Lecture recommandée en temps de confinement : les romans | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Histoire & Littérature, lecture recommandée en temps de confinement… et bientôt de vacances. D’où cette série d’éditos en huit épisodes (indépendants) :

1. Romans - 2. Poésie - 3. Théâtre - 4. Lettres - 5. Histoire et Chronique - 6. Mémoires - 7. Pamphlets et autres œuvres polémiques - 8. Discours.

1. Roman - dont les romans épistolaires, à la mode au XVIIIe s.

La mention « Actu » met un coup de projecteur sur quelques Noms pour inciter le lecteur à se plonger dans l’œuvre source : Rabelais (notre premier géant littéraire), Montesquieu (créateur du roman épistolaire), Laclos (adapté deux fois au cinéma pour ses Liaisons dangereuses) de même que Stendhal (avec Le Rouge et le Noir au romantisme contenu), Hugo (romancier des Misérables et génial dans tous les genres), Anatole France (à redécouvrir dans ses romans politiques), Radiguet (pour un roman et le film du Diable au corps), Malraux (romancier de L’Espoir et conscience du XXe siècle), Sagan (pour le plaisir).

L’Histoire et le roman font souvent couple plus ou moins légitime, tandis que la littérature de guerre se révèle comme un genre à part entière.

Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.

 


« Et le Christ ?
— C’est un anarchiste qui a réussi. C’est le seul. »11

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

ACTU. Trois raisons de commencer notre revue historico-littéraire avec cette source surprenante : la spiritualité est déjà présente, chez ce jeune romancier ; elle n’exclut pas l’humour, précieux antidote au confinement présent ; enfin, le « mot d’auteur » est rare, à l’époque de la Gaule. Nous allons retrouver ce roman « historique », situé au commencement de la guerre civile espagnole, dans le camp républicain où Malraux s’est engagé comme volontaire.

À l’époque de la Gaule et sous le règne de Tibère (empereur romain) vit en Galilée un homme dont les enseignements vont bouleverser l’histoire du monde. De sa mort sur la croix va naître une religion qui lentement s’étendra sur l’Empire. Pour les Romains, les premiers chrétiens ne sont qu’une secte juive, dont le fondateur passe pour un agitateur politique. Pour les chrétiens, il est Dieu, fils de Dieu, ce Dieu étant un dieu unique, comme celui qu’adorent les juifs.

La réussite de l’« anarchiste » qui termina sa vie comme un criminel mis en croix entre deux « larrons » est due à ses disciples, plus particulièrement Paul de Tarse : il fera du message de Jésus une religion à vocation universelle. La Gaule sera tardivement acquise : évangélisation des villes, puis des campagnes au IVe siècle, le christianisme devenant religion d’État en 391.

« Quand nous aurons vaincu mille guerriers francs, combien ne vaincrons-nous pas de millions de Perses ? »35

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Les Martyrs (1809)

Dans cette épopée chrétienne en prose, le premier grand  romantique du XIXe siècle français fait parler les Romains face aux Francs, guerriers à la réputation redoutable. Pour se donner du courage avant la bataille, les armées romaines entonnent ce « chant de Probus », du nom de l’empereur romain qui arrêta la première invasion germanique, au IIIe siècle. Les mille ans de Gaule (VIe siècle av. J.-C.- 481 apr. J.-C) sont sans nul doute la période la plus guerrière de toute notre histoire.

« La folie des croisades est ce qui a le plus honoré la raison humaine. »170

Léon BLOY (1846-1917), La Femme pauvre (1897)

Le Moyen Âge millénaire (481-1483), époque de foi et temps des cathédrales, va vivre sous le signe des croisades, appelées aussi guerres saintes : huit au total, de 1095 à 1270.

Catholique ardent, visionnaire et mystique, romancier et polémiste, Léon Bloy encense les croisades que, de son côté, Nietzsche qualifie d’« entreprises de haute piraterie ». Anachronisme mis à part, les deux jugements sont également valables.

« Car je suis né et été nourri jeune au jardin de France : c’est Touraine. »389

François RABELAIS (vers 1494-1553), Pantagruel (1532)

ACTU. Premier contemporain à témoigner de son époque, et sans nul doute le plus grand romancier de la Renaissance ! Premier auteur recommandé au printemps 2020, comme remède au confinement ! Dépaysement garanti sans autre ordonnance.

Moine médecin, né près de Chinon, lancé en littérature par ce personnage de géant (fils de Gargantua) qu’il a créé. Pantagruel et Gargantua font de lui le créateur du roman moderne, mais aussi du mélange des genres - satire, philosophie, chronique, conte, parodie de l’épopée et du roman de chevalerie. Bref, une riche nature et un reflet de son époque, culturellement foisonnante !

Paris est déjà capitale de la France, mais les Valois au pouvoir fuient ses violences révolutionnaires et vont en Val de Loire construire leurs châteaux : Amboise, Blois, Chambord, Chenonceau. Là se situe la vie culturelle, galante et bien souvent politique de la France : Léonard de Vinci le prestigieux invité finira sa vie près d’Amboise, les États généraux se tiennent à Blois, à Tours. Et ce qui deviendra au XVIe siècle la langue nationale est le français parlé en Touraine, réputé le plus pur.

François Rabelais citation

« Je prouverai […] que notre langue vulgaire n’est pas si vile, si inepte, si indigente et à mépriser qu’ils l’estiment. »393

François RABELAIS (vers 1494-1553), Le Cinquième Livre, prologue (posthume)

Au XVIe siècle, quelque 700 poètes du royaume versifient en latin, la poésie néo-latine s’inspirant jusqu’au plagiat de Virgile, Horace, Catulle, Ovide, tandis que d’autres « pindarisent et pétrarquisent » à qui mieux mieux. Querelle des Anciens et des Modernes (à suivre au siècle suivant) et identité nationale en jeu : Ronsard réunit une « Brigade » qui devient « Pléiade » et cette nouvelle école charge du Bellay de rédiger la Défense et illustration de la langue française (1549).

Rabelais se bat de son côté avec sa langue, bien à lui et bien française. Il s’adresse ici aux « rapetasseurs de vieilles ferrailles latines, revendeurs de vieux mots latins, tous moisis et incertains ».

« Nos lois sont comme toiles d’araignes […] les petits moucherons et petits papillons y sont pris […] les gros taons les rompent […] et passent à travers. »405

François RABELAIS (vers 1494-1553), Le Cinquième livre (posthume)

Jusqu’à la Révolution, l’idée revient souvent de cette inégalité devant la loi des Français qui ne sont pas encore citoyens. Mais les procès de Grands du royaume, suivis de condamnations exemplaires (parfois à mort), montrent que les « gros taons » peuvent être pris : connétable (chef de l’armée), surintendant des Finances, amiral, et même chancelier (chef de la justice).

« Guerre faite sans bonne provision d’argent n’a qu’un soupirail de vigueur. Les nerfs des batailles sont les pécunes. »465

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

Deux ans après le géant Pantagruel, l’auteur crée Gargantua, son géant de père. Des cinq livres de son œuvre, c’est le plus polémique : il aborde des questions sérieuses, comme la guerre. Il ridiculise le roi Picrochole, sa folie ambitieuse qui le pousse aux guerres de conquête - notre plus grand ennemi Charles Quint est visé - et l’oppose au bon roi Grandgousier, pacifique et prudent, conscient de ses devoirs vis-à-vis de ses sujets et animé d’une vraie fraternité chrétienne. Mais pour mener cette politique, il faut être fort, donc disposer d’une armée permanente – allusion à la politique militaire de François Ier.

Notons au passage l’origine de l’expression « nerf de la guerre » – ou sa réapparition, Thucydide en ayant usé, dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse, au Vé siècle avant J.-C. La métaphore va faire fortune dans l’histoire : les guerres sans fin recommencées sont ruineuses. Le XVIe siècle bat néanmoins le record historique de quatre-vingt-cinq années de guerre en Europe, avec des effectifs croissants et des armes toujours perfectionnées.

« L’appétit vient en mangeant, disait Angest on Mans, la soif s’en va en buvant. »467

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

Outre la guerre et l’éducation, la religion est l’une des graves questions traitées dans ce livre. Rabelais, moine cordelier, puis bénédictin, curieux de tout, passionné de grec et de latin, bien que prônant l’usage du français, est pour la nouvelle doctrine évangélique, avec les humanistes du Collège royal et contre la Sorbonne – qui en 1523 lui confisqua ses livres de grec, interdiction étant faite d’étudier l’Écriture sainte dans les textes originaux !

