNE (1756-1819), Convention, 3 octobre 1793. L’Agonie de Marie-Antoinette (1907), Gustave Gautherot

Un parmi d’autres conventionnels à réclamer la mise en jugement de la « Panthère autrichienne ». Marie-Antoinette, en prison depuis près d’un an, attendait son sort au Temple, avant son transfert à la Conciergerie, le 1er août 1793.

Le 3 octobre, au moment où la Convention vient de décréter que les Girondins seront traduits devant le Tribunal révolutionnaire, Billaud-Varenne parle en ces termes : « Il reste encore un décret à rendre : une femme, la honte de l’humanité et de son sexe, la veuve Capet, doit enfin expier ses forfaits sur l’échafaud. On publie qu’elle a été jugée secrètement et blanchie par le Tribunal révolutionnaire, comme si une femme qui a fait couler le sang de plusieurs milliers de Français pouvait être absoute par un jury français. Je demande que le Tribunal révolutionnaire prononce cette semaine sur son sort. » La Convention adopte cette proposition.

« Ils peuvent être mes bourreaux, mais ils ne seront jamais mes juges. »1539

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), apprenant qu’elle va être jugée par le Tribunal révolutionnaire, début octobre 1793. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Elle est à présent sans illusion, prisonnière à la Conciergerie, dite l’antichambre de la mort. Deux chefs d’accusation sont retenus contre elle : manœuvres en faveur des ennemis extérieurs de la République et complot pour allumer la guerre civile. Mais le dossier est vide et le tribunal veut respecter au moins les apparences. D’où l’idée d’interroger son fils, 8 ans, pour lui faire reconnaître des relations incestueuses avec sa mère. Pache (maire de Paris), Chaumette (procureur) et Hébert (substitut de la Commune) s’en chargent.

Le mot de Marie-Antoinette prendra tout son sens, quand elle subira une vraie torture morale, durant les deux jours de son procès public (14 et 15 octobre).

« Immorale sous tous les rapports et nouvelle Agrippine, elle est si perverse et si familière avec tous les crimes qu’oubliant sa qualité de mère, la veuve Capet n’a pas craint de se livrer à des indécences dont l’idée et le nom seul font frémir d’horreur. »1541

FOUQUIER-TINVILLE (1746-1795), Acte d’accusation de Marie-Antoinette, Tribunal révolutionnaire, 14 octobre 1793. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris (1862), Émile Campardon

« Marie-Antoinette de Lorraine d’Autriche, âgée de 37 ans, veuve du roi de France », ayant ainsi décliné son identité, a répondu le 12 octobre à un interrogatoire (secret) portant sur des questions politiques, et sur le rôle qu’elle a joué auprès du roi, au cours de divers événements, avant et après 1789. Elle nie pratiquement toute responsabilité.

Au procès, cette fois devant la foule, elle répond à nouveau et sa dignité impressionne. L’émotion est à son comble, quand Fouquier-Tinville aborde ce sujet intime des relations avec son fils. L’accusateur public ne fait d’ailleurs que reprendre les rumeurs qui ont moralement et politiquement assassiné la reine en quelque 3 000 pamphlets, à la fin de l’Ancien Régime. L’inceste (avec un enfant âgé alors de moins de 4 ans) fut l’une des plus monstrueuses.

« Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature se refuse à répondre à pareille inculpation faite à une mère : j’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici. »1542

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), réplique à un juré s’étonnant de son silence au sujet de l’accusation d’inceste, Tribunal révolutionnaire, 14 octobre 1793. La Femme française dans les temps modernes (1883), Clarisse Bader

La reine déchue n’est plus qu’une femme et une mère humiliée, à qui l’on a enlevé son enfant devenu témoin à charge, évidemment manipulé. L’accusée retourne le peuple en sa faveur. Le président menace de faire évacuer la salle. La suite du procès est un simulacre de justice, et l’issue ne fait aucun doute.

