Napoléon, super-star de l'histoire (3e épisode : l’empereur absolu, pour le meilleur et pour le pire) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

La question n’est pas : faut-il commémorer le bicentenaire de sa mort ? Évidemment oui !!!

Mais comment commémorer ? En disant « tout », la légende dorée du héros et la légende noire de l’Ogre corse, ses convictions proclamées et ses doutes avoués, ses contradictions évidentes et ses pensées intimes, avec ce sens du Destin aussi fort que sa superstition de Corse : « N’est-ce pas que je suis de la poule blanche ! » dit-il à Mme Mère, ayant échappé par miracle à l’attentat de la rue St Nicaise (22 morts et  46 immeubles détruits, Noël 1800).

Autre pari, résumer cette page capitale du récit national en un édito de quatre semaines, tout en paroles et en actions, plus un autoportrait en dix citations : aller à l’essentiel, avec quelques détails et anecdotes peu connues. Libre à vous de plonger ensuite dans la bibliographie pléthorique, pour analyser une bataille (Austerlitz ou Waterloo), une institution (Code Civil ou Légion d’honneur), explorer les arcanes du personnage plus complexe que nature, passer en revue les partenaires amis ou ennemis, civils ou militaires, interroger les grands témoins (Talleyrand, Chateaubriand), pénétrer les coulisses d’une vie privée tumultueuse entre sa grande famille, ses deux épouses, l’Aiglon adoré, une mère au fort caractère… et cette misogynie maintes fois affichée.

La forme de l’Histoire en citations s’impose plus que jamais : la Chronique rebondit de mot en mot, l’histoire galope avec cet acteur aussi doué pour le Verbe que pour l’Action.

« Quel roman que ma vie ! » dit le vaincu à Sainte-Hélène. Il pèche par modestie ! Sa vie est une épopée que nul auteur n’aurait imaginée, une tragicomédie dont Pie VII donne la clé, qualifiant l’adversaire en deux mots : « Commediante ! Tragediante !  » (cité par Vigny). Napoléon a fasciné tous les témoins, les historiens et le monde entier. Laissons le mot de la fin (provisoire) à Chateaubriand, son grand opposant : « Cet homme, dont j’admire le génie et dont j’abhorre le despotisme. »

La légende suivra, nourrie par le Mémorial de Sainte-Hélène et la nostalgie du siècle, les chansons populaires de Béranger, les pages d’Hugo fasciné par le héros.

L’Histoire rebondit avec le Second Empire : Louis-Napoléon Bonaparte s’inspire de l’illustre ancêtre et le Nom lui permet d’accéder au pouvoir. Jusqu’à la chute, c’est un copié-collé de la geste napoléonienne, sans légende et le génie en moins.

Ces citations sont tirées de notre Chronique de citations sur le Directoire, le Consulat et l’Empire (tome 6).

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Napoléon, super-star de l’histoire, retrouvez nos quatre éditos :

Troisième semaine – l’empereur absolu, pour le meilleur et pour le pire.

EMPIRE (1804-1814)

« Pour la gloire comme pour le bonheur de la République, il [le Sénat] proclame à l’instant même Napoléon empereur des Français. »1791

CAMBACÉRÈS (1753-1824), président du Sénat et du Conseil d’État, Déclaration du 18 mai 1804. Vie de Cambacérès, ex-archichancelier (1824), Antoine Aubriet, Tourneux

Une semaine avant, le Sénat conservateur (tel est son nom, hérité du Consulat, le précédent régime) a voté – à l’unanimité moins trois voix et deux abstentions – le projet de proclamation de l’Empire.

À la demande de Cambacérès, on n’attend pas la « sanction du peuple » : la mise en application de la Constitution de l’an X est immédiate. Le résultat du plébiscite pour l’Empire était évident : plus de 3,5 millions de oui, 2 579 non (août 1804).

« Je jure de maintenir l’intégrité du territoire de la République […] de respecter et de faire respecter l’égalité des droits, la liberté politique et civile […] de gouverner dans la seule vue de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. »1797

NAPOLÉON Ier (1769-1821), cathédrale Notre-Dame de Paris, le jour de son sacre par Pie VII, 2 décembre 1804. Le Moniteur, phrase du journal officiel de l’époque, reprise dans toutes les bonnes biographies de l’empereur

La cérémonie dure cinq heures, entre la marche guerrière et le Te Deum, un premier serment religieux de Napoléon, la messe, l’Alléluia, les oraisons, les cris de « Vive l’empereur » et ce nouveau serment sur les Évangiles.

Napoléon impose sa volonté au pape : il a pris la couronne présentée, l’a posée lui-même sur sa tête avant de couronner son épouse Joséphine. Très pâle, il se tourne vers son frère aîné, pour la seule « improvisation » (authentique) de cette spectaculaire cérémonie…

« Joseph, si notre père nous voyait ! »1798

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à son frère le jour du sacre, 2 décembre 1804. Encyclopédie Larousse, article « La jeunesse de Napoléon Bonaparte »

Peu fortuné et dépensier, il a tout fait pour que ses quatre fils puissent suivre de bonnes études (si possible dans l’armée) aux frais du roi. Il est mort en 1785 d’un cancer à l’estomac – sans doute comme son fils, quelques années plus tard.

Leur mère est bien vivante, mais absente. Elle refusa de participer au couronnement et de se soumettre à l’étiquette imposée par son fils qui exige qu’on lui baise la main. Napoléon a beau tempêter, trépigner : « Mais je suis l’empereur ! », il se verra répondre un superbe et dédaigneux : « Oui, mais vous êtes mon fils. » On dit aussi qu’elle est fâchée de la brouille entre Napoléon et son frère Lucien. Elle est quand même sur le tableau de David, Le Sacre qui immortalise l’événement, lui-même étant sacré premier peintre de l’empereur en 1805 : une fresque (haute de 6,21 mètres, large de 9,79 mètres) à la démesure de l’événement. Toute la famille Bonaparte est réunie. Napoléon sera comblé par cette œuvre, propre à servir sa légende. À la première exposition publique du Sacre, au Salon de 1808, l’empereur n’a qu’un mot : « Je vous salue, David. »

« Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. »1799

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Pie VII, le jour du sacre en la cathédrale Notre-Dame de Paris, 2 décembre 1804. Napoléon a dit (1996), Lucian Regenbogen, préface de Jean Tulard

À peine couronné empereur des Français, il dévoile son ambition, le titre d’empereur d’Occident à la tête du Grand Empire. Le 7 septembre, à Aix-la-Chapelle, il s’est recueilli devant le tombeau de Charlemagne, ordonnant une procession solennelle avec les symboles impériaux (couronne, épée, main de justice, globe, éperons d’or). Notons que le sacre se tient à Paris, non pas à Reims, comme de tradition pour les rois de France.

« J’entendons ronfler l’canon,
Y g’na plus à s’en dédire :
On couronn’ Napoléon
Empereur de ce bel Empire.
Ça nous promet pour l’av’nir
Ben du bonheur et du plaisir. »1800

Le Sacre de Napoléon, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

On chante à la gloire du grand homme, au front si couvert de lauriers que c’est à peine si on peut trouver « un petit coin pour y placer la couronne » ! Une certaine ironie commence à poindre.

Toutes ces « vieilles chansons françaises », la plupart anonymes, sont encore chantées, diffusées sur Internet, ce qui montre, d’une certaine manière, leur qualité, leur originalité, mais aussi le goût des Français pour l’histoire.

« Monsieur mon Frère, appelé au trône de France par la Providence et par les suffrages du Sénat, du peuple et de l’armée, mon premier sentiment est un vœu de paix […] Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre. »1801

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au roi Georges III d’Angleterre, Lettre du 2 janvier 1805. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Le 1er janvier, « Monsieur mon Frère » était l’empereur d’Autriche et le désir de paix avec son peuple pareillement exprimé par lettre, avec des arguments relevant de la raison et de l’humanité. Cependant, la troisième coalition s’organise activement, et secrètement : l’Angleterre sera bientôt alliée à la Russie et à l’Autriche contre la France. Rappelons qu’en 1803, le Premier Consul considérait la Manche comme un fossé possible à franchir et envisageait les « circonstances un peu favorisantes » pour se rendre maître de Londres, du Parlement, de la Banque. Le blocus est aussi un projet longuement mûri, avant la réalisation en 1806.

« Dio me l’ha data, guai a chi la tocchera ! »
« Dieu me l’a donnée, gare à qui la touchera ! »1802

NAPOLÉON Ier (1769-1821), couronné roi d’Italie, 26 mai 1805. Dictionnaire géographique universel, contenant la description de tous les lieux du globe (1839), A. Lacrosse

La couronne était destinée à Joseph, pour que Napoléon ne cumule pas deux couronnes – suite à sa fameuse campagne d’Italie et à la création de la République cisalpine, sœur de la République française depuis le Directoire. Mais Joseph entre dans des arguties juridiques et Louis, autre frère, s’en mêle. Cela ridiculise la diplomatie française, consterne Talleyrand, exaspère Napoléon. Finalement, il prend la couronne et renouvelle la cérémonie du sacre de Notre-Dame.