Rabelais parle ici de Jérôme de Hangest, évêque du Mans (mort en 1538) et gardien de l’orthodoxie. Les mauvaises mœurs dans l’Église sont l’une des raisons de la Réforme. Calvin lui-même les dénonce en s’adressant au roi, en 1536 : « Contemplez d’autre part nos adversaires […] Leur ventre leur est pour dieu, la cuisine pour religion. »

« Comment sont nées les barricades ? Pour lutter contre les cavaleries royales, le peuple n’ayant jamais de cavalerie. »562

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Le nom de « journée des Barricades » sera donné à plusieurs insurrections parisiennes de l’histoire de France. La première date du 12 mai 1588, en pleines guerres de Religion (succédant à la Renaissance).

Henri de Guise brave la défense du roi et se rend à Paris, appelé par les Seize (comité formé par les ligueurs dans la capitale, composé de 16 membres représentant les 16 quartiers de la ville). Très populaire, on le surnomme le Roi de Paris. Henri III veut riposter avec ses troupes, mais la population se soulève, barrant les rues avec des barriques de terre. Le roi doit s’enfuir et se réfugie à Chartres. Paris reste au duc de Guise et aux ligueurs.

« On m’a fait, six ans durant, fouetter les mulets aux Tuileries. Il est temps qu’enfin je fasse mon métier de roi. »674

lOUIS XIII (1601-1643), après la mort de Concini et le départ de Marie de Médicis. Louis XIII et Richelieu (1855), Alexandre Dumas

Pour une fois, Dumas-père, le très populaire romancier du XIXe siècle, est fidèle à l’histoire : guerre du fils écarté du pouvoir par sa mère régente et le clan des Concini. Le mot de Louis XIII est souvent repris. L’heure de sa revanche a sonné. Il s’est décidé à faire assassiner le favori de la reine qui avait tous les pouvoirs et prenait plaisir à le ridiculiser. Mais pour faire son métier de roi, qu’il prend très au sérieux, Louis XIII aura toujours besoin d’un second.

Luynes à ses côtés, promu duc, pair, connétable de France, gouverneur de Picardie, va diriger les affaires du royaume. Belle promotion pour le fauconnier royal – il est vrai que Louis XIII adore la chasse. Mais quand même, tant d’honneurs et de pouvoir ! On va jusqu’à comparer le favori à Concini. En attendant Richelieu, puissant Premier ministre - que Dumas va caricaturer à plaisir, dans Les Trois Mousquetaires.

« Un grand seigneur est un homme qui voit le roi, qui parle aux ministres, qui a des ancêtres, des dettes et des pensions. »957

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes (1721)

Les Grands, dès la Régence, veulent prendre leur revanche sur le siècle de Louis XIV, ce « règne de vile bourgeoisie » qui les tint écartés des postes de pouvoir.

ACTU. Lire ou relire les Lettres Persanes, voici le plus sûr moyen de se déconfiner avant l’heure et avec le sourire ! Rappelons le mot de l’auteur dans ses Cahiers (posthume) : « L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté. »
Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, est un homme qui se plaît à se dire heureux, dans son siècle épris de bonheur. « Je m’éveille le matin avec une joie secrète ; je vois la lumière avec une espèce de ravissement. Tout le reste du jour je suis content. » Et n’oublions pas que le bonheur est contagieux !

L’auteur est aussi le premier-né des philosophes dits des Lumières. Magistrat fortuné, il écrit pour se distraire, avant de se consacrer tout entier au très sérieux Esprit des lois (1748) - œuvre à suivre dans l’édito n°7. Mais il a commencé par un petit ouvrage plaisant, publié à Amsterdam, anonyme et « persan » : trois précautions valent mieux qu’une pour déjouer la censure ! Le masque ne trompe personne et le subterfuge rend l’auteur célèbre : sa réputation de bel esprit est faite et sa critique des mœurs contemporaines, fort hardie sous l’apparence badine, séduit le public des salons. Du même coup, il lance le genre du roman épistolaire, illustré soixante ans après par les sulfureuses Liaisons dangereuses de Laclos.

Ici, c’est l’humour qui explique le succès de librairie - avec l’exotisme dont on raffole aussi. Deux Persans, Usbek et Rica, découvrent Paris et tiennent un journal de voyage à l’intention de leurs correspondants turcs (y compris deux femmes d’Usbek). Leur esprit critique vise la (bonne) société, la politique (royale), la personne même du roi (Louis XV), la religion… Tout l’esprit du siècle des Lumières s’exerce déjà et Voltaire reprendra ce procédé dans ses contes moraux, Zadig et Candide.

« On dit que l’homme est un animal sociable. Sur ce pied-là, il me paraît que le Français est plus homme qu’un autre, c’est l’homme par excellence ; car il semble fait uniquement pour la société. »975

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

La sociabilité sera l’un des traits caractéristiques de ce siècle, porté à un point extrême et tantôt qualité, tantôt défaut. Le moraliste Chamfort confirme, à la veille de la Révolution : « Les gens du monde ne sont pas plutôt attroupés qu’ils se croient en société. » Exception à la « bande des quatre philosophes » et à la mode, Rousseau fera vraiment bande à part, annonçant une forme de romantisme propre au siècle suivant.

« Celui qui est à la cour, à Paris, dans les provinces, qui voit agir des ministres, des magistrats, des prélats, s’il ne connaît les femmes qui les gouvernent, est comme un homme qui voit bien une machine qui joue, mais qui n’en connaît point les ressorts. »977

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Au-delà des apparences futiles et brillantes, les femmes jouent leur rôle dans l’histoire, et d’abord dans celle des idées. Elles ont soutenu les Modernes contre les Anciens dans les querelles du siècle dernier, on les voit maintenant aux côtés des philosophes. Influentes aussi dans l’économie où des femmes de la bourgeoisie et du peuple se retrouvent chefs d’entreprise ; et dans la politique où les favorites royales jouent un rôle même pas occulte avec Louis XV. Quant à Louis XVI, Mirabeau ne dira-t-il pas de lui : « Le roi n’a qu’un homme, c’est sa femme » ?

« On apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent. »978

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

La Régence, le Procope, Gradot, Laurent : c’est la grande mode des cafés où le café fait fureur – on en compte 300 à Paris, en 1715. Les clubs, plus fermés, institution typiquement anglaise, séduisent la France anglophile jusqu’à l’anglomanie. Et les salons se multiplient, à Paris et en province, à mesure que la cour de Versailles perd son hégémonie : d’abord littéraires et mondains, puis philosophiques, tous tenus par des femmes (Mme de Lambert, Mme de Tencin, Mme du Deffand, Mme Geoffrin, Mlle de Lespinasse), lieux de rencontre et de conversation où les idées nouvelles circulent et les réputations se font et se défont.

« La fureur de la plupart des Français, c’est d’avoir de l’esprit, et la fureur de ceux qui veulent avoir de l’esprit, c’est de faire des livres. »979

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Autre trait typique du siècle des Lumières et qui ne fera que se renforcer, lui donnant son unité par-delà d’extrêmes diversités et complexités, contrastes et contradictions.

« Paris est peut-être la ville du monde la plus sensuelle et où l’on raffine le plus sur les plaisirs ; mais c’est peut-être celle où l’on mène une vie plus dure. Pour qu’un homme vive délicieusement, il faut que cent autres travaillent sans relâche. »982

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Contraste plus que jamais affiché, donc choquant pour l’un des premiers philosophes du siècle, entre la minorité de privilégiés et les autres. Rousseau, le moins parisien et le plus plébéien des philosophes, confirmera l’évidence : « Une vie dure est plus facile à supporter en province que la fortune à poursuivre à Paris. »

« L’intérêt est le plus grand monarque de la terre. Cette ardeur pour le travail, cette passion de s’enrichir, passe de condition en condition, depuis les artisans jusques aux grands. »983

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Ambivalence de cette civilisation d’un côté raffinée, charmante, luxueuse et philosophante, et de cette société affairiste où la course à l’argent devient la préoccupation permanente d’une noblesse descendue dans l’arène, comme de la bourgeoisie toujours soucieuse d’ascension sociale : « Vous voyez à Paris un homme qui a de quoi vivre jusqu’au jour du jugement, qui travaille sans cesse et court le risque d’accourcir ses jours, pour amasser, dit-il, de quoi vivre. »

« Le luxe absorbe tout : on le blâme, mais il faut l’imiter ; et le superflu finit par priver du nécessaire. »987

Choderlos de LACLOS (1741-1803), Les Liaisons dangereuses (1782)

Lettre de la marquise de Merteuil à Mme de Volanges. L’auteur est resté célèbre à juste titre, pour cette seule œuvre, roman épistolaire sous-titré : Lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres.