Au pied de la guillotine, les dernières paroles de Marie-Antoinette sont pour le bourreau Sanson qu’elle a heurté, dans un geste de recul : « Excusez-moi, Monsieur, je ne l’ai pas fait exprès. »

LOUIS XVII

Dauphin sacrifié par l’Histoire, prisonnier du Temple, il meurt à dix ans, mais reste très présent dans la mémoire des royalistes et devient même une légende vivante, entourée de mystère. 

« Maman, est-ce qu’hier n’est pas fini ? »1388

Le dauphin LOUIS, futur « LOUIS XVII » (1785-1795), à Marie-Antoinette, fin juin 1791. Bibliographie moderne ou Galerie historique, civile, militaire, politique, littéraire et judiciaire (1816), Étienne Psaume

Un joli mot de l’enfant qui mourra quatre ans plus tard, à la prison du Temple.

L’épreuve de la fuite à Varennes blanchit – dit-on – les cheveux de la reine : de blond cendré, ils devinrent « comme ceux d’une vieille femme de soixante-dix ans ». Marie-Antoinette a sans aucun doute une part de responsabilité dans ce projet d’évasion mal préparé. Elle dit un jour à Fersen : « Je porte malheur à tous ceux que j’aime. »

« Lors même qu’il [Louis XVII] aura cessé d’exister, on le retrouvera partout et cette chimère servira longtemps à nourrir les coupables espérances. »1615

CAMBACÉRÈS (1753-1824), Discours tenu au nom des Comités de salut public, de sûreté générale et de législation, Convention, 22 janvier 1795

Phrase prémonitoire, prononcée à l’occasion du deuxième anniversaire de la mort de Louis XVI. À la tribune, l’orateur conclut contre la mise en liberté de son fils.

Le dauphin Louis XVII mourra officiellement au Temple le 8 juin de cette année – mais est-ce lui ou un autre enfant qui aurait pris sa place ? C’est « l’énigme du Temple », l’un des mystères de l’histoire de France, conforté par cette phrase étrange du grand juriste qui pèse toujours ses mots. Ne dirait-on pas que l’enfant a déjà disparu en janvier ? Totalement isolé, il était très malade.

OLYMPE DE GOUGES

Femme très libre, féministe et activiste, se battant toujours pour de bonnes causes (y compris celle des Noirs et des esclaves), condamnée à la guillotine, elle en appelle à la postérité qui n’a pas oublié son nom – aujourd’hui encore candidate légitime au Panthéon.

« La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »1397

Olympe de GOUGES (1755-1793), Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, septembre 1791. Le XIXe siècle et la Révolution française (1992), Maurice Agulhon

Le préambule du texte est dédié à la reine. Cette féministe, l’une des premières de l’histoire, mourra guillotinée en 1793, après bien d’autres provocations.

Elle plaide pour l’égalité entre les sexes, ce qui inclut le droit de vote et l’éligibilité (permettant de monter à la tribune en tant que député). Mais c’est impossible aussi longtemps que la femme est considérée comme juridiquement mineure, soumise au père ou à l’époux. Les femmes seront finalement la « minorité » la plus durablement brimée, dans cette histoire. Quelques-unes vont s’illustrer, héroïnes et souvent martyres, dans la suite de la Révolution.

Olympe de Gouges se bat aussi pour la cause des Noirs, et l’abolition de l’esclavage.

« Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort. »1552

Olympe de GOUGES (1755-1793), guillotinée le 3 novembre 1793. Son mot de la fin. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, avec le Journal de ses actes (1880), Henri Alexandre Wallon

Féministe coupable d’avoir écrit en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, d’avoir défendu le roi, puis courageusement attaqué Robespierre en « brissotine » (synonyme de girondine), elle a été arrêtée en juillet 1793.