Ces journées de Milan furent un grand moment pour l’empereur « rayonnant de joie » aux dires des témoins et pour un « grand peuple réveillé » selon Chateaubriand : « L’Italie sortait de son sommeil et se souvenait de son génie comme d’un rêve divin. »

« Cet homme est insatiable, son ambition ne connaît pas de bornes ; il est un fléau pour le monde ; il veut la guerre, il l’aura, et le plus tôt sera le mieux ! »1803

ALEXANDRE Ier, fin mai 1805. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin

Le tsar de Russie apprend que la République de Gênes sollicite sa réunion à l’Empire. Napoléon, déjà médiateur de la Confédération suisse, vient de se faire couronner roi d’Italie (Lombardie et Émilie-Romagne). Craignant l’hégémonie française en Europe, le tsar rejoint l’Angleterre en guerre depuis 1803 dans la troisième coalition.

« Je m’afflige de ma manière de vivre qui, m’entraînant dans les camps, dans les expéditions, détourne mes regards de ce premier objet de mes soins […], une bonne et solide organisation de ce qui tient aux banques, aux manufactures et au commerce. »1804

NAPOLÉON Ier (1769-1821) à Barbé-Marbois, Camp de Boulogne, 24 août 1805. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Regret récurrent de ne pas faire assez pour les institutions. L’Empereur, après le Premier Consul, fit quand même beaucoup en ce domaine et loin des champs de bataille, de ses maréchaux et de ses hommes, il avouait s’ennuyer.

« Sa Majesté veut que l’on épargne à son pavillon l’opprobre ! »1805

Denis DECRÈS (1761-1820) à Villeneuve. Le Calendrier de l’histoire (1970), André Castelot

Le ministre de la Marine transmet à Villeneuve, amiral de la flotte, le message de l’empereur. À Boulogne et voulant débarquer en Angleterre, Napoléon a chargé l’amiral d’attirer la flotte anglaise de Nelson vers les Antilles, avant de revenir en Manche. Ce plan a échoué. Villeneuve se retrouve bloqué à Cadix.

Sur cet ordre de l’empereur, il va sortir, mais Nelson fait de même. La Nelson touch, autrement dit le « coup de Trafalgar », manœuvre habile, permettra à l’amiral anglais de triompher, le 21 octobre 1805.

« Dieu merci, j’ai bien fait mon devoir. »1806

Amiral NELSON (1758-1805), touché à mort, à bord du Victory, 21 octobre 1805. Mot de la fin. Bibliographie universelle (1842), Louis Gabriel Michaud

L’amiral est mort, mais la flotte française est anéantie. Cette victoire navale assure désormais à l’Angleterre la maîtrise des mers. Mais sur terre, Napoléon enchaîne les victoires avec la Grande Armée.

« Sans reprendre haleine,
Comm’ nous l’espérions,
L’Emp’reur est dans Vienne
Avec ses bataillons ;
Mais qu’il s’en revienne […]
Pour que nous le chantions. »1807

Ronde sur la prise de Vienne (1805), chanson. Napoléon et la musique (1965), Théo Fleischman

Napoléon entre à Vienne le 13 novembre 1805. Victoire française, épisode de la troisième coalition (1803-1805). On chante, mais la lassitude commence à se faire sentir dans le pays. Toutes les classes de la société souffrent de la reprise de la guerre.

« On va leur percer le flanc
En plain plan, r’lan tan plan […]
Ah ! que nous allons rire !
R’lan tan plan tire lire. »1808

Marche d’Austerlitz, 2 décembre 1805, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Le jour anniversaire du sacre de l’empereur, les grenadiers montent à l’assaut : sur ordre de Napoléon redevenu chef militaire, la musique de chaque bataillon joue la chanson connue de chaque homme (sur un timbre populaire).

Selon le capitaine Coignet, soldat de la campagne d’Italie, grognard à Austerlitz et admis dans la garde : « Les tambours battaient à rompre les caisses, la musique se mêlait aux tambours. C’était à entraîner un paralytique. » Il sera de toutes les guerres de Napoléon, enchaînant 48 batailles sans une blessure et mourra nonagénaire sous Napoléon III.

« Soldats, je suis content de vous. »1809

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Histoire de l’empereur Napoléon (1834), Abel Hugo

Abel Hugo est le frère aîné de Victor, et leur père, général d’Empire, a participé à toutes les guerres de Napoléon. Cela explique en partie l’inspiration et la nostalgie impériales dans la famille.

Au soir de la victoire, le général sait comme toujours trouver les mots pour ses troupes. Ici, le plus simple est le plus vrai.

« Il vous suffira de dire : j’étais à la bataille d’Austerlitz, pour qu’on vous réponde : voilà un brave ! »1810

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin de la Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Faits mémorables de l’histoire de France (1844), Louis Michelant

Cette « bataille des Trois Empereurs » opposa les 65 000 hommes de Napoléon aux 90 000 hommes d’Alexandre Ier (Russie) et de François II (Saint Empire romain germanique). Le dieu de la guerre et de la fortune est avec Napoléon : le brouillard matinal cache ses mouvements à l’ennemi, et le soleil d’Austerlitz brille sur une suite de manœuvres tactiques hardies, et réussies – un classique, enseigné dans les écoles de guerre. Le bronze des 180 canons ennemis sera fondu pour édifier la colonne Vendôme (inspirée de la colonne de Trajan, à Rome).

La victoire d’Austerlitz met fin à la troisième coalition – l’Angleterre est invaincue, mais reste seule. Le traité de Presbourg est signé le 26 décembre par François II qui abdique la couronne du Saint Empire et reconnaît la Confédération du Rhin. Mais le tsar ne signe pas. Il sortira finalement vainqueur du duel avec Napoléon dans la campagne de Russie.

« La liberté de la pensée est la première conquête du siècle. L’Empereur veut qu’elle soit conservée. »1811

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Le Moniteur, 22 janvier 1806

Précisons que c’est un journal très officiel… et il n’en reste pratiquement plus d’autres. Après les 1 500 périodiques nés au début de la Révolution, plus de 70 paraissaient encore à Paris sous le Directoire. Ils ne seront plus que 4 en 1811. En 1810, un seul journal par département – reproduisant les pages politiques du Moniteur, sous contrôle du préfet.

La liberté de pensée est réduite comme celle de la presse. Même les tragédies classiques, répertoire préféré de l’empereur, sont épurées : les habitués du Théâtre-Français, brochure en main, s’amusent à traquer les nouvelles coupes imposées par la censure impériale à Racine et Corneille. Les contemporains sont dociles. Sauf exception. Chateaubriand est hostile au régime (depuis l’exécution du duc d’Enghien). Dans son discours de réception à l’Académie française, il veut faire l’éloge de la liberté. Napoléon le lui interdit. Mme de Staël est plus gravement persécutée : l’exil punit sa liberté d’expression.

« Ce qui paraît est misérable ! cela dégoûte. »1758

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Journal : notes intimes et politiques d’un familier des Tuileries (posthume, 1909), Pierre-Louis Roederer

L’empereur a souvent ce mot, comme déjà le Premier Consul, déçu par la production littéraire de son temps. Sans doute veut-il trop diriger la pensée des créateurs et des intellectuels. La plupart se soumettent : les « best-sellers » d’une époque où les amateurs de romans et de poèmes abondent sont aujourd’hui illisibles. Paradoxalement, le personnage de Napoléon Bonaparte inspirera des chefs-d’œuvre de la littérature française et mondiale !

Même pauvreté dans le domaine théâtral. Le genre qui fait fureur sur les boulevards, c’est le mélodrame. Napoléon méprise le « mélo », il n’aime que le genre noble, la tragédie (à la Comédie-Française), mais aucun auteur ne peut rivaliser, même de loin, avec les dramaturges du siècle de Louis XIV. Il a quand même trouvé son grand acteur, Talma.

Napoléon a plus de chance dans le domaine des beaux-arts. David, peintre officiel issu de la Révolution, est toujours aussi  inspiré dans le parcours imposé par le nouveau maître de la France : voir Le Sacre, chef-d’œuvre de l’école néoclassique.

« Votre Sainteté est souveraine de Rome, mais j’en suis l’Empereur. »1812

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Sa Sainteté le Pape, Paris, 13 février 1806. L’Église et la Révolution française : histoire des relations de l’Église et de l’État (1864), Edmond de Pressensé

En vertu du Concordat (1801), il précise : « Nos conditions doivent être que Votre Sainteté aura pour moi, dans le temporel, les mêmes égards que je lui porte pour le spirituel. » Mais les relations commencent à se gâter sérieusement, entre ces deux fortes personnalités !

Pie VII voit d’un mauvais œil toute l’Italie passer sous domination française, les territoires annexés au fur et à mesure des conquêtes impériales et les enclaves pontificales occupées par le frère de l’empereur, Joseph Bonaparte roi de Naples.

« Il n’y aura pas d’État politique fixe s’il n’y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. Tant qu’on n’apprendra pas, dès l’enfance, s’il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, l’État ne formera point une nation. »1813

NAPOLÉON Ier (1769-1821), 10 mai 1806. Revue politique et littéraire : revue bleue, volume II (1889)

En vertu de quoi « il sera formé sous le nom d’Université impériale un corps chargé exclusivement de l’enseignement et de l’éducation publics dans tout l’Empire. » L’Université de France sera créée en 1807 et organisée par décret du 25 novembre 1811, sous l’autorité du grand maître Louis de Fontanes.