« Il me semble au moins que c’est rendre un service aux mœurs que de dévoiler les moyens qu’emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes. »988

Choderlos de LACLOS (1741-1803), Les Liaisons dangereuses, Préface (1782)

Véritable traité du mal qui donne à voir avec la même froideur et la même vérité les victimes et les corrupteurs. Cette description quasi clinique fascine encore le lecteur de ce petit chef d’œuvre. Le cinéma n’a pas manqué d’exploiter cette veine qui échappe à toute mode.

ACTU. Il n’y a pas que la littérature pour échapper au confinement. Les bons films sont également précieux et vous pourrez comparer les deux versions d’ailleurs incomparables. Visibles en DVD, en extraits sur You Tube et disponibles sur diverses plateformes, comme la plupart des « classiques » de l’écran.

« Les Liaisons dangereuses 1960 », revues et adaptées par Roger Vadim, avec le sublime couple de cyniques et libertins, Jeanne Moreau-Gérard Philipe, manipulant à plaisir Mlle de Volanges, joliment incarnée par Annette Stroyberg (jeune femme du metteur en scène). L’infidélité de l’adaptation transposée de nos jours explique le nouveau titre imposé par notre droit d’auteur français, la Société des gens de lettres (SGDL) ayant argué de son droit moral (imprescriptible). Le film interdit aux moins de 16 ans et à l’exportation est un immense succès en France (4 millions d’entrées). Gérard Philipe meurt quelques semaines après sa sortie, à 36 ans.

Les « Dangerous Liaisons » de Stephen Frears, adaptation très fidèle et à l’américaine de 1988, récompensé par trois Oscars et couverte de prix bien mérités, avec quatre acteurs parfaits, John Malkovich, Glenn Close, Michelle Pfeiffer, Uma Thurman, rencontrent un succès critique et public international.

« Mon plus grand chagrin est qu’il n’existe réellement pas de Dieu et de me voir privé, par-là, du plaisir de l’insulter plus positivement. »989

Marquis de SADE (1740-1814), L’Histoire de Juliette (1797)

Au-delà des philosophes vaguement déistes (Voltaire) ou résolument athées (Diderot), Sade se pose comme le plus irréligieux des grands marginaux du siècle. Jamais la perversion n’a été poussée si loin et deux siècles plus tard, elle demeure exemplaire et scandaleuse. Le « divin marquis » joue à vivre les provocations qu’il conte et sera condamné à mort pour violences sexuelles, dès 1772. Il passera trente années en prison. Un interminable confinement qu’il met à profit pour écrire, rêver, mais aussi se justifier : « Je ne m’adresse qu’à des gens capables de m’entendre, et ceux-là me liront sans danger. » La Philosophie dans le boudoir. Ce pamphlet (passablement illisible par le style comme l’essentiel de son œuvre) déclenche un nouveau scandale. Son adaptation au cinéma montrera  l’impossibilité de traduire en images les fantasmes de cet univers. La vie de l’auteur n’en est pas moins passionnante (et à suivre…).

« Cela veut raisonner de tout, et n’a pas mille écus de rente. »997

Duc de CASTRIES (1727-1801). Le Rouge et le Noir (1830), Stendhal

Le duc parle avec dédain de Rousseau (le plébéien) et de d’Alembert (le bâtard) – il aurait pu en dire autant de Diderot (le bohème). Chez ces hommes avides de répandre les Lumières dans un public de plus en plus vaste et éclairé, la vocation encyclopédique va de pair avec une curiosité universelle et une culture tout terrain. Quant au duc de Castries, qui est aussi marquis, maréchal de France, ministre, gouverneur… et député à l’Assemblée des notables (1788), il se fera remarquer à la veille de la Révolution par son hostilité à toute réforme.

ACTU. Le Rouge et le Noir : grand auteur et grand roman du siècle suivant, justement sous-titré « Chronique du XIXe », devenu un classique de la littérature française. À lire, relire et redécouvrir à chaque lecture, à méditer aussi, pour oublier le confinement.

Julien Sorel, fils de charpentier franc-comtois, admire Napoléon et rêve de faire une carrière militaire, mais il doit tout aux prêtres qui ont fait son éducation. Il hésite donc entre l’armée (symbolisée par le rouge) et le clergé (symbolisé par le noir). D’autres explications tentent de décoder le titre de ce roman à l’intrigue aussi complexe que les personnages…. Le cœur du héros est également déchiré par une vie privée chaotique. Précepteur des enfants de M. de Rênal, maire de province, il s’éprend de sa femme, Mme de Rênal. Dénoncé, le couple doit se séparer. Julien se retrouve à Paris, faubourg Saint-Germain, secrétaire du marquis de La Mole. Il s’éprend de sa fille Mathilde, bientôt enceinte. Ils vont se marier, quand une lettre de Mme de Rênal dénonce l’immoralité de son ex-amant. Julien se venge en tirant sur elle, en pleine messe. Il est jugé, condamné à mort, les deux femmes plus que jamais amoureuses de Julien étant prêtes à tout pour le faire acquitter. Mais en vain. L’ambitieux aura tout raté, sa carrière, ses amours.

Ce chef d’œuvre de psychologie au romantisme contenu inspire un film éponyme à Claude Autant-Lara, qui cosigne le scénario avec Jean Aurenche et Pierre Bost.  Le Rouge et le Noir (1954) bénéficie d’un trio d’acteurs exceptionnels. Gérard Philipe incarne idéalement Julien Sorel, pris entre Danielle Darrieux et Antonella Lualdi au sommet de leur art. À voir et revoir en boucle, pour oublier le confinement. Ne pas hésiter entre le film et le livre, la comparaison des deux vous fera passer le temps !

« Dieu ne tire pas plus rapidement les hommes du néant. »1082

MONTESQUIEU (1689-1755), parlant du système de Law en 1719, Lettres Persanes (1721)

Le Système fait des miracles et permet de tout espérer : « Que de valets servis par leurs camarades, et peut-être demain par leurs maîtres ! » Des fortunes colossales naissent en quelques heures, et l’on cite des cas incroyables, mais vrais : des laquais devenus millionnaires paradent en carrosse, un abbé gagne 18 millions de livres, un garçon de cabaret 30, un ramoneur 40, un mendiant 70 et une mercière 100. Ces nouveaux riches achètent des châteaux, donnent des fêtes, épousent des filles nobles… avant que leur fortune ne s’écroule. Trop de spéculateurs l’ignorent encore, mais c’est une loi de la Bourse que la baisse suit la hausse.

Chaque siècle va l’apprendre à ses dépens, preuve que l’on ne tire pas suffisamment profit des leçons de l’histoire. La Régence a vécu une « première » historique, presque un cas d’école. Et Montesquieu réussit à nous faire sourire.

« Ah ! Ah ! Monsieur est Persan ! C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? »1086

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

La lettre XXX (il y en 161) raille la curiosité naïve et indiscrète des Parisiens du temps, pour tout ce qui sort de l’ordinaire. Cette curiosité « encyclopédique » sera l’une des qualités du siècle des Lumières.

« Respectons éternellement le vice et ne frappons que la vertu. »1182

Marquis de SADE (1740-1814), L’Histoire de Juliette (1797)

1768 : Sade est emprisonné sept mois, ayant enlevé et torturé une passante. En 1763, les deux semaines au donjon de Vincennes pour « débauche outrée » n’étaient qu’un premier avertissement. Le divin marquis passera au total trente années de sa vie en prison. Ce « confinement » ne fera que renouveler et exacerber ses fantasmes que la réalité limite fatalement.

« Depuis l’âge de quinze ans, ma tête ne s’est embrasée qu’à l’idée de périr victime des passions cruelles du libertinage. » Né de haute noblesse provençale, élève des jésuites, très jeune combattant de la guerre de Sept Ans, marié en 1763, il sera condamné à mort en 1772 pour violences sexuelles. Incarcéré en Savoie, évadé, emprisonné de nouveau à Vincennes, puis à la Bastille, transféré à Charenton quelques jours avant le 14 juillet 1789, libéré le 2 avril 1790 par le décret sur les lettres de cachet, avant de nouvelles incarcérations. Sa famille veille à ce qu’il ne sorte plus de l’hospice de Charenton, où il meurt en 1814.