Femme de lettres, et femme libre jusqu’à la provocation, elle est comparable à George Sand au siècle suivant, mais ce genre de provocation est encore plus mal vu, en 1793 ! Et la reconnaissance espérée par la condamnée sera tardive.

« Rappelez-vous cette virago, cette femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui abandonna tous les soins du ménage, voulut politiquer […] Cet oubli des vertus de son sexe l’a conduite à l’échafaud. »1553

Pierre-Gaspard CHAUMETTE (1763-1794), au club des Jacobins, novembre 1793. Les Femmes et la politique (1997), Armelle Le Bras-Chopard, Janine Mossuz-Lavau

La suite de son cours de morale est d’une implacable misogynie : « Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le feu vengeur des lois, et vous voudriez les imiter ? Non, vous sentez que vous ne serez intéressantes et vraiment dignes d’estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. »

Procureur de la Commune insurrectionnelle de Paris, il fait cette même année un discours dans le même esprit à la tribune de la Convention, preuve que le thème lui tient à cœur : « Depuis quand est-il d’usage de voir les femmes abandonner les soins pieux de leur ménage, le berceau de leurs enfants, pour venir sur la place publique, dans la tribune aux harangues, à la barre du Sénat, dans les rangs de nos armées, remplir les devoirs que la nature a répartis à l’homme seul ? »

TOUSSAINT-LOUVERTURE

Nom de combat dû à son courage, destin hors du commun pour ce noir descendant d’esclaves, lui-même affranchi et prenant la tête de la Révolution haïtienne. Triste fin de prisonnier mort de froid dans les geôles du Consulat. Le personnage immortalisé par Lamartine reste vivant dans la mémoire collective.

« Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute. »1395

TOUSSAINT LOUVERTURE (1743-1803). Toussaint Louverture (1850), Alphonse de Lamartine

Ainsi parle le héros de ce poème dramatique en cinq actes et en vers.

La nuit du 22 au 23 août 1791, François Toussaint prend la tête de la révolte des Noirs à Saint-Domingue, colonie des Antilles (île d’Haïti). Restés esclaves après le timide décret du 13 mai, ils veulent les mêmes droits que les citoyens blancs. À l’opposé, les colons s’effraient du droit de vote donné aux mulâtres. L’insurrection aboutit à des massacres entre Blancs et Noirs, sucreries et plantations de café sont dévastées.

Les planteurs vont demander secours à l’Espagne et l’Angleterre, mais Toussaint se rallie à la Révolution, quand le gouvernement français abolit l’esclavage, en 1794. Son courage lui vaudra le surnom de Louverture, celui qui ouvre et enfonce les brèches dans les troupes adverses ! Il devient gouverneur de la colonie prospère, les anciens esclaves travaillant comme salariés dans les plantations. Il proclame l’autonomie de l’île en 1801. Bonaparte enverra 25 000 hommes contre Toussaint, qui mourra (de froid) en captif, dans le Jura. L’indépendance d’Haïti, premier État noir indépendant en 1804, est la victoire posthume de ce grand leader noir. Et le 23 août est devenu « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition ».

« Nous travaillons pour les générations futures, lançons la liberté dans les colonies ! »1568

DANTON (1759-1794), Convention, 4 février 1794. Mémoires de Levasseur de la Sarthe (1830), René Levasseur, Roche

Danton va faire l’unanimité – fait rarissime dans cette Assemblée nationale à l’image de la France, divisée, bouleversée. Il a l’habileté d’associer la liberté des esclaves avec la volonté de ruiner l’Angleterre. Il salue aussi l’entrée, la veille, de deux nouveaux députés de couleur (venus de Saint-Domingue), et place l’abolition sous le signe philosophique du « flambeau de la raison » et du « compas des principes ».