« Dieu a établi Napoléon, notre souverain, l’a rendu son image sur la terre […] Honorer et servir notre Empereur est donc honorer et servir Dieu. »1814

Abbé Paul d’ASTROS (1772-1851), Catéchisme à l’usage de toutes les Églises de l’Empire français, 4 août 1806

Le rédacteur, neveu de Portalis, ministre des Cultes, s’inspire de Bossuet, mais insiste plus lourdement sur l’obéissance au prince qui gouverne. Napoléon a mis la religion à son service et certains courtisans exagèrent. Un autre passage du catéchisme impérial précise : « On doit à l’Empereur l’amour, les impôts, le service militaire, sous peine de damnation éternelle. » Autrement dit, les opposants iront en enfer.

« Un roi doit se défendre et mourir dans ses États. Un roi émigré et vagabond est un sot personnage. »1815

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Joseph, roi de Naples, 9 août 1806. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Il a chassé les Bourbons du royaume de Naples pour y mettre son frère aîné. Mais il n’approuve pas souvent la politique des nouveaux souverains qu’il essaime en Europe et ceux-ci ont des difficultés avec leurs peuples. Dans ses réformes inspirées du Consulat, Joseph se montre bien faible, oubliant que « la force et une justice sévères sont la bonté des rois ».

« À tout peuple conquis, il faut une révolte, et je regarderai une révolte à Naples comme un père de famille voit une petite vérole à ses enfants, pourvu qu’elle n’affaiblisse pas trop le malade. »1816

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Joseph, roi de Naples, 17 août 1806. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Il use d’une métaphore singulière pour être mieux compris de son aîné. Mais Joseph ne restera que deux ans sur ce trône. Remplacé par Murat, il se retrouvera en Espagne où la population madrilène se révoltera bien davantage !

« Pas besoin de sabres, les gourdins suffiront pour ces chiens de Français ! »1817

FRÉDÉRIC-GUILLAUME III, roi de Prusse, été 1806

Il apprend que les officiers prussiens s’amusent à affûter leur sabre, sur les marches du perron de l’ambassade de France. Mais le roi de Prusse a tort de jouer les matamores.

« Jamais on n’a vu une déroute semblable ; jamais la terreur ne fut si générale ; les officiers déclarent ouvertement qu’ils ne veulent plus servir, tous désertent leurs drapeaux et retournent chez eux. »1818

Joachim MURAT à Napoléon, Iéna, 14 octobre 1806. Napoléon et ses maréchaux (1910), Émile Auguste Zurlinden

L’empereur Napoléon est redevenu Bonaparte le capitaine d’artillerie, rectifiant la place des batteries la veille du combat, cependant que la Prusse a présumé de ses forces. Murat « le Sabreur », commandant la cavalerie, a largement contribué à la victoire. L’armée prussienne est anéantie. La route de Berlin est ouverte.

« Sire, le combat finit faute de combattants. »1819

Joachim MURAT (1767-1815) à Napoléon, Magdebourg, 11 novembre 1806. Napoléon et ses maréchaux (1910), Émile Auguste Zurlinden

Trois semaines après Iéna, paraphrasant Rodrigue dans Le Cid, Murat rend compte à l’empereur de cette nouvelle victoire. La garnison prussienne s’est rendue à Ney. Bilan : 110 000 prisonniers en 36 jours de campagne.

« Je veux conquérir la mer par la puissance de la terre. »1820

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Décret de Berlin, 21 novembre 1806. Histoire économique et sociale de la France (1976), Fernand Braudel, Ernest Labrousse

Pour résoudre le « problème anglais », autrement dit neutraliser l’ennemi qui règne sur les mers, la guerre navale est impossible après la défaite de Trafalgar et le débarquement semble irréalisable. Napoléon reprend alors une autre idée longuement méditée, rédigeant lui-même le décret.

C’est le Blocus continental : « Tout commerce et toute correspondance avec les îles Britanniques sont interdits. » Y compris aux pays neutres.

Le blocus aurait pu nuire à l’économie anglaise qui exporte un tiers de sa production. Mais il sera mal respecté, malgré la politique d’annexion systématique pratiquée par Napoléon. L’Angleterre est sauvée par la contrebande.

Napoléon envahira les pays récalcitrants : l’Espagne et la Russie. Par ailleurs, le sentiment national des pays occupés va ressurgir, du fait des privations imposées aux peuples.

« Quel massacre ! Et sans résultat ! Spectacle bien fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre ! »1821

NAPOLÉON Ier (1769-1821) sur le champ de bataille d’Eylau, 9 février 1807. La Chambre noire de Longwoog : le voyage à Sainte-Hélène (1997), Jean-Paul Kauffmann

Près de 50 000 tués ou blessés autour de lui. Coûteuse et amère victoire en date du 8 février, remportée avec l’aide de Murat, Davout, Ney, Soult, Augereau et Lannes, contre les Russes supérieurs en nombre et ce qui restait des Prussiens. Napoléon découvre le spectacle atroce, le lendemain. Il commande un tableau, dictant tout ce que le peintre doit faire passer. Le projet fait l’objet d’un concours remporté par Antoine-Jean Gros. Pour la première fois, on voit le visage de Napoléon bouleversé, entouré de ses généraux et s’inquiétant des soins apportés aux blessés, qu’ils soient français ou ennemis. C’est naturellement un (admirable) tableau de propagande, mais le message est nouveau.

Les batailles de la quatrième coalition vont se poursuivre : victoires à Dantzig, Friedland… et jusqu’au Mont Athos.

« J’écris au ministre de la Police d’en finir avec cette folle de Mme de Staël, et de ne pas souffrir qu’elle sorte de Genève, à moins qu’elle ne veuille aller à l’étranger faire des libelles. »1822

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Regnault de Saint-Jean-d’Angély, procureur général de la Haute Cour, 20 avril 1807. Les Opposants à Napoléon : l’élimination des royalistes et des républicains, 1800-1815 (2003), Gérard Minart

Napoléon est de plus en plus irrité par cette femme qui le hait d’autant plus qu’elle voulut se faire aimer de lui, jadis : les deux plus grands génies du siècle, lui l’homme et elle la femme, n’étaient-ils pas faits pour cela, pensait-elle ! Ce n’était certainement pas le genre de maîtresse recherchée par Napoléon.

« Nous autres peuples d’Occident, nous avons tout gâté en traitant les femmes trop bien […] Elles ne doivent pas être regardées comme les égales des hommes, et ne sont, en réalité, que des machines à faire des enfants […] Il vaut mieux qu’elles travaillent de l’aiguille que de la langue. »1823

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

La création de la maison d’éducation des jeunes filles de la Légion d’honneur d’Écouen, le 15 mai 1807, est une occasion parmi d’autres de manifester sa misogynie en réaction contre un XVIIIe siècle relativement émancipateur et une idéologie révolutionnaire démocratique. Bref, « Élevez-nous des croyantes et non pas des raisonneuses. » (note de l’empereur).

« Monsieur le duc de Dantzig, l’Empereur des Français vous salue et vous adresse ses chaleureuses félicitations. »1824

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au maréchal Lefebvre, 1er juin 1807. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Lefebvre vient de prendre Dantzig, dernière place forte prussienne. Un siège très difficile qui devait préparer le passage de la Grande Armée, trois semaines durant lesquelles il répète à ses artilleurs : « Je n’entends rien à votre affaire, mais fichez-moi un trou et j’y passerai. »

En récompense, Lefebvre devient le premier duc d’Empire - les distinctions vont pleuvoir ensuite sur la tête des chers maréchaux. Cet homme modeste et brave a épousé une blanchisseuse, ex-cantinière connue sous le nom de Madame Sans-Gêne. Le couple irrite quelque peu l’empereur quand il paraît à la cour, mais cela n’empêche pas une belle carrière.

« Sire, je hais les Anglais autant que vous.
— En ce cas, la paix est faite. »1827

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Alexandre Ier  (1777-1825), tsar de Russie, Tilsit, 25 juin 1807. Le Grand Empire, 1804-1815 (1982), Jean Tulard

Après la victoire de Friedland, c’est l’entrevue de Tilsit : les deux empereurs s’embrassent sur un radeau, au milieu du Niemen. Ils vont dialoguer durant vingt jours et rêver de se partager le monde : l’Occident à la France, l’Orient à la Russie. Le traité sera signé le 7 juillet. En échange de certaines concessions, la Russie adhère au Blocus continental et promet d’entrer en guerre contre l’Angleterre, si elle ne signe pas la paix avant novembre. Ce premier traité secret est suivi d’un second au détriment de la Prusse. Jamais Napoléon n’a paru si puissant.

« Ils se sont embrassés !
Telles sont les nouvelles,
Dites-m’en de plus belles
Si vous en connaissez :
Ils se sont embrassés […]
Vous, Anglais, pâlissez :
Ils se sont embrassés ! »1828

Pierre-Antoine-Augustin de PIIS (1755-1832), Ils se sont embrassés ou L’Entrevue des deux empereurs à Tilsit (1807), chanson. Œuvres choisies (1810), Pierre-Antoine-Augustin de Piis

À force de faire dans les vers de circonstance, l’auteur se retrouve Premier Secrétaire général de la Police, posté créé en 1800 et qu’il conserve jusqu’en 1815, sous trois préfets de police successifs.