Son œuvre, interdite, circule sous le manteau tout au long du XIXe siècle. Elle est réhabilitée au XXe, avec les honneurs d’une édition dans la Pléiade. Premier auteur érotique de la littérature moderne, il donne au dictionnaire le mot sadisme : « perversion sexuelle par laquelle une personne ne peut atteindre l’orgasme qu’en faisant souffrir (physiquement ou moralement) l’objet de ses désirs » (Le Robert). À part ça, cette prose est difficile à lire, mais il y a des amateurs. Si le confinement vous y invite…

« Pour que la Révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la présente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet la prépare, que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose. »1289

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Danton, un nom parmi d’autres révolutionnaires célèbres. Plus qu’aucune autre période de notre histoire de France, la Révolution crée ses propres héros. Aussi vrai que « les hommes ne manquent pas : les révolutions en découvrent toujours » (Michel Debré, Ces princes qui nous gouvernent).

ACTU. Hugo, n°3 sur le podium de l’Histoire en citations (après Napoléon et de Gaulle, juste avant Voltaire), à la fois auteur génial (romancier, poète, dramaturge, historien, polémiste) et acteur politique majeur (député, pair de France, opposant à Napoléon III, en exil durant près de vingt ans), de nouveau député, puis sénateur (et orateur sans égal). On va le retrouver dans tous les autres éditos en tant qu’auteur.

Tout le monde a lu Les Misérables. Vrai ou faux ? 10 volumes ! Près de 2 000 pages. Pas le temps de résumer. Rappelons simplement quelques personnages inoubliables, à commencer par Jean Valjean, condamné au bagne pour avoir volé un pain… devenu Monsieur Madeleine ne vivant que pour aider les misérables qu’il rencontre ; Fantine, fille de joie et fille-mère cumulant toutes les tares ; sa fille Cosette devenue enfant-martyre chez les Thénardier ; Gavroche, gamin de Paris qui meurt en chantant sur les barricades d’une révolution parisienne avortée (1832) ; Javert le policier qui traque le forçat évadé ; Marius prisonnier du destin, sauvé par miracle et finissant par épouser Cosette… Prenez le temps de replonger dans cet univers. La seule lecture d’une vingtaine de citations à suivre va vous faire oublier le confinement et vous (re)donner goût au roman-fleuve, avec cet art de la formule inimitable qu’on trouve dans les autres romans historiques d’Hugo, à commencer par Quatre-vingt-treize, dernier roman publié, situé sous la Terreur.

Victor Hugo citation

« Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole. »1295

Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)

On l’appelait « le Mirabeau de la populace ». Comme Mirabeau, Danton, c’est une « gueule », un personnage théâtral. Mais contrairement à Mirabeau, « Danton, comme Robespierre et Marat, est une création de la Révolution. Il jaillit de l’immense événement sans aucun préavis » (Mona Ozouf). Il mourra guillotiné, comme Robespierre. Mirabeau est mort de maladie à 42 ans. Et Marat, assassiné par Charlotte Corday.

« Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat. »1301

Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)

Dans la galerie de portraits révolutionnaires, Marat, c’est le méchant. Pas un ami de son vivant. Pas un historien pour en faire un héros. Pas un théoricien pour se dire « maratiste », comme on peut être dantoniste ou robespierriste. Marat fut pourtant l’« ami du peuple », jouissant d’une incroyable popularité auprès des sans-culottes.

« Le correcteur d’épreuves de la Révolution, c’est Robespierre. Il revoyait tout, il rectifiait tout. »1307

Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)

Tout le contraire du génie de l’improvisation des Mirabeau et Danton. C’est avant tout un infatigable théoricien, comme son ami Saint-Just.

« En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit. »1332

Victor HUGO (1802-1885), Le Dernier Jour d’un condamné (1829)

Bilan du 14 juillet 1789 : une centaine de morts et un peu plus de blessés, essentiellement chez les assaillants (au nombre de 800 à 3 000, selon les sources). Mais Hugo a raison : le peuple est parti dans une escalade de la violence, et les meneurs parlent toujours plus fort que les modérateurs. Chez le jeune romancier, on reconnaît déjà l’apôtre de la non-violence et le pourfendeur de la peine de mort.

« Pays, Patrie, ces deux mots résument toute la guerre de Vendée, querelle de l’idée locale contre l’idée universelle, paysans contre patriotes. »1489

Victor HUGO (1802-1885), Quatre-vingt-treize (1874)

Dernier roman historique publié, il se situe en 1793, année charnière et riche en événements, avec la Terreur instituée par décret et la tragique guerre de Vendée. Il met en scène trois personnages : un prêtre révolutionnaire, un aristocrate royaliste et vendéen, et son petit-neveu rallié à la Révolution. Ce choc des extrêmes rappelle naturellement la Commune de Paris (1871) et ses drames, vécus par Hugo. Les guerres civiles se suivent et se ressemblent tragiquement.

Les insurgés vendéens (les Blancs) vont réunir jusqu’à 40 000 hommes et remporter plusieurs victoires contre les patriotes (les Bleus), en ce printemps 1793 : prise de Cholet, Parthenay, Saumur, Angers, avant d’échouer devant Nantes (29 juin). La Convention envoie des troupes républicaines dès juillet, mais les grands combats suivis de massacres seront organisés à partir d’octobre. Au total, la guerre de Vendée et la guerre des Chouans (mêmes causes, mêmes effets, en Bretagne et Normandie) feront quelque 600 000 morts, dont 210 000 civils exécutés, 300 000 morts de faim et de froid (dont 100 000 enfants).

Ce génocide (mot employé par certains historiens) est, sans conteste, le plus lourd bilan à porter au passif de la Révolution et de la Terreur.

« La Révolution française est le plus puissant pas du genre humain depuis l’avènement du Christ. »1631

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Conscience politique de son siècle, homme de cœur et sensibilité de gauche, il aime d’autant plus la Révolution (et l’Empire) qu’il est déçu par les princes qui gouvernent au XIXe siècle et par les révolutions qui l’agitent et l’ensanglantent pour rien.

« Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; c’était l’impôt payé à César. »1764

Alfred de MUSSET (1810-1857), La Confession d’un enfant du siècle (1836)

« … Et s’il n’avait ce troupeau derrière lui, il ne pouvait suivre sa fortune. C’était l’escorte qu’il lui fallait, pour qu’il pût traverser le monde, et s’en aller tomber dans une petite vallée d’une île déserte, sous un saule pleureur. » L’histoire finit mal, pour la France exsangue, et pour l’empereur exilé.

Mais Musset, l’enfant du siècle orphelin de Napoléon, évoque aussitôt après l’Empire glorieux : « Jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs. Jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. » Rendez-vous avec Musset le poète, dans l’épisode n°2 de notre feuilleton littéraire.

« Napoléon, Monsieur le Vidame, eut une autre femme que Joséphine et que Marie-Louise. Cette compagne […] porte un manteau d’azur constellé d’étoiles, elle est couronnée de lauriers […] la croix d’honneur brille sur sa poitrine […] Elle se nomme la Gloire. »1770

Anatole FRANCE (1844-1924), Le Crime de Sylvestre Bonnard (1881)

(Ce roman fait partie de son Histoire contemporaine. Nous allons retrouver en son temps - la Troisième République - cet auteur qui mérite mieux que l’oubli ou une réputation trompeuse).

Dès 1797, Bonaparte prédit cet engrenage du destin fatal à lui-même et à la France : « Mon pouvoir tient à ma gloire, et ma gloire aux victoires que j’ai emportées. Ma puissance tomberait si je ne lui donnais pour base encore de la gloire et des victoires nouvelles. La conquête m’a fait ce que je suis, la conquête seule peut me maintenir » (cité dans les Mémoires de Roederer).

« Commediante ! Tragediante ! »
« Comédien ! Tragédien ! »1781

PIE VII (1742-1823). Servitude et grandeur militaires (1835), Alfred de Vigny

Ces deux mots cités par Vigny, entre autres sources, n’ont peut-être pas été prononcés tels qu’ils sont passés à la postérité, mais ils reflètent ce que ce pape de caractère pensait de l’empereur, ce sacré personnage !

Don de la simulation et sens théâtral sont deux qualités reconnues au grand premier rôle que fut Napoléon, sur la scène de l’histoire. Son don de la mise en scène, il en joue en artiste : « Rien n’interrompt aussi bien une scène tragique qu’inviter l’autre à s’asseoir ; lorsqu’il est assis, le tragique devient comique. » Il a d’ailleurs pris des cours avec le plus célèbre sociétaire de la Comédie-Française, son ami Talma. Il sait donner une dimension épique aux défaites comme aux victoires, revues et corrigées par les peintres voués à sa propagande, à commencer par David. Le sommet de l’art reste le sacre, dont Pie VII est témoin et acteur, condamné au second rôle : Napoléon tint à se couronner lui-même, et le pape n’a béni que la couronne !