Les précédents décrets pour la liberté et l’égalité des Nègres avaient déçu leurs espoirs et la situation devenait dramatique dans les colonies : Toussaint Louverture s’est rendu maître de Saint-Domingue, les esclaves noirs massacrent les colons blancs, incendient récoltes et plantations. « La Convention, sur la proposition de Grégoire, avait, en 1793, aboli la prime pour la traite des Nègres. Le 4 février 1794, elle décréta, par acclamation, l’abolition de l’esclavage dans les colonies », écrit Alfred Rambaud, dans son Histoire de la civilisation contemporaine en France (1888).

L’esclavage, rétabli en 1802, sera définitivement aboli après la Révolution de février 1848, sous la Deuxième République.

LES GIRONDINS

Groupe de députés venus de province (dont la Gironde), aussi révolutionnaires que les Montagnards (parisiens), jusqu’au tournant de la Révolution qui guillotine le roi et met la Terreur à l’ordre du jour. Ils refusent cet emballement et perdent fatalement. Ils nous laissent en héritage la décentralisation, idée toujours d’actualité en France, avec la résistance au pouvoir central.

« Il a été permis de craindre que la Révolution, comme Saturne, dévorât successivement tous ses enfants. »1269

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793). Histoire des Girondins (1847), Alphonse de Lamartine

Le destin de Vergniaud illustre parfaitement ses paroles : avocat (comme nombre de révolutionnaires), député sous la Législative, prenant parti contre les émigrés, contre les prêtres réfractaires, Vergniaud est ensuite considéré comme trop modéré face à Robespierre et aux Montagnards. Il fera partie des Girondins guillotinés, fin octobre 1793. D’autres charrettes d’« enfants » de la Révolution suivront : les Enragés (hébertistes) trop enragés, les Indulgents (dantonistes) trop indulgents, les robespierristes enfin, trop terroristes. Ainsi va l’Histoire qui mérite d’être contée en détail.

« Il faut que Paris soit réduit à un quatre-vingt-troisième d’influence comme chacun des autres départements. »1443

Marie David Albin LASOURCE (1762-1793), député du Tarn, Convention, 25 septembre 1792. Histoire politique de la Révolution française (1913), François-Alphonse Aulard

(La France fut divisée en 83 départements par la Constituante, le 15 janvier 1790). Le peuple de Paris devient l’acteur principal de la Révolution qui s’emballe. L’orateur parle ici au nom des Girondins et c’est une riposte aux Montagnards.

Députés venus nombreux de la Gironde et en majorité de la province, les Girondins sont partisans d’un régime fédéraliste. Ils s’opposent aux tendances centralisatrices des Montagnards : les chefs de ce parti mettent leurs espoirs sur les éléments révolutionnaires les plus avancés qu’on trouve naturellement à Paris, dans la Commune insurrectionnelle et les sections des sans-culottes.

Lasource, élu à la Législative et réélu à la Convention, ancien pasteur protestant, est fidèle à ses principes plus qu’à un meneur ou un parti. Du côté des Montagnards partisans de la guerre, il refuse ensuite leur dictature, se rallie bientôt aux Girondins et mourra avec eux.

« On vous propose de décréter l’établissement d’une inquisition mille fois plus redoutable que celle de Venise ! Nous mourrons tous plutôt que d’y consentir. »1492

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), Séance du 10 mars 1793. Histoire parlementaire de la Révolution française, ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Girondin, modéré, il tente de s’opposer aux premières mesures de salut public demandées par Robespierre et ses amis. Il s’élève ici contre le projet de Tribunal révolutionnaire : juridiction d’exception chargée de supprimer tous les ennemis du régime et annonçant la prochaine dictature, sous le signe des Montagnards.

« On a cherché à consommer la Révolution par la terreur ; j’aurais voulu la consommer par l’amour. »1493

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), Convention, 10 avril 1793. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1902), Assemblée nationale

La Terreur n’est pas encore mise par décret à l’ordre du jour, mais les Girondins la voient venir : le Tribunal révolutionnaire, juridiction d’exception, a été constitué le 28 mars pour juger les traîtres et les gens supposés tels, et le Comité de salut public, créé le 6 avril pour surveiller l’exécutif. Voici les deux outils forgés pour la dictature jacobine.