L’embrassade entre les deux empereurs devint célèbre. Mais étaient-ils sincères ? Rappelons les paroles de Napoléon, précisément datées de 1807 et rapportées dans ses Mémoires par Talleyrand, ministre des Relations extérieures jusqu’en août : « Je sais, quand il le faut, quitter la peau du lion pour prendre celle du renard. »

« C’est la dernière fois que j’entre en discussion avec cette prêtraille romaine. »1829

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Eugène de Beauharnais, 22 juillet 1807. « L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814) », Revue des deux mondes, tome LXXII (1867)

La « prêtraille », c’est le pape et l’empereur sous-estime l’adversaire. Pie VII refuse d’annuler le mariage (américain) de Jérôme Bonaparte, le cadet de ses quatre frères, mineur à l’époque. Il refuse aussi de se joindre au blocus contre l’Angleterre, au nom de sa neutralité de pasteur universel.

Napoléon menace et charge Eugène de Beauharnais, son beau-fils (qu’il a fait vice-roi d’Italie), de passer le message : « Si l’on veut continuer à troubler les affaires de mes États, je ne reconnaîtrai le pape que comme évêque de Rome […] Je ne craindrai pas de réunir les Églises gallicane (française), italienne, allemande, polonaise, dans un concile pour faire mes affaires sans pape. » Ce qui se fera, en 1811.

Après le Concordat de 1801, compromis religieux qui satisfait les deux partis, et le sacre de 1804 qui comble l’orgueil de l’empereur, les relations des deux hommes tourneront au drame. Napoléon annexe les États de l’Église, le pape va l’excommunier, l’empereur le fait enlever et va le maintenir prisonnier : c’est l’Otage du drame signé Paul Claudel.

« Commediante ! Tragediante ! »
« Comédien ! Tragédien ! »1781

PIE VII (1742-1823). Servitude et grandeur militaires (1835), Alfred de Vigny

Ces deux mots n’ont peut-être pas été prononcés tels qu’ils sont passés à la postérité, mais ils reflètent ce que ce pape de caractère pensait de l’empereur et à juste titre.

Don de la simulation et sens théâtral sont deux qualités reconnues au grand premier rôle que fut Napoléon sur la scène de l’histoire. Son don de la mise en scène, il en joue en artiste : « Rien n’interrompt aussi bien une scène tragique qu’inviter l’autre à s’asseoir ; lorsqu’il est assis, le tragique devient comique. » Il a pris des cours avec le plus célèbre sociétaire de la Comédie-Française, son ami Talma. Il sait donner une dimension épique aux défaites comme aux victoires, revues et corrigées par les peintres voués à sa propagande. Le sommet de l’art reste le sacre, dont Pie VII est témoin et acteur, condamné au second rôle : Napoléon tint à se couronner lui-même et le pape n’a béni que la couronne !

« Les Romains donnaient leurs lois à leurs alliés. Pourquoi la France ne ferait-elle pas adopter les siennes ? »1830

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Le Code Napoléon va être appliqué dans tout l’Empire à dater du 13 novembre 1807. Ce Code civil sera plus tard adopté par de nombreux autres pays de droit écrit.

« Tu régneras en Espagne, mais sur les Espagnols, jamais ! »1831

Cri du peuple de Madrid, insurrection du Dos de mayo (2 mai 1808). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le clergé espagnol, fidèle au pape, a soulevé le peuple ardemment catholique en lui apprenant que Napoléon veut annexer l’Espagne et occupe déjà Rome. Murat et ses mamelouks ont envahi Madrid. lls écrasent les insurgés du 2 mai – le peintre Goya immortalisera les scènes d’horreur. Ainsi débute « cette guerre d’Espagne [qui] a été une véritable plaie, la cause première des malheurs de la France » reconnaîtra Napoléon à Sainte-Hélène. Mal informé de la situation (d’ailleurs complexe), il se croit populaire comme en Italie, persuadé que les afrancesados (partisans des Français) sont majoritaires et que le reste du pays sera docile.

Déçu de ne pas être fait roi d’Espagne, Murat se rabat sur le royaume de Naples quitté par Joseph qui devient roi d’Espagne le 7 juin. Il remplace le roi légitime, Charles IV piégé à Bayonne par Napoléon. « Esclave couronné », « roi par la grâce du diable » : « José Ier » n’aimera jamais son pays et sera détesté du peuple pour qui les Français ne sont que des Infidèles. La guerre d’Indépendance espagnole contre la France se double d’une guerre civile contre les afrancesados favorables à l’esprit des Lumières, espérant que l’occupation française mettra fin à l’Inquisition religieuse et à la monarchie absolue.

« Je vous dispense également de me comparer à Dieu […] Je veux croire que vous n’avez pas réfléchi à ce que vous m’écriviez. »1832

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au vice-Amiral Decrès, ministre de la Marine, 22 mai 1808. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

L’empereur est entouré de courtisans, mais la servilité a des limites et s’attire ce genre de riposte. Il écrit une lettre furieuse à Decrès, homme par ailleurs courageux (au combat) et compétent (sur les questions maritimes). À la décharge du ministre de la Marine (en poste de 1801 à 1814), rappelons les mots du catéchisme impérial (1806) qu’il a dû prendre au pied de la lettre : « Dieu a établi Napoléon, notre souverain, l’a rendu son image sur la terre […] Honorer et servir notre empereur est donc honorer et servir Dieu. »

« Sire […] c’est à vous de sauver l’Europe et vous n’y parviendrez qu’en tenant tête à Napoléon. Le peuple français est civilisé, son souverain ne l’est pas. Le souverain de Russie est civilisé, son peuple ne l’est pas : c’est donc au souverain de Russie d’être l’allié du peuple français. »1833

TALLEYRAND (1754-1838), au tsar Alexandre Ier de Russie, Erfurt, 27 septembre 1808. Mémoires et Correspondance du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

Le « diable d’homme » n’est plus ministre des Relations extérieures : partisan d’un équilibre européen, il s’est opposé à l’empereur qui s’entête dans sa politique de conquête chimérique, se soucie peu de paix et décide toujours seul. Napoléon qui connaît son talent diplomatique l’a cependant chargé de préparer le terrain avec son nouvel allié, Alexandre Ier.

Dans un entretien secret, Talleyrand conseille au tsar de prendre ses distances avec l’empereur, et de ménager la Prusse et l’Autriche : « Le Rhin, les Alpes, les Pyrénées sont les conquêtes de la France. Le reste est la conquête de Napoléon. La France n’y tient pas. » Alexandre a compris : le peuple français peut, un jour prochain, ne plus soutenir Napoléon. Et cet homme faible va durcir sa position. Dans ses Mémoires, Talleyrand affirme : « À Erfurt, j’ai sauvé l’Europe. » L’histoire parle quand même de « la trahison d’Erfurt ».

« Vous êtes un voleur, un lâche, un homme sans foi. Vous ne croyez pas à Dieu ; vous avez toute votre vie manqué à tous vos devoirs, vous avez trompé, trahi tout le monde […] Tenez, Monsieur, vous n’êtes que de la merde dans un bas de soie. »1834

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Talleyrand, Conseil des ministres restreint convoqué au château des Tuileries, 28 janvier 1809. Mémoires et Correspondance du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

D’Espagne où il tente d’affermir le trône de son frère Joseph, Napoléon a appris que Talleyrand complote avec Fouché pour préparer sa succession – sans nouvelles de lui, on l’imagine victime de la guérilla qui fait rage. Il rentre aussitôt, épargne momentanément Fouché, son ministre de la Police, mais injurie le prince de Bénévent, Talleyrand, impassible - et sort en claquant la porte.

« Quel dommage, Messieurs, qu’un si grand homme soit si mal élevé ! »1835

TALLEYRAND (1754-1838). Talleyrand, ou le Sphinx incompris (1970), Jean Orieux

Citation parfaitement en situation le 28 janvier 1809, après l’injure lancée devant témoins par l’empereur furieux. Talleyrand se venge de l’affront public avec une certaine classe diplomatique. Il redit ce mot à divers ambassadeurs, toujours à propos de Napoléon.

« Romains, vous êtes appelés au triomphe sans avoir partagé le danger ! […] Romains, vous n’êtes pas conquis, mais réunis ! »1838

Les hérauts à la population, 10 juin 1809. La Revue des deux mondes (1960)

Le « département du Tibre, chef-lieu Rome », est rattaché à l’Empire français depuis un décret impérial du 15 mai qui prend effet ce 10 juin : c’est l’annexion des États de l’Église. C’en est trop. Pie VII signe dans la nuit l’excommunication de Napoléon : bulle Quum memoranda. Napoléon riposte par la force : il fait enlever le pape, le 6 juillet ! L’empereur devient, pour toute l’Europe, l’homme à abattre. D’où la cinquième coalition.

« Il avait l’air de se promener au milieu de sa gloire. »1839

CAMBACÉRÈS (1753-1824), archichancelier de l’Empire et duc de Parme, parlant de Napoléon en 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

La cinquième coalition qui réunit l’Angleterre et l’Autriche en 1809 s’est vite soldée par la victoire de Napoléon sur l’Autriche. Défaite par la Grande Armée à Wagram (5 et 6 juillet), elle signe la paix de Vienne (14 octobre), perd 300 000 km2 et 3 500 000 habitants.

« Il est le Souverain de l’Europe. »1840

METTERNICH (1773-1859), 1809. Mémoires, documents et écrits divers laissés par le prince de Metternich, chancelier de cour et d’État, volume II (1880)

Ambassadeur d’Autriche en France depuis 1806, le prince de Metternich est nommé chancelier et ministre des Affaires étrangères en octobre 1809, signant à ce titre l’humiliant traité (ou paix) de Vienne. Il choisit alors de s’allier à Napoléon – pour mieux l’abattre le moment venu. Et c’est lui qui va négocier son mariage avec Marie-Louise d’Autriche.