« Quel roman que ma vie ! »1782

NAPOLÉON Ier (1769-1821), juin 1816. Quel roman que ma vie ! : itinéraire de Napoléon Bonaparte, 1769-1821 (1947), Louis Garros

L’épopée aura duré un peu plus de vingt ans et le 5 mai 1821, le proscrit de Sainte-Hélène déclare à Las Cases : « L’adversité manquait à ma carrière. Grâce au malheur, on pourra me juger à nu. » Ces six ans de captivité vont encore servir sa légende.

Le personnage est une source d’inspiration inépuisable pour les historiens, écrivains, cinéastes et jusqu’aux créateurs de jeux vidéo. Le culte napoléonien se voit dans les musées du monde entier, dans les collections de soldats de plomb, dans les dictionnaires de citations. Et sur l’Internet, au seul mot de Napoléon, 1 880 000 résultats s’inscrivent en 0,70 seconde (avril 2020) - ce qui aurait comblé l’homme pressé, obsédé par son image. C’est aussi une manière de passer à la postérité.

« Nos maîtres ressemblaient à des hérauts d’armes, nos salles d’études à des casernes, nos récréations à des manœuvres et nos examens à des revues. »1859

Alfred de VIGNY (1797-1863), Servitude et grandeur militaires (1835)

Témoignage d’un ancien élève du lycée Bonaparte (aujourd’hui Condorcet), âgé de 14 ans en 1811, né d’une famille aristocratique et de tradition militaire, se préparant (sans vraie vocation) à Polytechnique. Vigny quittera l’armée pour devenir poète.

Il évoque avec nostalgie ce passé qui fait rêver toute la génération romantique : « Les maîtres mêmes ne cessaient de nous lire les bulletins de la Grande Armée, et nos cris de Vive l’empereur interrompaient Tacite et Platon […] Il me prit alors plus que jamais un amour vraiment désordonné de la gloire des armes ; passion d’autant plus malheureuse que c’était le temps, précisément, où la France commençait à s’en guérir. »

Alfred de Vigny

« J’appartiens à cette génération née avec le siècle, qui, nourrie de bulletins par l’Empereur, avait toujours devant les yeux une épée nue et vint la prendre au moment même où la France la remettait dans le fourreau des Bourbons. »1895

Alfred de VIGNY (1797-1863), Servitude et grandeur militaires (1835)

Roman et réflexion autobiographique sur le métier militaire qu’il a exercé jusqu’à 30 ans, composé sous forme de trois nouvelles (« Laurette ou le Cachet rouge », « La Veillée de Vincennes », « La Vie et la Mort du capitaine Renaud »). Témoignage d’un grand écrivain de ce temps riche en talents, bien plus que la Révolution et l’Empire n’en ont créés. Vigny traduit ici l’état d’esprit de toute une génération de jeunes romantiques « bien nés ». Ils rallieront l’opposition libérale quand la monarchie de Charles X deviendra plus ultra que royaliste, à la fin de la Restauration.

« Un général anglais leur cria : Braves Français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde ! […] Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. »1944

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Le « mot de Cambronne », historiquement douteux et nié par son auteur présumé, est pourtant passé à la postérité : l’anecdote est rapportée par Hugo dans son roman, Sacha Guitry lui dédia une aimable pièce titrée Le Mot de Cambronne (1937).

On ne prête qu’aux riches : Pierre Jacques Étienne, vicomte de Cambronne, fit un beau parcours militaire. Engagé parmi les volontaires de 1792, il participe aux campagnes de la Révolution et de l’Empire. Nommé major général de la garde impériale, il suit Napoléon à l’île d’Elbe, revient avec lui en 1815, est fait comte et pair de France sous les Cent-Jours et s’illustre à Waterloo, dans ce « dernier carré » de la Vieille Garde, qui va résister jusqu’au bout.

« Waterloo n’est point une bataille : c’est le changement de front de l’univers. »1949

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

On retrouve ce roman en dix volumes, vaste fresque historique, sociale, humaine et humaniste. Waterloo demeure à jamais l’un des moments clés de l’histoire de la France.

« 1817 est l’année que Louis XVIII, avec un certain aplomb royal qui ne manquait pas de fierté, qualifiait de vingt-deuxième de son règne. »1966

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Pour les amateurs de calcul, rappelons que 1817 moins 22 égale 1795, date de la mort (officielle) de Louis XVII le dauphin, année où le comte de Provence en exil fut proclamé Louis XVIII. Le compte est bon.

« La dernière raison des rois, le boulet. La dernière raison des peuples, le pavé. »2028

Victor HUGO (1802-1885), Littérature et philosophie mêlées (1834)

L’histoire de France est ponctuée de « journées des Barricades » – murailles vite improvisées, faites de pavés, de galets, de poutres, construites par le peuple pour barrer la route aux troupes organisées, chargées du maintien de l’ordre.

La première Journée remonte à la Sainte Ligue (catholique), qui tenait Paris en 1588. En 1649, c’est la Fronde, où l’on a beaucoup joué avec les pavés. La Révolution de 1830 dépave les rues de Paris, durant ses Trois Glorieuses. Après l’insurrection républicaine de 1832, les pavés reprennent du service avec la Révolution de 1848. Vient ensuite la Commune de Paris en 1871, la plus sanglante guerre des pavés – Hugo sera encore témoin de cette guerre civile. Au XXe siècle, Paris vivra deux séries de journées où les rues se hérissent à nouveau de barricades et de pavés, qui font également projectiles : à la Libération en août 1944, et en mai 1968. Rappelons aussi la « semaine des Barricades » en janvier 1960, à Alger. Le pavé servira de moins en moins, les rues de Paris et de toutes les grandes villes étant recouvertes de macadam.

« L’opposition […] peut perdre autant de batailles qu’elle en livre, il lui suffit, comme les alliés en 1814, de vaincre une seule fois. Avec « trois glorieuses journées », enfin, elle détruit tout. »2032

Honoré de BALZAC (1799-1850), Le Député d’Arcis (posthume, 1854)

En juillet 1830, la crainte d’un régime vraiment démocratique va pousser la majorité des députés de l’opposition, représentants d’une bourgeoisie libérale, aisée, éclairée, mais pas vraiment révolutionnaire, à « escamoter » la République et opter pour l’ordre. Le National propose de nommer roi le duc d’Orléans, « prince dévoué à la cause de la Révolution ». Toute l’ambiguïté du nouveau régime de la Charte et de Louis-Philippe accédant au trône est déjà là, dans ce recours à un « roi citoyen ».

balzac citations

« Tous ces prétendus hommes politiques sont les pions, les cavaliers, les tours ou les fous d’une partie d’échecs qui se jouera tant qu’un hasard ne renversera pas le damier. »2038

Honoré de BALZAC (1799-1850), Monographie de la presse parisienne (1842)

Comme presque tous les génies de son temps, Balzac est tenté par la politique (hésitant entre libéralisme et monarchisme catholique). Mais c’est plus que tout un prodigieux observateur des mœurs, doublé d’un « visionnaire passionné » (selon Baudelaire). Les quelque 90 romans de sa Comédie humaine ont d’abord pour titre Études sociales : les jeux politiques de la nouvelle monarchie installée dans l’histoire entre deux révolutions y sont croqués sans indulgence et le personnage de Rastignac entre dans la galerie des grands classiques. Adolphe Thiers sert de modèle à ce bourgeois avide d’argent et de pouvoir.

« La plupart des hommes qui étaient là avaient servi, au moins, quatre gouvernements ; et ils auraient vendu la France ou le genre humain, pour garantir leur fortune, s’épargner un malaise, un embarras, ou même par simple bassesse, adoration instinctive de la force. »2040

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

À l’instar de Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe, mais dans un tout autre style, Flaubert se présente comme un grand auteur à la barre des témoins de son temps, peintre minutieux de la bourgeoisie des années 1840-1850 et des illusions perdues de Frédéric Moreau, 18 ans, son antihéros. Il reprend la formule du roman d’apprentissage, avec une intrigue empruntée à Sainte-Beuve et à Balzac. Ce roman reprend aussi trois essais précédents… Moins de succès que Madame Bovary, mais  annonce le naturalisme, d’où l’admiration de Maupassant et de Zola.