Dénonçant « cette inquisition mille fois plus redoutable que celle de Venise », Vergniaud lui oppose son rêve de fraternité.  Le dialogue tragique commence, devant l’Assemblée qui sait que le sort de la Révolution se joue ici et maintenant, Girondins contre Montagnards. Le plus éloquent des députés de la Gironde conclut : « Si, sous prétexte de révolution, il faut pour être patriote se déclarer le protecteur du meurtre et du brigandage, je suis modéré ! »

« Hommes de la Gironde, levez-vous ! […] Si vous développez une grande énergie, vous forcerez à la paix des hommes qui provoquent la guerre civile. »1501

Pierre Victurnien vergniaud (1753-1793), appel au secours du 4 mai 1793. Histoire de Bordeaux (1839), Pierre Bernadau

Marat est revenu plus fort qu’avant à l’Assemblée. Dans cette atmosphère sanglante, Vergniaud pressent le pire et demande soutien à son département, écrivant au club des Amis de la Constitution de Bordeaux : « Paris, le 4 mai 1793, sous le couteau. Frères et Amis, vous avez été instruits de l’horrible persécution exercée contre nous et vous nous avez abandonnés ! Hommes de la Gironde, levez-vous ! La Convention n’a été faible que parce qu’elle a été abandonnée, soutenez-la contre tous les furieux qui la menacent […] Hommes de la Gironde, il n’y a pas un moment à perdre ! Si vous développez une grande énergie, vous forcerez à la paix des hommes qui provoquent à la guerre civile […] »

Ses Frères et Amis de Bordeaux vont envoyer des pétitionnaires à Paris, pour faire comprendre à l’Assemblée que la région ne supportera pas longtemps que ses députés soient persécutés, que si la Convention ne condamne pas les démagogues, elle lèvera une armée pour la combattre, etc. etc. Ces menaces vagues ne servent à rien : le temps de voir arriver des secours, les députés Girondins seront déjà à la merci des émeutiers parisiens.

« Celui qui a des culottes dorées est l’ennemi de tous les sans-culottes. Il n’existe que deux partis, celui des hommes corrompus et celui des hommes vertueux. »1502

ROBESPIERRE (1758-1794), au club des Jacobins, 8 mai 1793. Œuvres de Maximilien Robespierre (posthume, de 1912 à 1967)

Sans nommer l’adversaire (comme à son habitude), l’Incorruptible dénonce les Girondins. Rappelons qu’ils sont issus de la même classe bourgeoise que les amis de Robespierre, lui-même toujours très élégamment vêtu. Ce manichéisme est donc simpliste, mais efficace. Il oppose les riches aux pauvres.

« Ne craignez rien des départements, je les connais : avec un peu de terreur et des instructions, nous tournerons les esprits à notre gré. »1505

Jean Henri HASSENFRATZ (1755-1827), propos rapportés par Lanjuinais à la Convention, 30 mai 1793. Journal d’un bourgeois de Paris pendant la Terreur (1895), Edmond Biré

Autodidacte (charpentier), il réussit de brillantes études (physique, chimie), mais choisit d’entrer en politique avec la Révolution. Membre très écouté du club des Jacobins, il parle ici en meneur de la Commune de Paris et il ne voit que trop juste : la province ne bougera pas, à l’annonce de la proscription des Girondins. C’est lui qui demande leurs têtes, le 31 mai – cet acte lui sera reproché plus tard, mais sauvé par l’amnistie et renonçant désormais à l’engagement politique, il reprendra une carrière scientifique.