Cette domination culmine en 1811 : le Grand Empire comporte 130 départements qui réuniront 45 millions de « Français », plus 40 millions d’habitants des États vassaux (Italie, Espagne, Naples, duché de Varsovie, Confédération du Rhin, Confédération helvétique).

« Celles de mes journées que je passe loin de la France sont des journées perdues pour mon bonheur. »1841

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Sénat, 16 novembre 1809. France militaire : histoire des armées françaises de terre et de mer de 1792 à 1833 (1837), Abel Hugo

Trois jours après cette déclaration, la paix avec l’Autriche est publiée dans Paris. La nouvelle déclenche un enthousiasme qui confine au délire. Enfin, la paix ! Napoléon va vivre deux années sans coalition, donc sans guerre – si l’on excepte la guerre d’Espagne qui occupe les trois maréchaux, Masséna, Soult, Suchet.

« Il n’est aucun sacrifice qui ne soit au-dessus de mon courage, lorsqu’il m’est démontré qu’il est utile au bien de la France. »1842

NAPOLÉON Ier (1769-1821) annonçant son divorce au château des Tuileries, devant toute la famille impériale, 15 décembre 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

Il a pris brutalement cette décision qui lui coûte infiniment, car il est fort épris de Joséphine, veuve Beauharnais. Mais raison d’État oblige : l’empereur, à 40 ans, veut un héritier qu’elle n’a pu lui donner.

Les larmes aux yeux, tenant la main de sa femme en pleurs, il lit son discours. « Dieu sait combien une pareille résolution a coûté à mon cœur […] Ma bien-aimée épouse a embelli quinze ans de ma vie ; le souvenir en restera toujours gravé dans mon cœur […] Qu’elle ne doute jamais de mes sentiments, et qu’elle me tienne toujours pour son meilleur et son plus cher ami. » La sincérité de l’homme ne peut être discutée. La vie du couple fut cependant orageuse : la très jolie Créole a beaucoup trompé le jeune et bouillant Bonaparte, l’empereur collectionna ensuite les maîtresses. La naissance de son premier enfant naturel (le « comte Léon ») vient de lui prouver que la stérilité ne vient pas de lui.

« Je me donne des ancêtres. »1844

NAPOLÉON Ier (1769-1821), château de Compiègne, 27 mars 1810. Metternich (1965), Henry Vallotton

« Ivre d’impatience, ivre de félicité », il apprend la valse (viennoise) et attend sa future femme, Marie-Louise. Il s’est décidé en février dans une hâte qui a fort embarrassé l’ambassadeur d’Autriche à Paris (Schwarzenberg qui  succède à Metternich) : pas le temps de prévenir l’empereur d’Autriche avant que Napoléon l’annonce aux Français ! Le mariage a lieu le 1er avril 1810.

« C’est un ventre que j’épouse. »1846

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Le Fils de l’empereur (1962), André Castelot

Il manifeste tant de hâte qu’on parle d’un enlèvement plus que d’un mariage. La cérémonie religieuse se déroule le 2 avril 1810. Marie-Louise a 18 ans, il vit une lune de miel de trois semaines qui le comble et sa seconde femme lui donnera un fils, le 20 mars 1811 : le roi de Rome.

« Mon mariage m’a perdu, l’Autriche était devenue ma famille, j’ai posé le pied sur un abîme recouvert de fleurs. »1847

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

L’empereur d’Autriche lui a donné sa fille pour sceller la paix au lendemain de ses défaites. Trois ans après, conseillé par Metternich, il se joindra aux alliés de l’Europe contre son gendre : sixième coalition qui amène la chute de l’Empire.

L’empereur déchu confie à Montholon, compagnon de son dernier exil à Sainte-Hélène : « Un fils de Joséphine m’eût rendu heureux et eût assuré le règne de ma dynastie. Les Français l’auraient aimé bien autrement que le roi de Rome. »

« Pourvu que cela dure. »1848

Madame MÈRE, alias Marie Letizia (ou Laetitia) Ramolino (1750-1836). Mercure de France, volume CXXXI (1919), publié par Alfred Louis Edmond Vallettee

La mère de Napoléon eut treize enfants. Mariée à 14 ans et morte à 97, cette forte femme vit modestement à l’écart de la cour. Qu’on imagine ce qu’elle pensait, devant l’incroyable ascension du plus célèbre de ses fils qui ne manque pas une occasion de distribuer des titres et des terres à toute sa grande famille, frères, sœurs et conjoints ! Non sans problèmes de jalousies, mesquineries, fâcheries que Napoléon règle en chef de clan.

Il semblait que l’Europe dut lui appartenir tout entière ! Mais la précarité d’un tel Empire n’est que trop évidente, alors même qu’il est à l’apogée de son destin et se compare à Charlemagne.

« Il faut que je fasse de tous les peuples de l’Europe un même peuple et de Paris la capitale du monde. »1849

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin 1810, à son ministre Fouché. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin

Rêve européen plus tenaillant que jamais. « Ma destinée n’est pas accomplie ; je veux achever ce qui n’est qu’ébauché ; il me faut un code européen, une Cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois… »

Les historiens s’interrogent encore : impérialiste à l’état pur et avide de conquêtes, patriote français voulant agrandir son pays, ou unificateur de l’Europe en avance sur l’histoire ? Napoléon s’identifie à Charlemagne, mais le temps n’est plus à ce genre d’empire, les peuples sont devenus des nations, la Révolution de 1789 leur a parlé de Liberté. Il invoque un autre modèle historique : « Les Romains donnaient leurs lois à leurs alliés ; pourquoi la France ne ferait-elle pas adopter les siennes ? » Le Code Napoléon s’applique à tout l’Empire, depuis 1807 et nombre de pays l’adopteront de leur plein gré.

« Je suis un pauvre conscrit
De l’an mille huit cent dix […]
Ils nous font tirer z’au sort
Pour nous conduire à la mort. »1850

Le Départ du conscrit, vers 1810, chanson anonyme à plusieurs versions. L’Armée de Napoléon, 1800-1815 (2000), Alain Pigeard

La guerre d’Espagne se révèle désastreuse pour la Grande Armée, avant de devenir très coûteuse à l’économie du pays. Les coalitions qui se succèdent font quelque 200 000 morts par an. Il faut recruter : les conscrits partent sans enthousiasme, le nombre des réfractaires augmente, avec la complicité de la population paysanne.

« L’armée, c’est la nation » dans la doctrine impériale. Mais à partir de 1811, il faut intégrer des contingents étrangers et recourir massivement à la conscription (ou service militaire) : la Révolution française avait commencé, avec la levée en masse des soldats de l’an II. Napoléon enchaîne.

« Qu’était la Grande Armée, sinon une France guerrière d’hommes qui, sans famille, ayant de plus perdu la République, cette patrie morale, promenait cette vie errante en Europe ? »1763

Jules MICHELET (1798-1874), Extraits historiques (posthume, 1907)

Telle est la définition humaine et romantique.

Sur le plan institutionnel, la « Grande Armée » est d’abord le nom générique donné par Napoléon à l’armée d’invasion, basée à Boulogne pour attaquer l’Angleterre en franchissant la Manche – projet abandonné après Trafalgar (1805) et l’anéantissement de la flotte française. La Grande Armée désigne ensuite l’armée napoléonienne, la meilleure du monde : grande par le nombre des soldats, plus d’un million, et cent mille hommes de réserve ; grande aussi par la qualité, l’organisation, les généraux d’exception. Elle est initialement composée de sept corps d’armée, les sept « torrents » commandés par les maréchaux Augereau, Bernadotte, Davout, Lannes, Ney, Soult, et par le général Marmont.

« Chaque jour, tout banquier qui arrive à quatre heures sans malheur s’écrie : « En voilà encore un de passé ! » »1851

Général SAVARY (1774-1833), Bulletin (quotidien) adressé à l’Empereur, 18 janvier 1811. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume III (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

C’est dire si la crise économique est grave : elle touche même la bourgeoisie, classe qui profita le plus de l’Empire. De janvier à juin 1811, 60 faillites par mois. La fiscalité est alourdie, la crise agricole et industrielle compromet les résultats des précédentes années de prospérité. 1811 est aussi l’année d’un dirigisme renforcé.

« L’ogre corse sous qui nous sommes,
Cherchant toujours nouveaux exploits,
Mange par an deux cent mille hommes
Et va partout chiant des rois. »1765

Pamphlet anonyme contre Napoléon. Encyclopædia Universalis, article « Premier Empire »

De nombreux pamphlets contribuent à diffuser la légende noire de l’Ogre de Corse, contre la légende dorée de la propagande impériale.

Les rois imposés par l’empereur sont nombreux, pris dans sa famille ou parmi ses généraux : rois de Naples, d’Espagne, de Suède, de Hollande, de Westphalie. Royautés parfois éphémères, souvent mal acceptées des populations libérées ou conquises. Les historiens estimeront à un million les morts de la Grande Armée, « cette légendaire machine de guerre » commandée par Napoléon en personne.