ACTU ? La question s’est posée - Flaubert n’est pas moins intéressant que Stendhal. Mais ses lecteurs n’ont pas besoin d’être incités à le lire et les autres ne seront sans doute pas incités à la lecture. Cette littérature au romantisme retenu jusqu’au réalisme et aux personnages maladivement égocentrés n’est pas favorable en temps de confinement ! Enfin, nous retrouverons Flaubert dans les Lettres (épisode 4 de cette série littéraire), sa Correspondance avec George Sand révélant à merveille l’homme vibrant à l’Histoire en train de se faire, au jour le jour.

« Qu’importe que ce soit un sabre ou un goupillon, ou un parapluie qui nous gouverne ! C’est toujours un bâton. »2041

Théophile GAUTIER (1811-1872), Mademoiselle de Maupin (1835)

Roman épistolaire… connu surtout pour sa préface. C’est l’exception à la règle de l’engagement politique, social et moral des Hugo, Lamartine et George Sand, Michelet et Tocqueville. Contre les « Jeunes-France » romantiques, ce « parfait magicien des lettres françaises » (selon Baudelaire) affirme la doctrine de « l’art pour l’art » - en préface.

« On a voulu, à tort, faire de la bourgeoisie une classe. La bourgeoisie est tout simplement la portion contentée du peuple. Le bourgeois, c’est l’homme qui a maintenant le temps de s’asseoir. Une chaise n’est pas une caste. »2052

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Misérables - suite. En exil (volontaire après l’amnistie décrétée par Napoléon III en 1860), Hugo a tout le temps de se rappeler son passé politique et d’en tirer leçon, dans ce roman-fleuve.

D’abord réservé face à Louis-Philippe, Hugo est conquis par sa belle-fille, la jeune duchesse d’Orléans. Mais la mort accidentelle de son mari, prince héritier, ruine ses rêves de futur ministre. Nommé pair de France en 1845, il se bat contre la peine de mort, l’injustice sociale. Son parcours politique d’homme de gauche et de cœur ne fait que commencer.

« Louis-Philippe était un homme rare […] très premier prince du sang tant qu’il n’avait été qu’altesse sérénissime, mais franc bourgeois le jour où il fut majesté. »2055

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Roi-citoyen amené au pouvoir par une révolution (les Trois Glorieuses de juillet 1830), roi des barricades à la tête d’une monarchie bourgeoise qualifiée de « meilleure des républiques » par certains, Louis-Philippe réunit quelques-unes des ambiguïtés dont vivra et mourra ce régime.

« Sa grande faute, la voici : il a été modeste au nom de la France. »2056

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Indulgent pour ce roi qui trouve grâce aux yeux de ce critique d’ordinaire plus sévère pour les princes qui gouvernent la France, Hugo ajoute : « Louis-Philippe sera classé parmi les hommes éminents de son siècle, et serait rangé parmi les gouvernements les plus illustres de l’histoire, s’il eût aimé la gloire et s’il eût eu le sentiment de ce qui est grand au même degré que ce qui est utile. »

« Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »2076

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Mot du populaire gamin de Paris, ainsi mis en situation sur une barricade : « Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre. »

Hugo immortalise dans ce roman la première grande insurrection républicaine sous la Monarchie de Juillet, les 5 et 6 juin 1832. Une manifestation aux funérailles du général Lamarque (député de l’opposition) se termine en émeute, quand la garde nationale massacre les insurgés, retranchés rue du Cloître-Saint-Merri : barricades et pavés font à nouveau l’histoire et la une des journaux de l’époque.

« On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge, « qui n’avait fait que le tour du Champ de Mars tandis que le drapeau tricolore », etc. ; et tous se rangèrent sous son ombre, chaque parti ne voyant des trois couleurs que la sienne – et se promettant bien, dès qu’il serait le plus fort, d’arracher les deux autres. »2147

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

Révolution de février 1848. Le romancier voit juste, aidé par le recul du temps : la confusion et l’enthousiasme des premiers jours masquent toutes les incompatibilités d’opinion.

Flaubert citation

« Le bonnet de coton ne se montra pas moins hideux que le bonnet rouge. »2173

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

Les représailles ont suivi les combats. Bilan humain des journées de juin 1848 : plus de 4 000 morts chez les insurgés, 1 600 parmi les forces de l’ordre (armée et garde nationale). Et 3 000 prisonniers ou déportés en Algérie.

Bilan politique : la rupture est consommée entre la gauche populaire, prolétaire et socialiste (à Paris surtout, mais très minoritaire dans le pays) et la droite conservatrice à laquelle vont peu à peu se joindre les républicains modérés, pour former le parti de l’Ordre.

Flaubert rejette ici dos à dos le bourgeois et le peuple. George Sand fera de même et nous les retrouverons, dialoguant par Lettres (épisode 4 de cette série littéraire).

« Je commence à m’embrouiller, moi, dans ces insurrections qui sont un devoir, et dans ces insurrections qui sont un crime ! Je ne vois pas bien la différence. »2328

Ludovic HALÉVY (1834-1908), Madame et Monsieur Cardinal (1872)

Commune de Paris, 1871. Le XIXe est vraiment le siècle des émeutes, des insurrections et des révolutions.

Halévy, réputé pour ses livrets écrits en duo avec Meilhac (musique d’Offenbach), met en scène dans son roman historique et au fil de dix récits une famille qui traverse les tourmentes révolutionnaires du siècle. Un insurgé qui a participé à la Commune se défend devant le président du Conseil de guerre : « J’ai tiré sur les Versaillais en 1871, comme j’avais tiré sur la garde royale en 1830 et sur les municipaux en 1848. Après 1830, j’ai eu la médaille de Juillet. Après 1848, les compliments de M. de Lamartine. Cette fois-ci, je vais avoir la déportation ou la mort. »

« Le Capital mourrait si, tous les matins, on ne graissait pas les rouages de ses machines avec de l’huile d’homme. »2237

Jules VALLÈS (1832-1885), Jacques Vingtras (1879-1886)

Cet écrivain et journaliste se retrouvera du côté des prolétaires, lors de la Commune en 1871. Sa sincérité est évidente dans sa trilogie romanesque et autobiographique (L’Enfant, 1879, Le Bachelier, 1881, L’Insurgé, 1886) qui montre la misère du peuple en cette époque de capitalisme triomphant. Le profit du capital augmente, alors que le salaire réel de l’ouvrier stagne. Napoléon III, sensible aux problèmes économiques et sociaux de son temps, se révélera incompétent pour les résoudre.

« Puisqu’elle [la Troisième République] gouverne peu, je lui pardonne de gouverner mal. »2390

Anatole FRANCE (1844-1924), Histoire contemporaine (publiée de 1897 à 1901)

Après le Second Empire, la République est enfin installée : modérée, mais surtout faible. La faute en revient aux hommes qui gouvernent et aux institutions qui ont débouché sur un parlementarisme où les crises se multiplient. Anatole France prête son scepticisme intellectuel et souvent désabusé à son héros, M. Bergeret, qui prend la défense du régime, faisant un éloge inattendu des faiblesses de cette République.

ACTU. Vénéré de son vivant, comblé de reconnaissances officielles, quoiqu’attaqué souvent pour ses idées sociales et son indépendance d’esprit, il est pratiquement oublié de nos jours ou du moins mal compris, jugé démodé ou désuet. Son humour et son ironie s’accommodent d’une indulgence pour les travers politiques de ce nouveau régime en rodage. Mais la République et la démocratie sont toujours fragiles et menacées, un siècle après, et un Anatole France nous manque vraiment ! Bonne raison pour le (re)découvrir.

Style moins brillant que Victor Hugo, mais c’est tout aussi juste et plus actuel. Sa prose se lit sans peine, ses romans historiques sont bien construits et Les Dieux ont soif (situés au plus fort de la sanglante Révolution) reste un petit chef d’œuvre. Ajoutons que cet intellectuel très engagé à gauche a toujours su garder ses distances avec le communisme et l’Union soviétique. Enfin, il a pris immédiatement parti pour Dreyfus, dans la célèbre Affaire qui a déchiré la France.

Anatole France citation

« Nous n’avons point d’État. Nous avons des administrations. Ce que nous appelons la raison d’État, c’est la raison des bureaux. »2392

Anatole FRANCE (1844-1924), Histoire contemporaine. L’Anneau d’améthyste (1899)

C’est une plainte et un mal typiquement français, qui augmente avec la complexité de la vie publique et l’omniprésence de l’État. Déjà sous l’Ancien régime, l’impôt et l’intendant polarisaient l’essentiel des doléances.

