Qui a perdu la tête ?
Vue prophétique. Chacun à sa façon, tous les philosophes du siècle ont d’ailleurs annoncé la Révolution, sans la vouloir et sans le savoir. C’est dans cet esprit qu’il faut les relire pour mieux les apprécier.
L’élève des jésuites a vite « mal » tourné : du déisme au scepticisme, puis à l’athéisme et au matérialisme. Cette trop libre pensée lui vaut trois mois de prison au donjon de Vincennes. Il s’efforcera ensuite d’être un peu plus prudent.
À 57 ans, le dernier des quatre grands philosophes du XVIIIe s. fait son autoportrait. Sensible à l’excès, extrême dans ses sentiments comme dans ses jugements, sensuel, extraverti, jouant du paradoxe, péchant par excès de mots et défaut de rigueur…
« … La France a une autre mine et un autre air. Le sang coule plus vite dans un corps rajeuni. Tout fait sentir qu’en France, la condition humaine s’est relevée. »
L’utopie de ces trente pages écrites par le prisonnier au fort de Ham et le désir d’un futur souverain de se poser en « homme social » n’excluent pas une certaine sincérité. Fait unique pour l’époque…
Ce philosophe et économiste critique l’ordre social de son temps, ajoutant que le travail « est odieux en civilisation par l’insuffisance du salaire, l’inquiétude d’en manquer, l’injustice des maîtres, la tristesse des ateliers, la longue durée et l’uniformité des fonctions. »
C’est le fameux principe de la séparation des pouvoirs : « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »
L’Esprit des Lois est la grande œuvre de sa vie, vers quoi convergent toutes les autres. Première publication à Genève, en octobre 1648 : succès considérable, 22 éditions en un an et demi ! « C’est de l’esprit sur les lois », dit Mme du Deffand – ce n’est qu’un mot, et il est injuste.