« Je sais qu’il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, mais le Pape n’est pas Dieu ! »1852

NAPOLÉON Ier (1769-1821) au Comité ecclésiastique, Paris, 16 mars 1811. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Pour l’heure, Pie VII est prisonnier à Savone depuis bientôt deux ans et les affaires religieuses sont complètement désorganisées en France. D’où la décision de Napoléon : convoquer un concile pour mettre de l’ordre.

« Bel enfant qui ne fait que naître,
Et pour qui nous formons des vœux,
En croissant, tu deviendras maître
Et régneras sur nos neveux.
Dame, dame, réfléchis bien,
Dame, dame, souviens-toi bien
Qu’alors il ne faudra pas faire
Tout comme a fait, tout comme a fait ton père. »1854

Chanson pour le roi de Rome (1811). Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Tout Paris explose de joie au vingt-deuxième coup de canon qui annonce la naissance d’un fils : le roi de Rome voit donc le jour, ce 20 mars 1811. Parmi toutes les chansons en l’honneur de l’illustre nouveau-né, celle-ci résonne comme un avertissement au père. Comme bien souvent, la chanson donne le pouls d’une opinion publique – c’est rare et précieux, sous l’Empire où la rigueur de la censure étouffe bien des pensées !

« Je l’envie. La gloire l’attend, alors que j’ai dû courir après elle […] Pour saisir le monde, il n’aura qu’à tendre les bras. »1855

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Duroc, 20 mars 1811. L’Aiglon, Napoléon II (1959), André Castelot

Le père est bouleversé devant le berceau de son fils. Cette naissance comble l’empereur. La dynastie semble installée à jamais. Il avoue son émotion à l’un de ses plus anciens compagnons de gloire, connu au siège de Toulon en 1793.

« Messieurs, vous voulez me traiter comme si j’étais Louis le Débonnaire. Ne confondez pas le fils avec le père […] Moi, je suis Charlemagne. »1856

NAPOLÉON Ier (1769-1821), aux Pères conciliaires, 17 juin 1811. Le Pape et l’empereur, 1804-1815 (1905), Henri Welschinger

La colère de l’empereur explose. Le concile qu’il voulait à sa botte s’est ouvert à Paris, ce 17 juin. Et voilà que les Pères jurent, un par un, obéissance au pape, lequel refuse aux évêques son investiture, pourtant prévue par le concordat signé avec Napoléon. Il fait arrêter trois évêques et suspend le concile – qui reprendra début août.

« Toute l’éducation publique a pris un caractère militaire. »1858

Mme de STAËL (1766-1817), Dix années d’exil (posthume, 1966)

25 novembre 1811. Un décret achève d’organiser l’Université de France. Napoléon a surtout veillé sur le secondaire – il aurait même voulu imposer le célibat aux professeurs ! Études menées au son du tambour, de 5 heures 30 du matin à 8 heures 45 du soir (exemple du lycée de Limoges).

« Nos maîtres ressemblaient à des hérauts d’armes, nos salles d’études à des casernes, nos récréations à des manœuvres et nos examens à des revues. »1859

Alfred de VIGNY (1797-1863), Servitude et grandeur militaires (1835)

Ancien élève du lycée Bonaparte (aujourd’hui Condorcet), âgé de 14 ans en 1811, né d’une famille aristocratique et de tradition militaire, se préparant (sans vraie vocation) à Polytechnique, Vigny quittera l’armée pour devenir poète.

Il évoque avec nostalgie ce passé qui fait rêver toute sa génération romantique : « Les maîtres mêmes ne cessaient de nous lire les bulletins de la Grande Armée, et nos cris de Vive l’empereur interrompaient Tacite et Platon […] Il me prit alors plus que jamais un amour vraiment désordonné de la gloire des armes ; passion d’autant plus malheureuse que c’était le temps, précisément, où la France commençait à s’en guérir. »

« L’Empereur, si puissant, si victorieux, n’est inquiet que d’une chose au monde : les gens qui parlent et, à leur défaut, les gens qui pensent. »1861

Comte de NARBONNE (1755-1813), à Vuillemain, lors d’une visite à l’École normale en 1812. Revue des deux mondes, volume II (1874)

Napoléon, au faîte de sa gloire, voudrait que son règne soit « signalé par de grands travaux, de grands ouvrages littéraires ». Mais jamais la liberté de parole et de pensée ne fut plus surveillée, la presse davantage censurée : plus que quatre journaux à Paris depuis 1811 et leurs actions ont été réparties entre la police et les courtisans les plus dévoués. Encore Napoléon s’indigne-t-il parfois de ce qu’il lit, du « mauvais esprit » et de la « maladresse » des journalistes.

« Napoléon est comme un torrent. Moscou sera l’éponge qui l’absorbera. »1862

Feld-maréchal KOUTOUZOV (1745-1813), exposant son coup de poker militaire à son état-major, début septembre 1812. La Guerre patriotique de 1812 (2008), Émile Grenier Robillard

Parole prophétique du général en chef, quand l’armée napoléonienne est en marche vers Moscou. Été 1812, la guerre a repris : la sixième coalition dressera bientôt l’Europe contre Napoléon. Tout commence avec la Russie.

Alexandre Ier est ulcéré par l’annexion du duché d’Oldenbourg, fief appartenant à son cousin et devenu au sein de la Confédération du Rhin un des 130 départements français, sous le nom de Bouches-du-Weser. La Russie souffre par ailleurs du Blocus continental et renoue avec l’Angleterre. De son côté, Napoléon est tenté : cette nouvelle conquête manque à son Empire ! Il comprendra – trop tard – cette erreur fatale.

Koutousov expose son plan : plutôt que d’affronter ce qui reste de la Grande Armée, il ordonne la retraite de Moscou, sans combat. Ses officiers sont totalement déconcertés. Certains pleurent, arrachent leurs décorations, d’autres parlent de trahison, mais le maréchal sera obéi. Il écrit au tsar pour le rassurer : la perte de Moscou est réparable et sauvera la Patrie.

« Moscou sera notre perte. »1863

Joachim MURAT (1767-1815), à Napoléon, 18 août 1812. La Catastrophe de Russie (1949), Louis Madelin

Mots répétés par l’entourage de l’empereur lancé dans l’aventure sans connaître le terrain et passant le fleuve Niémen le 22 juin.  Murat, roi de Naples appelé pour la campagne de Russie, découvre la guerre d’usure. L’ennemi se dérobe sans fin, la Grande Armée s’enfonce en terre étrangère, amputée du tiers de ses effectifs sans avoir livré bataille : 150 000 hommes disparus, morts, épuisés par la canicule, blessés, plus encore déserteurs. Mais pour l’empereur, c’est une question d’honneur. On ira à Moscou.

« Voilà le soleil d’Austerlitz ! »1864

NAPOLÉON Ier (1769-1821), parvenu devant Moscou, au matin du 7 septembre 1812. Napoléon Bonaparte, ou trente ans de l’histoire de France, drame en 6 actes (1831), Alexandre Dumas père

Pour une fois, Dumas est fidèle à l’histoire, à la lettre même ! La citation figure dans de nombreuses sources. Tout juste appuie-t-il la réplique d’un : « Battons-nous donc ! Mes amis, voilà le soleil d’Austerlitz. »

Napoléon veut galvaniser les officiers en évoquant la plus éclatante victoire de l’Empire. Il entre dans la ville comme en pays conquis et toujours sans combat, « transporté de joie ». On croit à une nouvelle victoire, les soldats sont sûrs de trouver des vivres et un repos bien mérité. Mais la ville est vidée de ses habitants, 300 000 Moscovites ont fui avec tous leurs biens. Pis encore, un gigantesque incendie va détruire la cité construite en bois, qui brûlera jusqu’au 20 septembre.

« La paix ? Mais nous n’avons pas encore fait la guerre. Ma campagne ne fait que commencer. »1865

ALEXANDRE Ier (1777-1825), Réponse à la lettre de Napoléon, 5 octobre 1812. Koutouzov : le vainqueur de Napoléon (1990), Serge Nabokov, Sophie de Lastours

Napoléon proposait à son « frère l’empereur Alexandre » d’arrêter sa marche, mais le tsar ne cédera pas : « Je préférerais m’exiler à Vladivostok et me faire pousser une barbe de trois pieds de long plutôt que de traiter avec lui. L’Europe est désormais trop petite pour nous deux. » Et il peut compter sur le « général Hiver » pour vaincre l’envahisseur.

« Il ne s’agit en aucun cas d’une retraite, mais d’une marche stratégique. Mon armée n’est pas battue, que je sache ! »1866

NAPOLÉON Ier (1769-1821), 13 octobre 1812. L’Incendie de Moscou (1964), Daria Olivier

Les premières neiges tombent, les dernières illusions de Napoléon s’envolent, mais il refuse de l’avouer. De Moscou, il envisage un repli sur Smolensk, le temps d’hiverner pour repartir au printemps sur Saint-Pétersbourg. Il affecte de railler ces Russes « qui brûlent leurs maisons pour nous empêcher d’y passer la nuit. » Et Paris chante La Campagne de Russie.

« Il était un p’tit homme
Qu’on appelait le grand […]
Courant à perdre haleine,
Croyant prendre Moscou,
Ce grand fou !
Mais ce grand capitaine
N’y a vu, sabergé, que du feu ! »1867

La Campagne de Russie (automne 1812), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Chanson diffusée sous le manteau à Paris, tandis que commence la retraite de Russie d’octobre 1812. Le tsar accusa les Français d’avoir incendié Moscou. Sans doute se sont-ils contentés de piller la ville et d’achever ainsi de la détruire, après l’incendie qui aurait été ordonné par le gouverneur militaire Rostopchine. Il a fait évacuer la ville où ne restent que 800 prisonniers de droit commun, leur promettant la réhabilitation s’ils mettaient le feu.