« Le suffrage universel, la plus monstrueuse et la plus inique des tyrannies, – car la force du nombre est la plus brutale des forces, n’ayant même pas pour elle l’audace et le talent. »2396

Paul BOURGET (1852-1935), Le Disciple. À un jeune homme (1889)

Ce romancier se propose d’analyser les « maladies morales » de son époque. Le suffrage universel date en France de 1848, mais cette forme d’égalité politique fut longtemps contestée – la Correspondance entre Flaubert et George Sand en témoigne : « Tout le rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. Le rêve est en partie accompli. » (Gustave Flaubert).

« Il n’est pas de gouvernements populaires. Gouverner, c’est mécontenter. »2397

Anatole FRANCE (1844-1924), Histoire contemporaine. Monsieur Bergeret à Paris (1901)

Telle est l’une des leçons tirées de ce quatrième et dernier volume de son Histoire contemporaine : scepticisme philosophique de l’écrivain qui n’hésite cependant pas à s’engager de plus en plus dans les grandes luttes de son temps : pour Dreyfus, le socialisme, le communisme même… mais pas inconditionnellement comme la majorité des convertis à cette nouvelle religion.

« Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la […], éclairez-la […], vous n’aurez pas besoin de la couper. »4073

Victor HUGO (1802-1885), Claude Gueux (1834)

Un bref roman de jeunesse, déjà contre la peine de mort.

La même idée inspire la politique scolaire de Jules Ferry : pour régler la question sociale, il faut selon lui faire disparaître « la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité de l’éducation », permettre « la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur le banc de quelque école ». Les « lois Ferry » de 1881-1882 rendent l’enseignement primaire gratuit, ce qui permet de le rendre obligatoire de 7 à 13 ans, puis laïque. On pense aussi à la formation des maîtres, en créant des Écoles normales d’instituteurs (et d’institutrices) dans chaque département. Ce nouveau service public de l’enseignement va donner un minimum d’instruction aux fils de paysans, et créer la fameuse rivalité entre l’instituteur et le curé.

« Ils [les ministres] tomberont de si bas que leur chute même ne leur fera pas de mal. »2507

Anatole FRANCE (1844-1924), Les Opinions de M. Jérôme Coignard (1893)

Le temps des crises s’éternise sous cette République (surtout de 1885 à 1905) et le régime s’y épuise lentement, mais sûrement. Le personnel politique est toujours aussi médiocre et l’opinion publique se lasse des jeux de ces politiciens professionnels, pimentés de scandales en série.

« Il n’y a plus beaucoup de républicains en France. La République n’en a pas formé. C’est le gouvernement absolu qui forme les républicains. »2529

Anatole FRANCE (1844-1924), Monsieur Bergeret à Paris (1901)

Dernier des quatre volumes de son Histoire contemporaine, « pamphlet formidable présenté avec un sourire enchanteur » (Émile Faguet), c’est le résumé piquant et pessimiste de la société française marquée par l’affaire Dreyfus. Anatole France demeure fidèle à ses convictions socialistes, bientôt communistes, mais loin de tout dogmatisme et même de tout parti. Vérité paradoxale : le régime a résisté à toutes les crises, la République modérée est devenue radicale, mais les Français sont plus que jamais critiques et divisés.

« Que ceux déjà qui m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances. »2573

Raymond RADIGUET (1903-1923), Le Diable au corps (1923)

Ce roman de Radiguet, mort à 20 ans d’une fièvre typhoïde mal soignée, l’année même de la publication et du grand succès de cette œuvre, récit d’une passion d’adolescent sur fond de guerre : le héros est l’amant d’une très jeune femme dont le mari se bat au front. L’œuvre fera scandale, pour cela surtout. « Fausse biographie » affirme l’auteur, quand même inspirée par une brève liaison, l’année de ses 14 ans.

ACTU. Lire, relire ce petit chef d’œuvre de jeunesse, écrit par un surdoué de 17 ans, également poète, dessinateur, adepte de l’école buissonnière, de la vie de bohême, des jolies femmes, des hommes aussi. En 1918, c’est la rencontre décisive avec Jean Cocteau qui va regretter toute sa vie cet amour perdu.

Le Diable au corps (1947), c’est aussi un film de Claude Autant-Lara, adaptation d’Aurenche et Bost. Grâce au couple formé par Micheline Presle, alias Marthe, jeune femme adultère rayonnante, et Gérard Philipe, irrésistible de beauté dans le rôle du lycéen de 17 ans, on peut parler de « petit chef d’œuvre » en noir et blanc. C’est à voir, sinon à revoir. Marco Bellocchio en tirera un remake à l’italienne en 1986, remarqué sinon remarquable - première scène de fellation dans un film grand public (non pornographique), jouée par Maruchka Detmers, belle actrice néerlandaise.

« La guerre […] Je vois des ruines, de la boue, des files d’hommes fourbus, des bistrots où l’on se bat pour des litres de vin, des gendarmes aux aguets, des troncs d’arbres déchiquetés et des croix de bois, des croix, des croix. »2575

Roland DORGELÈS (1885-1973), Les Croix de bois (1919)

Engagé volontaire, il donne ce témoignage simple et vécu de la vie des tranchées : un des plus gros succès d’après-guerre de cette littérature de guerre.

14-18 reste dans l’histoire comme une interminable guerre de tranchées où les soldats, en majorité paysans, luttèrent pied à pied dans la terre, pour leur terre.

« Ce ne sont pas des soldats : ce sont des hommes. Ce ne sont pas des aventuriers, des guerriers, faits pour la boucherie humaine […] Ce sont des laboureurs et des ouvriers qu’on reconnaît dans leurs uniformes. Ce sont des civils déracinés. »2576

Henri BARBUSSE (1873-1935), Le Feu, journal d’une escouade (1916)

Impossible de ne pas rapprocher Barbusse de Dorgelès : autre engagé volontaire, autre témoignage sur la vie des tranchées, autre succès – et prix Goncourt en 1917. Barbusse, idéaliste exalté, militant communiste bientôt fasciné par la révolution russe de 1917, se rend plusieurs fois à Moscou, où il meurt en 1935. Le roman soulèvera nombre de protestations : en plus du document terrible sur le cauchemar monotone de cette guerre, les aspirations pacifistes transparaissent.

« Sur le front, les soldats voyaient apparaître un vieil homme au feutre en bataille, qui brandissait un gourdin et poussait brutalement les généraux vers la victoire. C’était Georges Clemenceau. »2605

André MAUROIS (1885-1967), Terre promise (1946)

L’auteur des Silences du colonel Bramble (1918), agent de liaison auprès de l’armée britannique, évoque ses souvenirs dans ce livre dont le succès décidera de sa carrière d’écrivain.

Clemenceau, moins terrible que sa légende de Tigre, recherche le contact avec les poilus des tranchées qui l’appellent affectueusement et simplement le Vieux. Le « vieux Gaulois acharné à défendre le sol et le génie de notre race », auquel de Gaulle rend hommage dans ses Discours et messages, va restaurer la confiance dans le pays et mener son dernier grand combat national, devenant le Père la Victoire.

« Je trouve que c’est une victoire, parce que j’en suis sorti vivant. »2611

Roland DORGELÈS (1885-1973), Les Croix de bois (1919)

L’auteur prête ce mot à l’un des héros de retour du front, mutilé et réformé, peu avant l’armistice du 11 novembre 1918. Pour les seuls Français, les statistiques de la Grande Guerre se résument en ces chiffres : sur 8,4 millions de soldats mobilisés, près de 4 millions de blessés (et la moitié deux fois ou plus), parmi lesquels 1 million d’invalides permanents (dont 56 000 amputés, 65 000 mutilés fonctionnels). Et 1,4 million de morts et disparus, soit 10 % de la population active du pays.

Il faut ajouter la mortalité chez les civils, due aux privations et à l’épidémie de grippe espagnole, qui double le compte des morts. La France, proportionnellement au nombre d’habitants, est le pays qui a le plus souffert de la guerre.

« L’armistice vient d’être signé par Lloyd George qui ressemble à un caniche, par Wilson qui ressemble à un colley et par Clemenceau qui ressemble à un dogue. »2614

Jean GIRAUDOUX (1882-1944), Suzanne et le Pacifique (1921)

Diplomate et romancier, puis auteur dramatique, il fera une longue carrière aux Affaires étrangères de 1910 à 1940. L’armistice est signé le 11 novembre 1918, dans un wagon-salon près de la gare de Rethondes. Il impose à l’Allemagne l’évacuation des territoires envahis, de la rive gauche du Rhin, ainsi que d’une zone de 10 km sur la rive droite ; la livraison de matériel de guerre (canons, mitrailleuses, sous-marins, navires) pour prévenir toute reprise des hostilités ; la restitution immédiate des prisonniers de guerre. Signé pour 36 jours, l’armistice est reconduit jusqu’à la signature du traité de Versailles, le 28 juin 1919.