« Dis à ton f… président que je me f… de lui et de son Assemblée et que si dans une heure elle ne me livre pas les vingt-deux, je le fais foudroyer. »1506

François HANRIOT (1761-1794), à l’huissier de la Convention, 2 juin 1793. Les Origines de la France contemporaine (1878), Hippolyte Taine

Chef de la section des sans-culottes lors de l’émeute du 10 août et des massacres de septembre 1792, promu commandant général de la garde nationale, en mai 1793. L’insurrection populaire du 2 juin fut bien programmée, Marat y a veillé. Une foule de 80 000 hommes armés de 150 canons investit la Convention. Un cortège de députés qui sort pour parler à la foule se heurte à Hanriot qui menace de faire tirer les canonniers sur eux.

« Nous voulons les traîtres ! À la guillotine, les Brissotins ! »1507

Cris des gardes nationaux, 2 juin 1793. La Révolution française (1928), Pierre Gaxotte

La Convention est assiégée par les sections parisiennes de sans-culottes, encerclée par la garde nationale. Les députés, sortis pour adjurer les manifestants de rentrer dans leurs sections, renoncent. Ils reprennent place dans les travées de l’Assemblée et votent la mise en état d’arrestation de 29 des leurs, ainsi que l’exige l’insurrection parisienne. C’est le tournant de la Convention, et de la Révolution.

« Oui, la Gironde était républicaine […] Oui, sa proscription a été un malheur. »1508

LEVASSEUR de la Sarthe (1747-1834), Mémoires (1830)

Ce député montagnard reconnaîtra l’évidence plus tard. Il ajoute pour sa défense que « c’est par un égarement de bonne foi » que la Montagne l’a consommé. Bilan : 29 députés et deux ministres girondins décrétés d’accusation. Certains s’échapperont, quelques-uns, réfugiés en province, susciteront une révolte fédéraliste sans lendemain contre la dictature de la Montagne. Deux se suicideront (Buzot et Pétion). 21 seront jugés, guillotinés.

Les Montagnards ont les mains libres, ce sera bientôt la Terreur, la vraie, voire la Grande Terreur, sous la dictature du Comité de salut public, dirigé par Robespierre.

« Eh ! qui suis-je pour me plaindre, quand des milliers de Français meurent aux frontières pour la défense de la patrie ? On tuera mon corps, on ne tuera pas ma mémoire. »1549

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), guillotiné le 31 octobre 1793. Son mot de la fin. Histoire socialiste, 1789-1900, volume IV, La Convention (1908), Jean Jaurès

L’homme si élégant, avocat brillant sous l’Ancien Régime, devenu l’un des orateurs les plus doués de la Législative et de la Convention, a perdu toute flamme, usé par cinq mois de prison, résigné au pire. Il aurait pu fuir comme quelques autres, mais il renonce : « Fuir, c’est s’avouer coupable. » Il fait donc partie du groupe des 21 Girondins exécutés.

« Je meurs le jour où le peuple a perdu la raison ; vous mourrez le jour où il l’aura recouvrée. »1550

Marie David Albin LASOURCE (1762-1793), mot de la fin, 31 octobre 1793. Lasource, député à la Législative et à la Convention (1889), Camille Rabaud

Ancien pasteur acquis à la Révolution, défendant toujours ses convictions avec courage, décrété d’accusation, il est jugé avec les Girondins auxquels il s’est rallié. Les 21 sont condamnés à mort. Cinq charrettes les mènent à l’échafaud le même jour. Dans la dernière, le corps de Valazé qui s’est plongé un stylet dans le cœur, à l’énoncé du verdict.

« La mort des Girondins, demandée tant de fois, fut le calmant qu’on crut devoir donner à la fureur des violents. »1551

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

C’est le tragique épilogue du conflit entre Girondins et Montagnards : « légion de penseurs » face au « groupe d’athlètes » (Victor Hugo, Quatre-vingt-treize). Mais leur mort n’arrête pas le cours d’une Révolution emballée.

Lire la suite : Honneur aux perdant(e)s ! (De l’Empire à la Deuxième République)

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