« Ce diable de roi de Rome, on n’y pense jamais ! »1868

Nicolas FROCHOT (1761-1828), préfet de Paris. Mémoires de Madame de Chastenay (1896)

Le général Malet, opposant à Napoléon, arrêté en 1808, organise une conspiration. Interné avec des royalistes dans une maison de santé dont il s’évade dans la nuit du 22 au 23 octobre 1812, il fait courir le bruit de la mort de l’empereur devant Moscou. Paris y a cru un moment. Malet entraîne quelques troupes, libère des généraux républicains, improvise un gouvernement provisoire. C’est un quasi-coup d’État. Le général Hulin, commandant la place de Paris, lui résiste, Malet est arrêté, fusillé le 29 octobre. Et tout rentre dans l’ordre. Mais personne, pas même le préfet Frochot, n’a pensé à crier : « L’empereur est mort ! Vive l’empereur ! » On dit que cet oubli atteignit Napoléon plus que la conspiration du général Malet. Frochot sera mis à pied pour cette faute.

« Voilà le commencement de la fin. »1869

TALLEYRAND (1754-1838), à l’annonce du désastre de la retraite de Russie, décembre 1812. Monsieur de Talleyrand (1870), Charles-Augustin Sainte-Beuve

Il l’a prédit avant tout le monde, sans savoir l’ampleur de la débâcle.

Les soldats sont victimes du « Général Hiver », comme prévu par le tsar Alexandre et le maréchal Koutousov. Le froid rend fous les chevaux et colle l’acier des armes aux doigts des soldats. Le passage de la Bérézina (25 au 29 novembre) est un épisode devenu légendaire : par –20 °C le jour, –30 °C la nuit, ce qui reste de la Grande Armée réussit à franchir la rivière grâce aux pontonniers du général Eblé et aux troupes qui couvrent le passage (Ney et Victor). 8 000 traînards n’ont pas le temps de passer, ils seront tués par les Cosaques.

« Fussé-je mort à Moscou, ma renommée serait celle du plus grand conquérant qu’on ait connu. Mais les sourires de la Fortune étaient à leur fin. »1870

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases

Au lieu de cela, Paris continue de chanter tout bas la cruelle chanson de La Campagne de Russie, durant la retraite de décembre 1812 : « Il était un p’tit homme / Qu’on appelait le grand […] / Sans demander son reste / Fier comme un César / De hasard / Dans cet état funeste / Napoléon le Grand / Fout le camp ! »

« Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. »1871

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à son ambassadeur à Varsovie, Monseigneur de Pradt, 5 décembre 1812. Biographie universelle ancienne et moderne (1854), Michaud

Ce mot figure dans ses Maximes et pensées. Il fait partie d’un étrange discours tenu par un homme éprouvé dans son esprit et son corps. Il nie avoir été vaincu, il nie même les dangers courus. Il dit que « l’armée est superbe ». Quant à lui : « Je vis dans l’agitation ; plus je tracasse, mieux je vaux. Il n’y a que les rois fainéants qui engraissent dans les palais ; moi, c’est à cheval, et dans les camps. »

Mais ce jour même, il apprend la conspiration et précipite son retour à Paris. Il laisse à Murat les débris de son armée.

« L’armée a besoin de rétablir sa discipline, de se refaire, de remonter sa cavalerie, son artillerie et son matériel […] Le repos est son premier besoin. »1872

NAPOLÉON Ier (1769-1821), 29e Bulletin de la Grande Armée, Le Moniteur, 16 décembre 1812. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Derniers mots du tristement célèbre Bulletin. La France est frappée de stupeur. Tandis que Napoléon regagne Paris suite au quasi-coup d’État : course folle de treize jours, en traîneau, en cabriolet, à travers la Pologne, l’Allemagne… Il ignore le pire : la plus atroce déroute de l’histoire de France commence.

« La fortune m’a ébloui. »1873

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à ses ministres, 19 décembre 1812. Les Ministres de Napoléon (1959), Jean Savant

De retour à Paris dans la nuit du 18 décembre, il avoue aussi à ses ministres, le lendemain : « J’ai été à Moscou, j’ai cru signer la paix. J’y suis resté trop longtemps […] J’ai fait une très grande faute, mais la fortune peut encore la réparer. »

Il apprend quelques jours plus tard la tragédie, suite à son départ de Russie. Murat s’est querellé violemment avec Davout, abandonnant le commandement au prince Eugène et regagnant son royaume de Naples. Le prince Eugène de Beauharnais (fils de Joséphine adopté par l’empereur) fait l’impossible, évite l’encerclement et accomplit ce qui est considéré comme un exploit. Il ramène tant bien que mal 100 000 hommes. C’est quand même la débâcle.

Bilan total de cette campagne, 530 000 morts, victimes surtout du typhus, du froid et de la faim.

« J’ai vu vos troupes, il n’y a que des enfants. Vous avez fait périr une génération. Que ferez-vous quand ceux-ci auront disparu ? »1874

METTERNICH (1773-1859), à Napoléon qui le reçoit comme médiateur à Dresde, 26 juin 1813. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Napoléon cherche une impossible trêve. Il fait le compte des soldats dont il peut disposer et tente de montrer sa force au cours de cette entrevue. En fait, il devra faire appel aux anciennes classes et recruter des « Marie-Louise », jeunes conscrits des classes 1814 et 1815, sans formation militaire. Metternich n’est pas dupe de la démonstration. Napoléon, furieux, lui reproche les ambiguïtés de sa politique, ce qui va jeter l’Autriche dans le camp ennemi.

« C’en est fini de Bonaparte. »1875

METTERNICH (1773-1859), Lettre à son ami Hudelist (conseiller d’État), après son entrevue avec Napoléon, 26 juin 1813. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le chancelier d’Autriche vient de terminer son dialogue avec Napoléon en abandonnant son ton diplomatique : « Vous êtes perdu, Sire ! Je m’en doutais en venant ici, maintenant je le sais ! »

Il en est sûr, malgré la victoire de Napoléon sur les Prussiens (Lützen) et sur les Russes (Bautzen). L’armistice, signé à Pleiswitz le 4 juin, n’est qu’un cessez-le-feu qui permet aux coalisés de resserrer les rangs et à l’Autriche d’entrer dans la sixième et dernière coalition. La guerre reprend. Après la campagne de Russie et avant la campagne de France, c’est la campagne d’Allemagne. Napoléon repart, laissant la régence à Marie-Louise.

« Ce n’est pas possible, m’écrivez-vous ; cela n’est pas français. »1876

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au général Lemarois, commandant de Magdebourg, 9 juillet 1813. Dictionnaire des expressions nées de l’histoire (1992), Gilles Henry

Le général avait écrit à l’empereur pour lui dire que, face aux coalisés supérieurs en nombre, il ne peut pas tenir plus longtemps la place (ville prise par les Français en 1806, sur la rive gauche de l’Elbe en Westphalie).

Durant cette campagne d’Allemagne, plus que jamais, Napoléon paie de sa personne et fait preuve d’un génie militaire que Metternich lui-même salue. L’histoire en témoigne aussi : l’empereur obtint vraiment l’impossible de ses hommes et de leurs chefs. La postérité a retenu la formule plus lapidaire : « Impossible n’est pas français. » Et le général ne capitulera que le 20 mai 1814 – après l’abdication de Napoléon.

« S’attendre à une défaite partout où l’empereur donnera en personne. »1877

Général MOREAU (1763-1813), conseiller militaire du tsar de Russie, en 1813. L’Europe et la Révolution française (1885), Albert Sorel

Ce général français se retrouve dans l’état-major ennemi au terme d’une étrange carrière : engagé volontaire en 1791 dans l’armée révolutionnaire, nommé général en 1793, suspecté par le Directoire pour ses relations avec le général royaliste Pichegru, il se retrouve aux côtés de Bonaparte dans l’armée d’Italie, puis au coup d’État du 18 Brumaire. S’estimant mal payé pour ses services, il se lie aux royalistes. Arrêté en 1804, exilé aux États-Unis, il est appelé en 1813 comme conseiller militaire par Alexandre Ier. Voilà pourquoi il met en garde contre le génie militaire de Napoléon qu’il connaît bien et qui permet des victoires « impossibles » : Lützen, Bautzen… et Dresde, contre les Russes, les Prussiens et les Autrichiens, le 27 août. Moreau y sera mortellement blessé.

« La conscription est devenue pour toute la France un odieux fléau, parce que cette mesure a toujours été outrée dans son exécution. Depuis deux ans, on moissonne les hommes trois fois l’année. »1878

Vicomte LAINÉ (1767-1835), Corps législatif, 29 décembre 1813. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Ce député se distingue par une remarquable indépendance d’esprit. Il prend ici position en faveur de la paix et de la liberté - accusé de ce fait par l’empereur d’être au service de l’Angleterre. Il poursuit devant l’Assemblée : « Une guerre barbare et sans but engloutit périodiquement une jeunesse arrachée à l’éducation, à l’agriculture, au commerce et aux arts. » Le décret du 21 septembre 1813 avait appelé 300 000 jeunes gens sous les drapeaux.

« Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; c’était l’impôt payé à César. »1764

Alfred de MUSSET (1810-1857), La Confession d’un enfant du siècle (1836)

« … Et s’il n’avait ce troupeau derrière lui, il ne pouvait suivre sa fortune. C’était l’escorte qu’il lui fallait, pour qu’il pût traverser le monde, et s’en aller tomber dans une petite vallée d’une île déserte, sous un saule pleureur. » L’histoire finit mal pour la France exsangue, et pour l’empereur exilé.

Mais Musset, l’enfant du siècle orphelin de Napoléon, évoquera aussitôt après l’Empire glorieux : « Jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs. Jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. »

« Messieurs, une partie du territoire de la France est envahie ; je vais me lancer à la tête de mon armée et, avec l’aide de Dieu et la valeur de mes troupes, j’espère repousser l’ennemi au-delà des frontières. »1879

NAPOLÉON Ier (1769-1821), devant 800 officiers de la garde nationale, Salle des Maréchaux, château des Tuileries, 23 janvier 1814. Le Rêve inachevé (1990), Alain Lunel

La campagne d’Allemagne s’est terminée par le désastre de Leipzig (16 au 18 octobre 1813). Ce fut la « bataille des Nations » entre Napoléon (185 000 hommes) et les Alliés (300 000) : Autrichiens, Prussiens, Russes, auxquels se sont joints les Suédois sous le commandement de leur roi Charles XIV, alias Bernadotte, ancien maréchal de France que Napoléon a mis sur le trône de Suède !

Bilan : plus de 60 000 Français perdus (morts ou prisonniers) et l’obligation de reculer en deçà du Rhin.

« Ma bonne Louise, victoire ! J’ai détruit douze régiments russes, fait six mille prisonniers, quarante pièces de canon, deux cents caissons, pris le général en chef et tous les généraux, plusieurs colonels. Je n’ai pas perdu deux cents hommes. Fais tirer le canon des Invalides et publier cette nouvelle à tous les spectacles. »1882

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Marie-Louise au soir de la bataille de Champaubert (commune de la Marne), 10 février 1814. La Chute ou l’Empire de la solitude (2008), Dominique de Villepin

C’est une victoire sur les Russes et les Prussiens, cinq fois supérieurs en nombre. Napoléon va encore faire des prouesses à Montmirail, Château-Thierry, Nangis. Et à Montereau où il attaque, toujours en tête des troupes, sur son cheval…

« Le boulet qui doit me tuer n’est pas encore fondu. »1880

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à ses soldats effrayés, quand son cheval passe sur un boulet fumant, bataille de Montereau, 18 février 1814. Napoléon, l’homme, le politique, l’orateur, volume II (1889), Antoine Guillois

La campagne de France a commencé avec 50 000 hommes contre 350 000 Alliés ! À Brienne, il repousse les Prussiens qui occupent la ville, mais doit se retirer le 2 février. L’empereur sait que voilà le commencement de la fin.

« J’ai tout fait pour mourir à Arcis. »1883

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Caulaincourt, évoquant la bataille du 19 mars 1814. Mémoires du général de Caulaincourt, duc de Vicence, grand écuyer de l’empereur (posthume, 1933)

Plusieurs fois, il a tenté de se suicider, notamment à l’opium. Chaque fois, il regrettait cette mort qui se refusait à lui.

Ce 19 mars 1814, l’épée à la main, il s’est jeté dans la mêlée à Arcis-sur-Aube, bientôt rejoint par sa Garde. La bataille est restée indécise face à Schwarzenberg, ex-ambassadeur d’Autriche à Paris, ex-allié de Napoléon pendant la campagne de Russie. Il commande à présent les armées alliées qui envahissent la France. L’étau se resserre autour de Paris.

« Les guerres de Napoléon ont divulgué un fatal secret : c’est qu’on peut arriver en quelques journées de marche à Paris après une affaire heureuse ; c’est que Paris ne se défend pas ; c’est que ce même Paris est beaucoup trop près de la frontière. »1884

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Le 30 mars 1814, c’est la bataille de Paris. Blücher occupe Montmartre et de ses hauteurs, bombarde la capitale. Moncey résiste héroïquement à la barrière de Clichy. Mais Marmont doit signer la capitulation en fin d’après-midi. Les Alliés entrent dans Paris le lendemain. Il y a quelques cris pour acclamer le roi de Prusse et le tsar de Russie. Napoléon s’est replié sur Fontainebleau.

« Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes. »1885

Général DAUMESNIL (1776-1832), aux Alliés assiégeant Vincennes, début avril 1814. Daumesnil : « Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes » (1970), Henri de Clairval

Volontaire sous la Révolution, général et baron d’Empire multipliant les actions d’éclat, surnommé « Jambe de bois », il a perdu une jambe à Wagram (1809). Gouverneur du fort de Vincennes depuis 1812, il résiste au siège des troupes coalisées, alors que la capitale est aux mains des Alliés. Sa garnison se compose d’un millier de gardes nationaux et de 300 invalides, qu’il appelle « mon Jeu de quilles ». Un stock de munitions considérable (évalué à 80 millions de francs) fait du donjon une poudrière en puissance. La nuit du 30 au 31 mars, Jambe de bois et son Jeu de quilles ont raflé à Montmartre armes, munitions, chevaux, canons, pour les ramener à l’abri dans Vincennes. Les Alliés lui proposent une forte somme pour sa reddition. D’où la réplique. Il négociera la capitulation avec Louis XVIII après l’exil de Napoléon.

En 1830, quinquagénaire vaillant, toujours gouverneur de Vincennes et toujours résistant, il répond aux menaces des assaillants : « Je me fais sauter avec le château et nous nous rencontrerons en l’air. »

« 1. Napoléon Bonaparte est déchu du trône et le droit d’hérédité établi dans sa famille est aboli.
 2. Le peuple français et l’armée sont déliés du serment de fidélité envers Napoléon Bonaparte. »1886

Sénat, Sénatus-consulte du 2 avril 1814

Le Corps législatif adhère à l’acte du Sénat le 3 avril, alors qu’à l’Hôtel de Ville, dès le 1er, une majorité de conseillers voulaient le rétablissement de la monarchie en la personne de Louis XVIII. Mais le tsar n’aimait pas Louis XVIII.

Talleyrand réunit 64 Sénateurs pour qu’ils nomment un gouvernement provisoire - dont il fait naturellement partie.

« Dans la position où je suis [en 1814], je ne trouve de noblesse que dans la canaille que j’ai négligée, et de canaille que dans la noblesse que j’ai faite. »1887

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Napoléon (1921), Élie Faure

L’empereur déchu par des sénateurs qui lui devaient honneurs, titres, fortune, hésite encore à abdiquer, au château de Fontainebleau. Un dicton court dans Paris : « Bientôt, il n’y aura en France qu’un Français de moins. » L’expression va resservir, au début de la Restauration.

« Les Alliés ! Je vais les écraser dans Paris. Il faut marcher sur la capitale sans tarder ! »1888

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au château de Fontainebleau, 4 avril 1814. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Il lui reste des soldats qui défilent devant lui, chantant la Marseillaise et criant : « À Paris ! À Paris ! » Prêt à donner l’ordre de l’offensive, le général expose son plan devant les maréchaux qui espèrent seulement sauver l’Empire avec le roi de Rome et sont las de la guerre.

« L’armée ne marchera pas ! dit Ney.
— L’armée m’obéira, dit Napoléon.
— Sire, l’armée obéit à ses généraux. »1889

Maréchal NEY (1769-1815), Fontainebleau, 4 avril 1814. Le Procès du maréchal Ney (1955), Me René Floriot

Le même osera (avec le maréchal Oudinot) prononcer le mot tabou d’« abdication » devant l’empereur. Napoléon est informé de la défection de Marmont qui défendait Fontainebleau. Le lendemain, Ney lui apprend que d’autres maréchaux s’apprêtent à passer à l’ennemi.

« Vous voulez du repos ? Ayez-en donc ! »1890

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à ses maréchaux, 5 avril 1814. Napoléon Bonaparte, ou trente ans de l’histoire de France, drame en 6 actes (1831), Alexandre Dumas père

Beau sujet de drame pour le théâtre romantique, signé Dumas, toujours fidèle à l’esprit et à la lettre de cette histoire. Le fait est assez rare pour qu’on le souligne, mais quand l’histoire dépasse la fiction…

Devant ses maréchaux restés muets face à ses derniers projets de bataille d’avance perdue, Napoléon abandonne enfin. Il va se résoudre à signer une abdication sans plus de condition.

« Les puissances ayant déclaré que l’Empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l’Empereur Napoléon, fidèle à ses serments, déclare qu’il renonce, pour lui et pour ses enfants, aux trônes de France et d’Italie, et qu’il n’est aucun sacrifice, même celui de la vie, qu’il ne soit prêt à faire dans l’intérêt de la France. »1891

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Abdication du 6 avril 1814, écrite de sa main sur le célèbre guéridon d’acajou de Fontainebleau. Le Fils de l’empereur (1962), André Castelot

Par le traité de Fontainebleau du 11 avril, il garde son titre d’empereur avec la souveraineté (dérisoire) de l’île d’Elbe, 223 km2, la plus grande des petites îles italiennes de l’archipel toscan.

Il ne lui reste plus qu’à faire ses adieux à la Vieille Garde, avant de s’embarquer.

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