« Les grandes manœuvres sanglantes du monde étaient commencées. »2684

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

L’écrivain aventurier s’est engagé aux côtés des républicains qui combattent au cri de « Viva la muerte  », dans cette guerre civile qui va durer trois ans, servant de banc d’essai aux armées fascistes et nazies. Contrairement à tous ses confrères qui ont cru à la paix du monde, Malraux, des Conquérants (1928) à L’Espoir (1937), en passant par La Condition humaine (prix Goncourt 1933), se fait l’écho fidèle et prémonitoire de ce temps d’apocalypse. Lui-même devient un héros révolutionnaire, à l’image des héros de ses livres, avec un très grand talent, dans l’aventure comme dans la littérature.

ACTU. « Conscience du XXe siècle », Malraux va vivre plusieurs vies. Aventurier, il est emprisonné en Indochine pour vol et recel d’antiquités khmères. Auteur de romans d’aventure (en partie vécues), il gagne le prix Goncourt et la célébrité dans la francophonie. Engagé volontaire dans la guerre d’Espagne, il en rend compte aussitôt dans L’Espoir (1937), roman adapté pour le cinéma l’année suivante : Espoir, sierra de Teruel (1938). On peut regarder ce documentaire en noir et blanc, mais il faut lire et relire L’Espoir, source de réflexion et mine de citations. C’est le meilleur moyen d’échapper intelligemment au confinement !

Militant antifasciste contre Hitler, résistant en mars 1944, il participe aux combats de la Libération dans la brigade d’Alsace-Lorraine. Sa rencontre avec de Gaulle en fait un homme politique et le tout premier ministre de la Culture (1959-1969). Philosophe, il ne cesse d’écrire et tourne La Légende du siècle, série télévisée en neuf épisodes (Françoise Verny et Claude Santelli) qui rend sa voix et son visage familiers au public. « Bref », une vie bien remplie et parfois réécrite par mythomanie (assumée).

André Malraux citation

« Il y a des guerres justes. Il n’y a pas d’armée juste. »2690

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Malraux, après un voyage à Berlin, dénonce le nazisme en 1935, ses atteintes à la dignité humaine et ses prisons dans Le Temps du mépris, puis le fascisme espagnol dans ce nouveau roman. Il y témoigne aussi de son engagement dans le camp des Républicains, organisant et commandant l’aviation étrangère avec une aptitude à l’action remarquable chez un intellectuel.

Bien des années après, l’ancien combattant de la guerre civile d’Espagne dit qu’elle a été la dernière « guerre juste » de notre temps, une des raisons de l’« espoir » étant cet afflux de volontaires de tous pays (estimés à 40 000 hommes), unis pour une juste cause, dans la fraternité confiante des brigades internationales. Comme le dit un anarchiste de L’Espoir, « le courage aussi est une patrie ».

« Les communistes disent toujours de leurs ennemis qu’ils sont des fascistes. »2692

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Malraux, très indépendant d’esprit, ne sera jamais au nombre des inconditionnels du communisme, comme tant d’intellectuels de son temps. Il est surtout du côté de l’homme aux prises avec l’Histoire. Il se détournera bientôt de l’idéologie révolutionnaire, plus soucieux de construire un humanisme moderne, exaltant le génie de l’homme, assurant la victoire des forces de l’espoir sur celles du mépris.

« On dirait bientôt : les soldats de 38 – comme on disait : les soldats de l’an II, les poilus de 14. Ils creuseraient leurs trous comme les autres, ni mieux ni plus mal, et puis ils se coucheraient dedans, parce que c’était leur lot. »2701

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), Le Sursis (1945)

Bourgeois ennemi de sa classe, philosophe et écrivain de gauche qui s’engagera à l’extrême, Sartre est pensionnaire à l’Institut français de Berlin, quand Hitler prend le pouvoir (1933-1934). Son premier grand roman, La Nausée, est publié l’année même de Munich. Et le climat de Munich sert de toile de fond au Sursis, deuxième tome des Chemins de la liberté. Munich, cet accord, c’est « le sursis », avant la guerre, inévitable. Il n’est qu’à entendre la voix d’Hitler, les mots d’Hitler qui parle à la radio, devenue un moyen de communication de masse.

« Les saints vont en enfer. »2884

Gilbert CESBRON (1913-1979), titre de son roman (1952)

Signé d’un écrivain catholique, ce livre à succès décrit l’aventure des prêtres-ouvriers. Dès 1941, à Marseille, le Père Loew, dominicain de Marseille, s’est fait embaucher comme docker pour connaître de l’intérieur le monde du travail. La Mission de Paris est créée en 1944. Son but : convertir les ouvriers. En 1952, la Mission compte une centaine de prêtres-ouvriers qui s’activent en région parisienne et dans les grandes villes, les usines, les chantiers. Mais en 1953, Rome va condamner brutalement ce mouvement, pour cause de politisation et d’engagement syndical.

« Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. »2888

Françoise SAGAN (1935-2004), Bonjour tristesse (1954)

Première phrase d’un premier roman. Une jeune fille de 18 ans décrit son univers à elle, doré, plein de belles voitures, d’alcool, de spleen et de folie douce. François Mauriac s’enthousiasme : « Elle fait tenir, dans les mots les plus simples, le tout d’une jeune vie. Et il est vrai que ce tout n’est rien, et que ce rien, c’est pourtant la jeunesse, la sienne, celle de tant d’autres, en fait de tous ceux qui ne se donnent pas. »

ACTU. Sagan ne vieillit pas et c’est une bonne surprise. Par sa liberté d’esprit, de ton et de mœurs, c’est aussi un remède au confinement et au conformisme ambiant. Et puis, c’est léger, ça se lit vite, ça s’oublie ou pas, ça se relit et… Mauriac avait raison. Et Dieu sait que les deux auteurs sont différents !

« Sublime, forcément sublime. »3254

Marguerite DURAS (1914-1996), tribune dans Libération, 17 juillet 1985

Serge July, patron de Libé, a envoyé Marguerite Duras sur le lieu du drame qui bouleverse la France, depuis le 16 octobre 1984. À Lépanges-sur-Vologne, on a retrouvé dans la Vologne le corps du petit Grégory assassiné. Duras demande à rencontrer la mère, qui refuse. Christine Villemin subit un harcèlement médiatique qui se nourrit du mystère et des rebondissements de l’affaire.

Duras, auteur obsessionnellement fascinée par les faits divers, adopte une méthode « d’imprégnation du réel ». Sans preuves, au mépris de la présomption d’innocence, elle se fait médium pour accéder à la vérité : « Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé. Je le crois. Au-delà de toute raison […] On l’a tué dans la douceur ou dans un amour devenu fou. » Et le « sublime, forcément sublime » devient « coupable, forcément coupable. »

Fort embarrassé, July rédige un avertissement sur « la transgression de l’écriture », rappelant la liberté inhérente à l’écriture de l’artiste. Mais vu la notoriété de l’artiste, et la médiatisation de l’affaire, une polémique s’ensuit.

« L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! »3329

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Meeting de Lyon, 23 février 2006

Le futur candidat à la présidentielle, par ailleurs chef de l’UMP, amuse ses troupes avec La Princesse. Succès facile…Il va recommencer, avec des variantes… « Enfin, j’ai rien contre… enfin, bon, enfin… C’est parce que j’avais beaucoup souffert sur elle. »

La Princesse n’était que l’héroïne, certes quelque peu oubliée, du premier roman moderne dans la littérature française. Mais avec Sarko, elle fait « le buzz » sur les médias.

La relation à la culture du Président s’est quelque peu modifiée. Il lit de grands écrivains, voit des films d’auteur. Sa troisième femme, Carla Bruni-Sarkozy, l’influence dans ce sens. Il change, du moins en apparence… Mais le vocabulaire ne change pas. Il reste un hiatus étrange entre ce parler populaire – « Casse-toi, pauvre con ! » qui rappelle le Marchais incarnant le PC des années 1980, mais surprend chez ce Neuilléen, ex maire de Neuilly – et la forme très littéraire de ses grands discours, écrits par Henri Guaino.

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